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EFFET D’UN SPRAY « VAPOCOOLANT » TOPIQUE A BASE D’ALCANE SUR LA
DOULEUR PROVOQUEE PAR LA CANULATION VEINEUSE
DES MALADES DES SERVICES D’URGENCES :
ETUDE RANDOMISEE EN DOUBLE AVEUGLE CONTRE PLACEBO
Introduction
La moitié des malades signale une douleur modérée à sévère lors de la canulation veineuse
(prise de sang) ainsi qu’une anxiété avant cette procédure. L’administration préalable d’un
anesthésique local avant la prise de sang pourrait donc être justifiée. Dans une étude
précédente, sur une échelle visuelle analogique de 100 mm, les scores de douleur lors de
prises de sang chez des adultes non traités se situaient entre 24 et 38 mm. L’injection
intradermique de lidocaïne est couramment utilisée comme analgésique. Elle réduit
significativement la douleur. Cependant, l’injection de lidocaïne est elle-même douloureuse et
il y a en théorie un risque accru de blessure par l’aiguille. De plus, les études divergent quant
aux risques accrus d’échec de la canulation induit par la distorsion locale du tissu provoquée
par l’injection de lidocaïne.
Une autre stratégie consiste donc à appliquer un anesthésique local en topique. Ces agents
doivent pénétrer la barrière formée par le stratum corneum, ce qui nécessite des temps
d’application d’au moins 45 mn pour l’Emla (lidocaïne 2,5 % et prilocaïne 2,5 %) et d’au
moins 30 mn pour l’Ametop (tétracaïne 4 %). Dans les services d’Urgences, de tels temps
d’application sont souvent inacceptables puisqu’une canulation immédiate est souvent
nécessaire.
Moins de la moitié des médecins et des chirurgiens utilisent un anesthésique local pour insérer
un cathéter veineux de gros diamètre. De plus, pour le cathéter le plus souvent utilisé (20
gauge), moins de 20 % des médecins utilisent un anesthésique local. Une autre étude indique
que 35 % des internes en médecine utilisaient précédemment un anesthésique local pour la
canulation mais que leurs taux actuels d’utilisation étaient seulement de 6 %.
Les sprays « vapocoolants » topiques peuvent produire une anesthésie cutanée immédiate. Les
« vapocoolants » couramment utilisés comprennent le chlorure d’éthyle, le
fluorohydrocarbone, et des mélanges d’alcanes (butane, propane et pentane). Les sprays
« vapocoolants » à base d’alcanes sont principalement utilisés pour soulager la douleur des
traumatismes musculaires aigus. L’évaporation rapide du spray liquide volatil répandu sur la
surface cutanée provoque une baisse de température et se traduit par une interruption
temporaire de la sensation de douleur, peut-être par désensibilisation des récepteurs à la
douleur ou par activation des canaux ioniques impliqués dans la transmission de la douleur.
Les sprays « vapocoolants » topiques constituent donc potentiellement un anesthésique adapté
et efficace dans la canulation veineuse.
Les études préalables de sprays « vapocoolants » pour réduire la douleur provoquée par la
canulation veineuse chez l’adulte ont montré des résultats discordants. Quatre études
contrôlées randomisées ont été publiées. Deux ont montré que le chlorure d’éthyle était
efficace ; les deux autres ont montré que soit le chlorure d’éthyle, soit le fluorohydrocarbone
étaient inefficaces. Les méthodes utilisées dans ces études ont varié, ainsi que le diamètre de
la canule, la durée d’application et la distance d’application du spray ; les effectifs étaient
petits et il n’y avait pas d’aveugle.
Nous avons évalué l’efficacité, l’acceptabilité et la sécurité d’un spray « vapocoolant »
topique à base d’alcanes pour réduire la douleur provoquée par la canulation veineuse des
adultes par comparaison à un spray placebo (eau).
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Méthodes
Plan expérimental
L’étude a eu lieu entre novembre 2007 et mai 2008. Il s’agissait d’une étude contrôlée
randomisée en double aveugle contre placebo dans un service d’Urgences mixte (adultes et
enfants) qui accueille environ 55000 malades par an.
Les malades étaient inclus dans la présente étude s’ils étaient âgés de 18 ans ou plus et
nécessitaient une prise de sang veineuse. Les critères d’exclusion étaient le refus de participer,
l’incapacité de fournir un consentement informé (malade ne parlant pas l’anglais, troubles
psychiques, maladies sévères, nécessité urgente d’une prise de sang), un inconfort ou une
douleur modérés ou sévères, une maladie cutanée associée à une intolérance au froid, tel
qu’un phénomène de Raynaud, une allergie connue aux composants du spray, une neuropathie
périphérique ou un engourdissement, la pratique d’une analgésie parentérale dans les 4 heures
précédents l’inclusion, ainsi que l’emploi d’un autre anesthésique local.
Recrutement
Nous avons enrôlé un échantillon de malades consécutifs satisfaisant aux critères inclusion
pendant les riodes l’investigateur principal était présent dans le service (essentiellement
de 9 heures du matin à 5 heures du soir, les jours de semaine). L’équipe médicale du service
des Urgences signalait à l’investigateur principal les patients qui nécessitaient une prise de
sang veineuse. Les malades qui répondaient aux critères inclusion recevaient des explications
orales et écrites au sujet de l’étude et donnaient un consentement écrit pour y participer.
Randomisation
Chaque nouveau malade se voyait assigner le pack qui lui était attribué dans l’ordre des
inclusions. Ce pack contenait tous les documents pour le recueil des données et une enveloppe
scellée renfermant un papier sur lequel était écrit le groupe auquel le patient était randomisé
(alcane ou eau). Les patients étaient randomisés par groupe de 6 (« randomized blocks ») par
un pharmacien indépendant utilisant une suite de nombres au hasard générée par ordinateur.
Seul le pharmacien connaissait la nature du spray attribué à chaque patient. Après obtention
du consentement informé, l’investigateur principal ouvrait l’enveloppe scellée et donnait ses
instructions pour administrer le spray indiqué. Les malades, l’équipe soignante dans le service
des Urgences et les autres membres de l’équipe du service des Urgences qui collectaient les
résultats de l’étude étaient tous aveugles vis-à-vis de la randomisation.
Sprays actif et contrôle
Le spray « vapocoolant » actif (alcane) était fabriqué par l’industriel DIFA pour le fournisseur
Alpha First Aid. Il s’agit d’un mélange de butane et de pentane avec un parfum ajouté et il
était fourni dans un récipient standardisé pressurisé mesurant 20 cm de long et pesant 250 g.
Ce dispositif est disponible en Australie comme fourniture thérapeutique dans le traitement de
premier secours de la douleur musculaire et d’autres traumatismes.
Le spray placebo ou contrôle était de l’eau minérale Evian naturelle en spray avec un gaz
propulseur hydrocarboné. Ce produit est utilisé dans le commerce pour fournir un brouillard
rafraîchissant pendant la saison chaude. Il est également conditionné sous forme de spray
pressurisé utilisable manuellement de la même taille environ que le spray actif.
Application du spray
Le conditionnement des sprays actif et contrôle était masqué par du papier blanc étiqueté A ou
B. En raison de légères différences entre les deux sprays (dans le blanchiment transitoire de la
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peau, la force et la trajectoire du jet), l’investigateur principal qui appliquait le spray ne
pouvait pas être aveugle.
Le spray actif possédait un léger parfum qui aurait pu empêcher un aveugle effectif. Un
second spray d’une durée d’une seconde était réalisé environ 30 secondes avant le spray
attribué par tirage au sort, à partir de chaque type de réservoir et dirigé à distance de l’équipe
soignante, afin de disséminer un léger parfum quelque soit la nature du spray administré
(verum ou placebo).
Un membre « aveugle » de l’équipe soignante du service des Urgences identifiait une veine
adéquate pour la canulation. La peau en regard était nettoyée par un coton imbibé d’alcool
puis on la laissait sécher comme habituellement en dehors du protocole. C’est alors que
l’investigateur principal administrait pendant 2 secondes le spray attribué par tirage au sort à
une distance de 12 cm de la peau. Cette technique permettait d’éviter le « givre » du
« vapocoolant » sur la peau. On laissait le spray liquide appliqué sur la peau s’évaporer
pendant une dizaine de secondes, puis on nettoyait à nouveau à l’alcool et on procédait
immédiatement à la canulation (dans les 15 secondes après l’administration du spray).
Critères d’évaluation
Le critère d’évaluation principal était la douleur lors de la canulation. Les critères
d’évaluation secondaires étaient l’inconfort lié à l’administration du spray, le pourcentage de
succès de la canulation, la volonté du malade de choisir le spray qu’il avait reçu pour les
prises de sang futures, la bonne identification du spray par le malade et les effets indésirables.
Nous avons utilisé les échelles visuelles analogiques (EVA) pour évaluer d’une part la
douleur provoquée par la canulation et d’autre part l’inconfort provoqué par le spray. Chaque
échelle visuelle analogique était constituée d’un trait horizontal de 100 mm avec aux
extrémités à gauche aucune douleur et à droite douleur insupportable. Environ 1 minute après
la canulation, chaque patient évaluait la douleur perçue lors de la prise de sang puis le degré
d’inconfort provoqué par le spray. Par comparaison aux échelles utilisant des qualificatifs
verbaux de la douleur, et aux échelles numériques (notes de 1 à 10), les échelles visuelles
analogiques sont validées comme une méthode d’évaluation de la douleur extrêmement
discriminante avec une forte répétitivité en cas de mesures réitérées. Après avoir rassemblé
les informations sur la douleur et l’inconfort, nous avons demandé au malade s’il désirait
choisir le spray qu’il avait reçu lors de prises de sang futures et s’il avait deviné s’il avait reçu
le produit actif ou placebo.
Un assistant aveugle (infirmière ou médecin du service des urgences) non impliqué dans les
soins au patient recueillait toutes les données relatives à l’étude, indépendamment de
l’investigateur principal. Ce dernier enregistrait les caractéristiques démographiques des
patients, le motif de la prise de sang, le siège et le succès ou l’échec de la canulation, la taille
de l’aiguille, et qui avait pratiqué la canulation.
L’investigateur principal tentait de suivre tous les malades 5 jours après la prise de sang, soit
en allant leur rendre visite dans le service ils étaient hospitalisés, soit par téléphone à leur
domicile. On demandait aux patients de décrire tout effet inattendu survenu au siège de la
canulation. L’investigateur posait également des questions précises sur la présence et le temps
d’apparition et de disparition de toute douleur, rougeur cutanée, œdème ou prurit. On
effectuait au moins 3 tentatives pour joindre chaque patient.
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Analyse statistique
Une étude antérieure indique que le score moyen plus ou moins déviation standard pour le
score de douleur obtenu par échelle visuelle analogique après canulation était de 30 mm ± 25
mm. Des réductions importantes de scores de douleur s’échelonnent entre 9 et 18 mm. Notre
étude avait une puissance statistique suffisante pour détecter une différence de 10 mm entre
les scores moyens de douleur des deux groupes (30 mm contre 20 mm). Un minimum de 98
patients étaient donc nécessaire dans chaque groupe, pour une puissance de 0,8 et un niveau
de significativité statistique de 0,05.
Les scores de douleur post-canulation et d’inconfort lié au spray étaient comparés au moyen
du test U de Mann-Whitney, en raison de la non normalité de la distribution de ces deux
variables. Nous avons utilisé le test de Kolmogorov-Smirnov pour comparer les distributions
des âges et le test de chi-2 avec correction de Yates pour comparer les données catégorielles.
Les évènements inattendus étaient simplement crits. Toutes les données ont été analysées
en intention de traiter en utilisant le logiciel SPSS (niveau de significativité statistique p =
0,05).
Résultats
Population étudiée
Trois cents quatre malades ont été évalués en vue d’inclusion. Vingt quatre ont refusé de
participer et 79 ne présentaient pas les critères d’inclusion. Deux cent un patients ont été
randomisés : 98 dans le groupe contrôle ou témoin, et 103 dans le groupe verum ou traitement
actif. Les deux groupes étaient comparables sur l’âge, le sexe, le motif de la prise de sang, le
siège de la canulation, la taille de l’aiguille ou l’infirmière ayant pratiqué la canulation
(tableau 1). Il y a eu 5 violations du protocole. Pour 1 malade du groupe contrôle et 2 malades
groupe verum, le siège de la canulation était légèrement distant de la zone vaporisée. De plus,
pour deux malades du groupe verum, une préparation incomplète s’est traduite par un délai de
plus de 15 secondes entre le spray et la canulation.
Critères d’évaluation
Le tableau 2 montre les résultats des principaux critères d’évaluation. Les malades du groupe
verum ont indiqué des scores de douleur après canulation significativement plus faibles ; leur
score médian de douleur n’était que 1/3 du groupe contrôle. De plus, il y avait
significativement moins de patients dans le groupe verum ayant rapporté un score de douleur
supérieur à 30 mm. La figure 2 présente la distribution des scores de douleur graphiquement.
L’inconfort provoqué par les deux sprays était généralement léger avec des scores médians
d’inconfort de 0 dans chaque groupe. Cependant 23 (24 %) et 50 (49 %) malades des groupes
témoin et vérum ont signalé un score d’inconfort différent de 0. Le décalage des scores
d’inconfort vers la droite dans le groupe verum s’est traduit par une différence significative
entre les deux groupes. De plus, significativement plus de malades du groupe verum
choisiraient ce spray s’ils devaient être à nouveau prélevés dans le futur. La nature du spray
n’a pas affecté le pourcentage de succès de la canulation.
Significativement plus de patients du groupe contrôle ont deviné correctement la nature
placebo du spray qu’ils avaient reçu. Malgré cela, presque le tiers des malades du groupe
témoin et la moitié de ceux du groupe verum n’ont pas deviné correctement quel spray ils
avaient reçu. Ceci suggère un niveau important d’aveugle dans les 2 groupes.
Cinq jours après la canulation, 73 (75 %) et 83 (81 %) malades dans les groupes contrôle et
verum ont pu être suivis. Parmi eux, 2 malades du groupe verum ont présenté une rougeur
transitoire de la peau au site vaporisé. Aucun autre effet inattendu n’a été signalé.
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Discussion
Les sprays « vapocoolants » à base d’alcane sont utilisés dans certains services d’Urgences du
Royaume Uni et d’Irlande pour réduire la douleur provoquée par la prise de sang. Cependant,
il y a peu de publications concernant leur emploi dans cette indication. Nous avons montré
que, par comparaison aux malades contrôles recevant de l’eau en spray, ceux qui avaient reçu
le « vapocoolant » à base d’alcanes avaient un score médian de douleur inférieur de 18 mm et
qu’il y avait significativement moins de malades avec des scores 30 mm. Donc, le spray
vapocoolant à base d’alcanes appliqué avant une canulation veineuse réduit notablement la
douleur ressentie.
Il y a une différence significative entre le score d’inconfort du placebo et du « vapocoolant »
actif. Cependant, le score médian d’inconfort est égal à 0 dans les deux groupes et la quantité
absolue d’inconfort provoquée par le vapocoolant est faible. De plus, presque les 2/3 des
malades ayant reçu le vapocoolant choisiraient ce traitement dans le futur pour réduire la
douleur liée à la canulation par comparaison à environ 1/3 des malades ayant reçu le placebo.
Cette différence reflète probablement la satisfaction des patients vis-à-vis du spray administré.
Les évènements inattendus avec le spray « vapocoolant » étaient mineurs et n’ont été observés
que chez seulement 2 patients. On ne sait pas si ces évènements sont attribuables au
« vapocoolant » lui-même ou si la différence entre les deux groupes peut être attribuée à un
taux de suivi plus élevé des patients du groupe « vapocoolant ». Il faut remarquer que notre
taux d’événements était bas par comparaison à ceux rapportés avec la tétracaïne (érythème 34
%, prurit 6 %), l’Emla (érythème 6 %) et la lidocaïne (érythème 13 %, œdème 53 %). Les
autres risques associés au « vapocoolant » sont probablement minimes. Comme de nombreux
autres « vapocoolants », celui que nous avons testé est inflammable et son utilisation à
proximité d’une source de chaleur ou de feu n’est pas recommandée. La courte durée du spray
(2 secondes) et l’absence de chaleur ou de feu au voisinage immédiat contribuent
probablement à sa sécurité d’emploi. Le fabriquant recommande une durée d’application
maximale de 5 secondes et une distance d’au moins 12 cm pour éviter les phénomènes
cutanés liés au froid. Nous avions testé plusieurs temps d’application à une distance de 12 cm
et les phénomènes cutanés liés au froid ne sont pas survenus pour une durée de 2 secondes. Le
risque de pollution atmosphérique locale est probablement minime en raison de l’application
de courte durée sur une zone de petite surface.
Bien que la vasoconstriction liée au refroidissement cutané puisse augmenter les difficultés de
canulation, nous n’avons pas trouvé de différence significative dans les taux de succès des
canulations entre les deux groupes. La lidocaïne a été signalée comme pouvant augmenter le
taux d’échec des canulations en raison de la distorsion du tissu, et l’Emla peut provoquer une
vasoconstriction qui peut accroître les difficultés de canulation.
Forces et limites de l’étude
Un biais de sélection aurait pu se produire si les malades qui ont refusé de participer ou ont
été exclus de l’étude étaient différents de ceux inclus. Les périodes pendant lesquelles
l’investigateur principal était disponible pour les inclusions étaient limitées. Bien que cela ait
allongé la durée de l’étude, l’inclusion de malades consécutifs a probablement minimisé le
biais de sélection. Seulement 24 patients ont refusé de participer, et il n’y a pas de raison de
croire que ces malades différaient substantiellement de ceux inclus. Harris et collaborateurs
ont signalé que la perception d’une douleur à la canulation n’est pas modifiée par la présence
ou l’absence d’autres situations douloureuses. Donc, le biais de sélection n’a probablement
pas affecté les résultats. Bien que les caractéristiques de base des deux groupes aient été
semblables, nous n’avons pas mesuré d’autres paramètres potentiellement responsables de
biais, tels que le seuil de douleur et la peur de l’aiguille. L’effectif important de l’étude et la
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