itinéraire d`un T-shirt_textes - Collège du PARC

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Lubbock, Texas, "ville la plus cotonneuse de la planète"
"Contrairement aux vins de France ou aux oranges de Floride, le coton du Texas
ne se vante pas de ses origines", remarque Pietra Rivoli. Pourtant, c'est dans ce
"paysage quasiment lunaire" que réside l'industrie du coton numéro 1 dans le
monde. C'est là, à Lubbock,Texas, "ville la plus cotonneuse de la planète",
qu'habite Nelson Reinsch, 81 ans, "un gentleman dans le vrai sens du terme"
dont les 400 hectares peuvent produire 250 tonnes de coton brut, soit
suffisamment pour fabriquer 1,3 million de tee-shirts. Comment les
Américains sont-ils rester leaders du coton face aux pays à bas coûts : grâce
aux subventions, mais aussi grâce aux "institutions et mécanismes
gouvernementaux qui, aux Etats-Unis sont considérés comme allant de soi, mais
qui sont inexistants dans bien des pays pauvres
Photo © David Rouault
Du Texas à la Chine, en passant par la Californie
Pour exporter leur coton, les planteurs du Texas ont décidé de s'unir il y a bien longtemps dans la Coopérative de Compression des
Fermiers (FCC). C'est elle qui stocke, assure et organise le transport du coton par rails, camions ou bateaux vers sa destination finale.
Dans le cas du tee-shirt de Pietra Rivoli, les balles de coton destinées à l'industrie chinoise du textile empruntent les routes
américaines jusqu'au port de Long Beach, au sud de Los Angeles, en Californie. Chargées sur des bateaux, elles termineront leur
périple à Shanghai ou à Canton. La FCC traite plus de 10% du coton américain. En cinq ans, écrit Pietra Rivoli, "elle a reversé
plus de 150 millions de dollars de dividendes à ses actionnaires".
Dans la filature de coton Numéro 36de Shanghai, du
"vert communiste"
A Shanghai, "la filature de coton Numéro 36, (...) c'est d'abord le bruit infernal,
le fracas métallique assourdissant de vraies machines, au lieu du
vrombissement électronique ou des bips que l'on entend dans les usines
américaines (...) L'assaut sensoriel le plus violent (...) est la couleur à l'intérieur
de l'usine. On pourrait l'appeler vert communiste." Cette manufacture chinoise,
"exemple classique d'entreprise d'Etat" qui a "récemment mis un pied dans le
domaine capitaliste en établissant une joint-venture avec une entreprise de
Hong-Kong" est dirigée d'une main de maître, raconte Pietra Rivoli, par Tao
Yong Fang, si "mince qu'une rafale de vent du Texas l'emporterait". C'est sous
sa direction que le coton se transforme en fils avant de rejoindre l'usine de
vêtements "à l'extrémité opposée de l'interminable banlieue de Shanghai".
Photo © David Rouault
Splendeur de Shanghai, des vestes mao aux tee-shirts
A sa fondation dans les années 80, l'usine collective de vêtements Splendeur de
Shanghai, possédée par le gouvernement local, n'avait que des clients attribués
par l'Etat. Elle ne produisait alors que des "vestes et pantalons utilitaires de style
Mao". Aujourd'hui, elle n'a plus aucun client assuré et se retrouve en
concurrence avec plus de 40.000 autres usines chinoises. Son directeur, Su
Qin, pur produit de l'économie planifiée, se remémore devant Pietra Rivoli,
"sa surprise la première fois qu'il a entendu un client se plaindre à cause
de morceaux d'aiguilles dans une livraison". Depuis il a fait installer un
détecteur de métal, veille à la qualité de ses produits et est passé de une à sept
usines. A la dernière visite de Pietra Rivoli, il avait même abandonné la
fabrication de tee-shirts pour celles plus cotée du tricot haut de gamme pour
enfants.
Photo © Jenny Delcambre
De Shanghai à Miami, via le Pacifique et le canal de Panama
Comme à son habitude, la Chine fait les choses en grand. Pour l'export, l'Etat contrôle une gigantesque société, Tricots de Shanghai,
qui sert d'intermédiaire entre les producteurs chinois et les importateurs américains. En 2000, selon Pietra Rivoli, "cette société a
expédié environ 2 millions de tee-shirts vers les Etats-Unis, au prix moyen de 13 dollars la douzaine". Pour cela, les conteneurs
remplis de tee-shirts sont chargés au port de Shanghai, puis traversent l'océan Pacifique, longent la côte ouest du Mexique,
empruntent le canal de Panama et accostent à Miami, là même d'où étaient partis les balles de coton texan.
A Miami, au milieu des tee-shirts honduriens,
bangladais, botswanais...
A Miami, la Sherry Manufacturing Company, où a été imprimé le tee-shirt de
Pietra Rivoli, est dirigée par Gary Sandler, "un homme aimable" au "scepticisme
de bon aloi vis-à-vis des professeurs d'université. Il est totalement dénué de
vanité, mais manifestement fier de ce que lui et sa famille ont construit". La
Chine est loin d'être son seul fournisseur. Il s'approvisionne également au
Mexique, au Salvador, en République Dominicaine, au Costa Rica au
Bangladesh, au Honduras, au Pakistan, au Botswana, en Inde, à Hong Kong et
en Corée du Sud. Le tee-shirt venu de Chine, lui, aura coûté 1,42 dollar à
Gary Sandler, dont 24 cents de tarifs douaniers. Pietra Rivoli en profite pour
raconter la longue déliquescence des innombrables syndicats et autres
fédérations du textile américain au fur et à mesure que les pays à bas coûts
s'imposaient.
Photo © Anne Dejoie
A Brooklyn, New York, pour une deuxième vie
économique
Attirés par une déduction fiscale, altruistes ou simplement désireux de se
débarrasser d'habits inusités, les Américains donnent à tour de bras des
vêtements aux associations caritatives. De quoi offrir une nouvelle vie
économique au tee-shirt de Pietra Rivoli, récolté par l'entreprise Trans-Americas
Trading Company de Brooklyn, qui achète chaque jour plus de trente tonnes de
vieux vêtements. A elle la difficile tâche de trier tout cela pour le marché de
l'occasion, les goûts du moment du client étant le seul facteur subjectif de
sélection : les "vieux procédés de teinture confèrent une valeur supérieure", "un
tee-shirt Led Zeppelin en lambeaux doit être mis à part", les tee-shirt du
"rassemblement de motos pour le mémorial David Faulkner ont une valeur
élevée".
Photo © Valérie Petitbon
Les Levi's et Nike pour le Japon, les Rolling Stones pour l'Europe
Les goûts des clients indiquent également la destination des vêtements d'occasion. A Brooklyn, "chacun sait qu'il faut surveiller les
Levis ou les Nike, car les jeunes Japonais et Japonaises branchés (en) raffolent". Le "bon tee-shirt des Rolling Stones", lui, atterrira
dans une boutique vintage européenne. Les pays de l'Est, les Philippines, le Chili, le Guatemala et bien sûr l'Afrique restent les
principales destinations. Entre 1990 et 2003, les Etats-Unis ont exporté environ 3 milliards de tonnes de vêtements d'occasion et
d'autres produits usagés. Le pays détient ainsi 40% du marché des exportations de vêtements d'occasion. Ce qui ne peut être
revendu tel quel est transformé en chiffons d'essuyage, en étant d'abord vendu à des chiffonniers moyennant 10 cents le kilo,
contre 1,30 à 1,80 dollar le kilo de tee-shirts.
En Tanzanie,le tee-shirt devient mitumba
Le tee-shirt de Pietra Rivoli, "multicolore" et "joyeux", est "bien adapté au marché
africain", où deux tee-shirts peuvent se vendre un cent. Il a donc des chances de
se retrouver sur le marché de Manzese, long de deux kilomètres, plus grand
marché de Tanzanie de mitumbas, le nom donné aux vêtements d'occasion
occidentaux. Selon l'auteur, "les mécanismes de marché y fonctionnent bien
mieux que dans un grand magasin américain" : les prix sont différents selon
la couleur, la taille, augmentent les jours de paye, les vêtements pour femmes
sont bien moins chers puisque les Américaines en jettent plus que les
Américains. Pour Pietra Rivoli, ce n'est que dans "ce dernier chapitre de la vie
d'un tee-shirt", celui du marché de l'occasion, "que les échanges mondiaux sont
régis par les lois de l'économie plutôt que par les considérations politiques".
Photo © Jacques Veylet
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