Lubbock, Texas, "ville la plus cotonneuse de la planète"
Contrairement aux vins de France ou aux oranges de Floride, le coton du Texas ne se vante pas de ses origines", remarque Pietra
Rivoli. Pourtant, c'est dans ce "paysage quasiment lunaire" que réside l'industrie du coton numéro 1 dans le monde. C'est là, à
Lubbock,Texas, "ville la plus cotonneuse de la planète", qu'habite Nelson Reinsch, 81 ans, "un gentleman dans le vrai sens du terme"
dont les 400 hectares peuvent produire 250 tonnes de coton brut, soit suffisamment pour fabriquer 1,3 million de tee-shirts .
Comment les Américains sont-ils rester leaders du coton face aux pays à bas coûts : grâce aux subventions, mais aussi grâce aux
"institutions et mécanismes gouvernementaux qui, aux Etats-Unis sont considérés comme allant de soi, mais qui sont inexistants dans
bien des pays pauvres
Du Texas à la Chine, en passant par la Californie
Pour exporter leur coton, les planteurs du Texas ont décidé de s'unir il y a bien longtemps dans la Coopérative de Compression des
Fermiers (FCC). C'est elle qui stocke, assure et organise le transport du coton par rails, camions ou bateaux vers sa destination finale.
Dans le cas du tee-shirt de Pietra Rivoli, les balles de coton destinées à l'industrie chinoise du textile empruntent les routes
américaines jusqu'au port de Long Beach, au sud de Los Angeles, en Californie. Chargées sur des bateaux, elles termineront leur
périple à Shanghai ou à Canton. La FCC traite plus de 10% du coton américain. En cinq ans, "elle a reversé plus de 150
millions de dollars de dividendes à ses actionnaires".
Dans la filature de coton Numéro 36de Shanghai, du "vert communiste"
A Shanghai, "la filature de coton Numéro 36, (...) c'est d'abord le bruit infernal, le fracas métallique assourdissant de vraies
machines, au lieu du vrombissement électronique ou des bips que l'on entend dans les usines américaines (...) L'assaut
sensoriel le plus violent (...) est la couleur à l'intérieur de l'usine. On pourrait l'appeler vert communiste." Cette manufacture chinoise,
"exemple classique d'entreprise d'Etat" qui a "récemment mis un pied dans le domaine capitaliste en établissant une joint-venture avec
une entreprise de Hong-Kong" est dirigée d'une main de maître par Tao Yong Fang, si "mince qu'une rafale de vent du Texas
l'emporterait". C'est sous sa direction que le coton se transforme en fils avant de rejoindre l'usine de vêtements "à l'extrémité opposée
de l'interminable banlieue de Shanghai".
Splendeur de Shanghai, des vestes mao aux tee-shirts
A sa fondation dans les années 80, l'usine collective de vêtements Splendeur de Shanghai, possédée par le gouvernement local,
n'avait que des clients attribués par l'Etat. Elle ne produisait alors que des "vestes et pantalons utilitaires de style Mao". Aujourd'hui,
elle n'a plus aucun client assuré et se retrouve en concurrence avec plus de 40.000 autres usines chinoises. Son directeur, Su Qin,
pur produit de l'économie planifiée, se remémore devant Pietra Rivoli, "sa surprise la première fois qu'il a entendu un client
se plaindre à cause de morceaux d'aiguilles dans une livraison". Depuis il a fait installer un détecteur de métal, veille à la qualité
de ses produits et est passé de une à sept usines. A la dernière visite de Pietra Rivoli, il avait même abandonné la fabrication de tee-
shirts pour celles plus cotée du tricot haut de gamme pour enfants.
Shanghai à Miami, via le Pacifique et le canal de Panama
Comme à son habitude, la Chine fait les choses en grand. Pour l'export, l'Etat contrôle une gigantesque société, Tricots de Shanghai,
qui sert d'intermédiaire entre les producteurs chinois et les importateurs américains. En 2000, selon Pietra Rivoli, "cette société a
expédié environ 2 millions de tee-shirts vers les Etats-Unis, au prix moyen de 13 dollars la douzaine". Pour cela, les
conteneurs remplis de tee-shirts sont chargés au port de Shanghai, puis traversent l'océan Pacifique, longent la côte ouest du
Mexique, empruntent le canal de Panama et accostent à Miami, là même d'où étaient partis les balles de coton texan.
Ed. Fayard, 2007