UNIVERSITE LYON 2 FACULTE DE SCIENCES ECONOMIQUES ET DE GESTION JOURNEE DE RENCONTRE ENTRE LES PROFESSEURS DE L’ENSEIGNEMENT SECONDAIRE ET DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR SCIENCES ECONOMIQUES ET DE GESTION, UNIVERSITE LYON2. SCIENCES ECONOMIQUES ET SOCIALES, ECONOMIE ET GESTION. Mercredi 2 février 2005 INTERVENTION DE PIERRE L’UNIVERSITE LYON2 DOCKES, PROFESSEUR D’ECONOMIE A Avertissement : il s’agit ici de notes prises à partir d’un exposé, ce qui n’est pas comparable à un article rédigé par l’auteur. Notes prises par Jean FLEURY. Le propos que je vais tenir aujourd’hui se place dans l’idée qu’il serait intéressant de construire une théorie générale historique de l’Etat. Il faut faire attention aux fresques… mais je pense qu’une telle théorie doit reposer sur une prise en compte de l’histoire longue. Ce genre de travaux essaie de lier ensemble des disciplines diverses, comme l’histoire de la pensée, la sociologie, l’économie, la politique… alors que, dans le discours scientifique officiel, rien n’est plus mal vu que ces unions de disciplines. Quand on étudie un objet aussi important que l’Etat aujourd’hui, on peut le prendre de plusieurs façons. La question que je poserais est la suivante : « Comment les fonctions de l’Etat se sont elles construites progressivement, par des a coup, des retours et des avancées » Je voudrais réfléchir, à partir de l’histoire longue, sur ce qui se passe aujourd’hui dans la construction de l’Etat. A quoi sert l’Etat ? Comment comprendre ses formes et fonctions ? Je vais partir de la plus ancienne métaphore utilisée à propos de l’Etat. La comparaison entre l’Etat et le cerveau. Les fonctions de l’état se sont surajoutées les unes sur les autres, comme un ensemble de couches, depuis le « cerveau reptilien » jusqu’au cortex. Dans cette métaphore, les différentes couches travaillent sous la direction d’une des couches. Le cerveau humain joue le rôle de direction, mais il y a des inter-relations entre les différents éléments. J’aborderai deux parties : 1. La construction des fonctions de l’état (jusqu’au retournement de l’ordre productif dans les années 1975-80) 2. La question de l’éventuel recul de l’Etat et ses fonctions actuelles. On peut expliquer l’évolution présente à partir de l’évolution passée. Pour commencer, on peut évoquer l’économiste R.A. Musgrave, qui définit les fonctions économiques de l’Etat comme relevant de trois domaines : la redistribution, l’allocation, et la régulation (The Theory of Public Finance, 1959). Il s’agit ici de le compléter par une approche génétique permettant de découvrir d’autres fonctions. D’autre part, il serait 1 souhaitable de partir de l’Etat avant l’Etat, d’un paléo-État au sens où J.M. Servet parle de paléo-monnaies. On constate une grande diversité des formes d’apparition de ce paléo-état, son évolution vers la constitution des tribus, cités, royaumes et empires dans l’Antiquité. Notons que cette notion de paléo-État peut aider à comprendre ce qui se construit aujourd’hui, ce que nous nommerons ultérieurement un « néo-État ». Je vais réfléchir sur la réémergence de l’Etat, à partir de l’aube des temps modernes. I. L’ETAT S’EST CONSTITUE EN 4 STRATES SUCCESSIVES. 1. l’Etat garant de l’ordre public Cela concerne les économies et sociétés d’ancien régime, jusqu’au milieu du 18° siècle. Cet ordre public correspond immédiatement au courant économique « mercantiliste ». La réflexion sur l’Etat est tout à fait centrale dans ce courant. Il ne s’agit pas seulement d’un ordre sécuritaire, mais de l’idée qu’il s’agit de préserver ou de consolider un lien social. « L’ordre public » apparaît comme la consolidation de ce lien social. Ce lien social est pensé fondamentalement comme vertical : les relations entre les individus sont médiatisées par la relation à l’Etat. Il en va de même des relations à la monnaie. Ce n’est pas par hasard si la monnaie est pensée alors par rapport à l’Etat, tout comme l’échange, le circuit économique, qui sont pensés en référence à l’Etat. On parle des fonctions régaliennes de l’Etat, de l’« Etat-gendarme »… Mais cela ne peut se résumer à cela ! La défense de l’ordre public recouvre des domaines beaucoup plus larges. Par exemple, l’administration de la Justice : elle est pensée en termes d’ordre public. L’ordre public, c’est dire que l’administration de la justice est pensée d’abord dans un but d’arbitrage entre les parties, de façon à éviter les vendettas, les troubles à l’ordre public. L’Etat se présente aussi comme l’institution qui doit veiller à l’ordre public, indépendamment à l’intérêt des parties. Cette perception tolère aisément l’arbitraire, dans la mesure où l’arbitraire ne crée par un désordre de l’ordre public. L’Etat, le Prince a la possibilité de confisquer les biens et les vies : cela apparaît comme dans l’ordre des choses. L’Etat intervient dans l’économie mais ces interventions ne sont pas du tout du même ordre que celles que l’on connaîtra à la fin du XIX° et au XX° siècle. Lorsque l’’Etat, intervient dans la vie économique, c’est dans l’objectif de garantir l’ordre public. Ainsi, par exemple, les jurandes sont organisées sous la houlette du Roi. L’objectif est bien l’ordre public et pas le bien-être. De même la « police des grains » : nourrir les peuple, c’est bien l’objectif de l’Etat mais cela doit être compris dans la perspective de l’ordre public (contrôler les « classes dangereuses » - expression qui ne viendra que plus tard - ). De même les salaires tarifés, qui ne constituent pas une régulation économique comme nous l’entendons aujourd’hui. Toute l’assistance aux pauvres est également pensée en fonction de l’ordre public. L’Etat n’est pas là pour maximiser le « welfare » des populations, mais pour garantir l’ordre public. Dans cette perspective, le risque que présente l’Etat, c’est l’ « Etat-prédateur ». Dans la mesure où il monopolise la « violence légitime » (cf Weber) il peut y avoir une oppression du peuple. Cette oppression passe d’abord par la pression fiscale. La pensée de l’ancien régime autour de la gabelle manifeste bien cela… et les revendications d’aujourd’hui (quant à la baisse de la pression fiscale) n’ont rien à voir avec cela. 2. l’Etat garant de l’ordre contractuel. 2 Il s’agit d’une véritable révolution qui constitue un prélude à l’ordre libéral, à partir du moment où l’Etat protège les droits de propriété privée, y compris contre lui-même, et donne force aux contrats (« enforcement of contracts »). Il ne peut y avoir de transfert de propriété privée autrement que par contrat et L’Etat garantit que les obligations souscrites ainsi seront honorées. A partir de là, l’Etat doit laisser faire, dans la mesure où le lien social, établi par le contrat tient de lui-même. La seule division du travail et le commerce suffisent à établir le lien social (liens horizontaux) ; cela définit un ordre contractuel qui débouchera sur la loi du marché. Et l’on entre ainsi de plain-pied dans le XIX° siècle. Le premier penseur de cet ordre contractuel, c’est Thomas Hobbes. Hobbes raisonne encore dans le monde de l’ordre public. Il veut sortir de l’ « état de nature » qui s’est réinstallé dans l’Angleterre de son temps et, pour cela, il est prêt à mettre en place un ordre durement absolutiste. Mais , cet ordre établi, il suffit de laisser jouer les contrats : L’Etat peut garantir la propriété privée et les contrats, dans la mesure où il garantit l’ordre public. Il est ainsi le penseur de cette « nouvelle couche » que constitue « l’ordre contractuel ». Cela limite considérablement l’intervention de l’Etat dans la vie économique. On en arrive à l’idée du marché autorégulateur. Le marché étant sensé permettre un vrai développement. On a ainsi affaire au véritable Etat-gendarme, avec le démantèlement de tous les organes de l’état consacré à la fonction d’établir l’ordre public. Le risque principal, n’est plus alors l’ « Etat prédateur », mais l’ « Etat opportuniste ». Dans sa position d’arbitre, garant des contrats, il peut se placer dans une position favorable à une partie contre les autres parties. On peut se référer ici aux affirmations de Karl Marx (l’Etat gérant des intérêts du capital). Sur cette couche, va se constituer la troisième strate. 3. L’Etat- subsidiaire, dans les failles de l’Etat contractuel Lorsqu’il y a des carences au niveau microéconomique de l’allocation, au niveau macro économique ou social, une nouvelle « couche » s’installe dans les failles de l’Etat contractuel. Lorsque le marché ne fonctionne pas ou mal, on peut aborder le problème sous trois grandes questions : - l’ allocation - la régulation macro-économique - la régulation sociale Quant au premier point, l’allocation, il s’agit, chaque fois que le marché ne réussit pas à réaliser l’allocation optimale des différents individus et des différentes activités, de faire intervenir l’Etat. On retiendra les cas où on est en présence biens collectifs, de monopoles naturels, de rendements d’échelle croissants, d’effet de réseaux, ou d’externalités positives ou négatives, chaque fois que l’État estime que les individus sont incapables de discerner ce qui est bon ou mauvais pour eux, etc…Tout ce qui va correspondre aux welfare economics, à l’économie publique. Le penseur de cette transition est Léon Walras. Cet homme va se trouver à un moment exceptionnel. Il est le penseur qui aboutit la pensée de l’ordre contractuel, avec sa théorie de l’équilibre général et, en amont, avec son idée fondamentale qu’ « il faudrait prouver que la libre concurrence permet d’atteindre au maximum de l’intérêt individuel. » Et en chemin, il arrive à la conclusion que la libre 3 concurrence cela ne marche pas toujours, qu’il y a des failles. Par exemple, les monopoles naturels, les rendements croissants, les services publics (« les monopoles moraux »). Walras est en cela, le fondateur de l’économie publique. Celui qui fait aboutir la pensée néoclassique est celui qui amorce la question de l’état subsidiaire. L’économie publique va faire apparaître des exceptions. Lorsqu’on est en présence d’externalités positives (éducation, santé) ou négatives (pollution), on va se retrouver dans la théorie néo-classique de l’état optimal dans le cadre de l’Etat subsidiaire. Cela amorce également la question de la régulation économique, de la politique économique, destinée à lutter contre les crises et les dépressions, surtout les conséquences systémiques des crises financières. On reste ici dans le cadre de l’ « l’Etat infirmier ». Politique monétaire, financière, de change…C’est vrai aussi pour des interventions meso-économiques, pour protéger des secteurs en danger. L’appel à l’Etat se fait entendre pour toutes les catégories d’acteurs, et surtout les plus puissantes (le capital). Il faudrait encore parler des interventions en matière sociale, des intervention qui restent exceptionnelle au niveau cette « couche » de l’État subsidiaire, c’est à dire lorsque le marché s’avère incapable de maintenir les salaires au niveau de la productivité marginale du travail, lorsqu’il exacerbe les inégalités par son mauvais fonctionnement ou lorsque l’offre de travail ne peut s’adapter à la demande, finalement surtout lutter pour contre le paupérisme. 4. l’Etat et sa rationalité supérieure ou l’Etat organisateur. Du fait de l’évolution socio-économique qui transforme les exceptions en normes (crises, failles, etc.), émerge et s’impose une logique de l’ « Etat organisateur », qui se substitue peu à peu à l’ « Etat subsidaire ». L’idée qui se développe alors est que la rationalité de l’Etat est supérieure à la rationalité privée. La coordination par l’Etat est supérieure à la coordination privée, décentralisée par le marché. C’est bien le balancement mis évidence par HAYEK : il va décocher ses flèches contre l’Etat qui vise à l’organisation de la société. « Taxis » contre « cosmos » : organisation centralisée contre organisation spontanée qui fait jaillir un ordre. Selon la métaphore du cerveau, cela correspondrait au cortex : rationalité supérieure de l’action de l’Etat (cf. l’idée qui serait propagée par le planisme d’un Henri de Man, les courants dirigistes, certains newdealers, Keynes, le « marxisme occidental »). On a deux versants très tranchés de cette idée de la rationalité de l’Etat : les démocraties occidentales versus le fascisme et communisme. L’aboutissement logique en serait l’économie soviétique avec les plan autoritaires, et l’idée de la supériorité rationnelle de l’Etat. Ce qui est intéressant, c’est que cette idée est largement partagée par tout le monde occidental, à un degré plus ou moins absolu, mais tout le monde admet la nécessité d’une intervention dirigiste de l’Etat. Le penseur de ce basculement vers une nouvelle conception est John Maynard KEYNES C’est là encore l’auteur qui se situe dans la strate précédente mais qui, à partir de là, construit la nouvelle strate. Il a largement une pensée de l’ « Etat subsidiaire », et pas de l’ « Etat organisateur ». C’est un penseur très prudent. Mais, lui et les post-keynésiens vont être amenés à être les penseurs de la rationalité supérieure de l’Etat. II. LA SITUATION ACTUELLE Que se passe-t-il aujourd’hui ? 4 La 4° strate s’est effondrée. La rationalité de l’état organisateur de la vie économique et sociale est considérée comme inférieure à la coordination par le marché. Que reste-t-il des idées correspondant à cette strate ? Par exemple de l’économie mixte ? Cette couche fondamentale s’est effondrée. Il nous reste à nous interroger sur le « pourquoi ? ». Estce que c’est un phénomène temporaire ? Quel est le rythme de l’histoire ? L’effondrement du régime soviétique a été un moment crucial de l’effondrement de l’ « Etat organisateur ». Mais ce n’est pas la cause. La cause, c’est la transformation de l’ordre productif, l’apparition d’un méta capitalisme productif : la globalisation, la transnationalisation, la mondialisation. L’idée que l’Etat est capable d’organiser la vie économique et sociale perd tout son sens, dans la mesure où la pensée de l’ « Etat organisateur » est intimement liée à la Nation (Etat-nation). Comment l’Etat peut-il organiser des activités qui se développent hors de l’Etat nation ? On assiste à une sorte de « dérive des continents » qui correspond à l’émergence et au développement d’un nouvel ordre productif, un néo-capitalisme libéral, global, financier… Il faudrait revenir sur les raisons profondes de l’effondrement de cette quatrième strate et élaborer une pensée du futur. Si l’on peut dire que la quatrième strate s’est effondrée, c’est plus complexe pour ce qui concerne la troisième strate. Si l’on prend deux éléments de l’intervention de l’ « Etat subsidiaire », celle de l’allocation et de la régulation économique, on voit que l’action de l’Etat a évolué de façon différente dans les deux cas. En ce qui concerne les externalités positives (santé, éducation, etc.), on assiste à un recul de l’Etat. Mais, on constate une réelle présence réglementaire de l’Etat, lorsqu’il s’agit des relations entre les entreprises, de la finance, dès que c’est nécessaire. Il faudrait regarder de près l’ensemble des systèmes qui se substituent aux services publics ( à la française). Ce n’est pas la loi du marché qui s’impose partout ou, du moins, l’Etat reste souvent à l’arrière plan, en instance de surveillance en dernière instance. Sur le plan de la régulation macroéconomique, aux Etats-Unis d’Amérique, dans les situations de crise, on voit l’Etat remonter au créneau avec une puissance et une efficacité très importante dans la régulation. Observons la politique financière, monétaire, de change des USA lors des cracks précédents. 300 milliards de dollars sont immédiatement injectés dans l’économie après le 11 septembre 2001 ; avec 500 milliards de déficit contre 236 milliards de dollars en 2000 : on est passé de +2,5 du Pib à – 5% du PIB, ce qui a une énorme incidence ! On obtient 7,5% de différentiel en deux ans. De plus, on constate une baisse des impôts, qu’on pourrait appeler « de classe ». Surtout, l’État-infirmier s’est porté s’est porté au secours des assurances, des compagnies d’aviation, de l’agriculture… la sidérurgie, l’automobile… Il y a une coopération organisée entre l’Etat, les services techniques des ministères américains, les grandes entreprises, les universités… Ils ont constitué des institutions visant à l’innovation, à la recherche, mobilisant des moyens colossaux, dans lesquels l’Etat est présent. Qu’en est-il de l’Europe ? En ce qui concerne l’Euroland, on a un ensemble où il n’y a pas de gouvernement économique ! Pire, il n’y a pas de gouvernement économique global tandis que l’Europe a mis en place de grandes contraintes sur les gouvernements économiques nationaux. La banque centrale européenne, du fait des contradictions entre pays, est condamnée à la non-intervention. On est actuellement dans une situation intermédiaire dans laquelle il n’y a pas de possibilité d’intervention puissante ni au niveau industriel, ni au niveau financier, et que ce soit par des politiques nationales ou au niveau européen. Une impuissance donc qui tient à cette situation « au milieu du gué ». Si l’on prend la politique de change, il y eu 40% de dévalorisation du dollar par rapport à l’euro et la banque centrale 5 européenne n’agit pas ! On assiste ainsi à une exportation du chômage vers l’Europe telle qu’elle s’est passée dans les années trente ! On assiste, par ailleurs, à une mondialisation de l’ordre contractuel. La question à l’ordre du jour est la recherche tâtonnante, non pas d’un Etat trans-national mais d’un néo-Etat transnational. Par exemple l’OMC, avec son organisme de règlement de différents, et d’autres organisations para-étatiques pourraient en être les embryons. En outre, à l’échelle mondiale devra se mettre en place un système des normes encadrant l’ordre contractuel en formation : normes sociales, environnementales, concurrentielles etc… Et la première couche ? L’Etat garant de l’ordre public ? Il me semble qu’on assiste aujourd’hui à un réveil de celui-ci. Historiquement, les crises politiques font revenir l’ « Etat reptilien ». L’économie est soumise à la violence, la réactivation de la couche originelle est d’actualité. Cela peut être une condition de la survie des sociétés. Cette couche est utile, nécessaire, mais extrêmement dangereuse ! Ce qui est surprenant, en tout cas, c’est la vitesse avec laquelle on vote des centaines de milliards de dollars dès lors que l’ordre public est en cause, alors qu’il faut des années pour voter des dépenses sociales ou autres. La question à l’ordre du jour est donc l’émergence d’un néo-État à l’échelle mondiale, et d’abord aux deux niveaux primordiaux, l’ordre public et l’ordre contractuel, et forcément ce processus se fait sous la houlette des Etats-Unis, d’où le danger d’un retour d’impérialisme, d’où l’importance retrouvée du multilatéralisme. 6 DISCUSSION / DEBAT (Le compte rendu synthétise l’ensemble du débat en quelques questions-clé) Que penser de ce qui se passe aujourd’hui en Europe ? Comme je l’ai dit, il y a une forte différence entre le modèle américain, qui agit dans une optique de régulation et l’Europe, particulièrement en France, où l’on a une politique qui consiste à l’inverse à restreindre les dépenses et à ne pas intervenir dans la régulation de l’économie, ce qui pose de graves questions, à un moment où il faudrait sans doute plutôt procéder à des incitations. On peut s’interroger sur les choix européens, par exemple, le fait de créer un monnaie unique dans un espace monétaire non optimal…Aux Etats-Unis, c’est l’ « Etat-subsidaire » qui reste très puissant, et qui peut organiser des segments entiers de l’économie et organiser la coopération entre les agents économiques. Cela n’a rien à voir avec l’ « Etat-organisateur », qui est pensé comme étant capable d’organiser la société et l’économie plus efficacement que le marché. Quant à la constitution européenne, on pourrait dire qu’elle se situe plus au niveau de l’Etat garant de l’état contractuel. L’Europe qui se constitue ne s’est pas élevée au niveau de l’ordre subsidiaire. Elle se constitue au niveau de l’ordre contractuel. Il s’agirait d’un « néo-Etat » au niveau contractuel. La question est de savoir si l’Europe est capable de mettre en place la possibilité d’un Etat subsidiaire. Dans un perspective évolutionniste, on pourrait se dire qu’il faut un état contractuel avant l’état subsidiaire. Le problème, c’est que la constitution actuelle d’un état contractuel bloque pour le moment les possibilités d’état subsidiaire au niveau européen. Y a-t-il une succession logique des différentes strates définissant l’Etat ? L’Etat est né du paléo-état à travers l’administration de la violence (la chasse, la guerre, etc.) Il faudrait prendre en compte aussi le sacré, le développement du pater familias dans la famille. Les couches, ou strates, ne sont pas en succession logique mais en confrontation dialectique. Les différentes catégories exposées doivent être perçues comme mélangées. Le risque de l’Etat opportuniste est forte dans l’Etat contractuel, mais aussi dans l’Etat subsidiaire. Il n’a pas seulement soutenu le capital contre les salariés mais il s’est immiscé au sein même du capital, en soutenant des fractions du capital. Cf. Walras, qui accusait l’Etat de soutenir les monopoles, les spéculateurs, la finance…On pourrait même dire que l’ « Etat opportuniste » c’est renforcé avec l’Etat subsidiaire car il a plus de moyens à mettre à cette œuvre. La critique en est à la fois libérale et socialiste. Ainsi, pour les libéraux, pourrait-on citer Hayek, Walras, qui pourraient dire : « regardez l’Etat subsidiaire ce qu’il fait ! ». Les solutions sont différentes pour les uns et les autres : entre l’Etat organisateur et l’Etat contractuel. Question sur la différence entre l’action conjoncturelle et structurelle de l’Etat. Est-ce que ce n’est pas ce qui distingue les Etats-Unis et l’Europe ? Il est clair que les histoires entre les deux continents a provoqué des différences importantes entre les deux ensembles. Sur ces bases, les dérives ne sont pas exactement les mêmes. En Europe et en France en particulier, l’importance des politiques redistributives est resté important. Mais, au delà de ces différences, ce qui est remarquable, c’est qu’on a l’impression qu’il n’y a pas de réactivité dans les pays européens. Est-ce que le poids des politiques redistributives est si fort qu’il serait la cause de l’absence de réactivité et de possibilité d’agir conjoncturellement ? Je ne le pense pas ! La faiblesse de la croissance dans l’Euroland ne peut pas être expliquée par cet aspect. Il faut chercher ailleurs, plutôt dans le privilège qu’on donnerait à une forme de (re)constitution de l’Etat et à la relation à l’espace politique et national encore très indéterminée. 7