3.6. L`art de la renaissance en Alsace

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Leurs prérogatives sont peu importantes :.Au XVè ils ne sont plus que des
fonctionnaires sans réels pouvoirs d’initiative.
3.1.5.1.2. Le pouvoir législatif : le Rat
Le pouvoir législatif est détenu par un organe collégial élu : le « Rat » délibère, édicte les lois
et délègue ses pouvoirs... C’est lui qui détient, en théorie, le pouvoir législatif.
Dès 1456 les membres du conseil sont élus pour deux ans. Chaque année la moitié du conseil
est renouvelé. Pour être élu, il faut être âgé d’au moins 25 ans, être de naissance légitime et
ne pas bénéficier d’un poste de fonctionnaire au service de la ville, de l’évêque ou d’un
seigneur.
Les élections se déroulent dans les 10 premiers jours du mois de janvier. Les représentants
des corporations au conseil sont, jusqu’en 1433, élus par le conseil sortant, puis, à partir de
1433 par les échevins de chacune des corporations. Entre 1349 à 1420, le conseil est formé de
58 membres, répartis entre « Constofler » (bourgeois notables et nobles) et représentants des
corporations, plus les 4 Stettmeister en fonction. Mais en 1420 (suite à la « guerre de
Dachstein), le nombre des sièges accordés aux « Constofler » est réduit et ils ne disposent
plus que de 1/3 des sièges, contre 2/3 aux représentants des corporations, qui disposent donc
de Dès lors, les représentants des corporations occupent 28 sièges et les patriciens 14 sièges,
soit un total de 43 sièges avec l’Ammeister.
Cette composition va être à nouveau modifiée au cours de la seconde moitié du XVe siècle. La
ville profite de la réorganisation générale des corporations pour supprimer des sièges au
conseil. En 1462, 1470 et 1482, huit corporations disparaissent, entraînant la suppression de
leurs sièges respectifs, mais aussi de sièges détenus par les « Constofler » afin de respecter
la règle du 2/3-1/3.
Suite à ces modifications, le conseil trouve en 1482 sa structure définitive qu’il gardera
jusqu’en 1789 : un « Rat » de 31 membres : l’Ammeister, 10 Constofler et 20 membres des
corporations.
3.1.5.2. Les chambres secrètes et le conseil de la ville
L’organisation législative et exécutive « traditionnelle » de la ville est relativement instable vu
la courte durée des mandats. Elle est compensée par l’existence de « chambres secrètes »
dont les membres sont nommés à vie et d’échevins, ce qui relativise quelque peu la valeur
« démocratique » de la république de Strasbourg… Ces organes permettent un exercice plus
efficace du pouvoir car ils favorisent une stabilité (chambres secrètes) et une participation des
élites (échevins des corporations) à la vie politique de la cité. Le pouvoir n’est donc pas laissé
exclusivement au conseil et au chef de la ville.
Les chambres secrètes sont au nombre de trois, la chambre des XXI, celle des XV et des XIII.
Leurs membres sont les mêmes : ainsi, les membres de la chambre des XXI qui siègent au
conseil sont répartis entre la prestigieuse chambre des XIII et la chambre des XV qui siègent
séparément.
3.1.5.2.1. La chambre des XXI
La chambre des XXI est à l’origine une assemblée de « sages de la ville » que consultait le
conseil, mais qui ne disposait pas du pouvoir de décision. Il n’acquiert ce droit de vote qu’en
1413, et finit par dominer le conseil. Composé à l’origine de 21 « sages » il passe à 24
membres (1403), puis à 31 (1407) et enfin à 32 (sur 43 conseillers !). Ce conseil détient le
pouvoir effectif : son vote précède celui des autres conseillers, privilège de première
importance et de première influence sur les autres votes. Cependant, le conseil des XXI ne
peut siéger indépendamment. Il n’a en effet aucun statut juridique et ne possède pas de
sceau propre. Ses compétences sont très étendues : la chambre participe à tous les travaux
du conseil, hormis lorsqu’il siège en tant que tribunal. Son pouvoir est de premier ordre
puisque ses membres sont nommés à vie, ce qui leur confère un prestige certain ainsi qu’une
expérience supérieure à celle des conseillers élus pour deux ans. Les 32 membres de la
chambre des XXI se répartissent en deux autres chambres, celle des XV et la plus
prestigieuse, celle des XIII, à raison de 15 membres dans la première et de 13 dans la
seconde ; ne restent alors que 4 membres, les « vacants » (« ledige einundzwanziger ») qui
ont pour fonction de remplacer un membre décédé ou disparu dans l’une des deux chambres.
3.1.5.2.2. La chambre des XV
La chambre des XV est créée en 1433. Son rôle est de contrôler l’application et le
fonctionnement de la constitution, autrement dit de contrôler les dirigeants et de proposer des
mesures propres à améliorer le régime. C’est la chambre qui a le moins de pouvoir mais son
rôle est crucial pour la survie et l’évolution de la République. Elle est aussi compétente en
matière de direction de l’administration, des finances, des constructions, de la police et des
métiers...
3.1.5.2.3. La chambre des XIII
La chambre des XIII est la plus prestigieuse : elle est la survivance d’un comité militaire de 5
membres institué en 1392, lors de la guerre qui suivit la mise au ban de Strasbourg par
l’empereur Wenceslas. Ce conseil est présidé par l’Ammeister et composée de 4 « Constofler »
et de 8 représentants des métiers, dont 4 anciens Ammeister. La chambre des XIII possède
une personnalité juridique propre et dispose d’un sceau particulier. Elle peut siéger
séparément de toute autre institution, mais ne peut décider sans l’accord du conseil et des
XXI.
La chambre des XIII s’occupe des questions militaires et diplomatiques ; elle est responsable
de l’organisation de la milice, du recrutement des mercenaires, de la gestion des fortifications,
de l’importation et de la fabrication des armes, de la composition des ambassades et de la
conclusion des traités.
Ainsi, ce sont donc les chambres qui imposent leur point de vue au conseil, ce dernier ne
conservant pleinement au final que sa fonction judiciaire.
3.1.5.2.4. Les échevins
Les échevins sont à l’origine (1214) assesseurs dans les tribunaux, tous patriciens. Ils
pouvaient être réunis en assemblée sur convocation du conseil afin d’exprimer leur point de
vue sur certaines affaires et d’approuver des décisions importantes.
Leur composition et leur rôle se modifient au XVe siècle : en 1420 que les « Constofler » sont
définitivement éliminés de l’échevinage. En 1437, une ordonnance fixe à 15 le nombre des
échevins au sein d’une corporation. Comme à cette date il existe 28 corporations, il y a en
principe 420 échevins pour la ville... Mais comme certaines corporations ne comptent que peu
d’artisans, il ont beaucoup moins d’échevins, alors que les corporations riches et influentes en
possèdent plus : ainsi les orfèvres, les bateliers ou les merciers ont respectivement 22, 30 et
25 échevins. Finalement, en 1482, après l’élimination des 8 corporations, il y a en tout 300
échevins pour 20 corporations. Ce nombre sera respecté jusqu’en 1789.
Au XVe siècle les échevins siègent dans les tribunaux et peuvent être convoqués au complet
par le conseil, mais uniquement sur décision du conseil et des XXI pour les questions difficiles.
Les échevins délibèrent en collaboration avec le conseil de questions précises qui leur sont
soumises. Leur avis est uniquement consultatif. Enfin, les échevins de chaque corporation ont
le droit d’élire le représentant de leur corporation au conseil grâce à l’ordonnance de 1433.
3.1.5.3. Conclusion
Ainsi, la république de Strasbourg est un régime relativement évolué pour son époque et sa
constitution est assez complète. Elle est exemplaire de la fin de l’emprise de la noblesse sur
les grandes villes qui s’affranchissent de tout gouvernement non élu afin de garder une
indépendance nécessaire à leur développement social et économique. Mais ce régime montre
ses limites dans la mesure où il est relativement ploutocratique, donnant de fait le pouvoir aux
bourgeois les plus influents et les plus riches de la cité. L’évolution des institutions et de la vie
politique strasbourgeoise est un exemple frappant d’une évolution générale qui aboutit à la
création d’une nouvelle élite, la bourgeoisie.
3.2. Le développement de la cité
3.2.1. L’extension de la ville
L’extension de la ville de Strasbourg depuis l’empire romain au second Reich
A partir du XIIè siècle, et jusqu'au milieu du XVe siècle, Strasbourg entre dans une des plus
grandes phases d'urbanisation de son histoire : cette urbanisation est due d’abord à l’action de
l’évêque et du chapitre, puis elle est relayée, et souvent concurrencée, par celle de la
bourgeoisie, formée de commerçants et d’artisans : la société qui est en train de naître ne
cesse de s'étendre par cercles concentriques, appelant à elle toujours plus de biens et plus
d'hommes.
3.2.1.1. La première extension : XIIè
Au début des années 1100, le premier agrandissement de Strasbourg est le signe tangible de
la croissance d'une cité encore dominée par l'évêque : les fonctions artisanales et domestiques
se développent, entraînant l'expansion des différents quartiers et leur assimilation au cœur
d'une seule et même enceinte. Une nouvelle enceinte est créée : elle s’appuie sur le rempart
romain, et, à partir de l'actuelle place Broglie, longe les rues de la Mésange, de la HauteMontée et du Vieux-Marché-aux-Vins avant de rejoindre Saint-Pierre-le-Vieux.
3.2.1.2. La seconde extension : 1200-1220
De 1200 à 1220, une seconde extension porte les limites de la ville au canal du Faux-Rempart
et aux Ponts-Couverts. Cette enceinte délimite une ville de 10 000 habitants et s’enrichit de
nouveaux quartiers autour des églises Saint-Pierre-le-Jeune et Saint-Pierre-le-Vieux. Les
nombreuses tours de fortification qui jalonnent le rempart ne disparaitront du paysage urbain
qu'au XIXè siècle.
3.2.1.3. La troisième extension : 1228-1344
Le troisième agrandissement, entre 1228 et 1334 marque un cap décisif dans l'évolution de
Strasbourg d'un point de vue économique, politique et architectural : il intègre des corps de
métiers dont la ville dépend étroitement et englobant des quartiers de jardiniers, de pêcheurs,
de bateliers et de bouchers (Finkwiller, quai des Bateliers, rue des Bouchers, rue d'Or)
L’enceinte est une construction de briques, aux larges créneaux et portant un chemin de ronde
(Vestiges entre l'église Sainte-Madeleine et la rue du Fossé-des-Orphelins). Elle est flanquée
de tours carrées. Ce dispositif de défense est particulièrement renforcé sur le bras de l'Ill,
ouvert au trafic fluvial : c’est le système des « Ponts-Couverts » : les quatre tours actuelles
faisaient partie des remparts et étaient reliées par des ponts couverts d'une toiture en bois
(disparue au XVIIIè siècle). Ces tours abritent les corps de garde et servent aussi prisons et
veillent sur le canal de navigation et les moulins disposés sur les autres bras de la rivière.
Reste aussi de cette enceinte la « Porte de l’Hôpital ».
Strasbourg : reste de fortifications du Moyen-âge
rue du fossé des Orphelins
Strasbourg Krutenau : partie du mur d’enceinte
médiévale derrière l’église Sainte Madeleine
3.2.1.4. La quatrième extension : 1370-1390
Dans les années 1370-1390, à la fin de la seconde phase de la Guerre de Cent Ans en France,
la population redoute l'invasion des bandes de pillards et de grandes compagnies qui
parcourent la France sans combattre. Aussi la municipalité décide de protéger les parties
Ouest et Nord de la ville. Ce quatrième agrandissement repousse les murailles à l'Ouest et au
Nord-Ouest en assimilant surtout les quartiers maraîchers et les nombreux jardins des
faubourgs Blanc, de Saverne et de Pierre.
3.2.1.5. La dernière extension : 1387-1441
La dernière extension se situe entre 1387 à 1441 et consacre la puissance de Strasbourg :
dans sa volonté de conserver le monopole de la navigation entre Bâle et Mayence, la ville
absorbe vers le sud-est un nouveau quartier de maraîchers et de pêcheurs, la Krutenau, tout
en contrôlant le Rheingiessen, voie d'eau essentielle qui relie l'Ill au Rhin (actuelle rue de
Zurich, le canal ayant été comblé en 1872). Le doublement de la ligne de défense sud au XVè
siècle ne changera pas radicalement la silhouette de Strasbourg. La ville est alors défendue
par une muraille crénelée, portant chemin de ronde, que renforcent selon l'usage des pays
germaniques 28 tours, 8 tours-portes et autant de poternes.
Strasbourg vers 1570. Gravure de Georg Braun et Franz Hogenberg tirée de « Civitates orbis terrarum »
édité à Anvers par Philippe Galle
3.2.1.6. Pôles d’attraction et population
Ainsi, la ville du Moyen Age se structure autour de pôles d'attraction ou de tension entre les
pouvoirs religieux, économique, et politique ; elle est marquée aussi par la rapidité avec
laquelle elle repousse ses murailles à partir de 1202 grâce à un formidable essor économique,
accompagné par la libération progressive de la bourgeoisie de la tutelle de l’évêque puis de la
noblesse. Avant que la peste ne frappe la ville en 1348, celle-ci compte 20 000 habitants.
Après la mort noire elle se repeuple lentement et compte environ 18 000 âmes autour de
1444.
Strasbourg au XVè
3.2.2. Les chantiers
Face à l'ancien camp romain tenu par l'évêque, la ville de Strasbourg, patriciens et bourgeois
affirme à partir du XIIè siècle une identité communale dont l’importance va s’amplifiant et qui
va culminer à la Renaissance : cette identité se manifeste par l’érection de quelques
monuments publics dans le secteur de la place Gutenberg, pôle de la ville bourgeoise. Si les
chantiers de la cathédrale et des églises drainent l'essentiel de l'activité architecturale de la
ville, les chantiers « profanes » traduisent, surtout à partir du XIVe siècle, l'ascendant et la
puissance du pouvoir économico-politique, dont il ne reste malheureusement aujourd’hui que
l'aile orientale de l'Œuvre Notre-Dame et la « douane ».
Strasbourg : la Douane au Moyen Age
3.2.2.1. Les chantiers religieux
Au cours du XIIe siècle, la basilique de Wernher est par cinq fois victime de la foudre et de
l'incendie. En 1176 une nouvelle reconstruction est entreprise. Le style gothique se manifeste
pour la première fois dans le transept de la cathédrale vers 1225. Dès 1240 environ, le
rayonnement triomphe dans le grand vaisseau à triforium ajouré. La façade entreprise en
1277 et les innovations de maître Erwin à partir de 1284 placent Strasbourg parmi les
chantiers les plus importants d'Occident.
La première représentation de la cathédrale achevée. Folio 217 du « Buch der Natur de Konrad von
Megenberg », vers 1440-1450. Réalisé par l’atelier de Diebold Lauber de Haguenau. Heidelberg,
bibliothèque de l’Université
Le gothique est également diffusé durant ce XIIIè par les Ordres Mendiants, notamment par
les Dominicains et les Franciscains. Les églises paroissiales apportent leur contribution
originale au développement du nouveau style : ainsi la nef-halle à Saint-Thomas et la nef à
pilastres à Saint-Pierre-le-Jeune.
Strasbourg : intérieur de Saint Thomas, par Cl. Bech. Collection particulière
Au XIVè est mise en place la grande rose de la cathédrale, (vers 1318) ; l'église des
Dominicains est achevé vers 1325, et la chapelle Sainte-Catherine de la cathédrale est
construite vers 1340. Dans la seconde moitié du siècle sont construits la chapelle Saint-Jean
de l'église Saint-Pierre-le-Jeune, avec ses contreforts intérieurs (vers 1360) et le chevet de
l'église Saint-Erhard, place de l'Hôpital, avec sa baie axiale élargie à trois lancettes.
Strasbourg : Les Hospices Civils en 1663. Gravure de J.-J. Arhardt, Cabinet des Estampes. L’identification de
la figure que l’on aperçoit sur la nef de la chapelle reste sujette à controverses : certains pensent qu’il s’agit
d’une araignée ; d’autres penchent pour la représentation d’une tumeur… la figure disparut en 1826, lors du
ravalement du mur
Début XVè arrive le maître Ulrich von Ensingen qui introduit le style flamboyant. En 1439
Johannes Hültz, achève la haute flèche de la cathédrale, symbole de la cité, alors que le
baroque flamboyant se manifeste avec brio au Portail Saint-Laurent de Jacques de Landshut
(1495-1505). Quant à la chapelle Saint-Laurent, due au talent de Hans Hammer (1515-1521),
elle marque un apaisement notable à l'approche de la Renaissance. D'autres chapelles
flamboyantes retiennent l'attention : celle de la Trinité (1491), à Saint-Pierre-le-Jeune, celle
des Evangélistes (1521), à l'église Saint-Thomas. Plus modestes, mais élégants, le chevet de
Sainte-Madeleine (1480 et l'église Saint- Jean (1477), restaurée après la dernière guerre.
Strasbourg, gravure de la cathédrale d’Isaac Brunn, 1615. La cathédrale sera jusqu’au XIXè siècle le plus
haut édifice de la chrétienté
De très nombreuses autres chapelles et églises ont malheureusement disparu au fil des
siècles.
3.2.2.2. Les chantiers laïcs
3.2.2.2.1. La Pfalz
Le renforcement de l'indépendance des bourgeois, acquise dès 1262, se concrétise en 1321
par la construction de la Pfalz qui succède au Fronhof épiscopal comme centre de décisions
politiques et administratives. La Pfalz est construite sur la place Saint-Martin (Place
Gutenberg) dans le style gothique. Le bâtiment se compose de deux bâtiments accolés,
construits probablement l'un après l'autre à partir d’un noyau original, sans doute une
chapelle. Le corps principal de l'édifice présente sur le Marché-aux-Grains un pignon à redents
percé de trois rangées de fenêtres tréflées. Parallèlement, le bâtiment oblong qui ferme le
Marché-aux-Poissons possède deux pignons à redents, reliés entre eux par une rangée de
créneaux. Deux tourelles d'angle donnent à l'édifice une certaine solennité. La Pfalz sera
malheureusement détruite à la fin du XVIIIè siècle.
Strasbourg : la Pfalz
3.2.2.2.2. La Chancellerie
Chancellerie de la ville libre est construite en 1463-1464. Le bâtiment sera incendié en 1686.
Son architecture n’est malheureusement pas connue. On sait que l’ornementation du portail
intérieur de l'édifice a été décorée aux armes de Strasbourg par Nicolas Gerhaerdt de Leyde,
qui réalise aussi quelques magnifiques bustes d’hommes accoudés.
4. Histoire artistique
Le Haut Moyen Age
Le XIIè : l’âge roman
L’époque gothique : XIII-XVè
4.1. Le Haut Moyen Age
4.1.1. Les Mérovingiens
Les invasions des peuples germains du Vè ouvrent une période obscure, pratiquement
jusqu’au IXè siècle et la « renaissance carolingienne », ou les témoignages sont rares et
partiels, livrant essentiellement grâce à l’archéologie des tombes mérovingiennes sarcophages et tumuli -, des noms de lieux et de personnes et des dates, grâce à quelques
archives. Sur les monuments, rien : aucune trace par exemple des villae royales de Kirchheim
et de Marlenheim, de Königshoffen ou d'Isenbourg près Rouffach, lieux de résidence et de
chasse des rois mérovingiens Childbert II (590) et Dagobert II (676), rois d'Austrasie.
Si, hors de Strasbourg les tombes ont livré quelques belles pièces (cimetière de Dachstein,
« trésor » de la tombe féminine de Hochfelden, casque de Baldenheim, phalères
d'Ittenheim…), les découvertes faites à Strasbourg n’ont livré que quelques pièces (fibules,
parures…) d’un intérêt secondaire…
Fibules mérovingiennes. Musée
archéologique de Strasbourg
Gobelets en verre mérovingiens des VI
et VIIè. Strasbourg, musée
archéologique
Les phalères d’Ittenheim. VIIè siècle
après JC. Musée archéologique de
Strasbourg
4.1.2. La renaissance carolingienne et ottonienne
Il faut attendre la « renaissance carolingienne » pour trouver des renseignements et des
œuvres plus intéressants : intégrée dans un vaste et puissant empire, délivrée de tout souci
d'invasion étrangère ou de troubles intérieurs, l'Alsace put participer au renouveau intellectuel
qui caractérise la renaissance carolingienne. L'impulsion fut donnée par Charlemagne et
l'Anglo-Saxon Alcuin, soucieux avant tout de combattre l'ignorance du clergé. Ainsi se
constituent dans tous les diocèses des écoles élémentaires et dans certains monastères des
centres d'études où sont remis en honneur les sept arts libéraux ; ainsi est mis en route un
énorme travail de copiage des manuscrits anciens en vue de constituer des bibliothèques et de
permettre une étude approfondie des Pères de l'Eglise et même des lettres classiques.
4.1.2.1. Architecture
De l'architecture précarolingienne et carolingienne rien n'est pratiquement demeuré à
Strasbourg, hormis quelques vestiges fournis par des édifices postérieurs : l’abbaye de Saint
Etienne fondée en 717 par Attale, nièce de sainte Odile et la basilique cathédrale de
Strasbourg, reconstruite par Pépin le Bref, achevée par Charlemagne en 771, que le poème
dédié à la Vierge par le moine aquitain Ermoldus Nigellus décrit sommairement…
Strasbourg : l'église abbatiale Saint Etienne et sa façade-clocher. D’après un dessin de Silbermann
L’architecture ottonienne maintient la persistance de la tradition carolingienne et rappelle des
dispositions des anciennes basiliques romaines : une triple nef limitée par deux imposants
massifs qui intègrent, à l'ouest comme à l'est, des absides et des transepts débordants. C'est
ainsi que devait se présenter la cathédrale de Strasbourg entreprise en 1015, après l'incendie
du premier édifice par Herman de Souabe. Cet ouvrage auquel est attaché le nom de l'évêque
Wernher avait une abside plate, flanquée de chapelles à deux étages, des espaces charpentés
entre le cul de four à l'Est et la voûte d'arête dans le vestibule occidental, une crypte
accessible par un pontile à la manière de San Zenon de Vérone ou de San Miniato al Monte de
Florence, à la hauteur de l'arc triomphal. Le dispositif occidental offrait une tribune sans doute
ouverte sur la nef, sorte de « Laube » comme à Corvey en Westphalie, à Marmoutier, à Saint
Léger de Guebwiller et à Saint-Thomas de Strasbourg.
De cet édifice, détruit en 1176 par un terrible incendie, ne reste que la crypte dans sa partie
orientale : elle est réalisée sans doute dans la troisième décennie du XIè, et achevée en 1037
dans ses parties orientales. Primitivement, elle avait un large déambulatoire (4m60) ; elle
sera dédoublée au XIIè. Elle est composée de trois nefs séparées par des piliers cruciformes et
des colonnes alternées dans les deux premières travées orientales. A l’ ‘est, la crypte se
termine par un mur en hémicycle comportant le sanctuaire à quatre niches et deux ouvertures
(murées). L’appareillage des murs de la partie orientale est couvert d’une taille en arête de
poisson et losanges (typique du décor du XIè, comme par exemple à Altenstadt) sous une
frise composée de feuilles de vignes et de grappes de raisins. La voûte est en berceau.
Strasbourg, cathédrale: la crypte romane
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : la
crypte
Strasbourg, cathédrale Notre Dame :
crypte, verrière de l’abside : archange
4.1.2.2. Sculpture
Du XIè siècle datent les chapiteaux et consoles de l'ancienne chapelle de la rue de l'Ail (musée
de l'Œuvre Notre Dame, Strasbourg), ornés de têtes d'homme, de bœuf et de bélier, les
premiers chapiteaux de la crypte de la cathédrale de Strasbourg aux corbeilles ornées de
monstres et de rinceaux noués (1050-1070 ?), quelques consoles et chapiteaux des alentours
de 1070 à Saint Pierre-le-Jeune.
L'art funéraire, qui reste dans la continuité de la tradition mérovingienne, fournit le
sarcophage à croix champlevée trouvé dans le sol, entre le portail Saint Laurent et l'ancien
portail des rois mages, au croisillon nord du transept de la cathédrale (avant 1015).
4.1.2.3. Manuscrits et littérature
Alors que l’on connaît relativement bien le rôle de Murbach, principal centre de la
« Renaissance carolingienne » en Alsace, les connaissances restent fragmentaires pour
Strasbourg : Heddo (entre 750 et 760 ?) fait rédiger un « Sacramentaire de l'Eglise romaine »
sur parchemin pourpré avec lettres d'argent et d'or en tête des chapitres. Bernold (entre 822
et 840 ?) fait traduire sous Louis le Pieux en langue vulgaire des passages de l'Ecriture, pour
être mieux compris de ses ouailles.
La meilleure source de renseignements pour la ville -et l’Alsace- sont les écrits du moine
Ermold le Noir (Ermoldus Nigellus, 790 ?-838 ?) : éxilé d'Aquitaine par Louis le Pieux, Ermold
compose à Strasbourg, sans doute vers 826-827 un poème à la louange de l'empereur afin de
rentrer en grâce. Il s’inspire pour son œuvre de son pays d'exil.
Imbu de culture classique, Ermold imagine que Thalie, la muse de l'idylle, accompagnée de
Rhenus, dieu du fleuve, et de Wasacus, dieu des Vosges, vient célébrer l'Alsace devant
l'empereur : « C'est une terre antique et riche, occupée par les Francs, qui lui ont donné le
nom d'Alsace. La vigne couvre les coteaux, les champs portent les moissons, les Vosges sont
couvertes de forêts, le Rhin fertilise le sol ». Puis chacun des intéressés vient vanter ses
mérites. Wasacus reproche à Rhénus de drainer le blé hors du pays et d'affamer ses habitants,
de faire vendre son « Falerne » aux gens de mer, si bien que le vigneron a soif dans sa propre
vigne ! A quoi Rhenus réplique que les Alsaciens se noieraient dans la graisse et le vin, s'il
n'emportait les produits de la région vers la mer. De plus, il rend possible ainsi l'acquisition,
par nos marchands et ceux de l'étranger, de l'ambre transparent et l'achat aux Frisons
d'étoffes chatoyantes, qui étaient inconnues auparavant ; enfin il vante ses paillettes d'or et
l'abondance de ses poissons. Le poème s’achève par l'éloge de Strasbourg, carrefour de
routes, « florissante d'une prospérité nouvelle ».
4.2. Le XIIè : l’âge roman
Après un Xè siècle troublé l'Alsace connaît un renouveau intellectuel et artistique, qui ira
s'amplifiant jusqu'à l'épanouissement du XIIIè. Cet essor de la civilisation demeure
essentiellement l'œuvre des clercs. A partir du XIIè, l’histoire de l’art est donc bien mieux
connue à Strasbourg et fournit des témoignages biens plus riches.
4.2.1. Architecture
Dans le domaine de l'architecture, l’œuvre majeure est la partie orientale de la cathédrale de
Strasbourg qui perpétue le style un peu lourd des grandes fondations romanes des bords du
Rhin. C’est d’abord l’achèvement de la partie occidentale de la crypte : deux files de colonnes
très sobres aux chapiteaux cubiques mènent vers la nef. Après le terrible incendie de 1176, on
entreprend d’abord la réfection de l’abside dans le plus pur style roman ; puis on remplace la
tour-chœur par une coupole octogonale ; enfin on se lance dans la construction du bras du
transept nord, compartimenté par un énorme pilier cylindrique et couvert de charpente…
Strasbourg, cathédrale Notre Dame :
bras nord du transept : voûte sud-est
(vers 1200-1210)
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : la
crypte
Strasbourg, cathédrale: le transept sud
Les deux autres réalisations architecturales importantes du siècle dans la cité sont l’église
Saint-Etienne et le rez-de-chaussée du clocher de Saint-Pierre-le-Jeune.
Strasbourg : église Saint Etienne : le chevet
4.2.2. Sculpture
Les grandes œuvres de sculpture du XIIè proviennent principalement de l’atelier d’Eschau qui
autour de 1130 produit les chapiteaux du cloître à Eschau, et à Strasbourg le sarcophage
d'Adeloch, actuellement à Saint-Thomas : la taille se ressent de la connaissance des ivoires,
auxquels elle emprunte le modelé arrondi et lisse, révélant des influences méridionales :
portée par quatre lions couchés, la cuve est décorée d'une arcade occupée, sur les deux faces
principales, par un Christ assisté d'un ange qui bénit l'évêque agenouillé (consécration de son
ministère ou accueil à la vie éternelle ?) et par une figure allégorique (l'Eglise ou une Vertu)
accompagnée de rinceaux et de palmes. Sur les petits côtés : le roi remet le gonfanon à
l'évêque agenouillé que lui présente une femme quelque peu énigmatique. Le couvercle est
postérieur.
Strasbourg, saint Thomas: le sarcophage
d’Adeloch
Strasbourg, saint Thomas : détail du
sarcophage d’Adeloch
Strasbourg, saint Thomas : détail du
sarcophage d’Adeloch
4.2.3. Peinture
De la peinture ne reste pratiquement rien, hormis les dessins du chef-d’œuvre qu’est de
l'Hortus Deliciarum. A la charnière entre le XIIè et le XIIIè siècle, l'Hortus, disparu dans
l'incendie de la Bibliothèque municipale de Strasbourg en 1870, est une vaste compilation
élaborée par les abbesses Relinde et Herrade de Landsberg, morte en 1195, pour l'instruction
et l'édification des nobles moniales du couvent de Hohenburg.
L’échelle céleste. Hortus Deliciarum, après 1150.
Folio 125v, d’après le calque réalisé par M.C.
Engelhardt avant la destruction du manuscrit
La personnification de l’Eglise telle que la
représente l’Hortus Deliciarum
Le milieu stylistique de cette somme est manifestement strasbourgeois, et le manuscrit fut
vraisemblablement réalisé dans un scriptorium strasbourgeois. Cette œuvre considérable
suppose une tradition d'enluminure fortement enracinée dans la ville. Il y a en effet une
parenté évidente entre les dessins de l’Hortus et les cartons des maîtres verriers auxquels, à
la fin du XII° siècle, l'Evêque passera commande pour sa cathédrale. Dans certaines verrières
de la cathédrale, notamment au transept nord, les auteurs des cartons des vitraux sont sans
doute issus du même atelier que les peintres enlumineurs de l'Hortus : longues figures aux
draperies souples, très byzantines, imagerie attentive aux choses de la nature, de la vie des
hommes et aux desseins de Dieu ; de même, les deux roses de l'Ancien et du Nouveau
Testament du croisillon sud du transept de la cathédrale interprètent littéralement les roses de
l'Hortus. Il n'est pas jusqu'aux enluminures, très courtoises, très élégantes, de Tristan et
d’Isolde de Gottfried de Strasbourg qui, dans un mouvement tendant à l'expressivité baroque,
se réclament de cette continuité (vers 1240).
Esther et Mardochée. Le repas. Hortus
Deliciarum
Au registre supérieur, le Christ en
majesté. Au registre médian ; le duc
Etichon confie à sa fille Odile le
Monastère « Hohenburge » qu’il vient de
fonder
L’Hortus Deliciarum : le baptême du
Christ
4.2.4. Vitrail
En dépit de la fragilité du matériau et de l'histoire fort mouvementée du pays, l'Alsace est un
lieu privilégié pour l'étude et pour la délectation du vitrail. Mais il est bien évident que, pour
des temps aussi reculés que le sont les XIè et XIIè siècles, seul un épaulement réciproque de
l'illustration de manuscrit et du vitrail permet une approche plus certaine du milieu artistique.
Strasbourg, cathédrale : vitrail du croisillon nord représentant le cycle de la généalogie du Christ. 1230-1240
Les panneaux romans datent de la dernière campagne romane du XIIè siècle, après 1190 : il
s’agit des médaillons du Jugement de Salomon, des anges et de la Vierge orante, d'un arbre
de Jessé, du chœur et du transept des saints confesseurs et des saints militaires de l'ancienne
nef et surtout de la célèbre « galerie des empereurs et rois du Saint Empire romain
germanique » du bas coté nord. Le maître d’œuvre est certainement maître Gerlach, aidé par
le ou les illustrateurs de l'« Evangélistaire Saint Pierre », qui s’inspirent du milieu byzantin très
influent dans les régions du Haut-Danube et du lac de Constance (la Reichenau et de
l'orfèvrerie mosane : parti des fonds concentriques, tracé des rinceaux comme orfrois et
comme encadrements. Leur style et leur sens de représentation, leurs pratiques
compositionnelles auront une part non négligeable dans les aménagements des vitraux du
siècle suivant à la cathédrale.
Strasbourg, la cathédrale : vitraux de la galerie des
19 rois germaniques du collatéral nord, datant du
XIIIè, mais avec des reprises de panneaux de style
roman du XIIè. De gauche à droite : Frédéric I
Barberousse, Henri II de Bamberg, (seules leurs
tètes sont gothiques, les corps étant romans),
Pépin le Bref et Louis le Débonnaire (tous deux de
facture gothique)
Strasbourg, un des plus beaux vitraux de la
cathédrale : transféré dans le musée de l’œuvre
Notre Dame, il représente sans doute Charlemagne
et date de 1200. A sa gauche, Roland portant le
glaive
4.2.5. Littérature
Le plus grand poète alsacien de cette époque est sans conteste Gottfried de Strasbourg,
auteur du « Tristan », l'œuvre la plus remarquable que l'Alsace ait jamais produite. La vie de
l’auteur est inconnue ; tout au plus le titre de « Maître » qui lui est souvent appliqué, permet-il
de penser que ce fut un bourgeois de Strasbourg, mort vers 1210. Son poème compte près de
20 000 vers, et est inachevé. Gotfried dit lui-même qu'il effectua de longues recherches dans
des ouvrages français et latins, et qu'il découvrit la « vraie relation » dans le poème de
Thomas de Bretagne. L'élégance de ses vers, parsemés de mots et de locutions françaises,
son talent de conteur, son art de la progression dramatique sont admirables. Son génie se
remarque surtout par deux traits, qui le séparent des Minnesänger :
Gottfried de Strasbourg lisant ses vers devant un auditoire de princes. Manuscrit de la « Manessische
Liederhandschrift », XIVè, pl.104. Bibliothèque universitaire de Heidelberg

Gottfried fait appel à la nature pour rendre plus sensible et amplifier la passion des
deux amants, par l’évocation des fleurs, des arbres, de la rosée, du chant des oiseaux,
du murmure de la forêt, du vent et des sources.

Surtout il substitue à l'amour courtois et conventionnel la passion irrésistible,
implacable, si folle que seule peut l'expliquer l'absorption d'un philtre magique.
« Tristan, comme un captif, cherche à se délivrer. Il voudrait diriger son esprit d'un
autre côté et changer de désir ; mais il est toujours retenu dans les mêmes liens et,
lorsqu'il interroge son cœur, il n'y trouve que deux choses, l'amour et Iseut,
inséparables ».
C'est cet accent de profondeur et de vérité qui a maintenu jusqu'à nos jours la résonance de
l'œuvre de Gottfried. Le poème est tant admiré qu’Ulric de Türheim et Henri de Freiberg
l’achèveront entre 1230 et 1290, mais sans le bonheur de leur maître.
4.3. L’époque gothique : XIII-XVè
4.3.1. Le rôle croissant des corporations et des bourgeois
Entre le XIIIè et le XVè siècle, le chantier de la cathédrale occupe l’essentiel de l’activité
artistique de la cité, concentrant autour de lui charpentiers, maçons, sculpteurs, tailleurs de
pierre, peintres, maîtres verriers, orfèvres, vivant tous durant des générations, de cette
grande entreprise. Ce vaste chantier est aussi significatif de l’évolution politique de la ville :
c'est en effet à partir du XIIè et surtout du XIVè siècle que les corporations (ou « tribus »,
« Zunft ») accèdent aux affaires publiques et tiennent un rôle de plus en plus important dans
la vie de la cité. Tous les métiers d'art sont alors regroupés dans ces tribus : celle de
l'Echasse, une des plus anciennes, est composée par les peintres, les peintres-verriers, les
sculpteurs, les orfèvres, les imprimeurs ; celle des Maréchaux, la plus riche, rassemble tous
les métiers travaillant le métal…
A côté de ces ateliers, l'activité de la « loge » de la cathédrale, l’œuvre Notre Dame, se dote
d’une gestion plus saine à la fin du XIIIè siècle, puisque qu’elle passe graduellement sous
contrôle municipal, sans que d’ailleurs se ralentît pour autant l'effort financier du diocèse tout
entier. Strasbourg se verra même proclamée « loge suprême » de l'Empire lors du congrès
des tailleurs de pierre de Ratisbonne en 1459, soit 20 années après que fut mise en place la
flèche de sa cathédrale.
Strasbourg : le musée de l’œuvre Notre Dame
4.3.2. L’architecture
4.3.2.1. La cathédrale
4.3.2.1.1. Les premiers pas du gothique
Tableau de l’histoire de la construction de la cathédrale et influences
Les premières décennies du XIIIè siècle voient l'introduction du style gothique dans la
cathédrale avec l'achèvement du transept de la cathédrale de Strasbourg dans un esprit de
rupture manifeste avec le monde roman. C’est l’œuvre d’un atelier chartrain qui se manifeste
d’ailleurs plus dans la sculpture que dans l’architecture, dans le célèbre « Pilier du Jugement »
(improprement nommé « Pilier des Anges »). Du point de vue architectural, cet atelier couvre
le transept non plus d’une charpente, mais d’une croisée d'ogive : la colonne massive qui se
dresse au milieu du croisillon nord du transept devient au sud un faisceau de colonnettes
autour d'un noyau polygonal, et le chapiteau devient le réceptacle des nervures de la voûte
développées en palmier.
Strasbourg, cathédrale: le célèbre pilier
du Jugement. Vue du transept sur le
chœur
Strasbourg, cathédrale: le célèbre pilier
du Jugement
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : le
pilier du Jugement
Au même moment est réalisée la chapelle Saint Jean-Baptiste. Cette chapelle est de type
« halle » à trois triples travées reposant sur des piles rondes ou en quatre-feuilles, tout
comme la salle capitulaire qui la surmonte, réduite à deux travées s'appuyant sur des
colonnes. Malgré certaines réminiscences parisiennes ou beauceronnes, l'origine artistique du
maître reste à déterminer. Enfin, une école d’inspiration chartraine réalise ensuite vers 1225 le
portail sud avec ses deux rosaces.
Strasbourg, cathédrale : le transept sud et les deux roses
4.3.2.1.2. La nef
Strasbourg, cathédrale : plan
A partir de 1235 arrive un nouvel atelier de constructeurs qui édifie la nef et impose
définitivement l’esprit gothique classique. Du vieux vaisseau roman ne sont gardées que les
fondations. La construction de la nef se fait en deux phases : une première de 1235 à 1245 et
une seconde de 1253 (date à laquelle on recourt à la vente d’indulgences pour financer les
travaux) à 1275.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : le bas-côté sud
Le maître d'œuvre de génie qui a projeté le grand vaisseau de Strasbourg est au courant de
toutes les tendances et de toutes les initiatives des chantiers d'Ile-de-France et de
Champagne. Sa connaissance intime de l'architecture rayonnante lui permet de prévoir
l'évolution et d'y participer. Pendant la seconde campagne, le nouveau maître d'ouvre
Rodolphe le Vieux modifie les projets de construction initiaux pour simplifier l'ensemble : il
choisit de garder une part plus importante de l'édifice roman et y ajoute 4 travées légèrement
plus étroites au lieu des 8 initialement prévues.
Strasbourg, cathédrale : le bas côté nord
Cette nouvelle nef, proche à la fois de l'art champenois (Saint Nicaise de Reims, cathédrale de
Troyes, cathédrale de Châlons-sur-Marne) et de l'art de l'Ile-de-France (abbatiale de SaintDenis, Notre Dame de Paris), subjugue par sa structure rationnelle et sa beauté harmonieuse.
Tempérée par le grès rose, la logique implacable du gothique épanoui chasse la muralité et
propose une élévation lumineuse d'une élégance raffinée. Dans ses proportions, l'élévation à
trois étages respecte le schéma classique « A B A » : le triforium ajouré demeure au milieu de
la paroi, s'intercalant entre les grandes arcades richement moulurées et les fenêtres hautes à
quatre lancettes qui occupent toute la largeur de la travée. Les piliers fasciculés à seize
éléments accentuent la verticalité de l'ensemble alors que le triforium marque fortement les
horizontales. Toutefois, la double baguette médiane de la fenêtre haute semble se prolonger
par une subdivision du triforium, ce qui annonce manifestement la prochaine fusion de ces
deux unités. La baie du collatéral reproduit le dessin de la fenêtre haute. Une arcature
décorative et la coursière viennent enrichir et affiner l'espace du bas-côté.
Strasbourg, cathédrale: le bas côté sud
Strasbourg, cathédrale : collatéral nord
A l'extérieur, une imposante batterie d'arcs-boutants à large tête (cinq mètres) ajourée d'un
quadrilobe assure la stabilité de l'édifice. Chaque arc boutant repose sur une colonnette posée
en délit, procédé qui apparaît pour la première fois à Saint Rémi de Reims. Mais la conception
même de l'arc-boutant strasbourgeois doit beaucoup au système de contrebutement mis en
place à Notre-Dame de Paris vers 1230.
Strasbourg, cathédrale : le flanc sud et la galerie du XVIIè
Le grand vaisseau de Strasbourg, achevé en 1275, est l'un des plus accomplis de toute
l'architecture rayonnante. Son influence sera considérable en Alsace, mais aussi Outre Rhin, à
Fribourg-en-Brisgau, Wimpfen im Tal, Reutlingen ou Halberstadt.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : la nef centrale
4.3.2.1.3. La façade occidentale
4.3.2.1.3.1. Maître Erwin
Monnaie (Hälbling) de Conrad de Lichtenberg, évêque de Strasbourg (1273-1299)
En 1276, les fondations de la nouvelle façade sont solennellement bénies par l'évêque Conrad
de Lichtenberg, et la première pierre de la tour Nord est posée en 1277 sur les plans du
« projet A », l'un des plus anciens dessins d'architecture conservés en Occident, datant des
environs de 1260 qui montre, comme la nef et le jubé, l'influence de Saint Nicaise de Reims.
Mais ce projet est rapidement abandonné au profit d’un « Plan B ».
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : projet primitif de la façade ou « Plan A
Le « Projet B » s'inspire de la façade de la cathédrale de Troyes qui comporte 2 tours, 3
portails et un second étage avec une rose centrale. Ce « Projet B » où s'exprime l'un des plus
authentiques génies gothiques, prouve que la métropole alsacienne n'est plus seulement une
plaque tournante dans l'acheminement du nouveau style vers l'Est, mais aussi et surtout un
foyer créateur de première importance. Par son ampleur, son opulence, ses formes nouvelles,
le « projet B » dépasse nettement le gothique sage et rationnel du transept méridional de
Notre Dame de Paris ou de Saint Urbain de Troyes, ses modèles les plus proches. Les flèches
ajourées semblent ajoutées par une main moins experte, et l'extraordinaire rose, touffue et
polyvalente, très différente de celle qui fut finalement réalisée, n'a guère d'équivalent dans le
domaine royal.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : évolution de la façade
Commencée en 1277 conformément au « projet B », la façade est assez avancée en 1284
lorsque maître Erwin dit « De Steinbach », nommé par le Magistrat, prend ses fonctions. Il
achève le premier niveau et établit de nouveaux plans, le maître d'œuvre précédant ayant
commis plusieurs erreurs. Ce « projet C » prévoit un deuxième niveau nettement plus bas et
le remplacement de la rose initiale par une « ronde verrière » beaucoup plus classique,
s'inspirant des roses latérales de Notre Dame de Paris. Cette rose à seize pétales, sans
couronne intérieure, participe cette fois-ci au dédoublement de la paroi et s'inscrit dans un
cadre carré aux écoinçons ajourés. Parmi toutes les roses qui s'épanouissent en Europe à la fin
du XIIIè ou au début du XIVè siècle, celle de Strasbourg demeure l'une des plus accomplies
par sa pureté.
Strasbourg, cathédrale : la grande rose de la
façade
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : la rose. Cette
rosace, est composée d'épis de blés, et non de
saints, comme c'est la coutume. Ils sont le symbole
de la puissance commerciale de la ville
Le « projet D », vers 1285, également attribué à Erwin, marque une nouvelle étape dans
l'évolution du chantier. Il montre le narthex avec la rose et les étages latéraux à leur niveau
actuel, c'est-à-dire dépassant nettement la rose. Le décor aveugle du narthex, véritable
façade intérieure, somptueuse et filigranée, rivalise avec les revers de façade de Meaux. La
rose est découpée dans la paroi, sans écoinçons ajourés, et s'élève au-dessus d'un triforium
ajouré pratiquement invisible de l'extérieur. Cette « non correspondance » entre la façade et
son revers a été rendue possible par le dédoublement de la paroi et accentue le maniérisme
inhérent au procédé.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : l’élévation de la façade occidentale
Ralentis par un incendie en 1298, les travaux se poursuivent et en 1318, à la mort de maître
Erwin, le deuxième niveau est partiellement achevé, (fonte de la grande cloche en 1316). Son
fils Jean continue le chantier jusqu’en 1339. L'examen du narthex révèle plusieurs campagnes
qui se situent dans les premières décennies du XIVè. L'élévation latérale de la travée centrale
est particulièrement instructive : entre l'arcade aux multiples moulures et la fenêtre haute à
quatre lancettes qui correspond au deuxième niveau de la façade prend place un triforium
gracile à gables élancés dont la hauteur atteint dix mètres. Cette hauteur inusitée n'est pas
due à un choix esthétique délibéré, mais à la nécessité de rattraper la différence de hauteur
entre la grande nef (32m) et le narthex (38m).
Strasbourg, cathédrale : la façade occidentale
On retrouve donc de légères modifications dans les différents étages de la façade, le premier
comportant les portails, le second la rosace et le troisième les troncs de clochers.
4.3.2.1.3.2. Maître Gerlach
Maître Gerlach continue les travaux de la façade : Entre 1355 et 1365 il édifie le troisième
étage des clochers dont l'architecture n'est pas étrangère à celle de la chapelle SainteCatherine. Chaque face est percée d'un triplet, mais seule la lancette médiane rappelle
discrètement le dédoublement de la paroi. A l'intérieur, de belles voûtes en étoile à ogives
d'angle préparent le passage à l'octogone.
Strasbourg, cathédrale : façade occidentale vue de haut
Gerlach réalise aussi la magnifique chapelle sainte Catherine vers 1340. Ornée et structurée
comme une châsse, elle séduit par sa verticalité et le raffinement de ses remplages
géométriques. L'apport personnel de maître Gerlach reste considérable, notamment dans la
conception des voûtes et dans la modénature. Les voûtes étoilées primitives à clefs
pendantes, remplacées au XVIe siècle par les voûtes curvilignes actuelles, rivalisaient avec
celles de Bebenhausen ou celle de la chapelle Barbazana à Pampelune. L'exemple
strasbourgeois portera ses fruits à la cathédrale de Prague (chapelle Saint Venceslas et
sacristie).
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : les étapes de la construction
Peu avant 1365, on renonce à la construction des flèches. L’enthousiasme de la construction
finale des tours s'évanouit. La crainte de séismes (en 1356, Bâle avait été détruite), les
difficultés financières et les pertes humaines causées par la grande peste de 1349 expliquent
la renonciation aux flèches. Un nouveau projet prévoit la galerie des Apôtres au-dessus de la
rose et un beffroi percé d'élégantes baies tripartites et coiffé d'un couronnement à gables. En
1365 les constructeurs atteignent le niveau de la plate-forme actuelle, conférant à la façade la
silhouette de Notre-Dame de Paris. En 1371 maître Conrad succède à Gerlach et réalise la
galerie au dessus de la rose, particulièrement avec la magnifique galerie des Apôtres.
Strasbourg, cathédrale : la galerie des apôtres de
la façade
Strasbourg, cathédrale : la galerie des apôtres de
la façade, détail
4.3.2.1.3.3. La flèche
A la mort de Maître Conrad, son successeur, Michel de Fribourg (1383-1388) est chargé de
l'exécution du beffroi. Il modifie une ultime fois le projet (vers 1383) pour aboutir à une
« Façade falaise » de type germanique en comblant le vide entre les deux tours par un
énorme remplage, sorte de tour centrale. Mais ce bloc façade, achevé par Claus von Lohre
(1388-1399) ne satisfait pas le magistrat qui fait appel en 1399 à Ulrich von Ensingen qui
vient de commencer la gigantesque tour d'Ulm. Le maître d'œuvre souabe présente un projet
de haute tour comportant un octogone cantonné de quatre tourelles d'escalier, surmonté d'un
petit étage servant de base à une flèche ajourée aux arêtiers gracieusement incurvés. Son
projet à flèche incurvée n'est que partiellement réalisé. A sa mort, en 1419, seuls l'octogone
et son petit étage sont terminés.
Strasbourg, cathédrale : la flèche. Dessin extrait du
« dictionnaire raisonné de l’architecture » de Viollet
le Duc
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : octogone :
intérieur
Le nouveau maître d'œuvre, Jean Hültz de Cologne (1419-1449) modifie une ultime fois les
plans. Il surélève les tourelles d'escalier jusqu'au départ de la flèche qu'il érige selon ses
propres conceptions : une flèche aux arêtiers chargés de tourelles, œuvre d'une rare virtuosité
qui exprime au surplus cette nouvelle recherche d'un style plus anguleux et plus compact.
C'est en 1439, date mémorable, qu’est achevée la flèche vertigineuse, sorte de gratte-ciel
avant la lettre. A ce stade (d'ailleurs définitif), le Magistrat est très satisfait du travail, car il
considère la haute tour non seulement comme le couronnement de la cathédrale, mais aussi
comme une sorte de beffroi symbolisant la puissance et la grandeur de la ville.
Strasbourg, cathédrale : la flèche. Plan extrait du
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : octogone :
personnage regardant la flèche (Musée de l’œuvre)
« dictionnaire raisonné de l’architecture » de Viollet
le Duc
Cette tour de 142 mètres de haut fait de Strasbourg la ville ayant l'édifice le plus haut du
monde ! Elle gardera « ce record du monde » jusqu'en 1847, année où la flèche de l'église
Saint-Nicolas de Hambourg (144 m de hauteur) fut achevée. (Beauvais ou Londres avaient des
flèches plus hautes, mais elles se sont écroulées)
Strasbourg, cathédrale : la flèche
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : la flèche
4.3.2.2. Les autres chantiers de la ville
4.3.2.2.1. Saint Thomas
Strasbourg : plan de l’église saint Thomas
A coté de la cathédrale, est mise en chantier dans la seconde moitié du XIIIè siècle l’église
saint Thomas, ancienne abbaye bénédictine fondée par Florent au VIIè qui est reconstruite ; le
massif bâtiment de grès rose construit à partir du XIIIè évoque immédiatement les édifices
rhénans. Le monument s’inspire du chantier de la cathédrale, mais reste curieusement de
style roman par son pignon nord-ouest et ses arcatures lombardes.
Strasbourg, église saint Thomas : vue de la rue de
la Monnaie
Strasbourg : intérieur de Saint Thomas, par Cl.
Bech. Collection particulière
La reconstruction de l'église en style gothique débute en 1270 par le chœur et le transept. Le
chœur à chevet polygonal se contente d'une seule travée droite, tandis que les baies à deux
lancettes présentent à l'extérieur des arcs de décharge. Le transept cloisonné à piles
intermédiaires garde ses parois latérales. Les façades des croisillons sont subdivisées par un
contrefort, comme à Haguenau.
Strasbourg, saint Thomas : l’intérieur de l’église
Une superbe triple nef à piles fasciculées s'insère vers 1290 entre le transept rayonnant et le
massif occidental roman - gothique. Mais les voûtes ne sont lancées que vers 1330, au
moment où deux collatéraux supplémentaires viennent constituer une quintuple halle,
rarissime en Europe. Le contraste entre la large nef principale et les collatéraux extrêmement
élancés sécrète une sorte d'ambiguïté spatiale. La tour de croisée octogonale avec sa coupole
sur trompes d'angle, est la dernière de ce genre réalisée en Alsace (1347).
Strasbourg, église saint Thomas : le transept
Au XVè, l’église s'agrandit de trois chapelles. Datée de 1469, la chapelle Saint-Blaise englobe
aussi des éléments romans. La chapelle Saint-André se contente d'une seule travée voûtée à
clé sculptée. Mais c'est la chapelle des Evangélistes (1521), avec sa porte en accolade, ses
baies aux remplages ondoyants et sa voûte réticulée qui illustre avec bonheur la dernière
phase du gothique.
Strasbourg, saint Thomas
Ainsi Saint-Thomas de Strasbourg est la plus spectaculaire des « Hallenkirche » d'Alsace, ou
« église-halle » aux nefs de hauteur sensiblement égale. L’église est aussi en 1290 le premier
édifice de ce type en Allemagne du Sud.
Strasbourg : coupe de la nef de Saint Thomas
4.3.2.2.2. Saint Pierre le Jeune
Fondée en 1031 l’église St Pierre le Jeune est reconstruite dans le style gothique entre 1250 et
1320. Hormis les encadrements des portes et fenêtres, elle est construite en briques et
recouverte de chaux. Elle se dote vers 1280-1290 d'un imposant chœur profond à quatre
travées, rond point à sept pans de décagone et chapelle axiale. Comme à Reims, la voûte du
chevet occupe une travée et l'abside, la clé étant sur le doubleau. A l'extérieur les arcs de
décharge surmontent les baies à deux lancettes.
Strasbourg, Saint Pierre le Jeune : le massif
occidental
Strasbourg, Saint Pierre le Jeune : la croisée et le
transept
Entre 1290 et 1320 environ est réalisée la nef élancée à transept occidental. Un élément des
piles octogonales monte jusqu'aux voûtes et délimite les travées. Les fenêtres à trois
lancettes, soulignées par un bandeau, sont relativement grandes et assurent une élévation à
trois étages. Au Sud, le bas-côté est dédoublé en forme de halle (comme à Wissembourg).
Une rangée de colonnes sans chapiteaux reçoit les voûtes et soutient en même temps la culée
intermédiaire des arcs-boutants.
Strasbourg, Saint Pierre le Jeune : la nef et le jubé
Vers 1360, l'église Saint Pierre le Jeune s'agrandit de la chapelle Saint-Jean munie de
contreforts intérieurs. La chapelle de la Trinité est édifiée par Hans Hammer en 1491 (Beau
baptistère). On accède à l’église par le portail Sud, le «Portail Erwin» dont les statues de 1897
sont des imitations des originales détruites lors de la Révolution (Vierges sages et folles,
prophètes et saints). L’église possède enfin un très joli cloître reconstitué au XIXè avec des
éléments romans (3 galeries) et gothiques.
Strasbourg, Saint Pierre le Jeune : le cloître
Strasbourg, Saint Pierre le Jeune : le portail sud dit
d’Erwin
4.3.2.2.3. Les édifices des ordres mendiants et des ordres prêcheurs

Les Dominicains et Franciscains, ordres animés d'une spiritualité nouvelle, dont la
naissance et le développement illustrent le fait urbain, sont de grands bâtisseurs. Ces
ordres prennent une importance grandissante et déploient une activité assez intense
et de tous ordres, spéculative, prêchante, charismatique et, aussi... lucrative. Leurs
églises, bien que sobres et dépouillées, sont vastes pour recevoir de nombreux fidèles
et de type « Hallenkirche ». Souvent charpentées, elles se caractérisent par un chœur
très étendu et par de hautes fenêtres. Ainsi l’église des Dominicains construite en
deux campagnes (1254-1260 pour le chœur et la nef, 1307-1345 pour un second
agrandissement réalisant une église-halle à deux hautes nefs centrales dont il reste
une gravure du XVIIè siècle).
Strasbourg : le couvent des Dominicains ou
« Prediger ». Gravure du XVIIè
Strasbourg : l’ancienne église des Dominicains,
détruite pendant le siège de Strasbourg en août
1870. Sur son emplacement s’élève aujourd’hui le
Temple Neuf

De la même époque date l’église des Cordeliers aujourd’hui détruite (emplacement de
l’actuelle place Kléber).
Strasbourg : la place des Cordeliers, actuelle place
Kléber. Gravure du XVIIè

Détail du plan de Conrad Morant de 1548 : de
gauche à droite : l’église et le couvent des
Cordeliers, le « Pfennigturm » (place Kléber) et
l’église des Dominicains (Place du Temple Neuf)
Sur des vestiges de 1182, l'église Saint Nicolas de Strasbourg est reconstruite en
1381.
Strasbourg : l’église saint Nicolas, vue de la Petite France

Fondée par les Müllenheim en 1306, l’église Saint Guillaume est mise à disposition des
moines Guillemites. Le sanctuaire est à nef unique et non voûté, avec un chœur
profond de cinq axes, non voûté lui aussi malgré la présence de contreforts étayant le
chevet. L'église sera remaniée en 1488. De cette époque datent le porche voûté avec
ses roses flamboyantes et son portail sculpté ainsi que le remarquable jubé de trois
travées avec ses clés pendantes. De beaux vitraux du XIVè au XVIIè content des
scènes bibliques ainsi que le cycle de St Guillaume et de Ste Catherine. Certains sont
de la main de Pierre Hemmel.
Strasbourg Krutenau : l’église saint Guillaume,
ancienne paroisse de la puissante corporation des
Bateliers
Strasbourg, saint Guillaume : verrière de la vie du
Christ. Premier quart du XIVè
4.3.2.3. L’architecture civile
Bien que l'architecture civile soit loin d'avoir été négligeable au XIVè siècle, elle a grandement
souffert des aménagements et des modifications d'ordre urbanistique des temps qui suivirent,
de sorte que ses vestiges sont pour la plupart intégrés dans les structures postérieures :
soubassements, portiques et pignons crénelés (aile gauche de l'Œuvre Notre-Dame de 1347).
4.3.3. Sculpture
4.3.3.1. Le chantier de la cathédrale
C’est naturellement le chantier de la cathédrale qui mobilise l’essentiel de l’activité artistique
des sculpteurs, pour la plupart anonymes, des XIIIè et XIVè siècles.
4.3.3.1.1. L’atelier chartrain du transept sud
Au début du XIII° siècle, des artistes venus de Chartres y introduisent le style gothique et
renouvellent la sculpture monumentale. Chose remarquable, la sculpture y précède
l'architecture en leur plein épanouissement. En effet, le transept sud, reconstruit entre 1200 et
1225 reste encore d'esprit roman dans son architecture, comme en témoignent les portails
sud en plein cintre. Mais, dans la décoration du « Pilier du Jugement », des tympans et des
ébrasements des portails, les artistes de Chartres sont nettement novateurs. Ils puisent leur
inspiration et leurs thèmes dans la fonction judiciaire de cette partie de l'église, qui donne sur
le palais épiscopal, dont l'officialité tenait souvent ses assises sur les marches du portail sud,
ou même dans le transept : aussi le pilier appelé communément « des Anges » est en réalité
celui du « Jugement dernier », le Christ trônant en haut, entouré d'anges porteurs des
instruments de la Passion, au-dessus des anges annonciateurs du Jugement, tandis qu'en bas
se tiennent les quatre Evangélistes. A l'extérieur, c'est le juge terrestre, le roi Salomon
(aujourd’hui disparu), qui trône au trumeau entre les deux portails, entouré des douze apôtres
(disparus) et des célèbres statues de l'Eglise et de la Synagogue aux yeux bandés, alors que
les deux tympans décrivent la mort et le triomphe de la vierge.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : le
portail sud et ses deux tympans
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : le
pilier des Anges ou du Jugement
Strasbourg, cathédrale : portail sud du
transept, tympan de la mort de la Vierge
Bien que son séjour à Strasbourg fut de courte durée, cet atelier introduit dans les régions de
l'Est le style formé à Chartres et à Sens, où il rencontre les modèles courants du roman tardif
surtout présents dans l'orfèvrerie, dans l'illustration de manuscrits (Hortus Deliciarum) et dans
le vitrail. Ainsi la célèbre « Synagogue » représente le sommet de la sculpture strasbourgeoise
du XIIIè siècle et est l’un des grands chefs d’œuvre de la sculpture gothique. Elle marque,
avec son pendant, l’« Eglise », le point suprême d'équilibre où le langage « classique » de
Chartres est frappé d'un accent pathétique qui là-bas lui fait défaut. Ces œuvres sont les
premières manifestations d'un art proprement strasbourgeois qui sait dépasser, grâce à sa
personnalité, les modèles étrangers. Cette fusion devient un phénomène proprement
strasbourgeois, raffiné dans la souplesse des draperies fines et comme mouillées, et empreint
d'une grande noblesse spirituelle.
Strasbourg, cathédrale : portail sud : la
Synagogue
Strasbourg, cathédrale : portail sud :
l’Eglise
Strasbourg, cathédrale : un des chefs
d’œuvre de la sculpture
strasbourgeoise : la synagogue. Musée
de l’Œuvre Notre Dame
4.3.3.1.2. L’atelier du jubé
La réalisation du jubé de la cathédrale, aujourd’hui disparu, marque une autre étape de
l’histoire de la sculpture, car elle est inspirée d’une autre école inspirée à la fois par la Sainte
Chapelle de Paris, la cathédrale de Reims, et l'église rémoise Saint Nicaise. En dehors de son
style propre, élégant, expressif, aux draperies en poches et en tuyaux, le jubé témoigne avec
et parmi d'autres initiatives en Alsace à partir du milieu du XIIIè siècle d'un processus de
durcissement des formes et d'un développement significatif du sens du volume.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame :
saint Jean l’évangéliste placé sur le petit
coté sud du jubé de la cathédrale. 3è
quart du XIIIè. Atelier du jubé
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : le
sacrifice d’Abraham ; revers du jubé de
la cathédrale. 3è quart du XIIIè. Atelier
du jubé
Strasbourg, cathédrale Notre Dame :
apôtre ; petit coté sud du jubé de la
cathédrale. 3è quart du XIIIè. Atelier du
jubé
4.3.3.1.3. L’atelier de la façade occidentale
La décoration des trois portails de la façade occidentale, à partir de la fin du XIIIè siècle,
marque l’autre moment fort de la sculpture gothique strasbourgeoise. À l'ambition du maître
d'œuvre s'ajoute celle des sculpteurs. Ils illustrent pour les portails un grand programme
théologique imaginé sans doute par Albert le Grand. Là encore, au milieu des grandes statues
des Prophètes, se révèle un sens du « pathos » qui définit bien l'art strasbourgeois du Moyen
Age. Après l'austérité des travées de la nef, c'est, au bas de la grande falaise occidentale, un
grand déploiement de sculptures, de thèmes, de styles empruntés à d'autres chantiers, à ceux
de Notre Dame de Paris, dont les statues du portail sud du transept de la cathédrale de
Meaux, la Vierge de Ligny en Barrois à l'angle d'une maison, semblent fixer des étapes vers
nos vierges strasbourgeoises, de Troyes en Champagne peut-être, rencontrant à Strasbourg la
tradition d'un sentiment plus germanique tourmenté, et excessif, dans la sculpture des
prophètes et des Vertus.
Strasbourg, cathédrale : la façade
occidentale
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : le
portail central de la façade occidentale
Façade occidentale, portail nord :
tympan de la naissance et de l’enfance
du Christ
Façade occidentale, portail sud : tympan
du jugement
Au portail central, le tympan de la Passion du Christ annoncée par les prophètes alignés aux
piédroits, que surmonte le grand gable échafaudant le trône de Salomon et celui de la Vierge,
sur les marches desquels jouent les lions de Juda. Tympan où se mêlent deux factures, deux
styles, l'un à la rudesse expressive des prophètes, l'autre à la plénitude souriante et presque
asiatique des vierges sages et des vierges folles du portail droit.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : schéma des sculptures du portail central
A gauche, côté Nord, cantonnant un tympan de l'Enfance du Christ (refait au XIXè siècle), les
Vertus maniérées, aux traits étirés, combattant les vices écrasés sous leurs pieds. Côté Sud, le
Jugement dernier, restauré, demeurerait assez secondaire si les figures paraboliques des
vierges sages et des vierges folles, les unes accueillies par le Christ, les autres séduites par le
Tentateur, ne venaient pas le signifier de façon spectaculaire, debout aux piédroits qu'ornent
en relief les signes du zodiaque et les occupations des mois.
Strasbourg : la cathédrale, portail centra
de la façade occidentale : les Prophètes
Strasbourg, cathédrale : détail du portail
de droite de la façade occidentale, dit
« portail des Vierges sages et des
vierges folles » : le tentateur et une
vierge folle
Strasbourg, cathédrale : détail du portail
de droite de la façade occidentale, dit
portail des Vierges sages et des vierges
folles : l’Epoux divin
Façade occidentale, portail sud: les
vierges sages
Strasbourg, cathédrale Notre Dame :
massif occidental, portail nord : vertu
terrassant un vice
Que ce soit à Reims ou à Amiens, à Bamberg ou à Magdebourg, nulle part ailleurs qu'à
Strasbourg, les draperies qui enveloppent tout à fait le corps n'ont une telle valeur
déclamatoire.
Strasbourg, cathédrale : portail de la
façade occidentale : les prophètes
Strasbourg, cathédrale : Façade
occidentale, portail nord : ébrasement
droit : les Vertus terrassant les vices
Strasbourg, cathédrale : façade
occidentale, portail nord : ébrasement
droit : les Vertus terrassant les vices.
Détail
4.3.3.1.4. Les autres œuvres
Après la réalisation de la façade occidentale, on assiste au XIVè à un certain appauvrissement
de la sculpture strasbourgeoise, qui semble se complaire dans une certaine complication :
arabesque des recoupements, des courbes et des ombres, ou d'ordre expressif : visages
extatiques, « asiatiques » ou d'une ingrate rudesse, draperies contraignantes…
Les programmes iconographiques sont essentiellement représentés par la décoration de
l'étage entre les tours de la façade de la cathédrale de Strasbourg (entre 1360 et 1380
environ) et les sculptures de la chapelle Sainte-Catherine, fidèles au pathétique de leurs
ancêtres les Prophètes du portail ouest, mais manifestant un certain affaiblissement de la
force d'invention du chantier.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : la façade entre les deux tours
4.3.3.2. L’art funéraire
Le XIVè siècle privilégie et développe des types de monuments tels que les saints sépulcres,
les plates et hautes tombes à gisants, ainsi que les figures de piété isolées : Vierges à l'Enfant,
saints et piétas. Il est surtout remarquable par l’art funéraire qui produit quelques œuvres de
grande valeur :

Maître Woelfflin de Rouffach se révèle comme le grand « tombier » alsacien du XIVè
siècle : le double monument funéraire élevé à Saint Guillaume aux frères de Werd
montre une description minutieuse, un « inventaire » détaillé de l'armement d'un
chevalier. Au moment où le patriciat marchand et les corporations prennent en charge
les destinées de la cité, Woelfflin rend ainsi un froid hommage à la chevalerie
finissante. La première tombe est celle de Philippe de Werd (1332) ; la seconde, plus
imposante, est celle de son frère Ulrich de Werd ( 1344), Landgrave d’Alsace. Woelfflin
réalisera d’autres œuvres hors de Strasbourg : gisant de l'abbesse Irmengarde de
Bade au couvent de Heilingenthal en Forêt Noire, gisant du chevalier Ulrich de Hus
d'Issenheim (musée Unterlinden), gisant de Conrad Werner de Hattstatt…
Strasbourg saint Guillaume : tombeaux de Philippe (en bas) et Ulrich de Werde par Woelfflin de Rouffach.
Crypte

Le tombeau de l'évêque Conrad de Lichtenberg ( 1299) dans la chapelle Saint Jean
Baptiste à la cathédrale de Strasbourg : baldaquin à trois gables en façade et un gable
de côté, le gisant massif, polychrome, en grand ornement, reposant sur une dalle
surélevée.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : chapelle saint
Jean Baptiste : le gisant de Conrad de Lichtenberg
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : le tombeau
de Conrad de Lichtenberg




Le tombeau de Conrad de Lichtenberg a transmis à toute une série de saints sépulcres
son principe architecturel : le premier exemple en est donné à la cathédrale de
Strasbourg, vers 1340, dans la chapelle Sainte-Catherine ; ses nombreux fragments
d'architecture et de sculptures (gisant du Christ et gardiens en armure) sont conservés
à l'Œuvre Notre Dame, dépôt et musée. Ses saintes femmes ont disparu, elles
devaient être voisines des figures dressées aux piliers de la chapelle donnant sur le
collatéral sud : sainte Catherine, sainte Elisabeth et saint Jean-Baptiste, car celles-ci
sont, à leur tour, parentes des saintes femmes et des anges du saint sépulcre de la
cathédrale de Fribourg en Brisgau.
Le sépulcre de l’église Saint-Etienne, vers 1350-1360 est connu par un dessin de Jean
Jacques Arhardt (1670) ; il se peut que ce soit celui de l’église Saint Nicolas de
Haguenau, transféré là au XVIIIè siècle ;
Strasbourg, La chapelle funéraire des Müllenheim de l’ancienne église de la Toussaint
(1370-1380).
D’autres œuvres sont connues par des fragments ou de dessins : fragments trouvés
près de l'église Saint Jean, vers 1400 ; mention écrite de 1311 d’un sépulcre dans
l’église Saint Pierre le Jeune ; mention écrite de 1361 d’un sépulcre dans l’église SaintThomas ; sépulcre dans l’ancienne église Saint Jean à l'Ile Verte selon une relation
écrite après 1371 ; fragments conservés de l’ancienne chapelle du Saint Sépulcre du
couvent des Augustins, (1360-1365)…
4.3.3.3. Autres œuvres
Hormis ces grands sépulcres, l’art funéraire à produit d’autres œuvres plus simples, parmi
lesquelles l'épitaphe à l'effigie de Jean Thaller, chevalier autrichien ( 1356) en bonnet,
aumusse et cotte de l’église Saint Thomas et la pierre tombale de Jean Tauler, le dominicain
mystique ( 1361), provenant du cimetière du couvent de Saint-Nicolas in Undis et conservée
dans l'église du Temple Neuf à Strasbourg.
4.3.4. Peinture
En dépit des pertes, imprécisions, dispersions, l'illustration de manuscrits alsaciens fournit
pour le XIIIè siècle une meilleure base d'appréciation, d'autant que les ensembles importants
du vitrail viennent la conforter même si les parentés véritablement personnalisés entre ces
deux disciplines demeurent rares.
Pourtant, l'éveil de la peinture aux courants nouveaux, au-delà du « Zackenstil » dont le XIIIè
siècle garde longtemps l'empreinte dans le vitrail, s'effectue avec le manuscrit illustré du
« Tristan » de Gottfried de Strasbourg conservé à la Staatsbibliothek de Munich (ms. German.
51) : les dessins prennent la mode vestimentaire et les formes expressives de l'atelier de
l'Eglise et de la Synagogue, de sculpture donc, et créent un véritable album de la vie
courtoise, animé d'un mouvement alerte qui renchérit sur les torsions des corps et des plis du
célèbre atelier et fait virevolter les draperies dans un esprit baroque, dégagé de celui,
véhément aussi, du Zackenstil. Quelques gémellions aux figures de Vertus et d'allégories (au
musée des Arts décoratifs de, Strasbourg, au musée Unterlinden de Colmar) tentent une
percée semblable mais demeurent trop tributaires de l'Hortus pour y réussir.
Page du Manuscrit Germain 51 du Tristant de la Staatsbibliothek de Munich
Au XIVè siècle, la peinture de manuscrits est essentiellement documentée par trois ouvrages
de nature très diverse, tous strasbourgeois :



Le « Mémorial de Saint-Jean à l’Ile Verte », couvent fort adonné à la vie mystique, et
où se retira le banquier piétiste Rulman Merswin ;
La « Vita Suso », des environs de 1360, recueil de piété comme l'indique son titre
(B.N.U. Strasbourg), mais dont l'illustration livre une imagerie d'un niveau artistique
assez moyen, très significatif cependant du style de l'époque.
L'élévation sur parchemin de plus de 3 mètres de haut de la façade occidentale de la
cathédrale, issu de l'atelier du maître d'œuvre Michel (Parler) de Fribourg, fils de Jean
de Gmünd, et situé entre 1360 et 1380. Cet ouvrage d'architecture présente le
programme iconographique de la galerie qui devait former vers 1360 le couronnement
du corps médian de la façade au-dessus de la grande rose, et celui de l'étage entre les
tours érigées à la suite pour combler l'espace d'entre-deux et y suspendre les cloches
de la Ville.
Strasbourg, cathédrale : le « plan A ». Dessin, Musée de l’œuvre Notre Dame
Quant à la peinture murale, L'ancienne église des Dominicains de Strasbourg, détruite en 1870
conservait une Crucifixion des alentours de 1300, dont une copie est détenue par le Service
des Monuments Historiques, d'une incontestable élégance d'écriture, sans doute d’inspiration
« colognaise ».
4.3.5. Vitrail
4.3.5.1. La cathédrale de Strasbourg
Après la magnifique série, encore romane, de la « galerie des rois et Empereurs du saint
empire romain », sont réalisés, jusqu’à environ 1240, les ensembles apparentés à l'atelier de
l'Eglise et de la Synagogue : reine de Saba, rose de l'Ancien Testament, Christ, Jean-Baptiste,
saint Christophe dans le transept, demi médaillon de la Vierge au trône de Sapience provenant
des toutes premières travées de la nef, reléguées aujourd'hui, à l'envers, dans la dernière
fenêtre haute de la nef, côté nord.
Puis arrive, dès après 1240 l'atelier porteur du « Zackenstil », désigné aussi comme
westphalo-saxon, dont témoignent encore les réseaux des bas-côtés, quelques bustes du
triforium, premières travées et de figures en pied de papes et de diacres de la première
fenêtre haute, côté nord. Style volontaire, aux étoffes tendues, brisées de jeux ornementaux
anguleux, aux traits lourds et aux anatomies souvent athlétiques quand elles ne sont pas
effacées par l'amas des draperies.
Début du XIVè sont réalisés les petits sujets sous des arcs en accolade dans les écoinçons
desquels apparaissent souvent les prophètes en buste. Arcs, boutons et enroulements
d'écoinçons (ou médaillons secondaires) sont combinés dans la verrière de la Genèse, fenêtre
nord du narthex de la cathédrale.
Dans les années 1340 est réalisé le grand œuvre du bas-côté méridional de la cathédrale,
série de cinq verrières consacrées à la Vie de la Vierge, à l'Enfance et à la Vie publique du
Christ, à sa Passion et à sa Vie surnaturelle, enfin au Jugement dernier, datation dictée par
des raisons de style et aussi d'implantation de la chapelle Sainte-Catherine entre 1332 et
1349, au droit des deux premières travées. Ces cinq verrières, où l'on suit une évolution
stylistique manifeste et constante, dans l'écriture, dans le coloris et dans l'espace scénique,
ont remplacé la série des prophètes antérieure et constituent l'une des plus riches illustrations
des thèmes mariologiques et christologiques inspirés par la Bible des Pauvres. Elles furent
vraisemblablement précédées, du côté est, par les Combats allégoriques des Vertus et des
Vices, logés aujourd'hui dans la dernière fenêtre haute de la nef, côté nord.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame :
bas-côté sud, première verrière à partir
de la chapelle sainte Catherine : la
présentation au temple
Strasbourg, cathédrale : vitraux du bas
côté sud
Strasbourg, cathédrale Notre Dame :
bas-côté sud, deuxième verrière à partir
de la chapelle sainte Catherine : Jésus et
la femme adultère ; Jésus et la
Samaritaine
Strasbourg, cathédrale Notre Dame :
bas-côté sud, première verrière à partir
de la chapelle sainte Catherine : la
guérison d’un infirme et la résurrection de
la fille de Jaïre
Il semble aussi qu'avant même l'achèvement de la série, vers 1350 du côté de l'Ouest, les
verrières de la chapelle Sainte Catherine aient été menées à bien autour de 1340, avec leur
baldaquins vertigineux sur des fonds rouges et bleus où scintillent des pastilles bleues et
rouges, qui couronnent la théorie des apôtres égrenant les termes du Credo.
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : verrière de la chapelle sainte Catherine, du XIVè
Strasbourg, cathédrale Notre Dame : chapelle sainte Catherine : verrière avec les saints Jacques le mineur,
Jean et Thomas
Vers 1350 est aussi réalisée la haute verrière du Jugement de Salomon, dans la 6è fenêtre
méridionale de la nef de la cathédrale de Strasbourg, dont les personnages monumentaux se
répartissent dans les quatre lancettes, sous de hauts baldaquins que bordent les inscriptions
commentaires de la scène ; art assez conventionnel qu'anime un coloris un peu trop soutenu
dans le contexte général des verrières de la haute nef.
4.3.5.2. Autres œuvres
Le style « Zackenstil » caractérise les vitraux de la première église des Dominicains, entre
1254 et 1260 : scènes de la vie du Christ, arbre de Jessé, vie de Saint Dominique avec des
nuances, vie de Saint Barthélemy, patron de l'église. Il apparaît encore, et toujours aussi
vigoureux, mais assoupli dans le chœur de l'église Saint-Thomas : scènes de l'Ancien
Testament, de la légende de saint Thomas, médaillon de l'Incrédulité du saint patron, au
centre de la rose en façade occidentale, refaite, il est vrai, mais fidèlement dans le style de
son dessin, donc copié sur le médaillon original.
Du premier tiers du XIVè datent les panneaux à sujets christologiques de la façade nord-ouest
de l'église Saint Guillaume à Strasbourg, qui sont à leur place d'origine. Des Dominicains
(avant 1345) proviennent les séquences de la vie et de la Passion du Christ, transférés dans la
chapelle Saint Laurent de la cathédrale.
Après 1380 vraisemblablement, le chœur de l'église Saint Pierre le Vieux de Strasbourg
(détruit en 1869) est décoré d'un magnifique ensemble de vitraux à thème christologique,
dont le baron de Schauenbourg, a laissé une description en 1865 (fragments au musée de
l'Œuvre Notre Dame). Cet ensemble culminait dans la Crucifixion, entre Saint Jean, conservé,
et la Vierge, disparue ; il comprenait un Gethsémani, une Résurrection, une Adoration des
mages. Art vigoureux, sévère, d'un coloris profond, adouci par la calligraphie propre à
l'écriture du siècle.
Il est plus difficile de situer les vitraux (ou ce qu'il en reste) de la dernière campagne de
vitrerie de l'ancienne église des Dominicains de Strasbourg, achevée sans doute en 1417. La
verrière du Jugement dernier peut le mieux en rendre témoignage, annonçant à la fois l'art
d'un maître de Boucicaut et, sous de grandes architectures peintes à la manière de celles de la
chapelle Sainte Catherine, mais d’une facture plus large, des apôtres assis, aux traits
puissants, aux draperies amples et affirmées, environnent le Christ de physionomie presque
michelangélesque (le Moïse) de la Déisis. Composition centrale classique, mais étonnante de
monumentalité.
4.3.6. Les lettres
Dans le domaine des lettres, les XIVè-XVè présentent une indigence qui contraste avec les
grandes œuvres du XIIIè siècle et celles de l'humanisme. La veine poétique est complètement
tarie et aucune œuvre d'imagination n'est digne d'être citée. La seule exception concerne
l'histoire. Animés d'un fort patriotisme municipal, les bourgeois des villes sont avides de
connaître les grands faits du passé de leur cité et ce besoin suscite la rédaction des trois
chroniques strasbourgeoises du XIVè siècle : celle de Mathias de Neuenbourg, celle de
Closener et celle de Kœnigshofen.



Mathias de Neuenbourg, conseiller juridique de l'évêque, compose une histoire de
l'Empire courant de 1270 à 1350, dont la paternité d'ailleurs lui est en partie
contestée, ainsi qu'une biographie de l'évêque Berthold de Bucheck (1328-1353). Sa
chronique latine, d'un style alerte, riche en anecdotes qu'il recueillit probablement de
témoins des événements, comporte cependant bien des inexactitudes.
Fritsche Closener, chanoine du grand chœur de la cathédrale, inaugure la série des
chroniques en langue allemande, assurées d'une plus large audience. Il a le mérite
d'un style simple, sans prétention, d'une relative objectivité et d'une analyse assez
fine des faits. C’est lui qui relate avec quelques détails les deux révolutions
strasbourgeoises de 1332 et 1349, ainsi que les ravages de la peste noire. 1.1.
Jacques Twinger, de Koenigshoffen, issu d'une famille patricienne de Strasbourg,
chanoine de Saint-Thomas depuis 1395, rédige sa chronique allemande (après en
avoir écrit une latine, perdue), entre 1392 et 1420, date de sa mort. Cette chronique
court jusqu’en 1400. Comme il le dit dans sa préface, il s'adresse aux laïcs cultivés, ne
veut pas s'en tenir aux vieilles histoires, mais veut raconter les faits contemporains
« qui sont lus avec plus d'intérêt que les choses anciennes », et particulièrement les
événements remarquables qui se sont produits en Alsace et à Strasbourg.
Kœnigshofen ne rompt cependant avec la tradition, et sa chronique est d'inspiration
typiquement médiévale, surtout quand on la compare à celle de Froissart, à peu près
contemporaine.
Il débute par la création du monde et manifeste le souci d'écrire une histoire
universelle en même temps que strasbourgeoise et remonter toujours jusqu'aux plus
lointaines origines. Les trois premiers chapitres relatent l'histoire de l'Orient, des Juifs,
de Rome, des papes et de l'Eglise chrétienne ; le quatrième est consacré aux évêques
de Strasbourg, depuis saint Amand ; seul le cinquième traite de l'histoire de la ville,
depuis sa création par Trébata, fils de Sémiramis et fondateur de Trèves, douze cents
ans avant notre ère.
Le récit n'est pas continu, mais découpé en une suite de notices souvent disparates,
sans grand respect de la chronologie ni de l'exactitude. L'auteur ne se prive pas non
plus, pour les événements récents, de faire de larges emprunts, parfois textuels, à ses
devanciers. Mais son récit est vivant, naïf, émaillé d'anecdotes, de saillies, de faits
étonnants. Le sincère patriotisme municipal et impérial qui s'en dégage ne pouvait
manquer de plaire à ses lecteurs.
Telle quelle, cette œuvre rencontra un succès éclatant en Allemagne et passa pour le
modèle de toute chronique urbaine. On en connaît une quarantaine de manuscrits,
dont certains contiennent des insertions concernant d'autres villes. En Alsace même,
elle eut plusieurs continuateurs au XVè siècle. Pourtant, sa vogue semble avoir été
d'assez courte durée, puisqu'il fallut attendre jusqu'en 1698 pour en voir paraître une
édition imprimée.
16eme siecle
1. 16eme Introduction
Avec le XVIè commencent les temps modernes : humanisme, renaissance, réforme,
inventions, grandes découvertes... Le capitalisme prend naissance ; en politique
l'état moderne se prépare avec les nouvelles théories du pouvoir des rois et des
princes. Mais ces changements importants provoquent de violentes crises et
mouvements sociaux.
2. Histoire politique
2.1. La guerre des paysans
Au XVè la situation des paysans s'aggrave. Les seigneurs augmentent taxes et corvées et
exagèrent leurs droits et prérogatives, ce qui mécontente grandement la paysannerie. Ecrits
prophétiques et incendiaires les poussent à l'action. Ainsi l'écrit révolutionnaire de « L'inconnu
du Rhin supérieur ».
A la fin du XVè éclate à Sélestat le mouvement du « Bundschuh » par opposition à la botte
seigneuriale. Ses chefs Hans Ulmann de Sélestat et Jacques Hanser de Blienschwiller gagnent
beaucoup de partisans en Alsace Moyenne et dressent en mars 1493 au pied de l'Ungersberg
un programme d'action : abolition du tribunal de l'évêque et de l'empereur, chasse aux Juifs
usuriers et abolition des impôts injustes. Mis au courant de l'affaire, les autorités arrêtent les
insurgés et les condamnent à mort.
Mais le mécontentement persiste et en 1517 les régions des deux cotés du Rhin se soulèvent.
A leur tête Joss Fritz. Le mouvement est rapidement écrasé mais n'en devient que plus
révolutionnaire. Dès 1524 des soulèvements éclatent à Nuremberg, en Suisse et en Forêt
Noire.
Début avril 1525 de sévères mesures sont prises contre les prédicateurs luthériens. Alors la
révolte éclate et s'étend comme une traînée de poudre, laissant les autorités totalement
paralysées. Du Sundgau à Sarreguemines les paysans se dressent contre leurs seigneurs laïcs
ou ecclésiastiques. La fureur paysanne se déchaîne contre couvents et abbayes
(Schoensteinbach, Oelenberg, Lucelle, Ebersmunster, Pairis, Altorf, Guebwiller...), bourgs et
petites villes (Ribeauvillé, Bergheim, Riquewihr, Kaysersberg, Ammerschwihr...) et châteaux.
Seules les villes bien armées et les châteaux bien défendus arrivent à résister.
Très vite les paysans s'organisent en bandes ayant à leur tête un chef et un comité. On choisit
un chef suprême, Erasme Gerbert de Molsheim. Le programme des paysans : abolition du
servage, liberté de chasse et pêche, libre jouissance des communaux et forêts, suppression
des impôts injustes, limitation des corvées, réglementation des cens.
La réaction, foudroyante, vient principalement du duc Antoine de Lorraine qui craint
l'extension de la révolte chez lui. Au mois de mai, il marche sur l'Alsace. Les paysans qui ont
pris Saverne s'y laissent enfermer. Une armée de secours de 5 000 hommes est massacrée à
Lupstein (Incendie de l'église). Le 17 mai 1525, ceux de Saverne se rendent contre la
promesse de la vie sauve... Ils sont 20 000. Le duc les fait tous massacrer sans pitié. Parmi
eux, Erasme Gerber.
Le duc marche alors vers le sud et le 20 mai écrase une armée de paysans de Haute et
Moyenne Alsace, commandée par Georges Gundram de Dambach, entre Scherwiller et
Châtenois. Il y a 5 000 morts. Puis il rentre en Lorraine par le val de Villé.
Dans la région de Wissembourg et le Sundgau la révolte persiste et ne sera matées qu'en
septembre (Wattwiller). Aussitôt débute la terrible répression de la part des seigneurs :
emprisonnements, exécutions (Plus de 10 000 par le tribunal d'Ensisheim), taxes,
confiscations... Le mouvement est noyé dans le sang et la situation paysanne empire... Ce
terrible incendie restera un épisode court mais sanglant de l'histoire de l'Alsace.
2.2. Le morcellement territorial
La révolte des paysans n'a aucune répercussion sur la situation politique et les destinées de la
province. Le pays conserve de nombreuses seigneuries laïques et ecclésiastiques. Les deux
Landgraviats se maintiennent, celui de Haute Alsace aux Habsbourg, celui de Basse Alsace
(qui n'est plus qu'un simple titre), aux Évêques de Strasbourg.
L’empereur possède le Grand Baillage de Haguenau en Basse Alsace (la ville et 40 villages
alentour), les 10 villes impériales (Décapole) ; le Grand Baillage est souvent engagé
(Habsbourg 1504, Electeur Palatin, Habsbourg en 1557, qui tentent d'en faire une possession
familiale).
Pour ce qui est des autres possessions, l’Alsace est une véritable mosaïque.
2.2.1. La Haute Alsace
Moins morcelée que la Basse Alsace à cause de l’ancien héritage des Ferrette passé aux mains
des Habsbourg, la Haute Alsace est partagée entre quelques grands seigneurs et de puissants
dignitaires ecclésiastiques :




La maison des Habsbourg possède le Sundgau (Seigneuries de Ferrette, Altkirch,
Thann, Rougemont, Belfort, Ensisheim, Cernay, Bollwiller) jusqu'au portes de Colmar,
la Seigneurie de Hohlandsbourg (acquise en 1563 par le baron Lazare de Schwendi),
Kientzheim et le Val de Villé. Mais beaucoup de ces seigneuries sont engagées à
différents nobles. Le pays est administré par un Landvogt, auquel est adjointe en 1523
une régence civile et judiciaire installée à Ensisheim, et en 1570 une chambre des
finances.
Les seigneurs de Ribeaupierre sont très puissants au XVIè et leur domaine s'étend de
Sainte Marie à la Vallée de Munster.
Les seigneuries ecclésiastiques sont celles de l'abbé de Murbach (Vallée de Guebwiller
et de Saint Amarin), celles de l'abbé de Munster et celles de l'évêque de Strasbourg
(Mundat supérieur avec Rouffach).
les comtes de Wurtemberg régissent le pays de Montbéliard et la région de Riquewihr
et Horbourg.
2.2.2. La Basse Alsace
Le morcellement y est bien plus poussé : les seigneurs les plus importants sont l'évêque de
Strasbourg, les comtes de Hanau-Lichtenberg, la ville de Strasbourg, les villes impériales, les
seigneurs de Fleckenstein et la chevalerie immédiate d'empire : Andlau, Ratsamhausen,
Landsberg, Bergheim, Boecklin de Boecklinsau, Zorn, Müllenheim...
2.2.3. La décapole
Elle existe toujours, mais doit se défendre contre les Habsbourg. Mulhouse, trop menacée,
s'affilie à la Confédération Helvétique en 1515 ; Landau était entrée dans la décapole dès
1511. Au XVIè, la décapole doit encore surmonter la crise religieuse ; elle y parvient,
sauvegardant son unité.
2.2.4. Les états provinciaux d’Alsace
La division territoriale, les dangers extérieurs, la faiblesse de l'Empereur provoquent un
rapprochement des diverses puissances alsaciennes. Ainsi naît au début XVIè une nouvelle
institution, les « États Provinciaux » (« Landstände »).
Ceux de la Basse Alsace se réunissent pour délibérer de leurs intérêts communs, suivis par
ceux de Haute Alsace sous l'égide de la maison d'Autriche. Finalement les deux Etats se
réunissent en un seul en 1528 à Haguenau, et dans les années suivantes l'institution continue
à se développer. Les états comprennent toutes les puissances immédiates d'empire, les
princes et seigneurs laïcs ou ecclésiastiques et les villes.
Bientôt les Etats deviennent une institution permanente qui, bien que non reconnue
officiellement et malgré les dissensions religieuses, donne à la province une véritable
personnalité politique. Les Habsbourg et les Evêques de Strasbourg convoquent les Etats pour
la Haute et Basse Alsace et leur action se manifeste dans plusieurs domaines : maintenir la
paix publique, conjurer les dangers extérieurs, entretenir des troupes, promulguer des
règlements de police dans les domaines économiques, financiers et judiciaires (salaires, prix
du blé, mesures anti-mendiants ou anti-alcooliques).
Pendant près d'un siècle les Etats exercent une activité très bénéfique. Malheureusement
l'institution sera ruinée par la guerre de Trente Ans.
2.2.5. L'apogée de Strasbourg
Au début du XVIè, la ville de Strasbourg est à son apogée. Sa constitution se développe avec
son magistrat et son conseil, le collège des échevins et diverses commissions. La ville est
dirigée avec prudence par le patriarcat d'affaires. Vers l'extérieur, la « République » sait se
faire respecter, justifiant l'éloge d'Erasme à Wimpfeling en 1514 : « J'ai vu une monarchie
sans tyrannie, une aristocratie sans factions, une démocratie sans désordre, de la richesse
sans le luxe, le bonheur sans l'orgueil. Peut-on imaginer bonheur plus grand que cette
harmonie ? »
2.2.5.1. Humanisme et renaissance
Depuis le XVè la ville est devenue un centre d'humanisme, de savants, d'artistes. Le plus
célèbre est incontestablement Jean Gutenberg. La réforme s'introduit rapidement dans la cité :
dès 1529 la doctrine de Luther est adoptée officiellement. Mais la ville accueille aussi les
adeptes de différentes tendances protestantes (Calvinistes).
L'instruction se développe rapidement. La renaissance produit de belles demeures : Hôtel de
Ville (Chambre de commerce), Grande boucherie (Musée Historique) et de nombreuses
maisons patriciennes.
L'excellente situation financière, le développement de l'artisanat, le commerce et les affaires
économiques procurent à la ville un grand essor économique. Cette brillante situation, la ville
en est redevable à l’un de ses plus remarquables citoyens, Jacques Sturm de Sturmeck.
2.2.5.2. Jacques Sturm de Sturmeck : 1489 - 1553
Issu d'une vieille famille strasbourgeoise, Sturm possède une remarquable culture humaniste.
Dès 1524 il est membre du conseil et de divers collèges, et joue un rôle prépondérant dans la
direction des affaires municipales, notamment dans la question de l'enseignement. Dès 1526 il
est élu « Stettmeister » et let sera encore à diverses reprises. Pendant de longues années, il
représente la ville dans toutes les conférences politiques et religieuses et se distingue par sa
politique mesurée et habile, par son idéalisme et la hauteur de ses vues. Il défend la ville avec
succès, mais devient aussi l'orateur d'autres cités, assurant ainsi à Strasbourg un rôle de chef
de file.
Or les temps sont difficiles : Réforme, lutte entre la maison des Habsbourg et la France...
Strasbourg adhère à la ligue de Smalkade en 1530 et négocie une alliance avec François Ier.
Mais en 1547 Charles Quint bat la ligue, mettant Strasbourg dans une situation délicate. Grâce
à l'habileté de Sturm lors de la négociation de Nördlingen, la ville garde tous ses droits. Eu
1552 quand Henri II de France, allié à la ligue prend Metz, Toul et Verdun puis s'avance
jusqu'à Brumath, la ville reste fidèle à l'Empereur et ferme ses portes au roi qui rebrousse
chemin.
Jacques Sturm meurt en 1553 à Breuschwickersheim dans un semi exil. Fondateur de la
grandeur de la cité, il fut un brillant personnage qui domina toute son époque.
Malheureusement après sa mort la ville décline rapidement, en raison de la guerre dite « du
Grand Chapitre » (1583ss), de l’intransigeance d’une nouvelle classe politique montante ultraluthérienne et de la « Guerre des Evêques » (1592-1604) qui entraîne la ruine financière de la
ville.
2.2.6. Vie économique et sociale
L'Alsace profite grandement de l'essor du commerce qui caractérise le début des Temps
Modernes. Tous sont unanimes pour faire l'éloge de l'Alsace, de sa prospérité, de sa richesse.
Ainsi le « Weltbuch » de Sébastien Franck (1534) ou la « Cosmographie » de Sébastien
Munster (1552 éd. française), ou encore les éloges de Wimpfeling, Matthias Ringmann
Philesius, Bernard Hertzog, Blinde Rösslin qualifiant le pays de « Edelsass »...
2.2.6.1. Agriculture
Elle est une des plus riches de l'Europe. Les céréales font l'objet d'exportations florissantes.
Les cultures maraîchères dominent dans la région de Strasbourg, Colmar et Sélestat, ainsi que
les plantes industrielles (Colza, chanvre, lin). Arbres fruitiers et châtaigneraies donnent de
bonnes récoltes. Tous ces produits sont vendus en Saxe, Thuringe, Hollande et Angleterre. La
vigne maintient au plus haut niveau sa qualité et sa renommée européenne.
Le gros bétail est élevé dans le Sundgau et les Hautes Vosges où l'on pratique l'alpage et où
l’on fabrique le fromage de munster, déjà réputé. Chevaux, ovins et porcins sont élevés dans
tout le pays.
2.2.6.2. Mines et artisanat
A la fin du XVè sont redécouvertes les mines d'argent de la vallée de Sainte Marie. Elles
avaient été abandonnées au XIVè à cause des difficultés techniques. Mais au XVIè
fonctionnent 67 mines et 10 fonderies. Plus de 2 000 mineurs y travaillent et la ville de Sainte
Marie prend naissance. On trouve aussi dans la vallée du plomb, cuivre et cobalt.
Les gains reviennent aux Habsbourg et aux Ribeaupierre pour la partie sud, et aux ducs de
Lorraine pour la partie nord. Rapidement les mineurs forment la corporation des
« Knappschaft » avec ses coutumes et son juge, le « Bergrichter ».
Vers la fin du XVIè, le rendement minier commence à baisser. Quant au fer, il est exploité à
Giromagny, Framont sur Bruche et en Alsace du nord.
L'artisanat produit pour les besoins de la population et pour l'exportation tissus, cuirs, armes,
vaisselle, bijoux, livres...
L'organisation reste corporative, mais de plus en plus conservatrice : les corporations
deviennent de vrais organes politiques et administratifs : ainsi à Strasbourg il n'y a plus que
20 corporations en 1482 et 10 à Colmar en 1521. Une aristocratie artisanale maintient ses
prérogatives et rend difficile l'accès à la maîtrise. Bien des compagnons restent ouvriers alors
que la maîtrise est largement ouverte aux fils des maîtres ou à des compagnons ayant épousé
la fille d'un maître. Cependant la corporation forme une classe stable et solide qui assure la
force des villes florissantes d'Alsace.
2.2.6.3. Commerce et transports
Le commerce connaît une grande activité, surtout à Strasbourg, où bateliers et armateurs
forment la puissante corporation « A l'Ancre » La Wantzenau forme l'avant-port de la ville.
Mais lors de la Réforme, l'évêque revendique la possession de ce village, et le Magistrat fait
construire un nouveau port vis-à-vis de Kehl. Les bateliers de la ville dominent le fleuve de
Bâle à Mayence. Les échanges sont de même teneur qu'au Moyen Âge, mais leur quantité est
bien plus importante. Deux nouvelles exportations apparaissent : celle d'eau de vie et de
vinaigre.
Strasbourg est un centre de transit considérable. Les marchandises affluent. Déposées à la
douane et soumises à des taxes, elles repartent vers les pays lointains. Ainsi la ville s'assure
d'énormes profits. Les foires contribuent à sa prospérité. Les commerçants de Strasbourg sont
en relation avec tous les pays d'Europe. Mais ils ne fondent pas de succursales à l'étranger et
ne s'adonnent par au trafic maritime. Ils se contentent de faire le commerce de transit des
marchandises européennes, s'enrichissant fortement et devenant ainsi les premiers
capitalistes Alsaciens. Par eux naît le nouveau système du commerce de l'argent et du crédit.
Les Strasbourgeois utilisent les capitaux amassés aux achats de terres puis, fait nouveau, aux
prêts fructueux : la Banque de Strasbourg d'abord privée, puis municipale, est créée en 14821484 et attire rapidement une nombreuse clientèle.
A un moindre degré, les autres villes Alsaciennes participent à ce développement économique,
surtout Colmar, Haguenau et Sélestat.
2.2.6.4. La vie quotidienne
2.2.6.4.1. Les paysans
Les blessures de la Guerre des Paysans se guérissent vite. Les conditions de vie de la
paysannerie restent modestes comme par le passé. On ne parle plus guère des « serfs » non libres, la plupart étant des paysans censiers, les uns pauvres, les autres aisés. Mais la grande
partie des terres reste aux mains des nobles, bourgeois ou clercs. Les modes d'exploitation ne
changent pas, ni la vie matérielle des paysans.
2.2.6.4.2. Les citadins
La vie matérielle s'améliore nettement dans les villes : grandes et belles maisons en pierre
avec portails, larges fenêtres, balcons, oriels. Le mobilier s'enrichit : meubles magnifiques,
abondante vaisselle en terre cuite ou étain, gobelets d'argent. Dans l'habillement, la mode bat
son plein. Banquets, fêtes, danses sont fort abondants. L'Alsace du XVIè donne l'impression
d'une grande joie de vivre.
Mais dès 1550 des changements se produisent : troubles religieux et querelles politiques
créent de nombreux désordres. La nouvelle élite politique au pouvoir tient pour un
protestantisme beaucoup plus puritain et austère… L'insécurité perturbe la vie économique et
quelques faillites inquiètent le milieu économique… Au début du XVIIè, la situation va se
tendre brusquement.
3. Lettres et arts
Le XVIè est aussi le siècle de grands changements dans le domaine des lettres et arts.
L'Alsace participe activement à ce nouvel état d'esprit venu d'Italie, et le XVIè est « Le siècle
d'Or Alsacien ».
3.1. L'Humanisme
L'humanisme se répand surtout par les universités. Mais il n'y en a aucune en Alsace et les
étudiants alsaciens suivent leurs études à Paris, Bologne, puis dès le XVè à Bâle, Fribourg en
Brisgau et Heidelberg.
3.1.1. Les écoles
L'humanisme se propage en Alsace dans la deuxième moitié du XVè à Murbach d'abord avec
Barthélémy d'Andlau (Mort en 1447) qui lance l'école de l'abbaye (Latin, grec, auteurs
anciens). Mais il fleurit surtout à l'école humaniste latine de Sélestat, la plus importante
d'Alsace, sous l'impulsion de Louis Dringenberger qui la dirige entre 1441 et 1474 ; il y réunit
l'élite intellectuelle du pays, et ses successeurs, Jérôme Guebwiller (1501-1509) ou Hans Witz
« Sapidus » (1510-1525) continuent son oeuvre. L'école compte jusqu'à 900 élèves, dont les
célèbres Wimpfeling et Beatus Rhénanus.
3.1.2. Wimpfeling et les humanistes
Jacques Wimpfeling (1450-1528), élève de Dringenberger, continue ses études à Fribourg et
s'y lie avec Geiler de Kaysersberg. Il étudie à Heidelberg, y professe et devient son recteur. Il
est ensuite prédicateur à Spire puis vient s'installer à Strasbourg en 1501, y publie ses
oeuvres et engage de véhémentes controverses, surtout avec Thomas Murner. Il expose ses
vues sur l'enseignement dans son « Adolescentia » et milite pour la création d'une grande
école à Strasbourg, sans cependant y parvenir. Historien, il publie un « Epitome rerum
germanicarum ». Il exerce une grande influence sur tous les humanistes allemands, à. tel
point qu'on le nomme « Praeceptor Germaniae ».
Il devient le chef d'une société littéraire qui groupe Pierre Schott (helléniste), Thomas Wolf
(archéologue), Matthias Ringmann dit « Philesius », chanoine de Saint Dié ( 1511) qui donna
le nom d'Amérique au nouveau continent, Thomas Vogler d’Obernai dit « Aucuparius »
(éditeur), Jérome Guebwiller de Kaysersberg, Ottmar Nachtigall dit « Luscinius » (musicien,
helléniste, éditeur), Jacques Sturm et d'autres. L'école reçut la visite du prestigieux Erasme de
Rotterdam.
En 1515 Wimpfeling s'installe à Sélestat où il groupe autour de lui humanistes et professeurs,
tel Beatus Rhénanus de Rhinau (1485-1547) ami d'Erasme, éditeur, auteur de la « Rerum
Germanicarum libri tres » (1529) et créateur de la célèbre bibliothèque humaniste de Sélestat.
A coté de ces brillantes écoles, il y a d'autres humanistes féconds : le chanoine Sébastien
Murrho de Colmar, Jérôme Boner de Colmar, Jost Galtz et Conrad Pellicanus de Rouffach,
Ulrich Surgent d'Altkirch qui sera recteur de l'université de Bâle.
3.2. La littérature en langue allemande
3.2.1. Sébastien Brant : 1458-1522
C'est le grand écrivain du siècle en langue populaire. Originaire de Strasbourg, il est
professeur à l'université de Bâle puis syndic dès 1501 de sa ville natale. En 1494 il publie à
Bâle sa « Nef des Fous » (« Das Narrenschiff ») qui eut un immense succès. L'auteur
transporte des fous de toutes sortes et de tout milieu en Narragonie. Il dépeint travers,
ridicules et vices des hommes de toutes conditions et fustige leurs mauvais penchants. Brant
est un moraliste qui veut corriger ses contemporains par le rire.
3.2.2. Geiler de Kaysersberg : 1445-1510
Prédicateur à la cathédrale, Geiler exerce une grande influence sur ses contemporains. Il
s'attaque avec véhémence aux abus et demande un retour au Christianisme authentique. Sa
langue est imagée et savoureuse. Il publie lui-même et sera publié après sa mort par ses
amis. Ses plus célèbres sermons sont « Die Émeis », « Des irrig Schaf », « Hellisch Lev » (le
lion infernal), « Von dom Hase im Pfeffer ».
3.2.3. Thomas Murner d’Obernai : 1475-1537
Ce franciscain au langage violent et satirique mène une vie errante à travers toute l'Europe
(Paris, Cracovie, Londres, Bologne, Rostock). Il s'attaque aux abus de l'Eglise, à la Réforme,
aux travers de ses contemporaines « Narrenbeochwöhrung », « Die Gauchmatt » ; « Vom
grossen lutherischen Narren ».
3.3. Les imprimeurs alsaciens
Les imprimeurs servent grandement la diffusion de l'humanisme.
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A Strasbourg, après le départ de Gutenberg, Jean Mentelin, son collaborateur, édite
vers 1460 une Bible latine. Son ami Henri Eggestein de Rosheim ouvre une seconde
imprimerie vers 1466. Puis le nombre grandit pour atteindre 21 imprimeries en 1501 :
Jean Gruninger, Mathias Hupfuff, Jean Knoblauch, Mathias Schürer qui édite Erasme,
Jean Schott (Classiques anciens, Géographie de Ptolémée, Kräuterbuch de Brunfels)...
Strasbourg est avec Cologne et Augsbourg le plus grand centre Rhénan d'imprimerie.
A Haguenau travaillent Henri Gran (Epistolae obscurorum virorum) et Thomas
Anshelm (classique) qui va fonder une Académie.
A Sélestat oeuvre Lazare Schürer.
A Colmar, Armand Farckall et Barthélémy Gruninger.
Enfin la renommée des imprimeurs alsaciens franchit les frontières car on en retrouve
à Cologne, Bâle, Lyon, Paris, Venise, Rome et Naples.
3.4. L'organisation de l’enseignement supérieur
L'humanisme jette les bases d'un nouvel enseignement. En vain Wimpfeling avait demandé la
fondation d'une haute école. Son élève Jacques Sturm réalise le projet en faisant appel à Jean
Sturm, né à Cologne en 1507. Professeur au collège de France à Paris, Jean Sturm accepte en
1537 de venir à Strasbourg.
Il créé un « Gymnase » de neuf classes dans l'ancien couvent des Dominicains. On y enseigne
latin et grec, dans l'esprit de la Réforme. Puis y est ajouté un cycle de cinq années d'études
supérieures (Théologie, littérature, médecine, droit, sciences). Cette institution devient une
des Grandes écoles européennes, dirigée pendant 44 ans par Jean Sturm. En 1566 Maximilien
II la transforme en Académie, puis en 1621 elle aura les droits et titres d'une Université. Mais
Jean Sturm sera destitué en 1581 suite à des intriques religieuses et mourra pauvre en 1589.
En Alsace catholique l'enseignement se transforme grâce aux Jésuites. Pierre Canisius projette
en 1555 la création d'un Grand Collège, création qui n'aura lieu qu'en 1581 à Molsheim. En
1617 le pape transforme le collège en université. D'autres collèges Jésuites seront ouverts à
Haguenau, Sélestat et Ensisheim.
Tous ces établissements ont leur théâtre latin où l'on joue auteurs latins et humanistes,
musique, chants chorals... Ainsi l'action de Thomas Valliser (1563-1648) à Strasbourg, les
fêtes de Molsheim de 1618 pour la création de l'Université, ou celles du centenaire de la
Réforme (1620) et de l'Université nouvelle (1621) à Strasbourg.
3.5. Littérature alsacienne dans la seconde moitié du XVIè
siècle
La littérature tend à devenir plus populaire et produit des oeuvres nombreuses et variées:
3.5.1. Contes et histoires populaires




Le franciscain Jean Pauli écrit « Schimpf und Ernst », recueil d'historiettes gaies et
sérieuses.
Georges Wickram publie en 1555 le « Rollwagenbüchlein », anecdotes à raconter en
voyage.
Jacques Frey de Haguenau publie en 1557 sa « Gartengesellschaft ».
Martinus Montanus de Strasbourg édite son « Wegkürzer ».
3.5.2. Les maîtres chanteurs
Ce sont les successeurs des Minnesänger qui forment des écoles avec des statuts bien définies


Les Maîtres chanteurs de Strasbourg, avec Spangenberg et Schaddaeus.
Les Maîtres chanteurs de Colmar fondés en 1546 par Wickram qui reprend des recueils
de chants de Mayence et Nuremberg, fait représenter de petits morceaux dramatiques
(Les dix Ages, Ruses de Femme, Tobie...), et publie plusieurs romans (Rheinhard, et
Gabriotto, Willibald, des bons et mauvais voisins, le Fil d'Or), ce qui le fait considérer
comme le père du roman allemand.
3.5.3. Thêatre populaire et religieux
Il connaît un certain essor dans toutes les villes. On joue des pièces religieuses (Passion, Cycle
de Noël, Joseph en Egypte), des récite légendaires (Tannhaüser, le fidèle Eckart), et des
comédies de carnaval.
3.5.4. Ouvrages polémiques et religieux
Jean Philippe de Sleidan (Sleidanus) écrit en 1555 l'ouvrage la mieux documenté sur la
Réforme. Il existe aussi quelques chroniques intéressantes : celles de Materne Berler, Daniel
Specklin, Bernhard Herzog.
3.5.5. Poésie
La poésie est dominée par la personnalité du poète Strasbourgeois Jean Fischart (1548-1591)
que l'on peut comparer à Murner. Ennemi des catholiques et des Jésuites, il possède une
fougue redoutable. « Das Glückhafft Schiff », « Récit du voyage des Zurichois » (1576),
« Ehzuchtbüchlein », « Flöhatz » et des oeuvres de traduction (Gargantua). Fischart jouit
d'une réputation européenne.
3.6. L'art de la renaissance en Alsace
Il n'y a dans le pays ni rupture ni condamnation brutale du gothique. Le gothique disparaît peu
à peu. L'art religieux se voit relégué au second plan. La Réforme avec son esprit de simplicité
stricte influence négativement l'art religieux et se tourne vers le profane.
3.6.1. La sculpture
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
Début XVIè elle reste gothique avec Veit Wagner et Hans Hammer à Strasbourg et
Haguenau, Georges Müglich (Croix du cimetière de Colmar, 1507), Hans Bongart
(Maître autel de Kaysersberg, 1518).
Le plus grand sculpteur, Nicolas Hagnover, est encore tout gothique : retable de
l'église de Saverne, Tombeau de l'évêque Albrecht, retable de la cathédrale de
Strasbourg (1501) et sans doute les statues du retable d’Issenheim vers 1505.
La sculpture renaissance n'apparaît que vers 1550 et produit de nombreuses oeuvres
de moindre importance : têtes, reliefs, médailles, décors…
3.6.2. La peinture
Le XVIè est le siècle des grands peintres alsaciens :



Le Retable d'Issenheim : c’est un polyptyque de 9 tableaux réalisé entre 1510 et
1515 par maître Mathias Nithard Grünewald dépeignant la mort du Christ, la mise au
tombeau, Sébastien et Antoine, l’Annonciation, le concert des Anges, la Nativité, la
Résurrection, la tentation d'Antoine, la visite d'Antoine à Paul l'ermite. Ce retable
constitue l'oeuvre la plus originale de l'aube des temps modernes; c'est un des chefs
d'oeuvre de l'art mondial, exposé au musée d'Unterlinden de Colmar.
Hans Baldung Grien : il naît vers 1476 à Gmünd en Souabe. Il se lie d'amitié avec
Dürer. Il vit et meurt à Strasbourg. Son chef d'oeuvre est le retable de la cathédrale
de Fribourg en Brisgau (couronnement de la Vierge, Apôtres, scènes de la vie de
Marie, 1512-16). On lui doit de nombreux tableaux de la vie du Christ, et surtout de
magnifiques gravures et illustrations de livres.
Les grands maîtres graveurs du début du siècle sont Schongauer et Baldung. Mais
il y a beaucoup d'artistes inconnus qui illustrent des livres et autres publications : ainsi
la Nef des Fous, les sermons de Geiler, les écrits de Murner, les Classiques dont le
Virgile de Grüninger édité en 1502. Mais d'autres graveurs ont laissé un nom :
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Jean Wechtelin travaille à Strasbourg (1506-1526) : la « Postille » de Geiler
(32 gravures).
Fils de Hans Weiditz l'Ainé, Hans Weiditz le Jeune est élève de Burgkmair à
Augsbourg entre 1512 et 1522. Il illustre l'édition Knobloch de la Bible de
Luther (1524), le « Von dur Artzney beider Glück », traduction de Pétrarque
(1532), et le « Kraüterbuch » d'Otto Brunfels (1530 et 1532).
Daniel Xandel réalise 550 dessins pour le « Kräutterbuch » de Jérôme Bock en
1544
Les peintres de la fin du XVIè
o
Wendel Dietterlin (1550-99) décore le nouvel Hôtel de Ville et l'oeuvre Notre
Dame à Strasbourg. Il publie un « Manuel d'Architecture » avec de nombreux
dessins.
o
Thomas Stimmer de Schaffhouse (1534-1584) passe sa vie à Strasbourg :
décoration de façades, portraits, évènements historiques (concours de Tir de
1576); il réalise les peintures de l'horloge de Strasbourg (Cathédrale).
3.6.3. L’architecture


Les formes gothiques se maintiennent longtemps dans les églises (Ammerschwihr). La
transition s’opère lentement, les deux styles se mêlent : ainsi dans l'église des jésuites
de Molsheim érigée par Christophe Wamser (1614-1618).
Par contre, dans le domaine profane apparaissent de nombreuses oeuvres délicates :
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Hôtel de la régence des Habsbourg à Ensisheim (Hôtel de ville) en 1530-47, de
style gothique-renaissance (Salle du conseil).
Hôtel de ville de Mulhouse (1552) avec peintures murales de Christophe
Bockstorffer.
Boucherie (Metzig) de Molsheim (1554)
Hôtels de ville de Boersch, Obernai, Kaysersberg...
Corps de Garde de Colmar avec sa Loggia (1575)
Hôtel de ville de Strasbourg (1585, aujourd'hui Chambre de Commerce), par
Hans Schoch, et second bâtiment de l'oeuvre Notre Dame ; Grande Boucherie
(Musée Historique).
A coté de ces oeuvres officielles, il y a bien des maisons érigées par les riches
patriciens :
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Nouveau château de Ribeauvillé.
Hôtel de l'abbé d'Ebersmunster et des chevaliers de St Jean à Sélestat.
Maison Vogelsberger à Wissembourg (1540).
Maison Kammerzell (1589), maison Lauth, Hôtel des Boscklin - Boecklinsau à
Strasbourg.
Maison Pfister (1537) et maison des Têtes 1608) de Colmar.
Maisons de Riquewihr, Rouffach, Sélestat, Obernai avec leurs beaux oriels ;
Nombreux puits à Obernai (Puits des Six eaux, 1579), Boersch, Rosheim,
Ribeauvillé, Riquewihr...
L'architecture strasbourgeoise influence celle de l'Europe Centrale (château d'Aschaffenbourg
par G.Riedinger de Strasbourg, et la célèbre « Architectura von Vestungen » de Daniel
Specklin de Strasbourg, 1536-15$9).
3.6.4. Les arts décoratifs
Il y a des oeuvres de grande classe, expression de la prospérité du payas armoires massives à
colonnes, tables, sièges à dossiers, lits à colonnes; l'orfèvrerie, menuiserie, poterie, étamage,
tapisserie, verrerie produisent des oeuvres fécondes. La vaisselle devient d'une grande
recherche (Hanaps de Ribeauvillé).
Une oeuvre mérite une attention spéciale : l'horloge astronomique de la cathédrale de
Strasbourg créée par les mathématiciens Dasypodius et Wolckenstein et les horlogers Isaac et
Josias Habrecht (1571-1574. restes au Musée de l'Oeuvre).
4. Histoire religieuse
4.1. Situation de l’église à la veille de la réforme
Depuis longtemps on réclame dans l'Eglise une réforme « Dans la cité et dans les membres ».
Mais ni le concile de Constance (1414-18), ni celui de Bâle (1431-1449) n'y parviennent.
L'autorité papale diminue ; les abus du clergé sont nombreux et les laïcs s'immiscent dans les
affaires purement cléricales.
Des hommes clairvoyants s'efforcent de réagir : Geiler de Kaysersberg entre 1479 et 1510 à
Strasbourg, qui ne demande cependant pas une réforme dogmatique, mais essentiellement
morale.
4.1.1. Le diocèse
Le Grand Chapitre n'admet en son sein que des Nobles. L'évêque, noble aussi, n'a d'autre
souci que celui de sa condition matérielle. Les Chanoines possèdent souvent plusieurs
prébendes ou bénéfices. Culte et pastorale son effectués par le bas clergé, mal instruit et mal
payé. Quant à la vie morale du Haut Clergé, c'est un scandale permanent, qui déteint sur le
bas clergé découragé.
4.1.2. Les religieux
La situation morale dans les couvents et abbayes est désastreuse. Moines et moniales mènent
souvent une vie scandaleuse à tout niveau : bonne vie et de bonne chère, mariages très
fréquent...
4.1.3. Les laïcs
La vie des laïcs est aussi dissolue : amusements fréquents beuveries, jeux, laisser-aller total.
Aussi les attaques contre la papauté, évêques, moines deviennent de plus en plus violentes.
Les institutions mêmes de l'Église ne sont point épargnées. Revendications sociales et
révolutionnaires apparaissent, au nom de l'Evangile, contre l'Eglise.
En 1517 Martin Luther devient le porte-parole de cette vague de mécontentement, alors qu’en
Suisse agit Ulrich Zwingli. Bientôt toute l'Europe est ébranlée.
4.2. La réforme à Strasbourg et son extension
La Réforme s'introduit de façon très diverse en Alsace. Strasbourg l'admet très tôt et exerce
une grande influence. Dans les villes impériales et autres territoires les nouvelles idées se
répandent d’une façon inégale. Peu à peu, et surtout après 1555, c'est le principe « Cuius
regio, huius religio » qui va s'imposer.
4.2.1. Les débuts à Strasbourg
Dès avant 1520 les écrits de Luther et d'autres se répandent dans la ville. Les premiers à
prêcher la foi nouvelle sont Mathias Zell, prédicateur à la cathédrale, et Symphorien Pollio,
curé de Saint Etienne. Evêque et chapitre résistent faiblement, alors que le Magistrat
sympathise rapidement avec les Réformateurs et les protège.
D'autres réformateurs arrivent rapidement dans la ville : Wolfgang Capito de Haguenau en
1523, Martin Bucer, Dominicain de Sélestat, marié et excommunié en 1521. Bucer se révèle le
plus ardent défenseur de la Réforme. A son tour, le nouveau prédicateur de la cathédrale,
Caspar Hedio d’Ettingen en Bade, passe à la Réforme.
La même année 1523 le Magistrat ordonne que les sermons soient uniquement faits dans
l'esprit évangélique, donnant à la Réforme une base quasi juridique. Il s'arroge en outre le
droit de haute surveillance en matière de foi et de discipline, et permet aux Réformistes le
droit de jouissance des biens ecclésiastiques.
Certes les adversaires de la Réforme ne manquent pas, mais ils sont contrés par le magistrat.
Ainsi l'évêque Guillaume de Honstein (évêque de 1506 à 1541) qui tente de réformer son
clergé. Ainsi le franciscain Thomas Murner, ennemi le plus acharné de la foi nouvelle ; mais
son « Grand fou Luthérien » est interdit, puis lui-même est chassé de la ville en 1524. Ainsi
l'Augustin Conrad Treger dont le couvent sera pris d'assaut et le recteur de l'école de la
Cathédrale Jérôme Guebwiller qui doit s'installer à Haguenau où il continue la lutte.
La Réforme continue à progresser : en 1524 on commence à dire la messe en allemand.
Excommuniés, les Réformateurs passent à l'attaque : les églises sont enlevées aux
catholiques, le culte catholique est aboli, les images saintes détruites, les ecclésiastiques
expulsés. Malgré les injonctions de l'empereur, le Magistrat interdit la messe et en interdit la
participation aux catholiques, même en dehors de la ville. A la Diète de Spire en 1529, les
représentants de Strasbourg sont parmi ceux qui « Protestent » contre l'interdiction de la
Réforme.
4.2.2. L'organisation de la réforme à Strasbourg
Dès 1530 Strasbourg devient un centre de la Réforme. Les réformateurs de toutes tendances
y trouvent refuge, dont les Anabaptistes et Calvin qui y dirige la paroisse française entre 1539
et 1541. Le Magistrat s'arroge tous les droits en matière religieuse, sécularise les biens de
l'Eglise et en 1533 créé une nouvelle autorité de 21 laïcs (3 par paroisse) sous un directoire de
4 membres du Conseil : cette autorité s'occupe du nouveau règlement ecclésiastique.
Strasbourg adhère à la ligue de Smalkade. Vaincue en 1547 elle doit accepter l'Intérim
d'Augsbourg en 1548. Le traité conclu entre Erasme de Limbourg, évêque de 1541 à 1568 et
le Magistrat pour dix ans, stipule que les catholiques ont accès à la cathédrale, Saint Pierre le
Jeune, Saint Pierre le Vieux et aux chapelles conventuelles. Mais après ces 10 ans le Magistrat
supprime l'Intérim, sauf pour les couvents.
Parmi les tendances réformées, la Confession d'Augsbourg s'impose. Après le départ de Bucer
et la mort de Hedio (1552), Jean Marbach de Lindau (près de Constance) devient directeur au
chapitre Saint Thomas en 1547. Partisan d’un protestantisme austère et intransigeant, il
propage la doctrine de Luther dans le centre Saint Thomas, lutte contre les Catholiques, les
Calvinistes et les Anabaptistes. Il combat Jean Sturm, fait entrer ses partisans dans le corps
professoral, surtout Jean Pappus qui devient après sa mort (1572) superintendant luthérien,
et fait chasser Jean Sturm. Mais la querelle du Grand Chapitre et la guerre des Evêques ruine,
avec la prospérité de la ville, l'espoir du magistrat de gagner tout le diocèse au luthérianisme.
4.2.2.1. La réforme en Alsace
4.2.2.2. Haute Alsace


Les princes Habsbourg, piliers de l'Eglise, maintiennent leurs territoires dans le
Catholicisme, ainsi que les abbés de Murbach (Vallées de Guebwiller et de Saint
Amarin).
Mulhouse passe à la Réforme après son adhésion à la Confédération helvétique, à la
suite des moines Augustins et de deux curés.





Munster et la vallée supérieure de la Fecht se réforment à la suite de l'abbé Burkhard
Nagel. Mais l'abbaye revient au Catholicisme. De sanglantes luttes ont lieu en 1569 à
propos de l'installation d'un curé catholique à Munster, Lazare Schwendi.
Kaysersberg, Turckheim et Ammerschwihr restent au catholicisme.
Colmar reste catholique jusqu'en 1575. Mais suite à l'immigration de Protestants, le
Conseil décide l'introduction de la Réforme à laquelle adhère une grande partie de la
population.
La seigneurie de Horbourg - Riquewihr passe dès 1534 à la Réforme, à la suite des
Wurtemberg, leurs seigneurs.
Les seigneurs de Ribeaupierre passent à la Réforme en 1555 avec Egenolphe III, mais
les territoires, fiefs catholiques, ne suivent pas.
4.2.2.3. Basse Alsace






Sélestat reste un bastion catholique malgré les efforts du curé Seidensticker et du
recteur Witz-Sapidus.
Obernai et Rosheim gardent la vieille foi ainsi que les territoires épiscopaux (Molsheim,
Saverne, Erstein, Benfeld, Dambach, Marckolsheim).
A Haguenau, au début, Wolfgang Capito est contré par Jérôme Guebwiller. Mais dans
la deuxième moitié du siècle le Magistrat est gagné à la Réforme. Des querelles en
suivent mais la majorité des bourgeois restent catholiques. La Réforme ne peut
s'introduire dans les 40 villages du baillage.
Wissembourg passe à la Réfome à cause de ses relations tendues avec l'abbaye. Elle
soutient la révolte des paysans et en sera durement châtiée par l’électeur Palatin. Mais
en 1560 la Réforme triomphe à nouveau.
Les Seigneurs de Basse Alsace adoptent la réforme en grande majorité : les Hanau
Lichtenberg en 1545 (7 villes et 138 villages), les Fleckenstein, les Lützelstein (Petite
Pierre), les Linange, les Sarrewerden, les Deux Ponts, la noblesse Immédiate
d'Empire.
Barr et Wasselonne, territoires de la ville de Strasbourg, passent à la Réforme.
4.3. La restauration catholique
Le catholicisme sera long à regrouper ses forces et à réagir.
4.3.1. Les débuts
Les évêques des deux diocèses tentent de remédier aux abus du clergé par des synodes,
visites canoniques, règles de discipline ; mais ils se heurtent aux princes et nobles catholiques
jaloux de leur autorité. Ainsi Erasme de Limbourg qui participe au concile de Trente fait appel
au Jésuite Pierre Canisius et projette l'ouverture dune école de Jésuites. Le projet ne sera
réalisé que sous son successeur Jean de Mandersheid-Blanckenheim (1569-1592).
4.3.2. Les jésuites
En 1581 ils ouvrent un collège à Molsheim, et l’établissement acquiert une grande renommée.
De Molsheim, les Jésuites rayonnent, prêchent, enseignent, fondant des confréries et des
congrégations. L'Évêque les charge de visites canoniques dans toutes les paroisses.
Ils prennent en main la formation du clergé. Un séminaire est créé à Molsheim en 1613 et
érigé en université en 1617, nommé Léopoldianum, qui durera jusqu'en 1683, date de la
fondation du séminaire de Strasbourg par Egon de Furstenberg. En Haute Alsace l'archiduc
Maximilien créé un séminaire à Ensisheim dès 1551 qui sera confié aux Jésuites en 1614.
Ainsi, dès la moitié du XVIè, la renaissance du Catholicisme s'intensifie.
4.3.3. La querelle du chapitre et la guerre des évêques
Mais tout va être remis en cause par de longues luttes.
4.3.3.1. La querelle du Grand chapitre
Dès 1584 il y a quatre chanoines protestants au Grand Chapitre. Ils siègent à Strasbourg,
alors que les Chanoines Catholiques siègent à Saverne. Les protestants en cooptent d'autres,
jusqu'à 16 membres prêts à élire le cas échéant un évêque protestant. La querelle sera
violente jusqu'à la mort de l'évêque Jean de Manderscheid en 1592.
4.3.3.2. La guerre des évêques
Le Chapitre élit alors à Strasbourg Jean-Georges de Brandebourg, jeune homme de 15 ans,
comme administrateur épiscopal. Mais à Saverne les Catholiques élisent Charles de Lorraine,
déjà évêque de Metz. Une véritable guerre éclate entre la Maison de Lorraine et le
Protestantisme Alsacien, la Guerre des Evêques, qui va durer de 1592 à 1604. Cette guerre,
aucun des deux partis ne peut l’emporter, mais elle dévaste et désole une grande partie de la
Basse Alsace, et surtout ruine financièrement la ville de Strasbourg.
Finalement Henri IV de France impose sa médiation : le traité de Haguenau est signé en
1604 : Charles de Lorraine devient évêque de Strasbourg. Son concurrent et les chanoines
luthériens reçoivent de substantielles indemnités. Charles de Lorraine meurt en 1607 et
l'archiduc Léopold d'Autriche, coadjuteur depuis 1595 lui succède, étendant l'influence
Habsbourg en Basse Alsace.
4.3.3.3. Situation de l'Eglise à la fin du XVI
Fin XVIè, le protestantisme stagne en Alsace. Le dogmatisme de Marbach et de Pappus
provoque une réaction piétiste, faisant refleurir la piété médiévale. Mais l'opposition entre
catholiques et protestants restera farouche.
Quant à la restauration catholique, elle fait de bons progrès, surtout à Haguenau, Fegersheim,
Griesheim, Marlenheim, Andlau et la Walff.
Mais la Guerre de Trente ans va bloquer net ce renouveau et ruiner tout le pays.
17eme siècle
1. La guerre de trente ans
De 1618 à 1631
Les suédois en Alsace : 1632 – 1634
Les français occupent l’Alsace : 1634 – 1637
La campagne de Bernard de Saxe : 1637-1639
Les dernières années de la guerre : 1640-1648
Les traités de Westphalie
Le XVIIè siècle est pour l'Alsace le temps des guerres et des malheurs qui provoquent la
décadence politique, économique et culturelle. La guerre de Trente ans (1618 - 1648) est
l'épreuve la plus douloureuse, la passion la plus cruelle du peuple Alsacien.
1.1. De 1618 à 1631
La violente opposition entre les Catholiques (Habsbourg) et les Protestants (Princes
Allemands) aboutit en 1608 à la création par les Princes de « l'Union Evangélique » sous la
direction de Frédéric V, l’électeur Palatin. Les Catholiques forment pour les contrer la « Sainte
Ligue » dirigée par Maximilien de Bavière. Strasbourg et Wissembourg adhèrent à l'Union,
mais Léopold de Habsbourg, évêque de Strasbourg tient pour la Ligue.
En 1618 c'est la Défénestration de Prague et l'élection par les Tchèques de Frédéric V roi de
Bohème. Mais Tilly bat Frédéric V qui s'enfuit. Alors en 1621 Ernst de Mansfeld, général de
Frédéric V envahit avec ses mercenaires la région de Wissembourg, Saverne et Haguenau,
dévastant et pillant. Devant la faiblesse de Léopold et les dissensions des Princes, Mansfeld
songe à créer une principauté indépendante avec Haguenau comme capitale. Un de ses
officiers, Von Obentraut, pousse en Haute Alsace, dévastant les villages catholiques et
protestants.
En mars 1622 Léopold contre-attaque et assiège Haguenau. Mais Mansfeld arrive
soudainement : l'évêque se retire et Mansfeld pille à nouveau la Basse Alsace en juillet :
Obernai, Rosheim, Andlau et les villages entre Strasbourg et les Vosges Moyennes et le Mont
Saint Odile souffrent terriblement jusqu'au départ des Lansquenets pour la Lorraine et les
Pays-Bas.
La guerre se poursuit en Allemagne avec l'intervention de Christian du Danemark qui sera
finalement vaincu par Tilly et Wallenstein. En 1627, Ferdinand II publie l'édit de Restitution:
les Protestants doivent remettre aux Catholiques tous les territoires pris depuis 1552; ainsi
Colmar doit revenir au Catholicisme. Entre temps, les efforts de Richelieu aboutissent à une
alliance avec les Suédois contre les Habsbourg.
Le XVIIè siècle est pour l'Alsace le temps des guerres et des malheurs qui provoquent la
décadence politique, économique et culturelle. La guerre de Trente ans (1618 - 1648) est
l'épreuve la plus douloureuse, la passion la plus cruelle du peuple Alsacien.
1.2. Les suédois en Alsace : 1632 – 1634
La foudroyante offensive de Gustave Adolphe se termine tragiquement pour lui à Lützen le 16
novembre 1632. Mais son chancelier Oxenstiern et le général Gustave Horn prennent les
choses en main : Le 7 juin 1632 Strasbourg conclut une alliance avec les Suédois alors que les
généraux impériaux Ossa et Montecuculi placent des troupes dans leurs villes fortifiées ; en
automne 1632 Horn envahit l'Alsace par Kehl. Le 1er septembre Erstein est pillée, puis
Obernai et Rosheim. Benfeld résiste sous les ordres de Louis Zorn de Bulach : elle capitule
après 7 semaines de siège et qu'une armée de secours eut été battue à Ebersheim. Le
gouvernement Habsbourg d'Ensisheim reste totalement inactif.
Rouffach tombe le 21 novembre, Sélestat le 12 décembre. Le gouvernement Habsbourg se
réfugie à Thann, puis à Porrentruy, enfin à Brisach. Le 20 décembre 1632, c’est la chute de
Colmar. Horn quitte alors l'Alsace et le Rheingraf Otton termine la conquête par la prise de
Thann et de Belfort. Haguenau doit accepter une garnison suédoise : au début de 1633 tout le
pays est aux Suédois, sauf Saverne et Dachstein.
Devant le saccage et le pillage, les paysans du Sundgau se soulèvent fin janvier 1633 : il
prennent Ferrette, tuent le comte d'Erlach, marchent vers Bâle et Belfort, mais une colonne
est massacrée à Blotzheim par Von Harpff, et l'autre par Otton à Vézelois en mars. Par contre,
le comte Lorrain de Salm, parti de Saverne, reprend Haguenau aux Suédois.
Au printemps 1633 le comte Christian de Birkenfeld remplace Otton. Il écrase l'armée lorraine
à Pfaffenhoffen en août, mais ne peut reprendre Haguenau. En automne, l'armée Espagnole
catholique du duc de Feria arrive en Alsace. Les Suédois évacuent en grande partie la Haute
Alsace et lèvent le siège de Brisach. Les Espagnols passent en Souabe. Toutes ces armées
vivent sur le pays dont la situation matérielle devient catastrophique.
1.3. Les français occupent l’Alsace : 1634 – 1637
C'est alors que Richelieu, pour contrecarrer la politique dos Habsbourg intervient directement.
Fin 1633 le comte de Hanau - Lichtenberg met ses biens sous protection française : les
armées royales occupent Bouxwiller, Neuwiller et Ingwiller. En janvier 1634 le comte de Salm
demande au Maréchal de La Force la protection pour Haguenau et Saverne, à condition que
ces villes réintégrassent l'Empire après la guerre. Le 6 septembre 1634, les Suédois sont
battus à Nördlingen et implorent l'aide de la France : le 9 octobre un traité stipule que toutes
les places fortes d'Alsace aux mains des Suédois passent au Français, hormis Benfeld, tout en
garantissant droits et privilèges de ces villes (Colmar, Sélestat, Marckolsheim, Turckheim,
Ensisheim, Munster, etc...). Prudent, le magistrat de Colmar conclut un accord spécial à Rueil
pour réitérer les garanties. Ainsi, à la fin de 1634 une grande partie de l'Alsace se trouve entre
les mains de Louis XIII.
Richelieu va plus loin : par le traité de Saint Germain il place l'armée Suédoise (en fait une
majorité de mercenaires) sous le commandement du jeune Prince Bernard de Saxe-Weimar,
lui entretient une armée de 18 000 hommes et lui accorde les droits sur les territoires
alsaciens des Habsbourg. L'Alsace connaît alors ses plus terribles années de guerre : les
armées les plus diverses s'installent, pillant, dévastant, torturant, brûlant, massacrant et se
comportant en pays conquis : Impériaux, Croates, Polonais, Français, Lorrains, Suédois,
Espagnols... La misère la plus noire règne avec son cortège de famines, misère et épidémies.
Jamais le pays n'a connu telle détresse.
1.4. La campagne de Bernard de Saxe : 1637-1639
En juillet 1637 le Prince Bernard passe en Alsace, prend Ensisheim et tout le pays jusqu'à
Benfeld. En automne il conquiert le Brisgau, Seckingen, Waldshut, Rheinfelden, et assiège
Breisach, défendue par le Baron Jean Henri de Reinach. La ville tombe le 17 décembre 1638
après deux mois de résistance acharnée.
Bernard de Saxe Weimar caresse alors l'idée de créer une grande principauté indépendante
formée de la Haute Alsace, du Brisgau, de la Franche Comté et de la Bourgogne. Mais tel n'est
pas le plan de Richelieu : les relations se tendent de plus en plus… lorsque le Prince meurt
subitement – et mystérieusement - le 18 Juillet 1639 à l’âge de 34 ans.
Par de l'argent et des promesses, Richelieu soudoie les officiers de l'armée weimarienne :
celle-ci, par la convention du 9 octobre 1639 se met au service de la France : Mr. D'Oysonville,
lieutenant de Louis XIII devient l'adjoint du gouverneur de Breisach, le comte d'Erlach. Peu
après, d'Oysonville devient « Intendant de Justice, police et finances de l'Alsace, du Brisgau et
du Sundgau ».
1.5. Les dernières années de la guerre : 1640-1648
Après cette convention, les Weimariens quittent l'Alsace qui cesse d'être un champ de bataille.
Sauf Strasbourg et Mulhouse, toute l'Alsace est aux mains du Roy Très Chrétien. Mais en 1642
le pays est à nouveau ravagé par le duc de Lorraine et le passage de l'armée française de
Guébriant repoussée d'Allemagne. La guerre s'achève en Bohème et en Bavière : Ferdinand II,
battu par les Français et les Suédois se résigne en 1648 à signer les traités de Munster en
Westphalie.
1.6. Les traités de Westphalie
En fait, les négociations sont engagées dès 1644 à Munster et Osnabrück entre les français
d'Avaux et Abel Servien, les Impériaux Von Trautmannsdorf et Volmar, le Suédois Oxenstiern.
Strasbourg y délègue de docteur Otto et Colmar Balthasar Schneider, qui ont la partie difficile
face à d'aussi chevronnés diplomates.
Bientôt la France demande de grandes parties de l'Alsace, contrairement aux accords de 1633
et 1634. Schneider se bat pour la sauvegarde des droits et privilèges impériaux des villes
d'Alsace. On le rassure, mais la méfiance des villes grandit. Aux préliminaires de paix (13
septembre 1646), la France aurait la possession des territoires alsaciens des Habsbourg, mais
les villes libres garderaient leur immédiateté d'Empire. La signature définitive du 24 octobre
1648 ne change pas grand'chose. Strasbourg sauve son indépendance. Les articles 75, 76 et
89 stipulent en particulier :



Les Habsbourg cèdent à la France le Sundgau, Brisach, les seigneuries autrichiennes
avec Ensisheim, le titre de Landgraviat de Haute Alsace, le Grand Baillage de
Haguenau avec ses 40 villages et les villes de la Décapole.
Le roi de France acquiert le titre de Landgrave de basse Alsace, ce qui lui permettra
bien des prétentions dans le futur.
Le roi de France garantit leur immédiateté d'empire aux Seigneurs et Villes d'Empire
(Décapole, évêque de Strasbourg, évêque de Bâle, Abbés de Murbach et Munster,
Seigneurs de La Petite Pierre, Hanau Lichtenberg, Fleckenstein, Chevaliers d'Empire)…
Le traité comporte la clause « ita tamen » à savoir que cette déclaration ne devait pas porter
préjudice aux droits souverains acquis par le roi. Ainsi formulée, cette décision, voulue par les
deux camps, permet d'interpréter le traité comme on le veut. Ainsi naît la « Question
d'Alsace » : ce sera le droit du plus fort qui l'emporterait...
1.2. L’Alsace devient française
Les premières années : 1648 – 1655
Le premier intendant. Le conseil souverain
Les tensions entre la décapole et la France
La guerre de Hollande
Paix de Nimègue et Chambres de Réunion
La prise de Strasbourg : 1681
Les dernières guerres de Louis XIV
2.1. Les premières années : 1648 – 1655
Après 1648 la situation en Alsace reste confuse d'autant plus qu'à Paris la fronde secoue le
pouvoir de Mazarin. En 1649 le comte d'Harcourt est nommé premier administrateur d'Alsace
« Gouverneur et Lieutenant Général pour Sa Majesté en la Haute et la Basse Alsace et Grand
Bailli de Haguenau... » Mais D'Harcourt est davantage préoccupé par la Fronde et ne sait trop
quel est son rôle en Alsace. La Province se voit tenue de payer sa part de l'indemnité de
guerre à la Suède, somme trop élevée pour cette province exsangue. En outre le duc de
Lorraine, à qui le traité n'avait pas rendu son duché, continue la guerre : en 1652 ses troupes
pillent Ribeauvillé puis razzient en Haute et Basse Alsace ; il faut réunir une milice pour le
chasser.
D'Harcourt arrive en Alsace en 1652. Frondeur, il rêve de faire de l'Alsace une principauté à lui
et négocie avec l'agent espagnol Lisola. Il se heurte à la Décapole, négocie avec elle, mais est
désavoué par Mazarin. La Fronde s'écroule et en 1654 par l'accord de Bâle, d’Harcourt
abandonne son poste contre une forte rente. A partir de 1655 cette situation confuse va
changer.
2.2. Le premier intendant. Le conseil souverain
Pour attirer les Alsaciens dans le giron français, Mazarin nomme un fonctionnaire jeune et
énergique, Charles Colbert de Croissy, 26 ans, frère du futur ministre. Il est nommé intendant
« des finances et de la police » en 1655, puis ses fonctions sont élargies « à la justice et aux
vivres ». Autoritaire, réaliste, incorruptible, administrateur habile, il est d'une activité
débordante.
Il se rend compte que les Alsaciens veulent la paix, la sécurité, le travail et la production.
Pendant 7 ans il oeuvre à relever le pays, à faire disparaître les ruines, à introduire une
administration saine et efficace.
Pour commencer, il s'efforce de voir clair clans la mosaïque politique alsacienne qui cadre mal
avec les structures d'un état Français centralisé. Pendant deux ans, il fait examiner en détail la
situation de l'Alsace et rédige son célèbre « Mémoire » au roi. En 1656 un premier objectif est
atteint: celui de la création du « Conseil supérieur d'Alsace », cour de justice suprême
siégeant à Ensisheim, qui devient peu après le « Conseil souverain d'Alsace » auquel sont fixés
deux buts:


Juridique : tous les Alsaciens sujets du Roi s'y adressent pour obtenir justice.
Politique : interpréter dans le sens français les articles ambigus de 1648 dans le
dessein de faire de l'Alsace une province française.
L'ouverture solennelle du Conseil a lieu le 4 novembre 1658.
2.3. Les tensions entre la décapole et la France
Selon le traité de 1648, la Décapole doit continuer à dépendre du Saint Empire. Mais selon
l'une des clauses, elle doit reconnaître le Roi de France comme Grand Bailli. Or le
gouvernement royal très centralisateur ne peut laisser cette équivoque subsister ; aussi la
Décapole devait s'attendre à des mesures limitant ses privilèges:



La première vient du Conseil Souverain qui décide de soumettre la Décapole à la
même juridiction que les domaines « ci-devant » autrichiens. Mais devant la fermeté
de l'intendant, toutes les villes (sauf Colmar) se soumettent.
En décembre 1659 Louis XIV fait don à Mazarin du Comté de Ferrette, des seigneuries
de Delle, Belfort, Thann, Altkirch et Issenheim, et le nomme gouverneur et Grand
Bailli. Le cardinal meurt en 1663 et fait hériter son neveu Charles Armand de la
Meilleraye, époux d'une de ses nièces. Cet incapable commet bien des erreurs : il
demande en décembre 1661 aux villes le serment de fidélité au roi : elles refusent.
Mais la situation avait changé ; après une nouvelle demande, les villes se soumettent
et prononcent le serment le 10 janvier 1662… tout en demandant l'intervention de
l'Empereur Léopold I.
En 1663 une délégation de la Décapole se rend à la diète qui négocie avec
l'ambassadeur de France De Gravel, partisan d'un règlement pacifique. Mais Louis XIV
refuse de soumettre la question à un tribunal arbitral. Les villes refusent alors toutes
les propositions faites par le duc de Mazarin et restent sur leurs positions (Colmar
frappe encore sa monnaie en 1666 aux armes de l'Empire). De son coté, Gravel gagne
du temps en faisant créer une commission d'arbitrage de 8 membres (4 de chaque
coté) qui discutent avec une lenteur calculée de 1666 à 1672. La commission décide
en 1672 que le roi de France a droit de protection, mais non de suzeraineté. Ce qui
mécontente le souverain... Mais celui-ci a une autre préoccupation bien plus
importante : la guerre.
2.4. La guerre de Hollande
En 1673 une vaste coalition européenne se forme contre Louis XIV qui décide de prendre des
mesures militaires, notamment en Alsace : En novembre 1672, les troupes françaises
démolissent le pont entre Strasbourg et Kehl.
En juin 1673, après que le prince de Condé, chef des troupes du Rhin se fut plaint au roi de
l'incapacité du duc de Mazarin, Le Roi décide d'agir en personne et se porte vers l'Alsace avec
des milliers d'hommes, afin de briser la résistance de la Décapole et surtout celle de Colmar.
Louvois fait savoir à la cité que le roi, se rendant à Brisach serait offensé par la vue des
canons sur les remparts de la ville. Peu de jours plus tard, le 28 août, le marquis de Coulanges
pénètre dans Colmar par ruse et l'occupe. Les bourgeois doivent livrer leurs armes, et dès le
30 août 1673, 6 000 soldats, paysans du Sundgau et mineurs de Sainte Marie démolissent les
remparts. Par la suite, Louvois ordonne la destruction des remparts de Sélestat, Haguenau,
Wissembourg, Munster, Obernai, Rosheim.
En 1674 les Français tentent d'interdire aux Impériaux le passage du Rhin. Vaubrun occupe à
cet effet le territoire neutre de Strasbourg. Le Magistrat fait alors reconstruire le pont de Kehl,
et le 29 septembre 1674 le Duc de Lorraine et le Duc de Bournonville entrent clans la ville à la
tête des Impériaux.
Aussitôt Turenne, commandant en chef des armées royales, se porte à l'ennemi. Le 4 octobre
il livre bataille à Entzheim. Le terrible combat reste indécis et fait 6 000 tués et blessés.
Frédéric Guillaume arrivant en renfort avec ses 22 000 Brandebourgeois, Turenne se replie
sagement en Lorraine et les Impériaux établissent leurs quartiers d'hiver, pillant et saccageant
les villages.
Turenne marche alors vers le sud par Épinal et Remiermont. Il atteint Belfort le 19 décembre
et débouche en Alsace du sud ; les Impériaux, totalement surpris, attaqués à Brunstatt le 28
décembre, refluent en désordre vers le nord. Ils créent en hâte une ligne de défense entre
Colmar et Turckheim. Prévoyant l'échec d'une attaque frontale, Turenne passe par le flanc de
la montagne, débouche dans la vallée de Munster et s'empare de Turckheim le 5 janvier 1675,
menaçant de déborder l'ennemi. Brandebourgeois et Impériaux évacuent l'Alsace en désordre.
Turenne réduit les nids de résistance comme Dachstein (30 janvier), occupe toute l'Alsace
mais offre à Strasbourg la réconciliation avec la France, ce que le Magistrat accepte avec
empressement, promettant de s'en tenir à une stricte neutralité. En juin, le Maréchal passe le
Rhin, mais est tué peu après à Sasbach (27 juillet). Les troupes françaises refluent en Alsace,
poursuivies par les Impériaux.
Entre 1676 et 1677 aucun belligérant n'emporte de succès décisif en Alsace, mais le pays est
ruiné du nord au sud comme aux plus sombres jours de la guerre de Trente Ans. Louvois
ordonne de détruire les châteaux et villes fortifiées pour qu'ils ne servent pas de point d'appui
à l'ennemi. En 1677 Haguenau est rasée ainsi que Wissembourg ; Saverne et Bouxwiller
perdent leurs remparts. La plupart des châteaux des Vosges du nord sont démantelés. En
1678 encore les troupes passent et repassent dans le pays, semant mort et dévastation;
Louis XIV peut cependant tenir tête à la coalition.
2.5. Paix de Nimègue et Chambres de Réunion
2.5.1. La paix de Nimègue
Le 5 février 1679 la paix est signée à Nimègue entre Léopold I et Louis XIV. Invaincu, le Roi
de France se voit confirmer le traité de Westphalie. En outre il reçoit le Brisgau et Fribourg.
Breisach devient capitale de l'Alsace.
A l'apogée de sa puissance, le roi en profite pour clarifier la situation en Alsace. En 1679
l'incapable duc de Mazarin est remplacé par Montclar, un officier remarquable et énergique qui
demande aux villes libres en septembre le serment au roi. Nulle ne résiste sinon Colmar, vite
matée. "Le conseil souverain" est transféré en Alsace en 1674 et acquiert le pouvoir d'un
Parlement sans en avoir cependant le titre.
2.5.2. Les Chambres de Réunion
Ces Chambres, réunies à Besançon, Metz et Brisach, devaient établir lesquelles des terres
avaient relevé à un quelconque moment de leur histoire des territoires, biens ou titres cédés à
la France en 1648. La Chambre de Brisach décide que toutes les seigneuries non encore
françaises d'Alsace avaient jadis été dans la dépendance du grand Baillage ou des
Landgraviats de Haute et Basse Alsace, peu importe que ces Landgraviats ne fussent plus
guère que des titres.


En janvier 1680 grand nombre de seigneurs étrangers sont invités à présenter au
Conseil leurs titres féodaux et à prêter hommage au Roi pour leurs terres alsaciennes :
il s’agit entre autres des puissants Margrave de Bade, Baron de Fleckenstein, Duc de
Palatinat - Deux Ponts, Comte de Veldenz, Comte de Linange… Tous soulèvent de
véhémentes protestations.
Le 22 mars 1680 ces seigneuries sont placées automatiquement sous suzeraineté du
roi, avec obligation aux seigneurs du serment et apposition des armoiries royales.
Devant les protestations des seigneurs à la Diète, un second arrêt du 9 août 1680
étend l'obligation de serment aux seigneurs et villes d'Alsace pour tous leurs
territoires : l'Évêque De Strasbourg, la ville de Strasbourg, Les Hanau - Lichtenberg,
Petite Pierre, la chevalerie immédiate, le Duc de Wurtemberg (Pour Montbéliard et
Horbourg - Riquewihr), le Prince abbé de Murbach, le duc de Lorraine. N'ayant d'autre
solution, tous se soumettent. Ainsi toute l'Alsace est française, sauf Mulhouse et
Strasbourg.
2.6. La prise de Strasbourg : 1681
Sans Strasbourg, l'Alsace est incomplète. Sa prise, sans perdre un seul homme, marque
l'apogée politique des « réunions ».
Cela commence par la prise de possession par l'intendant de La Grange des baillages de
Wasselonne, Barr et Dorlisheim. Strasbourg, abandonnée par l'Empereur, ne peut que
protester.
En été 1681 on amène aux environs de la ville 30 000 hommes commandés par Louvois et
Montclar. Le 28 septembre, le pont du Rhin est occupé. Le 29 la ville est encerclée. Montclar
déclare au Magistrat que la ville doit se rendre sans faire de difficultés… A Illkirch, Louvois
reçoit une délégation du Magistrat et lui ordonne de se rendre avant le 30 à sept heures du
matin, faute de quoi la ville sera bombardée. Après de longues délibérations, le Magistrat
décide de se rendre. La reddition, signée à Illkirch le même jour stipule les clauses suivantes :
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
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Strasbourg devient ville française.
Strasbourg garde ses droits, libertés et coutumes, peut lever des impôts et conserve
sa municipalité.
Les institutions religieuses et sociales, ainsi que l'université protestante sont
maintenues.
La cathédrale est rendue au culte catholique.
L'arsenal est livré au roi et la ville est occupée par une garnison française.
Le 4 octobre la Ville prête serment à Montclar et au gouverneur militaire, le Marquis de
Chantilly. Le 14 octobre une délégation du magistrat rend hommage au Roi à Sélestat. Le 20
Egon de Fürstenberg, prince - évêque partisan de la cause française prend possession de la
cathédrale. Le 23 octobre Louis XIV entre dans la ville dont Vauban venait de commencer les
fortifications. Un Te Deum à la cathédrale scelle l’événement.
Ainsi, sauf Mulhouse, toute l'Alsace est française et rapidement elle est protégée sur le Rhin
par la « Ligne Vauban » : Sarrelouis, Landau, Fort Louis du Rhin, Haguenau, Phalsbourg,
Strasbourg, Neuf Brisach, Sélestat, Huningue, Belfort.
Dans le Saint Empire, l'indignation grandit. Mais l'Empire est trop faible, d'autant que
Léopold I doit faire face aux Turcs. Aussi le 15 août 1685 l'armistice de Ratisbonne stipule que
l'Alsace et Kehl devaient rester à la France.
2.7. Les dernières guerres de Louis XIV
2.7.1. La guerre de la ligue d’Augsbourg : 1688-1697
Cette guerre ne se déroule pas en Alsace, mis à part le sac de Wissembourg en 1694 par les
Hussards hongrois. Au traité de Ryswick, la France ne cède que le Brisgau, Brisach, Kehl et
Philippsbourg. La ville de Strasbourg avait caressé l'espoir de recouvrer sa liberté… Il fallut,
par de nombreuses et lourdes taxes, empêcher bien des familles patriciennes de quitter la ville
après le traité. Ayant dû abandonner Vieux Brisach, le roi fait construire en 1699 la forteresse
de Neuf Brisach, un chef d'oeuvre de Vauban.
2.7.2. La guerre de succession d’Espagne : 1701-1714
Elle met à plusieurs reprises l'Alsace à contribution. En 1702 les Impériaux prennent Landau et
l'Alsace du Nord. Mais Villars franchit le Rhin à Huningue, envahit la Bade et force les
Impériaux à se retirer. En 1703 Vauban assiège et prend Vieux Brisach. En septembre 1705
les Impériaux entrent en l'Alsace du Nord, prennent Haguenau et assiègent Fort Louis. En mai
1706 une contre attaque de Villars rétablit la situation. La guerre devient cependant très
lourde pour la France.
En 1709 les Impériaux pénètrent en Haute Alsace mais sont repoussés par le maréchal Du
Bourg au combat d'Ottmarsheim. Louis XIV se voit cependant contraint de négocier à
Gertruidenberg ; il offre l'Alsace à l'Empereur ; mais les coalisés imposent de telles conditions
que le roi continue la guerre. Il rétablit la situation, mais à son tour se montre trop intraitable
avec Charles VI. La paix est signée avec la Hollande et l'Angleterre à Utrecht en 1713. Villars
reprend Landau et Fribourg. Charles VI signe alors la faix de Rastatt le 6 mars 1714: l'Alsace
avec Landau reste à la France qui cède cependant la Franche Comté, Kehl, Vieux Brisach et
Fribourg.
Ainsi l'Alsace reste définitivement à la France. Un nouveau chapitre s'ouvre pour son histoire.
3. La nouvelle situation politique
Généralités
L'administration française
Les territoires alsaciens
3.1. Généralités
Après ces longues années de guerre la totalité de l'Alsace, sauf Mulhouse, est donc française.
Ce rattachement n'est pas chose simple: population, langue, coutumes, organisation politique
font de l'Alsace une province française très différente. Au centralisme français s'oppose la
tradition d'autonomie propre à l'Empire.
Aussi le gouvernement français procède avec prudence: il introduit en Alsace sa législation et
son administration, mais y laisse subsister les us et coutumes du pays. L'Alsace forme une
province au même titre que la Normandie ou la Bourgogne, sous cette réserve que le
gouvernement la considère comme « Province à l'instar de l'étranger effectif », car elle n'est
pas incluse dans le système douanier du Royaume et elle peut donc continuer à s'adonner au
commerce Rhénan.
La carte politique ne change pas. Le gouvernement se contente de superposer aux organes
locaux des autorités de surveillance et de direction et introduit une administration générale du
pays. Le gouvernement fait régner l'ordre et la sécurité, et après la mort de Louis XIV le pays
peut rapidement se relever.
3.2. L'administration française
3.2.1. Gouverneur et intendant
Peu à peu l'administration française s'installe en Alsace. A la tête de la Province, le
gouverneur, personnage issu des grandes familles nobles de France : les Du Bourg, De
Broglie, De Contades... Mais le pouvoir royal réel repose entre les mains de l'Intendant, chef
de l'administration. Ceux des XVII et XVIIIè seront énergiques et compétents. Ils tentent de
comprendre les particularités de la Province, sa situation politique, religieuse, culturelle et
linguistique. Ils font rédiger de gros « Mémoires » et certains défendent souvent la Province
vis à vis du gouvernement central et de la Cour.
En voici la liste, jusqu'à la Révolution:
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Colbert de Croissy : 1656-1662.
Charles Colbert : 1662-1670.
Poncet de la Rivière : 1670-1674.
De la Grange : 1674-1698.
Le Pelletier de la Houssaye : 1700-1716.
Bauyun d'Angevilliers : 1716-1724.
Feydau de Brou : 1728-1743.
De Vanolles : 1744-1750.
De Sérilly : 1750-1752.
De Lucé : 1753-1764.
De Blair: 1764-1778.
De Chaumont de la Galaizière : 1778-1789.
La principale tâche des premiers Intendants est le relèvement matériel du pays : pour ce ils
chargent le pays de lourds impôts très impopulaires tels la taille, la subvention ordinaire, la
capitation (1695), le vingtième (1749), et pour l'entretien des digues du Rhin les « épis du
Rhin ». Viennent s'y ajouter des impôts extraordinaires (600 000 livres en 1694) et des dons
gratuits. Enfin il y a les corvées et taxes dues aux seigneurs... En 1777, la province paye
380 0000 livres. En 1789 elle en payera 900 0000 !
3.2.2. Prêteurs royaux et régence
Au dessous des Intendants, dans les grandes villes, siègent les préteurs royaux qui ont le
contrôle de surveillance et de direction. Ils surveillent, dans le sens des intérêts du pouvoir,
les conseils municipaux aux sessions desquels ils siègent. Ils décident de fait en véritables
maîtres des cités : ainsi à Strasbourg les préteurs Frédéric Ulrich Obrecht (16811-1701) ou le
baron de Klinglin qui dilapidera les finances de la ville...
Quant aux grandes seigneuries, elles sont dotées de régences qui relèvent à la fois du
Seigneur et de l'Intendant. Les régences s'occupent de l'administration, des finances, de la
justice. A leur tête, un président qui surveille les baillis (plusieurs par seigneurie). Le bailli,
nommé par le seigneur, administre sa circonscription, surveille les prévôts (« Schulteiss ») et
les maires d'après les ordres de la régence, lève l'impôt et préside la juridiction inférieure.
3.2.3. Le conseil souverain d’Alsace
C'est la grande nouveauté introduite en Alsace, qui s'occupe de la juridiction supérieure. Après
le traité de Ryswick le Conseil est transféré de Brisach à Colmar (1698).
Après son rôle politique essentiel lors des Réunions, il devient un rouage judiciaire de premier
plan dans la Province. Il joue le rôle de tribunal d'appel duquel relèvent tous les tribunaux des
seigneurs et des villes. Pour tous les jugements rendus on pouvait faire appel à sa
juridiction... Aussi les premiers présidents jouissent-ils d'une grande réputation : Claude le
Laboureur (1682ss), les De Corberon père et fils (1700 1747), les Boug... L'activité du Conseil
améliore considérablement la justice en Alsace dans le sens de l'équité.
Les magistrats font construire à Colmar et environs de magnifiques demeures et la ville prend
une allure toute nouvelle. L'installation du Conseil à Colmar provoque surtout la venue d'une
grand nombre de familles de gens de robe : les Boug et Dartein du Périgord, les Danzas de
Navarre, les Salomon de Venise, les Le Laboureur de Paris, les Chauffour de Bobigny...
Rapidement ces familles deviennent alsaciennes à part entière (Chauffour) et contribuent à
faire de l'Alsace une terre française.
3.3. Les territoires alsaciens
La carte politique de l'Alsace ressemble fort à celle du XVè, hormis que tous les seigneurs
reconnaissent la suzeraineté française. Seuls les territoires des Habsbourg sont donnés par le
Roi à des Nobles français (Ainsi Hohlandsberg aux Montclar). La seigneurie de Ribeaupierre
passe à la mort du dernier seigneur, Jean-Jacques (1673) aux Birkenfeld et aux Palatinat Deux
- Ponts dont le dernier, le prince Max, colonel du Régiment Royal Alsace, jouit d'une grande
popularité. En Basse Alsace, à la mort du dernier Fleckenstein en 1720 la seigneurie passe aux
Rohan Soubise, alors que le comté de Hanau Lichtenberg passe aux Hesse Darmstatt en 1736,
qui reconnaissent la suzeraineté française. Seule la ville de Mulhouse reste membre de la
Confédération Helvétique.
Ainsi l'Alsace garde l'aspect d'une mosaïque de petites et grandes seigneuries.
4. Les étapes de la francisation
Destructions et reconstructions
Le repeuplement du pays
Francisation et religion
Les nouvelles hiérarchies sociales
4.1. Destructions et reconstructions
4.1.1. Les destructions
Elles varient d'amplitude et d'intensité suivant lieux et époques. Il y a trois vagues de
destruction importantes : la guerre de Trente Ans, l'invasion des Impériaux en 1673-1675, et
les guerres de la ligue d'Augsbourg et de Succession d’Espagne ; les deux dernières épargnent
le territoire mais en ruinent l'économie par des livraisons en tout genre.
Il y a diverses zones profondément atteintes :
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Zone du Kochersberg : les territoires sont abandonnés, les paysans se réfugient à
Strasbourg et Saverne, l'endettement rural est considérable : le créancier prend le
visage du juif, du bourgeois ou du laboureur voisin épargné...
Zone du vignoble : Plus de la moitié des vignes sont à l'abandon, situation due
davantage à l'épidémie qu'aux destructions : 1631, 1637, 1667 et 1668 sont des
années de peste...
Zone du Sundgau : directement atteint par les destructions des Suédois, les troubles
de la Fronde, l'invasion des Lorrains. Le plat pays est durement touché et le refuge
suisse joue à plein...
Zone de la Montagne et des Chaumes où les chalets marcaires offrent autant de
refuges ; mais le bétail a disparu et le commerce par les cols a cessé...
4.1.2. Les reconstructions
La reconstruction est le résultat d'un acte de volonté des bourgeois de Strasbourg et Colmar,
du comte d'Hanau Lichtenberg, mais aussi et surtout de l'administration royale : attirer
l'étranger hors de ce réservoir naturel épargné qu'est la Suisse, à la suite de la crise
économique qui atteint les Cantons en 1650 et de la jacquerie de 1653, le fixer sur ses terres,
l'inciter à produire, tel est le but recherché.
4.2. Le repeuplement du pays
Une ordonnance royale de 1661 appelle les Français et étrangers à « se retirer dans le pays
d'Alsace » et promet des terres abandonnées ou non revendiquées. De leur coté les seigneurs
agissent dans le même sens.
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Après leur révolte malheureuse de 1653 de nombreux protestants Suisses viennent du
pays de Berne s’installer dans les territoires protestants de Basse Alsace (Hanau Lichtenberg) alors que des catholiques Suisses du Voralberg, de Suisse Centrale et du
Tyrol s'installent dans le Sundgau : ainsi les nombreux noms de famille tels
Schweitzer, Anstett, Zumstein, Baumgartner, Studer, Vögeli, Frey, Lichti...
Des Tyroliens s'installent dans la vallée supérieure de Saint Amarin et le Haut Val de
Munster où ils fondent le village catholique de Mittlach...
Les Lorrains parlant français entrent dans les vallées vosgiennes, provoquant le
déplacement de la frontière linguistique : Le Bonhomme (Didolshausen), Lapoutroie
(Schnierlach), Orbey (Urbeis), Labaroche (Zell)…
Des Provençaux s'installent à Steige, des Picards fondent Chalampé, des Huguenots
entrent en Alsace Bossue...
L'apport Italien et Savoyard est lui aussi important...
L'immigration est renforcée après l'édit de 1662 par d'autres faveurs : exemption d'impôts
pour 6 années, bois de construction gratuit. D'autres mesures sont prises encore en 1682 et
1687.
Vers 1650 la population comprend 250 000 âmes. Elle augmente, mais les guerres de Louis
XIV sont autant de freins : la population n'est que de 260 100 âmes vers 1697... La paix du
XVIIIè va favoriser un extraordinaire accroissement : 430 000 vers 1750, et 700 000 vers
1790, ce qui prouve la vitalité alsacienne retrouvée au XVIIIè…
.3. Francisation et religion
La révolution la plus profonde que connaît l'Alsace vient en fait moins des nouvelles données
politiques (« Ne point toucher aux usages de l'Alsace ») ou économiques (le pays demeure lié
aux réalités Rhénanes), que spirituelles et religieuses : après 1681, avec les Français, l'Alsace
entière entre dans le camp victorieux de la Contre - Réforme catholique, phénomène qui va de
pair avec l'affirmation autoritaire des droits du roi : ainsi la célèbre phrase de Charles Colbert
a un abbé d'Andlau : « En Alsace, le Saint Esprit est aux ordres du Roy ! ».
4.3.1. Première étape : la reconstruction catholique
Restauration matérielle par la reconstruction du temporel des abbayes et des cures, défense
des droits du monarque selon la tradition gallicane face aux empiètements de l'évêque de
Bâle, introduction de prêtres et religieux de France, rattachement du clergé régulier aux
Provinces de France (Jésuite d'Ensisheim), obligation faite aux novices de devenir sujets du
roi, telles sont les principales mesures prises par les Intendants.
Plus subtile est l'intervention royale dans l'élection des évêques de Strasbourg : en 1662 le roi
agit sur le chapitre et obtient l'élection d'un « client » de la France, François Egon de
Furstenberg. Il sera un allié précieux pour la France, ainsi que son frère Guillaume Egon qui lui
succédera en 1682.
4.3.2. Deuxième étape : la lutte anti-protestante : 1673
Très rapidement Louis XIV développe la politique d'application restrictive des textes de Nantes
(1598) et d'Alès (1629). La révocation de l'Edit de Nantes (1685) ne fut jamais appliquée en
Alsace, mais un certain nombre de mesures tendent à modifier l'ancien statut et à introduire
peu à peu la prééminence du catholicisme :
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En 1671 La cathédrale de Strasbourg est restituée au culte catholique. Les protestants
s'installent au Temple Neuf en 1681.
En 1702 l'université de Molsheim est transférée à Strasbourg.
Jusqu'en 1685 le « simultanéum » est prescrit : les églises sont partagées en deux, le
choeur passant aux catholiques dès qu'ils sont 7 familles.
Après 1685 « l'alternative » ordonne que chaque charge soit remplie alternativement
par un protestant et un catholique au décès des titulaires.
Baillis, prévôts et greffiers sont obligatoirement de foi catholique.
Peu de personnes résistent à de telles pressions, auxquelles s'ajoutent de douces
« violences », de fréquentes vexations, l'installation de « Curés royaux », la délivrance ou non
de « Quartiers d'hiver »... Il ne faut toutefois point négliger le considérable effort de
conversion entrepris sous l'impulsion des Jésuites et de Capucins... l'Eglise apporte un soin
particulier à la jeunesse : fondation de l'Université épiscopale, du Collège Royal, du couvent
des Visitandines et du foyer de la Congrégation de Notre Dame...
4.4. Les nouvelles hiérarchies sociales
Au cours du siècle se définissent de nouvelles hiérarchies sociales : Strasbourg, jusque là
étrangère à la province, en devient le centre administratif et politique. De là, nobles et
bourgeois propriétaires dominent le plat pays où le paysage rural a retrouve sa structure
traditionnelle sans modification des liens juridiques ni des conditions économiques et fiscales.
Du nouveau pouvoir, la bourgeoisie a obtenu l'essentiel : le maintien de ses rites, la
persistance de ses assemblées, le caractère oligarchique de ses Magistrats. Elle a souffert
dans ses convictions religieuses, mais l'élimination des tièdes et des opportunistes a trempé la
volonté de résistance des autres. La fonction commerciale traditionnelle diminue au profit
d’une autarcie économique qui trouve dans la guerre ses propres débouchés. Si l'ordre et la
sécurité règnent, si le loyalisme royal est parfait, la misère reste cependant grande et les
errants nombreux quand se termine le règne du Roi-Soleil.
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