200 millions d`années d`évolution, ou nos ancêtres les mammifères

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200 millions d'années d'évolution, ou nos ancêtres les
mammifères
LE MONDE | 24.04.01 | 13h48
Notre famille mammalienne, constituée de 5 000 espèces
dotées de poils, trouve ses origines il y a deux millions de
siècles. Une histoire relativement brève à l'échelle de celle
de la Terre (4,5 milliards d'années), qui pose à la science de
multiples énigmes.
DEPUIS que Darwin les a convaincus que nous descendions du
singe, les paléontologues ne se lassent pas d'explorer nos
origines. Ils retracent patiemment les liens qui unissent entre
eux les primates, dont les plus anciens représentants, déjà
dotés de leur pouce préhensile, sont apparus il y a au moins
60 millions d'années.
Mais ils s'intéressent aussi, et même de plus en plus, à cette
autre famille d'animaux à poils que constituent les mammifères.
Quelque 5 000 espèces dotées de mamelles dont l'aventure
commence il y a seulement 200 millions d'années – sur les
4,5 milliards d'années d'histoire de la Terre –, et dont la diversité
et l'évolution continuent de poser à la science d'innombrables
énigmes.
La raison en est simple : pour l'essentiel, l'histoire des
mammifères est une histoire en morceaux. Plus les espèces
étudiées sont anciennes, plus elles sont petites, et plus les
fossiles dont disposent les experts se résument à deux ou trois
dents, à quelques fragments de mâchoire. Une situation que le
paléontologue américain Alfred Sherwood Romer résumait déjà,
il y a plus de trente ans, d'une boutade, en accusant ses
collègues "de considérer que l'évolution mammalienne consiste
en des molaires donnant naissance à des molaires, et ainsi de
suite au fil des siècles".
Aujourd'hui encore, la découverte de squelettes complets de
mammifères datant de l'ère secondaire (entre – 200 et –
65 millions d'années) reste une exception. Mais quelques
gisements, récemment découverts ou simplement mieux
exploités qu'auparavant, ont tout de même grandement enrichi
cette collection internationale.
Ainsi, le désormais célèbre dépôt sédimentaire de la province
chinoise du Liaoning, daté d'environ 150 millions d'années, ne
s'est pas contenté de livrer d'étonnants fossiles de dinosaures à
plumes (Le Monde du 9 janvier 1998). Il a également permis
d'exhumer plusieurs squelettes de mammifères primitifs
extrêmement bien conservés. De même, la Mongolie, où le
désert de Gobi et le Yunnan sont un paradis pour les chercheurs
de dinosaures, a-t-elle livré, dans un site jusqu'alors inexploré
(Ukhaa Tolgod, la colline brune), quantité de squelettes et de
crânes minuscules de petits mammifères datant d'environ
80 millions d'années.
De ces trouvailles, qui portent le bestiaire mammalien de l'ère
secondaire à 150 espèces, que ressort-il ? Contrairement à ce
que l'on crut longtemps, on s'aperçoit que ces ancêtres primitifs
étaient déjà très diversifiés. Tout comme les mammifères
actuels, ils avaient développé de multiples mécanismes
d'adaptation à leur environnement, dont certains firent leurs
preuves durant des dizaines de millions d'années.
Pour de nombreux spécialistes, il est donc faux de prétendre
que les mammifères ne se seraient pas développés sans la
disparition des dinosaures, qui régnaient en maîtres sur la Terre
jusqu'au début de l'ère tertiaire. Les bêtes à poils, de fait, étaient
déjà très présentes du temps des "terribles lézards".
Ce qui est vrai, en revanche, c'est que ces espèces primitives
n'ont laissé pratiquement aucun descendant direct. Il fallut
attendre que soit dépassée la "crise du crétacé-tertiaire" (– 65
millions d'années), et la grande extinction d'espèces qui la
caractérisa (dont les dinosaures ne sont que les victimes les
plus connues), pour que la famille mammalienne se développe
et se diversifie dans toute sa splendeur ; et pour que se révèlent
véritablement les mammifères modernes, restés quasi
inexistants jusque-là, et qui vont désormais augmenter
considérablement de taille, de genres et de niches écologiques.
Ces mammifères forment deux groupes, deux branches sœurs
qui se sont édifiées à partir d'un tronc ancestral commun : les
marsupiaux (aujourd'hui cantonnés à l'Australie, tels le
kangourou et le koala), et les placentaires, c'est-à-dire tous les
autres. Quand et où se sont édifiées ces deux branches
maîtresses de l'arbre mammalien ? Les avis, sur ce thème,
divergent encore fortement. Mais ce qui est sûr, c'est que
marsupiaux et placentaires présentent des points communs qui
n'appartiennent qu'à eux.
Ainsi, la molaire "tribosphénique", qui permet la mastication des
aliments et que l'on ne retrouve pas chez les mammifères
primitifs. Un signe distinctif qui commence à apparaître il y a
environ 100 millions d'années, et auquel les paléontologues –
qui, décidément, en reviennent toujours aux dents – attachent la
plus grande importance.
Comment cette évolution essentielle de la dentition s'est-elle
produite ? Comment les molaires, seulement capables de
couper et perforer chez les mammifères primitifs, se sont-elles
compliquées de tubercules et de bassins, offrant ainsi à leurs
possesseurs, comme le fait un pilon dans un mortier, la faculté
de broyer ?
Une vaste étude, récemment publiée par la revue Nature (datée
du 4 janvier), apporte un début de réponse. Menée sous la
houlette de Richard Cifelli (Muséum d'histoire naturelle
d'Oklahoma, Etats-Unis) et de Zofia Kielan-Jaworowska (Institut
de paléontologie de Varsovie, Pologne), elle s'appuie sur l'étude
morphologique des dents d'une vingtaine de fossiles de
mammifères, datant de – 200 à – 65 millions d'années.
Et elle montre d'une façon quasi certaine que l'"invention" de la
molaire tribosphénique ne s'est pas produite une seule fois au
cours de l'évolution des mammifères, mais deux fois. Par deux
voies parallèles, survenues indépendamment l'une de l'autre sur
les deux continents qui existaient à l'époque, le Gondwana
(austral) et la Laurasie (septentrionale).
Ce phénomène, dit de "convergence adaptative", n'est pas en
lui-même une étrangeté. "La convergence évolutive a toujours
été étudiée, mais à une autre échelle. On comparait, par
exemple, la fabrication d'une aile d'oiseau et d'une aile de
papillon, et l'on découvrait que la nature avait inventé deux fois
des astuces similaires", rappelle Jean-Louis Hartenberger,
paléontologue à l'Institut des sciences de l'évolution (université
de Montpellier).
Ce qui est nouveau, c'est le niveau auquel on tente d'observer le
processus. Apparition d'une nouvelle dent, d'un nouveau
tubercule ou de l'émail dentaire. "Ce qui est passionnant, c'est
que plusieurs voies sont possibles pour chaque innovation, sans
pour autant être illimitées."
Une exploration de plus en plus fine de la façon dont se
construit le vivant, évoluant sans cesse entre hasard et
nécessité.
Catherine Vincent
Les trois grandes radiations du vivant
LE MONDE | 24.04.01 | 13h48
La grande diversification des mammifères, qui débute à la fin du
crétacé (- 65 millions d'années) et au cours de laquelle les
animaux à poil vont progressivement coloniser tous les milieux,
représente un moment exceptionnel de l'histoire du vivant. Mais
il n'est pas unique en son genre. Depuis son origine, l'histoire de
la vie sur la Terre a en effet connu deux autres radiations
adaptatives remarquables.
La première, qui remonte à 550 millions d'années (début du
cambrien), voit se produire la diversification des invertébrés
marins pourvus de squelette, ainsi que l'apparition des premiers
vertébrés. La deuxième, survenue il y a 146 millions d'années
(fin du crétacé inférieur), est celle où surgissent et
s'épanouissent les plantes à fleurs, en même temps que se
produit la radiation des insectes pollinisateurs. Ces trois
événements majeurs ont pour point commun de s'être produits
en quelques millions d'années, ce qui est extrêmement bref à
l'échelle des temps géologiques.
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