La multiplication des circonstances aggravantes est

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La multiplication des circonstances aggravantes est-elle fondée ?
Introduction
I/
La multiplication des circonstances aggravantes
diversification des fonctions du droit pénal
synonyme
de
A/ Le respect des fondements classiques du droit pénal
1) Les circonstances aggravantes comme outil de répression
2) Les circonstances aggravantes comme outil de prévention
3) Les circonstances aggravantes comme outil d’expression
B/ La multiplication des circonstances aggravantes ou l’apparition de
nouvelles fonctions du droit pénal
1) La multiplication des circonstances aggravantes et la montée en puissance
d’une fonction déclarative du droit pénal.
-
Répondre à un besoin de sécurité
Répondre à un besoin de reconnaissance
Exemples
2) La
multiplication
des
circonstances
aggravantes
disfonctionnements des régulateurs sociaux traditionnels
palliant
les
II/ Un phénomène de multiplication des circonstances aggravantes mal
maîtrisé modifiant le paysage de la sanction
A/ L’impact de la multiplication des circonstances aggravantes sur le juge et
le justiciable.
1) Un système parfois contraire au principe d’égalité devant la loi
2) La réduction du pouvoir du juge dans la détermination de la peine.
3) Un mouvement synonyme d’insécurité juridique
B/ La multiplication des circonstances aggravantes, vers un droit pénal
incohérent
1) Un droit pénal inopérant
-
Un système d’accumulation de circonstances aggravantes parfois mal maîtrisé
Le non respect du principe de proportionnalité
L’ineffectivité de l’infraction aggravée
2) Vers un droit pénal illisible
Conclusion
Introduction
Chaque infraction est différente en ce qu’elle possède son contexte et sa réalité propre. Ainsi,
toutes les infractions de meurtre ou de vol ne se ressembleront pas : victime différente, auteur
différent, conditions de commission différentes… Le vol d’un portefeuille par un pic pocket
en toute discrétion par exemple, n’est pas le même que le vol du sac à main d’une personne
âgée exercé avec violence. Bien qu’il s’agisse de la même infraction, elle n’appelle pas le
même jugement de valeur et a fortiori la même sanction.
La prise en compte de cette réalité n’échappe pas au droit pénal. S’il lui est impossible
d’envisager les multiples aspects sous lesquels un même acte est susceptible de se présenter
en raison de son caractère général et absolu, rien ne l’empêche, en revanche de spécifier
certaines circonstances afin de nuancer la sanction qu’il porte sur un comportement déjà
pénalement répréhensible.
Cette technique est celle des circonstances aggravantes qui pourra s’exercer de deux
manières : d’abord à travers le juge, les circonstances aggravantes seront dites judiciaires,
ensuite à travers la loi, les circonstances aggravantes seront alors légales.
Les circonstances aggravantes judiciaires sont le corollaire du principe d’individualisation de
la peine, article 132-24 du CP, selon lequel il revient au juge de tenir compte des
circonstances de l’infraction pour déterminer la peine applicable. Le juge considérera alors de
manière discrétionnaire les éléments de fait qui entourent l’infraction pour ne retenir que ceux
qui lui paraissent atténuer ou en accroître la sanction. Il n’est limité que par le maximum de la
peine prévue par le législateur, l’objectif étant d’adapter la peine à la situation concrète du
délinquant.
Les circonstances aggravantes judiciaires ne feront pas l’objet de cet exposé de part leur
nature même qui sont propres à chaque infraction et à chaque juge dans sa décision.
Seules seront considérées ici les circonstances aggravantes dites légales qui sont différentes
en ce qu’elles sont directement définies par le législateur et sont liées à des faits particuliers
entourant l’infraction qui, s’ils sont caractérisés, entraînent une aggravation de la peine
encourue. Ces circonstances lient alors le juge dans sa décision qui est obligé d’en tenir
compte dans la détermination de la peine.
Ces circonstances aggravantes supposent nécessairement la préexistence d’une infraction
initiale. Elles ne se conçoivent que par rapport à cette infraction puisque par définition elles
vont permettre d’aggraver la répression du comportement déjà incriminé. Pour autant, la
circonstance aggravante se distingue de l’élément constitutif de l’infraction initiale qui lui est
propre et sans lequel celle-ci ne pourrait exister. La circonstance aggravante en revanche ne
fait pas disparaître l’infraction en son absence. Elle n’est qu’un ajout, un satellite qui tourne
autour de l’infraction.
Toutefois, la parenté entre la circonstance aggravante et l’élément constitutif est évidente car
il arrive qu’un même fait soit parfois un élément constitutif dans une infraction et une
circonstance aggravante dans une autre. Tel est le cas des violences volontaires, éléments
constitutifs du viol, qui deviennent circonstances aggravantes du vol ou du proxénétisme.
D’autre part, le législateur incrimine parfois certains comportements en tant qu’infractions
autonomes, les mêmes comportements devenant des circonstances aggravantes dans d’autres
infractions. Ce sera le cas des tortures et actes de barbarie infraction autonome de l’article
222-1 du CP qui deviendront par exemple des circonstances aggravantes du viol, article 22226 du CP.
Deux types de classifications différentes sont proposés pour distinguer ces circonstances
aggravantes.
La classification doctrinale distingue, selon leur étendue, les circonstances aggravantes
générales et spéciales. La première catégorie contient uniquement la récidive, définie à
l’article 132-8 du CP, qui est susceptible de s’appliquer quelque soit l’infraction. Toutes les
autres circonstances aggravantes sont dites spéciales, c’est à dire applicable seulement si le
législateur les a expressément prévu à propos de telle ou telle infraction. Elles peuvent être
attrait à l’auteur ou à sa profession comme certaines infractions commises par un dépositaire
de l’autorité publique ou chargé d’une mission de service publique. Elles peuvent concerner la
condition de la victime, sa profession ou ses liens avec l’auteur comme les infractions
commises sur une personne vulnérable, un magistrat, un fonctionnaire de police ou encore un
ascendant légitime ou naturel de l’auteur. Il peut s’agir aussi d’une circonstance aggravante
ayant trait aux moyens ou aux modes utilisés pour commettre l’infraction comme l’usage ou
menace d’une arme, la préméditation, la réunion ou l’aide ou l’assistance d’un mineur.
L’aggravation de la peine peut concerner aussi le lieu de commission de l’infraction comme
l’infraction commise dans ou aux abords d’un établissement scolaire ou dans un bus. Enfin la
circonstance aggravante peut être attrait aux conséquences dommageables de l’infraction.
Cette classification doctrinale est purement artificielle et n’a qu’une visée pédagogique et
descriptive.
La jurisprudence a adopté une autre classification plus technique qui a pour but de déterminer,
le cas échéant, quelles circonstances appliquer à qui lorsqu’il y a plusieurs participants à une
même infraction. Elle distingue alors les circonstances aggravantes réelles des circonstances
aggravantes personnelles et mixtes. Les circonstances aggravantes réelles sont attachées aux
faits entourant l’infraction et se communiquent au complice, telle l’infraction commise avec
arme, en réunion ou sur une victime vulnérable. Les circonstances aggravantes personnelles
s’attachent à la personne de l’auteur et ne se communiquent pas au complice telle la récidive.
La circonstance aggravante mixte doit être recherchée dans les faits de l’espèce mais ne
concerne que tel ou tel participant et ne produit en principe un effet qu’envers la personne
concernée. Ce sera le cas de la préméditation par exemple.
Cette classification, si elle a une visée plus pratique est néanmoins parfois loin d’être évidente
tant la confusion sur la nature d’une circonstance aggravante peut être facile. Ainsi, dans un
arrêt du 27 avril 1994, la chambre criminelle a du rappeler que « la circonstance aggravante
personnelle d’autorité est distincte de la contrainte, violence et surprise, éléments constitutifs
des infractions de viol et d’attentat à la pudeur. »
Quoi qu’il en soit, les circonstances aggravantes ont pour objet d’accroître les peines
encourues. En principe, elles allongent la peine privative de liberté en l’élevant d’un degré sur
l’échelle des sanctions par rapport à l’infraction à laquelle elles s’attachent. Autrement dit,
elles modifieront le plus souvent la qualification légale de l’infraction au sein de la
classification tripartite faisant passer de la contravention au délit ou du délit au crime. Ainsi,
par exemple le vol qui est un délit passe a une qualification de crime dès lors qu’il est
accompagné ou suivi de violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente
ou encore lorsqu’il est commis en bande organisée ( articles 311-7 et 311-9 du CP).
Cependant, le changement de qualification n’est pas systématique.
Il est également fréquent que la circonstance aggravante augmente le montant de l’amende
proportionnellement à l’augmentation de la durée de la peine privative de liberté. Mais cela
n’est pas une généralité.
De même, certaines circonstances aggravantes permettent au magistrat d’infliger des peines
complémentaires mais celles-ci sont rares.
Enfin, certaines circonstances aggravantes peuvent avoir des conséquences sur l’exécution de
la peine en interdisant au condamné de bénéficier de suspension ou fractionnement de peine.
Il est de constat évident que les circonstances aggravantes tendent ces dernières années à se
diversifier et se multiplier.
Diversification d’abord avec la création de nouvelles circonstances aggravantes. Par exemple,
en 1998 est créée la circonstance aggravante de commission de certaines infractions près d’un
établissement scolaire, en 2002 celles commises avec l’aide ou l’assistance d’un mineur, en
2003 celles commises à raison d’un mobile raciste, homophobe ou sexiste, ou encore celles
commises dans un transport collectif, à l’encontre d’un sapeur pompier ou un gardien
d’immeuble, en 2006 la circonstance aggravante d’infractions commises par le partenaire lié à
la victime par un PACS, enfin en 2007, l’une des petites dernières en date, la création de la
circonstance aggravante de rassemblement sur les toits d’immeuble.
Résultat, le code pénal compte aujourd’hui pas moins d’une 100ène de circonstances
aggravantes différentes.
Multiplication ensuite en ce que ces circonstances aggravantes spéciales existent ou sont
ajoutées à un nombre significatif d’infraction existante dans le code pénal. Rare est
l’infraction aujourd’hui qui ne possède pas sa ribenbelle de circonstances aggravantes qui
l’accompagnent ne manquant pas de rendre de plus en plus illisible notre code pénal.
La question se pose alors, pourquoi un tel phénomène ? Sur quoi se fondent les circonstances
aggravantes et leur multiplication ? Quels en sont les tenants et les aboutissants pour notre
droit pénal ?
Pour répondre à de telles questions il faut d’abord revenir aux sources du droit de punir et les
fondements sur lesquels se base cette technique des circonstances aggravantes. Si celles-ci se
basent toujours sur des fonctions répressives, expressives ou préventives, force est de
constater que l’évolution de la société a conduit à développer de nouvelles fonctions du droit
pénal qui se surajoutent aux fonctions traditionnelles et vont traduire ce phénomène de
multiplication des circonstances aggravantes. Reflet d’un droit pénal devenu déclaratif et
régulateur social, la multiplication des circonstances aggravantes vont permettre de répondre à
de nouveaux besoins de la population. Cependant, un tel phénomène n’est pas sans
conséquence sur la cohérence et les contours de notre droit pénal contemporain. On abouti
alors à un système illisible et parfois inopérant du point de vu de la sanction.
Ainsi, la multiplication des circonstances aggravantes si elle s’explique d’abord par les
fonctions traditionnelles du droit pénal, tend a exprimer d’autres fonctions. Elles sont le reflet
d’une diversification progressive des fonctions du droit pénal (I). Cependant, cette
multiplication des circonstances aggravantes laisse place à un système mal maîtrisé qui
transforme quelque peu le paysage de la sanction (II).
I/ La multiplication des circonstances aggravantes synonyme de diversification des
fonctions du droit pénal
Si la multiplication des circonstances aggravantes semble respecter les fonctions classiques du
droit pénal (A), on remarquera que leur fonction essentielle n’est plus de réprimer, prévenir
ou d’exprimer des valeurs générales. En effet, avec l’évolution de la société, des médias et des
actes de violence, le droit pénal acquière de nouvelles fonctions, à la fois une fonction
déclarative et une fonction de régulateur social principal (B).
A/ Le respect des fondements classiques du droit pénal
Le recours aux circonstances aggravantes se justifie ainsi au travers d’un triptyque classique,
propre au droit pénal. En effet, elles agissent à la fois comme un outil de répression, de
prévention et d’expression.
1) Les circonstances aggravantes comme outil de répression
Elaborée pour sanctionner, dans l’intérêt général, certains comportements dangereux pour
l’ordre public ou contraire aux exigences de la vie en société, la loi pénale a, avant tout, une
fonction répressive. L’infraction doit être punie en ce qu’elle porte atteinte à la société toute
entière. La peine est alors un mal qui est rendu pour un mal.
Les circonstances aggravantes sont l’illustration de cette fonction répressive. En effet, celui
qui commet une infraction plus grave mérite d’être puni plus durement. Mr Roux considérait
dans ce même sens qu’ « à une faute plus grave, il convient d’opposer une sévérité plus
grande ».
Les circonstances aggravantes sont ainsi le moyen de graduer la gravité d’un fait. Une
infraction sera plus ou moins grave selon qu’elle est commis sur telle ou telle personne, par
telle ou telle personne, ou par tel moyen ou dans telle circonstance.
Par exemple un meurtre sera jugé plus grave lorsqu’il sera commis sur un mineur que sur un
majeur. Cela ne choque personne et est considéré comme tout à fait normal.
Les circonstances aggravantes permettent également d’établir un degré plus ou moins
oppressif du droit pénal.
Par exemple, l'affermissement de la répression en matière d’infraction non intentionnelle
(notamment en matière de circulation routière) a été renforcé par l'éventail des circonstances
aggravantes suivantes, prévues par le législateur :
-
-
la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de
prudence prévue par la loi ou le règlement,
l'alcoolémie au volant, qu'il s'agisse d'une contravention ou d'un délit,
le délit de fuite,
la conduite après avoir fait usage de produits stupéfiants,
la conduite sans permis valide, soit que l'auteur n'en ait jamais été titulaire, soit que
son permis de conduire ait fait l'objet d'une mesure de rétention, de suspension ou
d'annulation, ou d'invalidation par perte totale de points,
l'excès de vitesse égal ou supérieur à 50 km/h.
On a donc introduit l’intention dans la non intention pour réprimer des faits plus graves du fait
du comportement ici du conducteur, comportement jugé dangereux et répréhensible par la
société.
La multiplication des circonstances aggravantes répond donc d’abord à un besoin de
répression, mais pas seulement. Les circonstances aggravantes ne sont pas seulement le
moyen de réprimer plus fortement, elles sont également un moyen de prévention.
2) Les circonstances aggravantes comme outil de prévention
La peine a donc aussi une fonction préventive car elle a d’abord pour effet d’intimider ceux
qui auraient envie d’enfreindre la loi. La crainte inspirée par l’exemple, la menace du
châtiment va exercer sur les individus une contrainte morale qui va les dissuader de
commettre l’infraction et donc agira en prévention du trouble social.
L’effet préventif de la sanction se retrouvera aussi dans le fait de mettre à l’écart l’individu
pour protéger la société mais également le resocialiser par la sanction afin qu’il ne cause plus
à l’avenir un trouble à l’ordre social.
Les circonstances aggravantes s’inscrivent vraisemblablement dans cet aspect de la fonction
préventive de la sanction.
Ainsi, la peine particulièrement élevée qu’elle prodigue devrait dissuader l’individu de
commettre l’infraction.
En effet, si la sanction était la même quel que soit l’aspect que revêt l’infraction, le délinquant
n’hésiterait pas à la commettre sous sa forme la plus grave s’il en retire quelque plaisirs ou
avantages.
De même l’emprisonnement plus long du délinquant du fait de la peine aggravée préserverait
la société d’un individu qui a un comportement considéré comme plus dangereux.
Cette fonction reste relativement théorique. En effet, dans la précipitation de l’infraction, on
peut difficilement imaginer que l’auteur réfléchisse à la peine qu’il encoure et encore moins
aux circonstances dans lesquelles il commet les faits incriminés. Ainsi, on imaginera mal un
mineur se dire qu’il est mieux d’exercer des violences sur son « camarade » en dehors de
l’école car il risque sinon l’application de circonstances aggravantes supplémentaires !!!
3) Les circonstances aggravantes comme outil d’expression
Le droit pénal en ce qu’il sanctionne les atteintes portées à la société exprime par là même les
valeurs essentielles de cette société. Le droit pénal devient en quelque sorte le miroir de la
morale collective.
La technique des circonstances aggravantes n’est alors qu’un moyen pour le droit pénal de
traduire la réprobation plus vive que la société attache à certaines formes entourant
l’infraction.
Ainsi, nombreuses sont les circonstances aggravantes qui ont été crées pour exprimer ces
valeurs dont la transgression apparaît à la société comme particulièrement inacceptable. C’est
le cas notamment de la circonstance aggravante liée à la particulière vulnérabilité de la
victime.
Les circonstances aggravantes sont donc le moyen d’exprimer des valeurs essentielles de la
société ou des règles d’organisation de la vie en société.
Comme corollaire à cette fonction d’expression des circonstances aggravantes, on peut
évoquer leur fonction d’enseignement. Enseignement au sens d’enseigner à la population ces
valeurs, en délimitant « le bien et le mal ». Les valeurs exprimées au travers des circonstances
aggravantes permettront de faire comprendre à la population ce qui est interdit et ce qui ne
l’est pas.
La multiplication des circonstances aggravantes paraît alors totalement fondée sur cette
fonction expressive du droit pénal. Car au fur et à mesure que notre société progresse et se
modernise, le législateur doit exprimer et enseigner d’autres valeurs.
La technique des circonstances aggravantes n’est que le moyen pour le législateur de
s’adapter à cette évolution des valeurs nouvelles exprimées par la société et leur
multiplication ne sera alors que l’image de la prolifération de ces valeurs nouvelles.
Ainsi les circonstances aggravantes, même les plus récentes, répondent aux fonctions
traditionnelles du droit pénal que sont les fonctions de répression, de prévention et
d’expression.
Néanmoins elle sont également le reflet de nouvelles fonctions : une fonction de déclaration et
une fonction de régulateur social.
B/ La multiplication des circonstances aggravantes ou l’apparition de nouvelles
fonctions du droit pénal
En effet, la multiplication des circonstances aggravantes expriment à la fois une fonction
déclarative du droit pénal et permet également de pallier aux disfonctionnement des
régulateurs sociaux traditionnels
1) La multiplication des circonstances aggravantes et la montée en puissance
d’une fonction déclarative du droit pénal.
De nombreux auteurs insistent sur la notion d’urgence et sur celle d’instantanéité du droit
pénal. Ces deux expressions semblent s’appliquer parfaitement au constat que l’on fait
actuellement concernant la multiplication des circonstances aggravantes.
Le droit pénal, et par conséquent les circonstances aggravantes, sont devenues le moyen de
répondre à une demande de la population.
Il s’agit de répondre tantôt à un besoin de sécurité, tantôt à un besoin de reconnaissance.
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Répondre à un besoin de sécurité
De nombreuses causes d’aggravation ont été édictées pour répondre à une demande pressante
de l’opinion publique suite à des faits divers marquant relatés par les médias.
Ce phénomène ne cesse de s’accentuer et prend une ampleur considérable.
Mr Baratta parle lui de fonction symbolique du droit pénal. On peut reprendre ici cette
expression à notre compte en ce qui concerne la multiplication des circonstances aggravantes.
Il explicite sa pensée de la manière suivante : le droit pénal agit « comme un instrument de
réponse symbolique à la demande de peine et de sécurité émanant du public (...). La
communication politique de base entre les citoyens et leurs représentants, c'est-à-dire la
démocratie, est remplacée par la communication entre les hommes politiques et leur public,
c'est-à-dire par une technocratie populiste. Quand ce phénomène se produit, la politique
embrasse de plus en plus les formes du spectacle. Et lorsque la politique s’apparente au
spectacle, les décisions et les programmes de décision tendent non pas à modifier la réalité
mais plutôt l’image de la réalité chez les spectateurs et non pas à satisfaire les besoins réels et
la volonté politique des citoyens mais plutôt à aller au-devant des courants de ce que l’on
nomme l’opinion publique ».
-
Répondre à un besoin de reconnaissance
Les circonstances aggravantes sont également le moyen pour le législateur et le gouvernement
de dire leur compassion aux victimes et ainsi de répondre à leur besoin de reconnaissance.
Chaque catégorie de victimes, pour peu qu’elle soit organisée et qu’une association sache
porter sa parole, est tentée de réclamer sa reconnaissance par la loi. Les victimes ne se
suffisent plus d’être entendues et prises en compte par la justice, il faut qu’elles se
reconnaissent dans la lecture de la loi, qu’elles y soient citées pour se convaincre de ce que la
gravité particulière des atteintes qui leur sont portées est bien prise en compte, et que le
législateur, et non plus seulement le juge, leur accorde pleinement le statut de victime. Il faut
dans la loi une circonstance aggravante qui marque leur existence.
On peut ainsi citer :
- les victimes de racisme
- les victimes d’homophobie
- les pompiers
- les gardiens d’immeuble...
-
Exemples
Divers exemples peuvent être évoqués pour illustrer cette fonction dite déclarative par certain
et symbolique par d’autres :
- On peut prendre l’exemple des violences commises sur plusieurs agents d'un
exploitant de réseau de transport public de voyageurs en 1997. Ces faits avaient été
particulièrement médiatisés.
Suite à ces faits des enquêtes ont été menées par une commission du sénat révélant une
situation alarmante. La loi du 18 juin 1999 portant diverses mesures relatives à la sécurité
routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de
voyageurs est ainsi venu ajouter la circonstance aggravante de violences commises sur un
agent d'un exploitant de réseau de transport public de voyageurs.
- En réaction aux incendies qui ont marqué l’été 2003, la loi du 9 mars 2004 a aggravé
les peines des destructions, dégradations ou détériorations, lorsqu’il s’agit de l’incendie de
bois, forêts, landes, maquis, plantations ou reboisements d’autrui.
- De même, suite a plusieurs faits divers, la loi du 19 mars 2003 a crée la circonstance
aggravante liée à l’orientation sexuelle de la victime.
- Plus récemment encore, on a constaté le même phénomène suite aux violences
urbaines : La loi sur la prévention de la délinquance va ainsi généraliser à de nombreuses
infractions la circonstance aggravante de guet-apens.
Elle prévoit par exemple un article 222-14-1 qui vise « les violences commises avec usage ou
menace d’une arme sur un fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie,
un membre du personnel de l’administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire
de l’autorité publique, ou sur un sapeur-pompier civil ou militaire ou un agent d’un exploitant
de réseau de transport public de voyageurs dans l’exercice, à l’occasion de l’exercice ou en
raison de ses fonctions ou de sa mission, lorsqu’elles sont commises en bande organisée ou
avec guet-apens »
Cette même loi envisage de réprimer « la détention ou le transport de substances ou produits
incendiaires ou explosifs en vue de la préparation d’atteintes aux personnes ou dégradation,
destruction ou détérioration d’un bien appartenant à autrui », et prévoit pour cette
incrimination la circonstance aggravante de bande organisée.
Cela évoque une nouvelle fois les violences urbaines.
Le même phénomène avait pu être constaté antérieurement quant aux violences conjugales,
violences scolaires, les violences contre les pompiers ou encore les violences à caractère
racistes ou homophobes…
Dans tous ces contextes, la médiatisation a joué un rôle important auprès de l’opinion
publique, effrayant ainsi la population.……
…………………………………………………………………...
Dans le but de répondre à cette inquiétude, de la canaliser, le législateur intervient au gré de
ces faits divers, légiférant après chaque « grosse » affaire médiatique.
C’est pourquoi certains auteurs parlent d’instantanéité du droit pénal ou de « Justice en temps
réel ». Mr Vogliotti affirme ainsi que « la pression du temps réel pousse le législateur à
réécrire constamment les mêmes textes, pris par un mouvement oscillatoire dû aussi à la
volonté de satisfaire toutes les requêtes – souvent contradictoires – qui surgissent du champ
pénal ».
Par cette augmentation du nombre de circonstances aggravantes, le législateur ne vise pas
toujours un fait spécifique mais plutôt un contexte, un phénomène social ou familial.
Les fonctions symboliques tendent donc à prévaloir sur les fonctions instrumentales. La
carence sur le plan de la protection effective est compensée par la création, dans le public,
d’une illusion de sécurité et d’un sentiment de confiance dans l’ordre juridique.……
2) La multiplication des circonstances aggravantes
disfonctionnements des régulateurs sociaux traditionnels
palliant
les
Si les circonstances aggravantes se multiplient, c’est aussi peut-être parce qu’elles se fondent
sur un droit pénal qui tente de plus en plus à compenser une réaction sociale déficitaire face
aux comportements déviants.
En effet, les contrôles sociaux émanant de la famille, du milieu professionnel, de toutes les
structures et institutions extra pénales en générale ont perdu beaucoup de leur force.
Cela s’explique par l’évolution tant sur le plan technique que sociologique de la société :
développement des technologies diverses, avènement de la société de consommation,
urbanisation massive, précarisation et flexibilité du travail. Corrélativement les pensées
évoluent avec une montée en puissance de l’individualisme, l’évolution des mœurs et de la
famille et le rejet de toutes formes de disciplines.
Pour toutes ces raisons, l’individu n’est plus encadré ni implanté dans les institutions
traditionnelles de la société. Les politiques de préventions classiques émises par ces
institutions ne seront plus aussi efficaces face à un comportement déviant. Le législateur tente
alors de compenser se phénomène en étendant le filet pénal à ces comportements spécifiques
jugés insupportables que les contrôles sociaux ne paraissent plus pouvoir enrayer. Et cela se
traduit notamment par la multiplication des circonstances aggravantes.
Les institutions traditionnelles telles la famille n’ont pas seulement pour objectifs de contrôler
et endiguer les comportements déviant mais elles ont aussi pour fonction de transmettre les
valeurs d’une société. Or comme on l’a dit aujourd’hui elles ne jouent plus pleinement ce rôle.
C’est donc le droit pénal qui va prendre la relève et on constate qu’il devient de plus en plus
un instrument « d’une pédagogie de la citoyenneté et donc de la responsabilité sociale » selon
les mots de Mme Christine Lazerges. Le phénomène de multiplication des circonstances
aggravantes est aussi révélateur sur cette fonction de plus en plus pédagogique du droit pénal.
Ainsi, la circonstance aggravante de racisme ou d’homophobie ne tente-t-elle pas d’exercer
une forme de pédagogie de la discrimination sur la population ?
A tel point aujourd’hui qu’on ne conçoit plus le règlement d’un problème social sans un
recours systématique au juge et à une sanction aggravée. C’est le cas des violences scolaires,
violences urbaines, violences à caractère raciste ou homophobe, violences familiales pour
lesquels ont été crée des circonstances aggravantes.
Quoi qu’il en soit, on peut légitiment se demander face à tous ces constat si la multiplication
des circonstances aggravante ne traduit pas en fait un droit pénal qui est en train de se
substituer à la réponse sociétale. Il paraît en effet sanctionner moins des valeurs
fondamentales que des manquements à la discipline sociale. La circonstance aggravante de
violence dans un établissement scolaire pourrait s’appliquer à de simples incivilités dans une
cour d’école, la violence étant de définition large et s’applique même en l’absence de contact
physique, ou même encore une simple bousculade. N’est ce pas alors plus un manquement à
la discipline sociale qu’un manquement aux valeurs fondamentales ?
De plus, les circonstances aggravantes semble parfois être de plus en plus le moyen de traquer
dans la conscience d’un individu les convictions qui seraient contraire à la morale du plus
grand nombre. La circonstance aggravante de racisme ou d’homophobie en est une bonne
illustration.
Finalement la multiplication des circonstances aggravantes traduit le changement des
représentations de la société. Certains comportements qui avant étaient considérés comme un
manque d’éducation ou de l’impolitesse sont en passe de ne plus être tolérés et le seuil des
sanctions se déplacent en même temps que ces représentations changent.
Ainsi, la multiplication des circonstances aggravantes illustre l’évolution du droit pénal et
notamment de ses fonctions. Aux fonctions traditionnelles de répression, de prévention et
d’expression, on ajoute une fonction de déclaration et de régulation sociale.
Or comme on va le voir cela a conduit à un phénomène de multiplication des circonstances
aggravantes assez mal maîtrisé
II/ Un phénomène de multiplication des circonstances aggravantes mal maîtrisé
modifiant le paysage de la sanction
Nous verrons que la multiplication des circonstances aggravantes a des conséquences pour le
justiciable mais aussi sur le travail du juge dans la détermination de la peine (A) ce qui
conduit a un droit pénal incohérent synonyme d’une sanction qui n’a plus toujours un sens
(B).
A/ L’impact de la multiplication des circonstances aggravantes sur le juge et le
justiciable.
Ce phénomène peut conduire à des inégalités pour le justiciable et à une forme d’insécurité
juridique tandis que pour le juge il va voir son pouvoir d’individualisation de la sanction se
réduire.
1) Un système parfois contraire au principe d’égalité devant la loi
Le droit pénal est par définition général et absolu et en découle le principe d’égalité devant la
loi. Les circonstances aggravantes en tant que telles ne remette pas en cause ce principe qui a
été affirmé à de nombreuses reprises dans des textes (Articles 1 et 7 de la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, Article 26 du Pacte
International relatif aux Droits Civils et Politiques du 16 décembre 1966, Article 1 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et Article 1 de la Constitution
française du 4 octobre 1958) et par diverses juridictions (Cour européenne des droits de
l’homme, conseil d’Etat, conseil constitutionnel…).
Néanmoins le conseil constitutionnel affirme de manière constante que le principe d'égalité ne
s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce
qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la
différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
Décision n° 2005-516 DC, 7 juillet 2005
Le phénomène de multiplication des circonstances aggravantes semble remettre en cause ce
principe. En effet, le droit pénal qui vise de plus en plus tel ou tel contexte, tel ou tel victime
ou auteur perd de sa généralité et devient spécifique. Le risque est alors d’en faire un droit
pénal injuste qui ne permet plus une égalité du justiciable devant la justice.
Ainsi, on peut se demander au nom de quoi, le même acte de violence, selon qu’il est commis
sur une personne appartenant à telle ou telle « catégorie » ou « communauté » serait puni
différemment. Rend-on réellement justice à la victime qui n’entre dans aucune des catégories
prévues, en punissant moins lourdement celui qui l’a blessée ?
On peut ainsi donner l’exemple d’un homme (n’entrant dans aucune des catégorie de
circonstance aggravante concernant l’auteur) exerçant des violences sur une femme tout juste
majeure (n’entrant dans aucune des catégorie de circonstance aggravante concernant les
victimes) et profitant largement d’une situation de supériorité physique sans qu’aucune
aggravation de peine ne puisse lui être imputé.
La multiplication des circonstances aggravantes entraîne donc des inégalités entre les
personnes visées et celles qui ne le sont pas.
Ces inégalités ne s’expliquent donc pas toujours et la multiplication des circonstances
aggravantes semble parfois aller trop loin !
Le risque est alors de voir chaque groupe de victimes potentielles revendiquer la création de
sa circonstance aggravante au législateur dès qu’un fait divers à son encontre apparaît.
On pourrait ainsi imaginer que des circonstances aggravantes soient créées pour le sexisme
(ce qui a d’ailleurs été demandé par certaines associations).
Le droit pénal a également prévu la circonstance aggravante personnelle concernant le gardien
d’immeuble, pourquoi alors ne pas faire de même pour la femme de ménage ou l’agent
d’entretien. On pourrait envisager la même chose pour le propriétaire (notamment vis-à-vis de
son locataire), leurs relations parfois problématiques pouvant conduire par exemple à des faits
de violences, de menaces ...
Dernier exemple, si on réprime plus sévèrement certains actes commis contre les enseignants,
pourquoi ne pas faire de même pour les assistantes maternelles ou les personnes travaillant
dans les garderies, les moniteurs de colonies de vacances, et j’en passe...
Ce serait donc une chaîne sans fin ! De telles circonstances aggravantes ne seraient bien
évidemment pas justifiées, mais cela montre l’absurdité de vouloir protéger tout le monde au
détriment d’autres dans des situations parfois sociologiquement proches !
Si un tel mouvement se poursuit, alors le droit pénal visera finalement tous les types de
victimes et la sanction, aggravé systématiquement, n’aura alors plus aucun sens.
Le droit européen affirme pourtant que le droit à l'égalité constitue une norme centrale parmi
les droits fondamentaux. Il recouvre l'égalité des personnes entre elles et devant le droit. C'est
un « droit à l'égalité des droits ». Malgré tout notre droit ne semble pas s’orienter vers cela,
bien au contraire et on peut se demander alors ce qu’il adviendra du sens et de la nécessité de
la sanction.
Ainsi la multiplication des circonstances aggravantes n’est pas fondé, au sens ou le principe
d’égalité n’est pas respecté. De plus ce mouvement devient synonyme d’insécurité juridique
par la remise en cause du pouvoir du juge.
2) La réduction du pouvoir du juge dans la détermination de la peine.
Si on constate une multiplication importante des circonstances aggravantes, il apparaît
souvent que la création de telles circonstances n’est pas indispensable. Et que l’application
d’une qualification infractionnelle déjà existante dans le code pénal aurait suffit à une
répression suffisante.
En effet, notre droit pénal possède déjà des outils efficaces à une répression proportionnée au
contexte de l’infraction qui est le pouvoir d’individualisation du juge. La généralité d’une
infraction et de sa sanction est comblée par ce pouvoir qui permet au juge de graduer la
répression en fonction des éléments entourant l’infraction.
Ainsi, s’il estime que le contexte de l’infraction, les moyens employés ou encore les victimes
touchées lui semble traduire un comportement particulièrement inacceptable, rien ne
l’empêche de sanctionner plus lourdement. Bien évidemment, il est tenu au limites légales du
maximum de la peine encourue mais ne peut-on pas considérer que ces infractions générales
sont déjà suffisamment sanctionnée ?
La pratique montre en effet que jamais ou presque le maximum légal encouru pour une
infraction aggravée n’est prononcé. C’est bien que le maximum de la peine de l’infraction
initiale doublée du pouvoir d’individualisation du juge y suffit.
3) Un mouvement synonyme d’insécurité juridique
Les diverses créations de circonstances aggravantes accréditent au coup par coup l’idée dans
l’opinion publique que le droit pénal est infesté de « vides juridiques » provoquant un
sentiment d’insécurité juridique injustifiée qui est en plus amplifié par les médias. La
population se sent alors soulagée lorsqu’une circonstance aggravante est crées sur une
infraction résultant de tel ou tel phénomène social pensant que le problème sera réglé mais
sans se demander toute fois comment la justice traitait ce genre d’infraction avant.
Le sentiment d’insécurité juridique pourra toucher plus spécifiquement victimes et auteurs
dans une autre mesure. En effet, le phénomène de multiplication des circonstances
aggravantes a des conséquences sur l’attitude du juge et sa marge de manœuvre dans la
détermination de la sanction.
Certaines circonstances aggravantes posent des problèmes de qualification et de mise en
œuvre concrète et ce malgré une définition objective de celles-ci. Cela se traduira par un
problème de preuve.
Ainsi le racisme ou l’homophobie doivent-ils, pour pouvoir être reconnus comme
circonstances aggravantes, avoir été manifestés avant, pendant ou après la commission de
l’infraction par des propos, des écrits ou des images portant atteinte à l’honneur ou à la
considération de la victime ou du groupe auquel elle est censée appartenir ou appartient.
Cependant, les propos, écrits, ou images ne seront pas toujours présents alors que le contexte
de temps et de lieu de l’infraction peut pourtant convaincre du caractère raciste ou
homophobe d’une agression. Même à imaginer que les propos aient effectivement existés, il
sera parfois difficile de les prouver en absence de témoin. Dans tous ces cas, la circonstance
aggravante ne pourra pas être retenue.
Quand bien même la circonstance aggravante est possible, tout dépendra ensuite de l’attitude
du juge à son égard qui décidera de la qualifier ou non.
Il est à redouter que les juges face à ce phénomène de multiplication des circonstances
aggravantes et ce mouvement général d’aggravation de la sanction décident de ne pas suivre
le législateur et ne pas qualifier systématiquement la circonstance dès qu’elle est possible.
On peut alors aisément imaginer la déception de la victime qui ne verra pas la circonstance
aggravante être mise en œuvre. Elle ne se sentira pas prise en considération provoquant ce
même sentiment d’insécurité. Jean Danet précise à ce titre que « la victime vivra cette
situation comme un échec là où auparavant la peine aurait marqué seule, discrètement peut
être mais de manière plus juste, le contexte et le mobile de l’agression ».
Si les juges décident de ne pas qualifier dès qu’elle se présente la circonstance aggravante
c’est peut-être aussi car ce phénomène de multiplication leur font perdre une certaine marge
de manœuvre dans la détermination de la peine. En effet, il semble que le législateur ne fasse
plus confiance au juge pour individualiser la peine en fonction des circonstances de
l’infraction. Le législateur multiplie alors les circonstances aggravantes comme il multiplie les
injonctions au juge de sanctionner plus durement que dans telle circonstance. Bien
évidemment à cela on pourra rétorquer que le juge reste libre en ce qu’il n’existe plus de peine
planchée. Cependant, si la circonstance est qualifiée, le juge se devra d’imposer une peine
plus élevée que l’infraction initiale sans quoi cette qualification serait inutile. En cela le
législateur semble enserrer de plus en plus le pouvoir du juge dans sa liberté de choix du
quantum de la peine.
La seule parade possible sera alors la correctionnalisation judiciaire. Elle consiste pour le
procureur ou le juge d’instruction à appliquer à des agissements constitutifs d’un crime une
qualification correctionnelle en déformant délibérément la réalité des faits. Le procédé le plus
simple sera alors de négliger une circonstance aggravante. Ainsi par exemple on négligera
l’existence d’une arme pour le vol afin que l’infraction qui était constitutive d’un crime reste
un délit. La correctionnalisation longtemps restée une pratique illégale a été consacré par la
loi du 9 mars 2004. Elle nécessite le consentement tacite de l’ensemble des acteurs du procès
pénal : magistrat, auteur, victime. L’avantage de cette pratique pour la personne poursuivie
sera qu’elle encoure des peines moins élevées tandis que la partie civile voit son affaire jugée
plus rapidement. Bien qu’un appel est possible par les parties devant la chambre de
l’instruction pour contester la qualification de délit retenue, il faut admettre que la
correctionnalisation judiciaire est aussi synonyme d’insécurité juridique pour les victimes qui
voyant l’infraction constitutive d’un crime passer en délit le vivront là encore comme un
échec. Il n’est pas à douter qu’avec la multiplication des circonstances aggravantes la
correctionnalisation judiciaire déjà bien encrée ne cesse pourtant de s’accroître.
En effet, beaucoup de ces circonstances aggravantes font passer un délit en un crime.
Cependant, les cours d’assises déjà bien engorgées qui sont des juridictions non permanentes
avec une procédure lourde vont être dans l’impossibilité de juger l’ensemble de ces nouveaux
crimes et vont se trouver très vite paralysées par le nombre d’affaire.
Ensuite, la correctionnalisation judiciaire sera un moyen pour le juge de retrouver un peu de
son pouvoir d’individualisation de la sanction et d’adapter la peine aux circonstances
particulière de chaque affaire.
B/ La multiplication des circonstances aggravantes, vers un droit pénal incohérent.
1) Un droit pénal inopérant
- Un système d’accumulation de circonstances aggravantes parfois mal maîtrisé
Le système d’accumulation de circonstances aggravantes est parfois mal maîtrisé.
L’illustration la plus caractéristique de cette difficulté est celle des violences scolaires. Se sont
des situations ou on peut très facilement cumuler trois circonstances aggravantes.
Souvent ce sera les suivantes :
- Les violences sont commises à l'intérieur d'un établissement scolaire ou éducatif.
- La victime est un mineur de quinze ans.
- Les violences sont commises avec usage ou menace d'une arme.
Dans le cas le plus extrême, l’auteur pourra se voir infliger la peine de 7 ans
d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende si les violences n’ont entraîné aucune
incapacité totale de travail ou une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours,
voire même une peine de 10 ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende si les
violences ont entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours.
Ces peines apparaissent comme disproportionnées eu égard aux violences scolaires
« ordinaires ». De plus les auteurs de telles violences sont en majorité des mineurs, et la peine
ne paraît donc pas adaptée, si tant est qu’elle le soit déjà pour les majeurs.
Une telle remarque peut être effectuée également dans le cadre du contexte familial. Certaine
circonstances aggravantes s’associe, pourrait-on dire, naturellement.
On peut cumuler très facilement trois circonstances aggravantes :
- les violences habituelles
- la qualité d’auteur ascendant
- la qualité de victime mineur de quinze ans.
Ce système est une sorte d’engrenage conduisant à une sur répression liée à l’environnement
dans lequel ces violences sont exercées et à une stigmatisation forte.
Le cumul de ces multiples circonstances aggravantes devient redoutable puisqu’il résulte très
souvent de situations d’une totale banalité au plan sociologique.
- Le non respect du principe de proportionnalité
Aussi le principe de la proportionnalité de la peine eu égard à l’infraction commise n’est plus
du tout respecter. L’exemple déjà donné dans le cadre des violences scolaires est celui du
mineur encourrant une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros
d’amende.
Quelle logique pouvons-nous donner à cette réponse pénale ? On sait très bien qu’en pratique
les juges ne prononceront pas de telles peines, et même si tel était le cas cela serait tout à fait
irresponsable. Une telle peine n’est pas une réponse efficace aux violences scolaires.
- L’ineffectivité de l’infraction aggravée
Le fait que chaque victime ait sa circonstance aggravante, que chaque nouveau fait relaté
intensivement par les médias conduise à la création d’une nouvelle circonstance aggravante,
on a du mal à déterminer ce qui est plus grave ou ce qui est moins grave. La gradation des
infractions perd de son sens.
Par conséquent, les auteurs n’ont plus forcément peur de la sanction qui accompagne la
circonstance aggravante.
La circonstance aggravante et la sanction qui l’accompagne deviennent ineffectives !
2) Vers un droit pénal illisible
Les décisions du législateur sont empreintes de contingence. Il détermine les circonstances
aggravantes au cas par cas, sans s’inscrire dans une logique d’ensemble ; il ne les pense pas
en système mais de façon isolée.
Ainsi, lorsqu’il incrimine une circonstance aggravante, il la rattache bien souvent
spontanément à une infraction donnée sans se demander si elle mériterait d’être étendue à
d’autres.
Deux auteurs remarquent à cet égard (Mrs Conte et Maistre du Chambon) que les solutions du
législateur sont parfois surprenantes. Ils citent en exemple la préméditation qui, concevable
pour toutes les infractions intentionnelles, n’est érigée en circonstance aggravante qu’à propos
des infractions portant atteinte à l’intégrité physique.
Comme autres exemples illustrant cette incohérence et ce manque de rigueur on peut évoquer
la circonstance aggravante liée à l’orientation sexuelle de la victime et celle liée à
l’appartenance de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion.
Concernant la première (la circonstance aggravante liée à l’orientation sexuelle de la victime),
elle ne fut retenue par la loi du 19 mars 2003 qu’à l’égard de cinq infractions (le meurtre, les
tortures et actes de barbarie, les violences, le viol et les agressions sexuelles), de sorte que la
loi du 9 mars 2004 du élargir son domaine. Toutefois elle ne l’étend qu’aux menace, vol et
extorsion, alors qu’il aurait semblé justifié de l’appliquer à toutes les infractions
intentionnelles de quelque gravité que ce soit et on pense tout particulièrement aux
destructions, dégradations ou détériorations.
Il est également curieux que la circonstance aggravante liée à l’appartenance de la victime à
une ethnie, une nation, une race ou une religion, dont le domaine a été élargi par des lois
successives, ne soit pas devenue une cause d’aggravation systématique des infractions
intentionnelles.
Le nombre de circonstances aggravantes est tel, et chacune ne s’appliquant pas à toutes les
infractions
Le législateur procède de la même manière lorsqu’il fixe la peine qui résulte de la
circonstance aggravante. Il arrive ainsi qu’une même cause d’aggravation produise un effet
variable selon l’infraction sur laquelle elle se greffe, sans que l’on comprenne la raison de
cette disparité.
Par exemple, la circonstance de bande organisée porte la peine privative de liberté du vol de 3
à 15 ans, celle de l’extorsion de 7 à 20 ans, mais n’élève celle de l’escroquerie que de 5 à 7
ans.
Là encore le principe de proportionnalité de la peine n’est pas respecté.
L’absence de cadre des circonstances aggravantes entraîne donc un manque de rigueur et de
cohérence de la part du législateur. Mais elle est aussi une source d’hésitations et de
confusions en doctrine et en jurisprudence.
Ainsi, le nombre de circonstances aggravantes est tel, chacune ne s’appliquant pas forcément
aux mêmes infractions, se confondant parfois avec les éléments constitutifs de ces mêmes
infractions, ou n’agissant pas de manière proportionnelle sur le seuil de la peine encourue, le
flou est le plus total.
Quelle logique pouvons donc nous donner à tout cela ?
= Pourquoi ne pas alors envisager une refonte du droit pénal en ce qui concerne notamment
les circonstances aggravantes, de manière à mettre en place un système rigoureux, simple et
cohérent.
On pourrait imaginer la généralisation de certaines circonstances aggravantes à toutes les
incriminations intentionnelles, chaque texte devant ensuite déterminer l’augmentation de la
peine nécessaire.
L’objectif serait en plus de redéfinir une échelle des peines plus logique et plus cohérente.
Vous nous direz que c’est peut être plus facile à dire qu’à faire, mais cela semble néanmoins
nécessaire pour permettre une meilleure lisibilité de notre droit !
Conclusion :
En conclusion, on peut tout a fait dire qu’on se dirige vers un droit pénal inopérant ! On
incrimine de plus en plus de comportements divers et variables sans aucune cohérence.
Le phénomène de surarmement du droit pénal s’accentue de plus en plus : il faut punir le plus
de comportement possible et punir plus fortement. La multiplication des circonstances
aggravantes en est l’illustration parfaite !
Or la difficulté vient du fait qu’à tout sanctionner, l’effectivité de la sanction disparaît.
Mireille Delmas Marty parle quant à elle de « droit pénal magique ». C’est l’autre constante
du droit pénal : La loi pénale répond alors à tel ou tel sentiment d’insécurité et le législateur
poursuit le plus souvent un objectif politique d’apaisement.
Or, cette expression révèle bien le malaise actuel !
Mais ce qu’il faut penser c’est que la réponse pénale n’est peut être pas la seule réponse
possible. Une réponse sociétale serait peut être plus convenue mais également plus utile.
On l’imagine aisément concernant les violences scolaires et les violences exercées par les
mineurs d’une manière générale, mais aussi pour les violences conjugales.
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