SNC

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Le système nerveux central
Il est difficile de comprendre le système nerveux sans connaître les principes qui président à son
développement. Il est évident que l'information génétique disponible, qui représente dans notre
espèce de l'ordre de 20.000 gènes, ne suffit pas à coder spécifiquement chaque connexion du
système nerveux, dont on ne connaît pas le nombre mais que l'on peut estimer de l'ordre de 1014 à
1015. C'est-à-dire que le développement du système nerveux fait appel à des mécanismes de
contrôle extragénétiques qui modulent, dans le temps et l'espace, l'activité d'ensembles de gènes
de façon combinatoire. Ces influences ont leur origine à l'intérieur de l'embryon - signaux
intercellulaires et molécules de surface - et dans l'environnement – facteurs nutritionnels,
influence de l'éducation, etc... La neurobiologie du développement s'est énormément développée
ces dernières années, au point qu'il est impossible d'en donner autre chose qu’un bref aperçu.
Nous nous contenterons donc de présenter les aspects les mieux établis et directement utiles à la
compréhension du fonctionnement du système nerveux central, en décrivant tout d’abord la mise
en place des différentes parties du SNC, avant de discuter les mécanismes cellulaires principaux.
La neurulation
Le système nerveux (SN) est un derivé ectodermique qui se met en place dès la fin de la
gastrulation, au début de la troisième semaine, sous forme d’un épaississement ectodermique, la
plaque neurale, qui apparaît dans la région dorsale moyenne. La plaque neurale se creuse
rapidement en gouttière neurale, qui est particulièrement large et épaisse au niveau rostral, où elle
forme les plis neuraux. Ensuite, les bords de la gouttière s’élèvent pour se rapprocher l’un de
l’autre jusqu’à fusionner dorsalement et former le tube neural. La fermeture du tube neural
commence au niveau cervical, et se poursuit dans les sens caudal et rostral. Aux extrémités, le
tube reste initialement ouvert, formant les neuropores antérieur et postérieur qui mettent en
communication la lumière du tube neural et la cavité amniotique. Le neuropore antérieur se ferme
au stade de 18-20 somites, et le postérieur deux jours plus tard.
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La moelle
Sitôt après sa fermeture, la paroi du tube neural est composée d’un neuro-épithélium. Les cellules
s’étendent à travers toute l’épaisseur, formant un épithélium pseudostratifié, et sont connectées à
leur pôle luminal par des jonctions. Les mitoses se poursuivent dans la zone qui entoure le
ventricule, appelée pour cette raison zone ventriculaire. A la partie externe du neuro-épithélium
apparaissent de grandes cellules qui correspondent aux premiers neurons, et qui se disposent dans
le manteau qui deviendra la substance grise de la moelle. La partie encore plus externe, la zone
marginale, contient essentiellement les fibres provenant des neurones du manteau, et plus tard les
fibres afférentes d’autres sources. A un stade plus tardif, les axones s’entourent d’une gaine de
myéline et cette zone marginale devient la substance blanche de la moelle. Suite à la formation et
à la migration des neurones, les côtés du tube neural augmentent de volume. En position ventrale
se trouvent les lames ou plaques basales, qui contiennent les motoneurones et des interneurones,
alors que les plaques ou lames alaires, en position plus postérieure, forment les aires sensitives.
Ces deux lames sont séparées par un sillon appelé sillon limitant. Les parties médianes ventrale et
dorsale portent le nom de plancher (floor plate) et toit (roof plate); elles ne contiennent pas de
neurones, mais le plancher joue un rôle dans le guidage des axones qui croisent la ligne médiane
(commissures). En plus des cornes ventrale et dorsale, des neurones se disposent en position
intermédiaire, formant la corne intermédiolatérale peuplée de neurones orthosympathiques aux
niveaux dorsal et lombaire, et de neurones parasympathiques au niveau sacré.
Les premières fibres motrices apparaissent à la quatrième semaine, au départ de la corne ventrale
de la moelle. Elles se groupent au niveau des racines ventrales. Les racines dorsales contiennent
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les axones des neurones des ganglions rachidiens, dont l’extrémité proximale plonge dans la
moelle et l’extrémité distale se joint aux fibres de la racine ventrale pour former les nerfs
périphériques.
Au 3ième mois, la moelle occupe toute la longueur de l’embryon, et les nerfs rachidiens quittent
le rachis en regard de leur origine. Ensuite, le rachis s’allonge plus vite que la moelle, de sorte
que l’extrémité caudale de la moelle prend une position relative de plus en plus rostrale. A la
naissance, l’extrémité de la moelle est au niveau de L3. En parallèle, les racines rachidiennes
descendent dans le canal rachidien avant de rejoindre leur trou de conjugaison. Chez l’adulte, la
moelle se termine en L2-L3, alors que le sac dural descend jusque S2 avant de se prolonger par le
filum terminal qui l’attache au coccyx. Le paquet de racines nerveuses qui cheminent dans le sac
dural en dessous de L3 forme la queue de cheval. C'est pourquoi la ponction lombaire est
toujours pratiquée au niveau lombaire bas pour éviter de piquer la moelle.
Les malformations les plus fréquentes de la moelle sont les anomalies de fermeture du
tube neural ("dysraphies"), qui peuvent impliquer le tissu nerveux mais aussi les arcs vertébraux,
les muscles et la peau. Le spina bifida est une division des arcs vertébraux, accompagnée ou non
de division de la moelle. Son incidence est de 1/1000 avec de grandes variations régionales. Le
spina bifida occulta est un déficit qui ne touche que les arcs vertébraux, généralement au niveau
L4 – S1 et s’accompagne fréquemment d’une touffe de poils en regard de la région impliquée.
Cette anomalie touche environ 10% des personnes. Le spina bifida kystique est une malformation
grave où une poche de méninges et de tissu médullaire fait hernie à travers un déficit des arcs
vertébraux et de la peau. Ces kystes sont le plus souvent situés dans la région lombosacrée et
entraînent un déficit neurologique, mais pas de retard mental. La hernie de méninges et de liquide
céphalorachidien est appelée méningocoele. Si du tissu nerveux y est inclus, on parle de
méningomyélocoele. Le cas le plus rare est celui où la moelle est ouverte vers l’extérieur : spina
bifida aperta. Ces anomalies sont parfois accompagnées d’hydrocéphalie, par trouble de
circulation du liquide céphalorachidien. Le diagnostic de spina bifida kystique est posé avant la
naissance au moyen de l’échographie et par dosage de l’alphafoetoprotéine qui s’élève dans le
plasma de la mère et dans le fluide amniotique. Les cas sévères bénéficient d’un traitement
chirurgical in utero vers 28 semaines, qui diminue les séquelles neurologiques. L’origine des
anomalies de fermeture du tube neural est diverse et largement inconnue. Il semble bien que
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l’administration d’acide folique diminue l’incidence de cette malformation à condition d’être
commencée avant la conception et poursuivie pendant la gestation.
Rhombencéphale, cervelet, mésencéphale
La partie rostrale du tube neural forme trois dilatations correspondant aux trois vésicules
primaires, à savoir le prosencéphale (cerveau antérieur), le mésencéphale (cerveau moyen) et le
rhombencéphale (cerveau postérieur). En parallèle, se forment deux flexions, la flexion cervicale
entre le cerveau postérieur et la moelle, et la flexion céphalique dans la région du cerveau moyen.
Au stade de 5 semaines, le prosencéphale se différencie en télencéphale, formé d’une portion
médiane et de deux évaginations latérales, les futurs hémisphères, et en diencéphale. Le champ
optique, à partir duquel se forment les vésicules optiques, est actuellement considéré comme un
territoire propre plutôt que comme une extension rostrale du diencéphale. Un sillon profond,
l’isthme rhombencephalique, sépare le mésencéphale du rhombencéphale. Ce dernier comporte
deux parties, à savoir le métencéphale, qui forme plus tard le pont et le cervelet, et le
myélencéphale, précurseur du bulbe. La jonction de ces deux derniers territoires est marquée par
la flexion pontine. La lumière du tube neural, le canal central, se continue dans les différentes
vésicules. La cavité du rhombencéphale est le quatrième ventricule, celle du diencéphale le
troisième, et celles des hémisphères correspondent aux ventricules latéraux. Au niveau du
mésencéphale, la lumière se rétrécit et devient l’aqueduc de Sylvius. Les ventricules latéraux
communiquent avec le troisième par les trous de Monro.
Le rhombencéphale est composé du myélencéphale (bulbe rachidien, anciennement appelé
"moelle allongée", d'où la traduction anglaise de « medulla », à ne pas confondre avec la moelle,
« spinal cord ») et du métencéphale, qui forme le pont (pont de Varole, ou protubérance). Le
cervelet se développe au départ de la face postérieure du métencéphale. Le rhombencéphale
prolonge la moelle, mais sa forme est différente suite à l’apparition du quatrième ventricule avec
ouverture de la partie dorsale, et en raison de la nécessité d’innerver des structures spécifiques de
l’extrémité céphalique, à savoir les organes des sens et les dérivés des arcs pharyngiens. Les
lames basales et alaires sont séparées par le sillon limitant. Comme dans la moelle, la lame basale
contient les noyaux de neurones moteurs où l’on distingue cependant trois groupes au lieu de
deux dans la moelle : noyaux moteurs somatiques en position paramédiane, noyaux moteurs
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branchiaux (dits « viscéraux spéciaux ») en position intermédiaire, et noyaux viscéraux généraux
(parasympathiques) en position plus latérale. La colonne motrice somatique paramédiane
prolonge la corne ventrale de la moelle et inclut les neurones moteurs du XII (muscles de la
langue), du VI (oculomoteur externe), et au niveau mésencéphalique, du IV (pathétique ou
trochléaire) et du III (oculomoteur commun). La colonne viscérale spéciale innerve les muscles
dérivés des arcs pharyngiens, via les nerfs V moteur (masticateur), le VIIbis (intermédiaire de
Wrisberg), IX (glossopharyngien) et X (vague ou pneumogastrique). La colonne
parasympathique fournit l’innervation parasympathique préganglionnaire de la tête et de l’étage
supérieur du corps (noyau pupilloconstricteur d’Edinger Westphal, noyaux salivaires supérieur et
inférieur et noyau dorsal du vague ou cardiopneumoentérique). Les lames alaires contiennent
trois groupes de neurones sensoriels. Le groupe le plus latéral reçoit les afférences auditives et
vestibulaires (nerfs cochléaires et vestibulaires) et est formé des noyaux cochléaires et
vestibulaires. En position un peu plus interne, on trouve la colonne sensitive de la face formée par
le noyau sensitif du V (trijumeau). Une colonne intermédiaire, le noyau du tractus solitaire, reçoit
les afférences viscérales spéciales, à savoir les afférences gustatives, ainsi que les afférences
viscérales générales, comme les fibres parasympathiques afférentes en provenance du cœur, des
bronches ou encore du tractus digestif.
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Le cervelet est formé par bourgeonnement au bord rostral du quatrième ventricule, au niveau de
la lèvre rhombique. Les neurones des noyaux cérébelleux profonds sont les premiers engendrés
au niveau de l’angle du quatrième ventricule, puis migrent en position rostrale. Les grains
cérébelleux sont formés ensuite presque au même endroit et migrent à peu près de la même
manière, en surface du cervelet, pour former la couche des grains externes, avant d’effectuer une
seconde migration, radiaire, vers la profondeur du cervelet, au contact des fibre gliales radiaires
(glie de Bergmann), pour former la couche des grains internes. Les cellules de Purkinje sont
engendrées le long du quatrième ventricule et migrent directement, radialement, pour former la
couche correspondante. L’origine et le mode de migration des autres neurones cérébelleux restent
mal connus.
Le mésencéphale est réduit chez l’homme et s’étend entre l’isthme du cerveau et le diencéphale.
Le ventricule y est réduit à un pertuis, l’aqueduc de Sylvius. S’y trouvent les colonnes motrices
somatiques des nerfs IV et III, ainsi que le noyau de Edinger Westphal qui fournir l’innervation
parasympathique de la pupille (myosis). Le toit de l’aqueduc de Sylvius, appelé tectum, contient
les tubercules quadrijumeaux antérieurs et postérieurs (colliculi supérieurs et inférieurs).
Cerveau antérieur (prosencéphale).
Le prosencéphale est composé du télencéphale (hémisphères cérébraux, cortex et striatum), du
champ oculaire qui forme la rétine, et du diencéphale, qui forme la neurohypophyse, l’épiphyse,
l’épithalamus, les diverses composantes du thalamus et l’hypothalamus.
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Le diencéphale se développe sur les flancs du troisième ventricule, la cavité sagittale impaire qui
fait suite à l’aqueduc de Sylvius. Sa partie dorsale correspond à l’épithalamus (future habenula)
au niveau postérieur duquel se développe la glande pinéale ou épiphyse. Sous l’épithalamus se
développent les deux parties du thalamus, thalamus dorsal et ventral et les divers noyaux qui les
composent. Enfin, en position basale se développe l’hypothalamus et ses différentes composantes
qui participent, entre autres, à la régulation de l’équilibre neuro-endocrine.
L’hypophyse ou glande pituitaire est formée de deux parties. La neurohypophyse ou hypophyse
postérieure dérive du neuroépithélium de l’hypothalamus, alors que le reste de l’hypophyse se
forme au départ de la poche de Rathke. Contrairement à ce qu'on pensait jadis, cette dernière n'est
pas un dérivé de l'ectoderme du stomodeum. Ses cellules proviennent des plis neuraux et, un peu
comme celles de placodes, sont transitoirement hébergées parmi les éléments du stomodeum,
dont elles se séparent ensuite pour former la poche de Rathke proprement dite. La poche de
Rathke forme l’hypophyse antérieure ou adénohypophyse, ainsi que le lobe intermédiaire.
L’ensemble de l’hypophyse se localise au sein de la selle turcique du sphénoïde. Rarement, des
restes de la poche de Rathke persistent dans le toit du pharynx donnant une hypophyse
pharyngienne. Des tumeurs appelées craniopharyngiomes peuvent se développer aux dépens de
résidus de cette poche, en position sellaire ou suprasellaire.
Le télencéphale, la partie la plus rostrale du cerveau, se forme par évagination de deux poches
correspondant aux hémisphères cérébraux dont les cavités, les ventricules latéraux, sont en
communication avec le troisième ventricule par les trous de Monro. Les hémisphères cérébraux
se développent vers la 5ième semaine et, vers 2 mois, des renflements appelés éminences
ganglionnaires (GE) se forment à leur partie basale. Ces GE forment plus tard le striatum et une
bonne partie des neurones inhibiteurs GABAergiques du cortex. Au niveau médian, la vésicule
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télencéphalique s’amincit pour se réduire à une fine couche de tissu pratiquement dépourvu de
neurones, le "hem", et se prolonge par les plexus choroïdes.
Les hémisphères augmentent de taille en s’enroulant autour de leur "hile", selon un mouvement
antéropostérieur qui conduit à la formation des différents lobes (frontal, pariétal, occipital et
temporal) et à la formation des parties correspondantes des ventricules latéraux. Les GE donnent
naissance au striatum, composé surtout des noyaux caudés et lenticulaires. Le reste du
télencéphale donne naissance aux diverses partie du cortex : la partie latérale donne le cortex
pyriforme (paléocortex) ; la partie médiane forme les structures hippocampiques (archicortex) ;
les territoires intermédiaires donnent naissance au néocortex. Le complexe amygdalien et
quelques autres structures (détaillées au cours de neuro-anatomie) sont formés au départ du
télencéphale basal.
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Les structures corticales, et surtout le néocortex, sont particulièrement développées chez l’homme.
On admet actuellement que la majorité (70 à 80%) des neurones du cortex sont des neurones
excitateurs glutamatergiques engendrés dans les zones ventriculaires qui tapissent les ventricules
latéraux, et que ces neurones gagnent leur destination dans le cortex au terme d’une migration
radiaire qui est guidée par les prolongements des cellules neuroépithéliales radiaires, selon des
mécanismes qui restent à élucider. Les autres neurones corticaux sont des interneurones
inhibiteurs GABAergiques qui sont en partie engendrés comme les précédents, mais pour la
plupart dans les zones ventriculaires plus basales, au niveau des éminences ganglionnaires. De
l’eminence ganglionnaire, ces neurones gagnent le cortex par une migration plus longue,
tangentielle, dont les mécanismes de guidage sont encore plus mal connus.
Les taches olfactives se développent dans les fosses nasales, à partir des placodes olfactives qui
forment les neurones sensoriels olfactifs dont les axones forment le nerf olfactif (nerf crânien I).
Ces derniers gagnent le futur bulbe olfactif qui se développe à la partie rostrale et basale des
hémisphères. Les cellules mitrales du bulbe olfactif envoient leurs axones via les bandelettes
olfactives vers le rhinencéphale ou cortex piriforme, situé à la pointe du lobe temporal.
Commissures
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Les commissures sont des tractus de fibres qui traversent la ligne médiane et mettent en
communication des structures droites et gauches. Des fibres commissurales existent aux divers
étages de l’axe neural, de la moelle au télencéphale. Au niveau télencéphalique, les premières
fibres commissurales passent juste devant le troisème ventricule, au niveau de la lame terminale;
elles correspondent à la partie rostrale de la future commissure blanche antérieure, dont les
axones proviennent des noyaux olfactifs antérieurs et rejoignent le bulbe olfactif contralatéral.
Puis des faisceaux plus importants forment d’abord le bras postérieur de la commissure blanche
antérieure, située en avant des trous de Monro, qui met en communication les lobes temporaux,
puis le corps calleux, la plus importante des commissures interhémisphériques, qui apparaît à la
10ième semaine et qui met en communication les autres lobes cérébraux. Il existe aussi une
commissure interhippocampique et une commissure postérieure.
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Biologie du développement du système nerveux
La neurulation
On commence à comprendre la formation précoce du SN, appelée “neurulation”. On sait depuis
près de 100 ans que la transformation de cellules ectodermiques en tissu neural est “induite” par
la notochorde. On sait depuis la même époque que des cellules provenant de l’ectoderme dissocié
et mises en culture ont spontanément tendance à se différencier en neurones. Ces deux
observations sont à première vue contradictories, puisqu’un processus d’induction semble
nécessaire in vivo alors qu’une differentiation neuronale se fait spontanément in vitro. La
contradiction est évidemment apparente. En réalité, l’identité de l’ectoderme est maintenue par
sécrétion de Bmp (surtout Bmp4 et 7), et sa transformation en tissu nerveux se fait spontanément
si le signal Bmp est bloqué. Le rôle « inducteur » de la notochorde consiste à neutraliser l’action
des Bmp en sécrétant plusieurs molécules, surtout la chordin et noggin (et follistatine), dans le
milieu extracellulaire. Ces protéines ont la particularité de fixer les Bmp et ainsi de neutraliser
leur action. Des souris chez qui les deux gènes noggin et chordin sont inactivés meurent au stade
embryonnaire par malformations du cerveau antérieur (mais ces animaux forment quand-même
du tissu nerveux). Ce système binaire simple est modulé par des mécanismes plus complexes.
Par exemple, certaines enzymes protéolytiques (tolloid et tolloid-like, des métalloprotéinases de
la famille astacine) sont capables de dégrader sélectivement chordin et noggin et se comportent
comme des stimulateurs de Bmp ou des inhibiteurs de neurulation.
Malgré le rôle clé du mécanisme de blocage du signal Bmp, il est clair que du tissu
nerveux se forme même en présence de non blocage du signal Bmp. D’autres systèmes comme
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les facteurs Fgf et leurs récepteurs, et les facteurs Wnt et récepteurs jouent aussi un rôle, très tôt,
voire avant la gastrulation, pour initier le destin neural de cellules souches. Une difficulté de
l’étude de ces lignages tissulaires tient à la grande plasticité qui existe dans le développement. On
sait aujourd’hui que aucune induction n’est totalement irréversible, qu’elle se produit par étapes
et que des influences diverses peuvent influencer le destin cellulaire au cours de la détermination
d’un lignage.
Le mécanisme par lequel les cellules ectodermiques deviennent les précurseurs du
système nerveux reste inconnu. Quelques éléments de réponse ont été proposés et méritent une
brève discussion, à savoir i) l’inhibition latérale par le système Notch – Delta ; ii) l’identification
des gènes « proneuraux » chez Drosophile et l’étude des orthologues de vertébrés ; et iii) la
caractérisation des élements de régulation génétique NRSE et du facteur REST/NRSF.
L’inhibition ou spécification latérale est un mécanisme en feedback qui permet, à partir
d’une population cellulaire initialement homogène, de produire deux populations différentes.
Dans notre cas précis, des cellules ectodermiques sont aiguillées vers les lignages épidermique et
neurodermique. Le mécanisme impliqué est le suivant. Les cellules de la population initiale
expriment en surface un récepteur membranaire appelé Notch. A un moment donné, selon un
mécanisme déclanchant inconnu et probablement variable d’une population à l’autre, certaines
cellules se différencient dans une direction donnée, par exemple en éléments du système nerveux
et se mettent à exprimer en surface les protéines de membrane Delta ou Jagged (Delta ou Serrate
chez la Drosophile), qui sont des ligands de Notch. Dès que Delta ou Jagged se lie à Notch en
surface de cellules adjacentes, le signal engendré dirige ces cellules vers l’autre voie de
différenciation, à savoir la voie épidermique.
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Par exemple, chez la Drosophile, l’inactivation de Notch ou Delta produit un excess de cellules
neurales et un déficit d’épiderme. Dans le SN des vertébrés, Notch est exprimé dans les zones de
prolifération des précurseurs. A un moment donné, Delta et/ou Jagged commence à s’exprimer en
surface de neurones postmitotiques et influencerait les cellules adjacentes pour diminuer leur
détermination neurale. Ce mécanisme en feedback serait responsable d’une répartition
proportionnée, équilibrée des lignages dérivés d’une population de précurseurs. Il est impliqué à
plusieurs points de décision du développement embryonnaire. Comme souvent, la situation chez
les mammifères est compliquée par le phénomène de redondance génomique, puisque notre
génome contient quatre gènes orthologues de Notch, autant de Delta, et deux gènes Jagged.
Notch et ses ligands agissent en stimulant un signal intracellulaire qui aboutit à l’activation de
facteurs de transcription et de certains gènes responsables de la différenciation. Une autre action
est une augmentation de l’adhésion intercellulaire qui résulte de l’expression de Notch et Delta
ou Jagged, qui sont toutes des protéines de membrane. Paradoxalement, on qualifie souvent les
gènes de la voie de signalisation Notch de « neurogènes », alors que cette voie réprime la
différenciation neurale. L’origine provient des mutants notch et autres chez Drosophile, chez
lesquels il se produit une hypertrophie du système nerveux.
Les gènes dits « proneuraux » (tels que le complexe achaete-scute, atonal) été initialement
décrits chez la Drosophile, où ils sont indispensables à la formation du tissu nerveux à partir de
l’ectoderme. Ils codent pour des facteurs transcriptionnels de type bHLH (basic helix-loop-helix)
et sont exprimés et indispendables à la formation des cellules souches neurales. Les proteines
codées par ces genes forment des complexes hétérodimériques avec d’autres proteines bHLH, les
proteines E, dont l’expression est ubiquiste, et la plupart de ces complexes dimériques sont
activateurs transcriptionnels. Une de leur cible est la voie de signalisation Notch, qui conduit à
son tour à l’inhibition del’expression des gènes proneuraux (inhibition latérale). Des gènes
orthologues des gènes proneuraux sont présents chez les vertébrés (familles Mash, neurogenins,
Math) et jouent des rôles importants dans le développement du SN. Plusieurs observations, en
particulier de souris mutantes pour ces gènes, indiquent que leur rôle essentiel ne se situe pas
uniquement ni même préférentiellement au niveau de la détermination des cellules ectodermique
en cellules souches neurale, mais plutôt lors de la spécfication des sous-classes de neurones et
des autres types de cellules du SN.
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Plusieurs gènes sont spécifiquement exprimés par les neurones. On a montré que nombre
de ces gènes possèdent dans leur région régulatrice, des séquences appelées NRSE (neuronal
restrictive silencer element). Ces séquences lient un facteur transcriptionnel appelé REST
(repressor element transcription factor) ou NRSF (neuron restrictive silencer factor). Dans les
cellules non neuronales qui expriment le facteur REST/NRSF, ce dernier se lie dans le noyau aux
séquences NRSE, ce qui inactive l’expression des gènes cibles. Dans les neurones, le facteur
REST/NRSF est absent ou séquestré dans le cytoplasme et incapable de se fixer aux séquence
NRSE, de sorte que les gène cibles ne sont pas réduits au silence et sont exprimés. Toutefois,
alors que d’aucuns pensaient que ce système joue un rôle clé dans le « choix » entre les destins
ecto-et neurodermiques, il fut montré que l’inactivation du gène qui code le facteur REST/NRSF
chez la souris n’empêche pas la détermination du système nerveux (bien que les animaux
homozygotes meurent au stade embryonnaire de 9 jours, après la formation du SN). Le système
REST/NRSF ne joue donc pas ce rôle central proposé. D’autres facteurs transcriptionnels sont
candidats à ce rôle, mais aucune hypothèse cohérente n’est actuellement proposée.
Proliferation des précurseurs et différenciation régionale
Nous avons déjà mentionné que les précurseurs des neurones et des cellules gliales (astrocytes,
oligodendrocytes) prolifèrent dans des zones situées tout autour du système ventriculaire,
appelées zones ventriculaires. Dans ces zones de prolifération, les cellules sont arrangées sous
forme d’un épithélium appelé neuro-épithélium. Lors du cycle cellulaire, les cellules en phase S
dupliquent leur ADN en profondeur du tissu, les mitoses (phase M) se produisent tout près de la
lumière ventriculaire, et les cellules en interphase (G1) se dirigent à nouveau vers l’extérieur. Il
se produit ainsi un mouvement en aller-retour des noyaux suivant le cycle mitotique.
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Quelques zones de prolifération se situent en dehors des zones ventriculaires proprement dites,
notamment dans le hile du gyrus dentelé de l'hippocampe et au niveau de la couche des grains
externes du cervelet. Au niveau du télencéphale, il se forme une zone de prolifération juste en
dehors de la zone ventriculaire, appelée zone sousventriculaire. Les neurones sont engendrés lors
de divisions asymétriques des précurseurs, selon une chronologie qui est connue mais dont la
régulation est complexe. Les neurones sont définitivement postmitotiques, de sorte qu’il est
possible de déterminer leur « date de naissance » comme discuté plus loin.
De nombreux gènes qui contrôlent la formation et le programme de différentiation des
neurones ont été identifiés. Il s'agit en particulier des facteurs de transcription qui sont exprimés
dans certaines aires des zones ventriculaires. Ces facteurs de transcription sont exprimés par les
précurseurs neuronaux en réponse à des molécules extracellulaires des familles SHH, BMP, FGF,
WNT et autres, sécrétées par des structures extracérébrales et des parties du neuroépithélium qui
jouent un rôle un peu analogue à celui des « organisateurs », comme le nœud embryonnaire. Par
exemple, SHH est sécrété par la notochorde puis par les structures médioventrales de l'axe du
SNC, alors que certains facteurs BMP et WNT sont sécrétés par l'ectoderme puis par des
structures dorsales de l'axe neural. Le détail des mécanismes qui président à la formation des
différents neurones reste très mal connu et il est impossible de présenter une vue intégrée.
En plus de la réponse aux signaux solubles, un autre élément important de la
différenciation est le temps. En effet, un même foyer de la zone ventriculaire peut engendrer des
types cellulaires différents à divers moments du développement. Ainsi, les neurones sont
(statistiquement parlant) engendrés avant les astrocytes, et les oligodendrocytes après les
astrocytes. Le même mécanisme s'applique aux neurones. Par exemple, les neurones corticaux
glutamatergiques destinés aux couches 2 à 6 sont déterminés dès leur sortie du cycle mitotique
dans la zone ventriculaire, mais engendrés en séquence temporelle pour les couches 6, 5 , 4, 3 et
2 comme expliqué ci-dessous.
Au cours du développement normal, les zones de prolifération produisent un excès de
neurones, engendrant au moins deux fois le nombre adulte. Les neurones excédentaires sont
éliminés par apoptose dite "physiologique". D'un point de vue téléologique, il est raisonnable de
prendre une marge de sécurité puis d'éliminer ce qui est en trop. Par exemple, si quelques cellules
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sont perdues suite à un accident quelconque, le système peut ainsi assurer un nombre final normal
en ajustant l'apoptose.
« Patterning » de la moelle
Le facteur soluble SHH est sécrété par la notochorde puis par le plancher du tube neural.
Les précurseurs présents dans les zones ventriculaires ventrales (par rapport au sillon limitant) de
la moelle sont soumis à une concentration décroissante de SHH selon la distance qui les sépare
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du plancher. En fonction de sa concentration, SHH induit certains facteurs dits de classe II
(Nkx6.1, Nkx6.2, Olig2 et Nkx2.2) et réprime l’expression des facteurs dits de classe I (Pax3/7,
Dbx1, Dbx2, Irx3 et Pax6). De plus, les couple de classe I et II interagissent en boucle feedback
négative (Pax6 – Nkx2.2 ; Irx3 – Olig2 ; Dbx2 – Nkx6.1 ; Dx1 – Nkx6.2 ; et Pax3/7 – X, facteur
inconnu). Cette interaction en boucle négative (l’un réprimant l’autre) transforme le gradient
continu de SHH en gradient discontinu (par palliers) de différenciation neuronale. Ce jeu
combinatoire induit la formation des domaines dorsoventraux p0 (le plus dorsal), p1, p2, pMN et
p3 (le plus ventral), dans lesquels se différentient des neurones identifiés par l’expression de
facteurs de transcription spécifiques, à savoir les interneurones V0 (facteur Evx1/2), V1 (En1),
V2 (Chx10), les motoneurones MN (Isl1) et les interneurones V3 (Sim1). Les neurones V0
forment des axones commissuraux qui cheminent rostralement sur 1 à 4 segments et pourraient
intervenir dans des réflexes moteurs. Les neurones V1 envoient leur axone dans le cordon latéral
ipsilatéral sur un segment, fournissant une rétroaction inhibitrice des motoneurones. Les neurones
V2 envoient un axone ipsilatéral mais sur une plus grande distance, et les V3 enverraient aussi
des fibres commissurales. La corrélation entre la classification esquissée ici et les classifications
neuro-anatomiques et électrophysiologiques des neurones médullaires adultes est incomplète.
Les choses sont encore moins bien connues pour les cornes dorsales, dont les précurseurs sont
notés pD ci-dessus. Une vue récente est la suivante. La corne dorsale contient six populations,
dI1-dI6 d’interneurones inhibiteurs engendrés précocément (entre E10 et E12.5 chez la souris) et
deux populations (dILA et dILB) engendrées plus tardivement. On distingue aussi les neurones
dont la formation est dépendante de molécules sécrétées par le toit (« roof plate »), classe A et
ceux qui en sont indépendants (classe B). Certains neurones envoient leur axone à travers la ligne
médiane alors que d’autres ont des projections ipsilatérales. Le toit joue une grande importance
par sécrétion de Bmp et aussi de Wnt (Wnt1 et Wnt3a). Ces facteurs stimulent la production de
facteurs de transcription bHLH importants, surtout Math1, Ngn1/2, Mash1 et Pax7. Le facteur
Gdf7, un membre de la family Bmp est nécessaire à la différenciation des interneurones dorsaux
D1A.
17
Cerveau postérieur (hindbrain) et « organisateur isthmique »
Le cerveau postérieur (rhombencéphale) est composé du bulbe (myélencéphale) et du pont
(métencéphale). Il est organisé en huit « rhombomères », des segments peu marqués
morphologiquement, mais bien individualisés sur le plan de l’expression génique. On numérote
les rhombemères en séquence rostrocaudale, r1-r8. r1 correspond à l’isthme, et le cervelet dérive
de sa partie dorsale. r2-r5 correspondent au métencéphale, et r6-r8 au bulbe. Des frontières entre
les rhombomères restreignent les mouvements de cellules d’un rhombomère à l’autre. Cette
étanchéité serait réalisée en partie par des molécules de la famille Eph, en particulier EphA4
(récepteurs tyrosine kinase) et leurs ligands Ephrines de type B. Lorsque ces molécules sont
exprimées en surface de deux cellules, elles induisent une répulsion réciproque qui pourrait
expliquer les frontières bien marquées et étanches entre les compartiments segmentaires. Chaque
rhombomère acquiert des propriétés cellulaires et moléculaires uniques qui contrôlent la
différenciation des noyaux des nerfs crâniens et de la crête neurale. Par exemple, les
18
motoneurones formés en r2, 4 et 6 forment les nerfs moteurs V, VII et IX qui innervent les trois
premiers arcs pharyngiens.
Les territoires des rhombomères sont caractérisés par l’expression d’une combinaison unique de
gènes. Certains codent des facteurs de trancription (MafB, kr, Hoxb1, Krox20), alors que d’autres
sont des protéines extracellulaires (Follistatin, Wnt8) ou de membrane (Cepu-1), de sorte que ces
marqueurs ne donnent pas une idée précise des mécanismes sousjacents. L’identité des
rhombomères 1 et 2, serait sous contrôle du gène Otx2, alors que l’ablation du gène Gbx2 élimine
les rhombomères r1-r3.
L’identité des rombomères r3-r8 et la coordination entre cette identité et celle des cellules de la
crête neurale correspondantes est assurée par le « code Hox ». Chez les mammifères, il existe
quatre groupes de gènes Hox (A-D), tous soumis à une régulation précise, les gènes en position
3’ étant exprimés plus tôt et en position plus antérieure (rostrale) que ceux de la région 5’. Dans
le cerveau postérieur, l’expression des gènes Hox est répartie selon les rhombomères, de sorte
que chaque segment (excepté r1 et r2) et la crête neurale qui en provient expriment une
combinaison Hox spécifique, formant un « code Hox ».
19
L’identité des rhombomères est aussi affectée par l’acide rétinoïque, dont l’inactivation de
uniformise l’identité des segments r3-r8, qui ressemblent tous à r4. L’acide rétinoïque est produit
en grandes quantités par le mésoderme somitique autour du rhombencéphale postérieur et de la
moelle et exerce une action « caudalisante ». Des concentrations croissantes induisent des
rhombomères et structures plus caudaux.
L’isthme est situé à la frontière entre le pont et le mésencéphale et possède des propriétés
« organisatrices », bien étudiées chez le poulet mais probablement similaires chez la souris.
20
Aux stades précoces de 6 à 8 somites, les gènes codant pour les facteures de trancription En1,
Pax2, Lmx1b et Grg4, et le gène Wnt1 sont exprimés assez diffusément dans le futur
mésencéphale et les rhombomères. Otx2 et Gbx2 sont exprimés respectivement dans les aires
rostrales et caudales, avec une zone de recouvrement où leur action jeu mutuellement antagoniste
induit la localisation de l’isthme, qui exprime le facteur Fgf8. Au stade de 12 somites, sous
l’influence de Fgf8, une frontière très tranchée existe entre les domaines Otx2 et Gbx2, qui
coincide avec le bord rostral de l’isthme. L’expression du facteur Wnt1 se restreint à la partie
postérieure et dorsale du mésencéphale. Grg4 est exprimé dans la partie antérieure du
mésencéphale et dans le diencéphale, alors que En1 et 2 ainsi que Pax2 et 5 ont un domaine
d’expression complémentaire, dans le mésencéphale postérieur et l’isthme. Irx2 est exprimé dans
l’isthme et la partie antérieure du pont. Les régions qui reçoivent les signaux Fgf8 les plus
concentrés se différentient en r1, dont la partie dorsale donnera le cervelet. Le mésencéphale et le
pont se forment de part et d’autre, sous l’action combinatoire des facteurs de transcription notés.
Cerveau antérieur : diencéphale et télencéphale.
Le diencephale est une région où des modifications de forme très importantes se produisent
pendant le développement, ce qui complique l’analyse et reste une source de controverses
importantes, qu’il serait fastidieux de discuter en détails. La majorité des auteurs semblent
21
d’accord de proposer la formation de quatre segments précoces, correspondant au prétectum, au
thalamus dorsal (thalamus proprement dit), au thalamus ventral (préthalamus) et à
l’hypothalamus. Chacun de ces segments possèderait un champ ventral et un champ dorsal dont
la régionalisation pourrait ressembler à celle des segments du tronc ou de la moelle. A des stades
plus avancés du développement, les thalamus dorsal et ventral prennent une position superposée
et l’organisation intiale en segments devient difficilement perceptible. Une zone appelée ZLI
(zona limitants intrathalamica) marque la limite entre thalamus dorsal et ventral. La ZLI sécrète
Shh et joue un rôle important dans la définition des régions diencéphaliques. Son rôle
d’apparente à celui de l’isthme, mais est toutefois moins bien précisé. Le gène Gbx2, dont nous
avons mentionné le rôle important dans la formation de l’isthme, influence fortement le
développement du thalamus, puisque son inactivation chez la souris engendre une atrophie de
nombreux noyaux du thalamus et une absence presque complète des projections
thalamocorticales.
Malgré la complexité des structures qui le composent, la détermination du télencéphale est mieux
connue que celle du diencéphale. Le télencéphale est « induit » sous l’action de molécules
sécrétées par la région la plus rostrale du système nerveux, le bourrelet neural antérieur
(« anterior neural ridge »). Le facteur Fgf8 est très important mais probablement pas le seul
impliqué. Fgf8 induit le facteur transcriptionnel Foxg1 (anciennement Bf1) nécessaire à la
détermination télencéphalique des précurseurs qui prolifèrent au sein des zones périventriculaires
comme dans les autres endroits du cerveau. La formation du télencéphale rostral requiert aussi la
neutralisation de l’activité des molécules Wnt, qui a lieu par sécrétion de molécules « antiWnt »
au niveau du neuroectoderme antérieur. En absence de ces molécules qui neutralisent Wnt, le
télencéphale est « postériorisé » en diencephale postérieur.
La division du télencéphale en deux champs correspondant aux hémisphères dépend de la
sécrétion de facteurs par les structures médianes. Cette étape est déficiente en cas
d’holoprosencéphalie, une anomalie génétique où il existe un seul ventricule médian et qui
résulte de mutations dans au moins 12 gènes dont 4 ont été identifiés : SHH (facteur sécrété),
ZIC2, SIX3 (facteurs de transcription) et TGIF (adaptateur intracellulaire du signal TGF).
22
Une fois sa formation induite par les signaux extrinsèques, comme Fgf8, Wnt et Bmp
(postériorisants et dorsalisants) et Shh (ventralisant), la vésicule télencéphalique est régionalisée
en parties dorsale (pallium) et ventrale (subpallium). Des facteurs bHLH jouent un rôle important
à ce niveau. Neurogenin 1 et 2 (Ngn1,2) sont exprimés par les précurseurs du télencéphale dorsal,
alors que Mash1 est indispensable à la détermination en télencéphale ventral. Comme Ngn1 et 2,
Gli3 est nécessaire à l’acquisition du caractère dorsal (ou suppression du caractère ventral), et les
facteurs transcriptionnels Pax6 et Emx2 y sont fortement exprimés. Suite à sa spécification, le
télencéphale dorsal est encore divisé en deux régions. Le champ médian donnera les plexus
choroïdes et le « hem » (litt : « ourlet ») sous l’influence du facteur transcriptionnel Lhx2, et le
reste les zones ventriculaires corticales, sous l’influence de Foxg1 qui empêche la médialisation
de l’ensemble du pallium. La taille et la formation des structures palliales sont stimulées par le
« hem » médian, via des protéines Bmp, en particulier Bmp5 et 7, et Wnt, en particulier Wnt3a,
qui induisent les facteurs transcriptionnels Emx2 et Pax6 nécessaires à la formation des zones
corticales, alors que les signaux Bmp contrarient l’action du facteur Foxg1. Lorsque Emx2 et
Pax6 sont tous deux déficients, l’ensemble des vésicules télencéphaliques prend une
différenciation de type télencéphale ventral. Les zones ventriculaires corticales sont réparties en
secteur médian (futur hippocampe), dorsale (futur néocortex, plus tard partionné en aires
corticales) et latéral (futur cortex entorhinal et pyriforme). Les facteurs Emx2 et Pax6 sont
exprimés suivant des gradients complémentaires dans les zones de prolifération, Emx2 étant plus
exprimé dans les zones postérieures et médianes(futur cortex occipital et hippocampe) dont il
favorise la différenciation, et Pax6 dans les zones antérieures et latérales (futures aires motrices)
dont il stimule la formation. Ces deux facteurs ont des effets antagonistes.
Le télencéphale basal est induit sous l’influence de SHH, en particulier par stimulation de
l’expression du facteur Nkx2.1 dont l’inactivation diminue la formation de dérivés de la base
comme le pallidum. Les facteurs Dlx1 et 2 y sont fortement exprimés. Il existe un antagonisme
fonctionnel entre Nkx2.1, Gsh1,2, Dlx1,2 et d’autres TF qui sont exprimés dans, et favorisent la
formation du télencéphale ventral ou subpallium, et Pax6, Emx2, Tbr1 et autres TF qui sont
exprimés, et stimulent la formation du télencéphale dorsal ou pallium et de ses dérivés.
23
Sur base des données et exemples résumés plus haut, on peut dégager quelques principes
généraux. Il existe un invariant tout au long du névraxe, avec Shh produit sur la ligne médiane et
ventrale, qui favorise la différenciation des structures ventrales ou basale, et les facteurs Bmp et
Wnt qui favorisent la formation des structures dorsales. La régionalisation antéropostérieure se
superpose à la précédente, par action de facteurs postériorisants (acide rétinoïque, Fgf, Wnt) dont
la neutralisation est nécessaire à la mise en place des structures les plus rostrales. Enfin, le
système nerveux se forme par blocs (moelle, cerveau postérieur, bloc diencéphalique postérieur,
bloc diencéphalique antérieur, télencéphale, dont la détermination est plus ou moins autonome
selon une topographie fixée par des régions « organisatrices ».
Formation des cellules gliales et myéline
Au début de la formation du tube neural, les zones de prolifération contiennent des progéniteurs
neuraux multipotents. Ces cellules neuroépithéliales engendrent les diverses classes de neurones
et de cellules gliales (à l’exception de la microglie). Les cellules gliales sont donc produites par
les zones ventriculaires comme les neurones, surtout après la production neuronale. Les
24
premières cellules gliales sont des cellules radiaires, formées relativement tôt, en même temps
que les neurones et qui jouent un rôle important pour guider la migration neuronale. La transition
entre précurseurs radiaires multipotents et cellule gliale radiaire est progressive, de sorte que des
cellules radiaires ayant déjà pris une différentiation gliale partielle sont encore capables de
donner naissance à des neurones. Hormis les cellules gliales radiaires et les épendymocytes (et
tanycytes) qui tapissent les ventricules et qui sont leurs descendants directs, les autres dérivés
gliaux des zones ventriculaires se détachent des ventricules et migrent vers l’extérieur où ils se
différencient en astrocytes et en oligodendrocytes (production de la myéline). Pendant la seconde
moitié de la gestation, un autre type de cellules gliales, les cellules microgliales, apparaissent.
Ces cellules sont des dérivés mésenchymateux proches des macrophages et donc radicalement
différentes des astrocytes.
Rappelons que la myéline est différente dans le SNC et dans le système nerveux
périphérique. Au niveau périphérique, la myéline est formée par les cellules de Schwann, qui
proviennent de la crête neurale puis migrent au contact des axones. La myéline est formée par des
enroulements successifs de la membrane des cellules de Schwann autour des axones. Les
premières gaines de myéline se mettent en place à partir du 4ième mois. Dans la substance grise
de la moelle et du SNC en général, la myéline est formée par les oligodendrocytes. La
myélinisation est prolongée et ne prend fin, à certains endroits comme le cervelet, que bien après
la naissance, vers 18 mois.
Dans les zones de prolifération, des cellules souches neurales sont donc capables de se
différencier en neurones, astrocytes et oligodendrocytes, et le contrôle est assuré par des facteurs
sécrétés comme des cytokines ou des Bmp, et des facteurs de transcription. Ainsi, Olig2 est un
facteur transcriptionnel nécessaire à la formation des oligodendrocytes.
Crête neurale et placodes
La population cellulaire destinée à former les crêtes neurales est induite sur les bords de la plaque
neurale, sous influence de concentrations élevées en Bmp4 et 7 et Wnt6, d’origine ectodermique.
Des facteurs de transcription des groupes Pax et Zic interviennent dans ce processus d’induction,
ainsi que Slug et Foxd3, deux facteurs spécifiquement exprimés par la crête neurale et qui ont
probablement un rôle particulier. Pendant l’élévation des bords de la gouttière neurale, ces
25
cellules se retrouvent groupée au niveau tout postérieur, près du toit, d’où elles se déatchent,
quittent le parenchyme cérébral et entament leur migration. La crête neurale est présente tout le
long du tube neural à l'exception du prosencéphale. Les cellules de la crête neurale migrent en
dehors du SNC pour former, entre autres, les ganglions rachidiens sensitifs, les cellules de
Schwann et les ganglions autonomes. Cette migration est contrôlée par des signaux attractifs et
répulsifs, fournis par des facteurs de la matrice extracellulaire comme la fibronectine, et des
récepteurs membranaires comme l’Ephrin-B1. Rappelons que, au niveau de la région
crâniocéphalique, la crête neurale participe à la formation de nombreuses structures
mésodermiques (voir chapitre "Tête et cou").
Mentionnons aussi que l'on peut rapprocher de la crête neurale les diverses placodes
présentes à l'extrémité céphalique, dont les cellules dérivent des plis neuraux. On distingue la
placode olfactive, responsable de la formation des neurones olfactifs, des cellules gliales des
taches olfactives, des neurones à GnRH, et peut-être de quelques autres neurones, la placode du
cristallin, les placodes ophtélmique et trigéminées qui donnent naissance à certains neurones du
ganglion de Gasser, la placode otique de laquelle dérivent les cellules réceptrices auditives et
vestibulaires ainsi que les ganglions sensoriels correspondants, et les placodes épibrachiales qui
donnent naissance aux ganglions sensitifs distaux des nerfs VII, IX et X. Il existe des similarités
entre crête neurale et placodes et on peut considérer, sans que cela soit formellement prouvé, que
les cellules des placodes sont une sorte d’équivalent rostral de la crête neurale, qui se forme plus
caudalement. Les facteurs caudalisants (Fgf, acide rétinoïque, Wnt) favorisent la formation de la
crête neurale, et leur absence favoriserait la différenciation des placodes.
Migration neuronale
Un second aspect fondamental du développement du cerveau, par lequel il diffère du
développement des autres organes, est que les neurones postmitotiques ne restent pas là où ils
sont engendrés mais qu'ils entreprennent une migration à travers le tissu pour gagner leur
destination. A noter que la migration neuronale dans le SNC est une migration intra-épithéliale,
qui n'implique pas directement d'interaction épithélio-mésenchymateuse.
26
Les neurones sont des cellules postmitotiques, définitivement bloquées en interphase. En raison
de cette propriété, il est possible de dater le moment où se produit la dernière division donnant
naissance à un neurone donné. Il suffit pour cela d'administrer à des femelles gestantes un traceur
incorporé lors de la duplication du DNA - thymidine tritiée ou bromodeoxyuridine. Les cellules
embryonnaires qui sont en phase S à ce moment captent le traceur, qui se dilue si la cellule
poursuit ses divisions, mais qui reste concentré dans son DNA si la cellule ne se divise plus.
Cette méthode a été largement utilisée et a permis de définir la "date de naissance" de
pratiquement tous les systèmes neuronaux chez diverses espèces, de la souris à l'homme. Comme
on sait que les neurones sont engendrés dans les VZ, il est souvent possible de déduire le trajet de
migration en analysant la place des neurones marqués après un pulse de thymidine.
Une de découvertes les plus intéressantes concerne le cortex cérébral. En effet, contrairement à
l'idée intuitive que l'on s'en fait, les neurones de la couche 6, la couche la plus interne du cortex,
sont les plus vieux, suivis par ceux de la couche 5, puis 4,3 et 2. Les neurones immatures plus
jeunes traversent les couches préalablement établies pour se déposer à un niveau plus superficiel,
formant un gradient histogénétique dirigé de dedans en dehors. Il existe une exception à ce
principe: les neurones de la zone marginale (couche 1 ou moléculaire) sont les tout premiers
engendrés. Les neurones de la zone marginale comptent au moins deux types, à savoir les
neurones pionniers engendrés dans la zone ventriculaire locale et les neurones de Cajal-Retsius,
engendrés tout autour du hile du télencéphale et qui migrent tangentiellement vers la zone
marginale.
Comme les autres cellules mobiles, les neurones migrent en trois étapes schématiques. La
première consiste à étendre une projection cellulaire appelée « front de migration » ou « leading
edge ». La formation de cette expansion dépend de la formation des microfilaments d’actine dont
le cycle de polymérisation/dépolymérisation est sous le contrôle d’une machine moléculaire
complexe appelée « actin treadmill » (litt : moulinet d’actine), impliquant des molécules
associées aux microfilaments et d’autres plus spécifiques qui transmettent vers ces derniers les
instructions extracellulaires. Des protéines GTPases de petite taille (Rho, Rac, Cdc42) ont un rôle
critique dans ce processus. La seconde étape, qui définit la notion de migration, consiste en un
mouvement du noyau qui s’engage dans le front de migration. En absence de ce mouvement du
noyau, comme lors de la croissance axonale, il n’y a pas de migration cellulaire proprement dite.
27
Cette second étape, souvent appelée nucléokinèse, dépend davantage de la dynamique des
microtubules. La troisième étape, moins étudiée, consiste en la rétraction de l’arrière de la cellule.
Une fois arrivés près de leur destination, les neurones s’arrangent par rapport à leurs voisins pour
former les structures multicellulaires caractéristiques des divers noyaux du cerveau, ce qui est
appelé l’architectonique cérébrale. Cette étape est contrôlée par la Reelin, une protéine de la
matrice extracellulaire reconnue par des récepteurs en surface des neurones.
La Reelin est une très grande protéine de plus de 300 acides aminés, sécrétée dans la matrice
extracellulaire par certaines cellules, en particulier les neurones de Cajal-Retzius. Elle se fixe en
surface des neurones qui parviennent en fin de migration, au niveau de deux récepteurs (Vldlr et
Apoer2) qui font partie de la famille du LDL et cette fixation induit un signal intracellulaire qui
semble dicter au neurone arrivé à destination une instruction responsable de son arrangement.
Depuis les zones ventriculaires, les neurones en migration sont guidés vers leur destination par
des prolongements radiaires qui forment une sorte d'échafaudage et servent de rails pour la
migration. Ces prolongements sont les extensions cytoplasmiques des cellules de la zone
ventriculaire, qui s'étendent du ventricule à la surface méningée. Au début, ces prolongements
radiaires sont de nature neuroépithéliale et appartiennent aux précurseurs neuronaux. Lorsque le
développement progresse, ils prennent une différenciation gliale et sont appelés "fibres gliales
radiaires". Ce mode de migration le long des fibres gliales radiaires est très répandu et dénommé
migration gliophile. Au niveau du cortex, elle concerne l'essentiel des cellules, à savoir les
neurones glutamatergiques excitateurs.
Dans certains cas, la migration neuronale ne se produit pas le long des RGF mais suit un substrat
différent. Il peut s'agir d'axones, comme dans le cas de la migration tangentielle des grains
cérébelleux et l'on parle alors de migration neuronophile. Il peut s'agir d'une migration en coulées
de neurones entourés d'un manchon de cellules gliales, comme dans le cas de la migration tardive
des neurones granulaires du bulbe olfactif, un phénomène baptisé "migration en chaîne". Un
autre exemple de migration tangentielle est fourni par les cellules de Cajal-Retzius mentionnées
plus haut, et par la migration des interneurones corticaux GABAergiques inhibiteurs depuis les
éminences ganglionnaires vers le cortex. Il existe d'autres modes de migration encore largement
en cours de caractérisation.
28
Une manière simple de voir les choses, schématisée ci-dessus, est de considérer que la migration
neuronale permet de fournir à un noyau donné du cerveau, un répertoire des différents types de
neurones qui lui sont nécessaires pour fonctionner. L'essentiel des composantes est amené par
migration radiaire à partir des zones de prolifération les plus proches, et cette zone ventriculaire
fournit une certaine variété de types cellulaires au cours du temps. L'approvisionnement en autres
classes de neurones se ferait via migration à partir d'autres zones de prolifération selon des voies
de migration non radiaires. Cette "explication" ne dit bien sûr rien des mécanismes impliqués, qui
restent encore mal connus.
Guidance axonale et connexions
Une fois atteinte sa destination, et parfois même un peu avant, le neurone immature commence à
produire son axone. L'axone grandit par une structure distale spécialisée appelée cône de
croissance. Du cône de croissance émanent plusieurs filopodes très mobiles, qui s'étalent et de
rétractent sans cesse. La structure du cône de croissance est assez semblable à celle des
expansions des fibroblastes en migration et au front de migration des neurones en migration, de
sorte que les mécanismes de base sont identiques et surtout basés sur la motilité de l'actomyosine.
Notons cependant que la migration neuronale gliophile ne s'accompagne pas de la formation de
structures aussi différenciées, et utilise donc probablement un mécanisme différent. La croissance
des axones et l'établissement des connexions avec leur cible sont des phénomènes très spécifiques.
Cette spécificité dérive de signaux présents dans l'environnement et reconnus par le cône de
croissance. C'est surtout Sperry qui rendit très populaire l'hypothèse selon laquelle les divers
neurones acquièrent des marqueurs moléculaires spécifiques très tôt dans leur développement et
que ces molécules servent de signal à l'établissement des connexions. Cette hypothèse, appelée
chémoaffinité, a été progressivement modifiée et est actuellement acceptée, du moins dans sa
29
formulation la plus lâche. En effet, les signaux qui assurent la spécificité des connexions ne sont
pas présents uniquement au niveau des cellules cibles et l’établissement des connexions est loin
de répondre à un mécanisme moléculaire simple du type « clé-serrure ». Au contraire, des
molécules servant à guider le cône de croissance sont présentes à divers point du trajet, en
particulier aux points où il doit "décider" de sa direction, par exemple pour se séparer d'autres
axones qui cheminent avec lui. En général, lorsque le cône de croissance pénètre dans une zone
où il doit décider de sa direction, il tend à s'étendre plus largement et à se charger de filopodes
plus grands, un peu comme s'il hésitait et cherchait activement quelle direction suivre. Des études
réalisées chez les invertébrés, en particulier le croquet, la drosophile et un petit vers annélidé
appelé Caenorhabditis elegans, montrent que la précision du guidage du cône de croissance
atteint chez ces espèces un degré de précision exceptionnel. Les vertébrés se prêtent moins
facilement à l'analyse, mais une grande précision semble aussi exister, accompagnée toutefois
d'une plastici té considérable. Une donnée quelque peu inattendue est que les signaux de
guidance peuvent être de nature non seulement adhésive mais aussi répulsive. Des études in vitro
ont en effet démontré que les cônes de croissance peuvent être guidés par des molécules de
surface qui les repoussent. Un exemple de répulsion de la croissance axonale est par une protéine
de surface des oligodendrocytes (les cellules responsables de la formation de la myéline centrale),
récemment caractérisée et baptisée “NoGo”. Les cellules de Schwann, qui forment la myéline
périphérique, ne possèdent pas cette molecule, et l'on pense que cette différence explique en
grande partie pourquoi les axones du système nerveux central régénèrent mal par rapport à ceux
du système nerveux périphérique.
Les axones en croissance peuvent être guidés par un gradient de substance diffusible: c'est le
chémotropisme. Par exemple, les axones du ganglion du nerf trijumeau sont attirés par un facteur
sécrété par l'épithélium de la mâchoire. De même, les axones commissuraux de la moelle sont
attirés par un facteur chémotrope sécrété par des cellules de la plaque ventrale (floor plate); la
molécule responsable est la netrin. Il existe plusieurs exemples de ce type, mais les molécules
responsables n'ont pas toujours été formellement identifiées. De même, le mécanisme par lequel
les cônes de croissance détectent les signaux des facteurs chémotropes n'est pas identifié dans
tous les cas. Ces signaux agissent via des récepteurs de surface du cône de croissance, et le signal
est relayé dans la cellule par des mécanismes de transduction du signal vers l'intérieur du cône de
croissance, tels que cAMP , calcium, phosphorylations, etc...
30
Pour quelques systèmes, un rôle de signal dans la guidance axonale a été clairement établi. Il
s’agit en particulier des netrines, des molécules Slit, des semaphorins et des ephrins. Les netrins,
Slit et certaines semaphorins sont des protéines sécrétées qui s’associent avec la matrice
extracellulaire, alors que les ephrins et d’autres semaphorins sont des molécules de membrane.
Les netrins peuvent agir comme agents attractifs ou répulsifs, alors que les Slits, semaphorins et
ephrins sont en principe répulsives, encore que des actions attractives ont été décrites dans
certains contextes. Pour chacun de ces molécules signal, il existe un ou des récepteurs de
membrane qui permettent aux cellules qui les expriment de capter le signal. Le récepteur de
netrin est appelé Dcc («deleted in colon cancer », un nom qui n’a rien à voir avec le rôle de cette
protéine) ; les protéines Slit sont reconnues par les récepteurs Robo1-3 ; les semaphorins se fixent
au niveau des neuropilins et plexins ; enfin, les ephrines sont reconnues par les récepteurs Eph.
Ces molécules ne sont pas les seules impliquées dans la guidage des cônes de croissance. Des
facteurs solubles comme HGF (hepatocyte growth factor) et les molécules du groupe TGF beta
peuvent participer, ainsi que de nombreuses molécules d'adhésion. Certaines protéines d’adhésion
agissent de manière aspécifique, permettant une adhésion de n'importe quel cône de croissance à
31
son environnement, alors que d'autres sont plus spécifiques d'un tel ou autre type de cône de
croissance. Sur le plan biochimique, elles appartiennent à quelques grande "superfamilles":
immunoglobulines, cadhérines, intégrines et neurexines. D'autres membres de ces mêmes
familles de protéines sont présents dans les autres tissus où elles exercent aussi une fonction
d'adhésion plus ou moins spécifique. La famille dite "immunoglobuline-like" est surtout
représentée par la molécule NCAM (neural cell adhesion molecule), présente sur tous les
neurones et qui agit de manière homophile pour augmenter l'adhésion intercellulaire. D'autres
membres de cette famille sont les protéines L1-CAM et MAG (myelin-associated glycoprotein).
La seconde famille est celle des cadhérines, dont il existe un grand nombre de membres, comme
la N-cadhérine, qui est importante dans le cerveau. Les cadhérines agissent de manière homophile,
mais requièrent la présence d'ions calcium. Elles sont transmembranaires et leur portion
cytoplasmique est attachée au cytosquelette par les caténines. Les protéines du troisième groupe,
les intégrines, sont responsables de l'adhésion entre cellules et matrice extracellulaire. La
fibronectine, la laminine et la ténascine sont parmi les molécules de la matrice extra cellulaire qui
assurent l'ancrage de cellules nerveuses par l'intermédiaire de certaines intégrines.
Dès que des axones parviennent à proximité de leurs cellules-cibles, ils s'y connectent selon un
ordre précis, ce qui donne lieu aux cartes topographiques, somato-, rétino-, tonotopiques, etc...
Sperry proposa le premier l'existence d'un gradient de molécules signal dans le territoire terminal,
et certains arguments expérimentaux ont été apportés en faveur de cette hypothèse, en particulier
dans le modèle des connexions rétinotectales, qui sont particulièrement précises et relativement
accessibles à l’étude expérimentale chez les poissons, les amphibiens ou les oiseaux. Chez
l'embryon de poulet, les axones provenant de la rétine nasale se projettent sur la partie postérieure
du tectum, et ceux qui proviennent de la rétine temporale se connectent au tectum antérieur.
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Le tectum postérieur synthétise une protéine qui repousse les axones de la rétine temporale, et il
est tentant d'expliquer l'un par l'autre. La protéine reponsable de cette répulsion des axones de la
rétine temporale est attachée à la surface des cellules tectales et est un ligand pour des récepteurs
de la famille Eph, des tyrosines kinases de surface dont il existe plus de 10 membres connus. Ces
ligands des récepteurs Eph ont été baptisés ephrines et il existe deux groupes d'ephrines A et B.
Un membre de la famille des récepteurs Eph est distribué dans la rétine selon un gradient
complémentaire du gradient du ligand ephrine dans le tectum. C'est-à-dire que le récepteur est
plus concentré sur les axones provenant de la rétine temporale, qui se projettent sur le tectum
antérieur, que sur les axones de la rétine nasale, alors que le ligand est plus concentré à la surface
des cellules tectales postérieure qui reçoit les axones de la rétine nasale. Ces données sont
compatibles avec de gradients complémentaires (dans le cas présent, opposés) sur les partenaires
pré- et postsynaptique: les axones les plus riches en récepteur (et donc plus sensibles à l'action
répulsive du ligand) se connecteraient aux cibles moins riches en ligand de surface, alors que les
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axones pauvres en récepteurs s'attacheraient aux cellules qui possèdent plus de ligand en surface.
Ce modèle, et le rôle des molécules de la famille Eph et de leurs ligands ephrines dans le
développement cérébral sont très intéressants. Il faut toutefois savoir que le rôle in vivo de ces
mécanismes au cours du développement normal fait encore l'objet de nombreuses incertitudes et
de recherches actives.
Bien que la croissance axonale soit très précise, il se développe un excès de branches axonales
qui sont éliminées par la suite pour ne laisser que les branches "normales". Cette pléthore de
collatérales axonales au cours du développement a été démontrée dans ce nombreux systèmes.
Par exemple, chez le chaton, les axones commissuraux qui traversent le corps calleux se ramifient
sur toute la surface du cortex visuel avant de se focaliser sur un point du cortex par élagage
progressif de la ramure axonale. Ce mécanisme d'élagage (en anglais "axonal pruning") est très
largement utilisé pour raffiner la spécificité des connexions. Dans plusieurs cas, les branches
normalement éliminées subsistent si la source des autres afférences de cette région est enlevée.
Ceci suggère que la compétition entre branches axonales au niveau du territoire cible intervient
dans leur développement, comme nous en discuterons plus loin.
Formation des synapses et mort neuronale - facteurs de croissance
La formation des contacts entre neurones et cibles est l’étape cruciale, terminale du
développement des connexions, et il s'avère que ce contact est aussi nécessaire à la survie du
neurone présynaptique. Alors que chez des invertébrés comme Caenorhabditis elegans, la mort
neuronale est génétiquement programmée et pratiquement indépendante de l'environnement, chez
les vertébrés la survie neuronale dépend d'interactions entre le neurone et sa cible.
Il revient à Levi-Montalcini d'avoir démontré que les neurones sont produits en excès, puis qu'il
se produit une mort neuronale physiologique (par apoptose) qui adapte leur nombre à la taille de
leur cible. Le rôle de la cible est d'ajuster le nombre des neurones en jouant sur cette mort
neuronale et non en ajustant le taux de formation des neurones comme on l'a cru pendant
longtemps. Cette notion est à la fois extrêmement simple et importante: elle nous apprend que le
territoire d'innervation fournit des facteurs qui sont reconnus (captés ?) par les cônes de
croissances des neurones afferents, et essentiels à leur survie. C'est la compétition pour ces
facteurs dérivés de la cible qui stabilise le nombre des neurones afférents. Cette action ne se
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produit que pendant une fenêtre de temps définie: une fois les connexions établies, le facteur
sécrété par la cible n'est plus nécessaire à la survie du neurone afférent, bien qu'il puisse
conserver une action trophique.
L'observation exceptionnelle que le nombre des neurones du ganglion rachidien est augmenté si
l'on implante à proximité certains sarcomes, a conduit à l'identification du premier facteur soluble
neurotrophique, appelé nerve growth factor (NGF).
Effet du NGF sur la croissance des neurites d’un ganglion rachidien (B) par rapport à un ganglion cultivé sans NGF
(A). Le NGD stimule la survie des neurones orthosympathiques (C), et un ganglion sympathique soumis à l’action
d’anticorps antiNGF est atrophique (D, ganglion du bas).
Après avoir testé diverses sources, il fut montré que la glande sousmaxillaire de souris mâle
produit d'énormes quantités de ce facteur, ce qui permit son isolement et sa caractérisation. Le
NGF natif est un complexe de 3 sousunités alpha, beta et gamma, dont la composante active est
la chaîne beta. Le NGF agit sur des récepteurs membranaires formés de deux sous-unités. La
protéine p75 possède pour le NGF une affinité réduite. La seconde sous-unité est une tyrosine
kinase également capable de lier le NGF, et traduit l'effet du ligand. Cette protéine avait
initialement été décrite comme un oncogène appelé Trk ("tropomyosin receptor kinase"). Il existe
trois protéines TrkA,TrkB et TrkC qui sont des récepteurs respectifs pour le NGF, le BDNF
(brain-derived neurotrophic factor) et la NT4/5, et la NT3 (NT = neurotrophine).
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Le NGF possède une action physiologique sur les neurones des ganglions rachidiens et des
ganglions orthosympathiques. Ainsi, l'administration à des souris nouveau-nées d'anticorps antiNGF résulte en des ganglions atrophiques. Le NGF est loin d'agir sur tous les neurones, et
d'autres facteurs existent, connus ou encore à définir. Par exemple, le NGF est dépourvu d'effets
sur les neurones parasympathiques, sur les neurones sensitifs dérivés des placodes sensorielles,
sur les motoneurones et, à l'exception de certains neurones cholinergiques du nucleus basalis, sur
tous les neurones centraux. Certains des neurones qui ne répondent pas au NGF voient leur survie
assurée par le facteur BDNF. Un autre facteur appelé NT3 (neurotrophine 3) est trophique pour
les neurones des ganglions rachidiens et les neurones proprioceptifs du noyau mésencéphalique
du V. Une dernière neurotrophine, appelée NT4/5, a aussi été décrite; son action est assez
similaire à celle du BDNF. Ces facteurs NGF, BDNF, NT3 et NT4/5 sont très semblables et leurs
gènes se ressemblent tellement que l'on pense qu'ils dérivent d'un même gène ancestral.
Les neurones du ganglion ciliaire parasympathique sont sous la dépendance d'un facteur très
différent des neurotrophines, appelé CNTF (ciliary neurotrophic factor). Le CNTF appartient à
une seconde famille de facteurs de croissance dont les effets ne sont pas restreints au tissu
nerveux et à laquelle appartiennent les cytokines interkeukine-6 (IL-6), LIF (leukocyte inhibition
factor) et granulocyte colony stimulating factor (G-CSF).
D'autres facteurs neurotrophiques ont été mis en évidence et l'on démontre de plus en plus que
certaines cytokines actives sur d'autres systèmes possèdent des actions neurotrophiques, de sorte
que la limite entre ces divers types de molécules est devenue floue. Parmi les facteurs dont
l'importance paraît certaine, mentionnons le GDNF (glial cell line-derived neurotrophic factor),
qui possède une activité trophique envers les neurones dopaminergiques du mésencéphale ainsi
qu'envers les motoneurones. Ce facteur de croissance agit sur un récepteur qui est l'oncogène Ret,
une tyrosine kinase. Comme le FGF et le TGF-beta, il possède un corécepteur qui aide à la
liaison au récepteur.
Formation des synapses (synaptogenèse)
La mort physiologique par apoptose concerne les neurones centraux tout autant que les neurones
périphériques comme les neurones ganglionnaires. Ceci est bien montré, par exemple, dans le cas
de l'innervation musculaire par les motoneurones chez le poulet. Environ la moitié des
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motoneurones dégénèrent au moment où leurs axones parviennent à proximité de leur territoire
terminal. La mort motoneuronale augmente si l'on enlève de la cible (muscles) et diminue si l'on
greffe un membre supplémentaire. De nombreux arguments supportent l'hypothèse d'un facteur
libéré par la cible, mais ce facteur n'a pas encore été formellement identifié. Un autre phénomène
important est l'activité électrique du muscle innervé. Lorsque ce dernier est curarisé, la survie
motoneuronale est accrue, alors qu'elle diminue lors d'une stimulation électrique du muscle. On
peut expliquer cela au moins de deux manières, soit que l'activité électrique diminue la
production du facteur de croissance par le muscle, soit qu'elle empêche l'accès au facteur par le
terminal nerveux.
Pour qu'une connexion synaptique se forme correctement, plusieurs conditions sont requises.
L'axone doit établir un contact avec l'élément postsynaptique, qu'il s'agisse d'une cellule
musculaire, d'un éléments glandulaire ou d'un autre neurone. Ce contact est ensuite stabilisé par
mise en place des structures pré- et postsynaptiques. Ces phénomènes ont été le mieux étudiés au
niveau des synapses neuromusculaires qui servent de modèle. Il faut toutefois garder à l'esprit
que d'autres mécanismes sont peut-être en oeuvre à d'autres niveaux.
Lorsqu'un axone motoneuronal parvient au contact du muscle, il forme rapidement un contact
immature fonctionnel. En effet, le cône de croissance est déjà capable de sécréter de
l'acétylcholine (ACh) avant d'avoir atteint le muscle, et le myocyte est capable de répondre à
l'ACh, même au stade de myoblaste qui précède la fusion en myotube. Une fois établi ce contact
initial, la stabilisation se produit en quelques semaines par des modifications qui touchent tant le
terminal présynaptique que le myocyte. Au niveau du myocyte, il se produit une modification de
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la distibution des récepteurs à l'ACh. Avant l'arrivée de l'axone du motoneurone, les récepteurs
musculaires à l'ACh sont diffusément répartis sur l'ensemble de la membrane plasmique. Au
contact du cône de croissance, il se produit une concentration énorme de récepteurs au site
d’innervation, avec diminution ailleurs. Cette augmentation de la concentration en récepteurs se
fait par aggrégation des récepteurs mobiles dans la membrane et par synthèse de nouveaux
récepteurs, stimulée par le nerf. L’effet du nerf n’est pas dû à l’ACh elle-même. Une molécule
qui intervient certainement est l’agrin, une protéine de grande taille (200 kDa) localisée dans la
lame basale de la jonction synaptique. Cette protéine produite par les motoneurones est capable
d’induire l’agrégation des récepteurs cholinergiques ainsi que l’assemblage des autres éléments
postsynaptiques, et les jonctions neuromusculaires ne se forment pas chez des souris déficientes
en agrin. Un autre facteur dont le rôle est très probable est une protéine de type héréguline,
apparentée à l’EGF, intialement dénommé ARIA (« acetylcholine receptor inducing activity »).
La suppression des récepteurs extrajonctionnels est maintenue par l’activité électrique de la
synapse. Par exemple, des récepteurs extrajonctionnels apparaissent après dénervation, ce qui
rend compte de l’hypersensibilité de dénervation.
L’innervation influence non seulement la formation des synapses, mais aussi les propriétés
contractiles des fibres musculaires. Les mammifères possèdent deux grands types de fibres
musculaires striées : les fibres pâles, phasiques, à contraction rapide, et les fibres rouges, toniques,
à contraction plus lente. Cette propriété se retrouve au niveau de motoneurones correspondants :
les neurones qui innervent les muscles rapides ont une vitesse de conduction élevée et peuvent se
décharger rapidement, alors que ceux qui innervent les muscles lents conduisent plus lentement et
se déchargent à un rythme moins soutenu. Des expériences d’innervation croisée ont montré que
c’est le type de motoneurone qui imprime les propriétés du muscle et que la différenciation
musculaire n’est pas irréversible.
Au début de l’établissement des connexions, une fibre musculaire reçoit des synapses de
plusieurs motoneurones, mais il se produit ensuite une révision synaptique, n’en laissant subsister
qu’une seule. Ce phénomène d’élimination des synapses est observé en de nombreux endroits du
système nerveux. Il a été bien étudié au niveau de l'innervation du ganglion ciliaire
parasympathique et au niveau de l'innervation des cellules de Purkinje par les fibres grimpantes
provenant de l'olive bulbaire. On pense généralement qu'il se produit une compétition entre
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terminaisons axonales pour l'accès à des facteurs trophiques - au sens le plus large - libérés par la
cible, de sorte que les facteurs trophiques influencent la survie des neurones afferents, qu’ils
modulent l’élagage des branches axonales excédentaires, et qu’ils contrôlent le nombre des
contacts synaptiques.
Affinement des connexions et rôle de l'expérience
Le développement embryonnaire génétiquement programmé résulte en la formation de synapses
et de circuits dont la précision est bonne mais incomplète. La formation des connexions
définitives nécessite l'activité du système et l'interaction avec l'environnement. En corollaire, des
anomalies fines du développement peuvent survenir si ces interactions avec l'environnement sont
déficientes. Le développement neurologique de l'enfant passe par des périodes critiques où
l'interaction entre le système nerveux et l'environnement est indispensable. Si cette interaction se
produit trop tard, elle est inefficace. L'existence de cette « période critique » pour l'acquisision de
certains comportements est bien établie par les observations cliniques et éthologiques. L'exemple
le plus net est celui d'enfants abandonnés à eux-mêmes depuis le plus jeune âge sans interactions
humaines. Ces enfants ("enfants loups") ont un comportement social inadapté et ne parlent pas.
Surtout, ils se montrent incapables d'apprendre le langage et un comportement social.
La déprivation sensorielle spécifique d'un système donné peut en perturber le développement. Il
semble ainsi exister une période critique de développement de tous les systèmes sensoriels, qui
est le mieux connue pour le système visuel. Des cataractes congénitales opérées tardivement
laissent des séquelles visuelles irréversibles. Lorsque de jeunes singes sont élevés dans l'obscurité
complète, il se produit un handicap visuel qui n'est jamais complètement compensé. Le problème
a été étudié expérimentalement, notamment par Hubel et Wiesel, chez le chat et le singe. Bien
que les animaux normaux possèdent une vision binoculaire, les afférences des deux yeux sont
traitées séparément dans la rétine et le corps genouillé latéral, mais aussi dans le cortex visuel, où
l'on met en évidences de bandes de neurones qui répondent uniquement à la stimulation d'un oeil
et qui sont appelées pour cette raison bandes de dominance oculaire. Si une paupière de l'animal
est suturée à la naissance, l'animal perd définivement la vision de cet oeil, même si la suture est
enlevée après la phase critique de développement. Une situation analogue est connue en clinique
humaine comme l'amblyopie, résultat d'un strabisme traité trop tardivement. Chez l'animal, des
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enregistrements électriques montrent que l'activité rétinienne et géniculée est normale dans les
zones correspondant à l'oeil suturé. En revanche, dans le cortex visuel primaire, les cellules
capables de répondre à la stimulation de cet oeil ont pratiquement disparu et ces effets sont
irréversibles. La suture de paupière chez l'animal adulte est sans effets. Ces effets électriques se
marquent sur le plan morphologique par un élargissement des colonnes de dominance
correspondant à l'oeil non atteint, et en un rétrécissement de celles qui correspondent à l'oeil
déprivé de vision. On pense que ces altérations se produisent de la manière suivante. Lorsque les
afférences du corps genouillé correspondant aux deux yeux parviennent à la couche 4 du cortex,
elles se mélangent largement et ce n'est que plus tard que les influx en provenance des deux yeux
se séparent en colonnes de dominance. Cette ségrégation se fait en interaction avec
l'environnement, par compétition entre les terminaisons axonales. Les terminaisons
correspondant à l'oeil privé de stimulation sont désavantagées et se rétractent pour laisser la place
à celles qui correspondent à l'oeil normalement stimulé. Ceci explique qu'il existe une période
critique: lorsque toutes les collatérales axonales et les synapses ont été modelées définitivement,
cette compétition n'existe plus et le système ne laisse plus (ou presque plus) de place à la
plasticité. Il reste à expliquer comment l'établissement d'une carte grossière lors du
développement conduit, avec l'expérience, à une ségrégation plus nette des colonnes de
dominance oculaire. Il semble bien que la réponse consiste en une coopération entre fibres
adjacentes correspondant au même oeil. Les colonnes de dominance ne se forment pas si toute
activité électrique rétinienne est abolie dans les deux yeux, de sorte que la compétition entre
axones dépend de leur activité électrique. Si, après avoir bloqué toute activité rétinienne
spontanée, on réalise une stimulation électrique des nerfs optiques, la formation des colonnes de
dominance dépend du type de stimulation. Si les deux nerfs optiques sont stimulés de manière
synchrome, aucune dominance ne se développe. Par contre, les colonnes de dominance se
forment si la stimulation est asynchrome. On peut en conclure que la formation d'une vision
binoculaire nécessite la stimulation des deux yeux, mais avec une légère asynchronie entre les
deux yeux. Cet effet de l'activité électrique débute avant la naissance et il y a des potentiels
d'actions dans le nerf optique in utero, reflet d’une activité électrique spontanée. Après la
naissance, la stimulation visuelle est évidemment bien plus intense et l’activité électrique est
alors liée au stimulus. L’interaction avec l'environnement ne fait toutefois qu'achever un
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processus mis en place indépendamment de l'environnement in utero, sous l'effet du programme
génétique.
L'effet de l'activité simultanée d'axones adjacents conduit à évoquer les idées de Hebb :
l'activation coïncidente des versants pré- et postsynaptique conduit au renforcement de la
synapse : "neurons that fire together, wire together". L'activité en coïncidence dans des axones
adjacents conduit à une sommation temporelle qui pourrait impliquer les récepteurs
glutamatergiques NMDA. La sommation temporelle pourrait en effet assurer un niveau de
dépolarisation suffisant pour lever le blocage exercé sur ce récepteur par le magnésium,
permettant ainsi une entrée massive de calcium et le renforcement de la sensibilité synaptique.
Ces idées renvoient à la question suivante: qu'est-ce qui fait que l'activation synchrone augmente
la coopération synaptique mais diminue l'efficacité des fibres de l'entourage. La réponse à cette
question n'est pas connue mais, là aussi, une hypothèse généralement avancée est que la cellule
postsynaptique libère, lorsqu'elle est activée, un facteur de croissance ou de stabilisation qui est
capté par les éléments présynaptiques locaux en fonction de leur activité, établissant une boucle
en feedback positif. On peut donc se demander si un même mécanisme, à savoir la production,
par les cellules postsynaptiques, de facteurs de croissance et/ou de stabilisation, n'est pas
impliqué aux différents niveaux discutés, à savoir la survie du neurone afférent, la persistence ou
la résorption des collatérales axonales, la persistence ou la résorption de la synapse, et même le
renforcement ou la diminution de la "puissance" de chaque synapse individuelle.
L'individualisation des facteurs neurotrophiques et plus encore l'analyse détaillée de leur fonction
devrait apporter, dans les années à venir, des éléments de réponse à cette question. Ce problème
est important sur le plan fondamental, mais aussi du point de vue pratique, car il concerne de près
la question de l'apprentissage et du développement des facultés cérébrales chez l'enfant, sans
parler des applications potentielles énormes des facteurs de croissance dans le domaine de la
régénération du tissu nerveux.
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