Pour une politique agricole innovante pour plan 2016-2020

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Pour une politique agricole innovante pour plan 2016-2020
Contribution à la réflexion sur une refonte de la politique agricole et sur la place du secteur dans le
nouveau modèle de développement économique.
Par Mohamed Elloumi*
Dans le cadre de la préparation du Plan de développement 2016-2020, il est important que la place de
l'agriculture soit revue en profondeur, étant donnée l'importance de ce secteur dans l'économie nationale et
particulièrement dans les régions intérieures et des enjeux auxquels ce secteur se trouve confronté.
Cette réflexion part du constat, de plus en plus partagé, que l'agriculture et le monde rural tunisiens traversent
une crise profonde et que cette crise se répercute sur l'ensemble de l'économie à travers la contribution du
secteur agricole à l'économie nationale, mais aussi à travers la pression exercée à la fois sur les finances
publiques, sur la balance de paiement et sur la pouvoir d'achat des consommateurs, il est urgent qu'une
nouvelle politique agricole soit identifiée pour être mise en œuvre dans le cadre du plan 2016-2017.
Toutefois, cette politique devrait être innovante et audacieuse et s'intégrer dans une vision à long terme qui
dépasse l'horizon de la planification.
Pour ce faire, il me semble important de revenir sur le diagnostic et d'expliquer les causes de la crise. Il y a
ensuite l'identification des éléments fondamentaux du nouveau modèle et son contenu, pour finir avec la
présentation des conditions nécessaires pour la mise en œuvre d'un tel modèle.
I - Pour un diagnostic partagé
Quatre ans et demi après la révolution du 14 janvier 2011, il est important de revenir sur les racines de la
révolte et de mettre en exergue le cheminement qui conduit au soulèvement des populations des zones rurales
et des régions intérieures sur la base d'une exclusion du processus de développement qu'a connu la pays sur 50
ans de développement.
1.1 – La nature de la crise
Tout le monde s'accorde maintenant de dire que le secteur agricole traverse une crise profonde qui est à la fois
multidimensionnelle et systémique. Cette crise est en effet à la fois économique, sociale et environnementale et
avec des effets cumulatifs entre les différents aspects.
Le caractère économique de la crise se manifeste à travers la faible productivité du secteur et la faible
valorisation des produits avec une tendance à la détérioration des termes de l'échange du secteur agricole avec
le reste de l'économie, ce qui se traduit par une baisse du revenu des agriculteurs et une paupérisation de la
population rurale.
Mais c'est aussi une crise sociale avec un fort taux du chômage en milieu rural y compris des jeunes porteurs
de diplômes du supérieur avec en même temps une réticence d'accepter les emplois agricoles. La situation des
ruraux s'est aussi détériorée.
Enfin on assiste depuis un certains nombre d'années à l'épuisement de certaines ressources naturelles et à leur
dégradation.
De plus l'articulation entre les différents aspects de la crise fait que l'on assiste à des effets cumulatifs et un
processus auto-entretenu de dégradation, pression sur les ressources, paupérisation de la population, etc.
Cette crise prend des proportions importantes dans les régions à dominante agricole où leurs ressources
naturelles sont importantes, mais qui subissent une exploitation minière et bien au-delà du seuil de la résilience
des écosystèmes.
1.2 – Quelques éléments explicatifs
La situation que connaissent le secteur agricole et le monde rural est le résultat des politiques adoptées pour le
secteur agricole depuis l'indépendance du pays, même si pour certaines périodes des résultats et acquis ont été
enregistrés. Deux caractéristiques de ces politiques peuvent être mises en reliefs et semblent avoir contribué à
la crise du secteur agricole.
1. Le fait que quelle que soit la stratégie de développement économique adoptée le secteur agricole se voit
mobilisé au profit des autres secteurs à travers le transfert du surplus pour l'investissement dans les autres
secteurs économiques et pour l'industrialisation et l'équipement du pays. De fait le secteur agricole n'a pas eu
une politique de promotion de ses capacités pour le secteur lui-même.
2. L'autre caractéristique des politiques de développement est ce qui peut être appelé le biais en faveur du
consommateur. En effet, comme l'affirme la Banque Mondiale dans son rapport de 2014, la Tunisie n'a pas de
politique agricole, elle a une politique alimentaire, ce qui sous-entend qu'à travers des politiques de prix et de
marché, l'agriculture se trouve de ce point de vue en faveur du consommateur au détriment des producteurs.
II - Pour un développement agricole inclusif et durable
Avant de décrire les éléments constitutifs ou les contours du modèle de développement agricole pour les
prochaine décennies, il serait pertinent de répondre à la question suivante : qu'elle agriculture pour la Tunisie
de demain?
S'il est difficile de répondre à ce stade de la réflexion, il me semble qu'il devrait s'agir d'une agriculture qui soit
à la fois productive, durable et ancrée dans des territoires dynamiques.
Dans ce cadre, seule une agriculture familiale intégrée au marché et bénéficiant d'un environnement
économique favorable et d'un encadrement professionnel de proximité est en mesure de répondre à cet objectif.
Cela va sans dire que l'agriculture tunisienne restera diversifiée et que des exploitations de firme occuperont
une place importante à la fois en termes de production et de dynamique du secteur d'une part et qu'à l'autre
extrême une agriculture de subsistance se maintiendra tant que les conditions de l'emploi en dehors du secteur
agricole ne sont pas suffisamment devenues attractives pour favoriser une sortie complète du secteur agricole
de la population concernée.
En dehors donc d'une agriculture de firme qui est en mesure de se développer sous les conditions du marché et
dans le cadre d'une concurrence ouverte, la politique de l'Etat doit être orientée vers le développement d'une
agriculture familiale fortement intégrée au marché, ouverte à l'innovation et basée sur des formes
d'intensification compatibles avec les enjeux de durabilité des ressources naturelles.
Le développement de cette agriculture devrait se faire autour des éléments suivants :
• un modèle agronomique rénové tourné vers l'intensification écologique en lieu et place de l'intensification de
la révolution verte basée sur les intrants et la génétique. L'intensification écologique étant la seule alternative
capable de permettre à l'agriculture tunisienne de faire face aux impacts des changements climatiques et
d'assurer une gestion durable des ressources naturelles ;
• une compétitivité territoriale basée sur la différenciation des produits des filières courtes et un partage de la
valeur ajoutée équilibrée entre les différents acteurs de la chaîne d valeur ;
• un contenu social avec un accès équitable aux ressources naturelles et notamment au foncier et à l'eau à fin
que le développement soit le plus inclusif possible ;
• une prise en compte de la multifonctionnalité de l'agriculture et le paiement des externalités positives que
génère l'activité agricole.
Pour ce faire, un certains nombre de leviers sont à mettre en œuvre dont notamment :
• une politique de prix et de mise au marché susceptible d'assurer une répartition la plus équitable possible
entre les acteurs d'une filière ;
• un encadrement de proximité des agriculteurs à travers l'appareil administratif et celui de la profession ;
• un cadre institutionnel et une organisation de la profession seule en mesure d'offrir un cadre pour une
gouvernance partenariale du secteur agricole et de la mise en œuvre de la politique;
• une recherche dynamique en mesure de répondre aux attentes des agriculteurs et les aider à construire un
modèle agronomique basé sur l'intensification écologique.
Une telle politique, qui demande un appui financier des pouvoirs publics et peut se traduire dans un premier
temps par le renchérissement des produits agricole ne peut avoir le jour que si elle est acceptée par les
consommateurs et par l'ensemble des tunisiens. Pour cela, au-delà d'un effort de pédagogie, nous avons besoin
d'un nouveau contrat des société entre les agriculteurs (les ruraux de manière plus large) et le reste de la société
autour d'un modèle de développement qui assure la souveraineté alimentaire de la Tunisie et lui permet à la
fois le développement des zones intérieures dont la principale activité reste l'agriculture et qui peut assurer, par
la même occasion, la paix sociale et l'équilibre régional.
* Enseignant-chercheur.
Post date: 2015-10-20 08:41:13
Post date GMT: 2015-10-20 07:41:13
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