Conduite à tenir devant des bactéries multirésistantes en réanimation

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Conduite à tenir devant des bactéries
multirésistantes en réanimation
AM Korinek
Département d'anesthésie-réanimation, hôpital Pitié-Salpêtrière,
47-83 boulevard de l'Hôpital, 75651 Paris cedex 13
POINTS ESSENTIELS
· La lutte contre les bactéries multirésistantes en réanimation doit devenir une priorité des
services.
· Elle doit commencer par la lutte contre les staphylocoques dorés méticilline résistants et les
entérobactéries porteuses d'une bêtalactamase à spectre étendu.
· Elle repose sur des protocoles de soins écrits, adaptés à chaque service.
· La transmission croisée des germes est principalement manuportée.
· Les principales mesures recommandées sont : 1) le dépistage des porteurs sains ; 2) leur
signalisation ; 3) l'isolement géographique en chambre individuelle ; 4) l'isolement technique ;
5) la chimiodécontamination des porteurs qui n'est qu'une mesure de complément.
· Le lavage des mains est une des principales mesures à instaurer lors de tout contact avec le
patient ou son environnement.
· Le retour d'information est essentiel pour entretenir la motivation des personnels.
· Les protocoles doivent être facilement applicables et consensuels, ce qui améliore
l'observance.
Ce n'est que depuis une dizaine d'années que s'est manifestée une réelle prise de conscience en
France de l'importance de la lutte contre les infections nosocomiales. Cette prise de
conscience a été favorisée par l'apparition dans les hôpitaux français d'une épidémie
d'infections à Klebsiella pneumoniae , multirésistante aux antibiotiques. Parallèlement, des
enquêtes de prévalence européennes et françaises ont permis d'avoir une idée des taux
d'infections nosocomiales et de réaliser que la France était bien mal placée ! [1] . Les
différentes enquêtes de prévalence françaises [2] [3] font apparaître un taux d'infections
nosocomiales entre 8 et 9 % ; ce taux est bien sûr beaucoup plus élevé dans les unités de
réanimation, avec un taux d'infectés de 31 % et d'infections de 43,4 % [3] .
En outre, les services de réanimation sont le réservoir des bactéries multirésistantes (BMR) et
l'enquête récente « Hôpital Propre II », consacrée aux BMR, a trouvé un taux d'incidence de
41 pour 1 000 admissions en réanimation ; un quart de l'ensemble des patients porteurs de
BMR dans les CHU était hospitalisé en réanimation [4] . C'est donc d'abord dans les services
de réanimation que la prise de conscience s'est faite, rapidement élargie à l'ensemble de
l'hôpital dans certains cas.
Avant d'envisager la conduite à tenir vis-à-vis de ces BMR en réanimation, il convient de
définir ce qu'est une BMR et quels sont les enjeux.
DÉFINITIONS
Selon le rapport des experts du jury de la XVIe Conférence de consensus en réanimation et
médecine d'urgence [5] , « une bactérie est multirésistante lorsque, du fait de résistances
naturelles et/ou acquises, elle n'est sensible qu'à un petit nombre de familles ou de sousfamilles d'antibiotiques ». Cette définition regroupe toutefois de nombreuses entités : certes,
les germes les plus fréquemment rencontrés en réanimation, comme le staphylocoque doré
résistant à la méticilline (SDMR), les entérobactéries sécrétrices de bêtalactamases à spectre
étendu (EBLSE), Acinetobacter , Pseudomonas aeruginosa , mais aussi les pneumocoques
résistants à la pénicilline, problème majeur en pathologie communautaire, les entérocoques
résistants à la vancomycine qui sévissent aux États-Unis, les Enterobacter , Serratia ,
Citrobacter , sécréteurs d'une céphalosporinase, voire les Stenotrophomonas maltophilia . Il
est impossible de prévoir des mesures spécifiques pour chacun de ces germes, et des choix
doivent être faits. La majorité des études publiées porte sur deux germes : le SDMR et les
EBLSE, plus particulièrement Klebsiella pneumoniae multirésistante (KMR). Il paraît licite
de s'intéresser en priorité à ces 2 germes. En effet, ils ont en commun :
- un pouvoir pathogène important, avec une virulence comparable à celle des souches
sauvages, c'est-à-dire qu'ils sont capables de provoquer des infections chez des sujets sains,
non débilités ;
- d'être des hôtes habituels de l'homme qui, une fois implantés dans l'organisme, vont persister
de nombreuses années, avec donc la possibilité de créer des infections en dehors des
réanimations, voire en dehors de l'hôpital ;
- d'être enfin particulièrement résistants à la majorité des antibiotiques disponibles
actuellement, avec des possibilités thérapeutiques souvent restreintes à une seule molécule.
Ces caractéristiques sont bien différentes de celles des autres germes multirésistants
rencontrés en réanimation : Acinetobacter , Ps aeruginosa , Enterobacter , Serratia ... ne sont
pas des hôtes habituels de l'homme. Dès que le patient quitte la réanimation et la pression de
sélection qu'exercent les antibiotiques, il s'en débarrasse rapidement ; en outre, le pouvoir
pathogène de ces espèces bactériennes est plus faible et leur virulence ne s'exprime que chez
des patients aux défenses naturelles amoindries et porteurs de nombreux dispositifs invasifs.
Ces bactéries ne sont donc qu'un problème limité au contexte de la réanimation et nécessitent,
certes, la mise en oeuvre de mesures spécifiques en cas d'épidémie au sein d'un service, mais
ne représentent pas actuellement un problème de santé publique.
ENJEUX DE LA LUTTE
CONTRE LES BACTÉRIES MULTIRÉSISTANTES
Les enjeux de la lutte contre les bactéries multirésistantes sont multiples.
Marqueur potentiel de la qualité des soins
Il semble que l'isolement de BMR dans une institution soit un marqueur du taux des infections
nosocomiales en général. La diminution de leur incidence au sein d'une unité pourrait ainsi
être un indicateur simple de la qualité des soins prodigués aux patients.
Morbidité et mortalité
Du fait d'une virulence équivalente à celle des souches sauvages, les BMR sont responsables
d'infections graves. Toutefois, les problèmes thérapeutiques posés par les BMR créent un
biais évident lorsqu'on veut comparer les infections dues aux deux types de bactéries. En
outre, le terrain sur lequel surviennent les infections à BMR est souvent plus débilité que celui
sur lequel surviennent les infections à souches sauvages, ce qui induit un nouveau biais
majeur dans l'étude de la mortalité et même de la morbidité [6] . Quelques études ont tenté de
comparer la mortalité due à des septicémies à S aureus résistant ou non à la méticilline, en
ajustant les résultats sur les scores de gravité [7] [8] [9] [10] . Il apparaît alors que le
risque de décès n'est pas significativement différent dans les deux groupes. En revanche, une
étude cas-témoins a mis en évidence une surmortalité au cours des pneumopathies à Ps
aeruginosa ou Acinetobacter , comparées aux pneumopathies à autres germes,
indépendamment de la gravité des patients à l'admission [11] .
Au total, il est clair que les infections à BMR sont responsables d'une mortalité et d'une
morbidité au moins équivalente à celles des infections à bactéries sauvages. On peut penser
intuitivement, bien que les études actuelles ne soient pas formelles, qu'elles induisent une
surmortalité du fait, d'une part des problèmes thérapeutiques engendrés (et donc du retard
thérapeutique dans certains cas), et d'autre part du terrain sur lequel elles surviennent en
réanimation.
Coût
Les infections à BMR provoquent un surcoût médical [12] . Celui-ci est lié à l'augmentation
des durées de séjour, à l'augmentation considérable de la charge de soins, au prix des
antibiotiques nécessaires pour traiter ces infections. De plus, les surcoûts sociaux
(prolongation d'arrêt de travail, invalidité...) ne sont jamais pris en compte.
Rôle des prescriptions antibiotiques empiriques
La connaissance dans une unité de cas d'infections à BMR conduit les cliniciens à des
prescriptions empiriques d'antibiotiques « de réserve », actifs sur ces BMR, pour la majorité
des patients, dans le but de donner toutes ses chances au patient, en évitant tout retard
thérapeutique. Cette pratique est illustrée par l'enquête sur la consommation des antibiotiques
effectuée dans le cadre d'« Hôpital Propre II [14] » : globalement, moins de 20 % des
antibiotiques de réserve (vancomycine, téicoplanine, imipénème, ceftazidime) dispensés dans
les services sont utilisés pour traiter les infections à BMR ; ces chiffres atteignent cependant
30 % en réanimation en raison de la prévalence des patients porteurs de BMR dans ces unités.
Le reste des prescriptions s'adresse à des patients non porteurs de BMR, pour lesquels un
traitement empirique a été instauré dans l'hypothèse d'une infection à BMR !
Cette pratique, compréhensible du point de vue du clinicien qui souhaite traiter au mieux ses
patients, induit une surconsommation des quelques antibiotiques encore actifs sur les BMR et
pourrait à terme favoriser l'émergence de nouvelles souches qui, elles, seraient résistantes à
l'ensemble des antibiotiques. La diminution des infections à BMR dans une unité devrait
conduire à casser ce cercle vicieux, en changeant les habitudes thérapeutiques et en diminuant
le nombre de ces prescriptions empiriques [13] .
Problème médico-légal
Il est sous-tendu par ce qui précède : les infections à BMR s'accompagnent d'une mortalité et
d'une morbidité élevées, d'un surcoût non médical difficile à chiffrer mais réel ; elles sont les
marqueurs de l'infection hospitalière et peut-être de la qualité des soins. Elles représentent
donc un préjudice majeur pour les patients et pourraient à l'avenir avoir des conséquences
médico-légales pour les services qui n'auraient mis en place aucune politique de lutte et de
prévention.
PHYSIOPATHOLOGIE DE L'ACQUISITION
ET DE LA TRANSMISSION DES BACTÉRIES MULTIRÉSISTANTES
Dans la grande majorité des cas, les patients s'infectent à partir de leur propre flore (infections
endogènes). Cette flore va se modifier au cours de l'hospitalisation avec :
- l'acquisition de bactéries de l'environnement, le plus souvent bactéries à Gram négatif à
métabolisme oxydatif ( Pseudomonas , Acinetobacter , Stenotrophomonas ) ; ces bactéries
sont naturellement résistantes à de nombreux antibiotiques et ont une grande capacité
d'acquisition de nouveaux mécanismes de résistance ; elles survivent et se multiplient en
milieu hospitalier, où elles sont favorisées par la pression de sélection qu'exercent les
nombreux antibiotiques prescrits, surtout en réanimation ; à partir de l'environnement, elles
vont coloniser les patients, apportées le plus souvent par les mains du personnel ;
- la sélection au sein de la flore du patient, de souches multirésistantes ; c'est le cas des
entérobactéries porteuses d'une céphalosporinase induite ou déréprimée ; une fois
sélectionnées chez un malade, ces souches pourront là aussi se transmettre de patient à patient
par transmission manuportée ( Enterobacter , Serratia , Citrobacter ) ;
- enfin, l'acquisition au niveau de la flore de bactéries multirésistantes présentes à l'état
endémique (SDMR) ou épidémique (KMR) chez de nombreux patients de l'unité, et
transmises par manuportage quasi-exclusif.
Ainsi, deux facteurs majeurs vont influer sur la présence de BMR dans un service : a) la
quantité d'antibiotiques prescrite qui favorise la sélection des germes les plus résistants, qui,
seuls, vont pouvoir survivre ; b) la transmission croisée qui augmente le nombre de porteurs.
En réanimation, ces deux facteurs sont très intriqués et aussi importants l'un que l'autre,
puisque c'est l'endroit de l'hôpital où le plus d'antibiotiques sont prescrits d'une part, et où les
malades sont le plus dépendants du personnel et le plus « techniqués » d'autre part.
Actuellement, la maîtrise des prescriptions d'antibiotiques en France en est à ses
balbutiements, malgré une prise de conscience récente du problème [15] [16] . La lutte
contre les infections à BMR repose donc principalement sur des recommandations visant à
interrompre la transmission croisée manuportée.
CONDUITE À TENIR DEVANT DES BACTÉRIES
MULTIRÉSISTANTES EN RÉANIMATION
La prise en compte du problème, première étape pour la mise en route d'une stratégie de
prévention, peut venir soit d'une épidémie dans une unité, ce qui incite le personnel à se
mobiliser, soit plus souvent d'une incitation extérieure, locale (Commission locale de lutte
contre l'infection nosocomiale), voire régionale ou nationale (création de réseaux de
surveillance).
Deux grands types d'approche sont à considérer quant aux mesures préventives à adopter,
aucun des deux n'ayant fait, à l'heure actuelle, la preuve de sa supériorité [17] .
Stratégie horizontale
Elle est surtout développée aux États-Unis [18] et repose sur des mesures systématiques,
applicables pour tout patient, et visant à protéger les mains du personnel contre la
contamination par des bactéries pathogènes et contre le risque de transmission virale d'origine
sanguine ou humorale. Cette approche repose sur le lavage des mains et le port de gants. Elle
a l'avantage de la simplicité et évite les coûts du dépistage, puisque tout patient est considéré à
risque. Ses inconvénients sont la charge de travail induite, les coûts et une observance très
partielle.
Stratégie verticale
Elle est beaucoup plus européenne et définit une stratégie de prévention adaptée à un germe
particulier, en fonction de son mode de transmission et de ses réservoirs naturels. En France,
c'est le type d'approche qui est actuellement privilégié.
Quel que soit le choix effectué, la mise en place de mesures préventives dans une unité
nécessite :
- une information de l'ensemble du personnel qui doit prendre conscience du problème et
comprendre les enjeux ;
- la rédaction de protocoles de soins écrits, spécifiques au service, rédigés et discutés en
commun, où chaque catégorie professionnelle doit pouvoir intervenir ; ces protocoles sont
ensuite testés dans l'unité et modifiés éventuellement, pour en améliorer l'observance ;
- une surveillance des résultats sur les taux d'infections à BMR, avec retour rapide des
informations pour soutenir la motivation de chacun ;
- un soutien des autorités financières et administratives pour obtenir le matériel et les
conditions de travail indispensables au respect du protocole [19] .
Nous détaillerons ici les mesures recommandées dans une stratégie verticale, celles
préconisées pour une stratégie horizontale étant très détaillées par l' Hospital infection control
advisory committee du CDC [18] .
Le principe général repose sur la détection des patients porteurs, leur signalisation, l'isolement
géographique quand il est possible, l'isolement technique et la chimiodécontamination des
porteurs.
Détection des patients porteurs
C'est une étape indispensable pour connaître les réservoirs et appliquer précocement les
mesures d'isolement. En effet, parmi les porteurs de BMR, seuls 30 à 50 % vont s'infecter, si
bien que, si le dépistage est uniquement réalisé à partir des patients infectés, plus de la moitié
des patients porteurs et donc réservoirs ne sera pas identifiée, ce qui contribue à la pérennité
de l'épidémie. Par ailleurs, le délai entre colonisation et infection est en moyenne de 11 jours,
stable quelle que soit la BMR en cause. La détection des porteurs sains de BMR permet ainsi
d'identifier précocement tous les patients réservoirs [20] .
Le dépistage suppose bien entendu de connaître les sites réservoirs, qui diffèrent selon les
BMR. Le SDMR est trouvé principalement au niveau des cavités nasales, de la peau et des
plaies. C'est donc à ce niveau qu'il faut le rechercher. La sensibilité de l'écouvillonnage nasal
est de 80 % ; elle passe à 90 % en cas d'écouvillonnage nasal et périnéal [21] . Les EBLSE et
particulièrement les KMR, sont observées au niveau du tube digestif et sont détectées par
écouvillonnage rectal [22] . Pour les autres BMR ( Acinetobacter , Pseudomonas ), les
réservoirs varient : oropharynx, bronches, peau, suivant les pathologies des patients.
En outre, ces germes sont capables de survivre dans l'environnement du patient (surfaces
sèches ou humides). Pour les SDMR et les KMR, un écouvillonnage à l'admission est
indispensable pour détecter les cas importés ; ensuite, une surveillance hebdomadaire est
recommandée [5] . Ce dépistage doit être systématique pour tout patient dans un contexte
épidémique. En dehors de ce contexte (cas sporadiques), il est envisageable de le limiter soit
aux patients hospitalisés en même temps qu'un patient colonisé ou infecté, pour détecter une
éventuelle transmission croisée ; soit aux patients à risque à l'admission : transfert d'un autre
service ou d'un autre hôpital, hospitalisation antérieure (trois dernières années), hospitalisation
en long et moyen séjour [20] .
Ce dépistage des porteurs n'a d'intérêt que si la réponse du laboratoire est rapide (en général
48 heures) et largement divulguée dans le service.
Signalisation des porteurs
« Elle doit être respectueuse du patient et aisément reconnue par l'ensemble du personnel du
service » (texte des experts du jury de la Conférence de consensus [5] ). Elle se fait au moyen
d'un logo connu de tous au sein du service, non explicite pour le patient ou sa famille. Cette
signalisation est recommandée sur la porte de la chambre du patient, sur le dossier médical et
infirmier, ainsi que sur les pancartes de surveillance. Le portage de BMR doit être mentionné
clairement dans les comptes rendus d'hospitalisation et lors des transferts des patients vers
d'autres services ; un contact téléphonique avant le transfert, permet de prévenir le service
d'accueil avant l'arrivée du patient, afin de mieux organiser les mesures d'isolement.
Isolement géographique [23]
Il repose sur l'hospitalisation en chambre individuelle des patients fortement disséminateurs
de BMR. Tout le matériel nécessaire aux soins du malade doit être présent dans la chambre et
réservé à ce seul malade. Les allées et venues dans cette chambre doivent être réduites au
maximum. Tout matériel ou déchet sortant de la chambre doit être décontaminé ou isolé dans
un conditionnement étanche dans la chambre elle-même. Au mieux, un personnel spécifique
s'occupe du patient, ce qui, en pratique, n'est jamais réalisable. À la sortie du patient, la
chambre doit faire l'objet d'un ménage et d'une décontamination renforcée, chaque surface
étant soigneusement nettoyée, puis décontaminée.
Lorsque plusieurs cas sont présents dans l'unité, et que le nombre de chambres individuelles
est insuffisant, on peut regrouper les malades porteurs de BMR dans une même chambre ou
dans une partie de l'unité (sectorisation). Il est alors plus facile d'affecter un personnel
spécifique pour les soins de ces patients.
Isolement technique
Il s'agit d'une série de mesures qui visent à interrompre la transmission croisée entre les
patients. Tout malade hospitalisé en réanimation doit bénéficier d'un « isolement technique
standard » qui repose sur l'hygiène des mains pour réduire la transmission manuportée [5]
[23] . Cette hygiène des mains comporte le lavage et le port de gants non stériles à usage
unique lors de tout contact avec le malade ou son environnement.
Le lavage des mains doit être systématique au moins en entrant et en sortant de la chambre du
patient ; il se pratique dans la chambre, ce qui suppose que chaque chambre soit équipée d'un
lavabo dévolu uniquement à cet usage, de distributeurs de savon, d'alcool et d'essuie-mains à
usage unique. Le lavage antiseptique des mains est effectué à l'aide d'un savon antiseptique
(chlorhexidine ou polyvidone iodée), ou avec un savon doux liquide ; dans ce dernier cas,
après séchage, il est nécessaire d'appliquer sur les mains une solution isopropyl-alcoolique à
60 %. Ces deux techniques semblent équivalentes pour décontaminer les mains, la seconde
étant souvent mieux tolérée, au niveau cutané, que la première. Dans tous les cas, ce lavage
doit durer au minimum une minute et intéresser les mains et les poignets. Le port de tenues de
travail à manches courtes est indispensable.
En plus de cet isolement technique standard, un isolement technique spécifique est préconisé
pour les patients porteurs de BMR. Son but est double : supprimer la transmission croisée
entre le porteur et les autres patients de l'unité et limiter l'auto-infection du porteur lors des
soins.
En dehors du lavage des mains qui doit être renforcé, d'autres mesures sont préconisées.
- Le port de gants non stériles à usage unique vise à limiter la contamination massive des
mains lors des soins. Ces gants doivent être retirés et jetés dans la chambre dès
l'accomplissement du soin contaminant (un soin = une paire de gants) ; il ne dispensent bien
entendu pas du lavage antiseptique des mains.
- Le port de tabliers ou de surblouses à usage unique vise à limiter la contamination des tenues
de travail, lors des contacts rapprochés avec le malade. Les surblouses en coton, rapidement
perméables et surtout réutilisables, ne sont pas recommandées et constituent une fausse
sécurité. Seuls sont efficaces les tabliers plastiques ou les surblouses non tissées à usage
unique.
- Le port de masque est indispensable pour les soins réalisés chez les malades fortement
disséminateurs de BMR à partir des voies aériennes supérieures. Le port de lunettes de
protection est recommandé lors des aspirations trachéales ou en cas de risque de projection
liquidienne ; il s'agit là d'une mesure destinée à protéger le personnel plutôt qu'à interrompre
la transmission croisée.
- L'utilisation de matériel individuel pour chaque patient concerne : thermomètres,
stéthoscopes, brassards à tension, oxymètre, bassin, urinoir. Ce matériel doit être
soigneusement nettoyé et décontaminé lorsqu'il sort de la chambre (eau savonneuse puis eau
de Javel et/ou décontaminant de surface).
- L'évacuation des déchets et du linge sale est faite après emballage dans la chambre en sac
étanche. Les urines infectées doivent être recueillies dans des bocaux à usage unique étanches.
- La hiérarchisation des soins : les soins médicaux et paramédicaux doivent toujours
commencer par les patients indemnes et se terminer par les patients porteurs de BMR. Chez
ceux-ci, les soins non contaminants doivent précéder les soins contaminants ; ces derniers
s'effectuent obligatoirement avec une paire de gants et sont immédiatement suivis d'un lavage
antiseptique des mains, après le retrait de la paire de gants.
Chimiodécontamination des porteurs
Il s'agit de l'administration locale, au niveau des sites réservoirs, d'antibiotiques non
absorbables, chez les patients colonisés et/ou infectés. Ses indications restent mal précisées et
elle ne représente qu'un complément aux mesures générales énoncées ci-dessus. Cette
décontamination peut être « prophylactique », s'appliquant à tous les patients de l'unité pour
prévenir leur colonisation, ou plutôt « curative », administrée uniquement aux patients
porteurs de BMR. C'est cette dernière mesure qui est préconisée par les experts du jury de la
Conférence de consensus [5] . Bien entendu, il est impératif de traiter les infections à BMR, y
compris les infections urinaires asymptomatiques sur sonde, qui comportent une énorme
charge bactérienne et donc un pouvoir disséminateur majeur.
Pour les EBLSE, la décontamination est digestive et repose sur l'utilisation d'antibiotiques non
absorbables par la muqueuse digestive, et atteignant des concentrations intraluminales
élevées. Les antibiotiques les plus souvent utilisés dans cette indication sont les aminosides
(gentamicine), la polymyxine B (colimycine) et l'érythromycine base (préparation non
absorbée par le tube digestif, à la différence des sels d'érythromycine). Une association de
deux de ces trois molécules est le plus souvent utilisée. Cette décontamination doit être
poursuivie pendant toute la durée de l'hospitalisation du patient, ou, au moins jusqu'au
troisième écouvillonnage rectal négatif.
Pour les SDMR, la décontamination doit être nasale et cutanée. Les études relatant
l'expérience de ce type de décontamination sont beaucoup plus nombreuses que pour les
EBLSE, mais aucune, en réanimation, n'a réussi à démontrer l'efficacité réelle de cette
mesure [24] . Actuellement, elle ne peut être considérée que comme un complément des
mesures d'isolement. Elle est recommandée, en situation endémo-épidémique pour les patients
porteurs de SDMR. Elle repose sur la pommade nasale de mupirocine à 2 % (application
biquotidienne pendant cinq jours), associée à la toilette cutanée corporelle totale à la
chlorhexidine [5] . Cette pratique doit être limitée dans le temps, sinon le risque d'apparition
de souches résistantes à ces produits existe.
Le portage nasal chez le personnel soignant est faible au cours des épidémies (moins de 5 %),
et il est rarement utile de proposer un dépistage et une décontamination. Toutefois, si malgré
toutes les mesures, l'épidémie persiste, « le dépistage et la confirmation d'une dissémination
clonale à partir du personnel soignant, par typage moléculaire, justifient une
chimiodécontamination du personnel concerné » [5] [25] . Celle-ci se fera là encore par la
pommade nasale de mupirocine, sans décontamination cutanée.
Pour les autres BMR, aucune chimiodécontamination ne peut actuellement être proposée [24]
.
PROBLÈME DE L'OBSERVANCE DES MESURES PRÉCONISÉES
De très nombreux facteurs vont influer sur l'observance des pratiques [26] :
- l'architecture du service, c'est-à-dire le nombre de chambres individuelles, équipement en
lavabo et dispositifs adéquats pour le lavage des mains ;
- les ressources matérielles en savon, essuie-mains à usage unique, gants, tabliers, masques,
ainsi que la bonne gestion prévisionnelle des commandes et des stocks ;
- les ressources humaines : le manque de personnel induit une charge de travail, surtout en
réanimation, qui conduit souvent à une impossibilité réelle d'appliquer les mesures d'hygiène
même standard.
Toutefois, en dehors de ces facteurs qui nécessitent une volonté et une implication importante
de la part de l'administration hospitalière, pour accorder les budgets nécessaires aux travaux,
au surcoût de matériel et de personnel, la mise en place des protocoles de lutte contre les
BMR doit obéir à un certain nombre de règles qui en faciliteront l'observance.
Information du personnel
L'information doit permettre à chaque catégorie professionnelle de comprendre l'enjeu pour
les malades et le service lui-même.
Protocoles de soins
Ils doivent être rédigés en commun, à partir des recommandations générales, mais adaptés à
l'activité de chacun et spécifiques des contraintes et des habitudes de travail de chaque
service. Un programme de prévention distribué par circulaire et rédigé par des instances
extérieures au service n'a aucune chance d'être correctement et durablement appliqué. Une
fois rédigés, ces protocoles doivent être expliqués régulièrement aux nouveaux venus, mais
aussi rediscutés avec ceux qui les appliquent. Ce travail collectif contribue à maintenir
l'implication et la motivation des membres d'une équipe [19] . Il suppose cependant que
l'ensemble du personnel se sente concerné, y compris les médecins et les chefs de service..!
Retour d'information
Le retour d'information est indispensable pour améliorer l'observance. Il doit être régulier, non
culpabilisateur, et peut se faire soit par des audits réguliers (sur les pratiques de soins, en
particulier sur le lavage des mains), soit par affichage des courbes du taux des infections ou
des patients colonisés, avec commentaire régulier des courbes.
L'enquête « Hôpital Propre II » a évalué dans 22 services de réanimation volontaires le niveau
d'adoption des pratiques préventives de lutte contre les BMR, et leur observance [27] [28] .
En ce qui concerne l'adoption des pratiques recommandées, 100 % des services avaient des
procédures écrites, 95 % du matériel individualisé pour chaque patient, 93 % des chambres
individuelles pour les malades porteurs (7 % pratiquaient le regroupement des malades) ; dans
97 % des cas, il existait un lavabo par chambre. La signalisation des patients porteurs était
effective à 79 % sur la porte de la chambre, à 48 % dans le dossier médical et à 31 % dans le
dossier infirmier. Quant aux ressources, 100 % des services disposaient de gants, 91 % de
tabliers jetables, 75 % de masques, 95 % d'essuie-mains à usage unique, 70 % de savon
antiseptique et 81 % de savon non antiseptique au niveau des postes de lavage des mains [27]
. En ce qui concerne l'audit des pratiques de soins, la tenue vestimentaire était adaptée à 85 %
pour la toilette, de 60 à 95 % pour les contacts avec l'environnement du patient et de 50 à
95 % lors des contacts avec les déchets. Le lavage des mains était respecté dans 73 % des
cas ; il existait 12 % d'interruption de soins (téléphone, manque de matériel dans la chambre),
qui le plus souvent étaient mal gérées [28] .
Ces résultats sont encourageants, mais il faut rappeler qu'ils portent sur des services
volontaires et motivés et ne reflètent en aucune manière la pratique générale en France.
CONCLUSION
L'attitude à adopter devant une épidémie de BMR en réanimation est maintenant bien codifiée
et de nombreuses recommandations sont disponibles pour aider à la rédaction des protocoles
de soins. La réussite d'une politique de lutte contre les infections et/ou les BMR est
extrêmement motivante et dynamisante pour une équipe de soins. Elle renforce la cohésion du
service vers un projet commun de qualité et est souvent le point de départ de toute une
démarche vers l'amélioration des soins [19] [25] .
Cette tâche est toutefois difficile, encore peu reconnue actuellement car ne faisant pas partie
des habitudes en France, contrairement aux pays de l'Europe du nord ou aux États-Unis. Mais
la prise de conscience progresse dans notre pays, aussi bien dans le milieu hospitalier qu'au
niveau des institutions ; elle repose sur un changement de mentalité qui ne pourra se faire que
si, dès l'école, puis au cours des études médicales et infirmières, les programmes
d'enseignement inculquent ces notions comme des prérequis pour toute activité de soins,
jusqu'à ce qu'elles deviennent des évidences [29] .
RÉFÉRENCES
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