Gouvernance locale, cohésion sociale et économie sociale

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Gouvernance locale, cohésion sociale et économie
sociale
Communication présentée le 19 octobre 2011au FIESS 2011par Pierre
Morrissette, Directeur général du Regroupement économique et social du
Sud-Ouest (RESO) pour le Regroupement des CDEC du Québec.
Quel rapport y a-t-il entre le mode de gouvernance
d’organismes de soutien au développement local, la
cohésion sociale et l’économie sociale?
Pourquoi et comment les CDEC contribuent-elles à la
cohésion sociale?
Pourquoi et comment le mode de gouvernance inclusif et
cohésif des CDEC favorise-t-il l’émergence et le soutien à
l’économie sociale?
Ma communication d’aujourd’hui est en partie fondée sur les
résultats d’une recherche partenariale sur la contribution des
CDEC à la cohésion sociale réalisée par une équipe de
chercheurs de l’UQAM sous la direction du professeur JuanLuis Klein en partenariat avec le RCDECQ. Cette recherche
nous a permis de circonscrire et de documenter la notion de
cohésion sociale dans le contexte de l’action de
développement local urbain intégré mise en oeuvre par les
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CDEC. Cependant, les conclusions que je tire de l’impact du
modèle de gouvernance inclusif et cohésif des CDEC sur
l’économie sociale n’engagent que mes collègues des
CDEC et moi.
Comme le sujet est vaste et le temps minutieusement
compté, je ne prendrai pas de chance avec le temps, je vais
tout de suite vous communiquer ma conclusion :
 Il y a un lien entre le mode de gouvernance inclusif et
cohésif des CDEC et le développement de l’économie
sociale.
 Quand il y a un effort de cohésion sociale qui implique les
principaux acteurs socioéconomiques d’une communauté,
ça crée un climat et des conditions propices et facilitantes
pour le développement de l’économie sociale.
 Les changements apportés au mode de gouvernance des
Centres locaux de développement (CLD) au Québec en
2003 ont entraîné progressivement un affaiblissement des
ressources consacrées au développement de l’économie
sociale par les CLD, alors qu’elles ont été davantage
maintenues et parfois accrues par les CDEC.
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Le Regroupement des CDEC :
Au Québec, il y a 13 Corporations de développement
économique communautaire (CDEC) localisées dans
plusieurs arrondissements de Montréal et à Québec,
Sherbrooke et Trois-Rivières.
Les CDEC ne sont pas le fruit de la génération spontanée.
Pour la plupart, elles sont le résultat de plusieurs années de
gestation dans les milieux communautaires, populaires et
citoyens aux prises avec les multiples conséquences de
l’appauvrissement de leur communauté. Les premières ont
vu le jour à partir du milieu des années ’80, et les autres se
sont ajoutées progressivement jusqu’au milieu des années
’90.
Plusieurs sont issues d’une coalition des milieux
communautaires avec les milieux syndicaux dans le
contexte du déclin des quartiers industriels urbains de
Montréal, Québec, Sherbrooke, Trois-Rivières et Hull,
Cette coalition s’est élargie par la suite aux entreprises, aux
institutions de la santé et de l’éducation, aux milieux
culturels dans une structure de participation, de
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concertation et d’action : la corporation de développement
économique communautaire.
C’est la structure de gouvernance des acteurs
socioéconomiques de la communauté locale.
Mode de gouvernance inclusif et cohésif des CDEC
Le mode de gouvernance mis en place par les CDEC a ceci
d’innovateur qu’il oppose aux lignes de front et de
confrontations traditionnelles entre les groupes sociaux, les
élites économiques et les pouvoirs politiques une approche
de collaboration, de coopération et de partenariat.
Il est fondé sur :
 Une représentation diversifiée, inclusive et équilibrée
d’acteurs et d’intervenants de la société civile locale :
groupes communautaires, syndicats, entreprises,
acteurs culturels, institutions locales, participants
individuels, élus. Dans ce modèle, les élus n’ont pas la
majorité au conseil, et ne désignent pas les membres du
conseil d’administration. Ce sont des « collèges
électoraux sectoriels » qui élisent des représentants au
conseil. L’équilibre entre les divers groupes a été
longuement négocié de sorte qu’aucun groupe en
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particulier ne puisse dominer le conseil et que les
décisions soient obligatoirement le résultat d’un
consensus entre toutes les parties prenantes. Ce mode
de fonctionnement a parfois été ardu et laborieux à roder
au début, mais s’est finalement révélé fonctionnel et
extrêmement efficace comme outil de concertation, de
médiation, d’intermédiation et d’action.
 Des processus de participation citoyenne active à la
définition des orientations et des priorités d’action de
l’organisation. Il faut prendre ici le mot citoyen dans son
sens large, référant autant aux citoyens individuels qu’aux
citoyens associatifs, corporatifs et institutionnels.
 Des modes d’interaction partenariaux tels que coconstructions de politiques et programmes, cogestion
d’alliances de recherche, coproduction d’activités et
d’événements de consultation, de mobilisation et de
concertation.
C’est, comme je le soulignais plus haut, un mode de
gouvernance qui a extrêmement bien servi les collectivités
qui l’ont adopté, en leur permettant notamment de :

Mobiliser les forces vives et la population locales dans un
contexte de déclin économique et démographique ayant
entraîné une grande défavorisation;
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
Développer une connaissance fine des enjeux et
problématiques de son territoire;

Mobiliser des ressources financières publiques,
notamment des fonds de développement et d’innovation
non assujettis à un cadre normatif rigide (dénormés ).

Élaborer et mettre en œuvre des réponses innovatrices
aux besoins exprimés et identifiés par la communauté en
matière de formation de base, de formation
professionnelle, d’aide à l’emploi, d’aide aux entreprises,
etc;

Conclure des partenariats avec divers acteurs publics,
associatifs et privés;

Intervenir dans les débats sur les enjeux d’aménagement,
de transport, d’habitation, de culture, d’aide aux jeunes et
de qualité de vie de son milieu.
Les CDEC ont inspiré la création d’un réseau québécois de
Centres de développement local (CLD) par le gouvernement
du Québec en 1998. Dans chaque MRC au Québec (environ
90), un CLD doté d’une structure de gouvernance autonome,
inclusive et partenariale et d’un coffre à outil de base(
budget de fonctionnement, fonds local d’investissement,
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fonds d’économie sociale, fonds jeune promoteur) a été mis
sur pied. Le mandat était (et est toujours) de soutenir
l’entrepreneuriat et le développement des entreprises en lien
avec les services publics d’aide à l’emploi locaux. À
Montréal, après de laborieuses représentations et
tergiversations, ce sont finalement et logiquement les CDEC
qui ont hérité du coffre à outils CLD, un premier financement
« institutionnel » récurrent depuis leur mise sur pied.
STRUCTURE DE PARTICIPATION
ET DE CONCERTATION
COLLÈGES ÉLECTORAUX SECTORIELS
REPRÉSENTATION ET RECOMMANDATIONS
MANUFACTURIÈRES
SERVICES
NOUVELLE
ÉCONOMIE
COMMERCES
TRAVAILLEURS
AUTONOMES
INSTITUTIONS
FINANCIÈRES
ÉCONOMIE
SOCIALE
SYNDICATS
CULTURE
PARTICIPANTS
INSTITUTIONS
SANTÉ
ÉDUCATION
COMMUNAUTAIRE
CONSEIL D’ADMINISTRATION
(17)
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
(400)
ORIENTATIONS ET DÉCISIONS
FORUM CITOYEN CONSULTATIF
ÉQUIPES DE TRAVAIL
COMITÉS DE TRAVAIL, TABLES, ETC.
MISE EN ŒUVRE DES PLANS D’ACTION
En quelque sorte, à la démocratie élective publique
« officielle », qui se renouvelle de 4-5 ans en 4-5 ans, la
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CDEC ajoute une démocratie participative communautaire
qui agit en complémentarité.
L’approche de développement intégrée pratiquée par les
CDEC est éloquemment illustrée par le graphique de
« La roue de développement »
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Les CDEC et la cohésion sociale : « un modèle
spécifique de gouvernance urbaine ?»
La cohésion sociale n’est pas un état, mais un objectif de
communauté, un idéal à poursuivre pour une meilleure
qualité de vie.
«… la cohésion sociale doit être vue comme un processus
toujours en évolution, jamais comme un produit fini. Le fait
d’avoir des objectifs communs et de s’impliquer socialement
pour les atteindre incite les acteurs à agir ensemble et à
participer à la dynamique de la communauté. La poursuite
du développement social est le cadre où se construit la
cohésion sociale. » (Klein et al. 2011)
« …l’hypothèse selon laquelle les CDEC contribuent à la
cohésion sociale aussi bien à l’échelle de leur
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arrondissement qu’à celle de la ville dans son ensemble est
fondée. (…) Les CDEC participent à la cohésion sociale
montréalaise à un double titre. En concertant les acteurs, en
devenant une instance où ils trouvent des points de
convergence et de ralliement, en mettant de l’avant des
actions collectives unificatrices et en construisant des ponts
entre divers types de résidents, elles assument une sorte de
médiation entre les acteurs. (…) Par ailleurs, parce qu’elles
agissent comme porte-paroles de la collectivité locale et
parce qu’elles gèrent des ressources octroyées par les
gouvernements, elles agissent comme des intermédiaires. »
(Klein et al. 2011)
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Un auteur Australien met en relation dans un « triangle de
développement » trois composantes d’un modèle de
communauté apprenante qui repose sur des prémisses
conceptuelles très proches du développement local intégré
pratiqué par les CDEC. Le modèle de Candy valorise la mise
en réseau des acteurs et des ressources, la participation
citoyenne et « l’empowerment » individuel et collectif dans
une perspective de développement économique et social
durable et de l’amélioration de la qualité de vie de tous.
Encore ici, la cohésion sociale est étroitement associée à un
développement économique qui « réduit les désavantages
sociaux et économiques et qui augmente les capacités
communautaires », ce qui peut ressembler à une définition
de l’économie sociale et solidaire.
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En résumé, la cohésion sociale n’est pas qu’une vue de
l’esprit. Les collectivités peuvent et doivent se donner les
processus, les structures et mobiliser les ressources pour
exercer une gouvernance civile et communautaire effective
et complémentaire à la gouvernance élective « officielle ».
Cela implique un travail constant pour mobiliser, concerter,
établir des partenariats. C’est cette forme de gouvernance
partenariale qui peut conduire à la co-construction de
politiques et de programmes gérés par les associations, les
entreprises d’économie sociale et les organismes
intermédiaires comme les CDEC.
Au Québec, on a beaucoup affaibli ce modèle, notamment
avec la loi 34 en 2003 qui a donné aux élus municipaux le
contrôle des CLD avec la conséquence que plusieurs sont
revenus à une gouvernance composée en majorité des
élites économiques et /ou du pouvoir politique local.
Huit ans plus tard, on peut maintenant constater les
dommages collatéraux. En plus d’assujettir les objectifs et
priorités de développement aux agendas politiques, on peut
constater une diminution de l’intérêt de certains CLD pour
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l’économie sociale, quand, dans les cas extrêmes, ça n’a
pas été jusqu’à un abandon pur et simple.
Incidemment, ceux qui ont fait le choix de garder et renforcer
une gouvernance plus inclusive, plus cohésive, plus
représentative, plus autonome, plus concertée et plus
partenariale sont ceux qui font le plus d’économie sociale, et
ça vaut aussi pour les CRÉ. Alors il ne faut pas prendre à la
légère l’importance de la gouvernance locale et plus
particulièrement l’importance du mode de gouvernance des
organismes de soutien au développement local pour assurer
toute la place et les ressources qui lui reviennent à
l’économie sociale.
Le gouvernement du Québec devrait non seulement inscrire
l’économie sociale comme mode de développement à part
entière de l’économie et des territoires dans la loi
constitutive du MAMROT, mais également modifier la loi 34
pour réintroduire une gouvernance plus équilibrée des CLD
entre les élites économiques, les élus municipaux et les
acteurs de la société civile comme les entreprises
d’économie sociale, les organismes communautaires, les
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acteurs culturels, les syndicats, et les intervenants
institutionnels locaux de l’éducation et de la santé.
Enfin, il devrait également renforcer les ressources locales
pour le financement et l’aide technique à l’économie sociale,
ressources qui ont fondu comme neige au soleil depuis la loi
34, parce que avant tout, l’économie sociale est une
économie de proximité et que c’est avec un tissu fort
d’entreprises d’économie sociale et solidaires au niveau
local qu’on va pouvoir passer à une échelle de plus grande
envergure, à des entreprises d’envergure régionale,
nationale, et pourquoi pas, internationale.
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