B) les contrastes : Notons que la cohérence de cette pantomime n’existe que par la
grâce du texte, la volonté du poète : quelle logique narrative, quel déroulement
significatif attribuer à ces quatre tableaux successifs ? L’un mange et boit tandis qu’un
autre pleure dans le fond, un troisième prévoit un enlèvement pour satisfaire ses pulsions,
dont il semble fêter par ailleurs les multiples réalisations par une pirouette… et la femme
de se montrer romantique, à son étonnement apparemment. Là ne s’arrêtent pas les
contradictions de ce poème : le premier vers affiche d’emblée une opposition nette entre
les deux noms propres qui l’encadrent, en un rapprochement qui paraît d’autant plus
gratuit qu’il est présenté comme tel : «n’a rien de» ne peut être plus négatif et que vient
faire «Clitandre» dans la commedia dell’arte, sinon par le hasard d’un rangement dans une
bibliothèque ? Ce nom propre étant lui-même rendu commun par l’article indéfini, comme
pour déprécier cette figure classique du soupirant rencontré chez Molière puisque c’est
l’amant de Lucinde dans L’Amour médecin, celui d’Angélique dans George Dandin,
d’Henriette dans Les Femmes savantes… «Et c’est l’éternel Clitandre» mis en exergue
dans Mandoline, par le présentatif et la polysyndète… Pourquoi ensuite évoquer «sans
plus attendre», en une tournure affectée, car l’objet de l’attente échappe complètement,
absence renforcée par le suspens de la rime… procédé rhétorique que conseillera Art
poétique… L’ordre même des actions semble peu cohérent : la consommation d’un pâté se
fait habituellement au rythme de la baisse du liquide dans le flacon afférent… alors que ce
dernier sert ici d’apéritif. Après cet en-cas, Cassandre se trouve reclus au fond de
l’avenue, comme en vieux rebut, et cette mise à l’écart est confirmée par le mépris à
l’égard de sa larme (sic !), alors que l’on attend plutôt des larmes. Cette impression
d’évanescence est confirmée par les préfixes mé- et dés- et corroborée par la déshérence
du neveu, dont le rapport familial est ainsi dénié. Plus vif, Arlequin, car actif
intellectuellement («combine») et physiquement («pirouette»), au rebours du passif et
déplorant Cassandre,
Colombine tranche ainsi nettement dans le dernier tercet sur les trois personnages
précédents ; elle seule incarne la beauté, le raffinement, toute en spiritualité : «rêve».
C’est que ces personnages semblent tous à contre-emploi : nous avons évoqué plus haut
la gloutonnerie évidente de Pierrot : cela ne fait pas partie de ses traits de caractère
traditionnels, et ce défaut est plutôt réservé à Arlequin. Certes ce dernier pirouette comme
attendu, mais c’est plutôt à Pierrot de combiner l’enlèvement de son amour, au détriment
de Cassandre. Cassandre, avez-vous dit ? Autre rupture ! Certes, il est au ban de la société
et subit la moquerie vengeresse de la populace vu son désir pour sa fille, mais il y a
ambiguïté sur son identité réelle, car il partage ce nom avec la célèbre Cassandre de Troie
qui, récupérée par Agamemnon, ne peut que verser une larme en secret, pour ne pas subir
la raillerie de ses ennemis, sur son neveu, le petit Astyanax, de fait déshérité puisque son
père Hector, le fils de Priam, et donc futur roi de Troie a perdu la vie sous les coups
d’Achille. D’ailleurs, il est vivant et sert au chantage de Pyrrhus dans Andromaque de
racine, mais chez Homère, il a été précipité du haut des murailles de Troie en flamme.
Verlaine, encore une fois, s’amuse et nous perd ici dans les méandres mêlés du mythe et
théâtre, un bon exercice de redistribution des cartes pour les cuistres… Ce que confirme la
présentation inhabituelle de Colombine, accorte jeune fille, délurée, maîtresse de ses
sentiments, à l’abri des surprises de l’amour, car elle est coutumière du fait, vu sa beauté.
Elle se montre pourtant ici d’une délicatesse extrême, on n’ose dire : romantique, vu
l’anachronisme, ou alors c’est avant la lettre ! Les nasales en écho (sen- un dans) , ensuite
soulignées par les dentales : «[d’]en[|t]en[d]r(e) en son» n’entrent pas pour peu dans la
douceur de ce point d’orgue affectif, en deux très belles images où le souffle de la brise se
mêle intimement aux battements du cœur d’un autre. Etant entendu (sic !) que le terme