
Gerard CLEMENT Page 2 du 14 au 20 FEVRIER 2016 76977959316/04/2017
L’INTERVIEW AU FLAN DE LAURENT WAUQUIEZ
Publié le 13 février 2016 par jmaphatie
J’ai toujours eu envie de déconstruire le discours politique, ces phrases creuses, parfois contradictoires ou fausses, bourrées de
mauvaises intentions ou de sous-entendu. J’ai toujours envie de le faire parce que l’exercice me paraît amusant, et qu’il peut,
parfois, être utile.
Premier exercice pratique avec l’interview accordée le samedi 13 février au Figaro par Laurent Wauquiez, 40 ans, président de la
région Auvergne-Rhône-Alpes, secrétaire général des Républicains. Cette interview, qui me semble très intéressante, possède
deux caractéristiques.
Elle frappe d’abord par la multiplication de ses formules générales, vagues, ce qui la rend, du coup, imprécise, presque molle, et
c’est pour cela qu’elle m’a fait penser à la texture gélatineuse d’un flan. D’où le titre un peu vasouillard, j’en conviens. Par ailleurs,
toujours comme le flan, cette interview a de la saveur, du goût. Molle oui, creuse non. On pourrait dire que cette interview a une
identité, celle de la France rance dont il est plaisant, une pierre ici, un caillou là, de repérer les traces multiples dans la société
française.
D’emblée, le titre de l’interview intrigue. Le voici: « On peut parler d’une trahison des élites politiques. » Bon, admettons… Dans ce
cas, on peut penser que cet entretien est une autocritique car Laurent Wauquiez, diplômé de l’Ecole normale supérieure, diplômé
de l’Institut d’études politiques, élève de l’ENA, député depuis 12 ans, ministre de 2007 à 2012, aujourd’hui numéro deux du parti
dirigé par Nicolas Sarkozy, ce Laurent Wauquiez là est parfaitement représentatif des élites politiques françaises. On pourrait
même soutenir qu’il en est un membre désormais éminent. Alors, un traitre Laurent Wauquiez?
Eh bien non, pas du tout. Dans cet interview, Laurent Wauquiez ne confesse aucun faute, n’avoue aucun regret et donc sa phrase
de titre, bien présente dans le texte, s’adresse à des « élites politiques » dont, curieusement, il ne ferait pas partie.
C’est d’ailleurs ce qui trouble le plus dans cette interview: l’identité même de Laurent Wauquiez, dont on ne sait pas qui il est, ni où
il se situe dans la société française. Voici un passage de cet entretien qui met bien en lumière le problème:
« Il y a un contraste terrible entre un pays qui conserve une pulsion de vie et des politiques qui avec une rage incroyable lui mettent
la tête à l’envers. Nous vivons une vraie crise de civilisation. Les Français ont peur que leur pays change de nature. Pour le dire
autrement, ils ne veulent pas devenir minoritaire chez eux. »
Laurent Wauquiez oppose donc « le pays » et des « politiques ». De qui parle-t-il exactement? Du gouvernement? Des socialistes?
Si c’était le cas, il les nommerait. Donc, son propos doit être plus large. Mais large comment? Englobe-t-il, par exemple, Nicolas
Sarkozy dans le lot? François Fillon, dont il fut le ministre? Tous ses copains avec qui il fut ministre? Peut-on penser, au fond, qu’il
englobe tellement de gens dans la critique qu’il finit par se distinguer lui-même de la masse des hommes politiques et que son
propos revient à nous dire de manière subliminale que lui est meilleur que les autres?
Personnellement, et sans posséder de preuves irréfutables de ce que me dicte mon intuition, je pencherais volontiers pour cette
dernière interprétation.
Dans le passage cité, un autre moment me frappe, celui où il oppose « le pays », « les Français », et les « politiques ».
Ces formulations sont typiques de ceux qui critiquent le « système », d’Eric Zemmour à Marine Le Pen, et Laurent Wauquiez
semble se rattacher à cette école. Malheureusement, ces formulations sonnent faux, car elles sont fausses. Les « politiques » qu’il
dénonce ne sont pas des apatrides mais eux aussi appartiennent au « pays » qu’il décrit avec beaucoup de complaisance. Et de la
même manière, les « politiques » sont Français, et donc opposer les gens sur une base nationale est tout simplement inepte. Peut-
être les « politiques », du point de vue de l’interviewé, sont-ils mauvais, nuls, incapables, inconsistants et que sais-je encore, mais
ils sont aussi Français que peut l’être Laurent Wauquiez.
D’ailleurs, lui même, qu’est-il précisément? Les tournures de phrases qu’il choisit dans son entretien font qu’il ne paraît pas
s’inclure dans le pays, ni dans les Francais, ni dans les politiques. On se demande, en le lisant, qui est Laurent Wauquiez, et d’où il
parle. A force d’être extérieur à tout, à tous, il jette un trouble sur sa propre identité. Ce qui est cocasse pour quelqu’un qui fait une
interview pour parler précisément de l’identité de la France.
Enfin, dans le passage cité, une ficelle réthorique mérite d’être soulignée. Laurent Wauquiez dit que « les Français » – tous les
Francais? – ont peur que leur pays change de nature. « Pour le dire autrement, poursuit-il, ils ne veulent pas devenir minoritaires
chez eux »
De quoi parle exactement Laurent Wauquiez? Que veut dire, pour un pays, changer de nature? Parle-t-il de sexe? De culture? De
monnaie? De religion?
Nous connaissons tous la réponse, évidemment, mais il est significatif de noter que Laurent Wauquiez ne la donne pas. Pourquoi
ne la donne-il pas? Parce qu’il sait que tout le monde a compris, et il sait aussi que s’il est explicite, s’il nomme le changement de
nature, il se fera gravement, et légitiment, houspiller pour une dénonciation raciste. Donc, il le suggère mais il ne le dit pas. Pas vu,
pas pris. Mais lu, et compris.
Et même si c’est inutile, il appuie quand même son propos: ah non, les Français ne veulent pas devenir minoritaires chez eux. Mais
ils ont peur de qui, les Français? Des Guatémaltèques? Des Indonésiens? Des Maltais? Des Basques? Il y a beaucoup de
Basques dans les médias…
Là encore, Laurent Wauquiez demeure elliptique. Il dit mais il ne dit pas, il évoque mais il ne précise pas. Et là encore, il sait que
chacun a très bien compris le sens de son propos. On pourra dire au choix que 1/ c’est du grand art; 2/ c’est très petit. J’ai une
préférence mais je ne vous la livrerai pas.
Plus loin, dans une critique de ce que devient la France, Laurent Wauquiez dit ceci:
« Les notes à l’école? Valeurs du passé. Le travail? Valeur du passé. La sanction? Valeur du passé. »
En lisant ça, on reste pantois. Laurent Wauquiez mélange tout, et surtout ses affirmations sont tous les jours démenties par « les
Français », comme ils nous appelle.
Mélanger le travail et les sanctions avec les notes à l’école est comique. Noter ou pas les élèves est un débat pédagogique, et en
aucun cas une valeur. Les enseignants aujourd’hui s’interrogent sur le sens et les formes possibles de la notation à donner aux
élèves. Personne parmi eux ne proposent d’abandonner la notation. Certains plaident pour des codes couleurs ou pour des lettres
quand d’autres sont attachés aux chiffres. Franchement pas de quoi fouetter un chat français et sûrement pas à prendre en
exemple pour en conclure à un abandon des valeurs, des valeurs françaises bien sûr.
Après cela, Laurent Wauquiez affirme que le travail en France est une valeur du passé. On se pince. N’a-t-il pas entendu tous les
débats autour du chômage, lu tous les papiers sur la question, entendu les témoignages multiples des patrons et des salariés sur
ce thème, pour conclure ainsi que les Français, qu’il aime tant, font du chômage une valeur du passé. À moins qu’il ne veuille
signifier que le travail n’est pas une préoccupation pour les hommes politiques dont il fait partie? Mais là encore, pas un livre écrit
par une sommité, pas un discours prononcé, pas une interview réalisée, sans qu’il soit question de l’emploi, du code du travail, des
35 heures, des charges salariales ou patronales, et de tant d’autres éléments qui structurent le travail.