Statut des fonctionnaires : les premières pistes du projet

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Gerard CLEMENT
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CENTRE RHONE –ALPES D’INGENERIE SOCIALE SOLIDAIRE & TERRITORIALE
REVUE DE PRESSE
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L’INTERVIEW AU FLAN DE LAURENT WAUQUIEZ
Loi Rebsamen : Où en est-on dans sa mise en place ?
Cop 21 : Au travail maintenant !
Nouvelles régions : stratégies de développement
économique et social
Qualité du dialogue social : les surprises du panorama
européen
L'Europe sociale en miettes ?
Quand les élus se prennent pour des patrons
Le droit du travail tue-t-il réellement le droit au travail ?
Peut-on doper la formation sans réinterroger la réforme
ratée de 2014 ? 1ère partie
82 économistes lancent un appel pour sortir de
l’impasse économique
Edgar Morin : "Le temps est venu de changer de
civilisation"
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L’INTERVIEW AU FLAN DE LAURENT WAUQUIEZ
Publié le 13 février 2016 par jmaphatie
J’ai toujours eu envie de déconstruire le discours politique, ces phrases creuses, parfois contradictoires ou fausses, bourrées de
mauvaises intentions ou de sous-entendu. J’ai toujours envie de le faire parce que l’exercice me paraît amusant, et qu’il peut,
parfois, être utile.
Premier exercice pratique avec l’interview accordée le samedi 13 février au Figaro par Laurent Wauquiez, 40 ans, président de la
région Auvergne-Rhône-Alpes, secrétaire général des Républicains. Cette interview, qui me semble très intéressante, possède
deux caractéristiques.
Elle frappe d’abord par la multiplication de ses formules générales, vagues, ce qui la rend, du coup, imprécise, presque molle, et
c’est pour cela qu’elle m’a fait penser à la texture gélatineuse d’un flan. D’où le titre un peu vasouillard, j’en conviens. Par ailleurs,
toujours comme le flan, cette interview a de la saveur, du goût. Molle oui, creuse non. On pourrait dire que cette interview a une
identité, celle de la France rance dont il est plaisant, une pierre ici, un caillou là, de repérer les traces multiples dans la société
française.
D’emblée, le titre de l’interview intrigue. Le voici: « On peut parler d’une trahison des élites politiques. » Bon, admettons… Dans ce
cas, on peut penser que cet entretien est une autocritique car Laurent Wauquiez, diplômé de l’Ecole normale supérieure, diplômé
de l’Institut d’études politiques, élève de l’ENA, député depuis 12 ans, ministre de 2007 à 2012, aujourd’hui numéro deux du parti
dirigé par Nicolas Sarkozy, ce Laurent Wauquiez là est parfaitement représentatif des élites politiques françaises. On pourrait
même soutenir qu’il en est un membre désormais éminent. Alors, un traitre Laurent Wauquiez?
Eh bien non, pas du tout. Dans cet interview, Laurent Wauquiez ne confesse aucun faute, n’avoue aucun regret et donc sa phrase
de titre, bien présente dans le texte, s’adresse à des « élites politiques » dont, curieusement, il ne ferait pas partie.
C’est d’ailleurs ce qui trouble le plus dans cette interview: l’identité même de Laurent Wauquiez, dont on ne sait pas qui il est, ni où
il se situe dans la société française. Voici un passage de cet entretien qui met bien en lumière le problème:
« Il y a un contraste terrible entre un pays qui conserve une pulsion de vie et des politiques qui avec une rage incroyable lui mettent
la tête à l’envers. Nous vivons une vraie crise de civilisation. Les Français ont peur que leur pays change de nature. Pour le dire
autrement, ils ne veulent pas devenir minoritaire chez eux. »
Laurent Wauquiez oppose donc « le pays » et des « politiques ». De qui parle-t-il exactement? Du gouvernement? Des socialistes?
Si c’était le cas, il les nommerait. Donc, son propos doit être plus large. Mais large comment? Englobe-t-il, par exemple, Nicolas
Sarkozy dans le lot? François Fillon, dont il fut le ministre? Tous ses copains avec qui il fut ministre? Peut-on penser, au fond, qu’il
englobe tellement de gens dans la critique qu’il finit par se distinguer lui-même de la masse des hommes politiques et que son
propos revient à nous dire de manière subliminale que lui est meilleur que les autres?
Personnellement, et sans posséder de preuves irréfutables de ce que me dicte mon intuition, je pencherais volontiers pour cette
dernière interprétation.
Dans le passage cité, un autre moment me frappe, celui où il oppose « le pays », « les Français », et les « politiques ».
Ces formulations sont typiques de ceux qui critiquent le « système », d’Eric Zemmour à Marine Le Pen, et Laurent Wauquiez
semble se rattacher à cette école. Malheureusement, ces formulations sonnent faux, car elles sont fausses. Les « politiques » qu’il
dénonce ne sont pas des apatrides mais eux aussi appartiennent au « pays » qu’il décrit avec beaucoup de complaisance. Et de la
même manière, les « politiques » sont Français, et donc opposer les gens sur une base nationale est tout simplement inepte. Peutêtre les « politiques », du point de vue de l’interviewé, sont-ils mauvais, nuls, incapables, inconsistants et que sais-je encore, mais
ils sont aussi Français que peut l’être Laurent Wauquiez.
D’ailleurs, lui même, qu’est-il précisément? Les tournures de phrases qu’il choisit dans son entretien font qu’il ne paraît pas
s’inclure dans le pays, ni dans les Francais, ni dans les politiques. On se demande, en le lisant, qui est Laurent Wauquiez, et d’où il
parle. A force d’être extérieur à tout, à tous, il jette un trouble sur sa propre identité. Ce qui est cocasse pour quelqu’un qui fait une
interview pour parler précisément de l’identité de la France.
Enfin, dans le passage cité, une ficelle réthorique mérite d’être soulignée. Laurent Wauquiez dit que « les Français » – tous les
Francais? – ont peur que leur pays change de nature. « Pour le dire autrement, poursuit-il, ils ne veulent pas devenir minoritaires
chez eux »
De quoi parle exactement Laurent Wauquiez? Que veut dire, pour un pays, changer de nature? Parle-t-il de sexe? De culture? De
monnaie? De religion?
Nous connaissons tous la réponse, évidemment, mais il est significatif de noter que Laurent Wauquiez ne la donne pas. Pourquoi
ne la donne-il pas? Parce qu’il sait que tout le monde a compris, et il sait aussi que s’il est explicite, s’il nomme le changement de
nature, il se fera gravement, et légitiment, houspiller pour une dénonciation raciste. Donc, il le suggère mais il ne le dit pas. Pas vu,
pas pris. Mais lu, et compris.
Et même si c’est inutile, il appuie quand même son propos: ah non, les Français ne veulent pas devenir minoritaires chez eux. Mais
ils ont peur de qui, les Français? Des Guatémaltèques? Des Indonésiens? Des Maltais? Des Basques? Il y a beaucoup de
Basques dans les médias…
Là encore, Laurent Wauquiez demeure elliptique. Il dit mais il ne dit pas, il évoque mais il ne précise pas. Et là encore, il sait que
chacun a très bien compris le sens de son propos. On pourra dire au choix que 1/ c’est du grand art; 2/ c’est très petit. J’ai une
préférence mais je ne vous la livrerai pas.
Plus loin, dans une critique de ce que devient la France, Laurent Wauquiez dit ceci:
« Les notes à l’école? Valeurs du passé. Le travail? Valeur du passé. La sanction? Valeur du passé. »
En lisant ça, on reste pantois. Laurent Wauquiez mélange tout, et surtout ses affirmations sont tous les jours démenties par « les
Français », comme ils nous appelle.
Mélanger le travail et les sanctions avec les notes à l’école est comique. Noter ou pas les élèves est un débat pédagogique, et en
aucun cas une valeur. Les enseignants aujourd’hui s’interrogent sur le sens et les formes possibles de la notation à donner aux
élèves. Personne parmi eux ne proposent d’abandonner la notation. Certains plaident pour des codes couleurs ou pour des lettres
quand d’autres sont attachés aux chiffres. Franchement pas de quoi fouetter un chat français et sûrement pas à prendre en
exemple pour en conclure à un abandon des valeurs, des valeurs françaises bien sûr.
Après cela, Laurent Wauquiez affirme que le travail en France est une valeur du passé. On se pince. N’a-t-il pas entendu tous les
débats autour du chômage, lu tous les papiers sur la question, entendu les témoignages multiples des patrons et des salariés sur
ce thème, pour conclure ainsi que les Français, qu’il aime tant, font du chômage une valeur du passé. À moins qu’il ne veuille
signifier que le travail n’est pas une préoccupation pour les hommes politiques dont il fait partie? Mais là encore, pas un livre écrit
par une sommité, pas un discours prononcé, pas une interview réalisée, sans qu’il soit question de l’emploi, du code du travail, des
35 heures, des charges salariales ou patronales, et de tant d’autres éléments qui structurent le travail.
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Alors de quoi parle Laurent Wauquiez quand il procède à son affirmation? Je suis bien incapable de vous le dire, n’étant certain
que d’une chose: c’est du n’importe quoi.
Et la sanction? Ah, la sanction… Les prisons en France sont pleines. Tous les jours, les tribunaux infligent des sanctions, des
peines, des amendes. Reprocher aux juges leur laxisme, c’est ne jamais regarder la réalité judiciaire, ne jamais regarder la société,
et finalement ne jamais écouter les Français.
Tiens, un dernier passage de cette interview culte:
« Dans son discours de réception à l’Académie, M. Finkielkraut a affirmé: « J’ai découvert que j’aimais la France le jour où j’ai
compris qu’elle était mortelle. » C’est magnifique. J’ai moi-même compris pourquoi je m’engageais en politique quand j’ai réalisé
que la France pouvait être mortelle. »
Que nous dit exactement Laurent Wauquiez quand il éprouve le besoin de citer Alain Finkielkraut? Certainement quelque chose de
très simple: que lui aussi, le moment venu, sera digne de l’Académie, puisqu’il raisonne déjà comme un académicien.
En conclusion, je poserais bien trois questions à Laurent Wauquiez et je serais honoré de ces réponses.
1/ Appartient-il ou non aux élites politiques ce pays?
2/ Du changement de quelle nature est menacée la France?
3/ Qui pourrait rendre minoritaires les Français minoritaires?
S’il me réponds, ce que j’espère, je vous transmettrai les réponses.
Loi Rebsamen : Où en est-on dans sa mise en place ?
samedi 13 février 2016
Les dates à retenir, à partir du 9 août 2015, date d’entrée en vigueur de la loi :
1er janvier 2016 : réorganisation des informations consultations, réorganisation des obligations de négocier, dispositions relatives à la
propagande électorale et à la protection des candidats (TPE).
1er
janvier
2017 :
applications
des
prescriptions
électorales
pour
la
mixité
proportionnelle.
Dans l’attente des décrets :
1er juillet 2017 : création des CPRI (commission paritaire régionale interprofessionnelle) et des CPRB (commission paritaire régionale de
branche).
Mars 2019 : Mise en place effective des administrateurs salariés dans les entreprises dont l’effectif en France est d’au moins 1 000
salariés.
Quels principaux changements dans le dialogue social ?
Dans les TPE, les entreprises à partir de 11 salariés et plus, soit 3 millions de salariés - en plus de l’artisanat qui possède des CPRIA
(commission paritaire régionale interprofessionnelle de l’artisanat) - pourront être représentés par les CPRI et les CPRB, avec un dispositif
simplifié d’information et de négociation, sur les rémunérations, le temps de travail, le partage de la valeur ajoutée dans les entreprises. Puis
sur la qualité de vie au travail et égalité professionnelle.
- Dans les entreprises de 50 salariés, le processus d’information-consultation est organisé en 3 temps par une consultation sur les orientations
stratégiques et leurs conséquences, puis sur la situation économique et financière et enfin sur la pratique sociale.
- Dans les entreprises de moins de 300 salariés : possibilité de mutualiser et d’annualiser les heures de délégation entre titulaires et
suppléants, mais pas avec les heures syndicales.
La mise en place d’une délégation unique du personnel (DUP), dans les entreprises en dessous de 300 salariés : la décision revient à
l’employeur. L’employeur doit consulter les IRP mais en cas d’avis négatif, il peut passer outre. La loi prévoit :
 Un socle sur la fréquence des réunions (tous les deux mois au minimum), et les thématiques traitées (4 réunions au moins sur les
questions du CHSCT, comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail).
 Désignation d’un secrétaire et d’un secrétaire adjoint exerçant les fonctions des secrétaires du comité d’entreprise et du CHSCT.
 Les suppléants peuvent siéger à toutes les réunions avec voix consultative.
 Respect des 3 temps de consultation.
 Un seul avis rendu visant à la fois le CE et le CHSCT, à condition que les membres du CHSCT aient été convoqués et que les invités
habituels (médecin et inspecteur du travail) aient été prévenus.
 Expertise commune quand le sujet est commun au CE et au CHSCT, avec la possibilité de faire appel à plusieurs experts.
 Les dispositions prévues peuvent être améliorées par accord.
Une fois instaurée dans une entreprise, la DUP élargie s’applique à chaque établissement.
 Dans les entreprises, à partir de 300 salariés : Possibilité d’adapter, par accord majoritaire, le cadre et le fonctionnement des IRP
(instances représentatives du personnel).
 Dans les entreprises d’un effectif de 1 000 salariés et au-delà : les salariés auront des représentants au conseil d’administration.
Les décrets portant sur le nombre de délégués et la délégation unifiée (DUP) ont été transmis le 29/12/2015 aux syndicats pour avis des
partenaires sociaux.
Cop 21 : Au travail maintenant !
samedi 13 février 2016
La COP 21 s’est achevée sur un accord historique (voir les + et les - de l’accord sur EurActiv.fr dans les sources). S’il faut
saluer le résultat diplomatique et étatique (195 pays se sont engagés), force est de constater que tout commence
maintenant et en particulier, et surtout, les questions liées au travail et à l’activité humaine.
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Car c’est de cela dont il faut parler, le « comment faire » loin du Bourget. Comment diminuer drastiquement notre consommation
d’énergie fossile, développer les énergies renouvelables, engager l’économie sur la voie de l’éco-efficience et du développement
durable ? Or, engager avec succès les changements nécessaires de nos modes de production et de consommation entraîne
parallèlement des changements dans les façons de travailler et dans les emplois. Guy Rider, Directeur général de l’OIT a écrit
dans une tribune récente que « l’environnement n’est pas un problème pour l’emploi, c’est l’emploi qui est une solution pour
l’environnement ».
Pour réussir ce changement fondamental, nous avons identifié un certain nombre de grands enjeux qui concerne l’emploi
et le travail.
 Les processus de travail ne doivent pas être occultés du débat. Ils sont à la base de toute activité humaine. Et toucher à
l’activité humaine, c’est toucher au travail dans toutes ses composantes et regarder la façon dont cette activité s’organise
dans les territoires. Ainsi, il conviendrait de mieux définir la place de la gestion prévisionnelle des emplois et des
compétences pour mieux lutter contre le changement climatique ;
 Si on considère que les quatre piliers de l’économie soutenable sont la digitalisation, l’économie fonctionnelle, l’économie
collaborative et l’économie circulaire, chacun passe par une redéfinition du travail ;
 Les acteurs sociaux sont des leviers essentiels : les entreprises et les entrepreneurs, les organisations syndicales et
patronales, les associations… Or, la résolution finale de Paris est pauvre en la matière même si la société civile a
largement participé au succès de la conférence. Il faut donc engager des processus pour que les acteurs parties
prenantes, les territoires et les entreprises réussissent le changement climatique ;
 Il faut accompagner et soutenir la montée en charge des lieux dédiés au dialogue social sur la question des mutations
industrielles liées à la transition énergétique : au niveau des filières, des branches, des territoires, de l’interprofessionnel,
ministériel et interministériel ;
 Il convient de valoriser le potentiel de création d’emplois loin des discours défaitistes sur l’écologie, ennemie de l’activité,
de l’emploi et de la croissance. Or, cette idée sous-estime les opportunités du développement durable ;
 Identifier des secteurs clés, mais ne pas s’arrêter là. Les secteurs essentiels pour l’emploi dans le monde sont aussi ceux
qui sont cruciaux pour réussir la transition écologique : l’agriculture, la forêt, le transport, le bâtiment. Il faut accompagner
les transformations dans ces secteurs, et anticiper les restructurations dans d’autres comme celui des énergies fossiles.
Mais il faut aussi faire preuve d’imagination et d’innovation dans tous les secteurs comme par exemple la santé,
l’éducation… ;
 Quel rôle pour la RSE (responsabilité sociale des entreprises) qui désormais doit mettre davantage l’accent sur le suivi
des engagements ?
 Comment mettre à l’œuvre une nouvelle gouvernance énergétique en France qui soit un cadre clair, cohérent et partagé
des différents codes, lois de programme, Grenelle, décrets, règlements… ?
 La question du financement des projets, majeure, doit être abordée. Quelle place pour l’État, les acteurs institutionnels
régionaux, les villes, les fonds européens, les acteurs privé, les citoyens… ?
 Quel rôle pour l’Europe en termes de construction de partenariats renforcés en faveur de secteurs industriels forts comme
les énergies renouvelables et les transports.
Trois exemples récents d’avancées des acteurs sociaux sur la question du développement durable.
Une étude commanditée en 2013 par la CGT auprès du LEST et de l’IRES sur l’évolution du bâtiment par rapport aux
nouvelles contraintes de la transition énergétique. « Vers de nouveaux rapports entre les acteurs de l’acte de construire ? » (en
région PACA) s’est concentrée sur les aspects organisationnels du secteur, en constatant que sa très grande hiérarchisation
constituait un obstacle à la coopération, et donc à l’innovation. Il existe de fait une séparation voulue par les textes entre la maîtrise
d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre, qui peut être source de dysfonctionnements. L’étude montre que le pôle de compétitivité
POLEBAT, créé en 2008, et reconnu par la Région PACA, a su répondre à la demande des acteurs en remettant en cause la
division du travail existant actuellement dans le bâtiment, en se révélant un espace d’expérimentation appliqué par la suite à de
nouveaux bâtiments.
Énergies de citoyens est une association mulhousienne créée en 2013. Elle œuvre dans la relance énergétique et regroupe
citoyens, entrepreneurs et institutions locales autour de projets d’efficacité énergétique et de production d’énergies renouvelables.
Elle se fixe comme objectif que 20 % de l’énergie consommée par l’agglomération soient produits localement, « pour que le
montant de la facture énergétique retourne dans la richesse locale ». Trois axes ont été définis : augmenter la production d’énergie
renouvelable, réaliser des économies d’énergie et améliorer la productivité de l’énergie.
À partir de l’hiver 2014, l’association engage des actions de pédagogie en organisant chez les particuliers des « Apéro-réno »
(rénovation), sur le modèle des réunions Tupperware. Elle monte une offre très locale, essaime à Valenciennes et à Angers, valide
un business plan et crée une société d’exploitation pour développer cette activité. Après une levée de fonds, Hey’Nergie voit le jour
en décembre 2015. L’association y a des parts. En parallèle, Énergies de Citoyens sous-traite à des exploitants de chaufferies
collectives une activité de conseil aux particuliers copropriétaires.
Les unions régionales CFDT de Midi-Pyrénées et de Languedoc-Roussillon font de ce dossier une opportunité de travail en
commun dans la perspective de la grande région politique, désormais créée, et du changement institutionnel pour la CFDT. Elles
ont créé un groupe de travail sur la transition énergétique et l’action syndicale.
Leur objectif est de mettre le focus sur le rôle et la responsabilité que les salariés peuvent assumer dans l’émergence d’un
nouveau modèle de développement soutenable au service de l’emploi. Un préalable a été défini. Pour réussir la transition
écologique, il faut réussir la transition digitale. C’est cette transition numérique qui est la vraie rupture et qui va rendre possible la
rupture écologique. Des filières prioritaires ont été définies au regard des caractéristiques de la nouvelle région : le transport,
l’agroalimentaire, première filière de la région, le secteur du bâtiment et la chimie. En parallèle, le groupe de travail se donne
comme objectif de développer le dialogue social et les pratiques participatives de proximité (l’information, l’éducation, la formation
aux enjeux de la transition écologique, les pratiques participatives de type Agenda 21, l’outil du Bilan carbone, le dialogue
économique, social et environnemental …)
Conclusion
Cette nouvelle phase de la transition met le travail, l’activité humaine au cœur des changements. Selon les études de l’OIT, la
transition écologique pourrait créer jusqu’à 60 millions d’emplois d’ici 2030 dans le monde. Investir dans la transition, au-delà d’un
peu de peinture verte, c’est en effet investir dans de nouveaux modes de production, plus économes en ressources. C’est élargir
l’horizon aujourd’hui bouché d’une productivité qui ne progresse pas au détriment de l’environnement, mais au contraire en le
préservant.
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Nouvelles régions : stratégies de développement économique et social
mercredi 10 février 2016
Chapitre 2 Rapide coup d’œil sur les premiers engagements des Président-e-s de 5 conseils régionaux
Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées
Pour la présidente Carole Delga (PS), c’est « une union (des 2 régions) qui fera notre force », tant il est vrai que la question de la construction
de la complémentarité des 2 anciennes régions est centrale. Elle a deux priorités : l’emploi et la citoyenneté.
Carole Delga veut faire de la nouvelle grande région « la première région d’Europe à énergie positive ».
Elle lancera rapidement ce printemps un « plan Marshall » pour le bâtiment de 800 millions d’euros pour 2016, plan qu’elle avait déjà annoncé
en décembre. Dans le même temps, elle lancera un « schéma de développement économique au plus près des besoins des jeunes ».
Elle annonce pour l’automne une grande conférence sur l’emploi mettant l’accent sur la création d’emplois et l’activité économique, afin de
déterminer les besoins des filières, en particulier émergentes, et encourager l’innovation. Elle propose de créer un 2ème incubateur régional
pour l’économie sociale et solidaire et de soutenir les activités de recherche (allocations doctorales, équipements de pointe…). Enfin, elle
propose de mettre en place une garantie emploi-formation pour les demandeurs d’emploi, les jeunes sans qualification et les salariés en
reconversion.
Elle veut aménager le territoire par un « plan Rail » qui sera lancé par le biais d’états généraux.
Les indemnités n’augmenteront pas pour les élus régionaux, la question a été tranchée lors d’une assemblée plénière. Mme Delga a aussi
annoncé une grande consultation populaire pour le choix du nom de la future grande région.
Auvergne-Rhône-Alpes
Désormais à la tête d’une région poids lourd économique, Laurent Wauquiez (LR), élu Président, veut « montrer que ses idées peuvent être
appliquées ».
Au nom de la première de ses priorités, « le sens de l’exemplarité », Laurent Wauquiez a annoncé plusieurs mesures d’économies : une
diminution du montant des indemnités des élus, du nombre de membres de la commission permanente « en deçà de ce qu’autorise la loi », et
« une économie sur le train de vie ».
Au cours des trois prochains mois, Laurent Wauquiez mettra en route plusieurs chantiers : un programme zéro charge pour la première
embauche ; une préférence régionale dans les marchés publics ; la priorité aux produits de la région dans les cantines ; un système régional de
bourse aux étudiants méritants et le renforcement de la sécurité dans les trains TER et les établissements scolaires.
Laurent Wauquiez s’est engagé à consulter par Internet ses 8 millions d’administrés pour déterminer le nom de la nouvelle région.
Nord-Pas-de-Calais-Picardie
« C’est la campagne la plus dure que j’ai eue à mener. » a déclaré Xavier Bertrand (LR) élu président de la région et qui a su illustrer avec 2
brèves prises de parole l’incarnation du besoin de changement des électeurs.
Dès le lendemain de son élection comme Président, Xavier Bertrand a lancé officiellement la plateforme Proch’emploi, un dispositif chargé de
faire le lien entre les offres d’emploi non pourvues et les chômeurs de la nouvelle grande région Nord-Pas-de-Calais-Picardie.
Lors de son élection, il a présenté un « New deal régional » pour l’emploi, avec des allégements de charges pour toute nouvelle création
d’emplois dans les TPE et PME. Il propose une aide aux transports en prenant en charge une partie des frais de déplacement. Pour le monde
agricole, les élus voteront un plan d’urgence qui « viendra en soutien aux éleveurs et aux producteurs de lait ».
Il propose enfin le triplement de la prime pour les entreprises qui « feront confiance à des apprentis », la création d’une « banque régionale
unique d’investissement » et la mise en place de la sécurisation des transports de la région.
La baisse de 5 % des indemnités des élus par rapport aux montants maximum qui étaient jusqu’alors appliqués a été décidée.
Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes
Alain Rousset (PS), réélu président, est un fervent admirateur de la puissance financière des Länder allemands et un chantre de la
décentralisation. Il a relancé l’idée de créer un service public régional de l’emploi.
Dans son programme économique, il met d’abord en avant sa volonté de protéger et soutenir les PME-TPE. Il entend, en particulier, faciliter
leur transmission, avec notamment une prise en charge à hauteur de 50% pour accompagner le repreneur.
Dans le même sens, Alain Rousset promet de mettre en place un réseau de fibre optique, « partout où les opérateurs privés ne vont pas ». Et,
en priorité pour les lycées, les centres de formation et les zones d’activités.
En outre, M. Rousset a prévu de créer un fonds d’aides au redressement des entreprises en difficulté. Initiée par Limousin et Poitou-Charentes,
cette stratégie sera renforcée.
Par ailleurs, des programmes spécifiques devraient être instaurés pour redynamiser les territoires en difficulté. Avec des moyens humains et
financiers dédiés en utilisant plusieurs leviers : la formation, l’innovation, les infrastructures, le foncier.
Il propose aussi de renforcer les filières d’excellence. La grande région est à la pointe dans de nombreux secteurs, aéronautique,
agroalimentaire, chimie, laser, numérique, e-santé... Mais, « ces secteurs sont soumis à une forte concurrence internationale », souligne Alain
Rousset. Pour qu’ils restent compétitifs, il va travailler à une consolidation des chaînes de sous-traitance, soutenir encore davantage la
recherche et développement dans chacune de ces filières pour « permettre aux entreprises de garder leur leadership et ainsi continuer à créer
de nouveaux emplois ». Tout en développant l’exportation.
Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine
Philippe Richert (LR), réélu président, a l’intention de discuter au plus vite avec l’État de nouveaux transferts de compétences, « pour aller plus
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loin », par exemple en assurant un « pilotage unique des actions de formation professionnelles actuellement séparées entre l’État et la
région ».
Au-delà, M. Richert annonce que l’emploi et la ruralité font partie des chantiers prioritaires.
 Il souhaite « une politique des transports et d’infrastructures performante ».
 Il veut « faire du numérique une priorité tant au plan des infrastructures que des usages ».
 Il veut faire des entreprises « des acteurs de la formation » car « la formation est la première compétence régionale ».
Philippe Richert veut aussi mettre en place « un pacte de ruralité » pour lutter contre la fermeture des services publics.
Enfin, il annonce une limitation des indemnités …y compris celle du président et indique que « de plus, les élus qui ne feront pas preuve
d’assiduité se verront sanctionner financièrement. Parce qu’être élu, c’est servir ».
On le voit, ces premiers engagements diffèrent, en raison de la situation économique et du panorama d’activités de ces nouvelles régions, mais
aussi des volontés politiques des nouvelles majorités. Les choix de mise en œuvre de ces premiers engagements seront déterminants pour leur
concrétisation au profit du développement économique et social de ces régions.
Qualité du dialogue social : les surprises du panorama européen
par Martin Richer - 15 Février 2016
Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a déclaré souhaiter être « le président du dialogue
social ». La Commission a indiqué vouloir prendre des mesures pour « donner un nouvel élan au dialogue social ». Où en
sont les différents États-membres sur cette question ? Le panorama européen révèle quelques surprises et brise
plusieurs idées reçues.
Mon analyse s'appuie sur des séries de données issues de la troisième enquête ECS (European Company Survey) qu'Eurofound
(European Foundation for the Improvement of Living and Working Conditions) vient de publier. Ces données apportent des
éléments concrets au débat public sur le dialogue social, généralement riche en idées préconçues et pauvre en étayage statistique.
En effet, elles bénéficient de trois atouts :
• Leur couverture géographique : elles ont été collectées fin 2013 par des enquêtes couvrant 32 pays européens (les 28 Étatsmembres de l'Union Européenne, la Macédoine, le Monténégro et la Turquie).
• Leur couverture fonctionnelle : les représentants de la direction (RH préférentiellement) ont été interrogés ainsi que les
représentants du principal organe de représentation des salariés (Comité d'entreprise ou équivalent), ce qui permet de couvrir une
large gamme de problématiques.
• Leur couverture de l'appareil productif : contrairement à beaucoup d'enquêtes qui se contentent d'interroger des grandes
entreprises, l'ECS couvre les établissements de plus de 10 personnes, ce qui permet d'incorporer la « vision PME ».
La diversité du niveau d'attribution des représentants du personnel
Eurofound apprécie le degré d'influence ou de participation octroyé aux représentants du personnel par une échelle à quatre
barreaux, soit de bas en haut : information, consultation, codétermination, décision unilatérale (qui peut exister sur certains thèmes
particuliers). Sans surprise, ce sont l'Allemagne et l'Autriche qui donnent les attributions les plus larges aux représentants du
personnel, du fait de la place majeure occupée par la codétermination. Le « modèle Rhénan », théorisé par un ancien Commissaire
au plan alors président des AGF, est toujours solide sur ses bases (Michel Albert, « Capitalisme contre capitalisme », Seuil, 1991).
Au-delà, Eurofound a classé les établissements en 4 familles reflétant la qualité du dialogue social :
1. Dialogue limité : établissements dans lesquels la qualité de l'information remise aux représentants du personnel est pauvre. Les
ressources allouées sont rares, en particulier pour la formation.
2. Dialogue orienté vers les ressources : là aussi la qualité de l'information remise aux représentants du personnel est pauvre mais
ils disposent de moyens conséquents, notamment en formation et recours à l'expertise.
3. Dialogue orienté vers l'information : les représentants du personnel disposent d'un bon niveau d'information et de temps pour les
exploiter mais n'ont que peu de ressources pour se former et faire appel aux experts externes.
4. Dialogue extensif : les représentants du personnel disposent à la fois d'un bon niveau d'informations et de ressources.
Parmi les 28 États-membres, il y a 6 pays dont les établissements sont sur-représentés dans la famille « Dialogue limité » : la
France, l'Irlande et 4 pays d'Europe du Sud : la Grèce, Malte, le Portugal et l'Espagne. À l'inverse, si l'on regarde les pays dont une
forte proportion des établissements figure dans la famille « Dialogue extensif », on trouve la Hongrie, l'Autriche et la Hollande, qui y
placent plus des deux tiers de leurs établissements, précédés des deux « champions européens du dialogue social », la
République tchèque et l'Allemagne (plus des trois quarts). Le modèle Rhénan, encore...Où se situe la France dans ce paysage ?
La part des établissements caractérisés par le mode « Dialogue social extensif » y est très faible, à tel point que les seuls pays
moins bien placés après elle, parmi les 28, sont Malte, le Portugal et la Roumanie...
L'image d'Epinal d'une France dont le dialogue social bénéficierait de beaucoup de ressources alors que les pays de l'Est seraient
tous à la traîne est ainsi sérieusement écornée. Cette situation cantonne les représentants du personnel en France dans un rôle
d'observateur. C'est ainsi que le troisième échelon du dialogue social, la codétermination, n'est que très peu pratiqué dans les
établissements à « Dialogue limité ». En revanche 58% des établissements qui pratiquent la codétermination et impliquent
fortement les représentants du personnel dans les décisions stratégiques font partie de la famille « Dialogue extensif », famille qui
compte très peu d'établissements en France.
Les représentants du personnel sont-ils correctement informés ?
Pour dépasser l'aspect théorique des droits plus ou moins formels attribués aux représentants du personnel dans la législation des
différents pays, Eurofound s'est intéressé aux faits, en demandant aux représentants du personnel en quoi ils sont effectivement et
concrètement impliqués dans le dialogue social. C'est ici qu'apparaissent les faiblesses du dialogue social à la française. Cette
analyse a été judicieusement restreinte aux établissements de plus de 50 salariés, ceux qui sont couverts par la directive
européenne de 2002 sur l'information - consultation (2002/14/CE). L'information et la consultation doivent porter au minimum sur la
situation financière et l'emploi dans l'entreprise, ainsi que sur les décisions susceptibles d'entraîner d'importants changements dans
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l'organisation du travail ou les contrats de travail. La proportion des établissements de l'UE dans lesquels la direction remet aux
représentants du personnel une information sur la santé financière et la situation sociale comme le prévoit la directive est élevée
(81%) mais reflète une grande variété d'application de cette directive : elle s'étage de 40% seulement au Portugal (les autres pays
en retard sont Chypre, la Lituanie, Malte, l'Estonie et l'Irlande) à 90% pour les mieux placés (pays Scandinaves, Allemagne,
Autriche). Avec 76%, la France n'est pas particulièrement bien placée et se situe en-dessous de la moyenne des 28. La fourniture
d'informations économiques, financières et sociales au CE y est pourtant obligatoire (ainsi que le financement d'une mission
d'expertise sur ces données) depuis les lois de 1946...
La situation française se dégrade encore lorsque l'on arrive sur « les choses sérieuses », la fourniture des informations dites
stratégiques, c'est-à-dire celles qui concernent les enjeux business, les nouveaux produits ou services, les changements dans les
process ou les structures, les plans stratégiques. Ici, la proportion des établissements dans lesquels la direction partage ces
informations avec les représentants du personnel tombe à 61% pour la moyenne des 28 et... à 47% seulement pour la France. La
position de la France est à ce point défavorable que seuls quatre pays sont moins bien positionnés : la Grèce, l'Espagne, Chypre,
le Portugal, tous situés en Europe du Sud. Par comparaison, l'Allemagne se situe à plus de 70% et la Grande-Bretagne, pourtant
réputée hostile aux obligations de dialogue social, à 68% (Voir Graphique ci-dessous, rapport Eurofound, p29).
L'accès à l'expertise est réputée être une spécificité française. Erreur ! À la question « avez-vous accès à un financement vous
permettant de faire appel à une expertise externe ? », 37% des représentants du personnel de l'UE ont répondu par l'affirmative.
Cette proportion est même un peu plus élevée que pour l'accès à la formation leur permettant d'exercer leur rôle (32%). La France
ne fait d'ailleurs pas partie des pays dans lesquels les représentants du personnel bénéficient le plus de l'accès à l'expertise
externe : 85% au moins d'entre eux y accèdent en Allemagne, à Chypre et en Hongrie. Cela dit, les modalités d'accès à cette
expertise restent très diverses en Europe.
La question des ressources : qu'est-ce qu'un dialogue social de qualité ?
Le lien entre la qualité du dialogue social et la performance économique de l'établissement a été testé. Cette dernière est
approchée par un ensemble d'informations (santé financière, productivité du travail, croissance de la production de biens ou
services sur la période 2010-2013). Les établissements dans lesquels l'information donnée aux élus du personnel est bonne
(fréquence et étendue des informations ; jugement positif des élus sur leur qualité) sont plus performants que les établissements
qui leur octroient beaucoup de moyens (heure de délégation, formation et accès aux expertises externes) mais leur livrent peu
d'information. Cette conclusion valide la stratégie de relations sociales qui mise davantage sur le partage régulier d'informations
avec les parties prenantes (approche de la RSE, responsabilité sociale des entreprises) plutôt que sur l'ampleur des moyens en
temps et en expertise. Elle me semble éclairer l'effort mis par les partenaires sociaux sur la base de données économiques et
sociales nées de l'ANI de janvier 2013 : le levier de la qualité de l'information est efficace en vue d'améliorer le dialogue social.
Une conclusion similaire se dégage du lien entre la qualité du dialogue social et le niveau de qualité de vie au travail (QVT) atteint
pas les établissements. Ce dernier est estimé par des questions adressées à la direction sur la fréquence des arrêts maladie, les
difficultés à fidéliser le personnel, le degré de motivation des salariés et l'évolution du climat social. « Les établissements dans
lesquels la direction dépense des sommes importantes pour fournir à leurs représentants du personnel des heures de délégation,
du temps de formation et pour financer des expertises externes dégagent un mauvais niveau de QVT si elles ne sont pas capables
de fournir un bon niveau d'informations, » nous dit l'étude d'Eurofound. La transparence apparaît ainsi comme un atout important
en matière de QVT, ce qui confirme les résultats issus d'autres enquêtes (par exemple, l'incertitude liée à l'avenir de l'entreprise et
à la pérennité de son emploi constitue un facteur majeur de risque psychosocial).
Les auteurs de l'étude d'Eurofound ont également étudié le lien entre la qualité du dialogue social et la fréquence de ce qu'ils
appellent les accords mutuellement gagnants (« win-win arrangements »). Ces accords sont identifiés par le repérage des
établissements qui ont réussi à dégager une bonne performance économique (pour l'entreprise) mais aussi une bonne QVT (pour
les salariés). Là encore, ces accords prévalent davantage dans les établissements qui misent sur l'information donnée aux
représentants du personnel plutôt que sur les moyens qui leurs sont octroyés. J'y vois une confirmation de l'importance de la
confiance, patiemment construite par une information de qualité régulièrement partagée. Les représentants du personnel ont
besoin d'une bonne visibilité pour s'engager dans une démarche de négociation.
Faut-il une DRH particulièrement sophistiquée pour parvenir à mettre en place un environnement favorisant ces accords
mutuellement gagnants ? Peut-être pas car Eurofound, dans une autre étude, a isolé les facteurs favorables : « les établissements
qui ont recours à la prise de décision conjointe entre les employés et la direction pour les tâches quotidiennes, possèdent une
organisation interne modérément structurée, investissent de manière limitée dans la gestion des ressources humaines mais usent
de pratiques de participation directe étendues, obtiennent les meilleurs scores, à la fois en termes de performances de
l'établissement et de bien-être sur le lieu de travail » (Eurofound,"Third European company survey (ECS) - Overview report:
Workplace practices - Patterns, performance and wellbeing", March 2015). On distingue dans cette configuration, un profil proche
de ce que préconise le « modèle » de l'« entreprise libérée ».
En revanche, un ingrédient essentiel d'un dialogue social de qualité est la confiance entre les acteurs. L'enquête ECS contribue
sur ce point à mettre à bas une idée reçue profondément ancrée en France : le manque de confiance qui bloquerait le dialogue.
Eurofound a créé un indice «Confiance dans la direction», qui repose sur l'évaluation de la fiabilité de la direction par les
représentants des employés, leur relation générale avec celle-ci, leur perception de sa sincérité et leur sentiment de recevoir un
moins bon traitement ou non en raison de leur position en tant que représentants des employés. Bien sûr, on pourrait espérer
mieux mais la France se situe en position moyenne sur cet indice. Les représentants du personnel en France ne considèrent pas
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leur direction avec davantage de défiance que dans les autres pays de l'UE. Un second indice, «Confiance dans la représentation
des employés», repose sur la vision symétrique, c'est-à-dire sur l'évaluation de la fiabilité des représentants des employés par la
direction, son avis sur le caractère constructif ou non de la participation de la représentation des employés et sur la question de
savoir si consulter la représentation des employés lors de changements majeurs favorise l'implication du personnel dans leur mise
en œuvre. Sur cet indice, la France est bien placée, au 6ème rang derrière l'Autriche et des pays scandinaves mais devant
l'Allemagne. Ce résultat met à mal l'idée selon laquelle les représentants du personnel en France ne seraient pas considérés
comme des interlocuteurs légitimes et fiables.
Le croisement de ces deux indices « montre clairement une association positive entre la confiance dans la direction et la confiance
dans la représentation des employés, ce qui implique que la confiance est généralement mutuelle. « Lorsque la confiance mutuelle
entre la direction et la représentation des employés est limitée, il existe davantage d'action syndicale. (...) Les analyses montrent
que les établissements où les pratiques de dialogue social sont caractérisées par des niveaux relativement élevés de confiance
mutuelle enregistrent de meilleurs résultats en termes de performances et de bien-être au travail. » (« Eurofound Foundation Focus
No 17 : Dialogue social: Pour une Europe compétitive, moderne et juste », Septembre 2015). S'appuyant elle aussi sur les résultats
de la troisième enquête européenne sur les entreprises (ECS), cette autre étude d'Eurofound conclut que « les entreprises où le
dialogue social fonctionne bien enregistrent de meilleurs niveaux de performance et de bien-être général au travail. Cependant, la
recherche indique également qu'il existe une minorité assez importante d'entreprises où le dialogue social est caractérisé par un
manque de ressources, une confiance limitée entre la direction et les représentants des employés et des niveaux relativement
élevés d'action syndicale » ( Eurofound Foundation Focus No 17 ).
Les Comités d'entreprise : droits formels ou droits réels ?
L'étude d'Eurofound croise les droits attribués aux CE par la législation des différents pays de l'UE et la qualité du dialogue social
effectif qui se déroule dans les établissements concernés. « Intuitivement, on s'attend à ce que les établissements situés dans les
pays dont les CE disposent des attributions les plus étendues jouissent du meilleur niveau de dialogue social » nous disent les
auteurs. Or, ce n'est absolument pas le cas. Les attributions formelles attribuées par la loi aux CE (très larges en France) ne
préjugent en rien du niveau de dialogue social observé par les acteurs sociaux au sein des établissements !
Au-delà des droits formels, la question essentielle est celle de l'influence sur les décisions. C'est ici que les différences majeurs se
font jour : « Dans un peu plus de la moitié des établissements, la représentation des employés est associée à la prise de décisions
conjointes sur des questions importantes. Toutefois, dans environ un tiers des établissements, elle n'est pas associée aux
décisions importantes, ou est seulement informée de celles-ci. De même, environ la moitié des représentants des employés (52 %)
disent avoir eu au moins une certaine influence sur les décisions les plus importantes prises par l'établissement au cours des
dernières années. Quelque 17 % disent avoir eu une forte influence, et 31 % n'avoir pas eu d'influence du tout » (« Eurofound
Foundation Focus No 17 »).
Le problème du dialogue social à la française réside dans son incapacité à peser sur les décisions. Ainsi, la proportion des
représentants du personnel qui estiment exercer une influence sur les changements structurels (restructurations, délocalisations ou
fusions) n'est que de 27% en France, largement inférieure à la moyenne européenne des 28 États-membres (37%). Elle est aussi
très inférieure au niveau atteint par nos voisins et principaux partenaires commerciaux : Pays-Bas (51%), Grande-Bretagne (47%),
Allemagne (45%) mais aussi Espagne (34%), Italie (34%), Belgique (32%). Cette incapacité à peser n'incite pas les salariés à
s'intéresser au dialogue social, achevant ainsi de boucler le cercle vicieux de l'isolement (pour d'autres chiffres et comparaisons
européennes, voir « Les CE et CHSCT : un véritable contre-pouvoir ? »).
Le dialogue social favorable à l'implication et à la santé des salariés ?
Ce rapport d'Eurofound a l'intérêt d'étudier les modalités d'implications indirectes des salariés (au travers du dialogue social) mais
aussi les modalités d'implications directes : participation à des réunions, envoi de newsletter, mise en place de boîtes à idées, etc.
Les deux modes de participation se renforcent mutuellement. Ainsi, un peu plus de 30% des établissements européens combinent
un haut niveau de dialogue social et une forte implication directe des salariés. C'est pourquoi l'opposition si souvent mise en avant
entre dialogue social et dialogue direct n'est pas pertinente. La récente proposition de passer par référendum auprès de l'ensemble
des salariés en cas de blocage du dialogue social doit d'ailleurs s'apprécier en tenant compte du fait que ce sont les organisations
syndicales qui pourront en être à l'initiative. C'est pourquoi également, l'idée que le dialogue direct serait une alternative à un
dialogue social plus difficile à mettre en œuvre me semble constituer une fausse piste. Elle est pourtant prégnante en France, aussi
bien chez les contempteurs des syndicats (voir « Oui, les syndicats sont utiles ! ») que dans la version plus moderne de
l'« entreprise libérée » (voir « L'entreprise libérée est-elle socialement responsable ? »).
Le défi français tient au fait que notre pays se caractérise à la fois par une piètre qualité du dialogue social (participation indirecte)
mais aussi du dialogue professionnel (participation directe des salariés). Ainsi, Eurofound montre que 3 pays parmi les 28 de l'UE
se caractérisent par « la pauvreté de la communication entre management et employés à propos de l'organisation du travail » :
l'Italie, le Portugal... et la France. De même, la France est mal placée, parmi les 28, pour sa capacité à mettre en œuvre les OTP
(organisations du travail participatives), qui permettent aux salariés de s'impliquer concrètement dans le contenu de leur travail et
son organisation (voir « Les organisations du travail participatives : les 5 piliers de la compétitivité »). A l'inverse, les pays dans
lesquels les établissements favorisent le plus la participation et l'implication des salariés sont les mêmes que ceux qui développent
une bonne qualité de dialogue social : les pays scandinaves et germaniques accompagnés des Pays-Bas.
Le niveau de qualité de vie au travail (QVT) atteint par les établissements est meilleur dans ceux qui développent un bon niveau de
dialogue social. Le sens de la causalité entre ces deux indicateurs n'est cependant pas une évidence. C'est bien un cercle vertueux
qu'il faut parvenir à enclencher. De même, un bon niveau de QVT est aussi associé à une pratique extensive de la participation
directe des salariés : « Une importante décision à prendre dans l'organisation du travail consiste à déterminer s'il y a lieu de
centraliser la prise de décision (afin de la confier exclusivement à la haute direction) ou de la décentraliser (afin que l'employé
exécutant la tâche puisse prendre des décisions). Une plus grande latitude dans la prise de décision au niveau des employés est
associée à leur plus grand bien-être ». Dans un article de la revue d'Eurofound (« Foundation Focus » No 15, June, 2014), Agnès
Parent-Thirion poussait plus loin l'analyse sur ce point : « L'implication dans la prise de décision est clairement associée à des
niveaux de bien-être plus élevés. (...) La participation aux décisions organisationnelles plus larges a un effet plus important sur le
bien-être des travailleurs que la capacité d'influencer les décisions concernant les tâches professionnelles, cet effet persistant
même dans des conditions de forte intensité de travail. Cela signifie que, dans une certaine mesure, des niveaux élevés
d'autonomie en matière de tâches et de participation organisationnelle peuvent compenser les effets négatifs de fortes exigences
au travail ».
Conclusion
Pour l'essentiel, ce rapport confirme les premiers résultats de l'enquête ECS livrés dès fin 2013 : « La situation socioéconomique et
la compétitivité apparaissent meilleures dans les pays qui disposent d'institutions de dialogue social et de relations industrielles
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bien établies » (« Troisième enquête européenne sur les entreprises : premiers résultats », Rapport Eurofound, décembre 2013). Il
montre également que le dialogue social constitue un levier de performance globale (pour l'entreprise et les salariés)
particulièrement efficace : « En général, les pratiques de dialogue social sont davantage associées aux différences en termes de
performances et de bien-être que les autres pratiques sur le lieu de travail, telles que les pratiques liées à l'organisation du travail
ou à la gestion des ressources humaines » (« Eurofound Foundation Focus No 17 »).
Il est donc temps que les responsables de la Commission et des États-membres reconnaissent le dialogue social comme un outil
de construction de la stratégie Europe 2020 de l'Union européenne, qui vise à remédier aux défaillances du modèle de croissance
européen et à créer les conditions d'une « croissance intelligente, durable et inclusive ». Car être « le président du dialogue social»
et « donner un nouvel élan au dialogue social » ne se décrète pas...
Pour aller plus loins :
Agnes Akkerman, Roderick Sluiter and Giedo Jansen, "Third European Company Survey - Direct and indirect employee
participation", Eurofound report, 14 December 2015
L'Europe sociale en miettes ?
par Jean-Louis Dayan - 15 Février 2016
Le social n'a jamais été ni le moteur ni l'horizon de la construction européenne : dès l'origine c'est la constitution d'un marché, d'abord
commun puis unique (et conçu comme l'instrument d'une paix durable), qui lui a donné son cap et sa consistance. « L'Europe sociale » est
venue en second, plutôt comme un bénéfice secondaire de la libre circulation des personnes, et en suivant des voies beaucoup plus souples
et pragmatiques que celles de l'intégration économique. Mais avec d'indéniables résultats : des années 1980 aux années 2000, les
élargissements successifs n'ont pas empêché les indicateurs sociaux des États-membres de converger. Cette Europe-là est aujourd'hui, elle
aussi, menacée. Comme le montre une récenteanalyse de France Stratégie, la crise de 2008 a brutalement renversé la tendance, et la
convergence s'est muée en divergence. Comment sauver l'Europe sociale ?
Avant la crise : la convergence sociale, bénéfice secondaire du marché unique et des élargissements
L'ambition de la présidence de Jacques Delors (1985-1995) était celle d'une Europe marchant « sur deux jambes » : l'intégration économique
et la convergence sociale. Il s'agissait de construire « en dur » le marché unique, avec ses quatre libertés de circulation (des biens, des
capitaux, des services et des personnes), tout en promouvant un modèle social commun assurant un haut niveau de régulation du marché du
travail et de protection sociale. Tandis que l'intégration économique, puis monétaire, avançait à coup de normes communes contraignantes assorties d'un appareil de régulation délégué au niveau communautaire - la convergence des modèles sociaux devait user, en vertu du principe
de subsidiarité qui prévaut en l'espèce, d'instruments moins directifs : la négociation entre syndicats et patronat européens, le cas échéant
transcrite en directives par la Commission, puis, au tournant du siècle, la « méthode ouverte de coordination ». Fondée sur le suivi d'une
batterie d'indicateurs définis en commun et l'évaluation des résultats nationaux, celle-ci s'est appliquée au tournant du siècle aux politiques du
marché du travail et de lutte contre l'exclusion. C'est elle en particulier qui a sous-tendu la promotion du modèle de « flexisécurité », censé
concilier dans l'UE à 16, puis à 27, performance économique et garanties sociales, dans un environnement mondial hautement concurrentiel.
Difficile de dire aujourd'hui quelle influence cette méthode - directement inspirée de la « soft law » anglo-saxonne - a exercé sur les politiques
sociales des États-membres. Il semble qu'elle ait eu surtout pour effet d'aider au rapprochement de leurs conceptions, objectifs et critères de
jugement, et ce faisant d'offrir un langage partagé à un ensemble formé d'espaces sociaux nationaux devenu, avec les élargissements au Sud
et surtout à l'Est, fortement hétérogène (cf. l'ouvrage de Jean-Claude Barbier, « La longue marche vers l'Europe sociale »). Le degré zéro de
l'harmonisation, en quelque sorte. Difficile aussi d'identifier en quoi la construction du marché unique puis, au sein de la future zone Euro, de
la monnaie unique, a contribué à la convergence sociale. Le souci de conjurer les risques de dumping social, en égalisant a minima les
conditions de la concurrence intra-communautaire, a certainement joué. Tout comme la mise au point d'un compromis politique, lui encore a
minima, en vue de réformer un État-Providence désormais perçu par une majorité de gouvernants, en raison de ses rigidités et de son coût,
comme un frein à la compétitivité et à l'emploi. Ceci sans compter l'effet redistributif des transferts financiers opérés par les fonds structurels
européens en matière d'emploi et de développement local.
Toujours est-il que convergence il y a eu : durant les dix années qui ont précédé la crise de 2008, les niveaux d'éducation, de revenu, d'emploi
et de chômage se sont rapprochés entre États-membres, en dépit des deux vagues d'élargissement qui ont vu entrer dans l'Union en 2004 puis
2007 des pays socialement moins avancés de l'Est ou du Sud.
Pendant la crise : la divergence sociale, produit des écarts de compétitivité
C'est la « Grande Récession » de 2008 qui est venue interrompre un mouvement de rattrapage qui paraissait bien engagé, à l'image de celui
qu'avaient connu les entrants de 1986 (Espagne et Portugal). Puis l'a dans un second temps inversé en creusant à nouveau les écarts. Car son
impact n'a pas été le même dans toute l'UE28, loin s'en faut. France Stratégie distingue à cet égard trois groupes d'États-membres. Ceux
d'Europe « du Nord » (Allemagne, Autriche, Belgique, France, Royaume-Uni, pays scandinaves, Pologne, République tchèque, Slovaquie...) ont
tiré mieux que les autres leur épingle du jeu, bien que dans des proportions variables (cf. par exemple les écarts France-Allemagne des années
2010) : les taux d'emploi et les salaires y ont mieux résisté (quand ils n'ont pas continué de progresser), le chômage et la pauvreté y ont moins
augmenté, la situation des jeunes s'y est moins dégradée. À l'inverse, la crise a frappé avec une violence particulière les pays du « Sud »
(Espagne, Portugal, Grèce, mais aussi Irlande et dans une moindre mesure Italie) : explosion du chômage, baisse drastique du revenu
disponible et des transferts sociaux (emploi, santé, logement, retraites, enfance), aggravation de la pauvreté. À tel point que la plupart des
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indicateurs sociaux y demeurent, aujourd'hui, inférieurs à leur niveau de 2004. Les pays restants, majoritairement ceux de l'Est, ont été moins
durement touchés : la crise y a stoppé le rattrapage engagé dans les années 2000, mais sans les faire décrocher par rapport à la moyenne
atteinte par l'UE28. Si bien que la crise a creusé les écarts (entre Nord et Sud) au sein de la zone Euro plus fortement qu'elle ne l'a fait dans
l'Europe entière, au point de précipiter la crise de la monnaie unique après 2010.
Autant d'évolutions qui ont dès ses débuts mis à mal la stratégie « Europe 2020 » adoptée par l'Union en 2010 : alors qu'elle fixait par exemple
pour objectif de réduire d'au moins 20 millions le nombre de personnes menacées de pauvreté ou d'exclusion, celui-ci a augmenté de 6
millions entre 2008 et 2013 (pour alors atteindre 122 millions de personnes), et la pauvreté laborieuse affecte désormais un actif occupé sur
10. La même dégradation s'observe pour les taux d'emploi, les inégalités de revenu, l'accès à l'enseignement supérieur ou aux soins, la
proportion de jeunes sans formation ni emploi. Mais ce sont chaque fois les pays du « Sud » européen (Irlande incluse) qui sont le plus
durement touchés, et ceux du « Nord » (France comprise) qui sont relativement épargnés.
Pourquoi l'impact de la récession sur l'économie et la société a-t-il été aussi inégal à travers l'Union ? Pour une bonne part, la réponse tient à la
diversité des régimes nationaux de croissance et de compétitivité. Le tissu productif dynamique et la spécialisation « haut de gamme » des
économies du Nord - particulièrement de l'Allemagne, de l'Autriche et des pays scandinaves, où les gains de productivité étaient les plus
rapides avant-crise - les ont mieux préservé de la chute de la demande mondiale, de même que les dispositifs publics ou conventionnels dont
leur histoire sociale les a dotés pour amortir le choc des restructurations et accompagner les transitions. Fondé à l'opposé sur le
développement de secteurs abrités et peu productifs (construction, services) et du fait des lourds retards de productivité et de compétitivité
qu'il a engendré, le modèle de croissance qui a nourri le rattrapage des économies du Sud dans les années 1990-2000 s'est avéré
particulièrement vulnérable dans la crise. Ce qui revient à dire que l'Union européenne a échoué à redistribuer les coûts sociaux de la crise
entre ses États-membres. Ce sont les plus mal dotés dans la concurrence mondiale qui ont payé le plus lourd tribut, faute de mécanismes
correcteurs suffisants, que ce soit en amont (stratégies d'innovation, d'investissement, de formation) comme en aval (stabilisateurs
automatiques, accompagnement des restructurations, transferts sociaux) de la crise.
Après 2010 : des divergences sociales exacerbées par l'ajustement budgétaire
Peut-on vraiment en imputer la faute à l'Union ? Après tout, il est logique que la construction d'un marché unique se préoccupe avant tout
d'égaliser les conditions de concurrence sur le marché des biens et services, laissant pour l'essentiel à la libre circulation des capitaux le soin
d'opérer les choix productifs. Là où cependant le bât blesse, et très sérieusement, c'est que les seuls mécanismes véritablement intégrés et
contraignants dont elle s'est dotée, ceux qui visent à contrôler l'inflation, le déficit et la dette publique, sont venus non pas corriger mais
fortement aggraver les écarts entre États-membres.
Comme le relève France Stratégie : « À partir de 2009-2010, les plans de consolidation budgétaire, adoptés dans le cadre du pacte de stabilité
et de croissance, ont contribué à creuser les écarts en matière de taux de croissance et d'activité ». Très vite, les plans de relance mis en œuvre
dans l'urgence pour faire face à la crise de liquidité et soutenir la demande ont été suivis de plans d'ajustement budgétaires d'autant plus
sévères que le déficit et l'endettement étaient plus lourds. À 80 %, cet ajustement s'est traduit en réductions de dépenses plutôt qu'en
augmentations d'impôts, et ce sont les États-membres dont l'économie s'est montrée la plus vulnérable au choc de la « Grande récession » qui
se sont vu infliger les coupes les plus lourdes ; ces dernières s'étant, en outre, concentrées sur les dépenses sociales. En effet, qu'il s'agisse de
l'éducation, de la famille, de l'emploi, de la santé ou de l'enfance, elles ont en moyenne diminué de plus de 5 % dans les pays du « Sud » tout
en poursuivant leur croissance au « Nord » et dans certains États-membres de l'Est (Pologne, République tchèque). À quoi se sont ajoutées les
purges particulièrement sévères imposées aux pays de la zone Euro mis sous surveillance budgétaire par la Commission européenne en raison
de déficits élevés (Espagne, Irlande, Portugal, Grèce...), y compris en matière salariale. Non seulement l'Europe sociale n'a pas limité les
divergences provoquées par la crise, mais l'Europe économique (plus exactement budgétaire et monétaire) les a aggravées, au détriment de
ses membres les plus en difficulté. Ou pour le dire comme France Stratégie, « la gouvernance économique renforcée accentue la pente d'une
intégration asymétrique ou « négative » du social (avec une dépense sociale envisagée plutôt sous l'angle du coût que comme facteur
productif) ».
Que faire ?
A l'évidence, un tel creusement des inégalités sociales à travers l'Europe menace au moins autant l'Union que la crise migratoire, l'éventualité
du « Brexit » ou les tentations nationalistes à l'Est. Mais alors, comment peut-elle s'en défendre ? France Stratégie avance dans une autre de
ses notes récentes plusieurs pistes dessinant les axes d'un « nouveau contrat social pour l'Europe » :
• compléter les institutions de l'Euro avec un « Eurogroupe social » chargé de veiller au rapprochement des situations en matière d'emploi, de
travail et de protection sociale ;
• confier aux partenaires sociaux européens la coordination des évolutions salariales dans l'Union ;
• faciliter la mobilité intra-européenne durable des travailleurs grâce à la portabilité de leurs droits sociaux (chômage, retraite) ;
• mieux réguler le marché du travail européen (salaires minima généralisés, contrôle renforcé des conditions d'emploi, notamment pour le
travail détaché).
L'organisme appelle aussi de ses vœux une stratégie « d'investissement social » visant à développer à l'échelle de l'Union la mise en valeur du
capital humain (formation initiale et continue), les politiques actives du marché du travail, l'aide à la petite enfance et aux jeunes, l'inclusion
des personnes handicapées et la conciliation entre vie familiale et professionnelle. Le tout selon une logique « remontante » plutôt que «
descendante », portée par un fonds d'investissement européen procédant par appel à projets. Une stratégie qui, couplée à un vaste effort en
faveur de l'innovation et de l'investissement productif, devrait aussi bien réduire les inégalités, la pauvreté et la segmentation du marché du
travail qu'accroître les gains de productivité. En bref, une réforme de l'État-providence qui ne se traduirait pas par le recul des garanties
sociales et le creusement des inégalités, mais offrirait à l'Europe des perspectives de croissance et de développement social en phase avec
l'économie mondiale du XXIème siècle.
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On peut évidemment discuter bien des aspects de ces préconisations. Faut-il impliquer l'ensemble de l'UE28, ou bien délimiter une zone de
convergence plus restreinte entre pays qui partagent la même contrainte monétaire (zone Euro) ou dont les modèles sociaux sont déjà les plus
proches (ex-UE16), pour y inscrire des « coopérations renforcées » ? Faut-il intervenir à titre correctif, par voie de transferts intra-européens
redistributifs, ou à titre préventif, en agissant en amont sur les déterminants de la croissance potentielle ? Peut-on construire un modèle social
compétitif sans réguler un tant soit peu la libre circulation des biens, des services et des capitaux, aussi bien à l'intérieur de l'Union qu'avec le
reste du monde ? Et qu'est-ce qu'un marché du travail performant dans l'Europe d'aujourd'hui ? Si l'on résume, c'est pour France Stratégie
celui qui mobilise pleinement la main d'œuvre disponible tout en développant le capital humain dont elle est porteuse. C'est un peu court pour
être assuré de même coup de se débarrasser de la segmentation du marché du travail, de la mauvaise qualité des emplois et de la pauvreté
laborieuse. Au moins, ces analyses ont-elles le mérite de dresser un constat sans complaisance de « l'état de l'Union » en la matière et de
tracer des perspectives cohérentes pour empêcher son délitement de se poursuivre.
Quand les élus se prennent pour des patrons
MARIE-HÉLÈNE THORAVAL / MAIRE (LR) DE ROMANS-SUR-ISÈRE | LE 03/12/2015 À 15:25
Pour Marie-Hélène Thoraval, maire Les Républicains de Romans-sur-Isère (Drôme), la baisse des dotations de l'Etat doit pousser
les élus à gérer leurs collectivités comme des entreprises.
Et si les élus devenaient des patrons comme les autres ? Autrefois connues pour leurs largesses en matière de recrutement, de
subventionnement et d’investissement, les collectivités territoriales et ceux qui les dirigent font désormais face à des enjeux de
transformation inédits.
Pris en tenaille entre la baisse inévitable des recettes et des dotations de l’Etat d’une part, et l’accroissement légitime des attentes
des usagers d’autre part, nous devons répondre à cette injonction paradoxale connue depuis longtemps des dirigeants
d’entreprises : « Faire mieux avec moins ». Confrontés à la réalité de l’économie de crise, certains élus dont je fais partie refusent
de s’abandonner à la complainte ou à l’inaction et font le choix de s’inspirer du monde entrepreneurial.
Agir autrement
Être un élu entrepreneur, c’est d’abord se redonner les moyens d’agir. Management en mode projet, rationalisation des
organisations, création d’une direction des « marges de manœuvre budgétaire », stratégies d’attractivité ou de mécénat culturel à
fort impact de notoriété sont autant d’actions représentatives de cette gestion 2.0 que nous mettons en œuvre pour développer nos
territoires.
Pour pallier le tarissement des ressources traditionnelles de financement, nous créons de nouveaux ponts qui donnent accès à de
nouveaux moyens de concrétiser nos projets. Chaque investissement est ainsi pensé selon le principe de « l’effet de levier » afin
d’associer les acteurs privés à l’ambition de nos territoires.
Tenir ses objectifs
Être un élu entrepreneur, c’est ensuite se fixer des objectifs de résultats et les tenir. Dans ma ville comme dans un nombre
croissant de collectivités, nous mettons l'accent sur la satisfaction de l’usager. Une politique ou un service publics n’ont de sens
que s’ils prennent appui sur l’écoute du citoyen et de ses besoins et sur une mesure objective de son approbation.
Cette démarche commence à porter ses fruits : nos indicateurs montrent comment nous parvenons à répondre aux attentes fortes
des administrés en matière de sécurité, propreté, animation, et nous aident à orienter l’action publique. Ces résultats, nous les
obtenons tout en réduisant nos dépenses publiques, en diminuant notre masse salariale, en stabilisant les taux d’imposition et en
renforçant nos investissements.
Souplesse et flexibilité
Si l’exécutif souhaite que nous améliorions nos résultats, il lui appartient de créer les conditions pour nous permettre de nous
adapter. Premièrement, il doit assouplir profondément le statut de la fonction publique territorial rapprocher les régimes publics du
privé en matière de salaires, retraites et d‘assurance santé.
Deuxièmement, il aurait tout intérêt à reconnaître les efforts des collectivités qui font preuve de courage à travers la mise en place
d’un fonds de dotation national incitatif pour soutenir les communes qui investissent malgré le contexte économique.
Troisièmement, il convient d’introduire dans la loi un véritable « statut de l’élu » permettant à tous, quelle que soit son activité
professionnelle un retour effectif à la vie civile lors d’une non-réélection. Quelques grandes entreprises ont d’ailleurs bien compris
l’intérêt de réserver des conditions plus favorables à leurs équipes investies dans la vie publique afin de pour faire émerger une
génération d’élus-entrepreneurs responsables et libres dans leur action publique.
Alors que les Français fustigent l’impuissance publique à longueur de baromètres, ces mesures simples sont de nature à stimuler
l’efficacité des collectivités et le courage de ceux qui les dirigent, pour leur redonner les moyens d’avoir un impact concret sur la vie
des citoyens. Au Gouvernement d’entreprendre !
Par Marie-Hélène Thoraval, maire Les Républicains de Romans-sur-Isère (Drôme)
En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-145289-quand-les-elus-se-prennent-pour-des-chefsdentreprise-1181265.php?BLdGmVtOmXGEogtb.99
Le droit du travail tue-t-il réellement le droit au travail ?
Selon le témoignage de personnes bien informées, il semblerait que le code du travail français (qu’elles jugent trop complexe et absolument
illisible) soit une entrave au développement économique et la cause d’un chômage durablement élevé.
Ce, malgré l’absence de recherches sérieuses démontrant l’existence d’un lien probant entre le renforcement d’une législation sociale et la
stagnation voire la régression économique d’un pays, et bien qu’une étude récente [1] du FMI souligne l’absence d’effets significatifs de la
règlementation du marché du travail sur la productivité des entreprises,
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En résumé, pour elles, le droit du travail tue le droit au travail.
Poser le problème en ces termes relève évidemment de la malhonnêteté intellectuelle.
Orienter ainsi le raisonnement, c’est l’enfermer dans un cadre autoréférencé et destructeur dont l’issue ne peut mener qu’à une profonde
dérégulation sociale et par là même empêcher toute exploration d’hypothèses nouvelles porteuses d’orientations économiques socialement
compatibles et écologiquement acceptables.
La question n’est pas de savoir si le droit du travail tue le droit au travail mais de s’interroger sur ce qui tue réellement le droit au travail ?
Qu’est-ce qui tue le droit au travail ?
Le travail ne s’inscrit pas uniquement dans une relation sociale. Il est consubstantiel d’une relation économique. Au même titre que le capital,
il est un facteur essentiel de la création de richesse d’une entreprise.
Le développement de l’entreprise et le maintien a minima de son volume d’emploi tiennent en sa capacité à créer de la richesse et à l’usage
qu’il est fait de cette richesse.
Or, c’est là que le bât blesse.
Celle-ci ne retourne pas forcément de manière opportune, à défaut d’être équitable, à ses contributeurs principaux, à savoir l’entreprise, le
travail et le capital.
L’entreprise (à travers ses investissements productifs) et l’emploi restent les parents pauvres de cette répartition.
Ainsi, d’après l’INSEE, l’excédent brut d’exploitation (EBE [2]) des entreprises progresse de quelque 9% de 2010 à 2015, alors que l’emploi
salarié [3] subit, depuis plusieurs années, une baisse constante et que l’investissement (notamment dans les secteurs industriels) stagne [4].
Il en est tout autrement de la rémunération des actionnaires.
Ce qui tue davantage le travail c’est la dissimulation de la richesse créée
En 2014, la part des dividendes nets versés au regard de l’EBE s’élevait à 7,4 % et progressait de 10 % par rapport à celle de 2013 [5].
Cette même année, les dividendes attribués par les entreprises du CAC 40 augmentaient de 5,5 % par rapport à 2013. En 2015, ils s’élevaient à
près de 40 milliards d’euros [6].
Cette somme qui, toute chose égale par ailleurs, représente l’équivalent de quelque 50 000 emplois financés au SMIC chargé [7] pendant 41
années est transférée pour moitié à l’étranger (selon la lettre spécialisée Vernimmen.net), ne servant ainsi aucunement l’investissement
productif des entreprises françaises.
Toutefois, plus que l’accaparement par l'un des contributeurs de la plus grande partie de la richesse créée par l’ensemble des composantes de
l’entreprise, ce qui tue davantage le travail c’est la dissimulation de la richesse créée.
Celle-ci revêt plusieurs formes.
La première, la plus importante, relève de l’évasion et de la fraude fiscale et sociale. En 2011, l’évasion et la fraude fiscale représentaient une
perte de recettes fiscales estimée à quelque 6,7 % du PIB. La fraude à la sécurité sociale près de 480 millions d’euros, fraude due
essentiellement au travail dissimulé.
La seconde concerne l’optimisation fiscale et sociale, pratique consistant à identifier les pays où les lois fiscales et sociales sont les moins
contraignantes pour l’entreprise afin d’y déclarer richesses et emplois ainsi créés, privant de ce fait le pays de ressources distributives non
négligeables.
C’est pourquoi revoir le code du travail ne peut se faire indépendamment d’une révision en profondeur du code général des impôts et du
code du commerce.
S’exonérer de cette démarche conduirait non à un développement économique des entreprises et à une diminution concomitante du chômage
(loin s’en faut [8]) mais plus vraisemblablement à une augmentation de la rétribution des actionnaires et une amplification de l’optimisation
fiscale et sociale. Ce, sans pour autant contribuer à une éradication du travail dissimulé.
Pour autant, le code du travail est-il vraiment obèse et faut-il l’alléger ?
Le code du travail est-il réellement obèse ?
Dans un récent article [9] Thomas Breda souligne que le code du travail [10] (version Dalloz) expurgé de ses nombreuses annotations,
commentaires et autres articles détaillant les droits locaux du travail (St- Barthélémy, St-Martin, Wallis-et-Futuna, Mayotte, Terre Australes et
Antarctique Françaises…) diminuerait des deux tiers, pour ne « peser » que quelque 1 200 pages, dont moins d’un quart consacré aux relations
individuelles du travail et moins d’un cinquième aux relations collectives. Un code du travail pouvant, somme toute, résister à la comparaison
européenne, voire helvète.
Mais au-delà de ces considérations quantitatives, Rachel Saada [11] rappelle que, lors de la recodification du code du travail en 2008, une
injonction présidentielle avait sommé les membres du groupe de travail d’appliquer le principe selon lequel chaque article, pour être
compréhensible, ne doit comporter qu’une seule disposition. Ce parti pris a mécaniquement augmenté le nombre d’articles, d’autant, comme
le soulignent Daniel Marchand et Michel Miné [12], que l’augmentation des articles s’est vue conforter par un lobbying patronal soucieux
d’obtenir des dérogations, voire des aménagements de la norme au regard des spécificités de leurs secteurs professionnels. Des organisations
patronales bipolaires, en quelque sorte, exigeant des normes dérogatoires tout en réclamant un allègement desdites normes.
Cependant, il serait irresponsable de s’arc-bouter sur un code du travail intouchable.
Le travail d’aujourd’hui ne ressemble plus guère au travail des Trente Glorieuses. L’usage croissant des nouvelles technologies de l’information
et de la communication, les nouvelles formes d’organisation du travail autorisant l’irruption de nouveaux acteurs [13] dans la « chaîne de
commandement », l’injonction contradictoire faite aux salariés d’être autonomes, voire acteurs (ou mieux : auteurs) de leur parcours
professionnel tout en resserrant leur lien de subordination, sont autant de raisons nécessitant de repenser le code du travail.
Dans ces conditions, la norme conventionnelle peut-elle devenir la colonne vertébrale de ce nouveau code ?
Face la complexification des relations de travail, il est tentant de croire que les partenaires sociaux restent les mieux placés pour construire les
règles qui les gouvernent. C’est d’ailleurs une volonté affichée par les pouvoirs publics.
Les derniers rapports portant sur la négociation collective (notamment celui de Jean-Denis Combrexelle) ainsi que le projet de loi actuel sur le
code du travail préemptent la capacité des partenaires sociaux à s’investir davantage dans la construction d’accords collectifs.
o
Or, un regard rapide sur le bilan de la négociation collective en 2014 [14] révèle une baisse plus ou moins marquée du niveau de
négociation. Le nombre d’accords de branches signé en 2013 et 2014 chute de près de 27 % par rapport à ceux de la période 2009–2012 ; celui
d’entreprise de 9 % par rapport à 2013 pour s’élever à 36 500 accords signés en 2014.
Rapportés au nombre d’entreprises susceptibles de signer des accords (environ 350 000), cela montre un réel manque d’appétence des
acteurs pour la négociation.
Dès lors, on comprend mieux pourquoi le gouvernement souhaite mettre en place un code du travail à trois « étages » : des principes auxquels
nul ne pourra déroger (ordre public social absolu), les accords collectifs (ordre public social conventionnel) et un droit supplétif s’appliquant en
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l’absence d’accords de branche ou d’entreprise.
On peut s’interroger sur le degré de simplification qu’entraînerait sur le code du travail une telle architecture [15].
Mais qu’en est-il de la capacité des accords collectifs à être force de loi ?
À vrai dire, il n’existe aucune étude d’ensemble permettant d’observer le fonctionnement des observatoires paritaires de la négociation
collective dans les branches et d’apprécier ainsi l’application des normes conventionnelles par les entreprises. Toutes les branches n’ont pas
déployé ce dispositif, pourtant prévu par les textes (cf L 2230-10) se privant ainsi d’un retour qualitatif, de la part des entreprises, sur les
normes qu’elles produisent et à celles auxquelles elles sont soumises.
Or, pour qu’un accord collectif soit force de loi, c’est-à-dire que pour la norme qu’il véhicule soit impérative, il importe que celui-ci soit connu
de toutes les entreprises et de tous les salariés constituant le périmètre de l’accord, qu’il soit applicable [16] et surtout qu’il soit appliqué.
Concernant ce dernier point, cela suppose une réelle capacité des branches à mettre en place des mécanismes sanctionnant les salariés et les
entreprises en cas de non-respect ou non-application de la norme conventionnelle. Au regard de leurs rapports actuels, on peut douter que les
partenaires sociaux souhaitent réellement s’inscrire dans une telle perspective.
Mais plus que ces observations techniques, pour que les accords collectifs puissent être un jour considérés comme des piliers structurants du
droit du travail, deux conditions restent incontournables ; une réelle reconnaissance par les organisations patronales des organisations
syndicales de salariés comme interlocuteurs privilégiés et l’intégration par les organisations syndicales de salariés que l’unité de l’action
syndicale peut se faire dans le cadre d’une pluralité d’obédience.
Si l’atomisation des « sensibilités » syndicales restent un handicap pour la défense des droits de la population active, l’absence de processus
permanent de concertation préalable à toute négociation rend inaudible et illisible les revendications sociales actuelles.
En conclusion, plus que des aménagements techniques et juridiques, la refonte du droit du travail nécessite d’abord une refondation des
rapports sociaux.
Le code du travail est un élément indispensable à la cohésion de la Nation. Il concourt à sa stabilité et à son épanouissement.
Aussi, si sa refondation doit permettre de sortir de l’opposition entre employeurs et salariés, elle ne doit pas pour autant s’inscrire, comme
d’aucuns l’encouragent, dans une opposition [17] entre travailleurs et chômeurs, entre travailleurs permanents et travailleurs précaires, ni
dans une opposition entre salariés pauvres et autoentrepreneurs.
Elle doit s’inscrire dans le cadre de la Constitution sans pour autant qu’il soit nécessaire de rappeler, par de nouveaux articles de principe, ce
qui y figure déjà dans son préambule [18].
[1] FMI : « Perspective de l’économie mondiale 2015, page 110 ».
[2] EBE : richesse créée par l’entreprise avant toute politique d’investissement et toute politique de financement de ces investissements.
[3] Selon l’INSEE, au troisième trimestre 2015, l'emploi continuait de reculer dans l'industrie (–14 600, soit –0,5 %). Il baisait de nouveau dans
la construction, sur un rythme similaire à celui du trimestre précédent (–10 200 emplois, soit –0,8 %). Sur un an, 41 400 emplois ont été
supprimés dans l'industrie (soit –1,3 %), et 45 200 dans la construction (soit –3,3 %).
[4] Source INSEE : -5 % en 2013, +3 % en 2014, +1 % en 2015. La plus grande partie des investissements réalisés durant ces périodes concernait
principalement, toujours d’après l’INSEE, l'entretien voire le renouvellement d’un outil de production vieillissant.
[5] Durant la même période, les salaires n’augmentaient que de 1,4 % (+ 1,32 % en 2015).
[6] Depuis 2006, les dividendes versés par les entreprises du CAC 40 oscillent entre 44 et 37 milliards d’euros.
[7] SMIC au 1er janvier 2016 + cotisations patronales – CICE (1 457,52 € + 195 € – 88 €).
[8] Les efforts de simplification du droit de licenciement (de la suppression de l’autorisation administrative en 1985 à la mise en place de la
rupture conventionnelle en 2008) n’ont pas été compensées par les embauches promises.
[9] La réforme du code du travail, janvier 2016, La vie des idées.
[10] 3 368 pages édition 2014.
[11] « Deux siècles de luttes : le code du travail, garant de l’emploi » ; Le Monde Diplomatique, janvier 2016.
[12] Daniel Marchand et Michel Miné, Le droit du travail en pratique, Eyrolles, Paris, 2014.
[13] Par exemple : les clients ou les actionnaires.
[14] Cf le bilan 2104 établi par la Direction générale du travail.
[15] Finalement, pourquoi se compliquer à tout simplifier alors qu’il est si simple de tout compliquer ?
[16] La difficulté se pose essentiellement sur des accords portant sur des thèmes plus ou moins complexes (égalité hommes/femmes, lutte
contre les discriminations…) et qui ne peuvent imposer un résultat uniforme mais cadrer les moyens et la méthode pour favoriser l’atteinte
dudit résultat.
[17] Pascal Lokiec, Il faut sauver le droit du travail, Odile Jacob, Paris 2015.
[18] Cf le préambule de la constitution de 1946, intégré dans celui de la constitution de 1958.
Peut-on doper la formation sans réinterroger la réforme ratée de 2014 ? 1ère partie
FÉVR152016
Thème: %1
Le 11 février dernier, la formation a retrouvé un secrétariat d'État en la personne de Clothilde Valter. Après trois années passées
en improvisations réformatrices, il faudra beaucoup de clairvoyance et de courage pour « doper le compte personnel de formation
(CPF) et former un million de personnes à la recherche d'un emploi dans les 12 mois » (déclaration de Myriam El Khomery le 12
février 2016).
Le compte personnel de formation : un indéniable échec
Le compte personnel de formation a été présenté comme le pilier de la réforme de la formation (réforme qui en comptait trois : le
CPF donc, les entretiens professionnels et l'abandon de la cotisation obligatoire de 0,9 %).
Au-delà des fausses évidences, des facilités de communication et de la méthode Coué, le CPF est devenu en quelques mois un
monstrueux système d'informations incontrôlé, un ersatz de droit à la formation dont le défaut premier est de dissuader les salariés
d'apprendre ou de se former.
Le CPF promettait la simplicité et des financements, il a débouché sur une énième usine à gaz.
Dans les textes successifs des accords interprofessionnels (de 2013) puis dans la loi de 2014 le CPF (un réceptacle de
formation) avait deux objectifs très cadrés :
o
comptabiliser les heures de formation cumulées par les salariés au cours de leur vie professionnelle (en omettant au
passage les indépendants et les fonctionnaires) ;
o
énumérer des formations utiles et accessibles aux salariés et aux chômeurs.
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Mais au fil du temps et des improvisations politiques et sociales, le CPF est devenu un ubuesque système d'informations.
Pour se former, un salarié (même sur des formations courtes de 20 heures en anglais, par exemple) doit désormais passer par
un parcours semé de pièges et d'obstacles :
1) créer manuellement son compte formation sur le site de la Caisse des Dépôts (alors que la loi prétendait qu'il serait créé
automatiquement pour chaque actif) ;
2) disposer d'une adresse électronique et d'une capacité de se connecter à cette adresse pour valider son inscription ;
3) renseigner manuellement des informations (inutiles) comme le code NAF de son employeur (code NAF qui n'a rien à voir ni avec
la qualification de la personne ni avec son emploi) ou sa région de résidence (alors que le site recense des formations sans rapport
avec elle mais simplement parce que son pseudo-cahier des charges le prévoyait).
Ensuite, trois mois au moins avant la date de démarrage de la formation, l'intrépide candidat au stage de formation doit encore :
4) trouver son propre organisme de formation (certifié qualité de préférence) proche de chez lui, avec des prix compatibles avec la
prise en charge de l'OPCA de son employeur ;
5) compter soit sur la patience, la disponibilité et la bienveillance de son employeur pour remplir les dossiers de formation (une
trentaine d'informations sur le site puis autant d'informations sur une demande papier de prise en charge pour l'OPCA) ;
6) ou bien solliciter un improbable conseiller en évolution professionnelle (CEP), pauvre hère (formé lui-même en 3 jours) qui doit
tout à la fois conseiller le salarié (sans connaître son entreprise), tout connaître du marché mouvant de la formation, l'étendue de
17 000 certifications accessibles et piloter la demande sur le site (instable et mal conçu) de la Caisse des Dépôts ;
7) contacter ensuite l'OPCA de l'employeur (si entre-temps le salarié n'a pas changé d'employeur ou de statut) afin de :
o
vérifier que la formation est éligible au CPF (et il y a une liste de 17 000 formations éligibles, véritable catalogue à la
Prévert, l'entraîneur de boxe savate en 320 heures ou la formation de berger-vacher d'alpages en 800 heures) ;
o
contrôler que l'organisme de formation est habilité à former sur ce domaine (habilitation sur la qualité, l'existence de
l'organisme de formation, la possibilité d'intégrer individuellement un stage programmé mais qui aura sans doute 50 % de chance
de ne pas se dérouler faute de stagiaires) ;
o
prendre connaissance des financements (à géométrie variable) pour son projet de formation ;
8) s'engager avec ses propres fonds à :
o
payer la différence entre la prise en charge par l'OPCA et le vrai prix final de sa formation ;
o
avancer les frais annexes (restauration, hébergement, transports, garde d'enfants...) ;
o
payer les pénalités pour d'éventuelles absences durant le stage (ni l'employeur ni l'OPCA paieront évidemment) ;
9) contractualiser avec l'organisme de formation pressenti en signant afin de :
o
suivre l'intégralité de la formation (parfois sur plusieurs années) ;
o
et payer des pénalités en cas d'abandon ou d'absences (en y ajoutant 20 % de TVA) ;
10) attendre la réponse de l'OPCA entre 60 et 90 jours après avoir envoyé une demande complète;
11) contacter l'organisme de formation une fois la prise en charge acceptée (si elle l'est jamais et si les dossiers sont complets et
traités à temps) ;
12) démarrer et réaliser sa formation sur son temps libre (sauf si le généreux employeur prend en charge le CPF comme nous
l'avons vu) les week-ends, durant les congés ou le soir (si jamais un organisme, survivant après la réforme, parvient à l'organiser
sur ces horaires atypiques en formation) ;
13) aller au bout de cette formation de 150 heures (en moyenne, soit 15 à 20 journées) en espérant que l'organisme en question
l'accompagnera individuellement et modularisera la formation si besoin était (en fac, une formation pourra s'étaler sur plusieurs
années avant l'obtention du diplôme visé) ;
14) se présenter à la certification finale (un mini-diplôme dont beaucoup d'employeurs n'auront que faire) sous peine de voir la
formation non payée par l'OPCA (et dans ce cas, devoir régler personnellement une note de plusieurs milliers d'euros).
Le chemin prescrit sera donc long, périlleux et on peut penser que beaucoup de travailleurs non-qualifiés n'iront pas au-delà de la
simple consultation de leur nombre d'heures.
Le CPF déresponsabilise le monde du travail tout en stoppant net l'effort formation de la plupart des entreprises.
En dessaisissant l'employeur, en multipliant les obstacles, en singeant l'école, le CPF a transformé les actions de formation en un
processus à l'issue aléatoire, bien trop complexe et mal financé pour qu'un réel déploiement soit envisageable à terme.
Mais la réforme est allée encore bien au-delà de la liquidation du DIF en démantelant les services de formation de nombreuses
entreprises.
Pour se former en dehors de ce maudit CPF, l'épreuve n'en est pas moins risquée et difficile du fait de la dislocation des plans de
formation de bien des entreprises (les plus fragiles évidemment, celles qui emploient majoritairement des travailleurs non ou peu
qualifiés).
Si Myriam El Khomeri et Clothilde Valter souhaitent donc « doper » le CPF et multiplier les formations en France, nous aurions
quelques suggestions à leur soumettre.
82 économistes lancent un appel pour sortir de l’impasse économique
LES ÉCONOMISTES ATTERRÉS
11/02/2016
Il est possible de réenchanter l’avenir, y compris en matière économique. Tel est le sens de cet appel. La gravité de la situation l’exige : nous
tenons aujourd’hui à souligner ensemble en tant qu’économistes – par-delà nos sensibilités très diverses – que des alternatives crédibles
existent pour sortir de l’impasse.
Le chômage, la précarité, la difficulté à boucler ses fins de mois marquent la vie de millions de nos concitoyens. Aux souffrances de la vie
matérielle s’ajoutent la perte d’espérance, le sentiment que l’avenir est bouché pour notre pays et nos enfants. Les élections régionales ont,
après bien d’autres, sonné l’alarme. Les causes de la désespérance sociale ne sont pas qu’économiques, mais nul espoir ne renaîtra si la donne
ne change pas en la matière.
Les partisans du libéralisme économique plaident pour réduire encore la dépense publique et démanteler le droit du travail
Que faire ? Les partisans du libéralisme économique plaident pour réduire plus drastiquement encore la dépense publique, démanteler le droit
du travail, remettre en cause la pourtant si indispensable réduction du temps de travail et diminuer le coût du travail par la compression des
salaires et des prestations sociales. Cette thérapie de choc a été appliquée en Europe du Sud (Grèce, Portugal, Espagne…). Elle y a entraîné un
effondrement de l’activité, une explosion du chômage et de la pauvreté. La dette publique elle-même s’est fortement accrue, la réduction du
PIB entraînant spontanément une contraction des recettes et une hausse du rapport dette sur PIB. Les pays européens sont ainsi engagés dans
une course mortifère à la compétitivité par l’austérité dont l’objectif se résume à prendre des parts de marché et des emplois aux pays voisins.
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Il est temps d’abandonner cette politique qui conduit à l’enlisement sans fin dans la crise. Pour répondre à l’urgence économique et sociale,
redonner espoir aux classes populaires, nous proposons à nos concitoyens, aux mouvements associatifs, syndicaux et politiques, d’ouvrir un
débat sur la mise en œuvre d’un plan de sortie de crise autour de trois volets.
Nouveau pacte
Un nouveau pacte productif à la fois écologique et social. Les besoins ne manquent pas : investissements pour réduire les émissions de gaz à
effet de serre (rénovation thermique des bâtiments, transports collectifs, énergies renouvelables…), construction de logements, programmes
urbains afin de mettre fin aux ghettos, de refaire mixité et égalité, nouveau pacte social en faveur de l’éducation, de l’hôpital, de la culture, de
la sécurité et de la justice, aide aux personnes en perte d’autonomie et accueil de la petite enfance. Non délocalisables, ces activités
permettraient de créer des centaines de milliers d’emplois. Autour d’elles, il est possible de retrouver le chemin d’un nouveau type de pleinemploi avec des emplois de qualité, sans discrimination selon le sexe ou l’origine.
La reconstruction sur de nouvelles bases de notre économie suppose de sortir de la logique du mépris généralisé
La reconstruction sur de nouvelles bases de notre économie suppose de sortir de la logique du mépris généralisé. Des chômeurs soupçonnés
d’être responsables de leur situation, alors que c’est l’organisation défaillante de l’économie qui est fautive. Des pauvres suspectés d’être un
fardeau social, alors que la société ne leur alloue que de faibles ressources. Des fonctionnaires accusés de n’être pas productifs, alors qu’ils
contribuent au PIB et que leur production, les services publics, permet de réduire massivement les inégalités. Des travailleurs du privé accusés
d’être des nantis indûment protégés par le droit du travail, alors que les conditions de travail sont de plus en plus difficiles.
Mobilisation générale
Cette reconstruction exige la mobilisation de l’ensemble de la société. Les services publics qui demandent à être pleinement réhabilités afin
que les fonctionnaires assument mieux leurs missions d’intérêt général, de façon moins bureaucratique, en associant les usagers. L’économie
sociale et solidaire, indispensable pour le développement de biens communs, pour que l’économie collaborative et du partage qui se
développe ne soit pas synonyme d’ubérisation, de précarité aggravée. Les entreprises elles-mêmes où les collectifs de travail, avec des salariés
d’autant plus impliqués qu’ils sont respectés et reconnus, doivent être reconstruits contre les logiques financières et spéculatives qui dominent
aujourd’hui la plupart des grands groupes et écrasent les sous-traitants. Les cadres dirigeants, les chefs d’entreprise eux-mêmes, souvent
étranglés par les exigences des banques et des actionnaires, doivent se dissocier de la stratégie agressive du Medef pour s’inscrire pleinement
dans la transition écologique et sociale.
Un programme de soutien à l’activité et à l’emploi. Les enquêtes auprès des entreprises le montrent, ce sont avant tout les carnets de
commandes dégarnis qui bloquent l’activité, l’emploi et l’investissement. Les besoins ne manquent pourtant pas, nous venons de le voir. Afin
de les satisfaire nous proposons un programme de soutien de 40 milliards par an, financé pour une part par le redéploiement de sommes
consacrées au pacte de responsabilité, dont l’échec en matière d’emploi et d’investissement est patent, pour une autre part par un recours à
l’endettement, à l’instar de ce que n’ont pas hésité à faire les Etats-Unis.
Il est temps de remettre en cause les règles néolibérales qui font que l’Union européenne est devenue le grand malade de l’économie
mondiale
Les règles européennes ne permettent pas ces politiques de relance ? C’est le dernier volet : il est temps de remettre en cause ces règles
néolibérales qui font que l’Union européenne est devenue le grand malade de l’économie mondiale. L’excédent commercial de la zone euro
s’élève à 3 % de son PIB, ce qui témoigne d’une demande interne clairement insuffisante. Cela justifie une hausse des salaires et des
prestations sociales, en particulier de l’ordre de 10 % pour les bas revenus. Cette hausse devrait être plus importante dans les pays qui
accumulent des excédents commerciaux excessifs (8 % du PIB en Allemagne, deux fois plus qu’en Chine).
L’introduction de l’euro, dans des économies hétérogènes et sans mécanismes correcteurs, a conduit à des déséquilibres majeurs. L’euro
est de facto sous-évalué pour l’Allemagne, surévalué pour les pays d’Europe du Sud, dont la France. Les règles néolibérales actuelles
demandent à ces derniers de regagner en compétitivité par la déflation interne (baisse des salaires et des dépenses publiques), ce qui alimente
leur récession, et partant limite leurs investissements et donc leurs possibilités de redressement.
C’est l’inverse qu’il convient à présent de promouvoir : la hausse des dépenses dans les pays excédentaires permettrait de réduire par le haut
les déséquilibres commerciaux et de juguler les pressions déflationnistes que la BCE ne peut contrecarrer seule. Au-delà du plan Juncker, qui
n’est quasiment pas financé, un véritable plan d’investissement européen, centré sur la transition écologique et déployé de façon plus ample
dans les pays en difficulté, doit enfin voir le jour.
Urgence économique et sociale
La France doit proposer cette réorientation à ses partenaires européens et notamment à l’Allemagne (laquelle vient déjà d’engager plus de
10 milliards afin d’accueillir les réfugiés). En cas de blocage, elle devra proposer aux pays qui le souhaitent (le Portugal, la Grèce mais aussi
d’autres, dont l’Italie et l’Espagne, ces quatre pays représentant avec la France plus de 50 % du PIB de la zone euro) de s’inscrire dans un pacte
de reconstruction faisant primer l’urgence économique et sociale sur les règles néolibérales.
Accompagnée de mesures visant à réorganiser drastiquement les banques, à rompre avec la finance libéralisée et le dumping fiscal et social, y
compris au sein même de l’Union, cette stratégie est la seule à même de refaire l’Europe.
La France meurtrie a besoin d’un nouvel horizon. La sortie du sombre tunnel politique dans lequel elle est engagée ne passe pas uniquement
par l’économie. Mais elle restera hors de portée si l’on s’acharne à poursuivre des politiques néolibérales qui creusent les inégalités,
alimentent le désastre social. Il est temps de mettre en œuvre une politique économique alternative.
Appel initialement publié dans Le Monde, édition du mercredi 10 février 2016. Reproduit avec l'accord des auteurs.
82 signataires : Rémi Bazillier, Sabina Issehnane, Michel Aglietta, Bruno Amable, Philippe Askenazy, Michael Assous, Philippe Batifoulier,
Mathieu Beraud, Eric Berr, Fréderic Boccara, Mireille Bruyère, Gunther Capelle-Blancard, David Cayla, Virgile Chassagnon, Gabriel Colletis,
Laurent Cordonnier, Benjamin Coriat, Jézabel Couppey-Soubeyran, Nathalie Coutinet, Thomas Dallery, Hervé Defalvard, Jean-Paul Domin,
Ali Douai, Gérard Duménil, Cédric Durand, Anne Eydoux, Olivier Favereau, David Flacher, Anne Fretel, Jean Gadrey, Jérôme Gautié, Jérôme
Gleizes, Mathilde Guergoat-Larivière, Jean-Marie Harribey, Eric Heyer, Liem Hoang-Ngoc, Michel Husson, Sophie Jallais, Florence JanyCatrice, Esther Jeffers, Thierry Kirat, Agnès Labrousse, Thomas Lamarche, Dany Lang, Edwin Le Héron, Philippe Légé, Jonathan Marie, Catherine
Mathieu, Matthieu Montalban, Jérôme Maucourant, François Morin, Léonard Moulin, Stefano Palombarini, Corinne Perraudin, Héloïse Petit,
Mathieu Plane, Dominique Plihon, Jean-François Ponsot, Thomas Porcher, Nicolas Postel, Muriel Pucci, Philippe Quirion, Christophe Ramaux,
Gilles Raveaud, Antoine Reberioux, Sandra Rigot, Sandrine Rousseau, Laurence Scialom, Francisco Serranito, Richard Sobel, Henri Sterdyniak,
Yamina Tadjeddine, Nadine Thevenot, Xavier Timbeau, Bruno Tinel, Hélène Tordjman, Aurélie Trouvé, Julie Valentin, Daniel Vasseur, Sébastien
Villemot, Ollivier Weinstein, Michaël Zemmour
Edgar Morin : "Le temps est venu de changer de civilisation"
Gerard CLEMENT
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Par Denis Lafay | 11/02/2016, 8:00 | 8780 mots
Hamilton/Rea)Dans un entretien exceptionnel, le sociologue et philosophe Edgar Morin ausculte, du haut de ses 94 ans, l’état du
monde et celui de la France. Economie, Front national, islam, fanatisme, immigration, mondialisation, Europe, démocratie,
environnement : ces enjeux trouvent leur issue dans l’acceptation du principe, aujourd’hui rejeté, de "complexité". Complexité pour
décloisonner les consciences, conjurer les peurs, confronter les idéaux, hybrider les imaginations, et ainsi "réenchanter
l’espérance" cultivée dans la fraternité, la solidarité et l’exaucement de sens. "Le seul véritable antidote à la tentation barbare a
pour nom humanisme", considère-t-il à l’aune des événements, spectaculaires ou souterrains, qui ensanglantent la planète,
endeuillent la France, disloquent l’humanité. "Il est l’heure de changer de civilisation." Et de modeler la "Terre patrie."
Acteurs de l'économie - La Tribune. Attentats à Paris, état d'urgence, rayonnement du Front National, vague massive de
migration, situation économique et sociale déliquescente symbolisée par un taux de chômage inédit (10,2 % de la
population) : la France traverse une époque particulièrement inquiétante. La juxtaposition de ces événements révèle des
racines et des manifestations communes. Qu'apprend-elle sur l'état de la société ?
Edgar Morin. Cette situation résulte d'une conjonction de facteurs extérieurs et intérieurs, à l'image de ceux, tour à tour favorables
et hostiles, qui circonscrivent l'état de la France, bien sûr inséparable de celui de la mondialisation. Car c'est l'humanité même qui
traverse une "crise planétaire". Et la France subit une crise multiforme de civilisation, de société, d'économie qui a pour
manifestation première un dépérissement lui aussi pluriel : social, industriel, géographique, des territoires, et humain.
La planète est soumise à des processus antagoniques de désintégration et d'intégration. En effet, toute l'espèce humaine est
réunie sous une "communauté de destin", puisqu'elle partage les mêmes périls écologiques ou économiques, les mêmes dangers
provoqués par le fanatisme religieux ou l'arme nucléaire. Cette réalité devrait générer une prise de conscience collective et donc
souder, solidariser, hybrider. Or l'inverse domine : on se recroqueville, on se dissocie, le morcellement s'impose au
décloisonnement, on s'abrite derrière une identité spécifique - nationale et/ou religieuse. La peur de l'étranger s'impose à l'accueil
de l'étranger, l'étranger considéré ici dans ses acceptions les plus larges : il porte le visage de l'immigré, du rom, du maghrébin, du
musulman, du réfugié irakien mais aussi englobe tout ce qui donne l'impression, fondée ou fantasmée, de porter atteinte à
l'indépendance et à la souveraineté économiques, culturelles ou civilisationnelles. Voilà ce qui "fait" crise planétaire, et même
angoisse planétaire puisque cette crise est assortie d'une absence d'espérance dans le futur.
Au début des années 1980, le monde occidental se croyait solidement debout dans la prolongation des mythiques "Trente
Glorieuses" et solidement convaincu de bâtir une société ascendante ; de leur côté, l'Union soviétique et la Chine annonçaient un
horizon radieux. Bref, chacun ou presque pouvait avoir foi dans l'avenir. Cette foi a volé en éclats, y compris dans les pays dits du
"tiers monde", et a laissé place à l'incertitude, à la peur, et à la désespérance.
Comment qualifiez-vous ce moment de l'histoire, dans l'histoire que vous avez traversée ?
Cette absence d'espérance et de perspective, cette difficulté de nourrir foi dans l'avenir, sont récentes. Même durant la Seconde
Guerre mondiale, sous l'occupation et sous le joug de la terreur nazie, nous demeurions portés par une immense espérance. Nous
tous - et pas seulement les communistes dans le prisme d'une "merveilleuse" Union soviétique appelée à unir le peuple - étions
persuadés qu'un monde nouveau, qu'une société meilleure allaient émerger. L'horreur était le quotidien, mais l'espoir dominait
imperturbablement ; et cette situation a priori paradoxale caractérisait auparavant chaque époque tragique. Soixante-dix ans plus
tard, l'avenir est devenu incertain, angoissant.
Horreur - espoir, paix - repli : ce qui, dans l'histoire contemporaine, distingue les ferments de ces deux situations, c'est
l'irruption du fait religieux, et particulièrement d'un islamisme qui ébranle bien au-delà des frontières des pays
musulmans...
Les reflux nationaux-religieux ont pour premier point de cristallisation la révolution iranienne de 1979, et l'instauration, inédite, d'une
autorité politique religieuse et radicale. Elle intervient après plusieurs décennies de profonds bouleversements dans le monde
musulman : à la colonisation ottomane pendant des siècles succède la colonisation occidentale à laquelle succède une
décolonisation souvent violente à laquelle succède l'instauration de dictatures à laquelle succède le souffle d'espérance du
Printemps arabe auquel succède l'irruption de forces contraires et souvent donc la désillusion, auxquelles à ce jour ont succédé le
chaos géopolitique et la propagation de l'idéologie barbare de Daech...
Tout retour à la religion n'est bien sûr pas synonyme de fracas, et souvent se fait de manière pacifiée. Mais on ne peut pas omettre
la réalité des autres formes, agressives et violentes, qui ont germé dans le bouillon de culture afghan et ont prospéré dans un
terreau où toutes les parties prenantes ont leur part de responsabilité ; la seconde guerre en Irak, l'intervention en Libye, l'inaction
en Syrie, le bourbier israélo-palestinien mais aussi, sous le diktat américain, la propagation d'une vision manichéenne du monde
opposant empires du bien et du mal, ont participé à la fracturation du monde musulman et à la radicalisation de certaines de ses
franges. Le comportement des grandes nations du monde a contribué activement à "l'émergence" d'Al Qaeda hier et de l'État
islamique aujourd'hui, à faire de la Syrie un terrain de guerres, d'alliances de circonstances, de coalitions invraisemblables,
d'intérêts contraires, d'exactions, et de prolifération islamiste inextricable. Ce brasier dissémine ses flammèches bien au-delà de
ses frontières, et ses répercussions ne se limitent pas à la rupture diplomatique entre l'Arabie Saoudite et l'Iran ou à la flambée du
schisme entre chiites et sunnites.
Cette absence d'espérance individuelle et collective dans l'avenir a-t-elle pour germe, dans le monde occidental,
l'endoctrinement marchand, capitaliste, consumériste et ultra technologique ?
Deux types de barbarie coexistent et parfois se combattent. Le premier est cette barbarie de masse aujourd'hui de Daech, hier du
nazisme, du stalinisme ou du maoïsme. Cette barbarie, récurrente dans l'histoire, renaît à chaque conflit, et chaque conflit la fait
renaître. On s'en offusque en 2016 en découvrant les images ou les témoignages dans l'État islamique, mais les millions de morts
des camps nazis, des goulags soviétiques, de la révolution culturelle chinoise comme du génocide perpétré par les Khmers rouges
rappellent, s'il en était besoin, que l'abomination barbare n'est pas propre au XXIe siècle ni à l'Islam ! Ce qui distingue la première
des quatre autres qui l'ont précédée dans l'histoire, c'est simplement la racine du fanatisme religieux.
Le second type de barbarie, de plus en plus hégémonique dans la civilisation contemporaine, est celui du calcul et du chiffre. Non
seulement tout est calcul et chiffre (profit, bénéfices, PIB, croissance, chômage, sondages...), non seulement même les volets
humains de la société sont calcul et chiffre, mais désormais tout ce qui est économie est circonscrit au calcul et au chiffre. Au point
que tous les maux de la société semblent avoir pour origine l'économique, comme c'est la conviction du ministre de l'Économie
Emmanuel Macron. Cette vision unilatérale et réductrice favorise la tyrannie du profit, de la spéculation internationale, de la
concurrence sauvage. Au nom de la compétitivité, tous les coups sont permis et même encouragés ou exigés, jusqu'à instaurer
des organisations du travail déshumanisantes comme en atteste le phénomène exponentiel de burn out. Déshumanisantes mais
aussi contre efficientes à l'heure où la rentabilité des entreprises est davantage conditionnée à la qualité de l'immatériel
(coopération, prise d'initiatives, sens de la responsabilité, créativité, hybridation des services et des métiers, intégration,
management etc.) qu'à la quantité du matériel (ratios financiers, fonds propres, cours de bourse, etc.). Ainsi la compétitivité est sa
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propre ennemie. Cette situation est liée au refus d'aborder les réalités du monde, de la société, et de l'individu dans leur
complexité.
Une grande part de votre travail de sociologue et de philosophe a justement porté sur l'exploration de la complexité, sur
l'imbrication des différents domaines de la pensée complexe mise en lumière dans votre "œuvre" référence, La Méthode.
Le terme de complexité est considéré dans son assertion "complexus", qui signifie "ce qui est tissé ensemble" dans un
entrelacement transdisciplinaire. À quels ressorts attribuez-vous ce rejet, contemporain, de ce qui est et fait complexité ?
La connaissance est aveugle quand elle est réduite à sa seule dimension quantitative, et quand l'économie comme l'entreprise sont
envisagées dans une appréhension compartimentée. Or les cloisonnements imperméables les uns aux autres se sont imposés. La
logique dominante étant utilitariste et court-termiste, on ne se ressource plus dans l'exploration de domaines, d'activités, de
spécialités, de manières de penser autres que les siens, parce qu'a priori ils ne servent pas directement et immédiatement
l'accomplissement de nos tâches alors qu'ils pourraient l'enrichir.
La culture n'est pas un luxe, elle nous permet de contextualiser au-delà du sillon qui devient ornière. L'obligation d'être
ultraperformant techniquement dans sa discipline a pour effet le repli sur cette discipline, la paupérisation des connaissances, et
une inculture grandissante. On croit que la seule connaissance "valable" est celle de sa discipline, on pense que la notion de
complexité, synonyme d'interactions et de rétroactions, n'est que bavardage. Faut-il s'étonner alors de la situation humaine et
civilisationnelle de la planète ? Refuser les lucidités de la complexité, c'est s'exposer à la cécité face à la réalité. Ce qui précéda et
favorisa la Seconde Guerre mondiale n'était-il pas une succession d'aveuglements somnambuliques ? Et au nom de quoi faudrait-il
penser qu'en 2016 les décideurs politiques sont pourvus de pouvoirs extralucides et protégés de ces mêmes aveuglements ?
La barbarie prospère quand la mémoire de la barbarie s'efface. Or en occident, l'empreinte de l'indicible le plus indicible :
la Shoah, qui dans les consciences constitua une digue, même poreuse, à la reproduction de la barbarie, s'estompe au fur
et à mesure que les témoins disparaissent. Redoutez-vous les conséquences de cette évaporation "physique" de
l'histoire ? L'Homme est-il victime d'une confiance disproportionnée en son humanité et en l'humanité collective à ne pas
reproduire demain l'abomination d'hier ?
L'extermination des juifs dans les camps de concentration nazis n'a pas empêché une partie du monde juif en Israël de coloniser et
de domestiquer la population palestinienne. Que leurs ascendants voire eux-mêmes aient subi les plus épouvantables atrocités
pendant la Seconde Guerre mondiale a-t-il immunisé les agents du Mossad ou les officiers de l'armée israélienne à commander ou
à perpétrer des atrocités ? Non. Qu'on fait les communistes lorsqu'ils ont occupé l'Allemagne de l'est et libéré le camp de
Buchenwald, dans lequel dès 1933 avaient été incarcérés et anéantis notamment des... communistes ? Ils y ont parqué les
supposés ou avérés anti-communistes ! Et dès le 8 mai 1945, les Français, eux-mêmes victimes de la barbarie nazie, n'ont-ils pas
conduit le massacre de Sétif, Guelma et Kherrata, au cours duquel plusieurs milliers d'anti-colonialistes et d'indépendantistes
algériens furent exterminés ? Pourtant ces victimes avaient pour revendication strictement la même que celle des Français à
l'égard du pouvoir allemand : liberté, paix et émancipation. "Dans l'opprimé d'hier il y a l'oppresseur de demain", considérait fort
justement Victor Hugo.
La mémoire est, en réalité, toujours à sens unique et ne constitue nullement un rempart à la reproduction du mal. Le seul véritable
antidote à la tentation barbare, qu'elle soit individuelle et collective, a pour nom humanisme. Ce principe fondamental doit être
enraciné en soi, chevillé au fond de soi, car grâce à lui on reconnaît la qualité humaine chez autrui quel qu'il soit, on reconnaît tout
autre comme être humain. Sans cette reconnaissance d'autrui chère à Hegel, sans ce sens de l'autre que Montaigne a si bien
exprimé en affirmant "voir en tout homme un compatriote", nous sommes tous de potentiels barbares.
La France est en état d'urgence. Ce qui instille de lourdes interrogations sur l'articulation des libertés individuelles avec la
nécessité de combattre le péril terroriste. Erri de Luca considère que "déléguer la sécurité à l'État, c'est réduire ses
propres responsabilités". Et le romancier italien d'inviter chacun à "s'emparer de la problématique, et pour cela d'être
responsable de ce qui se passe à côté de lui. Lançons l'alerte au niveau zéro de la société, dans un mouvement populaire
et de fraternité." L'enjeu de la sécurité peut-il constituer une opportunité de démocratie et même de fraternité ?
Pour l'heure, absolument rien ne permet de croire en son exaucement. Les expériences passées apprennent beaucoup. Y compris
lorsqu'elles ont pour théâtre d'autres pays. À ce titre, les lois "Prevent" déployées en Grande-Bretagne après les terribles attentats
de 2005 à Londres ont-elles porté leurs fruits ? Elles poursuivaient un double dessein : d'une part favoriser l'intégration des
musulmans, nombreux sur le territoire, en leur affectant notamment des lieux cultuels et culturels, d'autre part mieux repérer les
extrémistes potentiellement promis à se radicaliser dans la peau de terroristes. C'est-à-dire qu'il s'agissait d'identifier plus
facilement de possibles ennemis au sein d'une communauté qu'on cherchait à mieux intégrer... Cette stratégie schizophrénique
était vouée à l'échec. Résultat, non seulement la sécurité n'y a pas gagné, mais en plus, le sentiment d'intégration des musulmans
s'est détourné de sa cible originelle : la nation britannique, pour embrasser celle de l'islam.
L'histoire contemporaine des factions armées et terroristes - IRA en Grande-Bretagne, ETA en Espagne, Brigades rouges en Italie
- qui ont perpétré des atrocités dans les démocraties, montre que la répression policière et les dispositifs législatifs contraignant les
libertés ont leurs limites. Rien ne peut faire pare-feu infranchissable. À ce titre, penser que les actuelles mesures d'urgence en
France accroissent la sécurité est un leurre ; elles diffusent au sein de la population un « sentiment psychologique » de sécurité,
mais cette perception n'est pas synonyme de sécurité véritable. Et de plus, si elles tombent en de « mauvaises » mains, ces
mesures peuvent être détournées de leur vocation, autoriser le pire arbitraire et se retourner drastiquement contre l'intérêt même
de la nation. Les imagine-t-on dans le cadre d'une victoire du FN au scrutin présidentiel ?
Tout comme l'humanisme forme la plus efficace des murailles contre la barbarie, cultiver fraternité et unité au sein de la population
certes ne permet pas de repérer les terroristes mais tonifie le principe d'identité partagée, consolide la vitalité démocratique, et
donc peut participer à dissuader les radicaux de franchir le pas vers le terrorisme.
L'intégration de "l'extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés en France" au projet de loi
constitutionnelle forme une importante fracture dans le substrat idéologique de la gauche française, et cristallise une
opportunité supplémentaire de rupture. Cette dramaturgie est-elle fondée ? Le Chef de l'État et son Premier ministre
renient-ils les "valeurs" de gauche ou les adaptent-ils aux singulières injonctions du contexte terroriste ?
La "valeur" de cette déchéance de nationalité est purement symbolique, nullement concrète. Et sa portée mythologique est
infructueuse. Faire croire que déchoir de la nationalité française des kamikazes déterminés à mourir au nom du djihad va les
dissuader de passer à l'acte est un non sens. Cette proposition administrative et juridique a pour seule véritable vocation d e
constituer une excommunication, elle est à ce titre une sorte d'équivalent laïc de l'excommunication dans la religion catholique ou
du Herem dans le judaïsme. "Être déchu" signifie que l'on n'est plus rien, que l'on n'existe plus aux yeux de sa nation, et je peux
comprendre ceux qui l'associent à une offense aux valeurs de la République. La dimension symbolique, forte, n'est pas sans
rappeler, par ailleurs, de sombres souvenirs. Du régime nazi aux services de Mussolini en passant par le gouvernement de Vichy,
les procédures de déchéance furent pléthoriques, et elles demeurent l'apanage des régimes politiques autoritaires.
Gerard CLEMENT
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Dans leur ouvrage Jésus selon Mahomet (Seuil), Gérard Mordillat et Jérôme Prieur évoquent la difficulté de décortiquer
les énigmes du Coran, d'interpréter les textes à l'aune des critères occidentaux de compréhension. Comme s'y emploient
les courants salafistes et wahhabites, le Coran s'expose à des considérations incompatibles avec la République, et même,
comme l'a démontré la folie des terroristes, totalement hostiles lorsqu'il devient levier d'endoctrinement et de
désagrégation de "l'être sujet de la société". La communauté musulmane a manifesté avec force son rejet de l'horreur des
attentats du 13 novembre, mais la même s'était montrée sensiblement plus discrète au moment de condamner
l'assassinat des dessinateurs de Charlie Hebdo. Pourtant, sur l'échelle des valeurs de la République, il ne doit pas exister
d'approche différenciante des deux événements. L'islam, notamment au sein d'une jeunesse qui y trouve un substitut à
son malaise social et citoyen, est-il bien naturellement soluble dans la nation, la laïcité et la démocratie françaises ?
L'histoire apporte la meilleure réponse. Pendant des siècles et dans toute l'Europe, qu'a donc démontré l'Église catholique ? Son
incompatibilité avec la démocratie française et la laïcité. Il faudra attendre le début du XXe siècle, c'est-à-dire "hier" sur l'échelle du
christianisme, pour qu'Église, démocratie et laïcité commencent de coexister, à l'issue d'une succession séculaire de luttes armées,
philosophiques, politiques, artistiques ou sociales qui ont fait progresser les esprits. Renaissance, Lumières, romantisme... toutes
ces étapes furent nécessaires pour que le pouvoir de l'Église quitte le périmètre politique et se concentre sur la sphère privée, dite
« des âmes ». Et c'est seulement une fois que l'écueil monarchique fut définitivement écarté que l'Église catholique devint
entièrement soluble dans la démocratie. Alors pourquoi doit-on exiger de l'islam d'accomplir en quelques années voire
instantanément la même trajectoire que l'Église mit des siècles à réaliser ?
D'autre part, l'occident chrétien est légitimement effondré devant la destruction des Bouddhas de Bamiyan en Afghanistan ou des
vestiges de Palmyre en Syrie, il est légitimement opposé à la stratégie armée de conquête de territoires et légitimement écoeuré
par les massacres perpétrés par les islamistes ; mais a-t-on oublié la manière dont, au cours des siècles, les chrétiens
persécutèrent les païens, brulèrent leurs représentations artistiques, portèrent les sanglantes croisades, évangélisèrent les terres
musulmanes ? L'inquisition fut-elle un modèle d'humanité ?
Certes, tout comme dans la Bible, le Coran recèle des textes d'une infinie beauté mais parfois aussi d'une grande violence,
notamment à l'endroit de l'infidèle et de l'impie. Mais l'islam est en premier lieu une religion judéo-chrétienne, proche davantage du
judaïsme que de la chrétienté - ses interdits et ceux du judaïsme sont très proches -, et qui partage un même socle avec les deux
autres religions monothéistes ; Abraham, Moïse, Jésus sont communs aux textes, et seul le prophète Mahomet singularise
véritablement le Coran. Un minaret ne ressemble-t-il pas à un clocher ? Bref, le tronc commun aux trois grandes religions est
substantiel. Et l'enjeu prioritaire pour lever les derniers écueils à la totale « solubilité » de l'islam dans la démocratie et la
République françaises, c'est d'enseigner la nature judéo-chrétienne de l'islam. Voilà un devoir pédagogique fondamental.
Comment tout Homme croyant doit-il hiérarchiser ses attributs dès lors qu'il doit être admis que les règles publiques de la
République qui font commun et société s'imposent à celles, privées, de la foi, c'est-à-dire à l'expression de la conscience
spirituelle ? À quelles conditions, finalement, "identité musulmane" et "identité française" sont-elles compatibles ?
Le "décrié" Tariq Ramadan - avec qui Edgar Morin a publié Au péril des idées, Presses du Chatelet, NDLR - y est lui-même
favorable : il est l'heure d'organiser et de promouvoir un islam occidental européen, qui sera le théâtre de reconnaissances
fondamentales. Reconnaissance du statut des femmes, de l'égalité hommes-femmes, des lois de la République, du monopole de
l'État dans l'éducation publique - cohabitant avec des systèmes d'éducation privée -, des non croyants et libres penseurs, des
mariages mixtes... L'ensemble de ces leviers est déterminant pour amener chaque musulman à adopter les règles de la
République et à prendre conscience qu'elles ne constituent aucunement une entrave à l'exercice de sa foi.
La France est un pays multi-ethnique et multi-religieux. La religion juive - aujourd'hui encore interprétée par les ultra-orthodoxes en
Israël dans une radicalité qui juge la seule fréquentation d'un goy impure et immonde - s'est convertie avec succès aux lois de la
République. Absolument rien ne permet de considérer que l'islam ne peut pas y parvenir. Encore faut-il s'extraire d'un tourbillon qui
entremêle rejets et stigmatisations réciproques, et d'un cercle vicieux par la faute duquel les phobies (islamophobie,
occidentalophobie, judéophobie) se nourrissent, s'entretiennent, s'exacerbent mutuellement. Elles composent un seul et même
poison qui intoxique toute la nation.
Autre poison : le Front National. 6 800 000 électeurs lors du dernier scrutin régional, des cadres désormais de bon niveau,
des diagnostics qui peuvent sonner juste au-delà des cercles habituels, une crise familiale interne finalement maîtrisée,
un éventail de motivations parmi les électeurs qui a dépassé celui, historique, de la seule xénophobie. Chômage,
déracinement, dilution des repères, déshérence sociale, offre éducationnelle déliquescente, inégalités croissantes,
discrédit des "élites", cités gangrénées par l'insécurité : une partie de ces électeurs fonde son vote sur des
considérations davantage économiques, financières, sociales que "seulement" ethniques. Le front républicain, artificiel,
face à un FN dédiabolisé, a semblé vivre ses ultimes heures ; de moins en moins audible au sein des partis traditionnels
et chez les électeurs, il constitue même un crédit supplémentaire à la stratégie victimaire et complotiste du FN. Enfin, les
scores records qu'il a enregistrés lors des Régionales dans les communes qu'il administre depuis 2014 (53,73 % au
Pontet, 48,01 % à Béziers, 53,27 % à Fréjus), confèrent au FN d'être bel et bien l'un des composants d'un paysage
politique désormais tripolaire. L'enracinement est idéologique, géographique, politique. Quel diagnostic sur l'état même
de la France cette réalité produit-elle ?
La popularité du Front National cristallise une double régression : celle de la France républicaine, et celle du peuple de ga uche. La
France républicaine avait vaincu en 1900 la France aristocratique et monarchique, mais le gouvernement de Vichy montra que
cette France républicaine post-Dreyfus n'avait que partiellement jugulé l'autre France. Lorsque j'étais enfant ou adolescent,
l'ennemi n'était pas l'arabe mais bien le juif, et cela même les grands hebdomadaires nationaux s'en faisaient les porte-paroles,
colportant les pires calomnies. Cette deuxième France xénophobe a toujours existé, mais compromise par la collaboration elle s'est
recroquevillée. Nous assistons au lent et méthodique retour d'un Vichysme rampant qui n'a pas besoin d'occupation allemande
pour innerver les consciences. Le dépérissement du peuple républicain et du peuple de gauche en même temps que les angoisses
du présent expliquent cette résurgence.
Et cette cause a pour origine la disparition progressive des structures qui maillaient le territoire, couvraient les différentes
populations, et diffusaient l'esprit et les règles de la République, les principes de la démocratie et de la laïcité, les valeurs de
liberté, d'égalité, d'humanisme, de fraternité : les instituteurs dans un monde rural longtemps majoritaire, les enseignants dans le
secondaire, les cellules locales des partis socialiste et communiste dans leurs écoles de cadres et dans les syndicats. Cette
structuration des valeurs républicaines - qui, par capillarité, assurait sa perpétuelle régénérescence -, s'est lézardée puis s'est
effondrée. Résultat, dans une nation dépourvue d'idéaux et d'espérance, cette seconde France de la xénophobie, du repli, de la
peur, redevient majoritaire. Pire, elle parvient à contaminer ceux-là mêmes qui, il y a encore peu, portaient un intérêt empathique
au monde.
Qu'il soit autorisé au sein de la République suffit-il à qualifier le Front National de parti républicain ?
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Le Front National clame haut et fort assumer la loi républicaine et la laïcité, et à ce titre est totalement éligible au rang de parti
républicain. Reste un mystère : quelle Présidente de la République Marine Le Pen ferait-elle ? Autoritaire dans la lignée de la
Hongrie de Victor Orban, déterminée à quitter le pluralisme démocratique et à adopter une organisation fascisante ? En d'autres
termes, ce qui distingue la menace fondée de la menace improbable d'une victoire électorale constitue une énigme. Mais une
énigme que sa popularité enracinée et la faiblesse des contrepoids idéologiques et démocratiques rendent extrêmement
inquiétante. Nous saurons qui elle est si elle est élue, mais il sera peut-être trop tard.
Le vote Front National est la manifestation d'une exaspération multiforme, qui contamine jusqu'aux strates les plus
éduquées de la société - près de 20 % des chefs d'entreprise l'ont rallié. Signifie-t-elle que la France est allée au bout de
ce qu'elle peut proposer et accepter en matière d'assistance, d'accueil, et d'impôt - qui constitue le socle même de la
société ? Trois contributeurs majeurs à "l'humanité" du "vivre ensemble"...
La psychose anti-migrants est ubuesque. Peu nombreux sont les fugitifs de Syrie ou d'Irak candidats à s'installer en France, et
c'est traditionnellement dans les localités les moins exposées à l'immigration que sévissent les plus virulents sentiments
xénophobes. Là encore ne succombons pas à la logique quantitative. La réussite de l'intégration n'est pas une question de chi ffres
mais de conditions d'accueil : contexte économique, dispositifs sociaux et éducationnels, "atmosphère" politique, prédispositions
psychosociologiques de la population autochtone à plutôt s'ouvrir ou se fermer, etc. L'Allemagne, nonobstant les graves
débordements sexistes, à ce jour encore non élucidés, du réveillon du jour de l'an à Cologne et dans quelques autres villes, pâtitelle d'héberger un million et demi de réfugiés politiques ? Non, et cela parce que ses habitants comme sa classe politique font
preuve d'ouverture.
Le système français de naturalisation, en vigueur depuis le début du XXe siècle, a bien fonctionné. Et l'histoire des vagues
massives d'immigration livre deux enseignements universels : deux générations sont nécessaires avant une pleine intégration même lorsque les immigrés sont de religion catholique, comme en témoignent les violences subies par les Italiens débarqués à
Marseille dans les années 1900 -, et le test de ladite intégration est le mariage mixte. Alors certes ces règles s'appliquent plus
difficilement avec les populations originaires du Maghreb. Cela tient au passé colonial, au passif de la guerre d'Algérie, au
traitement équivoque des pays occidentaux à l'égard des régimes arabes ou du conflit israélo-palestinien, à certains
particularismes religieux, au zèle de la police à l'endroit des jeunes contrôlés au faciès... Tout cela contribue à entretenir un climat
de rejet, mais aussi de repli et de fermeture sur soi. Il en est pourtant qui en dépit de ces obstacles, percent le plafond et occupent
des postes de haute responsabilité politique, artistique ou économique. Ils sont l'exemple qu'en dépit du grave dépérissement du
socle républicain d'intégration et du délitement des creusets de liberté, d'égalité et de fraternité, l'intégration reste possible.
La retranscription des conversations du joueur de football Karim Benzema - dans l'affaire pénale l'opposant à son
coéquipier Mathieu Valbuéna -, dont il était presque impossible de comprendre le sens et d'interpréter la signification, est
symptomatique d'un mal profond, ainsi résumé par l'avocat pénaliste Eric Dupond-Moretti : la nation manque d'un
langage commun et de codes de conduite communs. Dans ce domaine aussi, le système éducatif a-t-il gravement failli ?
Est-il réactionnaire d'appeler dans le sillage d'Alain Finkielkraut à restaurer avec exigence des bases de vie commune :
civisme, lecture, histoire, etc. ?
Le système éducatif est devenu tout à fait inadéquat, et cela pour l'ensemble des jeunes quels que soient leur origine ethniq ue,
leur milieu social ou leur parcours de vie. Tout simplement parce qu'il ne traite pas des problèmes fondamentaux que chacun est
appelé à affronter au cours de son existence. Enseigner à vivre - c'est aussi le titre d'un de ses ouvrages, paru chez Actes Sud en
2014, NDLR -, comme y exhortait Jean-Jacques Rousseau, c'est en effet explorer les voies de l'épanouissement, de l'autonomie
intellectuelle, émotionnelle et décisionnelle, c'est apprendre à vivre solidairement, à faire face aux problèmes vitaux de l'erreur, de
l'illusion, de la partialité, de l'incompréhension d'autrui et de soi-même, c'est apprendre à affronter les incertitudes du destin
humain, à connaître les pièges de la connaissance, in fine à faire face aux problèmes du "vivre". Tout cela à l'ère d'internet et dans
une civilisation où nous sommes si souvent désarmés voire instrumentalisés.
Nombre de sujets absolument fondamentaux sont absents de l'enseignement. Par ailleurs, les manuels d'histoire doivent
impérativement s'enrichir d'une information minutieuse sur une histoire de France qui dépeint les capétiens et au cours des siècles
a intégré des peuples hétérogènes en les "provincialisant" et en les francisant. Insister sur la manière dont des nations, des
peuples, des cultures, des langues, des religions a priori si éloignés les uns des autres se sont peu à peu agglomérés et
composent aujourd'hui une nation polyculturelle est essentiel. La France n'est pas « que » empire conquérant et colonisateur ; elle
est surtout elle-même le fruit d'une mosaïque de cultures, et ce qui était "valable" avec l'hybridation avant-hier des peuples breton,
basque, alsacien, hier des Italiens, Polonais ou Portugais, l'est pleinement aujourd'hui avec les Marocains, Algériens,
Cambodgiens ou Turcs.
Enfin, et tout aussi capitaux doivent être d'une part la réhabilitation de la culture des humanités, menacée par la culture technoéconomique, d'autre part son décloisonnement et son maillage avec la culture scientifique. Faire se confronter, dialoguer,
construire ensemble et de manière transdisciplinaire ces différentes expressions de la connaissance est fondamental, y compris
pour favoriser, là encore, la culture de l'ouverture au détriment de celle, grandissante, de la fermeture. Ce qui signifie aussi que
toutes les formes de la culture doivent être promues. Les disciplines classiques ne doivent pas obstruer celles modernes et
contemporaines. Mon attachement viscéral à l'œuvre de Montaigne, Pascal, Rousseau ou Dostoïevski ne m'empêche pas d'être
émerveillé par celle de Fritz Lang ou d'Akira Kurosawa. Les vertus de la complexité, c'est, dans ce domaine aussi, embrasser
plutôt qu'élaguer, c'est mettre en perspective plutôt que compartimenter.
Le Front National a "capturé" et dévoyé une valeur clé de la nation - abandonnée par la gauche en dépit des tentatives
d'Arnaud Montebourg dans le champ économique - : le patriotisme. Patriotisme dont se sent exclue une frange de la
population qui n'a pas d'histoire commune avec la France et donc peut difficilement envisager avec elle un avenir
commun. La célèbre image des drapeaux algériens brandis par de jeunes Français dans les travées du Stade de France a
fait mal. Comment réveiller le sentiment (com)patriote sans qu'il dérape dans les travers nationalistes ?
Jean Jaurès conciliait patriotisme et internationalisme. Aujourd'hui il faut associer ces deux termes qui sont antagonistes pour la
pensée non complexe : patriotisme et cosmopolitisme signifiant "citoyen du monde". La communauté de destin pour tous les
humains, créée par la mondialisation, doit générer un nouveau lien civique de responsabilité, par exemple à l'état de la biosphère
qui dépend de nous et dont nous dépendons. En 1993, j'ai même écrit un livre, Terre Patrie (Seuil), plus actuel que jamais. Mais
cela n'exclut pas nos autres patries, dont nos "petites" patries, locales et provinciales, et surtout la nation qui, elle, est une
communauté de destin aux profondes racines historiques, et pour qui le mot patriotisme indique le ciment affectif qui nous lie à elle,
car il est à la fois maternel (mère-patrie) et paternel (autorité de l'État). Ce patriotisme doit d'ailleurs être revitalisé par opposition à
une mondialisation essentiellement techno-économique, anonyme, sans âme - alors que nous devons nous sentir liés à la matrie
terrestre dont nous sommes issus. Comme la mondialisation techno-économique crée dans notre nation comme dans d'autres des
déserts humains et économiques, nous devons sauvegarder nos intérêts nationaux vitaux.
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Notre nation porte en elle deux messages qu'ont toujours transformé en français des ressortissants de peuples progressivement
provincialisés et francisés au cours des siècles d'histoire, puis ensuite issus d'émigration : celui d'intégration de la diversité
ethnique puis religieuse dans une grande unité supérieure, qui se nourrit de cette diversité sans la détruire. Autrement dit
reconnaître que la France est en fait multiculturelle, c'est donner aux enfants d'immigrés la possibilité de se sentir français. D'autre
part, 1789 a introduit dans le code génétique une originalité : être français n'est pas subir un déterminisme, c'est vouloir être
français. Les délégations à la fête du 14 juillet 1790 disaient : "Nous voulons faire partie de la grande nation". Au 19e siècle, Fustel
de Coulanges et Renan considéraient que la France était un être d'esprit, non de sang ; ainsi, en dépit de leur culture germanique,
les Alsaciens voulaient être français et se sentaient français d'esprit. Plus nous sommes menacés par des forces anonymes et
anonymisantes, qui tendent à disloquer ou à dissoudre les communautés et les solidarités, plus nous devons travailler à sauver
lesdites communautés et solidarités. Le nationalisme clos s'oppose à tout ce qui peut nous solidariser avec nos voisins européens
et avec les autres peuples de la planète. Notre patriotisme est en même temps humaniste. Si cela était enseigné dans les écoles,
les élèves constateraient que l'histoire de France n'est pas principalement conquêtes et colonisation, elle est aussi et surtout
intégration du divers, communauté profonde, et, comme l'ont clamé tous les grands de Montaigne à Hugo et Jaurès, elle est amour
de l'humanité.
Le succès du Front National illustre un autre phénomène : dans un contexte de mondialisation, de disparition des
frontières, de "planétarisation" instantanée (via les réseaux sociaux, les nouvelles technologies, les facilités de
transports, la mobilité sous toutes ses formes) mais aussi, consubstantiellement, de précarisation, d'inégalités, de dogme
marchand, et d'effacement d'un certain nombre de repères (notamment lié au délitement des religions), les citoyens
semblent aspirer à recouvrer un périmètre d'existence visible, délimité, compréhensible, de proximité à la fois
géographique mais aussi identitaire, culturel, religieux. Bref, le retour à une nation et à une société "homogènes" et
"rassurantes"... A-t-on ouvert le monde et celui de chaque citoyen de manière trop hâtive ou désordonnée ?
À partir du début des années 1990 a pris forme l'unification techno-économique du globe. Internet, téléphone mobile, disparition
administrative des frontières, dématérialisation tous azimuts, canaux financiers instantanés et planétaires, propagation du
capitalisme de la Chine à la Russie, de l'Amérique latine à l'Afrique : contrairement aux idées reçues, ce phénomène
d'universalisation a favorisé la rétraction, la "refermeture", et même la dislocation - idéologique, religieuse, politique, culturelle dans de nombreuses parties du globe.
N'est-il pas curieux que concomitamment à cette mondialisation multiforme surviennent la désagrégation de la Yougoslavie, la
scission de la Tchécoslovaquie, des stratégies séparatistes dans chaque continent ou presque ? L'éclatement de l'empire
soviétique ne résulte-t-il pas lui-même de ce nouveau diktat ? L'erreur commise - et qu'Edgar Morin a diagnostiquée et auscultée
dans La Voie, Fayard, 2011, NDLR - fut de ne pas chercher à unir les deux impératifs contraires : mondialiser et démondialiser.
Mondialiser pour favoriser toutes les communications propices à la compréhension et à la prospérité entre les peuples, et
démondialiser afin de sauvegarder territoires, nations et zones appelées à devenir ces déserts humains ou économiques. Réfléchir
à combiner croissance et décroissance, développement et enveloppement, est un impératif. Encore un exemple de cette "pensée
complexe" à laquelle est préférée la confortable "pensée binaire".
Bien sûr, la France ne constitue pas un ilot isolé au sein d'une Europe qui serait, dans l'idéal, massivement progressiste.
La popularité des formations populistes, xénophobes, anti-européennes, gangrène tous azimuts. La Hongrie n'est plus
seule, comme en témoigne "l'audace" du Parti Droit et Justice de Jaroslaw Kaczynski attelé en Pologne à étrangler les
libertés des médias et à vassaliser le Tribunal constitutionnel. L'Union européenne, honnie d'une grande partie des
Français comme l'a révélé le dernier scrutin ad hoc de 2014, a été pendant cinquante ans le rempart au fascisme. En
devient-elle peu à peu un nouveau terreau ?
C'est une triste vérité. L'Europe a échoué dans sa mission. Et en premier lieu en laissant l'hyperfinanciarisation, les mécanismes
spéculatifs et les intérêts des multinationales pourrir le système économique. Cette dégradation au départ purement économique a
ensuite contaminé les champs social, culturel et bien sûr politique. L'Europe aurait pu aider à exorciser les peurs des citoyens ; or
la plupart de ceux qui souffrent et s'angoissent la rendent responsable d'affaiblir les souverainetés, de vulnérabiliser les
indépendances nationales, d'être une passoire pour l'immigration. Alors la suspicion puis la peur puis la haine de l'étranger, devenu
menace et ennemi, ont parasité les consciences. Il nous reste à intégrer notre patriotisme dans celui de la Terre-Patrie.
Même des démocraties que l'on croyait prémunies sont gagnées par les doctrines d'extrême droite. C'est le cas de la
Grande-Bretagne et, au-delà du continent anglo-saxon incarné par les États-Unis. Les Républicains s'apprêtent à désigner
leur représentant aux élections présidentielles. Dans l'histoire récente du pays, des postures ultramoralistes, ultradicales
en matière de mœurs, ou ultrabelliqueuses ont concouru. Mais jamais un candidat ouvertement raciste comme Donald
Trump n'avait à ce point rallié les suffrages tels que les intentions de vote le prédisent. Que cette terre d'immigration et de
liberté y succombe est lourd d'interprétations...
Les États-Unis sont une terre de grandes surprises électorales et de revirements stupéfiants. Capable de désigner Barack Obama
mais aussi un Georges W. Bush qui, s'il n'est pas ouvertement raciste comme Donald Trump, a mené une guerre en Irak qui a
provoqué une catastrophe humaine, géopolitique, financière, et civilisationnelle d'une ampleur planétaire et aux répercussions
toujours désastreuses. De cette Amérique nous pouvons attendre le meilleur et le pire. Que Donald Trump caracole en tête des
sondages républicains est un signe supplémentaire que le pays et, au-delà, l'ensemble du monde, traversent une ère d'incroyables
incertitudes face auxquelles les citoyens sont déboussolés, désarmés, dépourvus du substrat idéologique adéquat.
Donald Trump et Marine Le Pen ont en commun, aux yeux de leurs électeurs, d'exercer un "parler vrai" assimilé à un
"parler libre". Comment peut-on parler vrai et parler utile et juste, comment peut-on parler vrai sans parler
sale (démagogie, populisme, stigmatisation) ?
Les partisans de Donald Trump et de Marine Le Pen pensent qu'ils disent la vérité. Laissons-leur cette impression, et concentronsnous sur le véritable antidote : convaincre les professionnels de la politique d'abandonner une langue de bois qui ne correspond
absolument plus aux réalités contemporaines du langage et aux attentes des citoyens. Ceux-ci aspirent à écouter des messages
accessibles et simples, authentiques et responsabilisants. Dénoncer le "populisme" (mot étrange) ou vitupérer le proto-fascisme du
FN ne sert nullement à lui barrer la route ; ce qu'il faut, c'est changer de route et montrer celle d'une autre et nouvelle voie.
Hygiénisme, aseptisation, conformisme, uniformisation, politiquement correct, contraction des libertés : la France est
frappée d'une hypermoralisation exacerbée par la classe politique et dont se repaît la rhétorique du Front National. N'estce pas d'avoir délibérément tu, esquivé ou instrumentalisé des réalités sociales, économiques, ethniques, religieuses,
éducationnelles, qui a vidé la Gauche de sa substantifique moelle et l'a disqualifiée ? Etre "de" ou "d'une" gauche en 2016
a-t-il encore une signification ?
La "gauche" n'est bien sûr pas une entité unique, comme le démontrent les rudes combats que "les" gauches se sont menés dans
l'histoire du XXe siècle. Du Parti communiste au Parti socialiste, des mouvements "de gauche" ont progressivement dépéri, et à ce
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délitement idéologique et politique aucune autre force ne s'est substituée. Après l'Etat providence et l'Etat social-démocrate
accomplis en Allemagne et en France au cours des décennies post-Seconde guerre mondiale, il y a eu conversion au néolibéralisme. Dorénavant, la société est traversée par un besoin : celui d'une pensée qui affronte les temps présent et futur. C'est ce
qu'il s'agit d'élaborer.
Qu'est-ce qu'être de gauche ? A mes yeux, c'est se ressourcer dans une multiple racine : libertaire (épanouir l'individu), socialiste
(amélioration de la société), communiste (communauté et fraternité), et désormais écologique afin de nouer une relation nouvelle à
la nature. Etre de gauche c'est, également, rechercher l'épanouissement de l'individu, et être conscient que l'on n'est qu'une infime
parcelle d'un gigantesque continuum qui a pour nom humanité. L'humanité est une aventure, et "être de gauche" invite à prendre
part à cette aventure inouïe avec humilité, considération, bienveillance, exigence, créativité, altruisme et justice. Etre de gauche,
c'est aussi avoir le sens de l'humiliation et l'horreur de la cruauté, ce qui permet la compréhension de toutes les formes de misère,
y compris sociales et morales. Etre de gauche comporte toujours la capacité d'éprouver toute humiliation comme une horreur.
Le système politique français constitue l'une des causes majeures de la popularité du Front National, qui tire profit de ce
que le sociologue Michel Wieviorka nomme "la congélation et la décomposition simultanées" des formations
traditionnelles. L'exercice politique est anachronique, désynchronisé des nouvelles réalités sociétales et des attentes
citoyennes de la population. La démocratie est profondément malade. "Nous ne sommes peut-être pas encore entrés
dans son hiver, mais il se peut bien que nous approchions déjà de son automne", redoute le politologue Pascal Perrineau.
Est-il encore possible et temps de la revitaliser ? Comment peut-on faire vivre la démocratie indépendamment des
scrutins électoraux qui concentrent l'essentiel de l'expression démocratique des Français ?
La régénération politique ne peut s'effectuer que par des processus infra politiques et supra politiques. Ces processus naissent de
façons multiples dans la société civile. Partout, des formations convivialistes assainissant et "réhumanisant" les rapports humains,
irriguent le territoire, revivifient responsabilités individuelles et démocratie collective : l'économie sociale et solidaire représente
désormais près de 10 % de l'économie, les structures coopératives se développent et font la preuve de leur efficacité - en
Amérique latine par exemple, de formidables initiatives permettent de lutter contre la délinquance infantile et l'illettrisme - ; la
philosophie agro-écologique de Pierre Rabhi réhabilite la bonne, la saine, la juste nourriture en opposition à l'exploitation hyper
industrialisée, hypermondialisée et destructrice autant des sols, des goûts que de la santé.
Une nouvelle conscience de consommateur a surgi, elle combat en faveur des circuits courts et directs, de la production de
proximité. Bref, au sein de la société civile, il existe un foisonnement d'actions, très dispersées, qui participent à réinventer la
démocratie et sur lesquelles il faut s'appuyer. Prenons pour seul exemple l'agriculture écologique et raisonnée ; un jour, ce qu'elle
aura réussi à enraciner dans les consciences des consommateurs sera si fort que le ministre de l'Agriculture pourra s'émanciper
des chaînes qui le ligotent au lobby des multinationales et des grandes surfaces, et en faire une priorité de son programme.
Il est d'ailleurs faux de considérer que la jeunesse, éduquée ou non, est dépolitisée. Comme en témoignent le succès du
service civique, ses aventures entrepreneuriales, ses engagements dans le bénévolat, sa contribution à la dynamique
associative, elle est en quête de fraternité, elle cherche à concrétiser autrement sa volonté politique, c'est-à-dire à être
différemment actrice de la société, productrice de lien, génératrice de sens et d'utilité. Cette jeunesse est prête à ébranler
le système, aujourd'hui fossilisé, de la démocratie représentative...
L'adolescence est le moment ou s'élève l'aspiration à vivre en s'épanouissant personnellement au sein d'une communauté. Mais
cette aspiration peut être trompée. Elle a été trompée par le maoïsme, elle peut l'être par le FN. Les forces d'espoir sont là. Bien
sûr, tout cela est vulnérable et ces raisons d'espérer peuvent être détruites par un regel brutal. Il n'empêche, elles existent bel et
bien.
"Etre sujet", c'est-à-dire s'affranchir, s'autonomiser, se réaliser, est-il une réalité ou une chimère ? A quelles conditions la
démocratie peut-elle permettre "d'être sujet" et de" faire commun" ?
Nous sommes là au cœur du... sujet. Réforme personnelle et réforme sociétale - c'est-à-dire politique, sociale, économique s'entendent de concert, elles doivent être menées de front et se nourrissent réciproquement. Les signaux sont faibles et
disséminés, mais ils existent, et c'est sur eux que l'espoir doit être fondé.
Une lumière est apparue dans ce sombre hiver : la COP21 a accouché d'un texte unanimement salué. Notre rapport à la
nature et à "toute" la matière vivante, la nécessité de sauvegarder la planète et pour cela de réviser en profondeur nos
paradigmes existentiels, d'imaginer et d'inventer comme jamais, peuvent-ils constituer L'opportunité de bâtir un projet
commun, de se projeter enfin dans l'avenir et de réaliser une œuvre universelle ?
Cette COP21 restera un événement important et significatif. Certes, elle manque d'une dimension contraignante, mais le texte a
été unanimement contresigné par des Etats aux intérêts divergents voire antagoniques. C'est donc un progrès réel, surtout qu'il fait
suite aux désillusions des précédents raouts et en premier lieu celui de 2009 à Copenhague. Un regret, toutefois : cet événement
était trop limité à la problématique du changement climatique. Bien sûr, celui-ci constitue l'un des facteurs clés du « grand »
problème écologique, mais il ne peut pas être disjoint des "chantiers" de l'énergie, de la biodiversité, de la déforestation, de
l'agriculture industrielle, de l'assèchement des terres nourricières, des famines, des ravages sociaux, etc. Tous ces sujets forment
un "tout", indivisible.
Ce que vous "savez" de la nature humaine et de sa capacité de résister ou de se résigner, d'être asservie ou de désobéir,
vous donne-t-il l'espoir qu'elle réussira à imposer l'aggiornamento environnemental, comportemental, spirituel, au
bulldozer marchand et consumériste ?
C'est lorsqu'on est au bord de l'abîme que l'on décèle les réflexes salvateurs. Nous n'en sommes pas encore là et peut-être ne les
trouvera-t-on pas, mais nous pouvons espérer. D'abord parce qu'il existe une marge d'incertitude sur les prédictions, par nature
hypothétiques, qui annoncent l'état de la planète d'ici un siècle. Le péril sera-t-il, dans les faits, plus massif ou plus supportable,
interviendra-t-il plus vite ou plus lentement ? Nous en sommes à faire des paris. Ce qui peut laisser le temps d'accomplir la seule
transformation véritable et durable qui soit : celle des mentalités. Combattre les sources d'énergie sale est bien, mais ce n'est pas
suffisant. Seule une prise de conscience fondamentale sur ce nous sommes et voulons devenir peut permettre de changer de
civilisation. Les textes du Pape François en sont une aussi inattendue que lumineuse illustration. Et d'ailleurs, c'est aussi parce que
nous manquons de spiritualité, d'intériorité, de méditation, de réflexion et de pensée que nous échouons à révolutionner nos
consciences.
Le succès de la COP21 a été concomitant au nouvel effondrement électoral du mouvement Europe-Ecologie- Les verts. Il
a mis davantage en lumière l'inutilité politique des formations écologistes, et a démontré que la problématique écologique
et la préoccupation environnementale constituent des enjeux désormais transpartisans. La fin de l'offre politicienne
écologique est-elle venue ?
A la différence de leurs homologues allemands, les écologistes politiques français n'ont participé à aucune réalisation municipale
concrète, ils se sont sans cesse divisé sur des querelles de personne, ils ne se sont pas nourri de la pensée écologique que leur
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apportaient René Dumont, Serge Moscovici, André Gorz, ils ont sottement écarté Nicolas Hulot - avec lequel Edgar Morin a publié
en 2007, chez Tallandier, L'an 1 de l'ère écologique, NDLR. Je conçois qu'un mouvement écologique rénové puisse exercer un rôle
éclairant et stimulant, mais n'est-ce pas surtout hors parti que se sont développées les vraies forces écologiques, la pratique agroécologique, le mouvement Colibri de Pierre Rabbi, l'action politico-culturelle de Philippe Desbrosses, les éco-quartiers, les Amap,
ou encore les élans spontanés d'une jeunesse qui s'est portée sur le terrain contre le barrage de Sivens ou l'aéroport de Not reDame-des-Landes ?
Finalement, l'enjeu de la planète et la nécessité de bouleverser nos raisonnements peuvent nous exhorter à réconcilier
deux formes de progrès aujourd'hui trop souvent antithétiques : le progrès technologique - qui n'a jamais atteint de tels
niveaux - et le progrès humain - loin d'épouser une courbe comparable si l'on en juge « l'état » de l'humanité...
Le préambule à cette réconciliation est la régulation du progrès scientifique et technologique. Du nucléaire aux manipulations
génétiques, l'absence de régulation ouvre la porte aux plus grands périls. Y compris sociaux et humains. Comment faire œuvrer de
concert progrès technologique et progrès humain tant que les dynamiques de l'un et de l'autre seront à ce point dissociées ? En
effet, la science, la technique, l'économie sont « dopées » par une croissance aussi impressionnante qu'incontrôlée, alors que
l'éthique, la morale, l'humanité, sont dans un état de barbarie lui-même croissant. Et le pire désastre est à venir : les prodigieuses
capacités de la science annoncent la prolongation de la vie humaine et la robotisation généralisée, programmant là à la fois une
arriération des rapports humains et un état de barbarie inédit. Voilà le suprême défi pour l'humanité.
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