Conférence d’économie de Sophie Harnay MASSART TRISTAN La théorie des choix publics I. Origine de la théorie des choix publics 1. Historique Les économistes classiques ont surtout concentré leur attention sur le fonctionnement du marché et non sur le rôle à jouer de l’Etat (d’autant plus qu’ils considéraient que l’Etat n’a peu voire pas de rôle à tenir dans un marché parfait). « L’école du choix publics est fondée au début des années 1960 par deux économistes de l’université de Virginie, J. Buchanan (prix Nobel en 1986) et G. Tullock, elle étend la notion de marché à l’analyse des systèmes politiques. Ses thèses sont présentées dans The Calculus of Consent (=le calcul du consentement, Buchanan/Tullock, 1962), La demande et l’offre de biens publics (Buchanan, 1968), Théorie du choix public : applications à la politique de l’analyse économique (Buchanan/Tollison, 1972). »1 Joseph Schumpeter a devancé cette école avec ses travaux dans Capitalism, Socialism, and Democracy (1942) qui furent mathématiquement complétés par Arrow (prix Nobel) puis par l’étude d’Anthony Downs dans Economic Theory of Democracy (1957) qui développe une théorie selon laquelle la politique économique des élus se résume à mettre tout en œuvre pour être réélu. Mais la théorie des choix publics a surtout été d’actualité dans les années 1980 avec les travaux de Buchanan. « En poursuivant son propre intérêt, l’individu concourt fréquemment à celui de la société, plus efficacement que s’il désirait vraiment le bien public. » Adam Smith, La richesse des nations, (1776)2. En effet les économistes classiques ne pensent pas qu’une intervention de l’Etat dans l’économie aurait un intérêt pour le marché et donc pour le peuple. Mais les générations suivantes pensent différemment et de nombreuses justifications voient le jour pour une intervention de l’Etat dans l’économie. 2. Le rôle de l’Etat L’Etat tend à corriger principalement : - l’imperfection du marché (monopole, oligopole avec lois antitrust…) - les externalités (comme la pollution…) - l’information imparfaite (obligation d’information…) 1 Quelles sont les buts de l’Etat ?2et3 Elles sont multiples et non définies de manière stricte, on peut cependant recenser : Jean Boncoeur et Hervé Thouément (2000) : Histoire des idées économiques, Nathan, 2° édition, p.205. Extrait de Christophe Marchand (1999) : Economie des interventions de l’Etat, Que sais-je ? 3 Samuelson et Nordhaus (2004) : Economie, Economica, 16 ° édition. 2 1 MASSART TRISTAN Conférence d’économie de Sophie Harnay - l’amélioration de l’efficacité économique - assurer une répartition équitable des revenus - assurer une économie stable - conduire une politique économique internationale -assurer une cohésion sociale Cela peut se résumer à affecter des ressources à des secteurs que le marché ne peut financer (=pallier les carences) ; stabiliser en réduisant l’ampleur des variations cycliques de l’économie et enfin redistribuer pour corriger les inégalités dues au carences du marché. Partant, le rôle de l’Etat ne peut se limiter à une action strictement de court terme, ne prenant en compte que les coûts et les bénéfices. Quels sont les principaux outils à la disposition de l’Etat ? - l’impôt - le contrôle des dépenses et des transferts d’argent - les réglementations Cependant, l’intervention de l’Etat elle-même n’est pas sans défaut et carence, c’est à cela que s’intéresse la théorie des choix publics qui rappelle qu’aux défaillances du marché répondent les défaillances de l’intervention publique (« government failure »). « Le principe même du gouvernement constitutionnel exige de présumer qu’on abusera du pouvoir politique dans le sens des intérêts particuliers de son titulaire ; non parce qu’il en est toujours ainsi, mais parce que c’est la tendance naturelle des choses, et parce que les institutions libres ont précisément pour objet de la prévenir. » John Stuart Mill4 (n.b. : La théorie des choix publics relève de l’économie normative, c’est-à-dire qu’elle ne ressort pas strictement que de la science économique mais fait aussi appel à des notions éthiques et politiques.). Tâchons maintenant de voir quelles sont les carences relevées par la théorie des choix publics. II. La théorie des choix publics 1. Les principales hypothèses La théorie des choix publics suppose que les agents des décisions de la politique économique se comportent de la même façon que les agents du marché, c’est-à-dire avec comme motivation principale de maximiser leur bien-être (cf. les hypothèses de la maximisation de l’utilité ou du profit). Ceci nuancé bien sûr par le fait que certaines actions sont prises en prenant compte de l’intérêt commun mais avec néanmoins pour principe majeur (et lucide) que la majorité des agents vise avant tout la maximisation de son bien-être. Cette théorie met alors en place une vision assez sceptique de l’action des gouvernants (the theory « replaces…romantic and illusory...notions about the working of governments [with] notions that embody more skepticism, Buchanan5 »). Une autre hypothèse de la théorie des choix publics est l’ignorance rationnelle des électeurs dont le vote n’a quasiment aucune chance d’avoir de réelles conséquences sur l’issue 4 Extrait de Christophe Marchand (1999) : Economie des interventions de l’Etat, Que sais-je ? Extrait de Jane S. Shaw: Public Choice Theory, in the Concise Encylopedia of Economics, site www.econlib.org 5 2 MASSART TRISTAN Conférence d’économie de Sophie Harnay du vote. De plus, les citoyens n’investissent pas leur temps dans la recherche d’informations post-électorales sur les élus ou leurs actions, n’en voyant pas l’intérêt étant donné le coût d’opportunité d’une telle entreprise. Cette ignorance rationnelle et donc volontaire est rare dans le secteur privé qui est souvent marqué par une asymétrie d’information (involontaire). La théorie s’intéresse également au comportement des élus et des gouvernants. En effet elle étudie le comportement des législateurs qui sont tenus d’agir dans l’intérêt du bien commun, mais ce comportement ne conduit à aucune compensation puisque le législateur ne récupère pas une partie du budget économisé ou un quelconque bénéfice d’une bonne gestion des ressources publiques…Il n’y a donc pas d’intérêt direct à agir dans l’intérêt de la communauté, ce qui n’influence pas les politiques à agir dans ce sens. Les politiques sont en outre influencés par des groupes de pression (lobbies aux USA par exemple). Tout cela conduit les agents de la politique économique à se comporter d’une manière qui ne maximise pas l’intérêt de la communauté mais le leur, c’est-à-dire leur maintien au pouvoir. Une autre théorie des choix publics a été développée par George Stigler et s’intéresse au comportement des fonctionnaires : « the theory of capture ». G. Stigler montre que les fonctionnaires employés par l’Etat ne sont pas motivés par une maximisation de leur revenu ou profit mais agissent parce qu’ils ont un but fixé, une mission. Ils ont pour cela besoin des fonds alloués par le Congrès (l’étude de Stigler se base sur la société américaine) et les personnes ou groupes de personnes qui doivent bénéficier de leur mission sont justement souvent en mesure d’influencer le Congrès. Dès lors cette dépendance des fonctionnaires envers les groupes de pression peut leur valoir d’être « capturés » par les groupes d’intérêt influents (qui sont de natures très diverses). Toutes ces théories sont autant d’exemple de l’échec des gouvernements selon les théoriciens des choix publics. Ils proposent alors des moyens de remédier à ces échecs. Ils suggèrent pour cela l’application du principe de subsidiarité (ce qui pour un Etat non fédéral revient à la décentralisation). George Tullock et William Niskanen proposent également de mettre en concurrence plusieurs services publics pour augmenter les performances et l’efficacité. L’idée est en fait de rémunérer les services publics selon leurs performances, leurs succès, idée reprise par Rodney Fort et John Baden qui suggèrent la création d’un « predatory bureau » chargé de réguler les budgets des différents services selon leur réussite. Une idée plus controversée par les différents économistes des choix publics est d’établir une législation limitant les dépenses des services publics. Mais Buchanan et Tullock analysent aussi le processus des prises de décision collective. Ainsi ils cherchent à montrer qu’unedécision collective ne suit l’intérêt public que si elle est prise à l’unanimité, rejetant alors la prise de décision à la majorité. 2. Critiques et évolution La théorie des choix publics a souvent été critiquée comme une théorie conservatrice et opposée à toute intervention de l’Etat dans l’économie puisqu’elle met en exergue les carences de l’Etat et son inefficacité à corriger les imperfections du marché. Ils s’opposent alors à une vue plus interventionniste, prônée notamment par les kéneysiens. Mais certains théoriciens des choix publics prônent une intervention du gouvernement et tous ne font pas de « l’économie idéologique ». Certains se basent sur des modèles objectifs, construisant par exemple des modèles mathématiques sur les stratégies de votes (qui rappellent un peu la théorie des jeux). L’Institut de Technologie de Californie a ainsi mis en évidence l’importance de mettre en place des calendriers pour les élections ou de faire des référendums de manière à influencer le comportement des politiques et les forcer à prendre en compte toutes les options. De cette mathématisation de la théorie des choix publics est née la théorie des choix sociaux 3 MASSART TRISTAN Conférence d’économie de Sophie Harnay (avec le livre notamment de Arrow en 1951 : Social Choice and Individual Values). Le livre de Buchanan et Tullock The Calculus of Consent (1962) et notamment sa réflexion sur les processus de prise de décision ont conduits à la création d’une sous discipline de la théorie des choix publics : «constitutional economics » (=l’économie constitutionnelle) qui s’interroge sur les règles qui précèdent les prises de décisions au niveau parlementaire. Sources bibliographiques : Samuelson et Nordhaus (2004) : Economie, Economica, 16 ° édition. Jean Boncoeur et Hervé Thouément (2000) : Histoire des idées économiques, Nathan, 2° édition. Christophe Marchand (1999) : Economie des interventions de l’Etat, Que sais-je ? Jane S. Shaw: Public Choice Theory, in the Concise Encylopedia of Economics, site www.econlib.org 4