
ESH ECE 2 Camille Vernet
Nicolas Danglade 2016-2017
1.2 L’hétérogénéité des modèles sociaux nationaux en Europe : un frein à l’émergence d’une
Europe sociale
Document 10 : l’hétérogénéité des formes d’Etat-providence en Europe
La typologie des Etats Providence proposée par G.Esping-Andersen s’appuie sur une notion centrale : la dé-
marchandisation. Celle-ci consiste à réduire la dépendance des individus aux risques associés au marché, et
notamment au marché du travail.
Un régime d’Etat providence se définit donc en fonction du degré de dé-marchandisation et des modalités qu’il
utilise. G.Esping-Andersen distingue ainsi le régime libéral, le régime social-démocrate, le régime continental et
plus récemment le régime méditerranéen.
Dans le régime libéral (Grande-Bretagne), l’institution centrale reste le marché, la protection sociale est universelle,
financée par l’impôt mais la redistribution qui en découle est faible. Le niveau de dé-marchandisation est réduit.
Dans le régime social-démocrate (Danemark), où la protection sociale est aussi universelle et financée par l’impôt,
l’institution centrale est l’Etat, et la redistribution réduit fortement les inégalités. La logique de démarchandisation
est cette fois beaucoup plus recherchée.
Dans le régime continental (France, Allemagne), l’Etat est également l’institution centrale, la logique de
démarchandisation forte, mais la protection sociale passe par les cotisations sociales. Elle est donc catégorielle. Elle
fournit des revenus de remplacement et au final elle impacte peu les inégalités.
Enfin, dans le modèle familialiste (ou méditerranéen : Espagne, Grèce, Portugal), la protection sociale repose sur
les familles. Elle est donc essentiellement privée et elle n’est pas en mesure de réduire les inégalités.
Document 11 : le recul de la domination des modèles continentaux et socio-démocrates avec l’entrée des
PECO
Jusqu’aux années 2000, le poids des régimes continentaux et socio-démocrates en Europe fait que, malgré leurs
différences, les européens sont majoritairement d’accord sur l’importance de la dé-marchandisation. Que ce soit
l’Etat par le biais de l’impôt, ou les caisses d’assurances sociales par le biais des cotisations sociales, les individus
sont protégés des risques sociaux par des institutions hors marché. Il existe un consensus pour penser que la
redistribution protège les individus, même si ses conséquences sur les inégalités sont différentes entre pays
sociaux-démocrates et continentaux (l’impact sur les inégalités de revenu est plus élevée dans le régime social-
démocrate que dans le régime continental). En ce sens, on peut dire qu’il existe un modèle social européen dans
lequel l’influence des régimes libéraux ou familialistes est minoritaire.
Mais l’entrée dans la décennie 2000 met fin à ce consensus. D’une part, parce que les nouveaux pays membres
adoptent les régimes d’Etat providence qui sont les moins redistributifs : le régime libéral et le régime familialiste.
D’autre part, parce que de nombreuses réformes sont menées pour réduire la durée et le montant des prestations
sociales (réformes Hartz en Allemagne par exemple). Le centre de gravité de l’Europe sociale se déplace, ce qui
affaiblit la conception jusqu’alors dominante du modèle social européen.
En conclusion, si l’Europe sociale a toujours été annoncée, elle peine à se réaliser. Ces difficultés sont exacerbées
aujourd’hui car il n’y a plus de consensus sur les objectifs à atteindre par l’Europe sociale et parce que les Etats
continuent de défendre le maintien de la souveraineté nationale en matière fiscale et de protection sociale.
Document 12 : l’attractivité du modèle libéral chez les nouveaux Etats membres
Les travaux de Cartapanis, Koulinsky et Richez-Battesti (2005) ont montré les effets du passage à une Union à 25
sur l’hétérogénéité sociale préexistante de l’Europe. Trois lignes directrices se dégagent de leurs travaux. En
premier lieu, ces pays durablement soumis à un régime de dé-marchandisation durant la domination soviétique (…)
vont nécessairement connaître une re-marchandisation de la protection sociale (…). En second lieu, cette
reconstruction sociale ne semble pas tendre vers l’ajout d’un nouveau type de modèle social qui viendrait s’ajouter
à ceux existants. Enfin, et c’est la conclusion la plus importante, ce sont les systèmes sociaux les moins portés sur
la redistribution qui exercent la plus nette attractivité, à savoir le modèle libéral anglo-saxon et le modèle
familialiste du Sud de l’Europe. En revanche, ni le modèle social-démocrate, ni le modèle continental (en dehors de
la Slovénie) ne semblent exercer d’influence significative sur les choix sociaux de ces pays. Autrement dit, si
l’intégration européenne des PECO est à faible conséquence économique, tel n’est pas le cas dans le domaine
social. (…) En isolant davantage le modèle social-démocrate des pays du Nord de l’Europe et en affaiblissant
l’attractivité du modèle continental, les derniers élargissements ont pour effet mécanique de renforcer
l’hétérogénéité sociale de l’UE. Par extension, le déplacement du centre de gravité social vers les modèles
britannique et latin contribue à affaiblir le modèle social européen, plus tourné vers les logiques de redistribution.
Source : J.Y.Letessier, J.Silvano et R.Soin « L’Europe économique et son avenir », Cursus, 2008, p. 233-273