DROZ Bernard, La décolonisation

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DROZ Bernard, La décolonisation, La Documentation photographique, La Documentation Française,
n° 8062, mars-avril 2008
Pour commencer, il est possible avec l’auteur de définir la décolonisation. On désigne en général par là un processus
d’émancipation des colonies par rapport aux métropoles. Bernard Droz précise cette définition en voyant en elle « le
processus d’émancipation de la tutelle et de l’occupation imposées à des territoires par un Etat étranger ». Au sens plus large,
la décolonisation peut s’entendre comme l’ensemble des réponses contestataires à l’ordre colonial. Il distingue deux
« âges » dans le processus de colonisation. Le premier fait suite aux grandes découvertes. Il est mercantiliste et fondé sur
l’économie de plantation. Le second est lié à l’industrialisation.
L’intérêt majeur de la synthèse proposée par Bernard Droz réside dans la rigueur de son organisation. La structure du
développement repose sur deux axes : les causes multiples de la décolonisation et la diversité des processus qui ont
amené aux indépendances. Cette argumentation est soutenue dans la deuxième partie du recueil par des études de
documents biens choisis. C’est le principe de la collection. Les références sont en italique dans la note de lecture.
Pour commencer, l’auteur distingue les causes structurelles de celles qui sont plus conjoncturelles. Il démontre d’abord
que la colonisation porte en elle les germes du processus de décolonisation : « Par ses succès comme par ses échecs,
c'est-à-dire par ses contradictions, l’impérialisme colonial a levé des forces qui devaient tôt ou tard se retourner contre lui ».
Parmi ces forces, on peut évoquer le ressentiment et la « constitution d’une identité nationale » face à la pacification. On peut
évoquer aussi la paupérisation des masses par la mise en valeur de type colonial (La société coloniale-photo d’une rue de
Casablanca). On peut citer aussi les frustrations dues à la marginalisation des élites anciennes.
Parmi les causes conjoncturelles, il faut souligner les conséquences de la crise de 1929 qui affecte les populations et la
seconde guerre mondiale qui affaiblit les puissances coloniales.
A ce titre, les années 30 apparaissent à Bernard Droz comme un tournant dans l’Histoire coloniale. Elles correspondent à
l’apogée du fait colonial. L’Europe possède alors des empires qui s’étendent sur 56 millions de Km2 soit 42% des terres
émergées. La population de ces empires est de 680 millions d’habitants soit 31 % de la population mondiale. Sur le plan
économique, la crise 29 favorise le recentrage des économies sur les empires coloniaux. A la veille de la guerre l’empire
concourt à hauteur de 47 % des exportations britanniques. Bernard Droz parle même de rente de situation pour certaines
entreprises françaises (textile, métallurgie). Il évoque la mise en place d’une véritable « mystique impériale » entretenir à
l’occasion des grandes expositions (Exposition coloniale de1931- 9 millions d’entrées).
Les années 30 correspondent également à l’affirmation des nationalismes. C’est à ce moment là d’ailleurs que les
revendications d’abord modestes (participation des élites à la gestion des territoires) deviennent clairement
indépendantistes. Il distingue un nationalisme d’inspiration religieuse présent au Maghreb et en Indonésie, d’un second
courant libéral lié à la modernisation économique et à la promotion d’une bourgeoisie indigène. Le troisième courant est
d’inspiration communiste comme au Vietnam.
Au sujet des facteurs la décolonisation, Bernard Droz démontre qu’il est possible de la classer en opposant les causes
exogènes et endogènes. Les facteurs endogènes sont liés aux relations de plus en plus conflictuelles entre
colonisateurs et colonisés. On observe au sortir de la première guerre mondiale la généralisation d’un réflexe répressif. (Les
emprisonnements de Gandhi). Cette politique fait apparaître la contradiction entre l’idéal démocratique mis en avant par les
métropoles et la violence des persécutions contre l’opposition. Parfois des concessions sont faites : exemple, les trois India Act
(1909, 1919, 1935).
Les facteurs exogènes sont liés à un environnement de moins en moins favorable à la perpétuation du colonialisme. L’auteur
note l’impact du second conflit mondial : perte de prestige liée à la capitulation (40 pour la France, 42 pour les britanniques
à Singapour), arrivée de puissances étrangères qui s’appliquent à saper les bases de la domination de l’ancienne
métropole (Japon en Asie e, EU en Afrique du Nord), charte de l’Atlantique, mise en place de l’ONU, l’affirmation de
l’URSS et des EU (cf crise de Suez)
Au sujet des indépendances, il distingue classiquement trois phases dans le processus de décolonisation. La première est
essentiellement asiatique, la seconde africaine. La troisième phase concerne les dernières colonies africaines
dominées notamment par le Portugal et l’Afrique du Sud. Au sujet de la décolonisation africaine, l’un des intérêts de
l’ouvrage de Bernard Droz réside dans la proposition d’une chronologie plus spécifique des évènements. De 1957 à 1960,
les indépendances concernent l’Afrique occidentale, plus riche et plus « évoluée » que le reste du continent. De 1960 à 1965,
on assiste à des décolonisations plus hésitantes des possessions britanniques d’Afrique occidentale, orientale, et centrale. A
partir de 1965, tardent à venir les indépendances des colonies portugaises et sud africaine. L’auteur parle d’ailleurs de
« bastions blancs ».
A sujet de modalités de la décolonisation, Bernard Droz remet en cause « l’opposition classique entre une décolonisation
britannique qui serait assumée, négociée et pacifique et une décolonisation français plus conflictuelle et crispée ». Il
rappelle les épreuves de force britannique en Malaisie et au Kenya. Il note, cependant, qu’avec deux guerres coloniales de huit
ans chacune, « la décolonisation française a une spécificité ». Pour compléter l’approche, l’auteur fait une comparaison
remarquable entre les indépendances des Indes néerlandaises et celle de l’Indochine, en effet l’indépendance de l’Indonésie
donne lieu à deux « opérations de police » en juillet 47 et décembre 48. En réalité, on peut parler de guerres.
Au sujet du bilan de la décolonisation, BD botte en touche en évoquant « l’impossibilité de la tâche ». Il note simplement le
maintien de « confettis d’empires ». Il remarque ensuite que « l’un des héritages majeurs de la décolonisation réside dans la
distinction de deux espaces différenciés, le Nord développé, celui des anciennes puissances impériales, et un Sud
politiquement émancipé mais économiquement dépendant ». Pour finir, Il constate que la décolonisation a favorisé la
balkanisation du monde. Elle est suivie également d’une multiplication des conflits postcoloniaux (Biafra, Cachemire
Sahara espagnol).
Dans les études de documents, l’auteur propose quelques grilles d’analyse intéressantes. Au sujet de la société
coloniale, il démontre qu’elle est doublement hiérarchisée et cloisonnée. Il note les liens entre colonisation et
évangélisation. Les églises ont par ailleurs joué un rôle majeur dans la formation des élites locales. Il montre également
l’originalité des luttes pour l’indépendance indienne. La non-violence de Gandhi est démontrée à travers l’exemple de la
marche du sel. Il fait également apparaître l’habileté de la résolution Quit India qui profite de l’affaiblissement britannique
en 42 pour demander l’indépendance dès que possible tout en se rangeant du côté des forces hostiles au nazisme et au
fascisme. Il place ensuite la conférence de Bandung dans un enchaînement d’évènements de Dien Bien Phu (54) à Suez
(56).
La
description
des
indépendances marocaines et tunisiennes fait apparaître qu’elles ne sont pas que le résultat de négociations. Ainsi, la
déposition du Sultan du Maroc en 1953 est suivie de violences de part et d’autre. Au sujet de la guerre d’Algérie, Bernard
Droz note qu’il s’agit d’un triple conflit : franco-algérien, franco-français (OAS) et algéro-algérien (Massacre de MelouzaHarkis-plus de 10000 tués). Il évoque également la brutalité de la répression à Madagascar dont le bilan réel doit être
ramené à 30000 à 40000 morts (parmi lesquels figurent des victimes de la maladie et de la famine). Le passage de l’Union
française (1945) à la Communauté française (1958) est ensuite évoqué. Il montre aussi le caractère dramatique des
évènements après l’Indépendance mal préparée du Congo belge. Les deux photos parmi lesquelles figurent l’arrestation de
Patrice Lumumba permettent de rappeler que derrière les tensions sécessionnistes se cachent des enjeux économiques et
géopolitiques. Bernard Droz rappelle d’ailleurs que les interférences sont nombreuses entre décolonisation et guerre
froide. Les derniers conflits de l’Afrique australe marquent par leur durée et par leur cruauté. De fortes minorités blanches
tentent de s’y maintenir brutalement. A travers trois documents, on voit le rôle joué par l’ONU dans le processus de la
décolonisation. Au sujet du panafricanisme, il rappelle son origine américaine et sa division entre un courant progressiste
et un courant modéré. Il souligne ensuite que la charte d’Addis Abeba reconnait le caractère définitif des frontières
héritées de la colonisation. L’engagement des intellectuels français contre la colonisation est vue à travers le positionnement
différent de deux revues « Esprit » d’inspiration humaniste et chrétienne et « Les temps modernes » de Sartre plus
révolutionnaire et tiers-mondiste. A l’issue de la décolonisation, la fondation de nouveaux Etats oscille entre perpétuation des
traditions de la métropole et volonté de rupture. Au sujet de la Nouvelle Calédonie, l’opposition entre les Kanaks et
Caldoches est placée dans une longue perspective qui remonte à 1853. L’auteur fait ensuite apparaître l’importance de la
décolonisation dans le cinéma français mais aussi dans les anciennes colonies.
L’intérêt du document réside donc dans la clarté de son exposition. Elle est valorisée par une structuration apparente et par
des exemples variés. La démarche est donc suffisamment rigoureuse pour rendre compte de la diversité des processus de
décolonisation tout en proposant une approche synthétique qui ne sombre jamais dans le simplisme.
On peut peut-être reprocher à l’ouvrage de ne pas affronter frontalement la question du bilan de la décolonisation. Il est
vrai que le sujet donne lieu à de nombreuses polémiques sur les questions du développement, des mémoires coloniales et des
relations postcoloniales. A ce titre une étude critique de l’ouvrage de Daniel Lefeuvre, « Pour en finir avec la repentance
coloniale» peut s’avérer utile.
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