ni psychologiques (la spatialité enfantine)
, ni ethnologiques (l’espace du primitif). Ces descriptions
tentent, en fait, de retrouver ce que Merleau-Ponty nomme, dès la Phénoménologie, « l’ espace
originaire », qu’il associera à « l’espace naturel et primordial »
, à là « spatialité primordiale »
,
qui s’oppose à l’espace euclidien , « espace sans transcendance, réseau de droites », espace isotrope,
« forme suprême de l’objectivité en général »
, aussi éloigné de notre expérience que l’est la carte
de géographie du paysage. Cette spatialité primordiale est « toujours déjà là », inéliminable
condition de possibilité, et en ce sens « a priori
», spatialité qui s’associe à la vivante présence de
notre corps propre. La spatialité primordiale est la forme que prend notre présence au monde, forme
que fonde le corps de chair, qui seul nous permet de répondre à la question « où suis-je » ? Les
spatialités qualitatives permettent donc à Merleau-Ponty de dépasser l’ego empirique comme l’Ego
transcendantal, pour se mettre en quête de ce « troisième genre d’être », finalité de toutes les
analyses de la Phénoménologie de la perception.
C’est dire l’importance de l’espace puisque, en dernière instance, c’est par lui que nous accédons
au corps de chair, corps phénoménal, corps situé, et réalité originaire irréductible, novation propre
à l’analyse de Merleau-Ponty, qui lui permet de dépasser les classiques oppositions : empirique et
transcendantal, a priori, a postériori, corps, esprit, etc.
Cette centralité théorique de l’espace commandera, dés la Phénoménologie, un grand nombre de
réélaborations conceptuelles des dimensions spatiales : réélaboration de la notion de profondeur qui,
contre la pensée classique
, devient peu à peu, comme l’a noté R. Barbaras
, la véritable dimension
originaire, fondatrice de la largeur et de la longueur ; réélaboration de la notion de juxtaposition,
ensuite, qui progressivement se voit remplacer par le concept topologique « d’enveloppement ». En
effet, à la pure extériorité des parties entre elles (que dit la juxtaposition), Merleau-Ponty
substituera la relation d’une partie du corps à une autre, parties qui « s’enveloppent les unes les
autres »
et ne se juxtapose ni ne se côtoient. Cette omniprésence de l’espace ne fera que se
confirmer au fil des œuvres de la Prose du monde
, qui reprend en les synthétisant les analyses de
la Phénoménologie, en passant par L’œil et l’esprit qui fait de l’espace : « le chiffre par excellence
anglo-saxon doit veiller à ne pas devenir simple description de situations de parole contingentes et infinies, l’analyse phénoménologique doit
veiller à ne pas devenir déclinaison à l’infini de vécus multiples. Sans quoi, l’analyse du langage deviendrait linguistique et qui plus est
linguistique empirique (étude des contextes réels dans une langue donnée) et la phénoménologie, psychologie et, qui plus est, psychologie
empirique. C’est pourquoi Merleau-Ponty tentera au-delà des multiples « spatialités qualitatives » de trouver les « eide » propres à l’espace.
Même si c’est à Piaget et à Wallon que Merleau emprunte l’idée d’une spatialité spécifiquement enfantine très éloignée de l’expérience
adulte, voir par exemple : Psychologie et pédagogie de l’enfant, Cours en Sorbonne, 1949-1952, par exemple « chez l’adulte la spatialité serait
une série de relations, chez l’enfant l’espace est une qualité collant à l’image » p. 526, Paris, Lagrasse, 2001.
PP P.340.
PP.475.
PP 251.
C. Taylor a montré qu’on pouvait lire la Phénoménologie de la perception à partir de « l’argument transcendantal ». Dans la mesure où
Merleau-Ponty doit construire une eidétique de l’espace et non multiplier les descriptions empiriques, on peut considérer qu’il part d’un certain
nombre de vécus pour « remonter » à un « toujours déjà là », inéliminable, et en ce sens a priori, qui est condition de possibilité sans laquelle nous
ne pourrions ni penser ni même éprouver ces expériences multiples. Sur la structure de l’argument transcendantal en général et sa possible
fécondité aujourd’hui, nous nous permettons de renvoyer à notre livre Référence et autoréférence, Paris, Vrin 2006.
Voir notamment la polémique sur la largeur contre Berkeley, dans PP, 303 et sq
Il écrit : « la réflexion de Merleau-Ponty sur l’espace est toute entière concentrée sur une méditation de la profondeur » De l’être au
phénomène, 1992, p.238.
Sur l’enveloppement voir PP p. 117 et sq, 306, ou encore l’opposition p. 84 entre « l’objet qui n’a rien d’enveloppé mais est tout entier
étale » et le vécu spatial de mon corps, etc. On pourrait multiplier les citations où figure le terme « d’enveloppement », figure topologique qui
entend se substituer à l’appréhension euclidienne des objets, puisqu’elle permet de penser la distinction entre « situation » et position » : Sur la
distinction entre « la position » de la chose dans l’espace euclidien et la « situation topologique « de mon corps, voir le livre central d’ A de
Waehlens : Une philosophie de l’ambiguïté, L’existentialisme de MP, Louvain 1978 p. 119 et sq. F.D. Sebbah dans Usage contemporain de la
phénoménologie, Paris, ed. sens et Tonka, collège international de philosophie, 2008, analyse avec précision les figures spatiales utilisées par
Merleau-Ponty (enveloppement, chiasme, etc) en vue de penser la relation entre philosophie et psychologie. Dans un article de 2001, Intellectica,
2001, 1, intitulé « la constitution de la perception spatiale. Approche phénoménologique et expérimentale », il développait également cette
potentialité de Merleau-Ponty.
Gallimard, 1969 (PM), notamment p. 73 et suivantes.