édifiants quant à la situation sociale dramatique qu’a laissé cette crise : si, en 2005, le PIB avait
rattrapé son niveau de 1998, le taux de chômage était de 12%, et le taux de pauvreté de 40%.
La dévaluation du peso, finalement effectuée, a eu le mérite de desserrer l’étau autour de
l’économie argentine. Les exportations ont cependant encore beaucoup de mal à repartir.
Si la crise argentine est donc une crise conjoncturelle aux conséquences socio-
économiques graves, c’est aussi, et peut-être surtout, le reflet de la crise d’un système, celui du
régime de currency board adopté par l’Argentine en 1991. Ce régime avait été instauré après
une décennie 1980 de crise. Son but était clair : sortir l’Argentine de l’instabilité monétaire et lui
permettre de lutter plus efficacement contre les chocs extérieurs en indexant sa monnaie sur
une devise forte, le dollar américain. Déjà, en 1995, ce régime avait failli vaciller ; la crise
mexicaine cause un "effet tequila", en Argentine comme dans d’autres pays. La situation montre
que le régime monétaire en vigueur n’est adapté qu’en cas de contexte international favorable :
dès lors que l’Argentine ne bénéficie plus d’entrées massives de capitaux, son régime devient
très vulnérable, d’autant qu’aucune politique contra-cyclique n’est possible (en raison de
l’indexation stricte sur le dollar US). Mais le pays sud-américain se sort sans dommage de cette
crise mexicaine : au lieu de mettre en garde, elle aura pour effet de conforter les instaurateurs
de ce régime dans leur idée qu’il est adapté en cas de chocs défavorables.
Le retour de bâton qui a lieu en 1998 n’en est que plus fort. Pourtant l’aveuglement
continue : alors que le currency board cause clairement la récession de 1998 et la crise qui
débute, le ministre de l’économie Domingo Cavallo, qui avait instauré ce régime en 1991, refuse
d’y mettre fin et négocie avec le FMI une solution qui ne verra jamais le jour et fera même
replonger un peu plus le pays en 2002 en créant une crise bancaire. En effet, l’économie
argentine se retrouve entièrement dollarisée, la population se méfiant énormément du peso. Les
dettes sont chiffrées en dollar : quand le peso est finalement dévalué de 40%, les dettes
augmentent d’autant. D’un point de vue comptable, toutes les banques sont en faillite dans le
pays : elles ne sont que des coquilles vides, sans argent. Le risque d’hyper-inflation guette le
pays. Le gouvernement est obligé d’imposer le corralito, un décret qui limite les retraits
bancaires à une certaine somme chaque semaine et qui bloque l’épargne des Argentins pour au
moins 3 ans…Les dirigeants argentins s’efforcent de revenir à une pesification de l’économie,
c’est-à-dire de substituer le peso au dollar dans les contrats, mais la méfiance est telle que
l’entreprise s’avère très lente, le dollar restant la devise de confiance.
La politique monétaire des années 1990 a donc connu sa mise à mort au cours de cette
crise. Le débat monétaire fait rage pour savoir quelle attitude adopter désormais. C’est la consé-
quence directe de cette crise du currency board argentin : quel système lui substituer ?
Première hypothèse, la dollarisation qui permettrait de stabiliser l’économie en cas de
dévaluation suffisante du peso. Mais cette solution se heurte aux oppositions du Brésil et du
FMI. Deuxième hypothèse : la construction d’une union économique et monétaire dans le cadre
du Mercosur, sur le modèle européen. Cette fois-ci, c’est des Etats-Unis que viennent les
réticences. Troisième hypothèse : le maintien du flottement du peso, qui peut donner souplesse,
flexibilité et alimenter ainsi le moteur économique, mais qui ne peut fonctionner qu’en cas
d’attitude responsable du gouvernement argentin (et, notamment, en cas de limitations des
dépenses, donc de l’endettement). Dans tous les cas, le choix de l’une ou l’autre de ces
hypothèses ne suffira sans doute pas : une aide internationale semble essentielle, tout autant
que la stabilité politique, mais il s’agit là d’un autre problème…
Liée à la conjoncture, conséquence de la crise d’un système monétaire, la "crise
argentine" porte en fait mal son nom. Une crise connaît généralement un point d’inflexion : Or, la
dégradation continue constatée pendant près de quatre ans contraste avec ce critère. On
parlerait donc plus volontiers d’une catastrophe, plutôt que d’une crise. Car l’Argentine n’a, en
réalité, pas seulement traversé une grave crise économique et financière comme cela lui arrive
à intervalles réguliers, comme à d’autres pays. Elle a été victime d’un cadre qu’elle s’était elle-
même imposé, pensant qu’elle l’aiderait à se développer économiquement. La cause première
de cette crise est ce système. Sa conséquence première est qu’il faut lui trouver un substitut.