Baptiste Bouthier A2G3 Argumentation d’économie Séance du 18 avril : "Crise des marchés" La crise argentine : causes et conséquences La "crise argentine" est le nom donné à la récession connue par l’Argentine entre 1998 et 2002, nommée ainsi en raison du décalage criant entre cette période est celle des années 1990, théâtre d’une croissance flamboyante. Deux éléments retiennent d’entrée l’attention. D’abord, pourquoi la crise a-t-elle duré quatre longues années ? Pourquoi l’Argentine ne s’en est-elle pas sorti plus tôt ? Et ensuite, pourquoi a-t-elle connu une telle récession après des années 1990 marquées par une croissance frisant les 10% ? Deux questions qui nous conduisent à analyser causes, mais aussi conséquences immédiates et à plus long terme de cette crise. Une crise en réalité duale : il s’agit d’abord d’une crise conjoncturelle ; et ensuit et surtout, de la crise d’un système, celui du "currency board". La crise argentine apparaît d’abord comme une crise conjoncturelle : une crise due à la conjugaison d’événements pour la plupart extérieurs à l’Argentine. Dans la deuxième moitié des années 1990, différentes crises agitent plusieurs pays émergents : le Mexique en 1995 le continent asiatique en 1997, la Russie en 1998, le Brésil en 1999. Face à ces différentes crises, le dollar américain présente sa stabilité : il devient sur la scène internationale une monnaie refuge et s’apprécie. Or depuis 1991, l’Argentine s’est doté d’un "currency board" vis-à-vis des EtatsUnis : un système qui indexe le peso, la monnaie argentine, sur le dollar, selon une stricte parité 1 peso = 1 dollar. L’appréciation du dollar menace donc le change argentin. Et conduit à détériorer la compétitivité-prix des exportations argentines. L’Argentine perd ainsi ses marchés européens, qui représentaient 20% de ses exportations. Pire encore, en 1998-99, le Brésil connaît une grave crise dont il ne parvient à sortir qu’en dévaluant brutalement sa monnaie. Or, le Brésil était la destination n°1 des exportations argentines (30% de celles-ci). Le pays se retrouve étranglé. Face à cette situation déjà plus que compliquée, les spéculateurs misent sur l’abandon du currency board : l’activité économique argentine est définitivement contractée et le pays passe de la croissance à la récession, avec un taux de croissance du PIB de -3,1% en 1999. Les causes ne sont cependant pas qu’externes. Il est à noter qu’au cours des années 1990, l’Argentine s’est énormément endettée en empruntant massivement des liquidités, et en privatisant à tour de bras et un peu précipitamment des entreprises d’Etat, perdant finalement tout contrôle sur l’économie. Il est ainsi flagrant de voir le niveau qu’atteint l’évasion fiscale en Argentine : les impôts ne représentent que 2 à 3% des recettes de l’Etat, contre près de 20% en France, à titre de comparaison… L’endettement pose vite problème : les crises qui touchent les marchés émergents les uns après les autres au cours des années 1990 rendent méfiants les marchés mondiaux et font augmenter les taux de crédits de façon exorbitante. Cet endettement coûte donc de plus en plus cher, ce qui ne va que précipiter l’arrivée de la crise. Les conséquences sont évidemment dramatiques pour le pays. Le maintien de la parité entre le peso et le dollar fait plonger le pays. Chômage, sous-emploi et précarité s’accroissent ; fin 2000, le bilan est dramatique : la dette extérieure et la dette publique atteignent à elles deux plus de 50% du PNB, les investissements ont chuté de 25% en 3 ans, le PIB par habitants a régressé de 8% sur la même période, la dette extérieure atteint 153 milliards de $. Tous les voyants sont au rouge ; le ministre de l’économie, Cavallo, négocie une sortie de crise avec le Fond Monétaire International, en échange de réformes. Finalement, en décembre 2001, le FMI refuse d’accorder le prêt de 1,3 milliards de $ prévu, considérant que les réformes prévues n’ont pas été faites : il déclenche une crise bancaire qui va replonger l’Argentine un peu plus profond dans la crise… Il est d’ailleurs à noter que le FMI a là une conduite assez hypocrite : après avoir encourage la totale libéralisation de l’Argentine dans les années 1990, il refuse de l’aider au moment où ce libéralisme sauvage la plonge dans la récession… Toujours est-il que la situation sociale est catastrophique au moment où le pays sort enfin la tête de l’eau, en 2002 ; et que les conséquences se font encore sentir aujourd’hui. Personne ne consomme ni n’investit : la méfiance envers l’économie, au sein même du pays, est immense. Les chiffres, nombreux, sont édifiants quant à la situation sociale dramatique qu’a laissé cette crise : si, en 2005, le PIB avait rattrapé son niveau de 1998, le taux de chômage était de 12%, et le taux de pauvreté de 40%. La dévaluation du peso, finalement effectuée, a eu le mérite de desserrer l’étau autour de l’économie argentine. Les exportations ont cependant encore beaucoup de mal à repartir. Si la crise argentine est donc une crise conjoncturelle aux conséquences socioéconomiques graves, c’est aussi, et peut-être surtout, le reflet de la crise d’un système, celui du régime de currency board adopté par l’Argentine en 1991. Ce régime avait été instauré après une décennie 1980 de crise. Son but était clair : sortir l’Argentine de l’instabilité monétaire et lui permettre de lutter plus efficacement contre les chocs extérieurs en indexant sa monnaie sur une devise forte, le dollar américain. Déjà, en 1995, ce régime avait failli vaciller ; la crise mexicaine cause un "effet tequila", en Argentine comme dans d’autres pays. La situation montre que le régime monétaire en vigueur n’est adapté qu’en cas de contexte international favorable : dès lors que l’Argentine ne bénéficie plus d’entrées massives de capitaux, son régime devient très vulnérable, d’autant qu’aucune politique contra-cyclique n’est possible (en raison de l’indexation stricte sur le dollar US). Mais le pays sud-américain se sort sans dommage de cette crise mexicaine : au lieu de mettre en garde, elle aura pour effet de conforter les instaurateurs de ce régime dans leur idée qu’il est adapté en cas de chocs défavorables. Le retour de bâton qui a lieu en 1998 n’en est que plus fort. Pourtant l’aveuglement continue : alors que le currency board cause clairement la récession de 1998 et la crise qui débute, le ministre de l’économie Domingo Cavallo, qui avait instauré ce régime en 1991, refuse d’y mettre fin et négocie avec le FMI une solution qui ne verra jamais le jour et fera même replonger un peu plus le pays en 2002 en créant une crise bancaire. En effet, l’économie argentine se retrouve entièrement dollarisée, la population se méfiant énormément du peso. Les dettes sont chiffrées en dollar : quand le peso est finalement dévalué de 40%, les dettes augmentent d’autant. D’un point de vue comptable, toutes les banques sont en faillite dans le pays : elles ne sont que des coquilles vides, sans argent. Le risque d’hyper-inflation guette le pays. Le gouvernement est obligé d’imposer le corralito, un décret qui limite les retraits bancaires à une certaine somme chaque semaine et qui bloque l’épargne des Argentins pour au moins 3 ans…Les dirigeants argentins s’efforcent de revenir à une pesification de l’économie, c’est-à-dire de substituer le peso au dollar dans les contrats, mais la méfiance est telle que l’entreprise s’avère très lente, le dollar restant la devise de confiance. La politique monétaire des années 1990 a donc connu sa mise à mort au cours de cette crise. Le débat monétaire fait rage pour savoir quelle attitude adopter désormais. C’est la conséquence directe de cette crise du currency board argentin : quel système lui substituer ? Première hypothèse, la dollarisation qui permettrait de stabiliser l’économie en cas de dévaluation suffisante du peso. Mais cette solution se heurte aux oppositions du Brésil et du FMI. Deuxième hypothèse : la construction d’une union économique et monétaire dans le cadre du Mercosur, sur le modèle européen. Cette fois-ci, c’est des Etats-Unis que viennent les réticences. Troisième hypothèse : le maintien du flottement du peso, qui peut donner souplesse, flexibilité et alimenter ainsi le moteur économique, mais qui ne peut fonctionner qu’en cas d’attitude responsable du gouvernement argentin (et, notamment, en cas de limitations des dépenses, donc de l’endettement). Dans tous les cas, le choix de l’une ou l’autre de ces hypothèses ne suffira sans doute pas : une aide internationale semble essentielle, tout autant que la stabilité politique, mais il s’agit là d’un autre problème… Liée à la conjoncture, conséquence de la crise d’un système monétaire, la "crise argentine" porte en fait mal son nom. Une crise connaît généralement un point d’inflexion : Or, la dégradation continue constatée pendant près de quatre ans contraste avec ce critère. On parlerait donc plus volontiers d’une catastrophe, plutôt que d’une crise. Car l’Argentine n’a, en réalité, pas seulement traversé une grave crise économique et financière comme cela lui arrive à intervalles réguliers, comme à d’autres pays. Elle a été victime d’un cadre qu’elle s’était ellemême imposé, pensant qu’elle l’aiderait à se développer économiquement. La cause première de cette crise est ce système. Sa conséquence première est qu’il faut lui trouver un substitut.