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La synthèse de P. Teilhard de Chardin s’articule autour de l’identification du point Oméga
avec le Christ, Verbe incarné. Elle lui permet de montrer pourquoi le Christ dévoile le sens de
la vie et la cohérence profonde de l’évolution. Pour lui, le désir d’unité, qui habite tous les
êtres, n’a de sens ou de pertinence que dans la lumière de la Révélation chrétienne qui montre
dans le Christ l’achèvement de la création.
Les adversaires de Teilhard n’ont pas compris que Teilhard ne faisait que reprendre, là
encore, des textes de saint Paul. Le support théologique de cette identification est fourni par les
textes cosmiques de saint Paul et de saint Jean, comme le montre cet extrait de Mon Univers
(1924) : « Le Christ révélé n’est pas autre chose qu’oméga. [...] Pour démontrer cette
proposition fondamentale, il me suffira de renvoyer à la longue série de textes johanniques, et
surtout pauliniens, où est affirmée, en termes magnifiques, la suprématie physique du Christ
sur l’univers. (...) Tous se ramènent à ces deux affirmations essentielles : "In eo omnia
constant" (Col 1,17) et "Ipse est qui replet omnia" (Col 2,10, cf. Ep 4,9), de telle sorte que
"Omnia in omnibus Christus", (Col 3,11). C’est la définition même de Oméga. »
Les difficultés pour donner sens à la notion de nature cosmique du Christ expliquent
pourquoi Teilhard a privilégié le terme Oméga, tiré de l’Apocalypse de Jean. Ce terme s’inscrit
bien dans une présentation historique et une théologie du devenir. La prière eucharistique est
donc une présence du Christ en réponse à l’attente de la création. L’adoration est alors
possible. La prière s’exprime ainsi : « Vous êtes, Jésus, le résumé et le faîte, de toute perfection
humaine et cosmique. Pas un trait de beauté, pas un charme de bonté, pas un élément de force,
qui ne trouve en vous son expression épurée et son couronnement… Quand je vous possède, je
tiens vraiment ramassée en un seul objet, la réunion idéale de tout ce que l’Univers peut
donner et faire rêver. La saveur unique de votre Être admirable a si bien extrait et synthétisé
les goûts les plus exquis que la Terre contienne et suggère, que nous pouvons maintenant,
suivant nos désirs, les trouver l’un après l’autre, indéfiniment en vous, ô Pain qui renfermez
toute délectation ! » (p. 320). Remarquons que la dernière expression est une citation de la
liturgie latine de la Fête-Dieu : « Panem de caelo praestisti eis – Omne delectamentum in se
habentem ».
Cette dimension d’universalité est reprise dans le propos sur la communion : accueillir
en soi la présence du Christ pour être uni à lui. Teilhard de Chardin développe alors cette
justification : « Qu’est-ce à dire, Seigneur, sinon que par toute la largeur et l’épaisseur du
Réel, par tout son Passé, par tout son Devenir, par tout ce que je subis et tout ce que je fais,
par les servitudes, les initiatives, et l’œuvre même de ma vie, je puis vous atteindre, m’unir à
vous, et progresser indéfiniment dans cette union ! » (p. 327). Cette prière s’appuie sur un
texte des évangiles où Jésus annonce sa passion ; dans cette expression l’évangéliste Jean
utilise un procédé qui lui est familier ; il emploie un verbe qui a deux sens, le verbe élever. Le
verbe dit que Jésus sera sur la croix, élevé, exposé à la vue de la foule ; il dit aussi la
glorification et l’exaltation. La phrase rapportée par l’évangile de Jean explicite ensuite :
« élevé de terre, j’attirerai tout à moi » (Jn 12, 32). Teilhard entend le mot « tout » au sens
cosmique ; il ne s’agit pas seulement de l’humanité. Il développe le verbe attirer. Jésus n’agit
pas comme une force qui intervient mais comme celui qui attire. En allant vers lui, chaque être
réalise sa plénitude ; plus encore, c’est en réalisant sa plénitude qu’il répond à Dieu. La
quatrième partie explicite le sens de cette vision. La messe est le point de départ de l’apostolat.
C’est le sens originel du terme, missa désigne en latin l’envoi. La messe est un envoi. Telle est
la vocation du prêtre assumée par Teilhard : « Tout prêtre, parce qu’il est prêtre, a voué sa vie
à une œuvre de salut universel. S’il est conscient de sa dignité, il ne doit plus vivre pour lui,
mais pour le Monde, à l’exemple de celui qu’il est oint pour représenter. » Ce propos général
est précisé dans une vocation personnelle : « Innombrables sont les nuances de votre appel !
Essentiellement diverses les vocations !… […] Je voudrais être, Seigneur, moi, pour ma très
humble part, l’apôtre et (si j’ose dire) l’évangéliste de votre Christ dans l’Univers. – Je