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Gustave MARTELET S.J. Et si Teilhard
disait vrai… Parole et Silence, Paris,
2006, 103 p.
Le P. Gustave MARTELET a repris dans
ce livre les grands thèmes qu’il avait
développés en 2005 dans : Teilhard de
Chardin, prophète d’un Christ toujours
plus grand, Editions Lessius, Bruxelles,
2005, 280 p. « L’importance d’un tel livre
tient à la place que cet homme, jésuite et
scientifique, a su donner au Christ dans la
vision qu’il a du monde, de l’homme et de
la foi, sous la lumière de la Révélation. »
(p. 5)
Création / Evolution
« Tout en adhérant au fait de la création du
monde par la parole de Dieu, Teilhard a pu
voir dans l’évolution la seule manière
pensable dont la science permet de
comprendre le comment de cette création.
Nous pouvons donc, nous aussi, nous
approprier légitimement une telle vision,
et même l’approfondir. Nous sortirons
ainsi d’une lecture purement littérale du
récit inspiré, sans compromettre en rien la
doctrine biblique de la création. La Genèse
affirme en effet de Dieu qu’Il a créé, et
non pas comment Il a créé, si ce n’est en
« parlant ». Dès lors, en auscultant
nous-mêmes
« l’Univers
(la
face
expérimentale naturelle de Dieu…) à la
lumière actuelle de la science, nous
pouvons dire, sans nous tromper, que la
création n’est pas du tout fait, mais bien
du se faisant par le chemin d’une
évolution naturelle. C’est ce que Teilhard
exprime en disant : Dieu « fait » moins les
choses qu’il ne les « fait se faire », et
même, peut-on ajouter sans le trahir, les
laisse se faire au gré des probabilités,
sinon même du hasard. » (p. 16)
Nature et mort
« C’est un fait que Teilhard voit dans la
mort une réalité inhérente à la nature, qui
lui permet d’écrire : « Des milliers de
siècles avant qu’un être pensant
[l’homme] apparût sur notre Terre, la Vie
y fourmillait avec ses instincts et ses
passions, ses douleurs et ses morts […]
Bien avant l’Homme sur Terre, il y avait
la Mort. Et dans les profondeurs du ciel,
loin de toute influence morale de la
Terre, il y a aussi la Mort » Teilhard n’a
jamais varié sur ce point. » (p. 23)
Cela n’empêche pas Dieu de dire que
tout cela était « bon » et même « très
bon »…
« Dans sa vision de la nature soumise par
voie d’évolution au devenir, et dès lors à la
mort physique, Teilhard ne contredit donc
pas le témoignage souvent inaperçu de la
Genèse sur le caractère fini de la nature
créée par Dieu. Quant aux êtres humains
eux-mêmes, quelle que soit leur
ressemblance avec Dieu, ils ne sont pas
soustraits à une nature qui commande
leur naissance, leur histoire et leur
mort. Cependant cette nature, qui les
conditionne
aussi
radicalement,
n’empêche pas Dieu de pouvoir déclarer
que le fait qu’ils existent ainsi est, à ses
yeux de Créateur, « très bon ». » (p. 25)
Philosophie montante…
Teilhard part de la multiplicité qui inclue
la mort pour rencontrer l’Esprit unificateur
auquel participent tous les êtres. Cette
démarche peut être appelée : « union
créatrice ». En effet, « vécue par nous
comme un désordre douloureux, cette
structure de vie et de mort est en soi le
signe d’une finitude, d’un inachèvement
du monde auquel Dieu sait, dès son
dessein créateur, qu’il portera remède dans
le Christ par la Résurrection.
Si légitime que soit donc pour nous le scandale
que cette alternance de grandeur et de fragilité
qui conditionne notre histoire, puisse venir de
Dieu, on n’a pas – en vue d’innocenter Dieu – à
l’attribuer d’abord à la faute de l’homme. Tout en
reconnaissant que cette faute relève dans l’histoire,
non pas de la nature, mais de la liberté, Teilhard, il
est vrai, n’a pas été sur ce point aussi explicite qu’il
eût été souhaitable. Mais sa philosophie de « l’union
créatrice » nous permet du moins de voir dans la
mort physique un trait inhérent à notre finitude
naturelle sans avoir à l’expliquer d’abord par le
péché. » Celui-ci vient du « mauvais usage de notre
liberté », la mort faisant déjà partie de notre nature.
(p. 31)
Création, oui, mais comment ?
Teilhard se sert de ses connaissances en
paléontologie pour voir Dieu actif tout
au long de l’histoire du monde et de
l’homme. « Préhistoriquement parlant,
nous dit Teilhard, « l’homme est entré
sans bruit ». Et cependant, il a été
vraiment créé. Comme nous l’avons déjà
souligné, cette création ne fut pas l’œuvre
d’un potier à partir d’une argile de
Mésopotamie. Mais c’est bien à partir de
la matière évolutivement ouvragée
depuis des milliards d’année que
l’homme est apparu et qu’il émerge
dans la nature par voie d’évolution.
Bien plus, cette matière dont l’homme,
comme pensant, est corporellement
constitué, Teilhard à juste titre et sans
idolâtrie ose la dire « sainte ». Elle le
mérite. Raffinée en effet au cours des
millénaires par les soins de la vie, elle est
l’auxiliaire indispensable des mains
impalpables de Dieu qui, à travers elle,
se manifeste patiemment comme
Créateur de la nature, et plus encore de
l’homme au titre entièrement singulier
de l’esprit d’où surgit la conscience de
soi ». Ainsi l’homme est défini comme
« le pas de la réflexion ». (p.36)
Alors, d’où vient le mal ?
« Si les lois générales (réglant
l’apparition progressive de l’être (créé) à
partir d’un multiple inorganisé) doivent
être regardées comme des modalités
s’imposant strictement à l’action divine,
on entrevoit que l’existence du Mal
pourrait bien être, elle aussi, un
accompagnement
rigoureusement
inévitable de la Création. « Necesse est
adveniant scandala » [il faut que des
scandales arrivent, Mat. 18,7]. Nous
nous représentons souvent Dieu pouvant
tirer du néant un Monde sans douleurs,
sans fautes, sans risques, sans « casse ».
C’est là une fantaisie conceptuelle, et qui
rend insoluble le problème du Mal. Non,
faut-il dire, Dieu malgré sa puissance ne
peut pas obtenir une créature liée à lui
sans entrer nécessairement en lutte avec
du Mal », c’est-à-dire le contraire de lui,
la multiplicité inorganisée sans quoi il n’y
aurait pas de liberté. (p. 39) « Le drame
de l’Eden (…) ce serait le drame même
de toute l’histoire humaine, ramassée en
un symbole profondément expressif de la
réalité. Adam et Eve, ce sont les images
de l’Humanité en marche vers Dieu. La
béatitude du Paradis terrestre, c’est la
salut constamment offert à tous, mais
refusé par beaucoup, et organisé de telle
sorte que personne n’arrive en sa
possession que par unification de son être
en Notre Seigneur » (p. 41)
Le Christ universel : centre de gravité
existentiel de toute la création
« J’entends par Christ universel le Christ
centre organique de l’Univers entier : centre organique, c’est-à-dire auquel est
suspendu physiquement en définitivement
tout développement même naturel – de
l’Univers
entier,
c’est-à-dire
non
seulement de la Terre et de l’humanité,
mais de Sirius, d’Andromède, des Anges,
de toutes les Réalités dont nous
dépendons physiquement de près ou de
loin – de l’Univers entier, encore,
c’est-à-dire non seulement de l’effort
moral et religieux, mais également de
tout ce que suppose cet effort, à savoir de
toute croissance du corps et de l’esprit.
Ce Christ-Universel est celui que nous
présentent les Evangiles, et notamment
saint Paul et saint Jean. C’est celui dont
ont vécu les grands mystiques. Ce n’est
pas toujours celui dont s’est occupé le
plus la Théologie ». (« Note sur le Christ
Universel », 1920, IX, p. 39)
Il va donc de soi, pour Teilhard, que le Christ est
universel, c’est-à-dire que l’univers, quelles que
soient ses dimensions de profondeur et de durée, ne
se comprend que dans le Christ ». (p. 50)
Nous dans cet Univers
« La vie spirituelle à laquelle Teilhard
entend nous inviter dans Le Milieu divin
prend l’homme tout entier, dans son centre
et sa périphérie. Pour ce faire, il nous saisit
tels que nous configure le cours quotidien
de nos vies, par un double versant
d’ « activités » et de « passivités ». Hors
d’elles, en effet, notre existence n’aurait
plus de substance, ni même de visage,
quels que soient l’âge, le sexe et les états
de vie. C’est donc là que Teilhard situe le
lieu de la rencontre où Dieu nous
« divinise », selon son propre mot,
c’est-à-dire s’unit à nous et nous unit à
Lui, du sein même des efforts accomplis et
des obstacles rencontrés ». (p. 59)
Le Christ divinise nos activités
« L’intimité de notre union avec Dieu est
justement fonction de l’achèvement
précis que nous donnerons à la moindre
de nos œuvres (…) Il nous attend à
chaque instant dans l’action, dans
l’œuvre du moment. Il est, en quelque
manière, au bout de ma plume, de mon
pic, de mon pinceau, de mon aiguille, de
mon cœur, de ma pensée. C’est en
poussant jusqu’à son dernier fini naturel
le trait, le coup, le point, auquel je suis
occupé que je saisirai le But dernier
auquel tend mon vouloir profond ». (Le
Milieu Divin, 1927, IV, p. 123).
« Aussi bien, pour modeste que soit mon action, ou
de plume ou d’aiguille, son ultime grandeur est pour
ainsi dire infinie… » (p. 60)
Le Christ divinise nos passivités
Teilhard distingue les « passivités de
croissance » et les « passivités de
diminution ».
« Les passivités de croissance sont celles qui nos
stimulent. Leur symbole le plus facile à pénétrer, est
fourni à Teilhard par la montagne et par la mer, ou
plus exactement par l’alpinisme et par la natation.
Ce qui pourrait paraître une pure barrière où l’action
se consumerait en est, en fait, un soutien. Ainsi pour
Teilhard, « la Matière, ce n’est pas seulement le
poids qui entraîne, la vase qui enlise, le buisson
épineux qui barre le sentier. Prise en soi,
antérieurement à notre position et à nos choix, elle
est simplement la pente, sur laquelle on s’élève
aussi bien qu’on descend, le milieu qui supporte
aussi bien qu’il cède, le vent qui abat aussi bien
qu’il enlève » (Le Milieu Divin, 1927, IV, p. 124).
Ce que l’on éprouve d’abord comme arrêt et limite,
apparaît au contraire pour ce qu’il est vraiment : une
provocation créatrice. Créer, pour l’homme, ce n’est
pas autre chose, la plupart du temps, que transmuer
un obstacle en trophée, et un échec en tremplin pour
un nouvel élan… » (p. 64)
« Les passivités de diminution… Les plus grandes
réussites de l’existence humaine, qu’elles soient de
l’action, de la science ou même de l’amour,
contiennent toujours une part considérable de défi
douloureux… [Ainsi en est-il de la mort]. « Dans la
Mort, comme dans un océan, viennent confluer nos
brusques et graduels amoindrissements. La mort
est le résumé et la consommation de toutes nos
diminutions : elle est le mal – mal simplement
physique, dans la mesure où elle résulte
organiquement de la pluralité matérielle où nous
sommes immergés, mais mal moral aussi, pour
autant que cette pluralité désordonnée, source de
tout heurt et de toute corruption est engendrée
dans la société ou en nous-mêmes, par le mauvais
usage de notre liberté » (Le Milieu divin, 1927, IV,
p. 84). (p. 66)
Le Christ donne
signification ultime
à
la
Mort
sa
«Eh bien, dit Teilhard, le grand triomphe
du Créateur et du Rédempteur, dans nos
perspectives chrétiennes, c’est d’avoir
transformé en facteur essentiel de
vivification ce qui, en soi, est une
puissance universelle d’amoindrissement
et de diminution. Dieu doit, en quelque
manière, afin de pénétrer définitivement
en nous, nous creuser, nous évider, se
faire une place ». Outre son innovation
radicale sur le rapport de l’amour et de la
mort, cette affirmation de Teilhard rejoint
en profondeur, devant le dépassement
humainement impossible de la mort, la
certitude humainement inespérée de voir la
souffrance et la mort vaincues ». (p. 67)…
Et plus loin : «Donnez-moi quelque chose
de plus précieux encore que la grâce pour
laquelle vous prient tous vos fidèles. Ce
n’est pas assez que je meure en
communiant.
Apprenez-moi
à
communier en mourant ».
A-t-on jamais mieux exprimé, comme Teilhard le
fait ici, que la mort peut et doit devenir l’acte
d’adoration et d’amour le plus sublime et le plus
irremplaçable qui soit ? Ce qu’il dit ici, quand il
parle de la vie et de la mort, ouvre à l’humanité
contemporaine bien des perspectives inouïes… » (p.
70)
Autres nouvelles perspectives…
D’abord dans l’Eucharistie. «Lorsque le
prêtre dit ces mots : « Ceci est mon
corps », la parole tombe directement sur
le pain, et directement le transforme en
réalité individuelle du Christ. Mais la
grande opération sacramentelle ne
s’arrête pas à cet événement local et
momentané ». Par une sorte de ricochet,
ou plus encore, selon le mot de Teilhard,
par un phénomène « d’extension », ou
même peut-on dire d’expansion, le
mystère eucharistique se communique
donc spirituellement au Cosmos tout
entier : le pain et le vin n’en sont-ils pas
des fragments ? Infimes parcelles du
monde directement engagées dans le
mystère eucharistique, ils ne sont pas
isolables de la totalité cosmique à laquelle
ils appartiennent toujours. «Rien n’a
frémi, en apparence sous l’ineffable
transformation, écrit Teilhard. Et
cependant,
mystérieusement
et
réellement, au contact de la substantielle
Parole, l’Univers, immense Hostie, est
devenu Chair ». L’Eucharistie revêt ainsi,
selon les mots de Jean-Paul II, un «
caractère universel, et pour ainsi dire
cosmique. Oui, cosmique ! Car même
lorsqu’elle est célébrée sur un petit autel
d’une église de campagne, l’Eucharistie
est toujours célébrée sur l’autel du
monde ». (p. 72)
On peut s’attendre à ce que la fidélité de Teilhard à
l’Eglise soit aussi personnelle que profonde.
« Autant, je sens, dans l’Eglise, certaines
inadaptations et certaines caducités […], autant je
me reconnais impuissant, non qualifié, pour oser
l’apprécier définitivement dans ce qu’elle a de
général, ou, si vous aimez mieux, d’axial. L’Eglise
représente une canalisation tellement puissante,
tellement enracinée (dans tout le passé humain) de
ce qui est la sève morale et « sublimante » des
âmes, - elle manifeste (malgré des mesquineries
accidentelles et momentanées) une telle faculté
d’épanouir harmonieusement la nature humaine,
que j’aurais conscience d’être infidèle à la Vie si
j’essayais de lâcher un courant organique tel que
celui-là ». (p.74)
Confiant dans l’avenir de l’humanité…
Teilhard emploie plusieurs mots ou images
pour dire sa confiance dans l’avenir de
l’humanité. Il parle de « noosphère » (par
rapport à la lithosphère ou terre et à la
biosphère ou vie), de l’ « ultra-humain »
qui « est communion de personnes dont il
voit l’idéal dans la réalité même du Corps
mystique. l’Ultra-humain ainsi compris
revendique donc un type de communion
entre les hommes, dont la profondeur est
telle qu’elle suppose la présence intérieure
d’une force plus qu’humaine, et pourtant
foncièrement humanisante ». (p. 86) « Il
lui donne le nom de « Point Oméga » :
foyer
cosmique
personnalisant
d’unification et d’union ». Teilhard
éveille ainsi nos consciences, en pleine
Noosphère, à la nécessité vitale de nous
ouvrir sur Oméga. Oméga, en effet, n’est
rien d’autre pour lui que le nom du Dieu
de la Révélation en tant qu’Il se découvre
pour nous irremplaçable. Car l’amour dont
l’humanité doit vivre n’est finalement
possible et même pensable que par Lui. »
(p. 87)
Christ, Dieu et homme, homme et Dieu
« Divinisateur de sa créature dans le
Christ, Dieu se glorifie d’être, comme
l’écrit Teilhard, « endomorphisé » par elle.
Cette « endomorphisation » n’est pas pour
Dieu un acte passager, mais bien une
modalité désormais éternelle de son
identité.
Il s’agit là du « merveilleux échange », divinement
absolu, dont la liturgie de Noël nous fait nous
réjouir. Aucune nuptialité humaine, quelle que soit
la puissance de l’amour qui l’inspire, ne peut
atteindre ce qui se passe ainsi dans l’Incarnation
entre Dieu qui devient homme et l’homme qui
devient Dieu. C’est ce que Teilhard, non sans
raison, appelle « une nouvelle face de Dieu », qui
n’est autre que celle d’un amour éternel de Dieu
pour nous. Nous avons là sans aucun doute l’un
des points culminants du message le plus spirituel
et le plus profond de Teilhard…
Ainsi, celui qui a écrit «Nous avons tous besoins
d’une nouvelle face de Dieu pour adorer », peut-il
être considéré comme un homme qui disait
réellement vrai… ». (p. 98 »
(Note et appréciation du P. Martelet après
une relecture approfondie : « Un très
profond merci pour un si beau travail de
condensation fidèle »)
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