Le knowledge management Lecture par les modes managériales et agenda de recherche Nizar Mansour Assistant professor of Management Riyadh Community CollegeKing Saud University at Riyadh, Saudi Arabia E-mail: [email protected] Submitted to IBIMA 2011- Résumé L’examen de la littérature, désormais abondante, sur le management des connaissances laisse entrevoir une certaine hégémonie des approches technicistes centrées sur le recours systématique aux technologies d’information et de communication pour résoudre les problèmes de connaissances dans l’entreprise. Pour certains auteurs (Swan et ses collègues par exemple), l’enlisement techniciste du management des connaissances est la preuve irréfutable que le concept n’est que l’une de ces multiples modes managériales décrites dans la littérature par Abrahamson (1996 ; 1999). En partant des travaux de ces auteurs, notre objectif dans cette investigation théorique est de revisiter le concept de management des connaissances. Nous combinons notre revue de la littérature avec les postulats de la théorie des modes managériales pour voir en quoi le management des connaissances peut être considéré comme une mode du management. La discussion engagée permettra de définir un agenda de recherche pour le concept en question. Mots clefs : management des connaissances – modes managériales – TIC – Agenda de recherche. Le management des connaissances revisité Une approche par les modes managériales I. Introduction Nos économies sont-elles en train de rompre définitivement avec le paradigme physique et de s’orienter vers des modèles immatériels ? Sommes nous aujourd’hui membres d’une société du savoir où les transactions sociales sont majoritairement intangibles et facilitées par une infrastructure technologique colossale ? L’information est-elle aujourd’hui définitivement consacrée comme l’actif stratégique de l’entreprise ? A en croire le discours politicoéconomique et certaines statistiques, nous vivons bel et bien cette époque de l’immatériel. En sa qualité de Guru, Peter Drucker était le premier à faire l’apologie de la société du savoir. Pour plusieurs dirigeants d’entreprises, l’idée est séduisante. Elle apporte du nouveau et pourrait peut-être s’attaquer aux origines profondes de la crise des modèles de production physiques, largement centrés sur les principes de gestion fordistes et tayloriens. L’immatériel gagne du terrain et se trouve infailliblement soutenu par les nouvelles percées technologiques dans le monde. Internet et ses produits dérivés offrent en effet l’infrastructure technologique nécessaire pour permettre la circulation d’innombrables transactions informationnelles, financières, commerciales, et peut être bien aujourd’hui idéologiques. L’engouement pour l’immatériel se transforme peu à peu en un besoin urgent et croissant ressenti par les entreprises. Pour la majorité des organisations, leurs positions concurrentielles seraient aujourd’hui tributaires de leurs capacités à gérer convenablement leurs ressources immatérielles (Bassi, 1997 ; Bounfour, 2000). Les projets de management des connaissances se multiplient et suscitent un engagement acharné des décideurs dans l’entreprise. Leur objectif est de permettre une gestion optimisée des processus de création, de partage et d’utilisation des connaissances dans l’entreprise. Quinze années après ses premiers balbutiements, le management des connaissances semble aujourd’hui s’affirmer comme champ de recherche prometteur dans le domaine des sciences de gestion. En effet, plusieurs revues scientifiques européennes et nord-américaines lui ont consacré des numéros spéciaux. Des revues spécialisées ont vu le jour. Il s’agit du Journal of Knowledge Management, du Knowledge and Process Management Journal ainsi que de la revue Knowledge Acquisition. Cependant, l’examen de ces productions scientifiques laisse entrevoir une vérité. En effet, la majorité des recherches menées sur le management des connaissances s’inscrit dans un courant techniciste. L’accent y est mis sur les technologies utilisées ainsi que sur les méthodes et outils d’implantation de solutions de knowledge management. D’autre part, les premières démarches de management des connaissances ont été très rapidement prises en charge par les consultants en organisation. De tels éléments expliquent en partie pourquoi certains auteurs pensent que le management des connaissances adopte le profil d’une mode managériale éphémère. Notre objectif dans cette communication est de proposer une vision renouvelée du management des connaissances. Cette vision part des faiblesses actuelles du concept pour proposer un agenda de recherche. Un tel agenda devrait en principe élargir le champ d’occupation du thème et éviter par suite de tomber dans les travers des effets de mode en management. La communication sera organisée en deux parties. La première s’intéresse au concept de knowledge management sous une perspective des modes managériales. La seconde permet de définir un agenda de recherche susceptible d’enrichir le thème et de renforcer son influence dans le corpus et la pratique managériaux. II. Management des connaissances : une lecture par les modes managériales Le management des connaissances serait-il aujourd’hui en train d’adopter le profil d’une mode du management ? Ce qui est certain cependant, c’est que ses premières conceptualisations sont diffusées sur les ruines de deux modes précédentes : le business process reengineering et l’organisation apprenante. Pour éviter de se transformer en phénomène de mode, tout concept en gestion doit faire preuve de robustesse et de légitimité théoriques. Ainsi, il doit pouvoir être en mesure de renouveler sa propre demande dans les milieux académiques d’abord et dans ceux de l’entreprise ensuite. Notre objectif au niveau de cette partie est d’analyser la littérature sur le management des connaissances sous une perspective de modes managériales. Sans pour autant tirer des conclusions hâtives, une première lecture de la littérature nous permet en toute logique de conjecturer que le management des connaissances pourrait, à l’instar de plusieurs autres innovations managériales, disposer des propriétés d’une mode managériale. Afin de mener à bien notre investigation, nous revenons d’abord sur le concept des modes managériales pour expliquer ses origines, sa portée ainsi que ses propriétés. Dans un deuxième temps, nous discutons la littérature sur le management des connaissances à travers la notion de mode managériale. Une telle analyse devrait nous permettre de présenter dans la deuxième partie un corps de propositions qui constituera le noyau dur d’un agenda de recherche pour le thème en question. 1. Origines et manifestations des modes managériales L’avancée technologique, la mondialisation des économies, les principes du renouvellement organisationnel et tant d’autres éléments sont autant de facteurs qui précipitent la ruée des entreprises vers des modèles de mangement flexibles, autorisant l’adaptation rapide et la construction de positions concurrentielles durables. La listes des principes de management crées durant les deux dernières décennies est longue. La culture d’entreprise, les cercles de qualité, le Lean management, le customer relationship management, le Business Process Reengineering, le downsizing, la qualité totale, le juste à temps, l’entreprise qualifiante, l’entreprise apprenante, l’empowerment, le coaching, l’intelligence émotionnelle figurent comme les principales inventions managériales. Une fois leurs contextes de création ne sont plus d’actualité, ces pratiques sont relégués par les entreprises au second plan. Dans plusieurs cas, elles disparaissent progressivement pour réapparaître sous d’autres formes dans des contextes socio-économiques plus ou moins similaires. Certains chercheurs en sciences de gestion se sont intéressés aux phénomènes des modes managériales. Leur objectif était de comprendre l’origine de ces modes, leurs genèses ainsi que leurs symptômes ou manifestations. Ces modes ont été définies comme étant « des croyances collectives transitoires que certaines techniques de management sont porteuses de progrès managérial » (Abrahamson, 1996). Les auteurs sont unanimes quant au rôle prépondérant qu’exercent les gurus du management dans l’élaboration et la diffusion de ces modes. Ayant une double identité académique et de praticiens, les gurus ainsi que les consultants mettent en place de nouvelles solutions novatrices pour des problèmes de portée opérationnelle et parfois même stratégique (Fink, 2003). Leur engagement dans la promotion de ces solutions est infaillible car plus le concept est accepté dans les milieux académiques et de l’entreprise, plus ils se créent de la légitimité et s’enrichissent. Mais Kieser (1996 ; 1998) va plus loin en estimant que le développement des modes managériales se fait souvent dans le cadre de coalitions plus ou moins larges d’entreprises de conseil et d’autres parties prenantes à l’instar des maisons d’édition, des revues spécialisées, des organisateurs de conférences et parfois même de certains organismes gouvernementaux. La diffusion des modes managériales se fait généralement à travers l’utilisation d’études de cas ciblées. En analysant les cas présentés par les gurus du management, Jackson (2001) constate qu’ils sont chargés d’une rhétorique symbolique. Le choix des termes n’est pas innocent à ce stade de développement des modes du management. Les auteurs utilisent des mots fascinants, attracteurs et parfois même ambigus. Les cas reflètent souvent des succès stories qui ventent les mérites du concept à vendre. La rhétorique utilisée prend souvent une allure « manipulatoire ». Il faut dire que consultants et gurus du management sont réellement conscients des enjeux que présentent les solutions créées pour les managers sur le terrain. Ces derniers sont généralement fascinés devant ce génie créateur des gurus du management. Fink (2003) considère à ce niveau que les modes managériales permettent de résoudre des difficultés stratégiques et donnent aux managers un certain sens et repère d’orientation dans les moments des difficultés. Elles sont généralement « bien construites ; leurs protagonistes montrent leurs valeurs stratégiques à partir de succès stories tirées du terrain. Leurs structures claires permettent une prise de décision rapide et aisée (…) de telles modes réduisent la complexité du processus de résolution des problèmes dans l’entreprise puisque l’attention du manager sera portée sur l’applicabilité de cette mode dans le contexte de l’entreprise en isolant les multiples facteurs internes susceptibles de complexifier la prise de décision » (Fink, 2003 : 46-47). Au delà du rôle hégémonique des gurus du management, les modes managériales présentent certaines caractéristiques en commun. En effet, leur discours normatif leur donne un caractère de vérité absolue applicable dans tous les contextes. Ce même caractère facilite le processus de décision pour les managers aux prises avec les difficultés du terrain. D’autre part, l’intérêt pour les modes managériales suit quasiment l’allure d’une courbe sous forme de cloche. Abrahamson (1996, 1999) et Fink (2003) estiment que les modes du management ont un cycle de vie similaire à celui de tout produit ou service offert par l’entreprise. Le cycle de vie d’une mode managériale est generalement constitué de quatre phases : construction du concept, expansion, domination et enfin renonciation au concept. Dans la phase de construction, il y a d’abord formation des premières coalitions de consultants et d’institutions diverses. Certains discours commencent à préparer le terrain pour lancer la nouvelle innovation managériale. Dans la phase d’expansion, les idées clefs du concept sont largement acceptées par les entreprises. Celles-ci passent à l’action en mettant en œuvre les démarches d’implantation telles que décrites et conseillées par les créateurs du concept. La phase de domination est celle de l’exploitation des avantages tirés de la phase précédente. Il s’agit de maintenir les idées clefs tout en les renforçant par certaines modifications incrémentales. La dernière phase correspond à une renonciation au concept. Les raisons d’un tel déclin sont multiples. Par exemple, le concept peut paraître désuet. Egalement, il peut ne plus être en mesure d’expliquer et de prédire de nouveaux phénomènes organisationnels. Enfin, l’apparition d’une nouvelle mode aux frontières d’une autre peut précipiter le déclin du concept managérial. L’analyse du cycle de vie d’une mode managériale se fait souvent à la lumière des publications dans des revues et journaux spécialisés. Les chercheurs ont souvent recours à des bases de revues scientifiques. Souvent, l’analyse touche les journaux économiques de vulgarisation car les modes sont généralement diffusées à travers des canaux non académiques. L’analyse du nombre de publications dans le temps permet de voir l’évolution de l’intérêt pour le thème. Dans le cas d’une mode, la courbe trouvée suivrait l’allure d’une cloche. Elle restitue ainsi les quatre phases du cycle de vie d’une mode managériale. Les chercheurs peuvent également procéder à une lecture qualitative de la littérature pour se prononcer sur les principaux centres d’intérêt du concept objet de l’étude. Les données recueillies permettent donc une analyse spatio-temporelle de la mode managériale. Les chercheurs peuvent se prononcer sur l’ensemble des questions suivantes : le concept évolue-til au rythme d’une mode managériale ? Quelle est l’année qui correspond au lancement de la mode et quelle est l’année de son déclin ? Comment expliquer l’évolution du concept dans le temps ? Le concept évolue-t-il par exploitation ou par exploration ? Quel est l’axe de recherche dominant dans la littérature relative au concept ? 2.1 Le management des connaissances est-il une mode du management ? Le management des connaissances a été défini comme l’ensemble des pratiques et des théories qu’il y a lieu de déployer dans une organisation pour exploiter et développer les savoirs et les savoir-faire de son personnel. Pour Scarbrough et al. (1999 :18), le management des connaissances est « tout processus ou pratique visant la création, le partage et l’utilisation des connaissances afin d’autoriser l’apprentissage et la performance des organisations ». L’intérêt des entreprises pour la gestion des connaissances est de plus en plus croissant. Cependant, cet intérêt a souvent été interprété comme le produit des technologies d’information et de communication. En effet, le champ du management des connaissances s’est très vite orienté vers une approche résolument techniciste. Parce qu’elles offrent de fantastiques opportunités de stockage et de réseautage d’informations, les TIC ont été directement associées aux démarches de management des ressources immatérielles et en particulier la connaissance. Pour plusieurs auteurs, elles seraient une condition sine qua non pour toute œuvre de création de savoirs et de savoir-faire, un préalable nécessaire à tout apprentissage dans les organisations (Rondeau et al., 2001 ; Tapscott et al., 1993). Mais pour d’autres auteurs, l’orientation techniciste fragilise le management des connaissances et réduit sa marge d’apports potentiels pour l’entreprise (Swan et al., 2001 ; 2002). Dans notre analyse du management des connaissances sous une logique de mode, nous accorderons beaucoup d’intérêt à sa dimension technologique. Mais avant d’entamer une telle analyse nous pensons qu’il serait pertinent d’analyser l’apport des TIC aux démarches de management des connaissances. Sans une telle analyse, il serait difficile de porter ulterieurement un regard critique sur cette dimension techniciste. 2.1.1 Management des connaissances et TIC : une brève revue de la littérature L’émergence et le développement des technologies d’information et de communication constituent le phénomène majeur qui a affecté la vie des organisation dans ce début de millénaire (Granstrand, 1998). A l’origine de multiples transformations organisationnelles, les TIC ont révolutionné les processus d’organisation, changé les modes de travail, renforcé la collaboration inter-entreprises et refaçonné les relations et les liens sociaux. Pour certains, elles sont à l’origine du nouveau paradigme de l’immatériel et de la société du savoir. Le modèle d’organisation centré sur les notions d’emploi, de poste et d’opérations cède le pas, sous l’effet des TIC, à la proximité électronique et la collaboration virtuelle dans des espaces de travails atypiques, éclatés et nomades. Aujourd’hui, les TIC sont au centre des pratiques de gestion des connaissances. Pour les managers comme pour plusieurs chercheurs, ces nouvelles technologies sont les leviers fondamentaux de toute activité de partage des connaissances (Anand et al, 1998). Elles sont au centre des préoccupations managériales et académiques. Cet engouement pour les TIC n’est pas inexplicable. Deux raisons peuvent l’expliquer. D’abord, le champ du knowledge management s’est développé au travers de démarches pragmatiques menées par des consultants en organisation, ce qui explique la domination de la perspective techniciste (Barthèlme-Trapp et Vincent, 2001). Ensuite, une confusion conceptuelle entre les notions de connaissance et d’information est fortement observée dans plusieurs recherches. En réduisant la connaissance à l’information, certains chercheurs réduisent la gestion des connaissances à la gestion des informations. Dans cet ordre d’idées, les systèmes d’information et les bases de données deviennent d’importants moyens de gestion du savoir. Le recours aux TIC dans les démarches de gestion des connaissances se fait généralement sous le concept de système de gestion des connaissances. Un système de gestion des connaissances englobe l’ensemble des outils et systèmes d’information développés par une entreprise afin de faciliter le transfert et le partage des connaissances (Alavi et Leidner, 1999). Les recherches portant sur le rôle des TIC dans la gestion des savoirs ont deux objectifs majeurs: le premier est d’expliquer la nature des technologies les plus à mêmes de provoquer un meilleur partage des connaissances; le second est de mesurer, de manière qualitative et quantitative l’apport des TIC à la gestion des connaissances et par là même à la performance de l’entreprise. Ces deux points constituent aujourd’hui l’essentiel des recherches qui souscrivent à la dimension technologique du knowledge management. Les développements suivants permettent de revenir sur leurs principaux résultats. Dans une recherché menée auprès de 50 responsables d’entreprises ayant introduit et mis en place un système de gestion des connaissances (tel que défini ci-dessus), Alavi et Leidner (1999) ont abouti aux résultats suivants: Trois perspectives sur le knowledge management ont émergé: une perspective centrée sur l’information (les responsables pensent que le premier objectif de la gestion des connaissances est de permettre de stocker et filtrer les quantités faramineuses d’informations recueillies chaque jour), une perspective centrée sur la technologie (qui associe la gestion des connaissances à des outils technologiques : Intranets, Data warehousing, systèmes experts. Les responsables interrogés pensent même que la gestion des connaissances vise à promouvoir une infrastructure technologique puissante dans l’organisation). La dernière perspective est centrée sur la culture. Certains responsables pensent que les dimensions de la communication et de l’apprentissage sont fondamentales dans un projet de gestion des connaissances. Ce premier résultat montre l’importance que requièrent les dimensions centrées sur les technologies de l’information pour les responsables des entreprises. Les capacités clefs de gestion des savoirs sont la mise en place d’outils informatiques puissants et la sécurité des données. L’intranet représente l’outil premier de transfert et de partage des savoirs chez les entreprises interrogées. Dans l’esprit de la recherche de Alavi et Leidner (1999), Ruggles (1998) rend compte d’une recherche menée par le group Ernst & Young auprès de 413 entreprises américaines et européennes. Les résultats de la recherche montrent que les organisations enquêtées considèrent la production, l’accès aux connaissances et leur utilisation comme des préoccupations centrales. Elles utilisent toutes des moyens technologiques importants afin de réaliser leurs objectifs. L’intranet et les data warehouse sont les outils les plus utilisés. L’intranet est souvent introduit dans le but de faciliter l’accès aux connaissances et le partage des expertises. Ce système fonctionne par mot de passe pour des raisons de sécurité. Il est également interne à l’entreprise. Cependant dans certains cas, certains partenaires externes (clients et fournisseurs) sont autorisés à utiliser ces réseaux internes et bénéficier du savoir de l’entreprise. Les data warehousing ou encore les dépôts de connaissances sont des lieux de stockage des connaissances explicites des employés. L’accès à ces connaissances suppose ensuite une capacité de leur donner du sens afin de pouvoir les utiliser dans d’autres situations. C’est pourquoi les formes de data warehousing actuelles cherchent à identifier le contexte des connaissances et des expertises et de stocker ce contexte aussi. La recherche s’est également intéressée aux objectifs futurs en termes de gestion des savoirs. Selon les résultats, la priorité sera donnée à la création de moyens de travail collaboratifs. L’objectif est de mettre en réseau l’ensemble des employés et de susciter le travail en équipes. Dans cet ordre d’idée, les entreprises comptent recourir au groupware comme outil de travail collaboratif. Cet outil a toujours été considéré comme moyen de partage des idées et donc de génération de nouveaux savoirs. Il autorise une circulation des savoirs plus libre et moins formelle que les data warehousing (Ruggles, 1998). Plus récemment, Sher et Lee (2003) ont effectué une recherche dans le contexte de l’entreprise taiwanaise. La question centrale était de savoir si l’utilisation des TIC pour des fins de gestion des connaissances (identification, partage, intégration des savoirs) permettrait d’améliorer les capacités dynamiques de l’entreprise au sens de Teece et al (1997). Les résultats montrent que les TIC permettent de modérer la relation entre la gestion des connaissances et les capacités dynamiques de l’entreprise. Elles sont considérées comme variable clef dans une démarche de management des savoirs. L’approche techniciste considère que ce sont les outils et méthodes informatiques qui autorisent et permettent le développement des connaissances. Un effort de synthèse de la littérature nous permet de considérer que cette approche est représentée par trois écoles essentielles : l’école des systèmes, de la cartographie et de l’ingénierie de la connaissance. La première s’intéresse à la mise en place de systèmes formels de management des connaissances. Par la construction d’un ensemble de technologies spécifiques, elle cherche à codifier les savoirs tacites en vue de les rendre explicites et transférables. La deuxième école s’intéresse à la cartographie des savoirs. Sa finalité est « la fabrication d’une carte cognitive à partir de représentations discursives » (Cossette et al., 2003 : 37). Enfin, la troisième école s’appuie sur l’ingénierie des processus. Elle s’intéresse aux outils et mécanismes de transfert des connaissances dans l’organisation. Son but est d’établir des capacités de transfert des savoirs. L’ensemble des adeptes des écoles technicistes considère que les TIC sont essentielles pour développer des nouvelles expertises et enrichir l’intelligence individuelle et collective. Grâce à ces techniques, plusieurs avancées spectaculaires sont réalisées et la connaissance n’est plus, aujourd’hui, l’apanage des humains. « Le paradigme de l’ordinateur » selon l’expression de Varela (1989 : 12) est présentement une réalité probante. Par le biais de l’intelligence artificielle et les systèmes experts, « la machine » est de nos jours capable de simuler des raisonnements complexes et pertinents, d’accroître la connaissance et d’aider à la prise de décision (Pirat, 1987). L’idée qui sous-tend les approches technologiques du management des connaissances est qu’il est possible de construire des bases de données, des mémoires et des systèmes d’information qui fourniraient rapidement des réponses aux problèmes de l’organisation. De telles réponses sont puisées dans les bases de meilleures pratiques de l’entreprise. La construction de telles bases permet d’améliorer le benchmarking des pratiques internes gagnantes et améliore le transfert des connaissances. Le management des connaissances à dominante technologique vise donc le stockage des informations et des meilleures expertises et autorise leur utilisation rapide en cas de besoin. En guise de synthèse, le tableau suivant (tableau 1) permet de comprendre les objectifs et les processus de management des connaissances sous l’approche technologique. Tableau 1: Dimension technologique du management des connaissances (adapté de Malhotra, 1998) Le management des connaissances porte sur la recherche intelligente, la catégorisation, et l’accés aux données. Il s’agit aussi de s’assurer que les données emmagasinées sont pertinentes. En général, le management des connaissances cherche à organiser et rendre disponibles les savoir-faire importants au bon moment et au bon endroit. Ceci inclut les processus, les procédures, les références, les formules et les meilleures pratiques. Les Intranets, les groupware, les data warehouse, les réseaux…sont autant d’outils technologiques qui autorisent la distribution de l’intelligence dans l’organisation. Le knowledge management est défini comme le processus de collecte, d’organisation, de classification et distribution des informations dans l’organisation. C’est l’identification des types de connaissances nécessaires pour la stratégie d’ensemble et le renouvellement des bases de connaissances obsolètes. C’est l’organisation et l’analyse des informations stockées dans les bases de données de l’entreprise pour faciliter le transfert et le partage dans toute l’organisation. Cartographier les sources d’informations et de connaissances, former les utilisateurs à la manipulation des cartes de connaissances. 2.1.2 Management des connaissances et effets de mode : lecture critique de la littérature Les travaux de Swan et ses collègues (Swan, Newell, Scarbrough et Hislop, 1999 ; Swan, Newell et Robertson, 2000 ; Swan, Robertson et Brensen, 2001) ont été une occasion renouvelée pour insister sur l’idée que le champ du management des connaissances est en train d’adopter le profil d’une mode managériale. Les analyses menées par ces auteurs n’ont pas trouvé d’échos dans la communauté de chercheurs en knowledge management. Les articles publiés par ces auteurs sont en effets rarement cités dans les travaux actuels. Leur discours semble indisposer « les gardiens du temple », en l’occurrence les gurus développeurs du concept et les consultants, principaux bénéficiaires de ses démarches. Continuer à faire la sourde oreille risque cependant d’enliser la recherche sur le management des connaissances dans une logique « utilitariste et techniciste » réductrice. Il y a fort à parier qu’une analyse en termes de modes managériales pourrait faire avancer notre compréhension des questions de connaissance dans l’entreprise. Notre objectif dans cette section est d’examiner la littérature sur le management des connaissances sous les hypothèses de la mode managériale. Pour mener à bien cette mission, nous distinguons trois éléments d’analyse : le poids des gurus, le phénomène de colonisation et enfin l’équilibre entre l’exploitation et l’exploration. Il faut insister ici sur l’idée que cette analyse ne nous permettra pas d’émettre un avis définitif et irréversible sur la nature « mode » du concept en question. Elle nous permettra tout simplement de reconnaître son degré de proximité par rapport aux modes du management et d’en déduire les implications nécessaires pour la recherche et la pratique. A. Le poids des gurus dans le management des connaissances Les premières conceptualisations du management des connaissances ont été introduites par les deux chercheurs japonais Nonaka et Takeuchi. Avant de publier leur fameux livre sur l’entreprise créatrice du savoir, Nonaka a publié deux articles de portée théorique assez intéressante sur les mécanismes de création des connaissances dans l’entreprise. L’introduction du concept de management des connaissances s’est faite aux frontières d’un concept qui a déçu par sa rigidité théorique et son impossible opérationnalisation. Il s’agit de l’organisation apprenante. L’analyse du discours proposé par Nonaka et Takeuchi (1995) dans leur livre montre l’importance de la rhétorique dans la diffusion du concept. La notion de connaissance tacite, pilier fondamental du concept, séduit les managers par sa complexité, son ambiguïté et son caractère fluide, insaisissable, voire philosophique1. Dans les premiers développements du concept, les systèmes de management japonais et parfois même la culture sociétale japonaise sont systématiquement mis en comparaison avec les systèmes nordaméricains et européens. L’idée est de créer chez les entreprises occidentales (cartésiennes) ce besoin de gérer convenablement la connaissance tacite en revenant aux recettes développées par les gurus japonais. Dans les travaux des auteurs, certaines métaphores sont utilisées pour renforcer le coté symbolique du concept chez les managers. L’image de l’équipe de rugby ou du boulanger japonais sont autant d’instruments de « séduction et d’emprise » utilisés par les deux auteurs pour mieux vendre le concept et l’ancrer dans le contexte de l’entreprise occidentale. Au delà de l’influence exercée par Nonaka et Takeuchi, il y a lieu de noter l’importance des contributions des deux consultants américains Davenport et Prusak. Reprenant les théories développées par les deux auteurs japonais, ils publient en 1995 leur premier livre sur le management des connaissances. Le livre est fait de cas d’entreprises, de succes stories qui offrent une véritable « boite à outils » pour les managers dans l’entreprise, ceux qu’ils appellent désormais les gestionnaires des connaissances. Les auteurs avancent l’idée que l’entreprise doit être conçue comme un marché de connaissances. Ils développent des mécanismes permettant une meilleure gestion des transactions immatérielles dans l’entreprise. Un lecteur avisé verra dans certains concepts et idées une tentative d’exercer une emprise sur les managers. Les termes utilisés sont séducteurs. Ils permettent aux managers de rêver et d’accepter facilement les solutions présentées par les auteurs. Enfin, il convient de noter la contribution de Peter Drucker qui n’hésitait pas à parler de la société du savoir alors que le paradigme physique des organisations était en pleine crise. Sous cette logique, il a développé le concept de travailleur du savoir (knowledge worker). Pour Drucker, le knowledge worker est le véritable créateur de richesse dans les organisations modernes. Le concept de knowledge worker, bien que séduisant, éprouve d’énormes difficultés à s’affirmer en tant qu’identité professionnelle stable et précise. 1 Dans un article intéressant, Donaldson (2001) critique le recours abusif au concept de connaissance tacite et pense que ses adeptes sont tombés dans une vision magique et romantique des organisations qui doivent être analysées avant tout comme des entités rationnelles. B. Le phénomène de « colonisation » Dans deux recherches successives, Swan, Newell et Robertson (2000) et Swan, Robertson et Brensen (2001) ont analysé la littérature sur le management des connaissances et l’ont comparée à celle relative à l’apprentissage organisationnel. Les résultats auxquels aboutissent les auteurs confirment notre idée selon laquelle le champ du knowledge management est envahi par des approches centrées sur les technologies et les systèmes d’information. Les auteurs trouvent que le domaine du management des connaissances devient depuis 1996 un sujet de publication fortement sollicité avec plus que 150 articles publiés en 1998. Parallèlement à cette ascension, le domaine de l’organisation apprenante connaît une baisse notoire de la quantité d’articles publiés. Les publications passent en effet de 95 articles publiés en 1995 à moins de trente publiés en 1998. Cette baisse peut être expliquée en partie par le fait que l’intérêt des chercheurs s’est orienté vers le management des connaissances. Les résultats les plus importants sont relatifs aux centres d’intérêt des chercheurs sur le management des connaissances (les publications parues en 1998). Toujours dans une perspective de comparaison avec l’organisation apprenante (les publications parues en 1993), les auteurs ont mis en évidence les différences fondamentales entre les préoccupations de chaque communauté de chercheurs. Le tableau suivant reprend les résultats de ces recherches. Tableau 2: le phénomène de colonisation en management des connaissances (adapté de Swan et al., 2000) Thèmes de l’organisation Nombre apprenante (1993) Prescriptions managériales générales Formation Qualité et MQT Leadership Ressources humaines Systèmes d’information, NTIC Contexte sociétal % 17 39 7 6 4 3 2 16 14 9 7 5 2 5 Thèmes du management Nombre des connaissances (1998) Technologies de l’information Systèmes d’information Management stratégique Ressources humaines Consulting Autres: comptabilité, marketing…etc. % 73 40 51 35 9 8 8 28 19 5 4 4 Alors que l’axe des TIC et des systèmes d’information ne concerne que 5% de la littérature sur l’organisation apprenante, ce même axe s’accapare 70% des publications dans le domaine du management des connaissances. Ceci montre à quel point ce domaine de recherche se développe au rythme des nouvelles technologies. Ceci a pour corrolaire la négligence de la dimension humaine du management des connaissances. Le tableau montre bien que l’approche TIC affaiblit l’importance de la GRH dans la conduite d’une démarche de knowledge management. En effet, l’axe humain ne mobilise que 5% des recherches en 1998. Peut-on conclure que la dimension humaine et technologique sont mutuellement exclusives? En effet, et sans fournir des réponses hâtives, nous pensons que la faiblesse des approches humaines, et sociales de manière générale, est expliquée par la représentation même de la notion de connaissance: peu d’attention est en effet accordée à la dimension sociale du savoir et aux mécanismes humains et sociaux de création des connaissances. L’approche “traitement d’information” domine les représentations actuelles de la notion de connaissance (Malhotra, 1998). Swan et al (2000; 2001) réfèrent à cette situation par le concept de colonisation. En effet, la communauté de chercheurs en TIC/SI colonise le terrain de recherche et essaye de perpétuer sa propre logique. De plus, il semble qu’il y ait conflit entre les discours des différentes communautés de recherche (TIC, GRH, stratégie, comptabilité…); peu de perspectives communes et intégratives sont ainsi proposées dans la littérature (Swan, Robertson et Brensen, 2001). Selon ces auteurs, la colonisation du knowledge management par la communauté technologique est l’un des signaux forts que le champ ne peut pas évoluer, vu les insuffisances inhérentes aux TIC. C’est d’ailleurs l’une des raisons fortes pour laquelle certains commencent à voir le management des connaissances comme une mode managériale éphémère (Swan, Robertson et Brensen, 2001). C. Exploitation versus exploration Les notions d’exploitation et d’exploration sont empruntées ici aux travaux de James March sur l’apprentissage organisationnel (March, 1991). Selon March, l’idéal dans toute situation d’apprentissage est de trouver un équilibre entre les activités d’exploitation et celles d’exploration. L’exploitation renvoie à l’utilisation des modes de pensée et d’action déjà en place dans l’entreprise tout en introduisant des modifications mineures. Il s’agit donc d’activités essentiellement adaptatives. L’exploration a trait à la découverte de nouvelles théories dans l’entreprise. Elle permet de questionner les présupposés centraux de l’organisation pour proposer de nouvelles manières de penser et d’agir. Contrairement à l’exploitation qui préfère garder un ordre bien établi, l’exploration est une activité déstabilisante. A long terme, elle permet le renouvellement de l’entreprise et améliore ses performances. Appliquées aux concepts managériaux, les notions d’exploitation et d’exploration sont pertinentes pour saisir la logique de développement du concept. Il est évident que plus un concept tend à évoluer par exploitation, plus il se rapproche du phénomène de mode. L’évolution par exploration signifie que le concept se crée de nouvelles passerelles et se développe dans une logique de recherche scientifique et non dans une logique instrumentale. Pour pouvoir se prononcer sur la situation du concept de management des connaissances, il est intéressant de voir les premiers développements du concept ainsi que ses développements actuels. Evidement, un avis définitif sur le concept doit être étayé par une analyse statistique rigoureuse et exhaustive de l’ensemble de la littérature. Dans cette communication, nous nous contentons des quelques remarques suivantes : Le management des connaissances est toujours fidèle à sa tradition techniciste. En effet, le thème est repris par la communauté des chercheurs en systèmes d’information. Il n’est pas étonnant aujourd’hui de voir que la majorité des articles publiés dans des revues comme Information and Management, Information and Organization ou encore International Journal of Information Management, traite du management des connaissances. Quelques concepts sont venus se greffer sur la notion de management des connaissances. Il s’agit par exemple de la notion de « mémoire organisationnelle ». Encore, l’analyse de la littérature montre que la « mémoire » est analysée souvent dans une approche systèmes d’information. Peu d’attention est accordée aux variables structurales, psychologiques ou culturelles. Une telle situation est symptomatique d’évolution par exploitation. Le thème semble s’ouvrir sur des concepts voisins mais sans pour autant perdre son noyau dur. Enfin, certains indices montrent que le thème est susceptible d’évoluer par exploration. Le « courage » de certains auteurs2 a permis d’intégrer des variables nouvelles dans l’analyse du management des connaissances. Les perspectives sont différentes. Elles sont sociologiques, économiques et managériales. Des éléments comme la théorie de la firme basée sur la connaissance (Knowledge-Based Theory of the Firm), le caractère constructiviste de la connaissance, le poids du pouvoir et de la culture ou encore l’importance des dispositifs de GRH viennent déstabiliser le « confort » techniciste du concept pour jeter les bases d’une nouvelle manière de penser et de gérer le savoir dans l’organisation. III. Management des connaissances : un agenda de recherche Le champ du management des connaissances serait-il en train de se comporter comme une mode managériale éphémère ? L’analyse de la littérature sous la perspective des modes managériales ne nous permet pas d’être concluants sur cette question. D’une part, la littérature semble verser dans une logique techniciste réductrice colonisée par une communauté de consultants en systèmes d’information ; de l’autre, certaines recherches commencent à défier la littérature en place pour ouvrir autant que faire se peut le champ du possible. Notre objectif dans cette dernière partie est de présenter un agenda de recherche pour le concept étudié. Cet agenda partira des faiblesses mentionnées du concept pour proposer de nouveaux axes de recherche susceptibles d’enrichir nos perspectives d’analyse sur le management des connaissances. Sans pour autant prétendre à l’exhaustivité, il est possible de résumer les principaux défis du champ du management des connaissances dans les quatre points suivants : redéfinir la connaissance, la dimension stratégique du management des connaissances, la dimension sociale du management des connaissances et enfin le renforcement de la théorie de la firme basée sur la connaissance (Knowledge-Based Theory of the Firm). 1. Redéfinir la connaissance Une lecture critique de la littérature révèle une confusion conceptuelle entre la connaissance et l’information. Une telle confusion est à l’origine de l’émergence et du développement des approches centrées sur les technologies d’information et de communication. Nous pensons qu’il est à la fois impératif et urgent de redéfinir le concept de connaissance. Nous proposons d’opter pour une approche constructiviste de la connaissance qui considère le savoir, non comme une information prédéfinie et garantie, mais comme un construit social en émergence continue et produit de l’interaction sociale entre les différents acteurs de l’organisation. Une approche constructiviste permettra de couper avec les solutions technologiques et faciles du knowledge management. Elle supposera que la connaissance n’est pas une donnée définitivement vraie et correcte. Elle est plutôt une croyance acceptée et construite par des acteurs interagissant dans un contexte particulier. Ces acteurs apportent de la complexité à la situation d’interaction. Cette complexité tient à leurs hypothèses antérieures, leurs attentes, leurs expériences et leurs dispositions (Berger et Luckmann, 1966). Sous la logique constructiviste, la connaissance serait une construction sociale toujours inachevée, en quête de devenir. Les travaux de Tsoukas et Vladimirou nous seront utiles à ce niveau. Les deux auteurs affirment à cet effet “…It is the open-endedness of the world that gives raise to new Je fais ici allusion aux travaux célèbres de Tsoukas (1996, 1998), d’Alvesson et ses collègues (1993 ; 1995 ; 2001) et de Swan et ses collègues (1999 ; 2000 ; 2001). 2 experience and learning and gives knowledge its not-as-yet-formed character” (Tsoukas et Vladimirou, 2001: 989). Une vision constructiviste de la connaissance doit mettre en lumière son caractère dynamique et fluctuant. La connaissance n’est donc pas un stock figé et pre-défini. C’est un flux dynamique en construction et enrichissement permanents. Une telle assertion établit une ligne de démarcation entre les concepts de connaissance et d’information. Egalement, une telle épistémologie suppose que la connaissance est inextricablement liée aux processus et aux structures sociales d’apprentissage. De plus en plus, nous devons nous intéresser au concept de communautés de pratiques développé dans le cadre des travaux sur l’apprentissage organisationnel. Ces communautés sont des lieux de construction et de développement des savoirs. Dans ces communautés sociales, une attention particulière doit être accordée à la communication et à la création de sens (sensmaking). Enfin, nous croyons que la construction des connaissances est fondée sur des contingences locales et contextuelles. Une approche constructiviste doit souligner à la fois l’encastrement social (social embeddedness) et le caractère distribué du savoir. Nous devons donc recourir aux travaux de Grannovetter (1992) sur l’encastrement social pour mieux comprendre les contextes d’application du management des connaissances. 2. La dimension stratégique du management des connaissances Il est primordial que la réflexion sur le management des connaissances glisse d’une logique instrumentale guidée par les TIC vers une logique de réflexion stratégique qui prendrait en charge l’analyse du rôle des dispositifs de management des connaissances dans les manœuvres stratégiques de l’entreprise. Aujourd’hui, le champ du management stratégique est en train d’évoluer vers des approches dites centrées sur la compétence. De telles approches dynamiques considèrent que la connaissance est l’une des ressources rares, inimitables, non substituables et de valeur pour l’entreprise (Barney, 1991). Partant de là, les dispositifs de management des connaissances doivent entre intégrés dans une stratégie globale de compétition centrée sur les ressources immatérielles. Rares sont aujourd’hui les articles qui analysent la relation entre le management des connaissances et la performance de l’entreprise. Les discours se rapportant à cette problématique restent essentiellement de portée générique, faisant partie du domaine du bon sens plus que du domaine du réel et validé. Comme noue le montrerons au niveau du point suivant, la base théorique nécessaire à cette intégration est en train de se développer. Il y a convergence totale entre les développements actuels dans le champ du management stratégique et ceux relatifs au management des connaissances. La communauté des chercheurs soit s’intéresser de plus en plus à l’analyse de cette relation. 3. La dimension sociale du management des connaissances Définir la connaissance comme construit social appelle à prendre plus de conscience du phénomène social du management des connaissances. La dimension sociale doit focaliser sur les processus sociaux à partir desquels les travailleurs du savoir construisent la connaissance de l’organisation. Le travail en communautés étant la caractéristique fondamentale des organisations apprenantes, il s’agit de s’interroger sur les mécanismes sociaux qui permettent l’intégration des savoirs individuels et la construction de représentations collectives. Dans une communauté de pratique, deux conditions fondamentales doivent co-exister : la confiance et la coopération. La confiance renforce l’esprit positif dans le groupe et accélère le décloisonnement des barrières affectives et mentales. Elle permet d’éviter l’hostilité et les comportements individualistes. La confiance interpersonnelle est fondamentale surtout quand la communauté est composée d’individus qui ne partagent pas les mêmes registres professionnels. Elle cimente le groupe et suscite un intérêt pour la fertilisation croisée des perspectives et des idées. Au contraire, un climat de méfiance ne fait que bloquer les contributions des individus et instaure une hostilité mutuelle. A partir de la, chercheurs comme praticiens doivent accorder davantage d’attention aux mécanismes de formation de la confiance dans une population de travailleurs du savoir. Quelques recherches commencent aujourd’hui à s’attaquer à cette problématique (Politis, 2003). Elles ne peuvent qu’améliorer notre compréhension de la dimension sociale du management des connaissances. Un effort particulier doit être également entrepris pour comprendre les décisions de coopérer ou non dans un groupe de travail. Le problème se pose réellement dans le management des connaissances car plusieurs entreprises souffrent des problèmes de rétention d’informations et d’expertises. Dès lors, il convient de comprendre les conditions qui permettent d’instaurer un climat de coopération dans l’entreprise sans pour autant tomber dans une vision idyllique des organisations. Les chercheurs auront certainement besoin de recourir aux travaux sociologiques sur la notion de pouvoir, de culture ou encore à des travaux sur la psychologie dans le travail. Le management des connaissances doit alors s’enrichir des concepts empruntés des différents domaines des sciences sociales. 4. Le renforcement de la théorie de la firme basée sur les connaissances (KBT) Pour éviter les travers des effets de mode en gestion, le concept de management des connaissances doit s’appuyer sur une théorie rigoureuse. Aujourd’hui, les chercheurs dans le domaine du management stratégique sont en train de développer, non sans difficultés, une nouvelle théorie de la firme basée sur les connaissances. Cette théorie est le prolongement des premiers travaux de Penrose sur le développement de la firme et des développements contemporains sur l’approche par les ressources. Les premières conceptualisations de la théorie de la firme basée sur les connaissances ont pris lieu depuis 1992, date de publication des premiers travaux fondateurs de Bruce Kogut et Udo Zander sur la question. Les développements théoriques qui s’en suivaient ont investi les trois questions fondamentales quand il s’agit d’une théorie de la firme: L’existence de la firme (pourquoi la firme existeelle?), les limites de la firme (quelles sont les frontières de la firme?) et la structuration interne (Quels sont les mécanismes de structuration et d’organisation internes à l’organisation?). Le développement de la théorie donnera certainement une assise théorique importante pour appréhender avec plus d’acuité la problématique de la connaissance dans l’entreprise. Il est donc urgent qu’un tel axe de recherche soit investi par les chercheurs sur le management des connaissances. IV. Conclusion L’objectif de cette communication était de porter un regard critique sur le concept de management des connaissances. Aujourd’hui, ce concept occupe de plus en plus une place centrale dans les discours managériaux. Mais en dépit de cette centralité, les théories et les pratiques développées par les entreprises s’enlisent dans une logique techniciste réductrice. Aux dires de plusieurs auteurs, une telle orientation révèle que le thème adopte le profil d’une mode managériale passagère. L’analyse faite dans cette investigation s’appuie sur une perspective par les modes managériales. En utilisant les postulats de cette perspective, nous avons essayé de décrypter les mécanismes du phénomène de mode dans le concept de management des connaissances. L’analyse révèle qu’il y a bel et bien une certaine orientation vers le phénomène de mode. Le poids des gurus du management, le phénomène de colonisation et enfin le fait que le champ évolue par logique d’exploitation et non par exploration sont autant de signes relevés dans la littérature et qui nécessitent une lecture plus critique du concept. Partant de là, nous avons établi un agenda de recherche pour le concept en question. Les quatre axes de recherche retenus dans cette perspective permettront certainement d’élargir le champ d’investigation en management des connaissances et par là même de renforcer son rôle dans le développement des organisations. Bibliographie Alavi, M. & Leidner, D., (1999), «Knowledge management systems: Emerging views and practices from the field », Proceedings of the 32nd Hawaii International Conference on System Sciences. Alvesson, M., (1993), « Organizations as rhetoric: knowledge-intensive firms and the struggle with ambiguity », Journal of Management Studies, Vol. 30, pp. 997-1016. 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