Le knowledge management
Lecture par les modes managériales et agenda de recherche
Nizar Mansour
Assistant professor of Management
Riyadh Community College-
King Saud University at Riyadh, Saudi Arabia
Submitted to IBIMA 2011-
Résumé
L’examen de la littérature, désormais abondante, sur le management des connaissances laisse
entrevoir une certaine hégémonie des approches technicistes centrées sur le recours
systématique aux technologies d’information et de communication pour résoudre les
problèmes de connaissances dans l’entreprise. Pour certains auteurs (Swan et ses collègues
par exemple), l’enlisement techniciste du management des connaissances est la preuve
irréfutable que le concept n’est que l’une de ces multiples modes managériales décrites dans
la littérature par Abrahamson (1996 ; 1999). En partant des travaux de ces auteurs, notre
objectif dans cette investigation théorique est de revisiter le concept de management des
connaissances. Nous combinons notre revue de la littérature avec les postulats de la théorie
des modes managériales pour voir en quoi le management des connaissances peut être
considéré comme une mode du management. La discussion engagée permettra de définir un
agenda de recherche pour le concept en question.
Mots clefs : management des connaissances modes managériales TIC Agenda de
recherche.
Le management des connaissances revisité
Une approche par les modes managériales
I. Introduction
Nos économies sont-elles en train de rompre définitivement avec le paradigme physique et de
s’orienter vers des modèles immatériels ? Sommes nous aujourd’hui membres d’une société
du savoir les transactions sociales sont majoritairement intangibles et facilitées par une
infrastructure technologique colossale ? L’information est-elle aujourd’hui définitivement
consacrée comme l’actif stratégique de l’entreprise ? A en croire le discours politico-
économique et certaines statistiques, nous vivons bel et bien cette époque de l’immatériel. En
sa qualité de Guru, Peter Drucker était le premier à faire l’apologie de la société du savoir.
Pour plusieurs dirigeants d’entreprises, l’idée est séduisante. Elle apporte du nouveau et
pourrait peut-être s’attaquer aux origines profondes de la crise des modèles de production
physiques, largement centrés sur les principes de gestion fordistes et tayloriens.
L’immatériel gagne du terrain et se trouve infailliblement soutenu par les nouvelles percées
technologiques dans le monde. Internet et ses produits dérivés offrent en effet l’infrastructure
technologique nécessaire pour permettre la circulation d’innombrables transactions
informationnelles, financières, commerciales, et peut être bien aujourd’hui idéologiques.
L’engouement pour l’immatériel se transforme peu à peu en un besoin urgent et croissant
ressenti par les entreprises. Pour la majorité des organisations, leurs positions concurrentielles
seraient aujourd’hui tributaires de leurs capacités à gérer convenablement leurs ressources
immatérielles (Bassi, 1997 ; Bounfour, 2000). Les projets de management des connaissances
se multiplient et suscitent un engagement acharné des décideurs dans l’entreprise. Leur
objectif est de permettre une gestion optimisée des processus de création, de partage et
d’utilisation des connaissances dans l’entreprise.
Quinze années après ses premiers balbutiements, le management des connaissances semble
aujourd’hui s’affirmer comme champ de recherche prometteur dans le domaine des sciences
de gestion. En effet, plusieurs revues scientifiques européennes et nord-américaines lui ont
consacré des numéros spéciaux. Des revues spécialisées ont vu le jour. Il s’agit du Journal of
Knowledge Management, du Knowledge and Process Management Journal ainsi que de la
revue Knowledge Acquisition. Cependant, l’examen de ces productions scientifiques laisse
entrevoir une vérité. En effet, la majorité des recherches menées sur le management des
connaissances s’inscrit dans un courant techniciste. L’accent y est mis sur les technologies
utilisées ainsi que sur les méthodes et outils d’implantation de solutions de knowledge
management. D’autre part, les premières démarches de management des connaissances ont été
très rapidement prises en charge par les consultants en organisation. De tels éléments
expliquent en partie pourquoi certains auteurs pensent que le management des connaissances
adopte le profil d’une mode managériale éphémère.
Notre objectif dans cette communication est de proposer une vision renouvelée du
management des connaissances. Cette vision part des faiblesses actuelles du concept pour
proposer un agenda de recherche. Un tel agenda devrait en principe élargir le champ
d’occupation du thème et éviter par suite de tomber dans les travers des effets de mode en
management. La communication sera organisée en deux parties. La première s’intéresse au
concept de knowledge management sous une perspective des modes managériales. La
seconde permet de définir un agenda de recherche susceptible d’enrichir le thème et de
renforcer son influence dans le corpus et la pratique managériaux.
II. Management des connaissances : une lecture par les modes managériales
Le management des connaissances serait-il aujourd’hui en train d’adopter le profil d’une
mode du management ? Ce qui est certain cependant, c’est que ses premières
conceptualisations sont diffusées sur les ruines de deux modes précédentes : le business
process reengineering et l’organisation apprenante. Pour éviter de se transformer en
phénomène de mode, tout concept en gestion doit faire preuve de robustesse et de légitimité
théoriques. Ainsi, il doit pouvoir être en mesure de renouveler sa propre demande dans les
milieux académiques d’abord et dans ceux de l’entreprise ensuite. Notre objectif au niveau de
cette partie est d’analyser la littérature sur le management des connaissances sous une
perspective de modes managériales. Sans pour autant tirer des conclusions hâtives, une
première lecture de la littérature nous permet en toute logique de conjecturer que le
management des connaissances pourrait, à l’instar de plusieurs autres innovations
managériales, disposer des propriétés d’une mode managériale. Afin de mener à bien notre
investigation, nous revenons d’abord sur le concept des modes managériales pour expliquer
ses origines, sa portée ainsi que ses propriétés. Dans un deuxième temps, nous discutons la
littérature sur le management des connaissances à travers la notion de mode managériale. Une
telle analyse devrait nous permettre de présenter dans la deuxième partie un corps de
propositions qui constituera le noyau dur dun agenda de recherche pour le thème en question.
1. Origines et manifestations des modes managériales
L’avancée technologique, la mondialisation des économies, les principes du renouvellement
organisationnel et tant d’autres éléments sont autant de facteurs qui précipitent la ruée des
entreprises vers des modèles de mangement flexibles, autorisant l’adaptation rapide et la
construction de positions concurrentielles durables. La listes des principes de management
crées durant les deux dernières décennies est longue. La culture d’entreprise, les cercles de
qualité, le Lean management, le customer relationship management, le Business Process
Reengineering, le downsizing, la qualité totale, le juste à temps, l’entreprise qualifiante,
l’entreprise apprenante, l’empowerment, le coaching, l’intelligence émotionnelle figurent
comme les principales inventions managériales. Une fois leurs contextes de création ne sont
plus d’actualité, ces pratiques sont relégués par les entreprises au second plan. Dans plusieurs
cas, elles disparaissent progressivement pour réapparaître sous d’autres formes dans des
contextes socio-économiques plus ou moins similaires.
Certains chercheurs en sciences de gestion se sont intéressés aux phénomènes des modes
managériales. Leur objectif était de comprendre l’origine de ces modes, leurs genèses ainsi
que leurs symptômes ou manifestations. Ces modes ont été définies comme étant « des
croyances collectives transitoires que certaines techniques de management sont porteuses
de progrès managérial » (Abrahamson, 1996). Les auteurs sont unanimes quant au rôle
prépondérant qu’exercent les gurus du management dans l’élaboration et la diffusion de ces
modes. Ayant une double identité académique et de praticiens, les gurus ainsi que les
consultants mettent en place de nouvelles solutions novatrices pour des problèmes de portée
opérationnelle et parfois même stratégique (Fink, 2003). Leur engagement dans la promotion
de ces solutions est infaillible car plus le concept est accepté dans les milieux académiques et
de l’entreprise, plus ils se créent de la légitimité et s’enrichissent. Mais Kieser (1996 ; 1998)
va plus loin en estimant que le développement des modes managériales se fait souvent dans le
cadre de coalitions plus ou moins larges d’entreprises de conseil et d’autres parties prenantes
à l’instar des maisons d’édition, des revues spécialisées, des organisateurs de conférences et
parfois même de certains organismes gouvernementaux.
La diffusion des modes managériales se fait généralement à travers l’utilisation d’études de
cas ciblées. En analysant les cas présentés par les gurus du management, Jackson (2001)
constate qu’ils sont chargés d’une rhétorique symbolique. Le choix des termes n’est pas
innocent à ce stade de développement des modes du management. Les auteurs utilisent des
mots fascinants, attracteurs et parfois même ambigus. Les cas reflètent souvent des succès
stories qui ventent les mérites du concept à vendre. La rhétorique utilisée prend souvent une
allure « manipulatoire ». Il faut dire que consultants et gurus du management sont réellement
conscients des enjeux que présentent les solutions créées pour les managers sur le terrain. Ces
derniers sont généralement fascinés devant ce génie créateur des gurus du management. Fink
(2003) considère à ce niveau que les modes managériales permettent de résoudre des
difficultés stratégiques et donnent aux managers un certain sens et repère d’orientation dans
les moments des difficultés. Elles sont généralement « bien construites ; leurs protagonistes
montrent leurs valeurs stratégiques à partir de succès stories tirées du terrain. Leurs
structures claires permettent une prise de décision rapide et aisée (…) de telles modes
réduisent la complexité du processus de résolution des problèmes dans l’entreprise puisque
l’attention du manager sera portée sur l’applicabilité de cette mode dans le contexte de
l’entreprise en isolant les multiples facteurs internes susceptibles de complexifier la prise de
décision » (Fink, 2003 : 46-47).
Au delà du rôle hégémonique des gurus du management, les modes managériales présentent
certaines caractéristiques en commun. En effet, leur discours normatif leur donne un caractère
de vérité absolue applicable dans tous les contextes. Ce même caractère facilite le processus
de décision pour les managers aux prises avec les difficultés du terrain. D’autre part, l’intérêt
pour les modes managériales suit quasiment l’allure d’une courbe sous forme de cloche.
Abrahamson (1996, 1999) et Fink (2003) estiment que les modes du management ont un cycle
de vie similaire à celui de tout produit ou service offert par l’entreprise. Le cycle de vie d’une
mode managériale est generalement constitué de quatre phases : construction du concept,
expansion, domination et enfin renonciation au concept. Dans la phase de construction, il y a
d’abord formation des premières coalitions de consultants et d’institutions diverses. Certains
discours commencent à préparer le terrain pour lancer la nouvelle innovation managériale.
Dans la phase d’expansion, les idées clefs du concept sont largement acceptées par les
entreprises. Celles-ci passent à l’action en mettant en œuvre les démarches d’implantation
telles que décrites et conseillées par les créateurs du concept. La phase de domination est celle
de l’exploitation des avantages tirés de la phase précédente. Il s’agit de maintenir les idées
clefs tout en les renforçant par certaines modifications incrémentales. La dernière phase
correspond à une renonciation au concept. Les raisons d’un tel déclin sont multiples. Par
exemple, le concept peut paraître désuet. Egalement, il peut ne plus être en mesure
d’expliquer et de prédire de nouveaux phénomènes organisationnels. Enfin, l’apparition d’une
nouvelle mode aux frontières d’une autre peut précipiter le déclin du concept managérial.
L’analyse du cycle de vie d’une mode managériale se fait souvent à la lumière des
publications dans des revues et journaux spécialisés. Les chercheurs ont souvent recours à des
bases de revues scientifiques. Souvent, l’analyse touche les journaux économiques de
vulgarisation car les modes sont généralement diffusées à travers des canaux non
académiques. L’analyse du nombre de publications dans le temps permet de voir l’évolution
de l’intérêt pour le thème. Dans le cas d’une mode, la courbe trouvée suivrait l’allure d’une
cloche. Elle restitue ainsi les quatre phases du cycle de vie d’une mode managériale. Les
chercheurs peuvent également procéder à une lecture qualitative de la littérature pour se
prononcer sur les principaux centres d’intérêt du concept objet de l’étude. Les données
recueillies permettent donc une analyse spatio-temporelle de la mode managériale. Les
chercheurs peuvent se prononcer sur l’ensemble des questions suivantes : le concept évolue-t-
il au rythme d’une mode managériale ? Quelle est l’année qui correspond au lancement de la
mode et quelle est l’année de son clin ? Comment expliquer l’évolution du concept dans le
temps ? Le concept évolue-t-il par exploitation ou par exploration ? Quel est l’axe de
recherche dominant dans la littérature relative au concept ?
2.1 Le management des connaissances est-il une mode du management ?
Le management des connaissances a été fini comme l’ensemble des pratiques et des
théories qu’il y a lieu de déployer dans une organisation pour exploiter et développer les
savoirs et les savoir-faire de son personnel. Pour Scarbrough et al. (1999 :18), le management
des connaissances est « tout processus ou pratique visant la création, le partage et
l’utilisation des connaissances afin d’autoriser l’apprentissage et la performance des
organisations ». L’intérêt des entreprises pour la gestion des connaissances est de plus en plus
croissant. Cependant, cet intérêt a souvent été interprété comme le produit des technologies
d’information et de communication. En effet, le champ du management des connaissances
s’est très vite orienté vers une approche résolument techniciste. Parce qu’elles offrent de
fantastiques opportunités de stockage et de seautage d’informations, les TIC ont été
directement associées aux démarches de management des ressources immatérielles et en
particulier la connaissance. Pour plusieurs auteurs, elles seraient une condition sine qua non
pour toute œuvre de création de savoirs et de savoir-faire, un préalable nécessaire à tout
apprentissage dans les organisations (Rondeau et al., 2001 ; Tapscott et al., 1993). Mais pour
d’autres auteurs, l’orientation techniciste fragilise le management des connaissances et réduit
sa marge d’apports potentiels pour l’entreprise (Swan et al., 2001 ; 2002).
Dans notre analyse du management des connaissances sous une logique de mode, nous
accorderons beaucoup d’intérêt à sa dimension technologique. Mais avant d’entamer une telle
analyse nous pensons qu’il serait pertinent d’analyser l’apport des TIC aux démarches de
management des connaissances. Sans une telle analyse, il serait difficile de porter
ulterieurement un regard critique sur cette dimension techniciste.
2.1.1 Management des connaissances et TIC : une brève revue de la littérature
L’émergence et le développement des technologies d’information et de communication
constituent le phénomène majeur qui a affecté la vie des organisation dans ce début de
millénaire (Granstrand, 1998). A l’origine de multiples transformations organisationnelles, les
TIC ont révolutionné les processus d’organisation, changé les modes de travail, renforcé la
collaboration inter-entreprises et refaçonné les relations et les liens sociaux. Pour certains,
elles sont à l’origine du nouveau paradigme de l’immatériel et de la société du savoir. Le
modèle d’organisation centré sur les notions d’emploi, de poste et d’opérations cède le pas,
sous l’effet des TIC, à la proximité électronique et la collaboration virtuelle dans des espaces
de travails atypiques, éclatés et nomades.
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