Ben Bernanke : Colombe ou faucon

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Revue Commerce – Juillet 2006
Ben Bernanke : Colombe ou faucon ?
MAURICE N. MARCHON
Professeur titulaire à l'Institut d'économie appliquée
HEC Montréal
21 mai 2006
Toute reproduction interdite sans autorisation de l’auteur
Le changement de la garde à la tête de la Réserve fédérale américaine est
toujours un événement de taille en raison de l’influence prépondérante de la
politique monétaire sur l’économie et du rôle central que joue le dollar américain
dans le système monétaire international. Après les 18 ans de règne d’Alan
Greenspan, la relève de Ben Bernanke arrive à un moment crucial du cycle
économique mondial. Le FMI (Fonds Monétaire International) prévoit un taux de
croissance de l’économie mondiale à 4,9 % en 2006 et 4.7 % en 2007
comparativement à un taux de croissance annuel moyen de 3.6 % de 1983 à 2003.
Les prévisions de croissance économique rapide, l’augmentation du prix des
matières premières et de l’énergie alors que la plupart des banques centrales
augmentent les taux d’intérêt forment un cocktail qui pourrait être explosif pour
les marchés financiers. Il est donc important de savoir comment le nouveau
Président de la Réserve fédérale entend gérer la politique monétaire américaine et
comment il réagira en cas de crise financière.
Feuille de route de Ben S. Bernanke
Né le 13 décembre 1953 à Augusta, Géorgie
B.A. en économie de l’université de Harvard en 1975
Ph.D. en économie de MIT (Massachusetts Institute of Technology) en 1979
Professeur à l’université de Stanford de 1979 à 1985
Professeur à l’université de Princeton de 1985 à 2002
Membre du Board of Governors de la Réserve fédérale de 2002 à 2005
Président du President’s Council of Economic Adviser à la Maison Blanche de
juin 2005 à janvier 2006
Président élu de la Réserve fédérale américaine pour un mandat de 14 ans
débutant le 1er février 2006.
Cible du taux d’inflation
Une première caractéristique de sa philosophie macroéconomique réside
dans sa conviction que la déflation est tout aussi destructive que l’inflation. Cette
conviction trouve ses racines dans l’analyse exhaustive qu’il a faite de la Grande
Dépression. Les coûts économiques et sociaux causés par la Grande Dépression
ont été énormes. Entre 1929 et 1933, le PIB réel des États-Unis s’est contracté de
33 % alors que le taux de chômage est passé de 3 % à près de 25 %. D’ailleurs,
même ceux qui avaient la chance de détenir un emploi à ce moment travaillaient à
temps partiel.
La déflation est dangereuse puisque face à une baisse généralisée des prix,
les gens reportent leurs achats à plus tard et n’empruntent plus. En effet, même si
le taux d’intérêt nominal sur l’emprunt est nul alors que les prix diminuent, disons
de 10 % par année, les consommateurs n’empruntent pas parce que le coût réel
d’un emprunt est de 10 % plus élevé que le taux nominal de zéro.
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En novembre 2002, lorsque les dangers d’une déflation ont fait leur
apparition dans les médias, Ben Bernanke a consacré tout un discours sur les
autres moyens disponibles pour stimuler la demande globale lorsque le taux
d’intérêt des fonds fédéraux est à zéro. Il a notamment fait référence à la
possibilité de financer une baisse d’impôts par l’impression de monnaie : moyen
que Milton Friedman, prix Nobel d’économie, avait qualifié de distribution
d’argent par hélicoptère. Depuis lors, les critiques de Bernanke l’appellent «Ben
Helicopter». En fait, son discours était, comme toujours, très clair et nuancé.
Toutefois, il ne faut jamais oublier qu’avec l’Internet, il est possible de faire dire à
quelqu’un presque n’importe quoi et ce, simplement en prenant une phrase hors
contexte.
Inversement, lorsque l’inflation est incrustée
dans les anticipations des agents économiques
(gestionnaires d’entreprises et travailleurs), les
autorités monétaires n’ont d’autres choix que
d’augmenter les taux d’intérêt rapidement jusqu’à ce
que l’économie tombe en récession, avec les
conséquences qui s’en suivent pour la production et
l’emploi. L’analyse des expériences passées a
convaincu le nouveau Président de la Réverse fédérale (et la plupart des
gouverneurs des banques centrales) du bien fondé d’avoir pour objectif principal
le maintien de la stabilité relative des prix. En pratique, cela signifie maintenir un
taux d’inflation annuel entre 1 % et 2 %.
La stabilité relative des
prix devrait être le
principal
l’objectif
d’une banque centrale,
soit un taux d’inflation
annuel entre 1 % et 2 %
Quel est la bonne mesure du taux d’inflation ?
Pour l’instant, la Réserve fédérale n’a aucune cible officielle pour le taux
d’inflation. Cependant, l’un des objectifs de Ben Bernanke est de convaincre ses
collègues du bien fondé d’avoir une cible officielle. Le problème, quant à
l’implantation d’une cible officielle en matière d’inflation, provient du fait qu’on
ne s’accorde pas toujours sur l’indice à choisir comme objectif. Présentement,
l’indice qui est plus ou moins la cible implicite de la Réserve fédérale américaine
est l’indice en chaîne des dépenses de consommation excluant la nourriture et
l’énergie. Cet indice mesure mieux le taux d’inflation que l’indice des prix à la
consommation car ce dernier garde fixe la pondération des allocations des
consommateurs aux différentes catégories de biens et de services. L’indice en
chaîne tient compte du fait que lorsque le prix relatif d’un bien augmente, le
consommateur peut réagir en diminuant le montant qu’il alloue à cette catégorie
de bien. Il n’en demeure pas moins que le taux d’inflation mesuré par l’indice
total des prix à la consommation est en moyenne plus élevé que celui mesuré par
l’indice-cible des banques centrales tant au Canada qu’aux États-Unis (tableau 1).
Il s’avère donc probable que dans le futur la cible de référence devrait être
abaissée à 1,5 % pour atteindre un taux d’inflation annuel moyen de 2 % mesuré
par l’indice des prix à la consommation.
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Tableau 1
États-Unis
Mesuré par :
Indice des prix à la consommation
Indice des prix à la consommation sans la nourriture et
l’énergie
Indice des prix en chaîne des dépenses de
consommation sans la nourriture et l’énergie
Canada
Indice des prix à la consommation
Indice des prix à la consommation sans la nourriture et
l’énergie
Indice de référence de la Banque du Canada
1)
se terminant en avril 2006.
Taux d’inflation annuel
moyen
15 ans1
5 ans1
2,7
2,6
2,5
2,1
2,0
15 ans
1,9
1,8
5 ans
2,2
1,7
1,8
1,9
1,9
Accepter les fluctuations des taux d’intérêt à court terme
Pour éviter à tout prix la déflation ou l’inflation, il faut s’attendre à ce que
le nouveau Président réagisse rapidement et avec force dans le cas où un choc
faisait dérailler l’économie en dehors de sa fourchette de tolérance par rapport à la
cible d’inflation. Cela signifie que si l’économie américaine tombait en récession,
il n’hésiterait pas à baisser le taux d’intérêt des fonds fédéraux rapidement, un peu
comme l’a fait Alan Greenspan après les événements du 11 septembre 2001.
Inversement, si l’inflation devenait un problème, il n’hésiterait pas à augmenter
davantage le taux d’intérêt des fonds fédéraux. J’estime qu’avec le temps, on
pourra conclure que Ben Bernanke ne sera ni une colombe, c’est-à-dire trop
tolérant envers l’inflation, ni un faucon visant plutôt un taux d’inflation annuel
moyen plus près de zéro. Sommes toutes, Ben Bernanke est un pragmatiste guidé
par les données économiques en utilisant les meilleurs outils théoriques
disponibles pour les analyser et en prévoir les implications pour la conjoncture
économique.
Ben Bernanke croît aux bienfaits de la transparence et de l’information.
Étant lui-même un excellent communicateur, il croît qu’il est dans l’intérêt de
tous les agents économiques d’avoir l’heure juste. C’est un promoteur assidu de la
transparence de la part de Réserve fédérale américaine. Il croit qu’il est important
que les marchés connaissent le plus clairement possible les étapes que la Réserve
fédérale s’apprête à suivre pour atteindre son objectif de stabilité relative des prix,
tout en atteignant le taux de croissance potentiel de l’économie. Cette démarche
devrait en principe diminuer les surprises et devrait, toutes choses étant égales par
ailleurs, éviter des réactions trop violentes des marchés financiers.
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Il y a toujours un prix à payer, même pour les bonnes choses!
Même si la cible d’inflation de 2 % par année est atteinte, le pouvoir
d’achat des consommateurs baisse tout de même de 50 % en 36 ans ou si vous
préférez les prix doublent en 36 ans. Ce phénomène d’augmentation continue des
prix est un phénomène postérieur à la Seconde guerre mondiale. En effet, en
1943, l’indice des prix à la consommation des ÉtatsUnis était au même niveau qu’en 1800 (graphique 1).
N’oublions pas que
Cela a été possible parce les périodes d’inflation ont
même avec un taux
toujours été suivies par des périodes de déflation.
d’inflation
annuel
Depuis la Seconde guerre mondiale, les banques
moyen bas de 2 %, les
centrales ont évité la déflation. Cependant, cela s’est
prix doublent en 36 ans
fait au prix d’une augmentation continue du niveau
ou le pouvoir d’achat
des prix tel que le confirme le graphique 1. Le prix à
est coupé de moitié.
payer pour éviter les années de déflation, comme ce
fut le cas lors de la Grande Dépression, a été une
augmentation continue du niveau des prix. Par exemple, de 1943 à 2006, les prix
ont été multipliés par 11,6 ou si vous préférez le pouvoir d’achat d’un dollar
américain de 2006 n’est que 8,6 % de ce qu’il était en 1943. Par conséquent, Ben
Bernanke et les autres gouverneurs des banques centrales doivent donc choisir le
moindre mal, qui est un taux d’inflation stable et modéré de 2 %. Ainsi, si la
Réserve fédérale parvenait à atteindre cet objectif, ce serait un net progrès sur le
passé. En effet, si de 1943 à nos jours, le taux d’inflation avait été
systématiquement de 2 % par année, l’indice des prix à la consommation aurait
été multiplié par 3,5 au lieu de 11,6 et le pouvoir d’achat d’un dollar serait de
28,7 % comparativement à 8,6 %.
A quand le vrai test ?
Il faut espérer que Ben Bernanke n’ait pas à gérer des crises financières
semblables à celles qu’Alan Greenspan a dû affronter lors du krach boursier de
1987 et lors des événements du 11 septembre 2001. En ces moments-là, les
actions de la Réserve fédérale américaine sont cruciales. En effet, cette dernière
doit fournir les liquidités nécessaires au fonctionnement du système de
compensation des transactions financières et doit également émettre les bons
signaux pour rétablir la confiance des investisseurs.
En 2006, les risques d’une crise financière ne manquent pas : la bulle
spéculative sur les prix des matières premières, une panique sur les produits
dérivés ou encore le potentiel de dépréciation désordonnée du dollar américain.
En effet, le financement du déficit de la balance courante des États-Unis de plus
de 800 milliards par année exige que les non-résidents accumulent pas moins de
2,2 milliards de dollars d’actifs financiers américains par jour pour simplement
maintenir le taux de change du dollar américain stable vis-à-vis des principales
monnaies. Si les étrangers perdaient confiance dans le dollar américain, la crise
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financière qui en résulterait ne manquerait pas de tester les capacités de Ben
Bernanke à gérer les crises. C’est toujours dans l’adversité que nous verrons si cet
économiste chevronné possède vraiment l’étoffe d’un grand Président de la
Réserve fédérale américaine.
Graphique 1
Indice des prix à la consommation des États-Unis de 1800 à 2006
200
180
160
140
120
100
80
60
40
20
0
1800
1820
1840
1860
1880
1900
1920
1940
1960
1980
2000
Indice des prix à la consommation des États-Unis
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