L’interprétation de la « sociologie » de Weber est donc périlleuse. Voyons ce qu’en dit
Colette Moreux (sociologue de l’UdeM) dans son article « Weber et la question de
l’idéologie »
:
[…] à mesure que l'hégémonie marxiste perd du terrain dans les milieux pensants et que
les hasards des traductions dévoilent par pans le mystère Weber, tout le monde
comprend désormais que personne n'a jamais rien compris au « plus grand sociologue de
tous les temps » ; mais chacun se demande encore ce qu'il faut, chez lui, chercher à
comprendre. Il faut bien avouer que Weber ne facilite pas les choses : mort trop jeune,
visant trop grand, il écrase le lecteur d'une oeuvre écrite à toute vitesse, touffue et
indigeste, que des mains pieuses ont organisée pour la plus grande gloire de l'homme
mais pas forcément pour la meilleure compréhension du sociologue. À cela s'ajoute
l'action des épigones, germanophones et anglophones, aussi passionnés qu'antithétiques
les uns par rapport aux autres, et grâce auxquels la pensée du maître, triturée, sollicitée,
« revisitée », s'est un peu égarée dans des exégèses subtiles.
Partis pris idéologiques, méconnaissance du côté du lecteur, opacité de la langue et de la
pensée du côté de l'auteur expliquent assez, entre autres causes, que les positions
wébériennes sur quelque problème sociologique que ce soit, ne sont jamais ni claires ni
simples
.
En fait, Weber qui fut effectivement un auteur prolifique ne publia pratiquement aucun livre
de son vivant. Il laisse à sa mort une énorme quantité de textes, pour la plupart des articles,
qui seront édités après sa mort par son épouse, Marianne. Sa pensée n’est pas synthétique, ses
travaux sont parfois fragmentaires et inachevés ce qui rend la compréhension globale de son
œuvre délicate. Le philosophe allemand, Karl Jasper
(1883-1969) témoigne de ce
fractionnement de l’œuvre de Weber :
Si l’on considère son œuvre telle qu’elle se présente, on trouve une foule de travaux
isolés. Mais tous sont en fait des fragments. […] À peine quelques livres de lui sont
parus, L’Histoire agraire de Rome [sa thèse de doctorat] il y a longtemps, une
brochure sur la Bourse, et, ces dernières années, quelques conférences publiées en
fascicule [dont celle que nous étudions aujourd’hui], sinon, rien. Tout le reste est dans
des revues, des archives, des journaux. Depuis moins d’un an, Max Weber avait en
quelque sorte commencé à recueillir la récolte de sa vie scientifique. […] C’est dans
ce travail que la mort l’a frappé. […] Mais, de toute façon, ces travaux seraient restés
quand même des fragments. Ils étaient construits dans des dimensions si gigantesques
Sociologie et sociétés, vol. XIV, no 2, octobre 1982, pp. 9 à 31. Montréal : Les Presses de l’Université de
Montréal. Version électronique
http://classiques.uqac.ca/contemporains/moreux_colette/weber_et_ideologie/weber_ideologie.doc
Ibid, p. 4-5.
Jasper fut l’un des étudiants qui eut la chance de suivre ses cours à l’université et qui bien que philosophe est
reconnu comme un disciple de Weber.