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Eléments de synthèse et de réflexion suite au séminaire « Durabilité des résistances aux
bioagresseurs des cultures : recherches engagées & perspectives en terme d’analyses
génétiques, génomiques et populationnelles » - 15 et 16 Mai 2008, Paris
Introduction
Le séminaire a rassemblé, sur deux jours, 76 chercheurs et 14 doctorants/post-doctorants des
départements INRA GAP (37), SPE (39), EFPA (5), EA (3), MIA (2), SA (2), du CIRAD (1)
et de l’AgroParisTech (1). Le programme (joint en fin de document) avait pour objectif
d’aborder les points suivants :
- Diversité des mécanismes et fonctions des facteurs de résistance : quel impact sur la
durabilité ?
- Adaptation des populations pathogènes aux résistances (mécanismes de
contournement) et fitness des souches virulentes
- Gestion de la durabilité à l’échelle de la parcelle et du territoire par la prise en compte
des combinaisons et de la distribution des facteurs de résistance et de virulence
- Articulation de la lutte génétique avec les autres méthodes de lutte (chimique,
biologique, adaptation des systèmes de culture, adaptation des caractéristiques du
peuplement).
Remarques d’ordre général
La problématique de la durabilité des résistances aux bioagresseurs est
incontestablement un champ de biologie intégrative : elle se décline selon une succession
d’échelles (gène, génotype, population, agrosystème). Chacune de ces échelles pose des
questions spécifiques (voir ci-après) mais c'est par une vision intégrative que des ponses
appliquées à la gestion de systèmes agricoles pourront être dégagées (Cf. § 6).
Globalement, ces 5 dernières années, les compétences en « génétique de la résistance »
(GAP) et « adaptation des populations pathogènes aux résistances » (SPE) ont été
mobilisées autour de pathosystèmes communs. Cette synergie a été particulièrement
efficace autour de certains pathosystèmes et a produit des avancées significatives en termes
d’appropriation de concepts, de définition et de connaissances acquises.
Cependant, si les travaux ont fortement progressé sur les déterminismes génétiques et
moléculaires, ils restent encore en retrait pour ce qui concerne l'intégration de ces
connaissances à l'échelle du fonctionnement des populations et des agrosystèmes. En
associant des chercheurs de disciplines allant de la génomique à l'agronomie autour d'une
même question, ces journées ont permis aux participants de progresser (au moins
conceptuellement) dans cette direction.
Lors de cette première réunion, les résistances obtenues par transgénèse (par exemple,
résistances aux virus dérivées du pathogène Prunus/Sharka, Vigne/Court-Noué-, résistance
des pommiers/poiriers à la tavelure ou au feu bactérien conférée par élicitation de mécanismes
de défense ou expression de molécules anti-microbiennes) n’ont pas été abordées. L’intérêt de
ce type d’approche pour renforcer la durabilité des résistances naturelles ainsi que l’impact de
ce type de résistance sur les populations d’agents pathogènes mériteront d’être discuté lors de
prochains séminaires.
Ce minaire a été d'un très bon niveau scientifique : les orateurs ont bien joué le jeu de
chercher à répondre à la question qui leur était posée dans le cadre de leur session (voir
programme), et les participants ont montré un fort engagement au niveau des questions et
débats qui suivaient les interventions. Au-delà d'un panorama des recherches en cours, il a
dégagé des directions possibles à renforcer et a très vraisemblablement généré des idées
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intéressantes à creuser chez les participants. Sa reconduction semble être unanimement
souhaitée, en renforçant peut-être la présence des partenaires professionnels, et en
favorisant les discussions autour de la mise en place de programmes, sous forme de
« tables rondes » sur les points abordés ci-après.
La suite de cette synthèse est organisée en conclusions/perspectives autour de 6 points
abordés lors des exposés et discussions.
1- Durabilité et hérédité de la résistance
L’association de gènes à effet majeur et d’autres facteurs (QTL) permet
d’augmenter très sensiblement la durabilité de la résistance (exemples :
piment/potyvirus ; colza/Leptosphaeria ; information convergente mais à confirmer
pour pommier/tavelure). Pour ce type de construction, il apparaît important de
distinguer la part de durabilité propre au gène majeur de celle des facteurs (QTL)
associés et finalement de la construction dans son ensemble. Dans ce contexte, la
durabilité apparaît être fonction des propriétés intrinsèques des différents gènes (mode
d’action : stade d’interruption/modification du cycle infectieux, et également spectre
d’action : spécifiques vs. généralistes), mais aussi de leur combinaison, ce qui est
moins prédictible.
Même si le fond génétique conditionne clairement la durabilité des gènes
majeurs, il reste encore difficile de conclure que les résistances polygéniques sont
systématiquement plus durables. En effet, il existe probablement un biais lié au
choix par les chercheurs de résistances polygéniques identifiées comme durables pour
baser leurs études. De plus, nous ne disposons pas de données permettant de définir
« un nombre optimal » de facteurs à combiner (prise en compte de l’effort de
sélection).
Les résistances quantitatives (en particulier lorsqu'elles sont sous le contrôle d’un seul
gène) ne sont pas forcément plus durables qu'un gène majeur ; la résistance
polygénique reste plus convaincante que le critère purement quantitatif en terme de
durabilité.
L’hypothèse d’une relation entre l’origine phylogénétique (distance) d’un gène de
résistance introgressé et sa durabilité potentielle a été proposée (durabilité plus grande
si distance plus grande, ou si co-évolution plus lointaine), mais ne semble pas être
valide d’un point de vue générique, des contre-exemples pouvant exister chez le blé (/
Aegylops) ou entre différentes espèces de solanacées au sein des genres Solanum ou
Capsicum.
2- Durabilité et mécanismes moléculaires et/ou phénologiques
L’état actuel des connaissances (encore peu importantes) sur les bases moléculaires
sous jacentes aux QTL ou aux résistances quantitatives montre que ces facteurs
peuvent correspondre à des analogues de gènes R (NBS-LRR) mais également à
d’autres types de gènes (voies de signalisation, gènes de défense, gènes de sensibilité).
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Dans un objectif de caractérisation de nouvelles fonctions pour les QTL de résistance,
l’approche globale conduite chez le riz (équipe CIRAD Montpellier) apparaît
particulièrement pertinente. Cependant, ce type d’approche reste limité à certains
couples plante/bioagresseur car elle nécessite la séquence complète du génome végétal
et de nombreuses données de cartographie de QTL.
Il existe encore très peu de travaux visant à utiliser les données issues de la
caractérisation des bases moléculaires des résistances pour alimenter les études
de durabilité. Ce champ d’investigation gagnerait à être développé sur les
pathosystèmes pour lesquels on dispose de données moléculaires/fonctionnelles
importantes tant du côté de l’hôte que du pathogène. Dans ce cadre les travaux
présentés sur Ralstonia (Bases moléculaires de la résistance/sensibilité chez
Arabidopsis et variabilité du génome de la bactérie en lien avec la spécificité
parasitaire) mériteraient d’être étendus aux aspects de durabilité de la résistance (chez
les solanacées par exemple). Le même type de commentaire peut être fait pour
d’autres mécanismes de résistance qui n’ont pas é abordés lors de ce séminaire
(résistances par transgénèse, stimulation des voies de défenses…).
Au regard des travaux conduits par GAP et SPE dans ce domaine, les champs
d’investigations suivants mériteraient d’être abordés:
(i) Y-a-t-il un lien entre le mode de reconnaissance R/Avr (direct ou indirect) et la
durabilité, sachant qu’une reconnaissance directe favorise une sélection
diversifiante à la fois du côté R et Avr.
(ii) Est-ce que les facteurs (gènes majeurs et QTL) de résistance récessifs (aussi
appelés gènes d’accueil ou de sensibilité) sont plus durables que les facteurs
dominants?. Dans ce contexte, il apparaît important de prendre en compte (i) la
fonction de ces gènes (existence d’un coût de la résistance pour la plante, qui
pourrait être rédhibitoire pour son utilisation en sélection) et (ii) le fait que ces
gènes appartiennent ou non à des familles multigéniques (possibilité d’adaptation
rapide du pathogène à un autre membre de la famille ; exemple d’eIF4E chez
potyvirus/solanacées).
(iii) Un autre mode d’adaptation des plantes aux bioagresseurs, la tolérance, a été peu
abordé. Une première raison est sans doute la rareté de son utilisation en sélection
variétale (où une méthodologie de phénotypage ad hoc est vraisemblablement
difficile/lourde à mettre en œuvre sur un grand nombre de génotypes). Une autre
raison est qu’il est souvent supposé que la tolérance n’exerce pas de pression de
sélection sur le pathogène, alors que des contre-exemples existent.
(iv) De même, la résistance non-hôte, souvent présentée comme un paradigme de
résistance durable, n’a pas été évoquée. Elle n’est pas traitée par les départements,
mais on peut se poser la question de l’intérêt d’initier un/des programme(s) de
recherche sur ce sujet, ou plus raisonnablement de chercher à tirer de la
bibliographie sur ce sujet des cibles (gènes/fonctions/mécanismes candidats) qu’il
serait souhaitable d’explorer dans nos pathosystèmes.
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3- Adaptation des populations pathogènes aux résistances et fitness des souches virulentes
Une hypothèse classiquement retenue est celle du coût de fitness lié à l’acquisition
d’une virulence par le pathogène. Si le facteur d’avirulence est un effecteur du
pouvoir pathogène, la mutation avirulence vers virulence peut représenter un coût pour
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le pathogène qui peut ensuite se traduire par une émergence et une diffusion plus lente
de ces souches au sein de la population pathogène. Les exposés (non exhaustifs sur la
question) ont montdes cas le coût de virulence semble absent (Leptosphaeria
maculans gène AvrLm1) ou présent (Meloidogyne, Leptosphaeria maculans gène
AvrLm4) ou potentiellement en voie de compensation (Venturia inaequalis).
Globalement, les exposés et discussions ont apporté peu d’éléments sur ce thème.
Dans le cas de l’interaction Meloidogyne x solanées, la question de l’influence du
« timing » de la mise en place de la résistance dans la capacité des souches à
contourner la résistance de l’hôte a été soulevée : des résistances qui se mettent en
place plus tardivement seraient potentiellement plus durables que des résistances
actives précocement. Dans le cas des virus de plantes, c’est souvent la situation
inverse qui se produit : plus la résistance est déclenchée tôt et/ou efficacement, plus la
résistance est durable, probablement en empêchant la multiplication virale et
l’apparition de mutants virulents.
On sait rarement si les allèles de virulence préexistent par rapport au déploiement
des allèles de résistance car il est expérimentalement très difficile de trancher entre
une pré-existence à fréquence extrêmement faible et une apparition spontanée suite au
déploiement. Pourtant cette information a des conséquences importantes, d’une part
concernant les leviers d’action (diminuer la probabilité d’apparition des virulences ou
éviter la fixation des virulences ou des multi-virulences au sein des populations
d’agents pathogènes) mais également pour le développement de modèles statistiques
de gestion des risques de contournement (ceux-ci considèrent fréquemment que les
virulences pré-existent).
La complexité des mécanismes moléculaires (délétions, substitutions, insertions)
conduisant à la virulence, illustrée par exemple chez le pathosystème colza-phoma,
pose directement la question de la généralisation du mécanisme de contournement. Ce
type d'information permet une définition plus précise de ce qu'est un contournement
mais pose aussi le problème de la manière dont ce contournement doit être représenté
dans les modèles. Préciser (par l'approche biologique) quelle est la fréquence
réelle de ces différentes voies de contournement et leur coût engendré, et intégrer
cette information dans les modèles de gestion des résistances est en enjeu pour le
futur proche.
Le pouvoir structurant des gènes et des QTL de résistance sur les populations
pathogènes pourrait aussi être un élément d’information à utiliser pour comprendre
l’adaptation des pathogènes à ces résistances.
4- Vers la définition de prédicteurs de durabilité
Plusieurs prédicteurs de la durabilité potentielle des résistances (c'est-à-dire avant
qu’elles ne soient déployées dans les cultures) ont été évoqués au cours des exposés.
Un des problèmes majeurs pour la recherche de tels prédicteurs réside dans le
petit nombre de pathosystèmes pour lesquels on dispose d’évaluations quantifiées
de la durabilité des résistances (nombre d’années avant contournement, si possible
couplées avec des données de pression/fréquence de pathogènes et de fréquence des
gènes de résistance dans les variétés cultivées).
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Concernant le type de résistance, un prédicteur potentiel de durabilité (qui reste à
valider) est sa nature poly- ou monogénique (cf. ci-dessus). On peut y rajouter la
diversité des mécanismes contrôlés par les QTL et la largeur de leur spectre
d’action, un sélectionneur ayant a priori davantage intérêt à combiner des
mécanismes différents et à cumuler des QTLs à large spectre d’action que des QTLs à
spectre d’action étroit. D’autre part, les gènes majeurs facilement contournés
après introgression dans un fond génétique sensible voient leur durabilité
fortement augmentée dans un fond génétique partiellement résistant. Dans
certains cas l’on connaît particulièrement bien les interactions moléculaires entre
les 2 antagonistes, une relation entre les mutations responsables de la résistance, la
structure tri-dimensionnelle du facteur de résistance et sa durabilité ont été
constatées. Ces résultats sont donc encourageants quant aux perspectives
d’utilisation des données fonctionnelles et moléculaires pour les programmes de
durabilité.
Du côté de l’agent pathogène,
- le nombre d’événements mutationnels menant à la virulence est clairement corrélé à
la durabilité de la résistance chez les virus de plantes. Cependant, la transposition de ce
critère à des bioagresseurs plus complexes s’avère délicate (surtout si différents
mécanismes moléculaires sont en jeu dont on ne connaît pas la fréquence relative
substitutions d’acides aminés, délétions, insertions…).
- le coût de fitness associé à la virulence des pathogènes est également un critère relié à
la durabilité des résistances et qui peut certainement être plus facilement comparé entre
pathosystèmes que le précédent. Pour ce critère, on se heurte à plusieurs obstacles :
1) Rares sont encore les estimations précises de ces coûts. Ceci tient à des difficultés
techniques de mesure, surtout si les pathogènes virulents et avirulents sont en compétition
dans les même plantes.
2) Il est également difficile d’établir les conséquences épidémiologiques de ces coûts de
fitness et donc de connecter les différentes échelles (plante individuelle -> population de
plantes). Ceci repose essentiellement sur la modélisation.
3) Enfin, nous ne ne connaissons pas les paramètres qui peuvent modifier ces coûts de
fitness (fond génétique de la plante, compensations dans le fond génétique de l’agent
pathogène, environnement).
Il s’agit certainement d’un domaine de recherche à approfondir qui pourrait
permettre d’obtenir des données comparables entre pathosystèmes, comparables aux
durabilités observées et potentiellement utilisables comme prédicteurs de durabilité.
Des prédicteurs plus généraux ont également été recherchés. Le « potentiel évolutif »
défini par B. McDonald en est un exemple, développé pour les champignons et
appliqué ensuite aux virus. Un 2ème exemple, basé sur l’évolution des allèles de
virulence, suggère que la contrainte sélective exercée sur les gènes d’avirulence viraux
prédirait la durabilité des résistances correspondantes.
La validité et la généralisation de ces prédicteurs, ainsi que leur hiérarchisation
(voire leur articulation) restent à établir. A ce niveau, il convient de prendre
conscience que chacun des prédicteurs ne fera que participer à la prédiction globale de
la durabilité, d’une manière similaire à la contribution relative de différents facteurs
explicatifs de la variabilité d’un phénomène global dans une analyse de variance (où
des interactions/synergies entre facteurs peuvent exister). Une telle approche globale
ne pourra se faire sans le développement de modèles suffisamment génériques.
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