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L’Alger de mon adolescence banale
Pourquoi ai-je entendu parler du collège Notre Dame d’Afrique des jésuites à Alger? Alors que je faisais
au lycée Gouraud de Rabat une troisième sans problèmes, pourquoi le surveillant général du Lycée
Gouraud m’a-t-il fait penser que je pourrais aller en seconde à Alger ? Sans doute, plus que les Jésuites,
c’était ‘Alger la Blanche’, la grande ville franco-arabe, lointaine, inconnue, qui m’attirait. Mes parents
acceptèrent l’idée et ma mère me mena jusqu’au collège, après un long voyage en train, une nuit passée
au ‘Grand Hôtel Moderne’ (pas si moderne que cela) et un déjeuner pris dans la rue principale de Bab-el-
Oued, avec couscous et vin rosé. Ma mère avait quarante ans. Je ne savais pas qu’elle était jeune et belle.
Je garde l’heureux souvenir du vin gris qui nous avait surpris et réjouis. Le soir même, je me retrouvais
au collège, pleurant le départ de ma mère.
‘Les humanités’ (année de seconde) chez les Jésuites
Malgré le dévouement et la compétence du P. Poncet, professeur de français, de latin et de grec, les
‘humanités’ ne m’ont guère apporté. La vie de pensionnaire, au milieu de fils de colons frustes et
brutaux, parfois méchants, ne me laisse aucun bon souvenir. Mais les dimanches passés chez mes
correspondants et quelques autres amis de mes parents m’ont fait connaître Alger, l’incroyable et cocasse
mélange de Pieds-noirs et d’Arabes, le français et le sabir aux mille accents. Le dimanche soir, nous nous
retrouvions, avec quelques camarades, dans un petit café de Bab-el-Oued, au pied de la colline de Notre
Dame d’Afrique, avant de prendre le trolleybus pour remonter au collège. Un sandwich aux anchois et
un verre de bière soutenaient notre intérêt pour le football. L’Algérie et le Maroc se disputant la coupe,
j’étais passionnément pour le Maroc. Passion superficielle puisque je ne me rappelle pas qui a gagné le
match alors que j’ai crié avec les Marocains dans le grand stade. Finalement ces humanités chez les
Jésuites m’ont laissé dans une insuffisance dont j’avais conscience et que je dépassais d’une certaine
manière. Je reviendrai sur la prise de conscience de mes limites, expérience qui accompagne ma vie,
expérience pénible mais qui en Dieu se retourne positivement et qui ouvre à la joie. Dans ces premiers
temps je savais que j’étais doué, mais seulement assez doué, en français, en latin et en grec, en musique.
Ma pratique religieuse, sincère sans doute parce que je croyais et savais que Dieu existait et me fondait,
était purement formelle, sans repères, sans aucune idée précise de ce qu’était la Bible, le christianisme, le
judaïsme ou l’islam. Un seul souvenir : l’entrée du cimetière juif au bas de la colline de Notre Dame
d’Afrique, son portail avec des inscriptions hébraïques qui m’ont fasciné et tenu à distance. M’ont-elles
cependant déjà préparé à me tourner vers l’intérieur ? Je savais sans doute que la Bible comprenait
l’Ancien Testament et le Nouveau Testament. Je savais aussi que l’hébreu était la langue de l’Ancien
Testament. Notre chère Nany, gouvernante de ma plus jeune sœur Françoise, luthérienne de
Reichenberg, sudète de langue allemande, me parlait souvent de son père pasteur qui connaissait
l’hébreu. Venant de Nany, cet hébreu ne pouvait être que bon. Pour l’allemand de Nany - je l’entendais
parler avec une amie luthérienne de Suisse -, c’était quelque chose de bon, de doucement musical. J’ai
réalisé bien après, à Vienne, que cet allemand de Nany était comme celui de Hietzing, le petit Versailles