V) Les épreuves de philo au bac et leur évaluation

Stage « enseignement de la philosophie en séries
technologiques » du 19 novembre
Le stage du 19 novembre était consacré à l’enseignement de la philosophie dans les
séries technologiques. La matinée a été consacrée au projet de nouveau programme élaboré
par le groupe Fichant.
I) Compte-rendu de la rencontre avec le GEPS (14 octobre 2004)
Nous avons rappelé la teneur de notre entretien avec les membres du groupe
d’experts. Nous avons fortement insisté auprès du GEPS sur l’idée de maintien d’une culture
commune qui impose clairement des contenus exigeants et en cohérence avec l’esprit de
l’enseignement philosophique tel qu’il est pratiqué dans toutes les séries. Notre principal
souci a été de rappeler au groupe d’experts l’importance de la voie technologique aux yeux du
SNES et l’attachement de celui-ci à la place de l’enseignement de la philosophie dans cette
voie, qui est et doit être une voie de réussite (le taux important de poursuite d’études des
bacheliers technologiques aujourd’hui en est un indice). Il nous faut constamment lutter
contre le discours qui tend à dévaloriser cette voie et à faire en sorte qu’elle devienne ou
demeure une orientation « par défaut », ainsi que contre la tendance à réduire les flux d’élèves
vers ces ries. Nous n’en avons pas moins conscience de la spécificité de l’enseignement de
la philosophie dans la voie technologique, spécificité qui se manifeste par une forte demande,
de la part des élèves, d’une explicitation peut-être plus large, et de la construction de
médiations permettant de s’approprier les contenus de savoirs et les pratiques de la réflexion
philosophique. Les élèves de ces séries, habitués à des démarches plus inductives dans leurs
disciplines dominantes, n’entrent pas aisément dans le discours, entendu par eux comme
« abstrait », de la conceptualisation philosophique, et il est souvent nécessaire, sans céder en
rien sur l’ambition d’élaboration conceptuelle, d’articuler la réflexion à des repères
« existentiels » ou de l’ancrer dans des champs de la pratique plus spécifiés afin d’aider à
construire les concepts et de favoriser l’accès à l’abstraction, comprise cette fois comme
« bonne » abstraction. Cette tâche est délicate et il faut prendre garde à ce que l’équilibre
entre la visée philosophique et l’accessibilité du raisonnement soit respecté en permanence.
En ce qui concerne le choix des notions, nous avons également souligné qu’il
importait selon nous de préserver un juste équilibre entre des notions plus axées sur la
pratique (du type justice, travail, échanges, politique, et même langage…) et d’autres qui
relèvent plus de la philosophie générale, voire de la métaphysique (comme le sujet, la liberté,
la vérité, la nature, la mort, le bonheur, voire la religion). Cette double orientation, outre
qu’elle paraît susceptible de maintenir la double exigence précédemment rappelée, rencontre
en effet, si l’on en croit le témoignage d’un certain nombre de collègues enseignant dans ces
séries, la demande des élèves, chez qui l’intérêt pour la philosophie ne serait pas lié
exclusivement à leur dominante disciplinaire. De ce point de vue, le contenu du programme
Fichant offre, il faut le reconnaître, une certaine diversité, même si l’on ne peut manquer de
s’étonner de certains choix (en particulier l’absence insistante de la notion de langage, déjà
écartée, malgré la demande du groupe philo du SNES, du programme des séries
scientifiques).
Quant aux documents d’accompagnement, le GEPS n’a pas souhaité en produire. Il
s’est limité strictement à la confection du programme, la question des horaires, des
coefficients, de même que celle des épreuves et de l’évaluation (qui ne rentrent en aucune
façon dans ses attributions), ont donc été laissées de côté. Nous avons cependant obtenu
l’assurance qu’un paragraphe portant sur le travail des élèves et la nécessité d’une réflexion
commune sur les pratiques philosophiques, issu de la version initiale du programme Fichant
pour les ries technologiques, serait réintégré dans le texte. Ce n’est pas suffisant, et en
particulier tout ce qui touche aux horaires et aux conditions d’enseignement (dédoublements
pas toujours faits…) n’est absolument pas pris en compte. Bien que ces points n’appartiennent
pas à la mission du groupe d’experts, la situation est telle que nous pensons nécessaire que le
groupe d’experts interpelle fortement la DESCO. Le SNES pour sa part prendra ses
responsabilités et demandera une audience pour faire entendre ses demandes : la première
étant celle d’une revalorisation urgente de l’horaire et du coefficient de notre discipline.
Sur les conditions de la consultation, il semble que le Ministère n’ait pas prévu de faire
bénéficier les collègues de réunions de travail interacadémiques sur le nouveau programme:
une simple consultation papier sera envoyée dans les établissements en janvier, après les deux
consultations organisées par le GEPS en novembre dans les deux académies-tests de Lille et
Marseille. Une concertation des collègues et une analyse en commun des difficultés
rencontrées aurait été nécessaire en amont : elle aura lieu en aval, a minima et dans des
conditions vraisemblablement malthusiennes. Il semble que les séries technologiques ne
méritent pas tout à fait qu’on leur accorde des moyens égaux à ceux, déjà insuffisants, qui ont
été débloqués pour l’accompagnement du programme des séries générales ! Les collègues qui
enseignent dans ces séries, et aussi ceux qui n’y enseignent pas ou plus, ont à débattre
collectivement, non seulement du contenu du programme, mais des conditions
d’enseignement dans ces séries.
Les échanges qui ont eu lieu le matin du stage ont permis de revenir sur nos
expériences, diverses de par la multiplicité des séries et des élèves dont nous avons la charge,
et fait apparaître clairement le souci de prendre en compte tous les éléments de notre
enseignement, le problème des horaires et des coefficients, des conditions d’enseignement et
des pratiques, les attentes des collègues en termes de formation, la question de l’évaluation -
dont on sait à quel point elle est déterminante sur l'interprétation qui est faite d'un programme-
et celle, incontournable, des épreuves. Les difficultés, parfois bien réelles, du terrain, nous
font toucher du doigt à la fois la nécessité de faire de la voie technologique une authentique
voie de réussite, mais aussi les obstacles qui s’y opposent encore, et l’on sait que l’on ne peut
tout résoudre par un simple changement de programme. Pour autant, celui-ci n’est pas un
épiphénomène et il importe de définir clairement une position du SNES à ce sujet. Chacun a
conscience aujourd’hui des limites d’une critique purement destructrice qui viserait à jouer la
substitution de telle ou telle notion à telle autre ; les raisons existent, qui justifieraient sans
doute le rétablissement d’une notion centrée autour de la question de la conscience, ou encore
de la dimension historique, désormais évacuée (car « faits et preuves » ne permet aborder que
la perspective épistémologique de la science historique) ; le couple « individu et pouvoirs »
fait la part trop belle à l’individualisme régnant pour ne pas agacer, voire inquiéter. Par
ailleurs les contraintes de volume imposent, on le sait bien, des choix forcément difficiles.
Nous avons fait remarquer à Michel Fichant que, tel qu'il se présentait, le projet de
programme de notions paraissait plus lourd que l'actuel. Les collègues présents au stage ont
confirmé cette analyse.
II) Intervention de Thierry Reygades, responsable du
secteur « voie technologique » au SNES, et de Mireille
Schöhn, responsable de la série SMS
La voie technologique occupe historiquement une place toute particulière dans la dynamique
de démocratisation. Le SNES a accompagné et impulsé l’élargissement des bacs
technologiques qui se sont progressivement substitués aux anciens brevets de technicien, et
ont intégré une part de plus en plus importante et diverse d’enseignements généraux (autour
de 50% du volume des enseignements aujourd’hui). Historiquement c’est cette voie qui a
permis à un grand nombre de jeunes d’accéder au lycée, au baccalauréat et de poursuivre leurs
études après le bac (rappelons que c’est le cas de 80% des bacheliers STT et de 90% des
bacheliers STI et SMS). La création des BTS, sous l’impulsion du succès de la voie
technologique, puis celle des classes préparatoires technologiques et des IUP a permis d’offrir
aujourd’hui des perspectives importantes de poursuite d’études, même si la réussite dans
certaines filières comme l’Université reste encore insatisfaisante. Cette voie originale entre les
filières générales et la voie professionnelle est inconnue dans la quasi-totalité des pays
européens, ce qui laisse naturellement des inquiétudes quant à son avenir à l’heure de
l’harmonisation européenne… La voie technologique ne se réduit pas à une
professionnalisation : les enseignements technologiques s’appuient sur des pratiques
professionnelles, pour développer des concepts technologiques et une analyse technologique,
des savoirs et des connaissances transférables, et pas seulement des compétences étroites.
La réforme qui se prépare actuellement en STG (applicable en Première à la rentrée 2005) a
pour objectif de mieux préparer les élèves à suivre des études supérieures, notamment en BTS
(où les échecs viennent le plus souvent de difficultés dans les disciplines générales). Elle fait
place à une conceptualisation plus importante, qui pose un problème par rapport aux publics
attendus : traditionnellement le travail de l’élève repose davantage dans ces séries sur une
approche inductive, à partir d’une démarche de projet qui s’appuie sur une pratique pour
construire des concepts ; la philosophie des nouveaux programmes semble plus aller dans le
sens d’une théorisation, d’une approche plus abstraite. Il faudrait se donner les moyens de
mener à bien une telle réforme, or c’est justement ce que le Ministère ne fait pas : en
particulier en supprimant les modules de Première.
En STI, le groupe de travail prévoit de réduire l’offre d’options : d’une douzaine de bacs, on
passerait à cinq, les options à faible flux étant vouées à la disparition, même lorsqu’elles
offrent des débouchés intéressants. De même, les trois séries de STL seraient fondues en une
seule.
En SMS, la rénovation prévoit de réaffirmer l’objectif de poursuite d’études en élargissant et
en diversifiant, notamment dans la filière administrative où un nouveau BTS pourrait être
créé. A cette fin, il s’agit de ne pas se limiter à un apprentissage technique mais de prendre en
compte également les politiques de santé et les politiques sociales, de l’échelon local à
l’échelon national et international, mais aussi la formation du citoyen, dans les enseignements.
La prise de recul critique, le travail en interdisciplinarité, pourraient être autant d’outils pour
faciliter les apprentissages et rendre possible une appropriation réflexive. En particulier, la
philosophie pourrait s’avérer d’une grande utilité dans le contexte d’enseignements d’éthique
médicale, de bioéthique, de droit… Il existe actuellement une marge de manoeuvre qui
pourrait permettre à la philosophie d’occuper toute la place qu’ elle mérite dans cette série et
dans les autres séries de la voie technologique concernées par la réforme. En effet, jusqu’à
présent le GEPS qui a travaillé sur les programmes de philosophie a fonctionné de façon
déconnectée des groupes de travail interdisciplinaires qui pilotent actuellement la réforme
dans chacune des séries ; ce travail est encore en chantier et il importe que les disciplines
générales y prennent toute la part qui leur revient.
Les enseignements généraux ne doivent aucunement être au service des enseignements
technologiques, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’ils n’ont rien à se dire ! Pour
développer des savoirs dans une discipline générale, il peut être intéressant de s’appuyer sur le
travail qui est fait dans les enseignements technologiques : ainsi certains des concepts
développés dans ces derniers peuvent servir de support à certains concepts des enseignements
généraux. C’est ainsi que le nouveau programme de droit de 1e STG fait une assez large place
dans ses intitulés à des concepts qui peuvent entrer facilement en résonance avec des notions
philosophiques : citons pour exemple « qu’est-ce qu’une personne pour le droit ? », « A qui
est confié le pouvoir d’élaborer la règle de droit ? », « comment expliquer la diversité des
droits reconnus à une personne et quelle est l’origine des droits de la personne ? », ainsi que
(dans la rubrique des « notions à construire »), « légitimité, fonctions, caractères de la règle de
droit », « les fondements de la responsabilité », etc. Il faudrait s’interroger sur la possibilité de
conduire une approche philosophique de la notion de technique, par exemple, pour des élèves
issus des spécialités industrielles et des élèves issus d’une dominante commerciale ou
communication. A cela on peut ajouter la pertinence d’un travail sur la dissertation avec des
classes qui pratiquent ce type d’exercice dans des matières comme l’économie-droit (STT).
Le champ de l’articulation avec les disciplines technologiques est donc ouvert et les
possibilités sont multiples.
Ensuite, compte tenu du temps restant disponible, l'ordre du jour a été bouleversé avec
l'accord des participants. Les ateliers prévus ont fait place à un débat en deux temps en séance
plénière : premier temps sur le problème de la spécification du programme selon les séries;
second temps sur les épreuves de philosophie au baccalauréat et leur évaluation. La présence
de Thierry Reygades, et de Mireille Schöhn en début d'après-midi, nous a été précieuse pour
insérer la réflexion sur notre enseignement dans les données et caractéristiques de toute nature
des sections technologiques.
III)Vote indicatif sur le projet de programme
Un vote purement indicatif des participants au stage a eu lieu. Le résultat en a été : 9 collègues
plutôt favorables, 4 plutôt défavorables et 8 abstentions.
IV)Problème de la spécification ou non du programme en
ce qui concerne les séries technologiques
Un certain nombre de collègues présents la trouve souhaitable :
en raison de la nature du public scolaire dans ces séries ( par rapport au public des
séries générales et entre les filières techniques elles-mêmes, STT et STI par exemple)
en raison de la nature de l'enseignement technique, offrir aux élèves une prise, un
ancrage dans le réel, en mettant une partie du programme avec ce qui leur est familier
en raison de la réforme des séries technologiques pour une plus grande cohérence de
l'ensemble des enseignements ; afin d'asseoir le caractère de réflexivité de la philo par
rapport aux autres disciplines, notamment technologiques ; les disciplines générales
ne doivent pas être sous la tutelle de l'enseignement technologique, mais ce dernier
peut être le support de l'enseignement général.
La discussion fait apparaître que les arguments sont tous retournables :
le fait de décliner une notion spécifique par série techno est-il une aide pour les
élèves ? Ne serait-ce pas au niveau des consignes de correction que les exigences
devraient être différentes? Car le souci de chacun est de voir les élèves ayant travaillé
réussir!
partir de ce qui est familier aux élèves peut s'entendre autrement : leur parler de la
technique risque de les décourager autant que de parler des maths aux Terminales S ;
ne faut-il pas plutôt parler de ce dont ils n'entendent jamais parler?
enfin sur la question de la réforme et de la plus grande cohérence, si le programme
est souple comme l'est un programme de notions et non de problèmes, ne peut-on
dire que cette question de la cohérence est à régler dans le cadre de l'élaboration du
cours par chaque professeur et non par le cadre rigide d'un programme déterminant
ce que l'on doit précisément ou non enseigner?
Le débat a comporté un essai de ce que pourrait être une spécification légère selon un
regroupement possible de séries :
-en STT ou STG, droit et justice plutôt que loi
-en SMS et STL option bio, éthique et sciences médicales.
Evidemment la discussion n'avait pas pour but de trancher et il faudra une consultation
directe de tous les syndiqués, sous une forme à définir, au printemps.
V) Les épreuves de philo au bac et leur évaluation
Le débat sur ce sujet a montré la gravité du problème, d'autant plus que la dissertation
n'est pas toujours présente, en droit ou en fait, dans les autres enseignements des séries
technologiques, particulièrement en STI. Cela rend la préparation à la dissertation
philosophique très difficile, sinon impossible, pour la plupart des élèves dans les conditions
horaires imparties. Or nous en sommes toujours au "choix" à l'examen entre 2 sujets de
dissertation et une étude de texte aux questions non définies quant à leur nature,
particulièrement en ce qui concerne la dernière. Le texte posant souvent des dificultés de
compréhension qui sont souvent des pièges linguistiques ou culturels inutiles pour ces élèves,
ce qui les empêche d'exprimer leurs capacités philosophiques. De ce point de vue le projet de
programme fige plutôt les choses alors que ses auteurs affirment que la définition des
épreuves du bac ne fait pas partie de leur mission. S'il est adopté en l'état, une évolution,
même modérée des épreuves, sera très difficile.
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