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LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE
CHAPITRE INTRODUCTIF: LE CHEMINEMENT HISTORIQUE DE L’IDEE
D’UNIFICATION EUROPEENNE
Le mot «Europe» a fait son apparition, dans un sens géographique, cinq siècles avant
notre ère. Hérodote, au Ve siècle avant J.-C., nous rappelle que les Grecs appelaient leur terre
Europe (Histoires, VII, 185) du nom d’une héroïne mythologique, une Phénicienne enlevée
par Zeus qui avait pris pour la séduire la forme d’un taureau. Aujourd’hui, l’Europe désigne
un continent qui s’étend de l’Atlantique à l’Oural et de la Méditerranée à la Scandinavie.
La Grèce antique est souvent présentée comme le berceau de l’Europe, de Thémistocle
l’Athénien à Alexandre le Macédonien sont autant de héros mythifiés pour leur combat contre
les « barbares » de l’Orient, les Perses Achéménides.
Il faudrait sans doute remonter à l’Empire romain, pour avoir le plus ancien model
d’unification européenne sous une autorité centrale. Selon le géographe Strabon, qui écrivit
peu avant l’ère chrétienne, les Romains «tiennent presque toute l’Europe, excepté la partie
qui se trouve au-delà de l’Ister [Danube] et les parties bordant la Baltique entre le Rhin et le
Tanaïs [Don]». Les Romains ne pourront jamais conquérir la Germanie (désastre de
Tautebourg Val), et c’est sous Trajan seulement qu’ils dépasseront notablement le Danube en
s’emparant de la Dacie (Roumanie). Pendant plus de cinq siècles, une grande partie de
l’Europe, de la Méditerranée à l’Angleterre et de l’Espagne à la Roumanie obéissait au
pouvoir central basé à Rome. Les Grandes invasions germaniques du Vème siècle vont briser
cette unité (prise de Rome par les Wisigoth en l’an 476).
Pendant tout le Moyen Âge, le rêve a persisté d’unifier l’Europe sous la direction soit
de l’empereur, soit du pape. On mentionnera l’éphémère Empire de Charlemagne au début du
IXème siècle.
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Mais, l'Europe à peine sortie du Moyen Âge voit s'affronter deux conceptions : la
première fondée sur la doctrine de l'équilibre européen postule qu'aucun État ne devrait
détenir une puissance telle qu'il imposerait sa domination aux autres ; la seconde vise au
contraire au non d'une volonté « messianique » à regrouper tous les pays européens sous une
autorité unique, l’Empire universel. Ainsi, la nostalgie d'une unité perdue sous Rome va
animer les ambitions de Charles Quint, souverain du Saint Empire Romain Germanique
(1500-1558), qui sera la cause d’incessants conflits à l'Est contre l'Empire Ottoman et à
l'Ouest contre le Royaume de France.
Avec ses héritiers Philippe II d’Espagne et Ferdinand II d’Autriche (1578-1637) ce
sont les prétentions des Habsbourgs de réunifier l'Europe sous la bannière du catholicisme qui
se heurtera à la Réforme. Née d’une querelle religieuse opposant des Princes allemands
protestants à l’Empereur, la Guerre de Trente ans (1618-1648) vit s’affronter sur le territoire
allemand les impériaux et leurs alliés (Bavière, Espagne) aux partisans de la Réforme
soutenue par la France et la Suède, soucieuses toutes deux d’empêcher une hégémonie de
l’Empire. La Paix de Westphalie qui met fin au conflit fut l'occasion de la première
conférence diplomatique européenne qui a consacré la théorie de l'équilibre européen.
Napoléon 1er reprendra à son compte le flambeau d’une Europe impériale mais devra
s’incliner lui aussi face à une coalition des nations à Leipzig (1813)
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et à Waterloo (1815).
Les précurseurs
Bien avant la deuxième Guerre mondiale, l’abbé de Saint-Pierre, Emmanuel Kant,
Jean-Jacques Rousseau, Saint Simon ou Proudhon prônaient déjà l’avènement d’une Europe
pacifiée et fédérée. Leurs réflexions visionnaires furent jugées utopiques dans une Europe
engagée dans d’incessantes rivalités de puissances. On mentionnera notamment :
. A la Renaissance, le Tractus rédigé en 1464 par le roi de Bohême Podiebrad répondait au
souci de rassembler les peuples de la chrétienté face à l’Empire ottoman conquérant dans un
pacte prévoyant une juridiction et un Parlement des Etats ;
. Le Projet politique du duc de Sully, ministre d’Henri IV publié seulement en 1788 contenant
une correspondance avec la reine d’Angleterre Elisabeth 1er ;
. L’Essai du Quaker William Penn intitulé Present and Future Peace of Europe (1693);
. L’abbé de Saint Pierre, plénipotentiaire français aux conférences qui adopteront le Traité
d’Utrecht (1713-1715) mettant fin à la guerre de Succession d’Espagne a proposé un Projet
pour rendre la paix perpétuelle en Europe (1713) et un Projet pour rendre la paix perpétuelle
entre souverains chrétiens (1717) ;
. Jean-Jacques Rousseau dans son Jugement sur la Paix perpétuelle est favorable à une
fédération ou une confédération ;
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Cette bataille est plus connue sous l’appellation de « bataille des nations ».
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.C’est Emmanuel Kant qui avec Pour la Paix perpétuelle (1795) écrira un essai majeur dans
lequel il estime que seul des régimes républicains peuvent imposer la paix en Europe ;
. Dans de la Réorganisation de la société européenne destiné aux Parlements de France et
d’Angleterre (1814), Claude Henry de Saint-Simon propose une confédération franco-
britannique destinée à s’élargir à d’autres régimes parlementaires avec l’objectif d’un
Parlement européen moteur de l’unification de l’Europe ;
. Victor Hugo qui fut un des premiers à utiliser la formule d’« Etats-Unis d’Europe » lança à
l’occasion du Congrès de la Paix de Paris (1849) un appel pour la création d’un « grand sénat
souverain qui sera à l’Europe ce qu’est le Parlement à l’Angleterre » ;
. Giuseppe Mazini qui fonda en 1834 l’association Jeune Europe a établi en 1857 une carte de
la future Europe des nations » ;
. L’autrichien Coudenhove-Kalergi fondateur de la Revue Paneuropa (publiée à Vienne en
1923) fut un des artisans de l’«Union paneuropéenne » et du Manifeste paneuropéen (1924) ;
En 1926, le premier Congrès de l’Union paneuropéenne qui rassembla à Vienne les
délégués de 24 pays adopta le Manifeste paneuropéen énonçant les grandes lignes d’une
« organisation fédérative de l’Europe ». Aristide Briand qui fut Président d’honneur de
l’Union paneuropéenne a lancé devant l’Assemblée de la S.D.N. le 5 septembre 1929 l’idée
d’un lien fédéral entre les peuples du Vieux Continent. Le gouvernement français a présenté
en mai 1930 un Mémorandum sur l’organisation d’un régime d’union fédérale européenne.
La montée des périls a eu raison du projet Briand qui est abandonné en 1932.
Le Nouvelle Ordre européen d’Adolf Hitler
Comme Napoléon, Hitler s’est lancé à la conquête de l’Europe. Comme lui, il l’a
contrôlée pendant une période brève aux yeux de l’historien, interminable pour ceux qui en
ont souffert. Mais la ressemblance s’arrête ici. Le régime hitlérien est à l’origine de crimes
contre l’humanité sans précédent, en particulier à l’égard des juifs et des tziganes. L’Europe
de Hitler, dont les ressources et les hommes étaient exploités par la machine de guerre nazie,
était conçue comme une pyramide dominée par le Grand Reich allemand de cent millions
d’habitants, perçu comme supérieur aux autres peuples. Une vision raciale de l’Europe
dominait:
. En haut de l’échelle les peuples nordiques (Allemands, Scandinaves, Néerlandais) ;
. Dans une position intermédiaire les latins et les peuples balkaniques non Slaves ;
. Dans une position inférieure les Slaves (untermeshen) qui constitueront une réserve de main
d’œuvre du Reich et dont le territoire servirait d’espace vital pour l’expansion des aryens
(Lebensraum) ;
. Au plus bas de l’échelle les juifs voués à l’expulsion ou à l’extermination.
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L’Europe hitlérienne comportait cinq types d’espaces politiques :
. Le Grand Reich, centre de gravité de la nouvelle Europe agrandie par l’Anschluss et
l’annexions des territoires peuplés d’allemands en Tchécoslovaquie et en Pologne;
. Les territoires occupés voués à un statut à déterminer à la fin de la Guerre mais ou subsistait
un pouvoir local acquis à la présence allemande: Belgique, Pays-Bas, Danemark, Norvège, la
France amputée de l’Alsace - Lorraine (régime de Vichy);
. Les territoires occupés peuplés des Slaves (jugés inférieurs) passent sous Protectorat ou
gouvernements généraux allemands (Bohème et Pologne) ou sont voués à une colonisation
germanique jusqu’à l’Oural et au Caucase: territoires de l’Union soviétique occupée et divisés
en deux régions : Reichkommisariat des régions de l’Est et Reichkommissariat d’Ukraine;
. Statut particulier de la Yougoslavie, de l’Albanie et de la Grèce occupée et divisée en zones
d’influences allemande et italienne et privée d’une partie de leurs territoires au profit des alliés
hongrois, bulgares et roumains et de la nouvelle entité croate des Oustachis;
. Les Alliés du Reich ou Etats satellites : l’Italie mussolinienne, la Finlande, la Slovaquie, la
Hongrie, la Croatie, la Roumanie et la Bulgarie liées au Reich par le Pacte d’Acier (1938).
L’Angleterre isolée résistera à la machine de guerre allemande tandis que la Suède,
l’Irlande, la Suisse, l’Espagne et le Portugal optent pour la neutralité.
Le Nouvel Ordre Européen d’Hitler devait s’étendre de l’Atlantique à l’Oural (en fait
de l’Atlantique à la Volga), une formule reprise plus tard par de Gaulle avec une vision et un
contexte différent.
Sur le plan économique, les Allemands envisageaient d’imposer une sorte de marché
commun européen sous forme de bloc économique et financier dont le mark aurait été la
monnaie de réserve et les places financières (Berlin et Vienne). Dès 1940, une concentration
de la finance et du commerce se fait à Berlin. Les grands groupes industriels allemands (IG
Farben pour la chimie) commencent à réorganiser l’industrie et le commerce européen en
cartels et associations commerciales centrés sur le Reich. Les puissants Reichwerke prirent le
contrôle de l’industrie lourde dans les pays occupés pour alimenter la machine de guerre
allemande.
C’est au nom de l’«Europe nouvelle» que Hitler lança la «croisade antibolchevique».
Les Allemands, dit-il, seront «capables de fournir à toute l’Europe sa classe dirigeante [...]
Les générations qui nous suivront accepteront certainement l’unification de l’Europe que
nous sommes en train d’accomplir». Mais l’Europe d’hégémonie germanique conçue par
Hitler fut finalement vaincue par les Alliés et par la résistance des peuples occupés. Il faut
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noter que, parmi des préoccupations plus immédiates, les mouvements de résistance
occidentaux élaborèrent pour l’avenir divers projets d’union dont le plus remarquable fut un
«Projet de claration des résistances européennes» (1944) prévoyant «une union fédérale
entre les peuples européens».
L’Europe divisée de la Guerre froide
La deuxième Guerre mondiale fut pour l’Europe un désastre à la fois sur le plan
politique et économique mais aussi humain et moral. L’Europe n’était plus le centre mondial
de la puissance détenue désormais par les deux grands vainqueurs de la guerre, les Etats-Unis
et l’URSS qu’une rivalité pour l’hégémonie mondiale allait bientôt opposer pendant presque
un demi-siècle. L’Europe est divisée en deux blocs rivaux. En effet, dès 1945, les conférences
de Yalta (février 1945) et de Potsdam (juillet-août 1945) permettent aux alliés de régler le sort
de l'Allemagne (dénazification, démilitarisation et occupation) et de délimiter les nouvelles
zones d'influence en Europe centrale et orientale.
Les négociations de Yalta et de Potsdam ont réveillé d'importantes divergences
opposant les puissances occidentales et l'URSS en ce qui concerne l'avenir de l'Europe. Pour
Staline, l'URSS qui a payé le plus lourd tribut dans la guerre contre l'Allemagne nazi a un
droit de regard sur les régimes politiques qui se mettent en place dans les pays libérés par
l'Armée Rouge. Pour les Occidentaux ces régimes doivent êtres nécessairement issus
d'élections libres. En 1947, le Président Truman amorce un changement radical de la politique
américaine en proposant le Plan Marshall destiné à aider la reconstruction de l'Europe et à
renforcer ainsi la résistance à la « subversion communistes » (mouvements sociaux en
Angleterre et en France). Ce plan accroît la méfiance soviétique qui dés 1947 installe des
régimes dominés par les communistes en Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Pologne et
Tchécoslovaquie. Le « coups de Prague » (1948) marque le début de la Guerre froide.
L’une des crises les plus graves de la guerre froide aura pour théâtre le cœur de
l’Europe, c’est le blocus de Berlin (1949) qui accentua la division de l'Allemagne en deux
entités étatiques hostiles, la R.F.A. et la R.D.A. La division de l'Europe (le rideau de fer
dénoncé par Churchill) est consommée avec la constitution de deux alliances antagonistes,
l'Alliance Atlantique (Traité de Washington instituant l'OTAN, 1949) et le Pacte de Varsovie
(1955), la première dominée par les États-Unis et la seconde par l'URSS.
Quelle Europe ?
Sur le plan politique, on signalera les principales divergences à propos de l’Europe de
l’après-guerre à construire.
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