métasédimentaire), une partie des corps granitiques présents en Oman peut se former par fusion
incongruente des pyroxènes des harzburgites, les éléments alcalins étant apportés par les fluides
hydrothermaux. L’argumentation combine les évidences de terrain (présence systématique
d’épontes dunitiques autour des corps granitiques), et les arguments géochimiques (très faible
teneur en Al de ces granites par rapport aux granites d’origine metasédimentaires, déplétion
anormale en éléments traces incompatibles, sauf ceux transportés par les fluides hydrothermaux
comme le Ba, corrélation entre la teneur en Ba et K, signatures isotopiques, …).
Nous pensons que ce mécanisme de fusion hydratée peut être important aux dorsales actives
mais l’étude du seul contexte ophiolitique ne permettait pas de le démontrer : dans un contexte
ophiolitique on ne peut totalement exclure a priori la possibilité d'un magmatisme tardif lié au
charriage ou à une éventuelle subduction. Par chance, des échantillons présentant des caractères
pétrographiques et géochimiques identiques à nos cumulats boninitiques d'Oman ont été forés au
site DSDP 334 en 1974 (dorsale médioatlantique). Ces échantillons ont bien entendu été
amplement étudiés par le passé mais aucune étude géochimique et isotopique "propre"
bénéficiant des technologies récentes n'avait été réalisée sur ces carottes.
Nous avons soumis une « sample request » à ODP et reçu l'autorisation de prélever une vingtaine
d’échantillons de la moitie "archive" des carottes de ce site « culte » - les premiers échantillons
de la croûte profonde forés dans les océans ! L’étude de ces carottes, effectuée en coopération
avec Mathieu Benoit, un de nos anciens thésards, et Philippe Nonnotte, étudiant brestois, a
permis de confirmer, sur ce matériel unique, que les corrélations entre la composition modale,
chimique et isotopique, clé de notre argumentation pour l'hypothèse de la fusion hydratée,
existent bien dans un environnement de dorsale non contestable (Nonnotte, Ceuleneer, Benoit,
EPSL, 2005, sous presse). On voit par exemple, dans la figure ci-dessous extraite de ce papier,
que les cpx du site 334 se placent sur un trend de boninites (Site ODP 786) et non sur le trend
des cumulats gabbroiques « classiques » de dorsales échantillonnés en d’autres sites ODP. Les
processus géologiques conduisant à la formation de magmas de type andésite-boninite, n’existent
donc pas uniquement en zone de subduction, mais peuvent très bien opérer aux dorsales, en
contexte d’expansion océanique.
Nés dans un environnement froid, ces liquides " lithosphériques " ne pourraient migrer sur de
longues distances sans cristalliser, ce qui est en accord avec leur mode d'affleurement sous forme
d'essaims de pegmatites, leur rareté dans les niveaux crustaux de l'ophiolite et des dorsales et leur
absence sous forme de laves émises aux dorsales. Il est toutefois probable qu'un mélange partiel
entre liquides lithosphériques et liquides asthénosphériques contribue à la variabilité
géochimique des MORBs. C’est une hypothèse relativement provocatrice qui jette un pavé dans
la mare de certaines théories de géo-dynamique chimique, cette variabilité étant classiquement
attribuée à des hétérogénéités mantellaires.
L’intérêt de ces découvertes est de mieux comprendre ce qui se passe dans la zone frontière
située à l’interface entre hydrothermalisme et magmatisme, fondamentale pour les échanges
géochimiques lithosphère-hydrosphère, mais encore très peu comprise actuellement. La
poursuite de ce type d’études pourrait constituer un axe de coopération original avec les
modélisateurs de l’équipe (Michel Rabinowicz, Pierre Genthon, …).