Mondialisation, médias et stratégies de solidarité

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Mondialisation, médias et stratégies de
solidarité
La restructuration du marché mondial entraîne des atteintes importantes aux droits
sociaux et professionnels de nos membres. L'industrie des médias connaît des
bouleversements. De nouveaux conglomérats se créent en raison du processus de
convergence technologique et de l'expansion du marché mondial de l'information.
La mondialisation des médias suppose une intégration beaucoup plus large des
systèmes d'information et de communication et entraîne des changements profonds
des statuts de l'emploi et des méthodes de travail. Dans le monde, les médias sont
dominés par une poignée de conglomérats transnationaux. Ainsi, l'industrie
cinématographique mondiale est aujourd'hui aux mains de sept sociétés faisant
toutes partie de conglomérats du monde des médias. De même, cinq acteurs
dominent le marché de la musique, et quatre de ceux-ci appartiennent à des sociétés
transnationales de médias. Ensemble, ces cinq sociétés réalisent 70 % de leurs
revenus en dehors des États-Unis.
Aux quatre coins du globe, les départements rédactionnels subissent des coupes
claires, car les médias imposent un sévère contrôle des coûts : la qualité du
journalisme s'en ressent, au même titre que les droits associatifs et sociaux des
journalistes. Une grande partie de ce processus a été révélée durant la période du
Congrès dans l'étude internationale du journalisme indépendant réalisée par la FIJ
pour l'Organisation Internationale du Travail.1
L'élément déterminant des changements de structure des médias à l'échelon mondial
n'est pas tant le contrôle des contenus exportés, mais bien l'augmentation du contrôle
des sociétés transnationales quant à la distribution des médias et à leur contenu dans
les différents États. Certes, la presse écrite est encore largement du ressort national,
mais le visage de la télévision s'est transformé au point de devenir méconnaissable.
Le satellite et le câble ouvrent les marchés nationaux à une pléthore de nouvelles
chaînes et de services. Les détenteurs du câble aux États-Unis luttent âprement
1
Pour plus d'informations, voir le site internet de la FIJ : http://www.ifj.org
pour le gain des parts de marché en Europe, en Asie et en Amérique Latine, tandis
que les sociétés de médias font partie des principaux acteurs de l'établissement des
systèmes de télévision par satellite adaptés aux marchés régionaux et nationaux.
Partout dans le monde, la télévision constitue le principal élément influençant la
société. (Aux États-Unis, les enfants passent jusqu'à quatre heures par jour devant la
télévision. Ce chiffre est réduit de moitié en Europe, mais le niveau est à son plus
haut point historique et continue à augmenter.)
En dépit du fait que de nombreux pays – comme la Norvège, le Mexique, la France,
l'Inde et la Corée du Sud – ont une forte tradition de protection de la culture et des
médias nationaux, la pression est forte pour ouvrir les marchés des médias à l'entrée
des conglomérats mondiaux. Dans chaque pays, les néo-libéraux, fortement opposés
aux subventions publiques dans le secteur des médias, avancent l'argument que les
barrières commerciales compromettent le libre choix du consommateur. En Europe,
au Canada, au Japon et en Australie, le principal conflit opposant les valeurs sociales
et culturelles à la puissance du marché a trait à l'avenir des chaînes de service public.
Néanmoins, les événements qui touchent le monde des médias ne constituent qu'une
facette de la mondialisation. L'influence des sociétés commerciales dans les pays
développés augmente et, parallèlement, le fossé entre les riches et les pauvres
s'élargit dans une grande partie du monde. Le Rapport sur le Développement
Humain des Nations Unies indique que la concentration de la richesse et du pouvoir
s'accentue. Plus de 40 % des échanges commerciaux dans le monde sont opérés par
359 sociétés et la richesse de 10 milliardaires équivaut à 1,5 fois le revenu des
48 pays les plus pauvres.2
L'économie mondiale, en ce compris le secteur des médias, échappe largement au
domaine de la responsabilité démocratique et industrielle. Lorsque l'économie se
grippe, les travailleurs du secteur des médias et les journalistes souffrent autant que
les autres groupes de travailleurs. Durant la période du Congrès, cela s'est
principalement avéré au vu de la récente récession qui a frappé l'Asie. Cette crise
sociale ajoute à l'insécurité et à l'incertitude vécues par des milliers de journalistes et
de travailleurs du secteur des médias, dont beaucoup ont subi l'action de régimes
2
Rapport sur le Développement Humain, ONU 1997
dictatoriaux et autoritaires qui violent les droits humains les plus fondamentaux.
Le principal bouleversement engendré par la mondialisation n'est autre que
l'augmentation de la mobilité des capitaux et la croissance à l'échelon mondial des
marchés financiers instables. Lorsque ces derniers s'écroulent, cela entraîne parfois
des conséquences dévastatrices, comme en Asie en 1997 et 1998, lorsque
l'effondrement des sociétés financières et la chute importante des taux ont conduit à
une augmentation sensible de la pauvreté et du chômage. L'impact en a été ressenti
dans d'autres régions du monde, par exemple au Brésil et en Russie, où la croissance
a reculé parce que les capitaux mobiles internationaux ont quitté ces marchés jugés
trop risqués.
Le rétablissement récent des bourses de ces pays a apaisé les craintes d'une crise
économique planétaire, mais la chute de la confiance dans les secteurs des nouvelles
technologies et de l'information qui sévit depuis 2000 a ressuscité les craintes
d'instabilité, d'une augmentation du chômage et d'une réduction des services publics
menaçant le tissu social de la société. Le problème est que la mondialisation, parce
qu'elle ne comprend aucune dimension sociale et est dépourvue d'un cadre fort de
régulation, est fondamentalement instable et crée ainsi un danger important de
spéculation financière, ce qui est désastreux pour l'économie réelle. Comme l'État ne
peut plus jouer son rôle d'antan, il n'y a plus d'institutions internationales
garantissant la protection des libertés individuelles, le respect des droits humains ou
la promotion de la justice sociale, sans parler du maintien de la paix.
En conséquence, les manifestations lors des sommets de l'OMC à Seattle et à Prague
en 1999 et 2000, ainsi que l'organisation d'un forum parallèle au Forum économique
mondial de Davos (à Porto Allegre, au début de l'année 2001) reflètent la
préoccupation grandissante dans l'opinion publique quant au manque de contrôle de
la mondialisation et au besoin de la transformer, afin d'inclure les valeurs sociales et
culturelles.
Ces manquements de l'administration au niveau international se font clairement
sentir dans le domaine de l'information et des communications. La décision de la
News Corporation de censurer les chaînes par satellite et les sociétés d'édition de
livres (HarperCollins, 1998) en enlevant des passages critiques quant à la Chine
dans le but de préserver les intérêts commerciaux prouve de façon inquiétante que
les entreprises actives dans le secteur des médias à l'échelon mondial sont
susceptibles d'augmenter les entraves à la liberté d'expression. La croissance des
revenus de la publicité en Chine – qui a atteint des taux de 40 à 50 % durant les
années 1990 – fait de ce pays un marché lucratif, où les considérations d'ordre moral
sont sacrifiées sur l'autel des intérêts des grandes entreprises.
Dans tous les secteurs, les salaires et les conditions de travail ont été atteints aux
deux extrémités de l'économie mondiale : par les forces du marché dans les pays
développés (via un taux de chômage élevé et des pratiques professionnelles
privilégiant les contrats indépendants à durée limitée et les collaborations
temporaires) et par les règlements promulgués par l'État, voire le recours brutal à la
force dans les pays en développement.
Changements du paysage médiatique
L'une des forces motrices de l'expansion du marché des médias n'est autre que le
pouvoir de la publicité, en particulier émanant des sociétés transnationales, qui
fournit les ressources nécessaires à l'expansion à l'échelon mondial. Le marché
planétaire des médias est aujourd'hui dominé par dix conglomérats : AOL Time
Warner (États-Unis), Bertelsmann (Allemagne), General Electric, Disney (ÉtatsUnis), Sony (Japon), Vivendi-Universal (France), News Corporation (États-Unis,
Australie), AT&T, Viacom et Seagram (États-Unis et Canada). Il s'agit des dix
principaux groupes d'une industrie très concentrée. AOL Time Warner, avec des
revenus annuels de 28 milliards de dollars est environ 50 fois plus grande que la
50ème société mondiale du secteur. Ce qui différencie ces acteurs, ce n'est pas
seulement la taille, mais aussi les réseaux mondiaux de distribution.
La croissance de toutes ces sociétés dépend du gain de parts toujours plus
importantes du marché mondial. Afin d'atteindre cet objectif, il leur faut réussir
l'amalgame de la capacité de production et d'une distribution efficace. Seules deux
de ces sociétés ne sont pas des producteurs importants et toutes possèdent des parts
substantielles dans le domaine de la musique, du cinéma et des loisirs. Elles
disposent de la taille et de la capacité nécessaires pour acquérir des moyens et
conclure des partenariats, par exemple dans le domaine des télécommunications et
de l'internet, en pleine croissance.
Derrière ces sociétés se trouve un deuxième groupe d'acteurs, constitué d'environ
50 sociétés, et occupant des positions importantes dans les marchés de l'information
au niveau régional ou national. Ce sont aussi de grandes entreprises faisant partie du
top 1000 mondial. Citons Gannett, Dow Jones, Thomson et Hollinger en Amérique
du Nord, Pearson, Reuters, Reed-Elsevier et Kirch en Europe. Cet ensemble
d'environ 60 sociétés contrôle la majeure partie des médias au niveau mondial, y
compris l'édition de livres, de périodiques et de quotidiens, l'enregistrement musical,
la télévision, le cinéma, ainsi que la distribution par câble et par satellite.
Ces sociétés ne sont pas à proprement parler dans un état de concurrence entre elles.
Il existe un entrelacs complexe d'interconnexions au sein duquel les principales
sociétés partagent souvent des actionnaires importants, possèdent les filiales les unes
des autres, ou partagent des directions entremêlées. Les dix grands conglomérats ont
tous des coentreprises, comportant en moyenne sept des neuf autres géants des
médias et généralement plus d'une seule.3 Pour le second groupe de sociétés, ces
liens sont également vitaux. Sur le marché mondial des médias, les principaux
acteurs trouvent des accommodements garantissant à chacun une part rentable du
nouveau marché de l'information. Comme l'observe Robert McChesney, le paysage
médiatique mondial ressemble davantage à un cartel qu'à un marché de nature
concurrentielle.
L'impact de la mondialisation sur les syndicats et le journalisme
La mondialisation a réduit la capacité d'action des syndicats et de l'État, ce qui
entraîne une négociation collective et un dialogue social moins efficaces. 4 Les
syndicats perdent des membres, et seule une minorité de pays compte une majorité
de travailleurs syndiqués. Selon l'OIT, les syndicats s'adaptent de quatre manières
afin de relever le défi :
 En offrant de nouveaux services aux membres (notamment des assurances,
des avantages sociaux, des services d'aide juridique, des formations, des
programmes de communication, etc.)
3
Rapport Variety sur les 50 principales entreprises du secteur des médias, 1997.
4
Rapport mondial sur le Travail, 1997-1998, OIT.
 En recrutant de nouveaux groupes de travailleurs, en particulier les
travailleurs indépendants, ceux employés dans des emplois précaires et les
travailleurs non officiellement reconnus.
 En élargissant la coopération entre les syndicats, via des campagnes
transnationales cherchant à définir des codes et des normes en matière sociale,
environnementale et culturelle.
 En constituant de nouvelles alliances avec les organisations de
consommateurs ou de citoyens et en recherchant de nouveaux partenaires
dans l'industrie en vue d'atteindre des objectifs communs.
Ces tendances s'observent également parmi les syndicats de l'industrie mondiale des
médias et des communications. Ces dernières années, certains signes de changement
sont apparus, notamment la croissance rapide des cadres de travail indépendant et de
travail précaire et la lutte à l'échelon mondial pour préserver les protections
traditionnelles de la propriété intellectuelle, des problèmes cruciaux auxquels les
syndicats de la FIJ se sont attelés durant la période du Congrès.
La lutte pour la préservation des droits sociaux et de la capacité de négociation
collective est rendue plus délicate par le déclin patent de la qualité du journalisme
depuis que celui-ci est devenu une source importante de bénéfices pour les géants
des médias. Le journalisme d'investigation et la couverture de la scène internationale
ont subi une réduction en raison de leur coût élevé. La télévision à la recherche du
sensationnel et le journalisme des quotidiens de bas de gamme ont apporté leur
pierre au débat mondial sur la qualité du journalisme et l'angoisse sans précédent des
journalistes et autres quant aux conséquences sur le fonctionnement de la
démocratie.
La question de la qualité des médias est aujourd'hui un souci fondamental des
syndicats de journalistes et fera partie des discussions prioritaires à mener durant le
Congrès. (Voir Document de discussion trois.)
Dans ces circonstances, les syndicats de journalistes sont de plus en plus conscients
de la nécessité de promouvoir et de protéger le caractère professionnel du métier de
journaliste. L'identité professionnelle du journaliste constitue un facteur déterminant
du développement de la réponse à apporter par les syndicats à la crise sociale et
culturelle faisant actuellement rage dans le monde du journalisme.
Vers une stratégie des syndicats pour la solidarité
1. Le réseau mondial complexe de propriété et de contrôle des médias dans le
monde appelle une réponse de la part des syndicats qui se fonde sur une
coopération transnationale d'un ensemble de d'organisations syndicales
fédérant les travailleurs issus de secteurs différents.
2. En coordination avec la CISL et d'autres organisations, la FIJ travaille d'ores
et déjà avec d'autres syndicats mondiaux, comme l'Union Network
International, dans le but de promouvoir une série de revendications destinées
à contrer l'effet négatif de la mondialisation. Citons notamment :
 La défense des médias de service public et des services publics en
général, avec des actions plus décidées visant à protéger les objectifs
de production de médias nationaux.
 Une action au niveau international pour contrôler la spéculation,
y compris la considération d'une taxe mondiale sur les flux de
capitaux à court terme, les revenus étant utilisés pour assurer le
financement des programmes de réduction de la pauvreté.
 Un contrôle international plus sévère de l'ensemble des marchés
financiers, moyennant l'établissement de règles en matière de
supervision du secteur bancaire et de normes mondiales relatives à la
réglementation des marchés financiers, ainsi que la transparence totale
des budgets publics, afin de lutter contre la corruption
 La coordination internationale des politiques économique et
monétaire afin de garantir une croissance stable et à long terme, ainsi
qu'une révision du rôle de la Banque Mondiale et du FMI, suivant les
vœux du Sommet des Nations Unies le Développement social, pour
que les programmes de prêt se fondent sur le respect des droits
humains, une augmentation du taux d'emploi et une réduction de la
pauvreté, non pas sur l'austérité et la déréglementation.
 Un dialogue social avec les syndicats, les employeurs et autres en
vue de créer un consensus national et international pour des stratégies
de développement durable ayant pour but d'éradiquer la pauvreté, de
créer de l'emploi et de permettre une politique économique saine,
fondée sur le respect absolu des droits humains fondamentaux.
 Des actions visant à élaborer des codes et des normes destinés à
être appliqués dans le cadre des accords commerciaux internationaux
afin de garantir le respect des normes du travail et, dans le cas des
médias, permettre la liberté d'expression et l'indépendance
journalistique.
 Des actions pour lutter contre la corruption et créer l'ouverture et
la transparence des affaires publiques, telles qu'indiquées par l'appel
de la FIJ en février 2001 pour mettre un terme à la confidentialité au
sein de la Banque Mondiale.
3. En vue d'atteindre ces objectifs, les syndicats réfléchissent sur la meilleure
façon de procéder pour souligner l'obligation faite aux entreprises
transnationales de respecter la Déclaration universelle des Droits de l'Homme
ainsi que les conventions et normes de l'OIT relatives au travail ; les
syndicats considèrent aussi la création de structures transnationales destinées
au dialogue social et garantissant aux délégués syndicaux le droit à
l'information, à la consultation et à la négociation, ainsi que la constitution
d'une charte reconnue des droits sociaux et culturels devant figurer sur tous
les accords commerciaux internationaux. La FIJ entend développer cette
approche en coopération avec ses partenaires des autres organisations
syndicales dans le monde.
4. Afin de mener à bien cet agenda, la FIJ doit donc accorder la priorité au
travail au sein des organisations internationales et régionales du mouvement
syndical.
5. Cependant, la FIJ doit avoir une autre priorité : identifier les régions et les
entreprises où il est possible de promouvoir une coopération efficace entre les
syndicats nationaux de journalistes et de travailleurs du secteur des médias.
Des initiatives concernant Hollinger, Independent Newspapers, Reuters et
News Corporation ont déjà été lancées avec des résultats mitigés, mais ce
travail doit être poursuivi. La coopération de l'année passée entre les affiliés
norvégiens, allemands et polonais de la FIJ en ce qui concerne la négociation
avec les entreprises actives des deux côtés de frontières communes constitue
un signe encourageant d'action positive dans ce domaine.
6. L'utilisation des outils présents sur l'internet à l'ère de l'information constitue
un élément crucial du travail à venir de la FIJ. Un programme cohérent
d'activités est nécessaire pour donner aux syndicats de journalistes des
informations fiables ainsi qu'un réseau de contacts syndicaux au sein des
entreprises transnationales.
7. Le programme de travail de la FIJ pour les années à venir doit être de mettre
en place des structures destinées aux membres de la Fédération pour leur
permettre de communiquer efficacement les uns avec les autres dans le but de
définir des approches communes en matière d'organisation, de négociation et
des conflits. Pour atteindre cet objectif, il faut commencer par partager les
informations.
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