L`identité française entre tradition et modernité

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MEMOIRE DE FIN D’ETUDES
MASTER LANGUE ET CULTURE FRANÇAISES
PROGRAMME COMMUNICATION INTERCULTURELLE
UNIVERSITÉ D’UTRECHT
L’identité française
entre tradition et
modernité
[de Clovis à Renan et de Louis XVI à
Sarkozy]
Daniëlle Putman Cramer
Sous la direction de Dr. Marie-Christine Kok-Escalle
Mai 2008
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
Voorwoord
In dit voorwoord wil ik graag iedereen bedanken die mij op zijn of haar wijze heeft
ondersteund tijdens het schrijven van mijn afstudeerscriptie.
Ten eerste gaat mijn dank in het bijzonder uit naar mijn scriptiebegeleidster, MarieChristine Kok-Escalle. Zij is van begin tot einde zeer betrokken geweest bij het proces van
schrijven en herschrijven en ondanks dat er soms enige vertraging was heeft zij mij altijd
ondersteund. Mede dankzij haar optimisme ben ik altijd blijven geloven dat het goed zou
komen. Daarnaast zijn haar kennis, inzicht, literatuuradviezen en wetenschappelijke houding
voor dit werk van onschatbare waarde geweest.
Ten tweede gaat mijn dank ook uit aan alle andere docenten van de opleiding Frans voor
hun enthousiasme en inzet. Een groot deel van mijn kennis van de Franse Taal en Cultuur
heb ik opgedaan op en rond de Kromme Nieuwegracht 29.
Ten slotte wilde ik graag mijn familie en vrienden bedanken voor alle leuke momenten
die er dankzij hen waren als ik even vrij was van de scriptie, evenals voor alle
steunbetuigingen, interesse betreft de vorderingen en de kopjes koffie.
Met deze scriptie sluit ik mijn studietijd af. Ik kijk erop terug als een periode waarin ik
zeer veel geleerd heb, zowel op de universiteit als over mijzelf. In mijn herinnering zullen
vooral de periodes in Frankrijk en Zwitserland mij altijd extra bijblijven als een verrijkende
ervaring. Ik ga ervan uit dat de kennis en vaardigheden die ik tijdens mijn studietijd heb
verworven mij in mijn verdere leven veel goeds zullen brengen.
Utrecht, 25 mei 2008
[1]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
Table des matières
INTRODUCTION
4
1. L'IDEE DE LA NATION DU MOYEN ÂGE A LA IIIE REPUBLIQUE
7
1.1. Le sentiment national et la conception de la nation en France au Moyen Age
Le caractère composite du sentiment national français au Moyen Âge
La société d’ordres et la solidarité de base
Le sentiment national en période de crise
7
7
9
11
1.2. L’être ensemble enraciné dans des idées
1.2.1. L'évolution des idées
L’humanisme: une nouvelle image de l´homme
Les Lumières : le progrès de la civilisation européenne
L'universel humain
L'ethnocentrisme dans les Lumières
1.2.2. La Révolution Française et la culture politique républicaine
Ses éléments importants
Les sujets se transforment en citoyens
La philosophie de la généralité
13
13
13
14
15
18
20
20
21
23
1.3. Une nouvelle idée de la nation
Un Etat nation versus un génie de la nation
L'influence française sur la construction identitaire allemande
Qu'est-ce qu'une nation ?
L’humanité au singulier ou au pluriel ?
25
25
26
27
29
2. LA NOUVELLE IDEE DE LA NATION FACE A LA TRADITION ET A LA REALITE HUMAINE
31
2. 1. Construction Identitaire - La mise en place de l'identité nationale française
L'identité républicaine
Unité politique et culturelle à travers l'école républicaine
Le patriotisme français renoue avec le nationalisme allemand
31
31
32
33
2.2. L’héritage indéniable du passé
2.2.1. Unité nationale et diversité culturelle
Les frontières intérieures
Liberté individuelle et identités culturelles
La République une et indivisible versus le droit à la différence
2.2.2. Des racines chrétiennes et la « neutralité » de l'État
La marche vers la laïcité
Deux traditions qui se heurtent
36
36
36
37
39
40
40
41
2.3 La remise en place de l'individu dans l'État à la française
Une fausse image de l'Homme?
Les sciences humaines et le modèle jacobin
L'apparition tardive des syndicats en France
44
44
44
45
[2]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
3 LE REGARD VERS L'AUTRE ET LA CONSCIENCE DE SOI
47
3.1. L'universalisme français face à l'ethnocentrisme et la rhétorique de la colonisation
Le patriotisme comme une forme de l’ethnocentrisme
La rhétorique du colonialisme
La colonisation extérieure et intérieure
47
48
48
50
3.2. Immigration en France
Le modèle d'assimilation et le droit de la nationalité
Le pacte républicain versus « la lutte des races »
52
52
54
3.3. Questions et propositions actuelles
Vers une société pluriculturelle ?
Crise identitaire et les valeurs de la République
La France laïque face aux autres religions présentes sur le territoire national
L'identité nationale selon Nicolas Sarkozy
Arguments pour et contre un multiculturalisme français
56
56
57
60
61
62
CONCLUSION
64
BIBLIOGRAPHIE
69
[3]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
Introduction
« Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie » Claude Lévi-Strauss, Race et
Histoire (1952)
Etymologiquement, le terme « barbare » était la dénomination des anciens grecs pour
les peuples étrangers dont ils ne parvenaient pas à comprendre la langue mais qui, pour eux,
baragouinaient : [bar…bar..]. De cette onomatopée vient le mot grec [barbaros], qui, à
l’origine, ne signifie que [étranger]. Aujourd’hui, le concept de barbarie désigne dans
certains contextes un manque de civilisation à propos d’un peuple. Dans l’intervalle, on s’est
donc accoutumé à considérer ceux dont on ne connaît pas la langue et culture,
potentiellement comme des peuples sans civilisation. Pour pouvoir juger de cette façon des
autres cultures, il faut prendre sa propre culture comme le seul modèle de référence. C’est
ce que l’on appelle l’ethnocentrisme et c’est à cette rhétorique que Lévi-Strauss1 impose le
silence avec sa définition relativiste du barbare.
Nous allons montrer qu’au passé l’attitude de la France vis-à-vis de l’Autre portait des
signes d’ethnocentrisme et que la France contemporaine n’en a pas encore complètement
effacé les traces. Le cas français est spécifiquement intéressant, vu que la France a basé ses
principes sur une idée universelle de l’humanité, développée au siècle des Lumières et
réalisée dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen (1789) et dans le
Code Civil (1804). Or, comme dans toute forme de communication interculturelle, qui
recouvre en effet non seulement la communication entre individus, mais aussi celle entre
des groupes, la façon française de voir l’Autre n’est pas spécialement un reflet de cet Autre,
mais d'autant plus elle est révélatrice de la conscience de soi et du discours interne de la
France. Dans ce travail, nous allons analyser le développement de la conscience de soi
française, pour pouvoir mieux interpréter son regard particulier vers l'Autre.
1 Claude Lévi-Strauss (1908), universitaire et anthropologue français, auteur de nombreux ouvrages qui ont
marqué l'évolution de la pensée en sciences sociales. Dans « Race et Histoire » (1952), écrit à la demande de
l’Unesco, Lévi-Strauss se penche sur la rhétorique du racisme, et s’y oppose en soulignant la place relative de la
civilisation occidentale et la relativité de l’idée de progrès. La citation ci-dessus se trouve au chapitre
« Ethnocentrisme » de l’essai.
[4]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
La conscience de soi désigne le regard qu’on porte sur soi-même. Car toute personne, au
moins dans le contexte occidental et contemporain, a une représentation mentale de la
façon d’être ensemble de sa nation et sa place là-dedans, même si ce n'est pas
nécessairement conscient. Pourtant, l’idée qu’on a de la nation dépend de la personne et
dans ce contexte c’est surtout la classe sociale à laquelle on appartient qui influence la
représentation mentale des rapports sociaux à l’intérieur de sa nation. Avoir une idée
«nationale» n’est pas une garantie d’avoir une identité nationale, mais au contraire elle en
est une condition. Justement, pour construire une identité nationale qui tient, il est
nécessaire que la conscience de soi soit conformément à la réalité sociale et historique de sa
nation.
Prenons la définition sociologique du mot identité : « Le mot identité, qui vient du latin
idem (le même), désigne ce dans quoi je me reconnais et dans quoi les autres me
reconnaissent. L’identité est toujours attachée à des signes par lesquels elle s’affiche, de
sorte qu’elle est à la fois affirmation d’une ressemblance entre les membres du groupe
identitaire et d’une différence avec « les autres » » (Dictionnaire de sociologie 1999 : 264).
Une identité prend donc forme à la fois par des caractéristiques communes du groupe
identitaire et en opposition aux Autres. Cette définition sociologique de l’identité
individuelle nous offre un premier point de repère. Mais afin de pouvoir analyser une
identité nationale, il faut intégrer le facteur temps, étant donné qu’une nation ne nait pas du
jour au lendemain. C’est pourquoi tout au long de ce travail, pour décrire les éléments sur
lesquels une identité nationale se fonde à un moment donné, nous nous servirons des
concepts « mêmeté » et « ipséité ». Ces néologismes dans la langue française ont été
introduits par Paul Ricœur2 afin de pouvoir analyser l’identité d’une personne, et à l’exemple
de Gérard Noiriel3 nous allons les appliquer à l’identité nationale. La « mêmeté » fait
référence aux caractéristiques communes des habitants d’une nation, dues à une même
origine, alors que l’« ipséité » désigne la continuité dans le temps et la mémoire (Noiriel
2007 : 14).
En ce qui concerne la structure de ce travail, nous commençons l’histoire de la
conscience de soi française au Moyen Age mais progressivement nous avançons vers
2
Paul Ricœur (1913-2005), philosophe poststructuraliste, considéré comme un des plus grands philosophes de la
postmodernité, dans : « Soi-même comme un autre » (1990). Dans ses œuvres, Ricœur essaie de répondre deux
questions fondamentales de l’humanité : « Qui suis-je ?» et « Comment devrais-je vivre ? ».
3 Gérard Noiriel (1950), historien considéré comme l’un des pionniers de l’histoire de l’immigration en France. Il
est actuellement directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales et membre démissionnaire
de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. L’introduction à Ricœur et une étude sur le développement de
l’identité nationale en France sont dans « À quoi sert l’identité nationale ? » (2007).
[5]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
l’actualité, en insistant sur certaines périodes et idées particulièrement importantes pour la
construction de l’identité française. Le premier objectif de ce mémoire est de refléter
comment le cours de l’histoire ainsi que des idées sur l’humanité ont influencé la conscience
française de soi. Ceci nous permet d'analyser à quel point l’idéologie de l’Etat a causé un
fossé entre l’idée traditionnelle et l'idée moderne de la nation, ce qui est le deuxième
objectif. Le troisième objectif est de montrer dans quelle manière la conscience de soi
française se reflète dans son regard vers l’Autre ainsi que d’expliquer pourquoi la tension
entre tradition et modernité provoque de nos jours une crise identitaire.
Après avoir proposé quelques repères pour faciliter la lecture de ce travail, il nous reste
à parler de ses limites. Premièrement, quand nous parlons de « les Français », « la façon
française » etc., il est clair qu’il s'agit de généralisations mais celles-ci se nous permettent
d’analyser une tendance générale. Deuxièmement, il nous est impossible de dépasser le
niveau d’analyse du cas français vu par des yeux néerlandais. En fait, ce mémoire sur la
communication interculturelle entre les Français et les Autres, est également un document
de communication interculturelle entre la France et les Pays-Bas.
[6]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
1. L'idée de la nation du Moyen Âge à la IIIe République
1.1. Le sentiment national et la conception de la nation en France au Moyen Age
Si on veut étudier l’idée de la nation dans la France contemporaine, d’abord il faut se
tourner vers l’histoire. Ensuite, on peut interpréter l’effet sur l’idée nationale des évolutions
et révolutions sociales et politiques. C'est pourquoi nous commençons par analyser le
sentiment national français au Moyen Age. Tout d’abord, nous verrons que sous l’Ancien
Régime, l’idée nationale est fondée sur la race, la religion et la dynastie des rois et lié à
l’organisation sociale. Ensuite, la mise en question de la position de l’homme par
les penseurs de la Renaissance et des Lumières est le moteur idéologique d’une période
révolutionnaire en France à la fin du XVIIIe siècle et du passage d'une monarchie à une
république. Enfin, il s’avère que la fondation d’un État moderne entraîne une nouvelle
représentation mentale de la nation et de la société et qu’une défaite militaire et morale de
la France nécessite la construction d’une identité nationale.
Le caractère composite du sentiment national français au Moyen Âge
Le sentiment national français s'est construit à travers le temps et à travers des exercices
de pouvoir des différentes autorités qui se sont succédé après la chute de l'empire romain,
au Ve siècle après J.-C. Un point essentiel est que le sentiment national était sous l’influence
du pouvoir politique, ce qui explique partiellement la contradiction qui est à la base du
sentiment national de l'époque. D'un côté les habitants de la France auraient la même
descendance raciale que les Troyens. D'un autre côté les Français seraient le peuple élu de
Dieu et leur roi règne avec le consentement de Dieu. Cette opposition entre des racines
païennes et une vocation chrétienne « permet de souligner le caractère composite du
sentiment national français » (Beaune 1985 : 340-341). Les intérêts politiques qui ont causé
cette contradiction vont être éclairés dans ce qui suit.
D'abord, la croyance aux origines communes et le lien sanguin, la « mêmeté », servent à
renforcer le tissu social entre les habitants du vaste territoire gaulois : « La solidarité entre
les régions et les groupes sociaux reposait solidement sur la parenté de sang » (Beaune 1985
: 39). Moyen de pouvoir utile, car la France médiévale n'est guère l'ensemble cohérent que
[7]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
l'on la connaît de nos jours. Néanmoins, il faut souligner qu'il s'agit dans ce cas d'une
généalogie fictive. Les Francs, un peuple germanique qui a envahi la Gaule, auraient des
origines troyennes car selon le mythe, les fils d'un roi Troyen se seraient établis en Italie et
en Allemagne et y auraient fondé des cités et des peuples. En vérité, sur le sol français il y
avait deux groupes ethniques différents, à savoir les Francs et les Gaulois.4 La position
carrefour géographique et un climat favorable expliquent la diversité ethnique de la France
(Noiriel 1992 : 43). Pour stimuler la cohésion sociale entre les deux groupes, on ne fait pas
de différence entre les deux, et on leur donne la même racine antique. À côté de la cohésion
sociale, un autre objectif était de renforcer les liens entre la France et le monde antique et
son Ancien Testament (Amselle 2003 : 2). Enfin, la croyance à une homogénéité raciale
simplifie la conception de la nation : « Pour le Moyen Age, la nation est une race. La vitalité
du mythe troyen trouve là sa justification » (Beaune 1985 : 337). La nation et la race
française sont la même chose et on est encore loin de l’idée moderne d’unité culturelle ou
d’un lien juridique entre les habitants et le pouvoir.
Quant à l’ « ipséité » du peuple français au Moyen Âge, il existe l'idée d'un lien
intemporel entre l'ordre métaphysique d'un côté et la nation et la « race » française de
l’autre. Les Français seraient prédestinés à habiter le sol français: « Le sacré est, croit-on, la
seule racine possible de l’être et la France, peuple élu de Dieu, ne peut que s’y enraciner, s’y
justifier et y trouver une essence atemporelle » (Beaune 1985 : 10-11). Cette idée de la
nation se reflète aussi dans l’organisation sociale et l’autorité de la dynastie qui se trouve au
sommet de cette société : « Cette conception de la nation reflète étroitement les valeurs de
la société qui l’a créée. Voilà une France monarchiste, cléricale et nobiliaire. L’histoire de la
nation s’y confond avec celle de la dynastie » (Beaune 1985 : 338). Le roi était une référence
symbolique commune des habitants de la France et c’est surtout la dynastie des Capétiens, à
partir de 987 au pouvoir pendant presque huit siècles, qui va contribuer à l’unité nationale
et au « destin français » (Theis 1984 : 25). Dans ce cadre il est important de souligner que,
dans la même logique que la position unique du peuple français, le roi français est élu aussi
par Dieu lui-même.
Finalement, l'historiographie des rois a été adaptée afin de fortifier la position de la
royauté. Un cas exemplaire est la sainteté de Clovis. Clovis était le fondateur de la
monarchie franque et fut le premier roi barbare à se convertir au christianisme.5 Des
centaines d'années après son empire, au XIIIe siècle, on va considérer les pouvoirs du Clovis
liés au sacre et à partir de ce moment « il est représenté comme un saint » (Beaune 1985 :
4
5
Les derniers sont également nommés Gallo-romains en référant à la domination romaine.
Clovis a été baptisé en 496 à Reims.
[8]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
66). La sainteté de Clovis et ses symboles est convenable pour le pouvoir en place : « La
fonction d’ensemble de ce culte est facile à cerner. Il jouit de la protection royale, il est
évoqué dans les ordonnances. Il est intéressant pour le monarque de voir révérer dans le
premier de ses ancêtres un saint roi possédant à la fois tout les caractères du roi de France
et tous ceux de la sainteté » (Beaune 1985 : 73). Ceci pour illustrer qu’on fait des choix en
fonction des nécessités de l’époque. Pourtant, cela ne diminue pas sa force : « l’erreur
partagée a autant de puissance de cohérence que la vérité partagée » (Beaune 1985 : 9).
Nous concluons avec Beaune,6 qui met en lumière la valeur positive qui a la nation dans la
France médiévale: « Reconnaissons l’altérité de cette valeur très affective : fondée sur la
race, le sentiment religieux, le souci des hiérarchies, multiple autant qu’unitaire, elle est très
différente des France postérieur – ni égalitaire, ni laïque, ni terre de liberté, ni soucieuse
d’unité linguistique ou de génie littéraire. Cette autre France fut pourtant pour chacun de
ses fils, du roi au plus humble, la mère qui console et maintient l’espérance » (Beaune 1985 :
350-351). Dans ce qui suit nous allons analyser ce « souci des hiérarchies » dont parle
Beaune.
La société d’ordres et la solidarité de base
La société française au Moyen Âge est une société d'ordres dans laquelle on peut
distinguer le clergé, la noblesse et le peuple, même si ces trois ordres se subdivisaient à leur
tour dans des multiples sous-groupes (d’Iribarne 1989 : 62). La grande majorité des gens,
98%, fait partie du « tiers état », les petits paysans, mais également les travailleurs manuels,
organisés dans des corps de métiers. Si certains préfèrent dire que la hiérarchie sociale est
basée sur une « différence de courage » (Renan 1882 : 21), en réalité c’est la naissance qui
détermine la place dans la société, à l'exception de l’ordre du clergé. Cette hiérarchie est,
ensemble avec les origines communes et le lien atemporel avec la métaphysique, un dernier
élément de l’idée nationale au Moyen Age, qui structure la société. Chacun est très
conscient de la place sociale qu'il occupe, des droits et des devoirs qui vont de pair avec
cette place et de son rapport aux autres. « La division en trois grands ordres marquait
jusqu’alors la conception même de la société: « Les uns sont dédiés particulièrement au
service de Dieu ; les autres à conserver l’Estat par les armes ; les autres à le nourrir et à les
6
Colette Beaune, historien contemporain, analyse l’imaginaire national au Moyen Age dans « Naissance de la
nation France » (1985).
[9]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
maintenir par les exercices de la paix. Ce sont nos trois ordres ou estats généraux de France,
le Clergé, la Noblesse et le Tiers-Estat » » (D’Iribarne 1989 : 62).
Au sommet de l'échelle sociale se trouve le monarque qui est également dans cette
position par hérédité. Il détient un pouvoir absolu de droit divin.7 Ce consentement
métaphysique justifie sa position supérieure mais également toutes ses actions, par exemple
les guerres de conquête. De plus, le droit divin soutient l’équilibre social. « La France n’est
pas avant 1500 une valeur laïque, ni une valeur en cours de laïcisation. Aristocratique, elle
ignore l’égalité et ne pense pas souhaitable une valeur qui détruirait l’équilibre entre les
trois états » (Beaune 1985 : 338). La nation est tellement caractérisée par l’inégalité sociale
que Tocqueville8 dira plus tard qu'il s'agissait de « deux nations distinctes » (D’Iribarne 1989 :
69). Pourtant, entre les groupes sociaux, il y a un système de relations qui assure le
fonctionnement de la société corporatiste. D'Iribarne parle de « la logique de l’honneur ».9
Cette logique assure l’obéissance et la loyauté des sujets au roi, mais cette relation est
dépourvue d’un contenu national. En revanche, ce sont des traités qui font que le monarque
doit respecter le droit des seigneurs particuliers sur tel ou tel territoire (Noiriel 1992 : 93). En
effet, on ne peut proprement parler d’une identité nationale à cause du manque de la
dimension spatiale de la nation ressentie auprès du peuple. La solidarité sociale est aussi
basée sur la proximité des liens sociaux. Le système de solidarité à l’époque n’était pas
centralisé comme aujourd’hui et la responsabilité revient à chaque ville, à chaque village de
prendre soin des malades et de ceux qui sont incapables de travailler et d’éviter ainsi le
vagabondage de ceux-ci.
Pour résumer, c'est l’ordre social qui définit l'idée nationale, alors que la localité de lieux
des liens sociaux fait qu’on ne peut pas parler d’une identité nationale. Maintenant, nous
allons voir que le sentiment national se renforce lors d’une période d’insécurité et de crise.
7
Cela implique que le fait que et la façon dont le monarque règne dans son royaume est selon la volonté et avec
la grâce de Dieu. Le monarque exerce le pouvoir de Dieu sur terre, il est son représentant terrestre. Il tire donc
son droit d'existence, son autorité et ses privilèges du fait qu'il est conçu comme un médiateur entre Dieu et le
royaume de France.
8 Historien et homme politique Alexis de Tocqueville (1805-1859) qui s’interroge sur la démocratie et l’égalisation
des classes et prend comme modèle les États-Unis.
9 Philippe d'Iribarne (1937) montre dans « La logique de l’honneur. Gestion des entreprises et traditions
nationales » (1989) à quel point la façon de coopérer dans des usines reflète une tradition nationale. Il compare
la culture américaine, basée sur le contrat, la culture néerlandaise, basée sur le consensus et la culture française,
basée sur la logique de l’honneur et un esprit corporatiste. Selon d’Iribarne, ce n’est pas seulement la façon de
travailler, mais également la façon de vivre ensemle en société qui est toujours très influencée par le passé
national.
[10]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
Le sentiment national en période de crise
Vers la fin de l'époque médiévale, la France vit une période difficile avec des guerres,
maladies et famines, ce qui a renforcé la conscience de soi des Français: « Le sentiment
national français s’est construit lentement durant tout le Moyen Age. Chaque époque y a
contribué, les périodes de crise plus que les autres » (Beaune 1985 : 339). Dans la deuxième
moitié du XIVe siècle, la France vit une période turbulente. Premièrement, la France se
trouve dans « une crise économique et démographique » (Beaune 1985 : 9). La peste noire
diminue la population française et européenne d'un tiers et de plus la guerre avec
l’Angleterre coûte énormément des effectifs humains ainsi que des moyens financiers.10
Deuxièmement, la crise joue sur le plan politique : « La légitimité des Valois, la maison royale
de l’époque, est contestée par le roi d’Angleterre et la noblesse battue est déconsidérée »
(Beaune 1985 : 9). Troisièmement, même le pouvoir religieux, très important pour l’idée
nationale, est divisé : « Le prestige du clergé est atteint par la résidence de la papauté à
Avignon et puis le Grand Schisme au cours duquel on vit deux puis trois papes. C’est l’ère des
désarrois, un douloureux vacillement des valeurs traditionnelles » (Beaune 1985 : 9). Une
telle période d'insécurité des valeurs traditionnelles et de crise nationale stimule une
interrogation sur la nation. « La valeur « nation » surgit dans une sorte de vacuité et
d’incertitude du champ des valeurs. Elle est nécessaire pour résoudre une société ébranlée,
y créer des solidarités autres, mieux adaptées à la dureté des temps » (Beaune 1985 : 9).
Bien que l'idée de la nation gagne de l’importance sous des circonstances difficiles, en
général, l’idée de la nation dans la France médiévale est encore un « imaginaire national et
monarchique, de ce qui n’a d’existence que dans les esprits et dans les cœurs, la France
ressentie à travers les mentalités collectives » (Beaune 1985 : 8). La territorialisation de la
vie sociale et politique en est responsable. L'existence avant tout mentale de l'idée nationale
est illustrée par le manque d'un vrai « vocabulaire national » : « On parle peu de nation
française avant la fin du XVe siècle et l’expression « sentiment national » n’est fréquente
qu’au XVIIIe siècle » (Beaune 1985 : 8). Le terme « patriote » est recueilli dans le dictionnaire
à partir de 1762 et il faut attendre l'an 1812 pour que le terme « nation » y fasse apparition.
Dans l’intervalle, de nouvelles idées sur l’homme et son appartenance nationale et religieuse
10
La guerre de Cent Ans (1337-1453).
[11]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
en particulier vont être élaborée. Cette histoire des idées ainsi que leur concrétisation, la
suppression de l’Ancien Régime, sont l’objet de ce qui suit.
[12]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
1.2. L’être ensemble enraciné dans des idées
Dans ce qui suit, nous mettons en perspective l'histoire des idées qui se sont
développées à partir du XVe siècle et qui vont déboucher sur un changement radical de la
vie politique et fondent l'État moderne et une nouvelle façon d’être ensemble. L’importance
pour ce travail tient au fait que cette histoire des idées refait apparition, souvent dans une
forme radicale, dans la nouvelle conception de la nation d’après la suppression de l’Ancien
Régime, et notamment en ce qui concerne la place de l’individu là-dedans.
1.2.1. L'évolution des idées
L’humanisme: une nouvelle image de l´homme
Dans la société médiévale, on conçoit l'individu en rapport de soumission et de
dépendance vis-à-vis de Dieu et du roi. Or, un nouvel élan dans la civilisation européenne va
changer cette image. Le mouvement culturel de la Renaissance et sa doctrine principale de
l'humanisme, nés en Italie, vont mettre l'Homme au centre de l'univers.11 Quelles sont les
circonstances qui ont amené une élite lettrée à cette révolution intellectuelle?
Premièrement, le mouvement renouvelle la fascination pour les arts, la culture et la
mythologie de l'antiquité. Ces œuvres littéraires et de sculpture ont été abandonnées
pendant l'époque médiévale quand les œuvres artistiques étaient en principe dédiées à la
religion. Également, les humanistes souhaitent étudier le texte original de la Bible au lieu de
suivre simplement l’interprétation de l’Église catholique. Grâce à l'invention de l'imprimerie
en 1453, la diffusion des œuvres antiques et du texte original de la Bible gagne de l'ampleur.
Dans la tradition des philosophies grecques et latines, on va considérer l'individu comme
capable de penser librement pour lui-même et on tient à sa bonne éducation. Alors que la
Renaissance est un mouvement artistique et élitaire, l’humanisme a comme objectif la
démocratisation du savoir. Renan12 parle rétrospectivement d'un « secret de l'éducation
11
La Renaissance doit son nom à l'impression de renaître après le Moyen Age qui en général n'est pas considéré
comme l'apogée de la culture humaine. Le mouvement est influent au XVe et XVIe siècle et concerne
particulièrement les domaines littéraires artistiques et scientifiques.
12 Ernest Renan, écrivain et historien (1823-1892) qui va marquer le discours sur l’idée nationale avec la
conférence « Qu’est-ce que la nation » (1882). Un des idées principales de ce discours est que la nation est un
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[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
véritable de l'esprit humain » qui a été « retrouvé par un commerce avec l'antiquité »
(Renan 1882 : 31). Renan dénonce les rôles culturels héritiers qui ne font que limiter la
liberté individuelle : « l'Homme est un être raisonnable et moral, avant d'être parqué dans
telle ou telle langue, avant d'être un membre de telle ou telle race, un adhérent de telle ou
telle culture. Avant la culture française, la culture allemande, la culture italienne, il y a la
culture humaine » (Renan 1882 : 30). Erasme13 revendique sa liberté en déclarant : « ubi
bene, ibi patria est ».14
Le deuxième changement historique est la rénovation des domaines économiques et
sociaux, avec les Grandes Découvertes et l’avènement du capitalisme moderne. Après la
découverte de l'Amérique,15 les Européens entreprennent de multiples voyages, pratiquent
le commerce international et l'esclavage et fondent des colonies en Afrique, Asie et
Amérique. Les voyages de découvertes ont stimulé la réflexion sur la diversité humaine et
ont contribué à l'évolution des idées : « La découverte du Nouveau Monde, on le sait, est à
l’origine de l’humanisme. En sortant de leurs frontières, les Européens prirent conscience de
la relativité de leurs propres croyances, et du fait que l’homme pouvait tenir tout seul. Agir,
réfléchir, distinguer le bien du mal, sans la lumière de la foi » (Finkielkraut 1987 : 79). Le
nouveau regard porté sur l’Homme ainsi que l’étude indépendante de le Bible entraîne une
réforme religieuse. Les théoriciens vont remettre en cause la domination et les pratiques du
catholicisme, qui ne laissent guère de liberté à l'individu. Ils protestent et fondent une
nouvelle Église « protestante ». En réaction, la Réforme de l'Église catholique essaye de
corriger les abus qui ternissent l'image de l'Église et organise la reconquête religieuse des
régions passées au protestantisme. Les guerres de religions de la seconde moitié du XVIe
siècle en sont le résultat.
Les Lumières : le progrès de la civilisation européenne
Les Lumières sont un mouvement intellectuel, culturel et philosophique, qui a marqué
tout le XVIIIe siècle, notamment en France. La France est l'axe du mouvement et fournit de
nombreux philosophes. Grâce à la position centrale de la France, la langue française devient
la langue des élites et est parlée dans les cours européennes. Bien que la France ait pris le
princpe spirituel, et ne trouve pas sa raison d’être dans des choses concrètes, comme la langue ou la race. C’est
la conception volontariste de la nation.
13 Didier Érasme, humaniste hollandais (1469-1536) qui voyagait et travaillait partout en Europe déclarait ne pas
être limité par son adhésion nationale. Il analyse l’esprit général hollandais dans « Auris Batavia » (1508).
14 Librement traduit en français cela signifie « Là où je suis bien, là est ma patrie ».
15 Par le Génois Christophe Colomb en 1492 sous le drapeau espagnol.
[14]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
devant, on ne peut pas dissocier les Lumières de tout l’espace européen car « pour les
hommes éclairés du XVIIe siècle, voyager et séjourner dans d’autres pays européens,
proches et distincts à la fois, est une excellente école pour l’esprit : ils dépassent leurs
propres limites par la confrontation ».16 Ceci est aussi possible parce qu’on va pour la
première fois considérer l’Europe comme ayant une identité qui réside dans la différence, et
non dans l’unité de par exemple l’Empire romain ou la religion chrétienne, comme c'était le
cas auparavant.17 Ce qu’on appelle aujourd’hui un mérite de la communication
interculturelle, apprendre quelque chose sur soi-même par la confrontation aux Autres, a
fait des lumières une époque de remise en question des thèmes de l'humanité. L’esprit des
Lumières prend distance par rapport à la superstition de la religion et à l'arbitraire du
pouvoir qui régnait au Moyen Âge, et préfère parler de la science, du commerce et de la
politique. L'un des objectifs de l'intérêt porté à la science, par exemple de « L’encyclopédie
ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers »18 est de diffuser du savoir, la
connaissance scientifique permettant aux individus à réfléchir indépendamment, sans la
tutelle de la religion ou d’autres institutions.
L'universel humain
Les philosophes des Lumières ont confiance dans « la raison, le progrès et le bonheur de
l’humanité ».19 La première autonomie acquise des Lumières est celle de la connaissance.20
Les hommes peuvent se fier à leur nature, à la science et à leur raison et n'ont plus besoin
d'une religion stricte: un universel humain remplace l'universel divin, qui était la base de la
société pendant plus d'un millénaire. Les philosophes des Lumières qui cherchent à
répondre à la question de savoir : Qu'est-ce qu'est l'homme? Ou dans les termes d’identité :
Quelle est la « mêmeté » de l’espèce humain ?
« Qu’arrive-t-il, comme c’est le cas à l’aube de la modernité, quand la tradition est
controversée, quand le cosmos se brouille et quand le religieux est en guerre? Il devient
nécessaire, pour tenter de sauver l’unité d’un monde qui se perd, de dégager une définition
16
« L’Europe et les Lumières », conférence écrite dans le cadre de l'exposition de la Bibliothèque nationale de
France : « Le siècle des lumières : un héritage pour demain » (2006).
17 Ibid.
18 L’encyclopédie est publiée pendant la période de 1751 à 1772 et réalisée par deux Français: Denis Diderot
(1713-1784) et Jean le Rond d'Alembert (1717-1783).
19 Pierre Henri Tavoillot dans « L'idée d'universalité » (2006), conférence écrite dans le cadre de l'exposition de la
Bibliothèque nationale de France : « Le siècle des lumières : un héritage pour demain » (2006).
20
Tzvetan Todorov dans « Emancipation et Autonomie » (2006), conférence écrite dans le cadre de l'exposition
de la Bibliothèque nationale de France : « Le siècle des lumières : un héritage pour demain » (2006).
[15]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
«interne» de l’homme. C’est cette tentative d’identifier une «nature humaine» qui débute
avec l’école du droit naturel moderne et que les Lumières vont achever ».21 Le droit naturel,
un droit que tous les hommes possèdent, est l’ensemble des normes qui prend en
considération la nature de l’homme et sa finalité au monde. Le droit naturel est donc
dépourvu du caractère métaphysique qu’avaient ces valeurs traditionnelles et religieuses.
Regardons sa définition sociologique : « Le droit naturel trouve son fondement dans la
nature de l'homme et fournit les règles universelles auxquelles doit se conformer,
antérieurement à toute spécification du droit, la coexistence des individus et des sociétés »
(Dictionnaire de Sociologie 1999 : 159). À la pratique, cela implique que la juridiction vaut de
la même manière pour tous et la justice sociale est tout à fait un thème prépondérant dans
les travaux des hommes des Lumières. Or, l’universalité des règles juridiques est à la fois
stimulée et défiée par l'expansion constante de l'horizon par les voyages de découvertes et
la confiscation des territoires à la France.22 La découverte de la diversité humaine fait que les
anthropologues et ethnologues vont étudier la variabilité sociale, culturelle et biologique
humaine et les philosophes font la quête de la nature humaine et tentent de définir
l'universel humain. On en peut dégager trois définitions complémentaires.23
La première définition est de nature matérialiste et consiste à « penser que la nature de
l’homme réside dans sa nature, c’est-à-dire dans son corps ».24 La définition matérialiste
apporte à l'universel humain que « les hommes sont constitués à peu près de la même
manière ».25
La deuxième définition essaye d'aller dans la direction de la valeur d’autonomie au lieu
d'une similarité constitutionnelle. Selon Rousseau,26 la plus grande valeur possédée par un
individu est de nature mentale: « La liberté, ou la possibilité d’exercer sa volonté est le trait
distinctif de l’espèce humaine » (Todorov 1989 : 39). Ce trait est ce qui distingue l'espèce
humaine des animaux. La liberté et souveraineté humaine occupent une place
prépondérante dans les idées politiques de Rousseau et notamment dans son traité du
21
Ibid.
En ce moment, il suffit de noter que le colonialisme français s'est mis en place au XVIIe, mais connaîtra son
apogée au XIXe et XXe siècle.
23 Données par Pierre Henri Tavoillot dans « L'idée d'universalité » (2006), conférence écrite dans le cadre de
l'exposition de la Bibliothèque nationale de France : « Le siècle des lumières : un héritage pour demain » (2006).
24 Ibid.
25 Ibid.
26
Jean-Jacques Rousseau, philosophe français (1712-1778), partisan de l’idée européenne. Il dépassait les autres
représentants de la pensée des Lumières : il croyait à la perfectibilité de l’homme (à réaliser à travers
l’éducation), plutôt qu’au progrès, duquel il réalisait que chaque progrès s’accompagne d’une nouvelle
régression. Tzvetan Todorov dans « L’espoir dans le progrès : un optimisme » (2006), conférence écrite dans le
cadre de l'exposition de la Bibliothèque nationale de France : « Le siècle des lumières : un héritage pour demain »
(2006).
22
[16]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
«Contrat social » (1776). L'essentiel de ce contrat veut que les hommes se trouvent dans un
état de nature, jusqu’au moment ou volontairement ils passent à un état social et se
réunissent en société. Une société n’est donc pas « un phénomène naturel mais une
création artificielle et volontaire ».27 Voilà la deuxième autonomie humaine : le peuple
détient la source de tout pouvoir et rien n’est supérieur à la volonté générale.
L'importance historique du contrat social est que cette conception de l'homme
« dépasse tous ces ancrages ou enracinements particuliers » et donne ainsi un sens à une
Déclaration universelle des droits de l'homme »,28 car « si tous les êtres humains possèdent
un ensemble des droits identiques, il s’ensuit qu’ils sont égaux en droit : la demande
d’égalité découle de l’universalité ».29
La troisième définition de l’humanité universelle aborde la question sous un angle
pédagogique. Kant30 a formulé les conditions auxquelles il faut répondre pour comprendre
pour comprendre la « mêmeté » humaine: « « Penser par soi-même » c'est-à-dire de se
débarrasser de ses formes de paresse que sont le préjugé et la superstition, « penser en se
mettant à la place de tout autre » et ainsi faire abstraction de son opinion pour entendre les
arguments d'autrui et « toujours penser en accord avec soi-même » ».31 Cette version de
l’individualité est une nouveauté : l'homme au singulier est à la base de l'universel humain,
et la réponse finale à ce qui est partagé par tous les êtres humains est le sentiment
individuel de l'amour. C'est l'héritage des Lumières légué au romantisme.32
La législature appuyée sur le droit naturel et la rationalisation politique des Lumières
refait apparition dans la politique révolutionnaire d'après 1789, car cette politique est le
débouché des pensées développées dans les années préalables.
27
Pierre Henri Tavoillot dans « L'idée d'universalité » (2006), conférence écrite dans le cadre de l'exposition de la
Bibliothèque nationale de France : « Le siècle des lumières : un héritage pour demain » (2006).
28 Ibid.
29 Tzvetan Todorov dans « Le principe de l’universalité » (2006), conférence écrite dans le cadre de l'exposition de
la Bibliothèque nationale de France : « Le siècle des lumières : un héritage pour demain » (2006).
30 Immanuel Kant, philosophe allemand (1754-1804) qui renouvelle la théorie de la connaissance, de la morale et
de l’expérience esthétique. Dans « Qu’est-ce que les Lumières » (1784), il caractérise le mouvement comme
«l’emancipation de la personne humaine par la connaissance, comme l’acquisition par l’homme de son
autonomie intellectuelle – une rupture avec l’autorité des traditions : oser penser par soi-même et se libérer des
vérités imposées de l’extérieur qui maintiennent l’humanité en tutelle ». « Figures des Lumières » (2006). Article
en ligne de l'exposition de la Bibliothèque nationale de France : « Le siècle des lumières : un héritage pour
demain » (2006).
31 Pierre Henri Tavoillot dans « l'idée d'universalité » (2006), conférence écrite dans le cadre de l'exposition de la
Bibliothèque nationale de France : « Le siècle des lumières : un héritage pour demain » (2006).
32 Ibid.
[17]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
L'ethnocentrisme dans les Lumières
On ne peut pas parler d’une universalité humaine sans dépasser les frontières de son
pays et « cette affirmation de l’universalité humaine provoque l’intérêt pour des sociétés
autres que celle où l’on est né ».33 Pourtant, les voyageurs et savants ne sont pas du jour au
lendemain capables de juger les autres cultures sans prendre leur propre culture, qu’ils
trouvaient d’ailleurs supérieures, comme un modèle de référence. L’ethnocentrisme34 est
une figure omniprésente chez ceux qui découvrent la diversité humaine. Taine35 critique la
façon dont les penseurs des Lumières ont étudié la diversité humaine : « Le but est de
peindre les Hommes en général et le moyen, de décrire les Hommes qu’on connaît le mieux,
en l’occurrence les représentants de la cour » (Todorov 1989 : 21). Autrement dit, on ne
découvre pas vraiment les autres formes de civilisation quand on identifie l’Homme en
général avec le mâle blanc occidental.36 En effet, les bonnes intentions des Lumières de
fonder une raison universelle qui touche « le vrai, le bien et le beau » sont en vain quand on
se base uniquement sur son groupe social. Outre l'aspect le plus dangereux est que les
« universalistes » ne se rendent pas compte de leur naïveté : « l’universaliste est, trop
souvent, un ethnocentriste qui s’ignore » (Todorov 1989 : 27). La Bruyère37 dénonce
l’ethnocentrisme : « […] et s’il y a en nous quelque barbarie, elle consiste à être épouvanté
de voir d’autres peuples raisonner comme nous » (Todorov 1989 : 23). Cependant, lui aussi
prend son propre raisonnement comme un fondement universel pour tous les autres
raisonnements : « L’universalisme de La Bruyère s'avère de n'être qu'une tolérance, au
demeurant bien limitée : il y a aussi des bons étrangers, ceux qui savent raisonner comme
nous » (Todorov 1989 : 24).
À l'ethnocentrisme s'oppose le relativisme culturel, selon lequel on ne porte pas de
jugements sur d’autres cultures. Rousseau se rend compte du danger de « la démarche
paradoxale de découvrir le propre par le différent » (Todorov 1989 : 30). Il rappelle le vrai
objectif : « secouer le joug des préjugés nationaux, apprendre à connaître les Hommes par
33
Tzvetan Todorov dans « Le principe de l’universalité » (2006), conférence écrite dans le cadre de l'exposition de
la Bibliothèque nationale de France : « Le siècle des lumières : un héritage pour demain » (2006).
34 Ethnocentrisme : Tendance à faire de faire de son groupe d’appartenance le seul modèle de référence
(Dictionnaire de Sociologie 1999 : 197).
35 Hippolyte Taine, historien français de l'école naturaliste, qui critique les idées des lumières sur l'individualisme
(1772-1824).
36 Pierre Henri Tavoillot dans « l'idée d'universalité » (2006), conférence écrite dans le cadre de l'exposition de la
Bibliothèque nationale de France : « Le siècle des lumières : un héritage pour demain » (2006).
37 Jean de La Bruyère, mathématicien et philosophe français (1645-1696).
[18]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
leurs conformités et leur différences, et acquérir ces connaissances universelles qui ne sont
point celles d’un siècle ou d’un pays exclusivement, mais qui, étant de tous les temps et tous
les lieux, sont pour ainsi dire la science commune » (Todorov 1989 : 29). Sa méthode
consiste à établir un dialogue entre plusieurs particuliers au lieu de prendre comme modèle
de référence un seul exemple : « Rousseau détruit ici la fausse évidence dont part
l’ethnocentriste, la déduction de l’universel à partir d’un particulier. Pour Rousseau,
l’universel est l’horizon d’entente entre deux particuliers » (Todorov 1989 : 30). L'esprit
relativiste est aussi parfaitement reflété par les paroles de Helvétius38 : « Ce qu’on appelle
sagesse dans chaque pays n’est que la folie qui lui est propre » (Todorov 1989 : 28).
Pourquoi a-t-on, en général, déduit l'universel humain à partir de l'exemple de son
groupe social? D'abord, parce que sa propre culture est le seul outil disponible pour
interpréter les autres cultures. La culture est dans ce sens la façon de voir le monde, comme
une paire des lunettes qu'on ne peut pas enlever. En outre la spécificité de l'époque, et
peut-être aussi de la nôtre, était de mesurer le progrès de l'esprit humain par le progrès
économique, artistique et scientifique. La civilisation la plus développée est de la sorte celle
qui domine dans les domaines matériaux. « Condorcet39 est convaincu qu'il y a une échelle
unique des civilisations et qu'à sommet se trouve « l'état de civilisation où sont parvenus les
peuples les plus éclairés, les plus libres, les plus affranchis des préjugés, les Français et les
Anglo-américains » et il y a une « distance immense qui sépare ces peuples de la servitude
des Indiens, de la barbarie des peuplades africaines, de l’ignorance des sauvages » (Todorov
1989 : 283-284). Alors que Condorcet parle à la moitié du XVIIIe encore du peuple français, la
Révolution française, qui commence en 1789, va imposer l’idée de la nation française
comme une société « libérée de l’absolutisme » et cette idée de la nation s’oppose aux
peuples qui sont « encore soumis au despotisme » (Dictionnaire de Sociologie 1999 : 359).
Quels sont les événements qui ont causé ce changement fondamental ?
38
Claude Adrien Helvétius, philosophe français (1715-1771). Il était un des encyclopédistes.
Antoine-Nicolas de Caritat de Condorcet (1743-1794) : savant et philosophe français et député à la Convention
pendant la Révolution. Il se bat pour l’égalité et l’universalité, la diffusion des Lumières et la liberté de l’individu.
« Figures des Lumières » (2006). Article en ligne de l'exposition de la Bibliothèque nationale de France : « Le
siècle des lumières : un héritage pour demain » (2006).
39
[19]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
1.2.2. La Révolution Française et la culture politique républicaine
Ses éléments importants
Après des siècles de pouvoir absolu pour les rois de France et des positions confortables
pour la noblesse et le clergé, les mouvements révolutionnaires, qu'on peut dater de 1789
jusqu'à 1799, font table rase de l'Ancien Régime. D’abord nous mettons en perspective la
situation du pays dans la période préalable. Vers la fin du XVIIIe siècle, la France se trouve
dans une crise financière à cause de la politique extérieure coûteuse de Louis XVI, et les
gaspillages d'argent par la Cour.40 La population doit payer le prix de la mauvaise gestion du
roi à travers les impôts. Les sentiments de mécontentement dans la population se
renforcent après la décision que la bourgeoisie ne peut plus accéder à l'état de la noblesse,
ce qui offrait un avantage fiscal. La condition des paysans se dégrade par les mauvaises
récoltes des deux années préalables à la Révolution. D’ailleurs, sous l’Ancien Régime, la
population pouvait se plaindre dans les cahiers de doléance, rédigés dans chaque baillage
par les assemblées qui les apportaient aux états généraux (Furet 1994 : 69). Afin de résoudre
les problèmes financiers, Louis XVI avait réuni les états généraux,41 qui devaient déterminer
entre eux quel état devait payer encore plus d'impôts. Mais à l'occasion, le 9 juillet 1789 à
Versailles, les députés du tiers état se déclarent « Assemblée nationale Constituante » et
provoquent de la sorte la suppression de l'Ancien Régime.42 Le nom « Assemblée nationale »
réfère à l'ambition de représenter la population dans sa totalité, par des votes par appel
nominal, une constitution contenant les droits et devoirs de toute personne et finalement
un pouvoir limité du roi. Ils ne revendiquent donc pas une disparition totale de la monarchie
et l’Assemblée est prête à partager la souveraineté avec le roi (Furet 1994 : 79).
Furet43 distingue trois révolutions pendant l’été de 1789. D’abord, l’Assemblée, c’est la
révolution des députés, sauvée et consolidée par la révolution parisienne, qui se déclenche
40
Le gaspillage d'argent aux fêtes, meubles, vêtements et dîners exorbitantes par la Cour, et notamment les
dépenses excessives de l'épouse du roi Louis XVI , sont brillamment reflétés dans le film portant le nom de
l'épouse : « Marie-Antoinette » (2006). Le film a été réalisé par l'américaine Sofia Coppola (1971).
41 L’assemblée des députés des trois états de toutes les provinces (Furet 1994 : 70).
42 « Constituante » ou « Assemblée nationale constituante », noms que prirent les États généraux le 9 juillet
1789. À cette assemblée succéda la Législative (1er Octobre 1791) (Furet 1994 :70).
43 François Furet (1927-1997) dans « La Révolution française »(1994), qu’il écrit ensemble avec Denis Richet.
Manuel détaillé qui traite chronologiquement tous les événements de la Révolution. Furet est reconnu pour son
apport à la compréhension de la période révolutionnaire, dont il reconnaît le double visage : une révolte contre
l’aristocratie d’un côté et une guerre civile de l’autre.
[20]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
dans la nuit de 14 juillet 1789 avec l'événement de la prise de la Bastille.44 L’appui capital du
nombre au mouvement révolutionnaire vient avec la révolution des campagnes, quand les
paysans se dressent contre le prélèvement seigneurial (Furet 1994 : 85). La peur de la
bourgeoisie et de la noblesse pour le mouvement révolutionnaire aboutissent dans
l'abolition des privilèges, le 4 août 1789. L’idée derrière cette égalité civile est que : « les
hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » (Furet 1994 : 91). La « Déclaration
des Droits de l'Homme et du Citoyen », prononcée le 26 août 1789, affirme les principes de
l'égalité, liberté et fraternité.45 Mais la révolte contre l’aristocratie et la Déclaration de 1789
ne sont qu’un aspect de la Révolution française. Car une deuxième période commence après
le coup d’état de septembre 1792. Cette « Convention » entraîne l’abolition de la monarchie
et va aboutir à l’assassinat de Louis XVI. C’est le deuxième aspect de la Révolution et
pendant les périodes de Terreur,46 on a guillotiné tout homme suspect d'être contre la
Révolution en général, ou contre les idées politiques des puissants du moment en
particulier. Le désordre politique est symbolisé par la succession rapide des différents
régimes, et la division idéologique au sein des révolutionnaires : les uns radicaux (les
jacobins) et les autres plus nuancés (les girondins). Bien que le mérite social et politique de
la Révolution française soit grand, étant donné qu’elle fonde des libertés politiques et l’État
moderne, elle laisse aussi la mémoire atroce d’une guerre civile (Furet 1994 : verso).
Les sujets se transforment en citoyens
Les révolutionnaires mettent fin à l’organisation traditionnelle de la société. Il n’y a plus
de monarchie ni d'ordres. L'abolition des catégories sociales et la Déclaration de 1789 font
que les individus sont désormais égaux devant la loi. Ensuite, la dénomination de « citoyen »
reflète la nouvelle façon dont on conçoit désormais les individus. La logique de l'Ancien
44
La Bastille était une prison d'État et sa prise par les émeutiers devient le symbole de la victoire du peuple sur
l'arbitraire royal.
45 Les « principes de 1789 » : Égalité politique et sociale de tous les citoyens ; respect de la propriété ;
souveraineté de la nation ; admissibilité de tous les citoyens aux emplois publics ; obligation imposée à chaque
homme d'obéir à la loi, expression de la volonté générale ; respect des opinions et des croyances ; liberté de la
parole la presse ; répartition équitable des impôts consentis librement par les représentants du pays (Larousse
2001 : 1291).
46 Nom donné à deux périodes de la Révolution française. La première Terreur (10 août-20 septembre 1792) et
pour cause de l'évasion prussienne et se manifesta par l'arrestation du roi et les massacres de Septembre. La
seconde Terreur (5 septembre 1793-28 juillet 1794) suivi de l'élimination des Girondins par les Montagnards. Elle
se solda par l'incarcération de nombreux suspects, dont beaucoup furent guillotinés. Elle connut sa plus grande
flambée (la Grande Terreur, juin- juillet 1794) lorsque Robespierre, par la loi du 10 juin 1794, enleva toutes
garanties judiciaires aux accusés. Elle s'acheva avec la chute de Robespierre, le 9 Thermidor. Le Tribunal
révolutionnaire fut l'un des instruments de la Terreur. (Furet 1992 : 257-269).
[21]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
Régime selon laquelle les sujets appartenaient par le lieu de leur naissance
automatiquement au sacré royaume de France, est remplacée par la nouvelle image d’un
Etat où les individus se sont associés « volontaire et libre » (Finkielkraut 1987 : 22),
conformément à l'idéal juridique du contrat social du Rousseau. Puis, l’application du droit
naturel dans la politique révolutionnaire veut que : « La nation est un corps d’associés vivant
sous une loi commune et représentés par la même législature » (Finkielkraut 1987 : 40). Il
s'agit d'un renversement total du système car la puissance ne vient plus du ciel, mais du bas,
dans la forme d'une collectivité nationale (Finkielkraut 1987 : 22). Sieyès47 était un partisan
de la rupture avec tout héritage et toute modèle. Dans le pamphlet « Qu'est-ce que le Tiers
Etat » il dénonce les privilèges de la noblesse, qu’il nomme d’ailleurs des « étrangers » qui
doivent être « renvoyés dans leurs forêts de Franconie » (Noiriel 2007 : 15). En revanche,
Sieyès déclare que c'est le Tiers État, le peuple, qui constitue la nation. C’est la définition
révolutionnaire et républicaine de la nation, qui s’oppose à la définition des monarchistes
qui contestent l’égalité entre tous les citoyens et souhaitent une restauration de l’Ancien
Régime (Noiriel 2007 : 15).
L'unité et l'égalité des associés de la nation est le thème principal de la politique
révolutionnaire. La devise d'égalité de la Révolution implique que les associés de la nation ne
sont plus divisés dans des corps différents mais qu'ils sont unifiés dans un seul corps qui est
l'État. L’unité de la nation est réalisée à travers l´égalité sociale et juridique des individus.
« Les impératifs d’unité et d’égalité sont pour cela perçus comme indissociables dès le
déclenchement du processus révolutionnaire » (Rosanvallon 2004 : 25). Dans la Constitution
de 1793, la République est proclamée « Une est Indivisible ». L’aspiration à l'unité fait qu’on
rejette le « pluralisme sociologique », ce qui implique la suppression des « corps
intermédiaires » (Rosanvallon 2004 : 70). Les formules de Le Chapelier48 expriment ce rejet
clairement : « Il n’y a plus de corporation dans l’État; il n’y a plus que l’intérêt particulier de
chaque individu et l’intérêt général. Il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un
intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporations »
(Rosanvallon 2004 : 29). En effet, la « loi de Le Chapelier » de 1791 rend illégitime les corps
de métiers et les associations. C’est donc la fin de la solidarité de base qui structurait la
société d’Ancien Régime.
47
Emmanuel Joseph Sieyès (1748-1836) est un homme politique important de l'époque révolutionnaire. Il est un
député des Etats Généraux et après le coup d'État de 1799 un des trois consuls provisoires du Consulat dont
Napoléon était le premier consul. L’abbé défend le tiers état dans le pamphlet célèbre « Qu’est-ce que le Tiers
État ? » (1989).
48 Le Chapelier (1754-1794), député du Tiers État .
[22]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
La philosophie de la généralité
Le trait distinctif de la politique révolutionnaire est l’intérêt général. Rosanvallon49 parle
d’une « philosophie de la généralité » (Rosanvallon 2004 : 101). Dans ce qui suit nous
évoquons les trois dimensions de cette politique. La première dimension concerne
l'abstraction de la représentation mentale des rapports interpersonnels ainsi que de l'idée
nationale. Sous l'Ancien Régime les liens de corps précisaient « la représentation que chacun
avait de son rapport aux autres » (Rosanvallon 2004 : 13), y compris la solidarité. Désormais,
« la notion de « fraternité » devrait contrebalancer l’abstraction du lien de citoyenneté »
(Rosanvallon 2004 : 41). Avec l'intérêt général au premier plan, l'individu constitue l’entité la
plus petite de la nation. L'entité suivante dans l’ordre de grandeur est l'État, dans lequel
toutes les individus se sont assimilées. Il émerge un modèle polarisé entre l’État et l’individu.
La deuxième dimension est le rejet du pluralisme sur le plan politique (Rosanvallon 2004
: 59). On ne veut qu’un corps politique: l’État. « La généralité signifie dans ce cas que les
institutions sont absolument adéquates à la vie, qu'elles sont parfaitement conformes à leur
objet, et que tout corps intermédiaire constituerait donc une insupportable atteinte à leur
fonctionnement » (Rosanvallon 2004 : 60).
La troisième dimension de la philosophie de la généralité concerne la place centrale de
la loi. D’abord, l’application du droit naturel est devenu une « évidence, […] équivalent du
principe d’unanimité, forme de la raison universelle » (Rosanvallon 2004 : 88). Puis, on a
l’idée que l’État est capable de saisir et gérer tous les éléments de la société, grâce à ses lois.
Finalement, la défiance vis-à-vis de l’intervention humaine dans la juridiction a amené
Robespierre50 à déclarer que « Ce mot de jurisprudence [….] doit être effacé de notre langue.
Dans un Etat qui a une Constitution, une législation, la jurisprudence des tribunaux n'est
autre chose que la loi » (Rosanvallon 2004 : 99).
Robespierre s'est prononcé sur la jurisprudence dans le cadre d'un débat sur la réforme
judiciaire dont le Code civil de 1804 est le débouché. C'est la matérialisation du
légicentrisme français ainsi que de la forte aspiration à l’unité. Napoléon Bonaparte est celui
qui a fait rédiger ce recueil de lois, en tant que premier consul du Consulat.51 En ce moment,
49
Pierre Rosanvallon, politicien contemporain. Dans « Le modèle politique français. La société civile contre le
jacobinisme de 1789 à nos jours » (2004), il décrit minisieusement comment la dimension humaine se heurte à la
politique jacobine.
50 Maximilien Robespierre, membre des états généraux (1758-1794) et dirigeant de la Terreur, lui aussi executé
au 9 Thermidor (Furet 1994 : 251).
51 Le Consulat est la forme de gouvernement français de 1799 jusqu’à 1804, l’an ou Napoléon I crée son Empire.
[23]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
le pouvoir central est assez fort pour introduire un Code civil. Pour la première fois dans
l'histoire, l'ensemble des Français relèvent du même règlement de la vie civile. Les 2281
articles centralisent les règles juridiques et mettent fin aux législations particulières pour les
différentes régions de la France.52 Auparavant, le roi de France n'avait pas les moyens
d'intervenir dans les coutumes locales (van den Berg 1995 : 1). En plus, le Code civil est
conforme au droit naturel, car il confirme « l’existence de règles juridiques valables pour
tous les pays et tous les époques ».53
L’idéologie de la philosophie de la généralité est d’assimiler tous les citoyens dans la vie
politique et de mettre fin à la territorialisation de la législature. Cette tentative s’inscrit dans
la volonté révolutionnaire de réaliser l’homogénéité et ainsi l’unité de la nation. Cependant,
il est évident que l’extrême diversité de la France, par exemple la diversité linguistique
montrée par l’enquête sur les patois par l’abbé Grégoire54 au début de la Révolution (Noiriel
1992 : 93), ne disparaisse pas grâce à un Code civil et une égalité en droit de tous les
citoyens de la France. La volonté politique de l’État d’assimiler non seulement juridiquement
mais également culturellement les citoyens est particulièrement forte sous la Troisième
République, fondée en 1871, et nous y reviendrons au chapitre suivant. D’abord, il nous faut
montrer que le besoin d’unité culturelle et d’une identité nationale qui se manifeste en 1871
est partiellement du à la nouvelle idée de la nation française.
52
Patric Sawicki dans « Le Code civil ou code Napoléon : 1804-2004 » (2004) Article sur le site de l’Association
Thucydide « créée afin de promouvoir les Sciences Humaines (et plus particulièrement l'Histoire) en tant qu'outil
de compréhension et d'éclairage des faits qui bercent le quotidien de chacun d'entre nous ».
53 Van Dam dans « Foutenaansprakelijkheid in de geschiedenis van Frankrijk » (2007).
54 Le prêtre Grégoire (1750-1831), une des principales figures de la Révolution. Un de ces plus grands mérites
sociaux est sa demande à l’Assemblé d’abolition d’esclavage.
[24]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
1.3. Une nouvelle idée de la nation
Un Etat nation versus un génie de la nation
L’idée de la nation a une tradition différente en France et en Allemagne. Non seulement
leurs contours se prononcent clairement en comparaison l'une avec l'autre, mais aussi les
deux nations se sont de fait confrontées et pour cela nous allons comparer les deux
traditions. En première instance, en faveur de la France pendant l'occupation par Napoléon
I, mais en 1871, les principautés allemandes réunies sous la direction de Bismarck
remportent la victoire. Quand aux idéologies nationales, les idées politiques des Lumières et
la Révolution française ont créé une autre conception nationale que l'appel aux « droits
historiques » et la glorification de la culture nationale du romantisme allemand, dont la force
est à son tour expliquée par l'union politique relativement tardive et le menace du
classicisme impérialiste français. D’où vient cette différence entre classicisme français qui
privilège la culture de Versailles et la révolution des cultures populaires du romantisme
allemand ? En France, la définition républicaine de la nation est longtemps dépourvue d’un
contenu national. « Ce retard s’explique car l’universalisme est un particularisme qui
s’ignore. L’ancienneté de la construction de l’État, la précocité et la force de la francisation
des élites ont fait qu’en 1789 la plupart des révolutionnaires étaient déjà fortement
imprégnés par la francité. Il n’existait pas d’élite capable de la contester » (Noiriel 2007 : 17).
Les révolutionnaires négligent les cultures populaires en libérant le peuple car ils ne se
rendent pas compte de la spécificité française. En revanche, ce sont des philosophes
allemands comme Herder55 qui ont déclenché une révolution des cultures populaires.
Herder montre que l’universalisme français et le particularisme allemand ne s'excluent
pas l'un l'autre. D'un côté, Herder a légué l'idée d'un génie national au romantisme allemand
en introduisant le concept de « Volksgeist »56 (Finkielkraut 1987 : 14). Herder, romantique
dans le sens que pour lui la sensibilité et les émotions l'emportent sur la raison, conteste en
plus que la raison est transmissible d'une génération à la suivante, ou d'un pays à un autre et
parle de « l'intelligibilité du temps » (Finkielkraut 1987: 15). D'un autre côté, bien que
55
Johann Gottfried von Herder, homme des Lumières et philosophe préromantique allemand (1744-1803).
Ce concept implique que des caractéristiques de langue et de culture sont spécifiques pour un certain lieu et
une certaine époque. Il semble en découle qu’il n’y a pas de raison universelle ni d’humanité universelle mais
Herder montre qu’il est possible de réunir les deux pensées.
56
[25]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
Herder privilège le génie national, il attache encore plus de valeur à l'idée d'une humanité
universelle : « S’il lui arrive de faire l'éloge des « préjugés », c'est-à-dire des présupposés
culturels attachés à telle ou telle nation ou civilisation, c'est uniquement dans la mesure où
cela peut donner aux pensées la force et l'efficacité qui risque de leur manquer lorsqu'elles
s'efforcent d'atteindre l'humain et universel seulement par un refus abstrait du particulier.
L'idée est d'ailleurs chez Rousseau. Elle n'empêche pas de poser que « l'amour de l'humanité
est véritablement plus que l'amour de la patrie et de la cité » » (Caisson 1991 : 2-3). Ce refus
abstrait du particulier est en quelque sorte le cas en France, car, après la Révolution on y a
basé l’idée de la nation sur les principes universaux, mais au détriment du génie national.
L'influence française sur la construction identitaire allemande
La révolution allemande des cultures populaires et la recherche à leur identité nationale
est une réaction à l’impérialisme français. L'occupation du « Saint Empire Romain
Germanique »57 par Napoléon Ier58 en 1806 stimule les Allemands à s'interroger sur leur
«mêmeté », leur langue et culture commune, et leur « ipséité », la ligne historique qui
justifie les Allemands à habiter le sol allemand. L’expansionnisme français entraîne le regain
du « Volksgeist » : « L'Allemagne - émiettée en une multitude de principautés - retrouve le
sens de son unité face à la France conquérante. L'exportation de l'identité collective
compense la défaite militaire et l'avilissante sujétion qui en est le prix » (Finkielkraut 1987 :
18). L'influence de la France sur la construction identitaire allemande concerne en première
instance le plan culturel mais finalement le mouvement va aboutir à l’unification politique
sous Bismarck,59 qui est vers l’an 1866 en voie d'unifier l'Allemagne sous la direction
prussienne, et il provoque une guerre contre la France.60 Du côté français, la défaite met
57
Une constellation de micro états qui comprend le royaume de Germanie, d'Italie et de Bourgogne. L’empire a
été fondé en 962 (Larousse 2001 : 1651).
58 Deux ans auparavant, en 1804, Napoléon Bonaparte devient empereur de la France. Son coup d'état de 1799
et la fondation d'un régime politique autoritaire ont été possibles à cause du désordre politique qui régnait après
le renversement de l'ancien système et le besoin d'un pouvoir centralisé. Napoléon fait preuve d'un esprit
impérialiste et avec sa Grande Armée. Il devient l'empereur de la Belgique, des Pays-Bas, d'une partie de
l'Autriche et de l'Italie. Quant à l'Allemagne, 2001 victoires militaires sur François II d'Autriche et Alexandre Ier de
la Russie rendent possible de fonder en 1806 « la Confédération du Rhin », laquelle consiste en 16 propriétés cidevant allemands (Larousse 2001 : 1544).
59 Otto von Bismarck, d'abord ministre de la Prusse et après l'unification politique de l’Allemagne qui a été
réalisée sous sa direction, il devient le chancelier du deuxième empire allemand (1815-1898).
60 Son projet expansionniste est d'unir les confédérations du Nord et du Sud sous la direction prussienne. Il mène
des guerres contre le Danemark, l'Autriche et la France. Plein de confiance, Bismarck provoque la France par un
coup au prestige de Napoléon III concernant la succession du trône d'Espagne. En réaction, celui déclare la guerre
à la Prusse la 19 juillet 1870. L’échec est prévisible car l’armée prussienne est beaucoup plus forte que la
[26]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
définitivement terme au régime impérial de Napoléon III et la République peut s'installer
définitivement. Le gouvernement provisoire français essaye de garder l'intégrité territoriale,
mais en 1871 l'Alsace Lorraine est incorporée à l’Allemagne. Du côté allemand, l’union
politique relativement tardive a résulté dans une certaine conception de la nation. Or,
elle «s’est développée en l’absence d’un cadre étatique unitaire. Ainsi, en Allemagne,
l’existence d’une langue et d’une culture commune a permis de concevoir la nation
allemande en l’absence de toute unité politique avant 1871 ».61 En revanche la conception
d'une communauté culturelle va dominer les idées et les travaux des historiens en
Allemagne. Ils attestent la « germanité ancestrale » du deuxième Reich et en particulier celle
de l’Alsace Lorraine, pour justifier l’annexion de celle-ci (Finkielkraut 1987 : 67). Ils mettent
en avant à la fois des arguments d’ « ipséité » et de « mêmeté » : la permanence des
traditions allemandes à travers l’histoire des traditions ainsi que la langue commune.
Le cas de l'Alsace Lorraine illustre également un changement dans le discours de la
nation de ceux qui l'ont perdue. Avant, Renan, le théoricien par excellence de l’idée
nationale française, affirmait que « les individus, par le biais de la langue voire de l'hérédité,
procédait de leur nation et non l'inverse, comme l'avaient proclamé les dangereux sophistes
du siècle précédent » (Finkielkraut 1987 : 41). Mais ses idées vont changer radicalement de
cap après l'affirmation de la fidélité à la France de la part des Alsaciens malgré leur
incorporation à l'empire allemand.62 Pour Renan, ceci est la preuve que le sentiment de la
patrie, qui commande à son tour le consentement de vivre ensemble, fondent la nation. Ce
principe de consentement se prononce dans la conférence de Renan: « Qu'est-ce qu'une
nation » (1882).63
Qu'est-ce qu'une nation ?
Renan dénonce dans sa conférence les fondements allemands de la nation : celui de la
langue, de la race, de la religion, des intérêts économiques, et de la géographie d'une nation.
française dont la puissance est atténuée entre autres par des résistances internes. Le 2 septembre 1870, la
France doit capituler et l'empereur est fait prisonnier.
61 Dorna dans « le caractère national » (2007).
62 « Dès la signature de l'armistice et avant même que ne s'ouvrent à Versailles les pourparlers entre la France et
le nouvel empire allemand, les députés d'Alsace et de Lorraine de l'Assemblée nationale affirment dans une
déclaration solennelle leur fidélité à la France : « Nous proclamons le droit des Alsaciens-Lorrains de rester
membre de la patrie française, et nous jurons, tant pour nous que pour nos commettants, nos enfants et leurs
descendants, de la revendiquer éternellement et par toutes les voies, envers et contre tous usurpateurs. »[…] Ce
n'est pas l'amour de la France qui fait de ce texte un document capital, mais « la proclamation solennelle de ce
que seul le consentement fonde la nationalité » » (Finkielkraut 1987 : 41-42).
63 Conférence prononcée en Sorbonne le 11 mars 1882. Le texte intégral se trouve dans Renan, E. « Qu'est-ce
qu'une nation ». Marseille : Le mot et le reste, 2007.
[27]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
Noiriel souligne qu’il ne s’agit que d’une intervention partisane dans une querelle militaire et
idéologique entre les deux grandes puissances (Noiriel 2007 : 19). D’abord, Renan plaide
pour l'exclusion de la race du discours politique. Il en est de même pour la langue, au cas où
elle est prise pour un signe d'appartenance à telle ou telle race. Ces droits « primordiaux »
sont substitués par le principe fondamental que l'homme est un être raisonnable et moral,
sans nécessité absolue des attachements culturels : « avant la culture française, la culture
allemande, la culture italienne, il y a la culture humaine » (Renan 1882 : 30). Par rapport à la
religion, autrefois indissolublement attachée à la conception de la nation, l'influence de la
métaphysique a régressé au profit du progrès de la raison : « il n'y a plus de religion d'État
[...] la religion est devenue chose individuelle » (Renan 1882 : 32). Quant aux intérêts
économiques, même s'ils peuvent constituer un lien puissant entre les citoyens, ils n'unifient
pas la patrie. En ce qui concerne les frontières naturelles en tant que fondement d'une
nation, Renan reconnaît leurs parts considérables dans la division des nations. Pourtant, il les
désapprouve car elles sont arbitraires et justifient toutes les violences (Renan 1882 : 32).
Au lieu de cet enracinement de l'idée de nation dans du concret, Renan privilègie un
fondement spirituel, à savoir « l'âme » de la nation. Les critères de « mêmeté » ainsi que d’
«ipséité » sont désormais des processus cognitifs : « Deux choses qui, à vrai dire, n'en font
qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le
présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le
consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir
l'héritage qu'on a reçu indivis » (Renan 1882 : 33). En insistant sur la volonté de vivre
ensemble, Renan modifie légèrement le pacte fondateur du contrat social de Rousseau et le
convertit en un « pacte implicite » (Finkielkraut 1987 : 43). Cette célèbre formule l'exprime
clairement : « L'existence d'une nation est un plébiscite de tous les jours » (Renan 1882 : 34).
Renan souligne à quel point son pacte est en rupture avec la tradition : « Oh! Je le sais, cela
est moins métaphysique que le droit divin, moins brutal que le droit prétendu historique »
(Renan 1882 : 34). Pourtant, Noiriel met en doute que ces formes de « mêmeté » et
«ipséité» françaises soient de fait accessibles à chacun : « Pour Renan, les Français forment
en haut une nation consciente d’elle-même parce qu’ils ont des ancêtres communs. La
fameuse « volonté de vivre ensemble » est donc réservée à ceux qui ont la même origine »
(Noiriel 2007 : 20). L’actualité de cette éventuelle limitation d’accès à la citoyenneté
française est abordée dans le troisième chapitre de ce travail.
Renan s'exprime également sur le sentiment national dans un Etat nation : « Un passé
héroïque, des grands hommes, de la gloire (j'entends de la véritable), voilà le capital social
[28]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
sur lequel on assied une idée nationale » (Renan 1882 : 33-34). La construction d'une idée
nationale est donc un processus actif et conscient. « C’est la définition sceptique et surtout
entièrement antimétaphysique de Renan de ce qui est une nation. La conscience d'un passé
commun et programmatique est un produit de circonstance, un « bricolage » dans le sens de
Lévi-Strauss, non déterminé par des facteurs éternels ou une ligne historique inchangeable,
mais par des besoins et possibilités actuels. À partir des éléments historiques, on reconstruit
une histoire qui donne du sens et de l'orientation à son époque » (Beeker 1988 : 40).
L’humanité au singulier ou au pluriel ?
Cette conception « volontariste » de la nation en France, s'oppose à la conception
«organique » de l'Allemagne car l’idée nationale allemande est nourrie par l'appartenance
historique du peuple allemand au territoire allemand, la même descendance raciale et la
culture spécifique pour ce peuple original. Renan considère une telle nation « génie » une
preuve de barbarie. Pour lui, l'enjeu est l´humanité universelle elle-même : « Renan faisait
grief aux Allemands de vouloir s'enclore dans leur nation, au mépris du droit individuel et au
risque de briser l'humanité en fragments hétérogènes » (Finkielkraut 1987 : 57). D’ailleurs,
de nos jours, certains estiment que les droits humains sont mieux assurés dans un État qui
protège l’identité nationale, nous y reviendrons au chapitre suivant.
D’ailleurs, il va de soi qu'il y avait des penseurs français qui désapprouvent la conception
volontariste, et de même il y avait des opposants allemands à la conception organiciste. En
France, les contre-révolutionnaires souhaitent un retour de l'ancien ordre corporatiste et ils
sont sceptiques vis-à-vis de l'universel humain des Lumières. De Maistre64 : « il n'y a point
d'homme dans le monde. J'ai vu dans ma vie des Français ; des Italiens ; des Russes. Je sais
même grâce à Montesquieu qu'il existe des Persans. Mais quant à l'homme, je déclare ne
l'avoir rencontré de ma vie ; s'il existe, c'est bien à mon insu » (Finkielkraut 1987 : 25). La
portée de cette critique reste limité : « malgré la force intellectuelle des écrits contrerévolutionnaires, de Bonald à de Maistre, la pensée la plus diffusée restera marquée par la
dimension politique et le souvenir de la Révolution, mythe fondateur de la nation française
et de l’imaginaire politique de tout le XIXe siècle » (Schnapper 1991 : 41). Cependant, cette
dimension politique est en large mesure en rupture avec les traditions et avec la dimension
humaine de la société. En plus, son enracinement dans l'esprit français est le fruit d'un long
64
Joseph Marie de Maistre, contre-révolutionnaire français (1753-1821). Il a revendiqué dans ses écrits le retour
de l’Ancien Régime, la royauté et l’influence de l’Église.
[29]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
travail de construction identitaire de la IIIe République. Ces observations sont le sujet du
deuxième chapitre.
[30]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
2. La nouvelle idée de la nation face à la tradition et à la réalité humaine
2. 1. Construction Identitaire - La mise en place de l'identité nationale française
La dimension politique et le souvenir de la Révolution qui déterminent au XIXe siècle
«l'imaginaire politique français», n'ont en revanche pas encore pleinement pénétré l'esprit
du peuple. Weber65 pose que la paysannerie française développe tardivement une
conscience politique : « les paysans français du XIXe siècle ignorent un sentiment national »
qui ne serait qu’une « création de la Troisième République » (Beaune 1985 : 349). La
conscience républicaine existe avant tout dans les sphères supérieures de la société, malgré
que grâce à l'installation du suffrage universel masculin, introduit par la Révolution de
1848,66 chaque homme français entre officiellement en politique avec ce droit de vote.
Pourtant, en général les millions d’ouvriers et de paysans sont exclus du débat et ne peuvent
que subir les changements : « la construction d'une identité nationale est le fait du
volontarisme des Pères fondateurs de la IIIe République. Au milieu du XIXe siècle, la masse
des Français a vécu une succession de chocs et des régimes historiques, la Révolution,
l'Empire napoléonien, la Restauration, la monarchie de juillet... La nation, la mémoire de la
Révolution, l’engouement pour les idées révolutionnaires ou leur refus, le débat politique ne
concerne au long du siècle que des minorités : aristocrates, bourgeois, écrivains, étudiants,
artisans instruits. »67
L'identité républicaine
Nous pouvons analyser l’absence d’une identité républicaine auprès du peuple à l’aide
des deux caractères de l’identité nationale. D’abord, l’ ipséité de l’identité républicaine, la
permanence à travers l’histoire pose problème, vu qu’avant la coupure fondatrice de 1789,
la France était une monarchie avec une société d’ordres. En plus, depuis les années
révolutionnaires la France n’a pas été en permanence sous un gouvernement républicain. Je
65
Eugen Weber, historien américain (1925-2007) qui décrit les changements dans la vie de la paysannerie
française dans « La fin des terroirs. La modernisation de la France rurale 1870-1914 » (1983).
66 Révolution parisienne des libéraux et républicains contre la Monarchie de Juillet, qui était une restauration de
l’Ancien Régime. La Révolution a crée la deuxième République.
67 Suzanne Citron dans « Histoire de France : crise de l'identité nationale » (2003).
[31]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
Ensuite, la « mêmeté » de la nation n’est non plus une évidence. Quelques données
démographiques éclairent l'absence d'une identité républicaine auprès du peuple. Vers l’an
1870, quand la modernisation de la France rurale se met en marche et la révolution
industrielle et ses usines envahissent les villes françaises et y changent profondément la
société, la France est encore à 70 % rurale. En plus, elle est en majorité non francophone et
chaque région a son propre dialecte. La France a donc « une diversité coutumière et
linguistique considérable »,68 alors que la politique républicaine vise à réaliser l’unité
nationale. Afin de faire entrer les paysans et les ouvriers dans le corps de la République, on
leur impose une identité républicaine. « Il faut civiliser les « barbares » en les
nationalisant »69 : Citron critique la domination culturelle et l'attitude orgueilleuse de l'élite
qui a créé la République, et qui impose maintenant leur culture «supérieure» à la population
entière. Le service militaire obligatoire mais avant tout l'école républicaine sont les
instruments principaux du gouvernement de l'intégration républicaine : « L'école se trouve
chargée de transmettre une culture nouvelle dans ce temps de mutation des valeurs
éthiques et morales » (Kok Escalle 1988 : 3).
Unité politique et culturelle à travers l'école républicaine
En 1881 et 1882, les lois dites « Jules Ferry » instituent l'école publique, laïque, et
obligatoire et gratuite pour tous les enfants entre 6 et 13 ans.70 La centralisation politique et
la construction d’une identité nationale passent par la centralisation culturelle, dont une
langue commune, le français, figure au premier plan. Conséquemment, les dialectes ou
encore les patois ne sont pas enseignés ou parlés : « L'école devra d'abord franciser les
paysans qui parlent patois ».71 Deuxièmement, l´enseignement d’une histoire commune
française sert à renforcer l'intégration républicaine : « Un enseignement obligatoire de
l'histoire aura pour tâche de communiquer l'amour de la patrie, par une représentation du
passé autour de la seule France ».72 « L’histoire de France » de Lavisse73 est le manuel par
excellence pour répandre « l'Évangile républicain » […] « Lavisse fait figure de porte-parole
68
Ibid.
Ibid.
70 « L'école, au-delà des savoirs essentiels qu'elle doit transmettre à tout enfant (lire, écrire, compter), était aussi
chargé d'inculquer les valeurs de la République et une morale laïque. » Article en ligne du gouvernement
français : « L’intégration républicaine, fonctionne-t-elle encore face à la diversité culturelle ».
71 Suzanne Citron dans « Histoire de France : crise de l'identité nationale » (2003).
72 Ibid.
73 Ernest Lavisse, historien français (1842-1922). Patriote, après la défaite de la France, il va étudier en Prusse le
fonctionnement du système universitaire de l’Allemagne victorieuse. Son « Histoire de la France « (1901) est
utilisé à l’école et ceci fait de lui un instituteur national » (Nora 1984 : 247).
69
[32]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
de la génération qui travailla avec Gambetta et Jules Ferry, à la refonte de l'esprit national
après la défaite de 1870 et à l'enracinement dans la société des institutions républicaines »
(Nora 1984 : 247). L'esprit national doit se raviver par l'enseignement d’un passé héroïque et
sacré de la France, avec les Gaulois depuis toujours présents dans la Gaule. « La France n’a
pas de commencement, elle est préinscrite dans un autrefois légendaire, « préincarnée »
dans une Gaule mystérieusement toujours déjà-là ».74
Mais que penser de cette historiographie nationale selon laquelle on fait des choix en
fonction de l'époque et de ses nécessités ? En effet, au Moyen Âge, on s'attache au mythe
troyen alors que sous la Troisième République, on insiste davantage sur la parenté avec les
Gaulois. La nouvelle interprétation de l'histoire souligne la mise en place de l'idéologie
nationale : « Le rôle des historiens a été particulièrement marqué en France, où la
construction de l’idéologie nationale a été plus consciente et volontaire » (Schnapper 1991 :
16). Dans l'objectif de construire l'identité nationale, les historiens trouvent la « mêmeté »
dans la dimension territoriale de l'Hexagone. Le « sol » et l' « espace » français montre pour
eux une unité, qu'elle soit de nature géographique ou culturelle. Vidal de la Blanche75
dégage « à partir de l’étude de milieu géographique des raisons de l’unité politique future.
Les qualités d’harmonie, de variété et d’équilibre du sol français se traduisent dans une
destinée politique commune » (Beaune 1985 : 7-8). Seignobos76 à son tour trouve l'unité
nationale dans des productions de haute culture et insiste sur « l'unité de la civilisation de
l’espace français. Faits institutionnels, économiques, littéraires et artistiques créent des
conditions de vie commune qui sont le creuset de l’identité française et de la gloire de la
République » (Beaune 1985 : 8).
Le patriotisme français renoue avec le nationalisme allemand
À côté de l'ambition patriotique de la rénovation scolaire, il y a l’enjeu de la fierté
nationale. La France prend modèle sur l'Allemagne, qui a gagné la guerre franco-allemande
grâce à ses instituteurs et à la formation scolaire de ses conscrits : « un violent esprit de
revanche qui passait par une revalorisation de l’enseignement primaire. Au vu du conscrit
prussien, alphabétisé, capable de lire une carte et de comprendre les ordres dans une langue
74
Suzanne Citron dans « Histoire de France : crise de l'identité nationale » (2003).
Paul Vidal de la Blanche (1854-1918), géographe qui travaillait ensemble avec Ernest Lavisse et son « Tableau
de la géographie française » constitue le premier volume de « Histoire de France » de Lavisse.
76 Charles Seignobos (1854-1942), historien et spécialiste de la IIIème République. Il est enseigné par Lavisse à
l’École Normale Supérieure. Il se spécialise en histoire politique et met en application la méthode historique
allemande, qui contient une lecture critique des manuscrits.
75
[33]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
commune, c’est l’instituteur prussien qui avait gagné la guerre et donc c‘est l’instituteur
français qui l’avait perdue ».77 Non seulement dans l'enseignement primaire mais également
dans les champs scientifiques, l'Allemagne a pris le devant. La reconquête française
scientifique vise à rénover la gloire nationale est l’intérêt porté à la géographie par exemple
ne s’explique pas uniquement pour trouver des raisons d’unité de l’espace français. De la
sorte, Vidal de la Blanche justifie l’unité territoriale française tout en rétablissant le prestige
français sur le plan scientifique.
Ensuite, La victoire allemande donne naissance aux sentiments nationaux français qui
portent sur l’« ipséité » de la nation : « La France ébranlée cherche un réconfort dans le
passé et tente de trouver la cohérence inéluctable d’un peuple et d’un pays à travers les
péripéties événementielles » (Beaune 1985 : 7). Analogue à la formation scolaire mais dans
un cadre plus large, c'est le modèle de la nation d’Allemagne que la France va copier: « né de
la défaite de Sedan et nourrit du drame des provinces perdues, le nationalisme français n'est
rien d'autre que l'acclimatation en France de tous les thèmes du Volksgeist » (Finkielkraut
1987 : 59-60). Autour de l'affaire Dreyfus,78 une autre conséquence du litige francoallemand, qu’on peut percevoir le changement idéologique. Conformément aux théories sur
la nation contrat, « ce sont les dreyfusards qui soutiennent avec force que la nation est un
assemblage de volontés individuelles et non une totalité organique [...] » (Finkielkraut 1987 :
60). Mais ces idées vont leur coûter leur crédibilité et ils sont accusés par les antidreyfusards
nationalistes de trahir leur patrie (Finkielkraut 1987 : 60). Pour cette partie des hommes
politiques, la définition de la nation comme un plébiscite quotidien de Renan a pris une
signification extrêmement patriotique et conséquemment en 1898,79 les adeptes de Renan
«se retrouvent dans le camp de l'anti-France » (Finkielkraut 1987 : 60).
La France tourne le dos à la conception volontariste et construit une identité fondée sur
la « mêmeté » de l’espace et l’ « ipséité » du destin français. Mais elle n'est pas le seul pays à
s'enfuir dans une idéologie nationaliste. Partout en Europe on essaye de faire coïncider les
frontières langagières et nationales : « la solidarité idéale entre les citoyens prend forme
dans le cadre d'un lien de parenté culturelle c'est-à-dire une langue et du bagage culturel »
77
« Savoir lire et écrire : L'école de la République » (2007).
En 1898, Alfred Dreyfus, un juif d'origine alsacienne, est à tort accusé d'espionnage pour l'Allemagne. L'affaire
fait l'objet des débats politiques et sociaux et partage la France en deux : les Dreyfusard, qui affirment
l’innocence de Dreyfus d’une part (en gros la société libérale) et les antidreyfusards de l’autre part (en gros
l’armée et l’Église). Mais les antidreyfusard ne forment pas un bloc et sont divisés en l’antidreyfusisme modéré
du pouvoir républicain et de la bourgeoisie et l’antidreyfusisme violent des nationalistes et antisémites (Cahm
1994 : 121).
79 C’est le moment que Zola écrit son pamphlet « J’accuse » comme une lettre au Président de la République. Le
13 janvier 1898 la lettre est à la une du journal parisien « l’Aurore ». Il y attaque les hauts rangs de l’Armée et les
accuse des mensonges dans le procès contre Dreyfus.
78
[34]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
(Leerssen 1998 : 10). Ce lien puissant est la base des nations modernes. Est-ce que Renan et
ces précurseurs des Lumières ont eu tort quant à l'idée que le consentement de vivre
ensemble suffit à fonder une nation? Est-ce qu'il s'agit d'une idéologie rationnelle qui en
réalité ne fonctionne pas ? Est-ce que les révolutionnaires ont commis une erreur en faisant
table rase de l'organisation sociale et solidarité traditionnelle en imposant une conception
abstraite de la nation et des liens interpersonnels?
[35]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
2.2. L’héritage indéniable du passé
Avec la « Déclaration universelle des droits de l'homme » (1789), la France devient la
patrie des droits humains. Le prix qu'elle doit payer pour appliquer les principes universel de
l'égalité, liberté et fraternité, est une rupture avec ses valeurs traditionnelles et une
représentation mentale de la nation fondée sur la monarchie, la religion et l’hiérarchie
sociale. A quel point la rupture avec l'héritage du passé et l’intégration des nouvelles idées
politiques dans une société posent-elles problèmes ? Dans ce qui suit nous présenterons la
tension entre l'unité de la France d'un côté et sa diversité culturelle de l'autre, et puis la
tension entre la disparition du lien religieux du discours officiel et l’enracinement chrétien de
la France. Enfin, l'objet de la dernière partie sont des connaissances sociologiques sur
l’individu qui se heurtent au pacte républicain.
2.2.1. Unité nationale et diversité culturelle
Les frontières intérieures
Pendant la période révolutionnaire, il y a une volonté politique de faire de la nation un
grand tout et « fondre l'esprit local et particulier en un esprit national et public »
(Rosanvallon 2004 : 34). Également en ce qui concerne la territorialisation de la vie sociale et
politique, on veut répartir de zéro et la division en départements en est le résultat. On
annule les anciennes unités administratives car ces «provinces» faisaient référence aux
privilèges de la noblesse et de l'église et à la gestion décentralisée et locale de la société
d’Ancien Régime.80 Pourtant, la nouvelle division est dépossédée du caractère naturel que
détenaient les provinces : « Il s’agit de créer une division purement fonctionnelle, qui ne
renverrait à aucune réalité sociale, politique ou culturelle, « une division qui ne serait pas
une » d’une certaine façon, pour reprendre un mot de Mona Ozouf. Une division qui ne
ferait également aucun signe aux traditions et aux habitudes du passé » (Rosanvallon 2004 :
35). La volonté politique d'unité est le moteur derrière cette construction artificielle, qui ne
80
Le territoire était auparavant la propriété des familles nobiliaires, auxquelles le roi avait assigné tel ou tel
domaine pour les remercier des services rendus. À leur tour, les propriétaires contrôlaient le revenu des
exploitations agricoles par les paysans qui travaillent les champs et effectuaient le système féodal.
[36]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
reconnaît pas la diversité coutumière développée à travers les âges. Car conformément à
son idéologie, l’Etat nation ne prend pas en compte le rôle de la race, de la langue, de
l'histoire et des particularités locales, alors qu'un État génie, comme l'Allemagne, fait de ces
éléments le ciment de la nation.
Schnapper affirme que la réalité exige une combinaison de ces deux formes et met en
valeur le rôle des liens ethniques, qui n'ont pas de signification dans le discours officiel de
l'Etat nation mais existent de fait: « La pensée de la nation s'est efforcée de systématiser,
pour des raisons à la fois intellectuelles et politiques, ce qui était inévitablement ambigu
dans la réalité. Les diverses nations européennes ont été en effet fondées à la fois sur
l'existence d’une communauté organique et d’une volonté politique » (Schnapper 1991 : 68).
En addition, Todorov pose que la nation remplace le cours de l'histoire par une innovation
d’intégration des entités culturelles et politiques : « La nation, elle, est une entité à la fois
politique et culturelle. Alors que les entités culturelles et politiques ont toujours existé, les
nations sont une innovation, introduites en Europe à l’époque moderne » (Todorov 1989 :
199). Vu que la nation rassemble des entités venues du fond des âges pour se construire,
elle est de la sorte constituée des populations « métissées » (Schnapper 1991 : 16), au lieu
d'une population homogène de point de vue ethnique et culturel. De quelle manière un Etat
nation gère-t-il la diversité culturelle de son peuple ?
Liberté individuelle et identités culturelles
En France, le processus de « francisation » implique l'homogénéisation culturelle de ses
habitants, au détriment de leurs identités culturelles différentes: « L’histoire de France n’est
pas la mémoire des Français dans la différence de leurs origines, de leur cultures. Mémoire
de l’État, elle les intègre en les effaçant ».81 Nous pouvons analyser le refus de la France de
reconnaître l'hétérogénéité des identités avec une théorie de Kymlicka.82 Selon lui, cette
attitude tient à la supposition que des groupes minoritaires, possédant une culture
spécifique, s'assimilent dans le groupe plus large et plus avancé de la culture « nationale » et
surtout que ce processus d'assimilation est dans l'intérêt du groupe minoritaire (Kymlicka
2001 : 205). Une élévation culturelle grâce à la domination de la culture nationale française
est une rhétorique qu'on retrouvera d'ailleurs dans la politique coloniale. Au modèle français
81
Suzanne Citron dans « Histoire de France : crise de l'identité nationale » (2003).
Will Kymlicka, philosophe politique québécois (1962) qui travaille beaucoup sur le thème du multiculturalisme
au Canada. Les citations sont tirées de « Politics in the Vernacular. Nationalism, multiculturalism and citizenship »
(2001).
82
[37]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
d'assimilation s'oppose le modèle multiculturel canadien, qui offre la liberté aux nouveaux
immigrants de garder leur identité d'origine. Il ne faut pas oublier que la spécificité
canadienne est que la vaste majorité des habitants sont des immigrants relativement
récents, à l'exception des « natives » qui ne forment qu’une minorité. La description du
Canada comme un « melting pot » renvoie à la présence de multiples identités culturelles et
en fait c'est exactement ce mélange d'identités qui définit l'identité canadienne. Outre cet
aspect multiculturel, les Canadiens eux-mêmes ainsi que le monde extérieur ont du mal à
distinguer une culture proprement « canadienne ».83 Conséquemment, le gouvernement n’a
pas comme tâche de protéger ou de refléter l'identité nationale canadienne, mais plutôt
d’assurer le bien-être de chacun en valorisant la diversité culturelle.
« Bien être » est dans ce sens une dénomination commune pour la vie avec des valeurs
humaines, comme la démocratie, l’égalité des cultures et la liberté de chaque individu de
décider quelle est son identité. Or, ces valeurs se sont répandues grâces au siècle des
Lumières. Mais en même temps, l'idée cosmopolite des Lumières rejette l’ambition de la
politique de refléter et protéger des identités nationales, vu qu’on a confiance à
l'émancipation de l'individu et au détachement des rôles hérités (Kymlicka 2001 : 204).
Kymlicka pose que ce rejet est contradictoire car selon lui « les cultures nationales et
politiques nationales fournissent le meilleur cadre possible pour la promotion des valeurs
des Lumières. Par exemple, la participation démocratique est favorisée quand le débat
politique est en langue vernaculaire. La politique devient de la sorte une affaire moins
élitaire et plus légitime (Kymlicka 2001 : 212-214).
De retour à la question de la liberté individuelle, Kymlicka se demande si les penseurs
des Lumières ont « surestimé la valeur d'autonomie » (Kymlicka 2001 : 208). Toutefois,
l'esprit cosmopolite de, par exemple Érasme qui déclarait de ne pas avoir besoin d’une
identité « nationale » est contesté par « la ténacité des identités ethnoculturelles » et les
mouvements de nationalismes minoritaires (Kymlicka 2001 : 204). Todorov, qui analyse à
quel point les valeurs des Lumières sont tenables dans le monde occidentale d’aujourd’hui,
pose que l’espoir du progrès des Lumières faisait preuve d’un « optimisme excessif » : les
caractéristiques de l’homme et leurs sociétés sont aussi importantes que le désir de liberté
et de rationalité : « Les hommes ont besoin de sécurité et de consolation non moins que de
83
Pour dire cela, nous référons aux connaissances obtenues grâce à la participation à un programme d'études en
communication interculturelle (l'Eurocampus 2007 à Lugano, Suisse). Parmi les étudiants, il y avait une
canadienne et on a souvent discuté le thème d'identité culturelle.
[38]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
liberté et de vérité ; ils préfèrent défendre les membres de leur groupe plutôt que d’adhérer
aux valeurs universelles […] ».84
La République une et indivisible versus le droit à la différence
En France, d'un côté, les idées des Lumières sur l'émancipation de l'individu ont été
largement appliquées dans la politique de l’État nation en ce qui concerne les droits naturels
de l’homme et leur égalité civile et culturel. De l'autre côté, l’application radicale des thèses
philosophiques sur la société et les individus fait que les sentiments ethnoculturels, qui font
quand-même partie de la condition humaine, sont réprimés au nom de l'unité nationale.
Jusqu'à aujourd'hui, la France a du mal à reconnaître sa diversité culturelle. Prenons
l'exemple des langues régionales : avant de signer « la Chartre Européenne des Langues
Régionales ou Minoritaires » (1992), la Constitution française a été révisée afin d'affirmer
que seul « le français est la langue de la République ».85 Conséquemment, la France n'a pas
pu ratifier la Chartre « en raison, notamment, du fait que la convention prévoyait l'utilisation
des langues régionales dans les services publics ».86 Ensuite, l'attribution des droits
spécifiques aux locuteurs des langues régionales est considérée comme une forme de
communautarisme (van Oostendorp 2006 : 3). Dans le débat français entre l’intérêt général
d'une part et les intérêts particuliers d'autre part, c'est toujours le premier paradigme qui
l'emporte. Les droits humains sont interprétés à la lumière de la République « une et
indivisible » alors que Kymlicka explique que ceci n’est pas la seule façon d’interpréter les
droits humains. Sous un autre point de vue, il est possible d'interpréter le principe universel
de la liberté comme le droit individuel de choisir son cadre culturel.
84
Tzvetan Todorov dans « Espoir dans le progrès : un optimisme excessif » (2006), conférence écrite dans le
cadre de l'exposition de la Bibliothèque nationale de France : « Le siècle des lumières : un héritage pour demain »
(2006).
85 Article 2 de la Constitution de 1958 prévoyait déjà que : « La langue de la République est le français ». Mais
devant les revendications des langues minoritaires, la révision du 25 juin 1992 de la Constitution a réaffirmé
l'unité linguistique de la France. Article en ligne du gouvernement français : « L´intégration républicaine
fonctionne-t-elle encore face à la diversité culturelle ».
86 Ibid.
[39]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
2.2.2. Des racines chrétiennes et la « neutralité » de l'État
À l'encontre de l'identité républicaine de la France, Benda87 pose au début du XXe siècle
que : « un peuple doit se faire une conception de ses droits et de ses devoirs inspirée par
l’étude de son génie spécial, de son histoire, de sa position géographique, des circonstances
particulières dans lesquelles il se trouve et non par les commandements d’une soi-disant
conscience de tous les temps et tous les lieux » (Finkielkraut 1987 : 62). Benda insiste donc
sur le rôle du génie national, la « mêmeté » et de l'histoire l’ « ipséité ». Or, une spécificité
française traditionnelle est que la vie religieuse et la vie politique sont étroitement liées à
travers des liens de privilèges entre la monarchie et l'église catholique ainsi que par le droit
divin. En plus, l'idée nationale au Moyen Âge prend signification à travers le lien avec la
chrétienté. La laïcité rompt donc avec une tradition de la France. Que se passe-t-il avec le
rôle social de la religion et son apport à l'identité nationale, après la suppression de l'Ancien
Régime en 1789?
La marche vers la laïcité
Avant de montrer comment la laïcité s'est développée, il est important de souligner sa
portée car elle se limite à l'expression de la religion dans la vie autonome de l'individu et ne
concerne pas la croyance en soi. Cette forme d'autonomie individuelle de libération de
l'individu de la tutelle catholique vient des Lumières : « Ce n'est plus l'autorité du passé qui
doit orienter la vie des hommes, mais leur projet d'avenir. Rien n'est dit en revanche de
l'expérience religieuse elle-même, ou de l'idée de transcendance, ou de telle doctrine
morale portée par une religion particulière. La critique porte sur la structure de la société,
non sur le contenu des croyances. La religion sort de l'État sans pour autant quitter
l'individu».88
Le long trajet vers la loi de 1905 sur la séparation de l’État et des Églises commence avec
la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 1789 qui affirme que : « nul ne doit
87
Julien Benda, philosophe et écrivain français (1867-1956). Cette citation est tirée de « La trahison des clercs »
(1926) dans lequel il annonce comme un visionnaire à quel point la revendication des identités nationales
pourrait menacer l’Europe. Il est un partisan de l’idée européenne et prévoit que c’est dans une grande Europe
que les anciennes identités nationales s’abîmeront.
88 Tsvetan Todorov, sémiologue, historien des idées et philosophe, d'origine Bulgare (1939). Les citations sont
tirées de la conférence « L'esprit des lumières », écrite dans le cadre de l'exposition de la Bibliothèque nationale
de France : « Le siècle des lumières : un héritage pour demain » (2006).
[40]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble
pas l'ordre public établi par la loi ».89 Mais en 1801, le régime concordataire mis en place par
Bonaparte affirme « la reconnaissance mutuelle de l'Église catholique et la République
française ».90 Tout au long du XIXe siècle, ce régime reste en vigueur, mais le passage
définitif de la France à une République en 1871 remet en marche le processus de laïcisation.
L'instauration de l'école laïque en est une étape importante, vu qu’elle élimine l'influence de
l'église dans l'enseignement. Pourtant, le comble de l'anticléricalisme du gouvernement est
l'adoption de la loi de la laïcité en 1905.91 L'événement ne se passe pas sans coup férir : « il
faut attendre jusqu'à 1924 que le conflit entre le monde religieux et les pouvoirs publics
s'apaise ».92 Bachelot93 parle du mal du pouvoir républicain à reconnaître l'héritage chrétien
de la France et vice versa le refus de l'Eglise d'accepter la sécularisation des sociétés
européennes (Bachelot 2006 : 364). Il souligne que la véhémence et la récurrence des
conflits entre le pouvoir républicain et l'Eglise fassent de l'école laïque une institution
aléatoire : « Quoi de plus idéologique en effet que l’école républicaine à la française, fruit de
plus d’un siècle de guerres civiles et de luttes idéologiques qui ont finalement abouti à un
compromis historique dont est issue notre école laïque et républicaine » (Bachelot 2006 :
363). Non seulement à l’école, mais dans toute la vie sociale, la laïcité a des effets
considérables. Quelles sont les conséquences de la laïcité sur la construction de l’identité
nationale ?
Deux traditions qui se heurtent
La laïcité est un des symboles clés de la République française et est le socle du pacte
républicain. Sur le plan social, la laïcité implique « une dissociation entre l'identité nationale
ou la citoyenneté et l'appartenance religieuse ».94 La laïcité ne concerne pourtant pas
l'adhésion individuelle en soi à une religion, mais se limite à la condition que les
manifestations se limitent à l'espace privé et ne troublent pas l'ordre public.95 Pourtant, un
élément tellement important de l'identité traditionnelle qui est l'appartenance religieuse ne
peut pas être mis de côté comme ça et les deux conceptions de la nation continuent à se
89
Dossier en ligne « Laïcité » de l’Assemblée nationale (2004).
Ibid.
91 Séparation institutionnelle entre les affaires des églises et de l'État.
92 Dossier en ligne « Laïcité » de l’Assemblée nationale (2004).
93 Denis Bachelot dans « Voile, laïcité et crise identitaire » (2006).
94 Dossier en ligne « Laïcité » de l’Assemblée nationale (2004).
95 Un trait spécifiquement français est que l'espace privé est relativement limité et qu'on entre relativement dans
l'espace public. Ce trait est fondé dans la culture politique de la généralité.
90
[41]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
mêler: « À la conception politique héritée de 1789 s’est toujours mêlée l’idée, issue du
Moyen Âge, de la France paysanne et enracinée, fille aînée de l’Église » (Schnapper 1991 :
41). L’héritage du passé pose donc un problème au pouvoir républicain, qui répond par une
tentative de réunir les deux traditions françaises, le christianisme d'un côté et l'idéologie
républicaine et sa notion de la laïcité de l'autre. Comme évoqué plus haut, la formation
scolaire est le moyen par excellence du gouvernement pour intégrer les institutions
républicaines dans les esprits français : « Qui a encore connu les livres d'histoire de l'école
primaire à la Jules Ferry peut se souvenir avec émotion de cette imagerie naïve et
totalement « idéologique » qui reconstruisait notre long roman national en mettant en
scène un échantillon de héros, rois et saints d'un côté, grandes figures de la République de
l'autre, pour les inscrire dans une même continuité de destin » (Bachelot 2006 : 364).
On retrouve la même confrontation entre passé et présent au Panthéon à Paris.96 Le
monument est inscrit dans l’histoire du christianisme, mais il est actuellement au service de
la nation, faute de culte religieux de l'État. On y retrouve un mélange entre des symboles
consacrés aux saints, évêques et rois d'une part, et ceux dédiés à la gloire de la République,
ainsi que les cendres de Rousseau et Voltaire d'autre part. L'inhumation des grands
serviteurs de l'État dans la crypte du « temple de la nation » se poursuit jusqu'à présent.97 En
addition à ces illustrations du double visage de la France, nous évoquons une autre
manifestation de l'héritage royal dans la vie politique d'aujourd'hui. Installée par le Président
De Gaulle lors de la création de la Ve République française en 1958, le Président bénéficie
d'une immunité politique, qui est essentiellement le résultat du système étatique et
centralisé français car en tête de l'État omnipotent, on a besoin un grand esprit, un
visionnaire. Kruk98 ajoute que les Français ont une certaine nostalgie pour la monarchie :
«chaque dirigeant du pays après la révolution de 1789, de Robespierre à De Gaulle et de
Napoléon à Mitterrand, avait une allure quasi royale. Ils savaient que la représentation de
l'intérêt général et la capacité de s'élever au-dessus des autres parties était à la fois un
mérite et une condition de leur direction ».99 Pourquoi le Président doit-il s'élever audessus à travers cet aspect théâtral et en adoptant une attitude de monarque? Bien que les
Français aient décapité leur roi absolutiste en 1793, souhaitent-ils toujours son retour ?
96
La basilique a été fondée par le roi Clovis en 507 et était destinée à abriter sa sépulture et celle de son épouse.
En 1755, Louis XV ordonne le projet d'une nouvelle basilique pour rétablir le prestige d'une Église divisée. le
projet est achevé en 1790. Un an après, le monument est transformé en Panthéon national. Par deux fois au
cours du XIXe siècle, il retrouve sa vocation chrétienne mais il est définitivement réinvesti de sa destination
civique en 1885, à l'occasion des funérailles de Victor Hugo (Document informatique du Panthéon, 2007).
97 Ibid.
98 Aux Pays-Bas, une monarchie constitutionnelle, le roi ou la reine n'a qu'un rôle symbolique.
99 Marijn Kruk dans « Waarom Segolène Royal de nieuwe president van Frankrijk wordt » (2006).
[42]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
Toutefois, les vestiges de la monarchie sont faciles à percevoir. Par exemple, dans les
médias, Français Mitterrand100 a souvent été appelé « Dieu » et dans le langage populaire on
a parlé de « règne ». Un héritage du passé monarchique qui se fait sentir encore de nos
jours ? Un autre phénomène typique est que les institutions républicaines résident dans les
anciens bâtiments de la royauté à Paris.101
Le rôle social de la religion ainsi que le passage d'une monarchie à la république est dans
une large mesure en rupture avec la tradition. Cependant, on a vu que la frontière entre ce
qui appartient au passé et ce qui apparient au présent n'est pas toujours très claire. Malgré
la rupture républicaine de la Révolution de 1789, certains fonctionnements sociaux et
politiques se poursuivent mais sous une nouvelle dénomination. Pour ce travail, il est
intéressant de considérer que l’identité nationale doit beaucoup à son passé monarchique.
Considérons-nous maintenant comment la rupture républicaine et son image de l'homme se
heurtent à la réalité humaine et pourquoi ceci entraîne une inflexion du modèle jacobin.
100
Président de la République pendant 14 ans : de 1981 à 1995.
Par exemple le Palais Royal au premier arrondissement de Paris où s'est installé actuellement le Conseil d'État
ou encore le palais d'Élysée où réside le Président.
101
[43]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
2.3 La remise en place de l'individu dans l'État à la française
Une fausse image de l'Homme?
Il y a un fossé entre l’idée républicaine de la place dans la société de l’homme et la
condition humaine. La dernière revendique le besoin d’une identité collective et des liens de
solidarité alors que le pacte républicain entraîne une image d’une société composée
d’individus. Une telle image de l’homme a été contestée par les contre-révolutionnaires au
XIXe siècle ainsi que de nos jours: « Car la société ne naît pas de l’Homme, aussi loin qu’on
remonte dans l’histoire, c’est lui qui naît dans une société déjà donnée » (Finkielkraut 1987 :
23). En effet, la différence avec l'ancienne organisation de la société est grande. Les
catégories sociales faisaient que toute personne avait une image claire de sa place dans
l'ensemble et les corps offraient de la protection sociale. La Révolution a mis fin d'une façon
brutale aux liens horizontaux entre les citoyens et a laissé l'individu face à l’Etat omnipotent.
La question s’impose de savoir si l’homme est capable de vivre en société comme ça. « Dans
le moment même où ils croyaient libérer la nation des institutions surannées qui la
maintenaient sous tutelle, ils trahissaient, en fait, l’identité nationale au profit de ce rêve
d’esprit, de cette entité purement imaginaire : l’Homme » (Finkielkraut 1987 : 24). Cette
image abstraite de l’homme exige qu’il s’assimile dans le corps de la République sans
appartenance à une communauté quelconque. Or, on peut réduire « la faute » de l'idéologie
républicaine à un fait banal : « les êtres humains n’existent pas seulement en tant
qu’individus : ils appartiennent aussi à des groupes sociaux de taille variable » (Todorov 1989
: 199). Ce sont les sciences humaines et notamment la sociologie qui vont interroger l'image
républicaine de l'homme à partir de 1870.
Les sciences humaines et le modèle jacobin
La défaite militaire et morale de 1870 nécessite de « refonder intellectuellement et
politiquement le modèle français [...] Il est dorénavant surtout question de se mettre à
l’école de la réalité et de refonder la politique sur une connaissance approfondie des faits »
[44]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
(Rosanvallon 2004 : 266). La refondation intellectuelle du jacobinisme102 concerne entre
autres le rôle de l'individu dans la société et dans le dernier quart du XIXe siècle, la sociologie
va « remettre l'homme à sa place » (Finkielkraut 1987 : 36). On prend le contre-pied aux
certaines idées sociologiques des Lumières : « Naguère le droit divin faisait partie des
innombrables fables dont la raison critique estimait devoir émanciper les Hommes ; avec
l'apparition des sciences humaines, ce sont les idées philosophiques de contrat social et de
droit naturel qui sont à leur tour rangées parmi les mythologies » (Finkielkraut 1987 : 37).
Espinas103 considère « la société comme un tout, un être collectif complexe, et non
comme une simple juxtaposition d’individus souverains unis par un accord formel, de type
politique » (Rosanvallon 2004 : 267-268). Fouillée104 développe la critique de la sociologie à
propos de la fausse image de l'homme et il propose une solution aux antagonismes sociaux
de cette façon de vivre ensemble. Son « organisme contractuel » est une synthèse entre
l’approche des sociologues et celle des théoriciens du contrat social : « l’organisme
contractuel, dans sa perfection, est la conciliation de ces deux choses en apparence
contradictoires : individualité et collectivité, décentralisation et centralisation, liberté des
parties et cohésion du tout » (Rosanvallon 2004 : 269-270). On n'a jamais vu l'essor de cet
organisme contractuel, mais la remarque de Fouillée cristallise la contradiction entre l’aspect
individuel du pacte républicain d’une part et le besoin humain d’avoir une identité collective
d’autre part.
L'apparition tardive des syndicats en France
Sous l’Ancien Régime, les corps de métier étaient une expression d’une identité
collective et constituaient un lien social important. Or, la loi Le Chapelier de 1791 avait
officiellement interdit les corporations. Un siècle après coup, la critique de la sociologue
contribue à « une nouvelle philosophie sociale de l'État » (Rosanvallon 2004 : 271). En 1884,
102
Doctrine démocratique et centralisatrice professée sous la Révolution française par les Jacobins. C’est un
système moniste qui considère tous les éléments sociaux réductible à l’unité.
103 Alfred Espinas (1844-1922). Sociologue, dans « Des sociétés animales » (1877). Selon Durkheim, ce livre est
« le premier chapitre de la sociologie » (Rosanvallon 2004 : 266).
104 Alfred Fouillée (1838-1912). Sociologue, dans « La science sociale contemporaine » (1880). La liberté et le
déterminisime sont des thèmes centraux dans ses œuvres. Sa femme s’est illustrée, sous le pseudonyme de G.
Bruna dans la publication des livres de lecture « Le tour de la France par deux enfants » (1877), utilisé dans
toutes les classes de l’école de la République. Il s’agit d’un modèle pédagogique qui présente toutes les régions
de la France et leurs particularités locales, mais qui souligne que toutes ces petites patries se sont fondues dans
le « creuset français » (Noiriel 2007 : 88-89).
[45]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
on voit émerger la nouvelle loi du syndicalisme105 et les ouvriers ont désormais la permission
officielle de se réunir en syndicat.106 Il y a deux autres processus sociaux qui vont contribuer
à l'inflexion du modèle français. Premièrement, la peur du gouvernement pour une
révolution des classes laborieuses, à son tour la réponse aux inégalités sociales apparues
avec la révolution industrielle et deuxièmement, le spectre d'un État providence : « Faute
d'associations et de corps intermédiaires, l'État se trouve sollicité sur tous les fronts ; il est la
seule forme que peut prendre l'alternative à la dispersion des énergies et la seule figure que
peut se donner l'intérêt général » (Rosanvallon 2004 : 250). La responsabilité énorme de
l'État dans la vie sociale est une conséquence directe de la loi Le Chapelier : « La suppression
des corporations a créé une vide que seul l’État peut combler » (Wirth 2002 : 75). Devant le
mécontentement et les grèves violentes des classes laborieuses, on s'est vu forcé de
permettre les corporations et d'élargir de la sorte la base de l'intérêt général. Également la
loi de l'association de 1901 devait rendre à la société française la capacité de s'organiser
indépendamment de l'État.107 L’idéologie républicaine se heurte donc à la pratique. La
nécessité d'améliorer la culture politique de la généralité fait affleurer une couche de la
réalité humaine.
Malgré l'héritage du passé et les nouvelles connaissances sociologiques, la culture
politique républicaine est restée jusqu'à nos jours l'idée la plus diffusée. L’idéologie
républicaine se manifeste également dans la façon française de voir « l'Autre » et ceci est le
sujet du dernier chapitre de ce travail.
105
Loi du 21 mars 1884 relative à la création des syndicats professionnels. L’article 2: « Les syndicats ou
associations professionnelles, même de plus de vingt personnes exerçant la même profession, des métiers
similaires, ou des professions connexes concourant à l'établissement de produits déterminés, pourront se
constituer librement sans l'autorisation du Gouvernement. » Article en ligne de l’université de Perpignan « Les
grandes lois de la République ».
106 « Le syndicalisme apparaît dans les années 1880 comme le moyen d'exorciser un révolution ouvrière
éventuelle dans un contexte de suffrage universel, en permettant de combler le déficit de rétractation qui
marque structurellement la société moderne » (Rosanvallon 2004 : 259).
107 Le 1er juillet 1901, le Président du Conseil, Waldeck-Rousseau, met en place la loi sur les associations. L'article
I : « L'association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d'une façon
permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. Elle est régie,
quant à sa validité, par les principes généraux du droit applicable aux contrats et obligations. » (Larousse 2001 :
1157).
[46]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
3 Le regard vers l'Autre et la conscience de soi
Sous la IIIe République, les « barbares » nationaux sont transformés en bons républicains
à travers l'enseignement. C'est le même gouvernement qui développe la politique coloniale
et qui fait de la France une puissance mondiale. Dans ces colonies, on voit un processus
d'assimilation des barbares analogue au processus sur le territoire national. Or, l'attitude
française vis-à-vis de l'Autre porte des signes d'un esprit ethnocentriste. C'est pourquoi nous
débutons ce chapitre avec une exposition de l'universalisme français du XIXème siècle face à
cet ethnocentrisme. Puis, nous montrons que le modèle d'assimilation, que ce soit dans les
colonies ou sur le territoire national, est l'issue logique des idéologies qui ont dessiné le
paysage politique en France. Ensuite, nous présentons une contradiction qui œuvre dans le
pacte républicain. Enfin, nous nous concentrons sur la question de la construction
identitaire, sujet à la une de l'actualité par l'intervention de Nicolas Sarkozy. Finalement,
nous présentons brièvement les arguments pour et contre un modèle multiculturel en
France.
3.1. L'universalisme français face à l'ethnocentrisme et la rhétorique de la
colonisation
Les Lumières ont introduit l'idée d'un universel humain et on a tenté de définir des traits
communs de tous les hommes. Puis, la France a établi la Déclaration des droits de l'Homme
et du citoyen de 1789 qui attribuent à tous les hommes des mêmes droits universaux. La
France, dans sa fierté nationale, parle donc pour l'Autre. Nous avons plus haut parlé de
l’ethnocentrisme dans les Lumières. Maintenant nous exposons les manifestations
d’ethnocentrisme d’après le fondement de l’État moderne. Le XIXème siècle est une période
pendant laquelle la France cherche à élargir son influence économique et culturel, d’abord
avec l’expansionnisme européen de Napoléon et puis avec l’'empire coloniale. Comment les
historiens du XIXe siècle relient-ils l’amour pour la patrie et le caractère universel des valeurs
et principes de la nation française ?
[47]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
Le patriotisme comme une forme de l’ethnocentrisme
« [...] pour Lavisse, la Révolution a fait de la France une nation, hors du commun, bref,
universelle » (Schnapper 1991 : 65). Lavisse juxtapose la gloire nationale et l'universalité a de
la France. Michelet,108 le grand historien français de son époque, manifeste aussi la
contradiction entre universalisme et patriotisme : il proclame « les principes de la justice, de
l’égalité, de la liberté et de l’amour universel. C’est en même temps un partisan affirmé de
l’idée nationale » (Todorov 1989 : 235). Michelet concilie l'amour universel et l'amour pour
sa patrie en raisonnant que : « Depuis la Révolution, la France a construit son identité sur les
principes de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ; or ce sont là les valeurs universelles
par excellence. C’est pourquoi ses lois comme ses légendes ne sont autres que celle de la
raison, car c’est la raison qui nous dit que la devise de la révolution est la meilleure du
monde » (Todorov 1989 : 238). Le point de départ de ces patriotes est qu'ils déterminent la
raison universelle qui vaut pour tous les lieux et toutes les époques, mais ne la confondentils pas avec leur raison ? Le patriotisme est une expression d'un esprit ethnocentriste quand
on identifie les lois, valeurs et principes de sa patrie comme un modèle universel, qui sert
comme modèle de référence pour d'autres pays, et sans reconnaître la relativité de ses
opinions et de son mode de vie. Une telle conception d'universalité a des conséquences
considérables quand on va chercher à éteindre son pouvoir à d'autres horizons et prescrire
sa vision du monde à l'ensemble humain, même si c'est avec le noble objectif d'élever
l'Autre humainement: « La patrie française est un peu supérieure aux autres, mais, à travers
elle, toutes les patries s'élèvent » (Finkielkraut 2007 : 233). C'est la rhétorique du
colonialisme français d'après 1850.
La rhétorique du colonialisme
Sous l'Ancien Régime, les Français avaient déjà des propriétés en dehors de la France
métropolitaine mais l'ampleur de « l’ancien empire colonial »109 n'est rien à côté de l'empire
108
Jules Michelet (1798-1874) est considéré comme le plus grand historien français du XIXe siècle. Il est l'auteur
de « L'histoire de France » (1841). Selon lui, « la nation française ne peut rester elle-même qu’en se
révolutionnant sans cesse » (Noiriel 2007 : 18).
109 Empire qui se concentre sur le commerce d’esclaves.
[48]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
qui se met en place à partir de 1850.110 La rhétorique du colonialisme trouve son origine au
siècle des Lumières : « Enivrés tout à la fois par le développement de la connaissance, le
progrès technique et les raffinements des mœurs que connaissait l'Europe du XVIIIe siècle,
ils ont créé pour en rendre compte le concept de la civilisation » (Finkielkraut 1987 : 69). Or,
la France républicaine a repris ce concept et voit « dans la France contemporaine
l'aboutissement de l'Histoire de la Civilisation, et dans le républicain l'aboutissement de
l'homme » (Kok Escalle 1988 : 98-99). La justification de la domination économique est donc
d'abord de répandre la civilisation ultime, mais également les Européens font la différence
entre leur race est celle des autres, et la supériorité de la race blanche se transforme en
argument pour défendre la domination et les guerres qui vont de pair avec les conquêtes.
Cette différence raciale est un des arguments de Jules Ferry en faveur des conquêtes
françaises quand il déclare, en tant que premier ministre, que « les races supérieures avaient
le droit et le devoir de civiliser les races inférieures ».111 Afin de soutenir sa politique
coloniale, Ferry met aussi en avant la mission éducatrice et civilisatrice du colonialisme : «les
pays civilisés seront les maîtres des jeunes et incultes pays barbares : c’est d’un véritable
«procédé d’éducation » qu’il s’agit, et le but n’est pas d’exploiter mais de civiliser et d’élever
jusqu’à soi les autres « races », de répandre les Lumières dont nous avons reçu le dépôt ; tel
est le sens du «progrès de l’humanité et de la civilisation» que souhaite Jules Ferry »
(Todorov 1989 : 292).
110
Jusqu'à 1850, le colonialisme français est limité et ne contient que ce qui reste de l'ancien empire colonial surtout des comptoirs - et les acquisitions de la monarchie de juillet, entre autres l'Algérie. Avec Napoléon III la
France fait preuve d'un esprit d'entreprise, sous l'impulsion des marins - soucieux d'établir des points d'escale - et
des missionnaires catholiques - désireux d'assurer le plus grand succès possible à leur œuvre d'évangélisation.
Après la chute de l'empire de Napoléon, on applique la politique du recueillement : on garde ce qu'on a déjà
acquis mais on ne cherche pas à conquérir d'autres terres. L'essor de l'expansion coloniale français est entre 1880
et 1885, quand le premier ministre Léon Gambetta rompt avec la politique du recueillement et sous lui on peut
expansion et préfèrent qu'on se concentre sur la France métropolitaine afin de reprendre la province perdue :
L'Alsace-Lorraine. À partir de 1885, ce sont les socialistes qui s'opposent à la politique coloniale, par principe. De
1850 jusqu'à à 1914, le domaine principal de la colonisation française a été l'Afrique. Les trois grands secteurs
sont l'Afrique du Nord et le Sahara, l'Afrique Noire et le Madagascar. Les Français sont aussi présents en Océanie
et en Asie. L'organisation locale dépendait du statut du territoire. Dans les protectorats, la France avait
seulement une fonction de contrôle. En revanche, les colonies sont soumises à une administration directe. Ces
fédérations coloniales constituent, à la différence de dominions britanniques, « seulement » des cadres
administratifs. C'est à l'Algérie qu'on a expérimenté deux conceptions différentes d'une colonie. Selon la
conception de l'association, on considère l'Algérie comme un pays ayant ses caractères particuliers alors que la
conception d'assimilation fait de la colonie un simple prolongement de la France métropolitaine. L’organisation
générale n'a guère posé de problème mais dans l'ensemble le résultat a resté incomplet : en 1914, les colonies
françaises français dépendaient de trois ministères différents : Celui des Colonies, celui des Affaires étrangères
pour les protectorats et celui de l'intérieur en ce qui concernait l'Algérie (Pervillé 1993 : 24-48).
111 Suzanne Citron « Histoire de France : Crise de l'identité nationale » (2003) .
[49]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
La colonisation extérieure et intérieure
L’argument humanitaire du colonialisme est analogue à la politique intérieure de Ferry à
propos de l'éducation, qui sert à son tour à élever les paysans français au même niveau
culturel que l'élite. « Il faut civiliser les barbares en les nationalisant » est donc autant
l'attitude vis-à-vis des Français des classes sociales inférieurs que celle face aux habitants des
colonies. Dans les deux cas on peut s’interroger pour savoir si la mission est vraiment
«humanitaire» dans le sens que c'est le bien-être des « élèves » qui est l'enjeu ou bien si elle
est l'instrument d'une politique plus générale. Quant à l'école républicaine, on sait qu'elle
avait l'objectif de faire pénétrer l'idéologie républicaine et ses institutions dans les esprits
français. En ce qui concerne les colonies, même si on croyait honnêtement que l'accès à la
civilisation française permettait d'éclairer les esprits de ceux qui vivent dans un « état de
barbarie », on a insisté surtout sur l'argument humanitaire pour justifier l'exploitation de ces
colonisés. D'ailleurs, l'objectif de la colonisation semble occulter les moyens, que sont des
actes de conquête, de guerre, et de répression, et pourtant ceux-ci ne témoigne pas du tout
d'une civilisation.112 Quant à l'idée que l'instruction de la civilisation française est un devoir
humain, elle aussi trouve sa base dans les théories des Lumières, car « ce sont ses auteurs,
en effet, qui nous ont appris que si la liberté est un droit universel, seul pouvait être dit libre
un homme éclairé. Ce sont eux qui ont formulé vis-à-vis de la puissance publique ces deux
exigences indissociables : Respecter l'autonomie des individus et leur offrir, par l'instruction,
le moyen d'être effectivement autonomes » (Finkielkraut 1987 : 66-67). Mais, l'erreur
ethnocentrique est de penser savoir à quelles conditions doit répondre, et quelle culture
possède un homme éclairé. Si la culture française est «prééminente», c'est à cause de la
position dominante du pays et « non par la supériorité intrinsèque de ses productions ou de
ses valeurs » (Finkielkraut 1987 : 76).
Le paradoxe du patriotisme face à l'ethnocentrisme s'explique par l'aspect de
déracinement de la mission humanitaire. Prenons Jules Ferry dont les arguments
humanitaires et civilisateurs « ne sont que deux aspects du même principe nationaliste,
selon lequel il faut œuvrer de son mieux pour que le pays auquel on appartient atteigne une
112
À titre illustratif : « Le nombre des morts de la conquête de l'Algérie a été évalué par Jacques Frémeaux,
historien fiable « La France et Algérie en guerre. 1830-1870, 1954-1962 » (2002), à environ 400 000. Si l'on ajoute
les milliers de victimes des grandes famines, notamment celle de 1868, sur fond de destruction du vieux mode de
production communautaire, de 1830 à 1870, on ne sera pas loin du million. La population de l'Algérie a, de fait,
baissé d'environ un tiers en 40 ans » (Liauzu & Meynier 2005).
[50]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
plus grande puissance […] « La France doit répandre cette influence sur le monde, et partout
où elle le peut sa langue, ses mœurs, son drapeau, ses armes, son génie » » (Todorov 1989 :
290-291). La colonisation renforce la position et la gloire de la France. Mais quels sont les
effets pour l'identité collective de ceux qui sont dominés ? Cette réflexion concerne les
colonisés autant que les « barbares » français. La politique impérialiste « contribue
incontestablement à la grandeur nationale, mais en même temps fait des autres des
déracinés » (Todorov 1989 : 288). La libération de ceux provenant des classes inférieures ou
des cultures « barbares » et privés d'un esprit éclairé est seulement possible par un
processus de « déracinement et dressage » : « Déracinement d'abord, arrachement des
êtres à ce réseau d'habitudes et d'attitudes qui constituent leur identité collective ; dressage
ensuite, inculpation des valeurs dominantes élevées à la dignité de significations idéales »
(Finkielkraut 1987 : 77). Paradoxalement, la France parle pour l'Autre, mais en faisant cela,
on impose le silence à leurs identités collectives et individuelles. Autrement dit, la fierté de
la patrie française, et donc de leur attachement et enracinement culturel à eux, fait des
autres des déracinés. Ceci est le danger du patriotisme face à l'universalisme.
[51]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
3.2. Immigration en France
Le modèle d'assimilation et le droit de la nationalité
« Les tenants des thèses universalistes défendent habituellement un type de
colonisation qu’on appelle « assimilation », et qui consiste à vouloir transformer les « races »
indigènes à l’image de la France, en croyant que celle-ci est l’incarnation parfaite des valeurs
universelles » (Todorov 1989 : 289). La République française applique aussi le modèle
d'assimilation pour intégrer les étrangers qui venaient s'installer en France.113 L'idée de cette
approche est que quand les étrangers se sont transformés à l'image française du citoyen et
que leurs origines étrangères ne sont plus perceptibles, leur intégration dans la société
française se passe sans peine. L’assimilation est une forme d'intégration qui se situe à un
point extrême du contenu car il cherche à resocialiser l'individu : non seulement l'immigrant
s'approprie la langue et les coutumes du pays hôte, mais également sa vision du monde et
ses valeurs sont remplacées par la façon de voir le monde et les valeurs correspondantes de
la culture hôte. Le modèle multiculturel et ses droits à la différence se situent à l'autre fin du
continu. Une notion importante de l'intégration à la française est la division entre l'espace
public et privé: dans l'espace public, il n'y a pas de place pour les identités individuelles et on
a avant tout l'identité française. L'exigence de parler français dans les institutions publiques
en est un exemple. En revanche, une fois qu'on répond à ces exigences, il devrait être
possible pour chacun de devenir citoyen français. Pour acquérir la citoyenneté, il faut
d'abord acquérir la nationalité française. Celle-ci est relativement aisée à obtenir, car en
addition à l'appartenance nationale par le droit du sang (quand au moins un des parents est
Français) où le droit du sol (quand l'enfant est né en France), on peut aussi l’obtenir par
naturalisation ou par mariage.114 Enfin, pour devenir citoyen français, il faut « jouir de ses
113
La dénomination « étranger » simplifie la réalité car les immigrants venant des départements français en
dehors de la France métropolitaine, notamment l'Algérie, étaient officiellement des « migrateurs intérieurs ».
Pour des raisons pratiques, nous utilisons cette dénomination pour l'ensemble des immigrants.
114 « La citoyenneté française est liée à la détention de la nationale et française. Cette nationalité s’acquiert de
quatre façons : Premièrement par le droit du sang : est considéré comme français tout enfant dont au moins l'un
des deux parents est français ou devient français. Deuxièmement par le droit du sol : devient automatiquement
français, l'enfant qui est né en France. Pourtant l'enfant né en France de parents étrangers, la nationalité devient
de plein droit à 18 ans. Troisièmement, par la procédure dite de naturalisation : Un étranger majeur, résidant
habituellement sur le sol français depuis au moins cinq ans peut demander à être neutralisé. Dans tous les cas,
depuis la loi « Sarkozy » du 16 novembre 2003 sur la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France
et à la nationalité, il doit justifier de son « assimilation à la communauté française » lors d'un entretien individuel.
Celui-ci évalue « selon sa condition » sa bonne connaissance de la langue française et des droits et devoirs
[52]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
droits civils et politiques » : le droit de vote.115 Essentiellement, ce modèle de nationalité
ouvert fonctionne comme un mécanisme d'intégration républicaine, qui s'est mis en place
depuis le premier flux d'immigration de travail à la fin du XIXe siècle : « la France fait le choix
de mêler le droit du sang et le droit du sol, de manière à pouvoir intégrer les immigrés
arrivés en France dans le but d'y trouver un emploi. Ce choix de longue date d'intégrer
l'immigration de travail trouve sa raison d'être dans le faible taux de natalité des nationaux
dès cette époque ».116
Ce premier grand flux migratoire vers la France était d'origine européenne. A la fin du
IXe siècle le taux de la natalité en France était très bas par rapport aux autres pays
européens et notamment l’Allemagne connaissait une croissance démographique
importante. Étant un pays d’émigration, les allemands fondent la nationalité sur le droit de
sang, afin de garder une certaine emprise sur ceux vivant à l’étranger (Noiriel 2007: 22) Le
gouvernement français, afin d'éviter une crise démographique a invité des immigrants
polonais, italiens et espagnols à s'installer en France avec leurs familles et les nationalise
aussitôt avec le modèle de nationalité ouvert. À ces premiers immigrants, « on pouvait
appliquer en pratique l'idéologie « d'un corps d'associées vivant sous la même loi » et la
France dans cette forme contractuelle » (Chambon 2004 : 2). Or, ce n'est pas la situation
socio-économique de ce groupe qui anime actuellement la mise en question du modèle
français d'assimilation, car, en général ce groupe s'est intégré avec succès. Il se peut que leur
réussite tienne au fait que la culture française est relativement proche des cultures de ces
immigrants et notamment avec le christianisme comme point commun. La question
d'aujourd'hui concerne les immigrants des grands flux migratoire en majorité non
européenne de la deuxième moitié du XXe siècle.117 Il est réducteur d'attribuer les tensions
actuelles simplement à l'incompatibilité des valeurs occidentaux et les valeurs de ceux
d'origine d'autres coins du monde. C'est pourquoi nous évoquons des réactions de rejet par
la population autochtone et des sentiments d'exclusion subséquents du côté des immigrés,
conférés par la nationalité française. Le candidat doit aussi faire preuve de bonnes mœurs. Quatrièmement, par
le mariage : Depuis la loi de 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, un étranger uni à un conjoint
français depuis quatre ans, peut demander à acquérir la nationalité française par déclaration. » Article en ligne du
gouvernement français : « Comment devient-on citoyen français ».
115 Ibid.
116 Article en ligne du gouvernement français : « L'intégration républicaine fonctionne-t-elle encore face à la
diversité culturelle ».
117 La majorité des immigrés proviennent premièrement des anciennes colonies (DOM-TOM) (flux des années 4050 du siècle dernier pour reconstruire le pays après la Deuxième Guerre Mondiale) et deuxièmement de l'Afrique
du Nord (flux à partir des années 1960, la France ayant besoin de main d’œuvre grâce à la prospérité des « Trente
Glorieuses » (1945-1973)). L’immigration en France est donc autant une suite de la décolonisation que d’un
besoin de travailleurs.
[53]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
tout en étudiant la contradiction qui semble exister au cœur du pacte républicain et de la
crise identitaire qui touche les deux « groupes ».
Le pacte républicain versus « la lutte des races »
Le pacte républicain désigne que le consentement de vivre ensemble dans l'État français,
et ce pacte séculaire remplace l’idée d’une nation fondée sur des liens ethniques et la
religion. Amselle118 pose qu'il y a une contradiction au cœur de ce pacte qui est d'un côté
fondé sur le principe d'une assimilation des citoyens en tant qu'individus. De l'autre côté, un
tel processus d'assimilation présuppose l'existence de différents groupes sur le sol français.
Donc afin d'achever l'intégration républicaine, il faut d'abord une fusion des groupes
différents qui vivent sur le territoire national (Amselle 1996 : x). De fait, la présence
originelle de plusieurs groupes ethniques fait de la France une unité « fusionnelle », qui
s’oppose à l'unité « originelle ». L'unité originelle est par exemple le mythe des origines
troyennes qui devait favoriser la cohésion sociale de la société médiévale. C'est avec la
Renaissance qu’on va discerner des Francs et des Gallo-romains, deux groupes ethniques
différents qui se sont assimilés avec l'usure du temps. Conséquemment, on va considérer la
France comme une unité fusionnelle entre deux « races » (Amselle 1996 : 2-3). En revanche,
le mythe « celtique », qui a fait école selon Amselle dans le discours politique et social,
soutient de nos jours de nouveau l'homogénéité ethnique de la France.119 Quoi qu'il en soit,
avec la notion de la race au premier plan de l'histoire nationale française, l’assimilation
républicaine devient un processus basé sur la fusion ou le métissage des « races » (Amselle
1996 : 5) et on parle dans ce contexte d'un « racisme de métissage ». Ce racisme de
métissage se traduit dans la montée d’un « multiculturalisme français » caractérisé par une
forme de discrimination positive qu’Amselle appelle « exclusion affirmative » : il faut d'abord
reconnaître un groupe en tant que minorité culturelle ou ethnique avant de lui attribuer un
statut et des droits spéciaux.120 Autrement dit, on crée des groupes problématiques autant
qu'on crée des solutions (Amselle 2004 : xii).
118
Jean-Loup Amselle est Directeur d'Études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales. Les idées citées cidessus sont tirées de « Vers un multiculturalisme français : L'empire de la coutume » (1996).
119 Selon Amselle, il y a consensus politique sur l'homogénéité ethnique des Français « de souche », qui sont tous
des « gaulois ». Ceci entraîne une division dans la population entre ceux « de souche » d'une part, et tous les
autres d'autre part (Amselle 1996 : 5), qui est contradictoire au pacte républicain et qui favorise le
multiculturalisme et à la limite le racisme.
120 Par exemple la création de structures spécialisées (zones d'éducation prioritaire en 1981) avec l’objectif
d’effacer la différence « dans la réussite scolaire entre les quartiers comportant un fort taux d'enfants d'origine
[54]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
Ensuite, Amselle pose que l'image de la République d'une assimilation des individus est
en contradiction avec la réalité historique : déjà au XIXe siècle des communautés étrangères,
par exemple les juifs, ont été d'abord identifiés comme un groupe ethnique minoritaire
avant de pouvoir s'intégrer en groupe dans le corps de la République (Amselle 2004 : 7). Le
multiculturalisme et son exclusion affirmative ont un effet dangereux pour le pacte
républicain : « la reconnaissance d'une multiplicité des groupes ethniques en France offre
des conditions idéales pour la montée du racisme » (Amselle 1996 : xiii). Cette opinion est
souscrite par une étude de la situation aux Pays-Bas121 : « Le multiculturalisme favorise le
développement des identités différentes. Alors qu'une identité commune favorise
l'intégration sociale, le multiculturalisme risque d’accentuer des différences ethniques et
religieuses, ce qui peut provoquer des réactions de rejet par la population autochtone ».122
Ces réactions causent à leur tour une exclusion des immigrés de toute participation sociale,
en témoignent la situation socio-économique désespérée dans les « cités » et même de la
violence vis-à-vis de la société française et notamment contre la police.123 Nous revenons
dans la partie suivante sur ce sujet sous l'angle d'une crise identitaire de ceux issus de
l'immigration, mais également du côté des habitants autochtones de la France.
étrangère et les quartiers plus favorisés » Article en ligne du gouvernement française : « l’intégration
républicaine fonctionne-t-elle encore face à la diversité culturelle ? ».
121 Les Pays-Bas, à l’origine un pays d’émigration des nationaux et avec une tradition d’immigration pour des
raisons politique et religieuse (par exemple les Huguenotes français), mais depuis quelques décennies un pays
d'immigration (suite de décolonisation et immigration du travail), ont dans le passé appliqué un modèle
multiculturel pour intégrer des étrangers dans la société néerlandaise. Actuellement, le modèle est critiqué et il y
a une nouvelle tendance politique qui exige de nouveaux venus de s'adapter davantage à la culture néerlandaise.
Également on essaie de maîtriser le nombre des immigrants, et ceux qui souhaitent venir, doivent faire un test de
langue et de culture néerlandaise en avance dans leur pays d'origine. Le résultat du test est décisif pour la
décision du gouvernement de les admettre ou non.
122 Hagendoorn & Sniderman, les auteurs de «When ways of life collide – multiculturalism and its discontents in
the Netherlands », cités dans le « Volkskrant » du vendredi le 11 janvier 2008.
123 Dont les plus connues sont les émeutes qui se déclenchent après la mort de deux jeunes dans les banlieues de
Paris en automne 2006, mais qui ont inspiré des jeunes issus de l'immigration partout en France à brûler des
voitures et se révolter contre la police.
[55]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
3.3. Questions et propositions actuelles
Dans cette dernière partie de ce travail, nous allons analyser la réaction de l’Etat face au
racisme et face à l’avènement d’une société pluriculturelle en France. Ensuite nous
considérons la question de l’identité républicaine qui semble se mêler avec un héritage
identitaire du passé.124 Pourtant, ce passé n’est pas transmis aux nouveaux venus en France,
ce qui met en difficulté la construction identitaire chez ces derniers. La notion de la laïcité
est au centre de la polémique sur l’identité républicaine. Puis nous allons étudier le discours
sur la laïcité et l’identité nationale de Nicolas Sarkozy pendant les élections présidentielles
de 2007, qui fait violence au pacte républicain en intégrant les racines catholiques de la
France à l’identité républicaine. Bien que Sarkozy articule une division entre les Français
d’origine et les Français issus de l’immigration, il ne se prononce pas en faveur d’un modèle
multiculturel en France. Dernièrement nous jetons un regard sur la division d’opinions entre
les partisans de la cohésion républicaine à tout prix et ceux qui préfèrent de faire prévaloir
les droits à la différence.
Vers une société pluriculturelle ?
Un aspect dangereux du racisme du métissage pour la cohésion républicain est qu’il
entraîne l'idée que la population française n'est pas une entité au singulier mais bien au
contraire qu'il existe plusieurs humanités sur le territoire de la République. « La conscience
de notre particularité qui nous a dégrisés hier de notre propension à dominer le monde,
légitime aujourd'hui, dans le contexte nouveau créé par l'immigration, la transformation de
notre univers familier en société pluriculturelle » (Finkielkraut 1987 : 113). En effet, en
affirmant que la France est une société pluriculturelle, on souligne qu'il y a de fait une
124
La question en France est plus sensible qu’aux Pays-Bas. La continuité à travers le temps de l’identité
nationale néerlandaise est partiellement assurée par la famille royale. Elle a toujours une référence symbolique
commune, malgré les changements sociaux et politiques énormes que le pays a évidemment subi en devenant
une nation moderne. L’année dernière, Maxima de Zorreguieta, l’épouse du prince héritier d’origine argentine, a
choqué le pays avec le compliment qu’elle voulait adresser aux néerlandais en disant que les Néerlandais n’ont
pas vraiment une identité nationale. Elle faisait écho à un rapport du conseil national de la politique
gouvernementale (Wetenschappelijke Raad voor het Regeringsbeleid) de ne plus se concentrer sur la mentalité
néerlandaise, mais d’avantage à la façon dont les néerlandais se sentent lié à leur pays, en donnant l’exemple des
associations locales ou le quartier ou on habite. Le rapport a été écrit pour résoudre la polémique autour la
possession des deux passeports par des immigrants. Article sur le site web de la chaine publique néerlandaise
(NOS) : « Maxima : De Nederlander bestaat niet » (2007).
[56]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
culture spécifiquement française, qui est différentes des cultures des Autres. Devant cette
affirmation, la culture humaine proposé par les Lumières et adopté dans le pacte républicain
est en difficulté. Un phénomène social relativement nouveaux en France et la suite de
l’immigration massive d’après la décolonisation et issu du recrutement de travailleurs est la
rhétorique «moderne» de la « nouvelle droite » […] « puisque tel est le nom fracassant que
s'est donné ce mouvement idéologique, lors de son entrée sur la scène intellectuelle, à la fin
des années 70 » qui dénonce « « l'invasion » progressive de l'Europe par les ressortissants
des pays sous-développés » (Finkielkraut 1987 : 109). La réaction de l'État face à cette
nouvelle droite est une réaffirmation de l'identité républicaine séculaire : « Ce culte d'État
(l'antiracisme systématisé) conduit à bannir tout ce qui relève des ethnies, des peuples, des
cultures, des religions, des civilisations, des origines, des migrations, des nationalités ».125
Pourquoi dans la lutte française contre le racisme enlève-t-on non seulement les ethnies
et les peuples du discours politique, mais également les cultures et les civilisations ?
Typiquement, le racisme fonde en nature les différences entre les collectivités humaines. Or,
les sciences sociales ont chassé cet argument biologique (Finkielkraut 1987 : 94). C'est
pourquoi la discussion joue actuellement sur le plan de la culture. Ce qu'on appelait
autrefois des particularités nationales est devenu la simple notion de « culture » : « Il est dit,
dans les résolutions actuelles de Organisation126 que les êtres humains tirent toute leur
substance de la communauté à laquelle ils appartiennent ; que l'identité personnelle des
individus se confond avec leur identité collective ; que tout en eux - croyances, valeurs,
intelligence au sentiment - procède de ce complexe du climat, de genre de vie, de langue
qu'on appelle jadis « Volksgeist » est que l'on nomme aujourd'hui « culture » » (Finkielkraut
1987 : 100- 101). L’affirmation d’une culture française est dans ce contexte la même chose
que la constatation qu’il y a quelque chose inchangeable et presque inné que les français
autochtones partagent entre eux, et que cette âme du peuple français ne se transmet pas
aux Autres.
Crise identitaire et les valeurs de la République
Finkielkraut met en doute que l'identité républicaine soit transmissible aux autres, à
cause du manque de repères culturels que le pacte républicain entraîne. Car dans ce pacte
entre individus, il n’y pas de place pour une logique identitaire. L’école républicaine est
125
126
Ivan Rioufol « Le procès de l' « antiracisme » » (2007).
Finkielkraut réfère à l’UNESCO : United Nations Educational Scientific and Cultural Organization (1945).
[57]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
l’instrument de la volonté politique d’unité et indivisibilité et nie aussi la présence des
identités autres que l'identité purement républicaine. Le processus d'assimilation qui devait
nationaliser les « barbares » nationaux ainsi que les immigrants, n’accorde aucune place à la
diversité d'origines au sein du pays : « L'histoire de France n'est pas la mémoire des Français
dans la différence de leurs origines, de leur culture. Mémoire de l'État, elle les intègre en les
effaçant…. Elle ignore donc aussi les immigrés - surtout Italiens, Polonais, Belges au début de
la IIIe République. L'immigration lieu de « non mémoire » a dit l'historien Gérard Noiriel.
L'école républicaine impose à tous, paysans français, immigrés, colonisés africains ou
antillais qu'elle instruit les Gaulois comme ancêtres communs ».127 Un tel enseignement de
l’histoire doit assurer la « possession en commun d'un riche legs de souvenirs », pour
reprendre les formules de Renan, et on affirme que les immigrés ont aussi besoin de
partager «l’ ipséité » française pour s'intégrer. En enseignant aux immigrés qu'ils ont des
Gaulois comme ancêtres, on les fait ainsi entrer dans l'histoire de France. Mais est-ce qu’un
livre d’histoire peut transmettre ce « riche legs de souvenirs » ? « […] On ne peut, après
avoir rattaché les Français à leur pays par les seuls liens de la mémoire affective, peuplé la
France de gens qui n'ont pas accès à cette mémoire, et qui n'ont même rien d'autre en
commun que d'en être exclus. Il y a une contradiction insurmontable à vouloir fonder
l’hospitalité sur l’enracinement » (Finkielkraut 1987 : 115). De plus, cet enracinement
français date de plus loin dans l'histoire que la coupure fondatrice de 1789 sur laquelle le
pacte républicain est basé.
Donc quel est en réalité cette « ipséité », quel est cet enracinement français ? N'a-t-on
pas imposé une nouvelle idée de l’être ensemble après la coupure fondatrice de 1789 ?
Bachelot affirme que des notions vagues comme la laïcité et la citoyenneté du pacte ne
recouvrent pas l'identité nationale française dans sa totalité : « peut-on simplement définir
l’identité française par l’adhésion à la laïcité et au pacte républicain ? » (Bachelot 2006 :
365). Mais en même temps, on ne peut pas faire partager l’identité traditionnelle aux
nouveaux venus car sa revendication n'est pas légitime pour les Français « de souche »
(Bachelot 2006 : 365). Finkielkraut fait écho à la « delégitimation » de l’identité
traditionnelle et affirme qu’on n’arrive pas à partager la mémoire collective aux nouveaux
arrivant car le passé de la France, dans lequel la honte a succédé à la gloire, est simplement
« inassumable » (Finkielkraut 2007 : 8). Il fait allusion au XXème siècle « c´est-à-dire les
guerres industrielles, la mort de masse, les camps, le racisme exterminateur » (Finkielkraut
2007 : 8) et ce siècle est selon lui un abîme infranchissable entre notre époque et le discours
127
Citron dans « Histoire de France : crise de l’identité nationale » (2003).
[58]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
de Renan sur la mémoire collective. « Faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis » est le reflet
d’un discours inspiré par le patriotisme et la fierté nationale de la fin du XIXème siècle. De
nos jours, à la suite de la mise en sourdine de la tradition nationale, il ne resterait qu’une
autre option pour la France : « la reconnaissance de la diversité des héritages » (Finkielkraut
2007 : 8-9). Ensuite, Bachelot explique que les immigrants n’ont pas de prise dans une
France qui n’arrive pas à assumer son histoire: « Mais la délégitimation de l’identité
traditionnelle amène inévitablement une autre question : à quel modèle culturel les
nouveaux arrivants doivent-ils s’intégrer ? » (Bachelot 2006 : 365).
En théorie, chaque homme peut s'approprier le modèle culturel français, vu que la
citoyenneté républicaine et la laïcité sont des notions dépourvues des origines religieuses et
traditionnelles. Mais en réalité, ces constructions sont le fruit d'une longue histoire d'un
peuple et d'une mémoire historique, qui est en plus partiellement occultée. Faute de ces
repères de mémoire et de culture, les jeunes issus de l'immigration de la troisième ou
quatrième génération développent une nouvelle identité qui n'est ni française ni celle de
leurs parents et grands-parents. Le résultat est que finalement ils « occupent une place de
l'entre-deux [….] En résumé, les enfants et les adolescents des banlieues échauffées se
trouvent pris entre une culture d'origine qu’ils ne possèdent plus vraiment parce qu'elle est
de moins en moins transmise et s'éloigne d'eux, et une culture française qu'ils n'arrivent pas
vraiment à intégrer, ces deux manques se potentialisant négativement ».128 Loin d’eux le
«plébiscite quotidien » dont a parlé Renan il y a plus d’un siècle.
Rolland dénonce cet aspect du modèle français d'intégration et le refus de reconnaître la
diversité des origines, qui est partiellement le résultat de la colonisation : « elle était en cela
le reflet d'une société qui continue de penser qu'il faut rompre avec sa culture d'origine pour
devenir Français à part entier et qui véhicule des stéréotypes extrêmement négatifs sur les
différences culturelles, notamment lorsqu'il s'agit d'Africains ou de Maghrébins. »129 Les
cultures d'origine est l’objet d'une « non mémoire » et leur lien historique avec la France par
l’histoire coloniale, ne figure pas dans les livres d'histoire : « Comme l'ensemble de la société
française, l'école a totalement occulté l'histoire coloniale de son enseignement. »130 Mais
également l'identité nationale française a un statut illégitime. Rioufol131 s'oppose à la « non
mémoire » qui empêcherait une bonne intégration: « Or ce n'est pas en s'excusant sans
cesse de son passé, de sa culture, de ses valeurs que la nation saura faire partager aux
128
Dominique Rolland dans « Traces effacées, mémoires oubliées » (2007).
Ibid.
130 Ibid.
131 Ivan Rioufol dans « Le procès de l'antiracisme » (2007).
129
[59]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
nouveaux venus la fierté d'être Français ». Voilà la boucle bouclée avec cette constatation
qu’il y a quelque chose comme une culture française, qui en plus est nécessaire de
s’approprier pour devenir un bon citoyen fier de sa patrie.
La France laïque face aux autres religions présentes sur le territoire national
La crise identitaire nécessite donc une réflexion sur les valeurs de la République car ce
sont les repères dont les immigrants ont besoin pour s’intégrer. Celle de la laïcité est au
premier plan dans ce contexte. Deux remarques sur la laïcité sont importantes.
Premièrement, la loi de la séparation des églises et de l’Etat (laïcité) de 1905 date d'une
période dans laquelle la France était relativement homogène de point de vue religieux. De
nos jours, la neutralité de l'État est défiée par l'omniprésence des autres religions en France.
En 2004, le gouvernement français a fait voter une loi sur les signes et tenues à caractère
religieux qui interdit officiellement le port du voile dans les établissements scolaires.132 Le
port du voile par des femmes islamiques se situe au centre de la polémique car le voile
touche au principe d'égalité, dans ce cas entre les femmes et les hommes.133 Afin de
rappeler ce principe fondateur le Haut Conseil de l'intégration (HCI) a écrit une « Chartre de
la laïcité » (2007) pour l'afficher dans les services publics.134 Deuxièmement, le ministère de
l’éducation se hâte de nuancer la notion de la neutralité : « la laïcité n'est pas valeur vide de
sens […] La laïcité, c'est la neutralité religieuse, ce n'a pas la neutralité des valeurs ».135 Mais
peut-on dissocier clairement les valeurs d'avant la Révolution de celles d'après où s'agit-il
quand même d'une continuité ? Un élément traditionnel de l’idée nationale est la religion,
qui était étroitement lié à la monarchie. Or, la laïcité entraîne une attitude de neutralité de
l'État vis-à-vis des questions religieuses et la dissociation de la religion de l'identité
nationale. Devant la tension actuelle sur des questions religieuses, on peut se demander si
on a vraiment changé le fondement et l’idée de la nation où est-ce que on a laïcisé les
mêmes valeurs traditionnelles ? La question s'impose d’autant plus après l'introduction par
le Président Sarkozy de la laïcité « positive » selon laquelle la France renoue avec ses racines
132
Site du gouvernement français « Découverte des institutions et de la vie publique » : « Intégration
républicaine fonctionne-t-elle encore face à la diversité culturelle ? » (2004).
133 Jean-Louis Debré, président de l’Assemblée nationale dans son éditorial en ligne du dossier « laïcité » (2004).
134 Éditorial du journal « Le monde » du 30 janvier 2007 intitulé « Défendre la laïcité ».
135 Article en ligne du ministère de l'éducation nationale : « Valeur républicaine et laïcité » (2006).
[60]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
catholiques.136 Pendant la période électorale Sarkozy prend la position que « l'État n'a pas de
conviction religieuse mais il garantit à chacun l'expression de ses convictions ».137 Elu chef
d’État, il rétablit aussitôt le lien entre l'identité nationale et la religion catholique pendant
une visite au Vatican.138 Ce retour aux valeurs et à une identité du passé national qui
dépassent la coupure fondatrice de 1789, est un des fers de lance de sa campagne
électorale.
L'identité nationale selon Nicolas Sarkozy
Noiriel,139 qui a étudié les discours de Sarkozy pendant les élections présidentielles de
2007, explique que Sarkozy souhaite mettre fin à la non mémoire de son pays et que pour lui
l'identité nationale n'est pas un tabou du tout. Dès le début de la période électorale, Sarkozy
joue cet atout pour gagner la présidentielle : « La France, c'est une nation qui revendique
son identité, qui assume son histoire » (Noiriel 2007 : 82). Malgré de nombreux discours sur
ce thème, Sarkozy ne précise jamais ce qui définit exactement cette identité. Noiriel
dénonce la langue de bois de Sarkozy et de ses discours on ne retient que « l'identité
française, c'est l'identité des Français et l'identité nationale, c'est l'identité de la nation. Tout
ce qui est beau, bon, intelligent, et humain, est français » (Noiriel 2007 : 88). Puis, Sarkozy
essaie de réunir la gauche et la droite, la campagne et la ville, le national et l'universel en
déclarant que « La France est un miracle », « parce qu'elle a réussi à réconcilier les contraires
pour devenir une véritable nation » (Noiriel 2007 : 86). Comme le montre la référence au
miracle, ses discours sur le thème de l'identité nationale sont surtout marqués par des
références au sentiment et à l’inconscient. Sarkozy, ou celui qui écrit ses discours, a dû
étudier minutieusement le discours de Renan de 1882 avant de déclarer que « la France
n'est ni une race ni une ethnie, mais une « âme », un « principe spirituel », une « terre
charnelle à laquelle chacun se sent rattaché par un lien mystérieux dont il ne sait au fond
136
Sur le site web de Nicolas Sarkozy, l'idée de la laïcité positive ne figure pas encore. Il semble que le site n'a pas
été mis à jour. Par exemple, Sarkozy y parle toujours de sa femme Cecilia, alors qu'ils sont séparés et Sarkozy a
récemment marié Carla Bruni.
137 Nicolas Sarkozy dans un entretien publié dans le journal « La Croix », le 4 avril 2007.
138 Le 20 décembre 2007, Sarkozy prend position pour la laïcité ‘positive’ lors d’une visite au Vatican et une
rencontre avec le pape Benoît XVI.
139 Gérard Noiriel, historien et membre démissionnaire du conseil scientifique de la Cité nationale de l'histoire de
l'immigration. Huit sur douze historiens de ce conseil ont dimensionné de leurs fonctions officielles le jour où
Président Sarkozy a annoncé la formation du « ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale » (18 mai
2007). Dans l’essai « À quoi sert l'identité nationale » (2007), il explique les raisons pour cette proteste. En plus,
étant membre du « Comité de vigilance face aux usages politiques de l'histoire » (2005), il dénonce la façon
provocatrice dont Sarkozy se sert de la notion d'identité nationale. Finalement, Noiriel y met en perspective le
développement de l'identité nationale de la France.
[61]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
qu'une chose, c'est qu'il ne peut le couper sans perdre quelque chose lui-même » (Noiriel
2007 : 86). Enfin, afin de réconcilier la droite et la gauche, Sarkozy souligne d’abord
l'enracinement et les droits historiques de la France, critère de la droite.
Mais quoi faire dans cette histoire des principes républicains, critère de la gauche, qui ne
datent que du XVIIIe siècle ? La réponse de Sarkozy, lui aussi fils d’un père hongrois, est de
faire « du principe républicain d'intégration le critère fondamental de la continuité » (Noiriel
2007 : 89). Sarkozy évoque l'histoire du débarquement en Normandie des Vikings dont le
sang « s'est mélangé à celui des Gaulois de Francs » (Noiriel 2007 : 89). Sarkozy fait donc
référence à l'unité fusionnelle de la France, qui va à l'encontre du pacte républicain entre
individus et ouvre ainsi la voie à un racisme de métissage, comme l'a montré Amselle. Mais
la pluralité originelle des races en France est pour Sarkozy un moyen de montrer que les
valeurs républicaines d'intégration sont compatibles à une identité traditionnelle et un
modèle multiculturel n'est pas une option réelle pour lui. L'exemple sert à affirmer que les
valeurs républicaines sont héréditaires et existaient déjà bien avant la Révolution de 1789.
Pourtant, il semble que Sarkozy fait d'une pierre deux coups car à qui Sarkozy s'adresse-t-il
quand il dit que l'intégration réussie des Vikings tient au fait que « les Vikings ont apporté
leur sang, mais ils se sont soumis à l'autorité de « nos rois » » (Noiriel 2007 : 89) ?
Arguments pour et contre un multiculturalisme français
Dans cette toute dernière partie nous jetons un regard sur le débat actuel de l’éventuel
modèle multiculturel en France. D’abord, les opposants du multiculturalisme en France
mettent surtout en avant son incompatibilité avec le pacte républicain. Rioufol critique
vivement une France métissée: « sous prétexte de s’ouvrir au métissage, d’une nation vouée
à la multiethnicité, la tentation est grande de brader des principes. »140 Pour lui, l'enjeu est la
cohésion républicaine, qui ne va pas de pair avec un respect de la diversité : « Il faut être
aveugle pour [….] supposer que la proclamation incantatoire du respect de la « diversité »,
alibi du multiculturalisme, nous épargnera, avec le déclin culturel, les conflits ethniques et
religieux qui grondent à nos portes ». Son avis est que les principes fondateurs du pacte
républicain, comme la laïcité, ne peuvent sous aucune condition être le sujet de concessions.
À leur tour, les partisans d’un modèle plus ouvert estiment que le modèle d'assimilation
est en panne et qu'il faut changer quelque chose, au lieu de continuer de la même manière
140
Ivan Rioufol dans « Le procès de l'antiracisme » (2007).
[62]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
bien que ce modèle semble poser des problèmes d'identité et d'intégration. Citron dénonce
l'homogénéité imposée de la République et estime qu’un modèle pluriculturel assurera la
valorisation de toute personne : « Il faut réinventer l’identité française par référence à : une
nation non plus gauloise, homogène et passéiste, mais plurielle, métissée et ouverte sur
l’avenir ; une République plus fraternelle, capable de reconnaître et de valoriser l’unité
sociale et la dignité de tous les travaux et métiers propres et sales, manuels et intellectuels,
nécessaires, indispensables à l’Être ensemble de notre société ».141 Selon Rolland, mettre fin
à la « non mémoire » est la tâche de l'école publique : « Ce retour sur l'histoire de
l'esclavage, de la colonisation et de l'immigration est nécessaire pour toutes les
composantes de la société, et tout autant pour ceux que l'on dit « Français de souche »,
également concernés. Cela fait partie intégrante de l'histoire de France, et construire une
véritable société multiculturelle qui respecte les différences de chacun suppose que l'apport
de chaque communauté y soit reconnu ».142
La reconnaissance de la diversité culturelle au sein du pays entraîne plus de respect des
différences individuelles et éviterait le problème d’identité des déracinés. En même temps,
la République dans sa forme « une et indivisible » ne semble pas apte à cette tâche. Sous cet
angle, « la République est prise au piège entre les droits humains et les droits de l'individu »
(Amselle 1996 : 120). La patrie des droits humains et de la révolte contre l’aristocratie a
peut-être, dans sa mission de l’intérêt général, d’unité nationale et égalité des citoyens,
dépassé les critères humaines de la différence et d’identité, qu’elle soit individuelle ou
collective. Le plus important pour l’avenir et pour l’ouverture aux autres semble de choisir.
141
142
Citron dans « Histoire de France : crise de l'identité nationale » (2003).
Dominique Rolland dans « Traces effacées, mémoire oubliées » (2007).
[63]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
Conclusion
Nous avons commencé cette étude par l’histoire de l’idée nationale française au Moyen
Age. L’homogénéité ethnique, même si elle repose sur un mythe, la logique corporatiste de
l’organisation sociale, la loyauté au roi, son pouvoir illimité grâce au droit divin, et l’influence
de l´Église catholique dans la vie de l’individu sont des éléments déterminants pour la
conception que les Français médiévaux ont de leur être ensemble et on les retrouve partout
dans l'image sacrée du royaume de France. En revanche, la localité comme lieu de solidarité
de base, la diversité linguistique et coutumière ainsi que les coutumes locales de la
juridiction font que l´ensemble national est quelque chose qu’on s’imagine, mais qu’on ne
vit pas au quotidien. La vie de tous les jours est déterminée par son ordre social : on est
d’abord noble, prêtre ou, ce cas est le plus probable, sujet qui travaille les champs. On ne
peut pas proprement parler d’une identité nationale. Pourtant, le sentiment d´appartenir à
une entité qui dépasse son baillage se renforce en période de crise nationale.
Nous avons ensuite développé l’histoire des idées dont la civilisation européenne
d’aujourd’hui est l’héritière. D’abord, les humanistes mettent l´homme, capable de penser
pour soi-même, au centre de l´univers au lieu de le considérer comme enfermé dans sa
culture et sous la tutelle des autorités qui décident pour lui. Puis, les voyageurs savants font
connaissance avec d’autres formes de civilisations, et leur curiosité étant éveillée, les
philosophes de Lumières essaient de définir ce que tous les hommes ont en commun : ils
possèdent le même droit naturel et on parle de l’humanité et raison universelle. Le fait que
chaque peuple possède une volonté générale les rend autonome des autres formes de
pouvoir. Pourtant, et ce point est primordial, convaincu que les Européens sont au sommet
de l’hiérarchie des civilisations, on confond souvent sa raison avec la raison et l’homme en
général avec l’homme qu’on connaît le mieux. Cette forme ethnocentriste de l’universalisme
détermine le type des relations interculturelles que la France postérieure aura face à l’Autre:
face aux « barbares » étrangers et nationaux, ou encore face aux immigrants.
Avant que la France puisse se profiler en tant qu’une vraie nation, elle doit d’abord
libérer son peuple en se révoltant contre l’aristocratie et l’absolutisme monarchique. La
Révolution française fonde l´État moderne ainsi que l’égalité civile et sociale et transforme le
peuple en un corps d’associés. L´empire de Napoléon met fin au mouvement révolutionnaire
en France, et va contribuer à l´unification des États allemands. En réaction à la France
conquérante, les Allemands vont s’unifier à travers une construction de leur identité
[64]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
nationale sur leur culture populaire, élément négligé par les révolutionnaires français au
profit des principes universels de la République. Les deux puissances entrent dans le champ
de bataille et la double défaite morale et idéologique de la France de 1871 va inciter le
gouvernement de la Troisième République à prendre modèle sur l’Allemagne. L’école
républicaine et laïque est le moyen par excellence pour réaliser l´unité linguistique et
culturelle de la France très diverse et pour pénétrer le patriotisme et les valeurs
républicaines dans les esprits des ouvriers et paysans, qui ignoraient jusqu’à ce moment là
une identité nationale. En 1882, le grand théoricien de l´idée nationale Ernest Renan
proclame encore que c’est le consentement de vivre ensemble qui fonde une nation, mais la
France abasourdie par la défaite cherche pourtant le réconfort dans une logique
nationaliste. Partout en Europe, il semble que les citoyens privilégient la solidarité basée sur
une parenté culturelle à une définition contractuelle et ceci n’est qu’une manifestation du
fossé entre la réalité humaine et l’idéologie républicaine en France.
La France entre tradition et modernité a été considérée sous trois angles. Premièrement,
la France possède une diversité culturelle considérable, mais dans la République une et
indivisible, les revendications identitaires ethnoculturelles sont souvent réprimées.
Paradoxalement, cette attitude se confronte aux valeurs humaines que la France prétend
assurer avec une Déclaration des droits de l'Homme dans sa Constitution.
Deuxièmement, la loi de la laïcité de 1905 implique une séparation de l’Etat et l’Église et
la dissociation de la religion de l´identité nationale devient le socle du pacte républicain.
Nous avons analysé à quel point les valeurs traditionnelles sont mises de côté dans ce pacte
séculaire. En considérant la monarchie et l’Église catholique comme des représentants
ultimes de la France traditionnelle, il est intéressant de retrouver des manifestations de ces
traditions au sein des institutions républicaines.
Troisièmement, l’image républicaine abstraite de l’homme comme un être émancipé et
autonome, se heurte à la condition humaine, notamment en ce qui concerne le besoin de
faire partir d’un groupe social. D´abord avec les changements sociétaux dus à
l’industrialisation et puis grâce à l’apport de la sociologie, le gouvernement républicain
n’avait pas d'autre choix que de restaurer un élément traditionnel de la société d’ordres : la
réunion de gens du même métier.
Le fossé entre la tradition et le pacte républicain se creuse encore plus face à l’Autre.
Nous avons montré que l’histoire du colonialisme, que se soit une mission civilisatrice au
[65]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
secours des étrangers privés d’un esprit éclairé ou d’élévation sociale des « barbares »
nationaux, s’inscrit dans l’optimisme sur l’humanité des penseurs des Lumières.
L’émancipation de ces peuples se passe par la transformation à l’image de France. Ce
modèle d’assimilation est aussi appliqué à ceux qui venaient s’installer en France. Devant les
tensions sociales actuelles en France, le modèle a été accusé d’être un mécanisme
d’exclusion par les uns, et défendu farouchement comme un processus social indispensable
à la cohésion républicaine par les autres.
Nous avons considéré la mise en question du modèle d’assimilation d’abord en relation
avec le pacte républicain. L’assimilation des groupes sociaux ou ethniques, autrefois comme
aujourd’hui, est inhérente à une conception de la France comme une unité fusionnelle, que
la France a tout à fait toujours été. Le modèle affirme donc l’existence de plusieurs groupes,
alors que le pacte implique l’assimilation libre et volontaire des individus. Le résultat est un
racisme de métissage qui provoque des réactions de rejet ainsi que des sentiments
d’exclusion.
Une deuxième perspective de la mise en question du modèle d’assimilation est la crise
identitaire qui se manifeste actuellement chez les « nouveaux Français » de la troisième et
quatrième génération. Ceux qui doivent se distancier de leur culture d’origine afin de
s’intégrer dans la République, ont pour cela besoin de repères culturels et identitaires de
leur nouvelle patrie. En théorie, le pacte républicain n’exclut personne de la nationalité
française, à condition qu’on apprenne la langue française et qu’on souscrive aux valeurs de
la République, notamment celle de la de laïcité. Mais en réalité, il est difficile de s’approprier
la culture française. Premièrement, l’identité nationale semble dépasser la coupure
fondatrice de la nation et est du coup hors de portée des nouveaux venus, vu que l’idéologie
de l’Etat ne souscrit que l’identité républicaine. Deuxièmement, l’identité nationale est le
sujet d’une occultation, la suite des atrocités du XXIème siècle qui sépare notre époque de la
fierté nationale du XIXème siècle. La rupture républicaine et l’occultation de l’identité ont
aussi un effet boomerang sur les Français « de souche » qui sont pris entre deux feux :
l’enracinement de leur tradition nationale d’une part et l’hospitalité de la patrie des droits
humains d’autre part. La montée de la « nouvelle droite » reflète le souci de certains de la
préférence « nationale ».
Devant l´avènement du discours raciste, l’Etat affirme les principes républicains en
supprimant tout ce qui relève des rôles héritiers du discours sur la nationalité française et
ainsi permet son accès à toute personne qui a choisi la France comme patrie. Pourtant, la
séparation institutionnelle de l’État et la religion est défiée par les manifestations des
[66]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
religions d’origine dans l’espace public. Avec Nicolas Sarkozy revient sur le tapis le sujet de
l’identité nationale sous un angle provocateur. Dans ses discours, l’identité nationale obtient
un caractère traditionnel, d’abord par une interprétation de la laïcité qui renoue avec les
racines catholiques de la France, et ensuite en présentant l’intégration des immigrants
comme une valeur républicaine présente en Gaule depuis toujours. Alors que le premier
élément articule la différence d’héritage religieux entre les Français d’origine et ceux qui
viennent de « débarquer », le deuxième élément présente cette différence comme
surmontable grâce à une machine d’intégration bien huilée et la soumission des immigrants
aux autorités nationales.
Finalement, cette réaffirmation du besoin de partager la mémoire collective française
pour s’assimiler s’oppose à l’opinion qu’on vivra mieux ensemble en France en valorisant la
diversité des origines et cultures et un tel modèle multiculturel accorde à tout individu et à
toute communauté le droit à la différence.
La façon française de voir l’Autre est révélatrice de la conscience de soi française. En ce
qui concerne la « mêmeté » comme élément de l’identité française, le besoin d’une «
mêmeté » ethnique est un argument contre l’immigration qu’on retrouvera en Hexagone
d’avantage à l’extrême droite. Par contre, l’absence de « mêmeté » culturelle que le modèle
d’assimilation n’arrive pas complètement à enlever semble avoir une base plus large de
mécontentement dans la société, au point que ces différences culturelles et religieuses
entraînent le besoin d’insister sur certaines valeurs républicaines ou de réduire les inégalités
sociales par la discrimination «positive». Quant à l´ « ipséité » des habitants de la nation, la
question s’impose de savoir comment partager la mémoire collective et la permanence du
peuple français à travers l’histoire quand elle manifeste une profonde rupture dans la
continuité, comme est le cas français. En effet, il s’agit non seulement de communication
interculturelle entre les Français « de souche » et ceux d’une autre origine, mais également
d’une communication entre les deux traditions différentes en France, comme si la France est
un débat entre ses racines traditionnelles d’une monarchie et la fille aînée de l’Église
catholique d’une part et la République moderne et laïque qu’elle est devenue d’autre part.
La grande valeur de la Révolution de 1789 est la Déclaration des droits humains ainsi que les
acquis sociaux des principes de liberté, égalité et fraternité. En même temps, la rupture
républicaine a causé l’abstraction de l’idée de la nation, qui est devenue contractuelle, et a
supprimé du discours officiel l’apport des valeurs et relations sociales traditionnelles à
[67]
[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
l’identité nationale. Ceci a causé un vide dans l´idée de l´être ensemble que la France a
toujours du mal à combler.
Nous concluons par une toute modeste réflexion sur l’importance de l’identité
nationale, alors que la nation est sous la pression des entités plus grandes que la nation ellemême qui gagnent progressivement du terrain. C’est le cas du processus de la
mondialisation qu’on vit aujourd’hui, en première instance dans le champ économique mais
qui concerne aussi la vie de l’individu, ainsi que la réglementation croissante de l’Union
européenne et la disparition graduelle des frontières dans l’espace européen. Ces processus
offrent des possibilités pour partager la richesse culturelle de l’humanité. On, ils peuvent
diminuer l’autonomie de la nation. Quoi qu’il en soit, avant de pouvoir s’ouvrir au monde
extérieur, il faut d’abord une conscience de soi dans laquelle chaque membre de la société
ainsi que chaque période de l’histoire nationale trouve sa place.
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