[L’identité française entre tradition et modernité І Daniëlle Putman Cramer ]
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Introduction
« Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie » Claude Lévi-Strauss, Race et
Histoire (1952)
Etymologiquement, le terme « barbare » était la dénomination des anciens grecs pour
les peuples étrangers dont ils ne parvenaient pas à comprendre la langue mais qui, pour eux,
baragouinaient : [bar…bar..]. De cette onomatopée vient le mot grec [barbaros], qui, à
l’origine, ne signifie que [étranger]. Aujourd’hui, le concept de barbarie désigne dans
certains contextes un manque de civilisation à propos d’un peuple. Dans l’intervalle, on s’est
donc accoutumé à considérer ceux dont on ne connaît pas la langue et culture,
potentiellement comme des peuples sans civilisation. Pour pouvoir juger de cette façon des
autres cultures, il faut prendre sa propre culture comme le seul modèle de référence. C’est
ce que l’on appelle l’ethnocentrisme et c’est à cette rhétorique que Lévi-Strauss
impose le
silence avec sa définition relativiste du barbare.
Nous allons montrer qu’au passé l’attitude de la France vis-à-vis de l’Autre portait des
signes d’ethnocentrisme et que la France contemporaine n’en a pas encore complètement
effacé les traces. Le cas français est spécifiquement intéressant, vu que la France a basé ses
principes sur une idée universelle de l’humanité, développée au siècle des Lumières et
réalisée dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen (1789) et dans le
Code Civil (1804). Or, comme dans toute forme de communication interculturelle, qui
recouvre en effet non seulement la communication entre individus, mais aussi celle entre
des groupes, la façon française de voir l’Autre n’est pas spécialement un reflet de cet Autre,
mais d'autant plus elle est révélatrice de la conscience de soi et du discours interne de la
France. Dans ce travail, nous allons analyser le développement de la conscience de soi
française, pour pouvoir mieux interpréter son regard particulier vers l'Autre.
Claude Lévi-Strauss (1908), universitaire et anthropologue français, auteur de nombreux ouvrages qui ont
marqué l'évolution de la pensée en sciences sociales. Dans « Race et Histoire » (1952), écrit à la demande de
l’Unesco, Lévi-Strauss se penche sur la rhétorique du racisme, et s’y oppose en soulignant la place relative de la
civilisation occidentale et la relativité de l’idée de progrès. La citation ci-dessus se trouve au chapitre
« Ethnocentrisme » de l’essai.