La IIIe République jusqu`en 1914

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La III République jusqu’en 1914
e
6. Le concert des nations 1870-1914
Introduction
1. 1870-1890 : l’arbitrage bismarckien
1.1. Une chape de contraintes
Le poids de la défaite
Le système bismarckien
1.2. La recherche de l’identité
Dans les relations avec l’Allemagne
Dans les relations avec l’Angleterre
1.3. Les limites du magistère bismarckien
L’exemple italien
L’exemple russe
2. 1890-1914 : les rivalités nationales
2.1. Le nouvel ordre international
Des conditions nouvelles
Les divergences d’intérêts
2.2. Le bouleversement des alliances
La France et la Russie
La France et l’Angleterre
La France et l’Italie
2.3. La montée des tensions
L’opposition franco-allemande au Maroc
Les autres sources de conflit
Conclusion
La III République jusqu’en 1914
e
6. Le concert des nations 1870-1914
« Pour comprendre les origines de la guerre de 1914, rechercher une
explication moniste, qui privilégierait un facteur parmi d’autres (cause
économique, cause politique, cause “sentimentale” ou “morale”, etc.),
revient à dissocier artificiellement un morceau de la réalité ; celle-ci se
présente comme un complexe, où se mêlent étroitement les conditions
politiques internes et externes, les transformations et les structures
économiques, les mentalités collectives, sans oublier le rôle des
hommes. Ce sont plutôt les mouvements de chacun de ces secteurs qu’il
convient d’analyser pour en dégager les convergences. »
Girault (René) Diplomatie européenne et impérialisme, 1871-1914, Paris, Masson, 1979,
p. 247.
Introduction
Au lendemain de Sedan, la France se retrouve à nouveau dans une situation diplomatique difficile. Vaincue par
la jeune et ambitieuse Prusse, soumise aux volontés de Bismarck, elle est au ban des nations.
Pourtant, elle n’est pas totalement à genoux. Sa puissance économique est réelle. Ses positions financières
sont intactes, le Second Empire lui a fourni de solides structures. Autre élément, non négligeable, son unité
nationale. L’idée d’appartenir à une même nation est fortement ancrée dans l’esprit des Français. Certes, ils ont
voté conservateur aux élections de février 1871, mais les volontaires n’ont pas manqué aux armées levées par
Gambetta pour assurer la défense du pays.
En fait, c’est la situation intérieure critique qui pousse le gouvernement provisoire à en finir le plus
vite possible avec l’occupation prussienne.
Deux périodes s’individualisent assez bien, ordonnées autour de l’exercice du pouvoir par Bismarck : la date
charnière est 1890.
1. 1870-1890 : l’arbitrage bismarckien
1.1. Une chape de contraintes
1.1.1. Le poids de la défaite
Elle est isolée. La tournée des capitales européennes que Thiers avait faite à l’automne 1870 l’avait convaincu
de la résignation nécessaire à laquelle la France devait se résoudre devant le peu d’empressement des autres
pays d’Europe à se joindre à elle contre la Prusse. Il fallait attendre, d’autant que les problèmes intérieurs
étaient prioritaires (règlement de la question de la Commune).
La France fit donc amende honorable et présenta un projet conservateur et modeste, se défendit d’être le pays
révolutionnaire que l’on redoutait, à l’image de ses ambassadeurs. C’est ce qu’on a appelé la « politique de
recueillement ».
Elle est l’obligée de la Prusse. Bismarck, en dépit de la victoire, redoutait la revanche de la France et souhaitait
pour cela une application stricte du traité de Francfort (10 mai 1871). Dans tous les cas, les clauses lui
permettaient de contenir la puissance française :
— Ou bien les Français payaient l’indemnité de guerre de cinq milliards dans les délais et ils étaient, de toute
façon, affaiblis.
— Ou bien ils ne payaient pas et l’occupation de la France par les troupes allemandes constituait un gage de
contrôle.
La France paya donc les 5 milliards. Un premier emprunt fut lancé le 20 juin 1871, car les deux premiers
milliards devaient être acquittés en mai 1872 et le solde dès mars 1874.
1.1.2. Le système bismarckien
Un fondement : la puissance allemande. En 1871, avec 41 millions d’habitants, l’Allemagne se trouvait au
second rang en Europe, derrière la Russie. L’essor démographique s’est accompagné d’un vigoureux
développement économique qui va d’ailleurs se parachever dans les années qui suivent le conflit avec la
France grâce en partie à l’indemnité exigée par le traité de Francfort1.
Les conditions de son hégémonie sont donc particulièrement bien réunies. Elle dispose d’une impressionnante
volonté de puissance, incarnée par le « chancelier de fer » qui bénéficie, en outre, d’une remarquable liberté de
manoeuvre, tant par la confiance que lui accorde son souverain, Guillaume 1 er, que par l’organisation des
pouvoirs qui le libère de toute responsabilité devant le Reichstag.
Un moyen : le réseau d’alliances tissé par Bismarck
— Le système des trois empereurs. Bismarck réalisa « l’entente des trois empereurs ».
Des accords furent passés le 6 juin 1873 entre Guillaume 1 er et Alexandre II, ce qui ne fut pas difficile à cause
des bonnes relations traditionnelles entre la Prusse et la Russie et le rôle économique joué par l’Allemagne
en Russie (elle est son principal fournisseur et les capitaux allemands se sont investis dans l’industrie
textile et métallurgique de Saint-Pétersbourg).
Quant à l’Autriche, elle avait abandonné toute ambition dominatrice sur les territoires allemands et préférait
consacrer ses ambitions à un rôle dans les Balkans. Bien qu’elle fût rivale de la Russie dans cette partie de
l’Europe, Alexandre avait peu à ce moment-là peu à attendre d’une république « révolutionnaire » (la
France) et préférait se rapprocher des monarchies.
— La Duplice. Au seuil des années 1880, Bismarck conclut avec l’Autriche la Duplice (7 octobre 1879).
— Le renouvellement du traité des trois empereurs. Bismarck réussit à joindre la Russie à la Duplice. Le tsar
Alexandre II avait été assassiné (13 mars 1881) et son successeur, Alexandre III ne voulait pas être isolé
contre l’Angleterre et ne souhaitait pas pactiser avec un régime républicain. Un nouveau traité des trois
empereurs est conclu (18 juin 1881).
— La Triplice. Le 20 mai 1882, l’Italie rejoint la Duplice et forme ainsi avec les deux pays allemands la Triplice
et ce, malgré la question des provinces irrédentes qui l’opposait à l’Autriche. L’entrée dans l’alliance austroprussienne de l’Italie pouvait paraître étonnante à cause du contentieux qui existait entre l’Autriche et l’Italie.
Mais Rome avait mal accepté la politique menée par la France en faveur du Pape après 1871 et sa
participation à la victoire de Mentana (3 novembre 1867). D’autre part, les deux pays étaient en concurrence en
Tunisie et les conflits qui opposaient dans le midi de la France les immigrés italiens à la population nationale ne
favorisaient guère un rapprochement. L’Italie avait besoin d’un allié puissant avec lequel elle commerçait
activement, même si la France détenait 80% de sa dette extérieure.
1.2. La recherche de l’identité
1.2.1. Dans les relations avec l’Allemagne
Les tensions (1873-1875). Bismarck n’avait pas obtenu tout ce qu’il désirait. Le système des trois empereurs
était caduc, à cause de la rivalité russo-autrichienne pour la défense des populations chrétiennes de l’empire
ottoman. D’autre part, la Russie ne désirait finalement pas voir une France totalement écartée des relations
internationales et affaiblie. Du coup, le relèvement de la France ne paraissait pas si inévitable.
— L’indemnité de guerre avait été honorée (en montrant d’ailleurs le crédit de la France auprès des banquiers
internationaux et donc, d’une certaine façon, sa puissance relative) et les troupes allemandes ne pouvaient plus
occuper le territoire français.
— En Allemagne, avec le Kulturkampf, Bismarck avait maille à partir avec les catholiques des États du sud qui
trouvèrent des soutiens en France, parmi les partisans de l’Ordre moral.
— Le vote d’une nouvelle loi militaire, en 1875, permit à la France de mieux encadrer son armée. Elle provoqua
la réaction du chancelier allemand. Le Post publia l’opinion de l’état-major prussien, favorable à une guerre
préventive contre la France, ce qui confirmait aussi à l’ambassadeur de France à Londres un collaborateur
proche de Bismarck. Les réserves de l’Angleterre, souhaitant que Bismarck « calme les inquiétudes de l’Europe
» et celles de la Russie qui ne souhaitait pas voir une Allemagne hégémonique en Europe (le tsar rencontra
personnellement Bismarck) provoquèrent le recul de Bismarck qui, selon l’opinion des historiens, ne semblait
pas vouloir aller jusqu’à la guerre.
La détente (1875-1887). Des raisons propres à l’évolution des deux pays et aux relations internationales
expliquent cette évolution :
— En France, la deuxième partie des années 1870 fut largement dominée par les problèmes intérieurs (lois
constitutionnelles, crise parlementaire et conquête de la République par les Républicains).
— La première crise balkanique (révolte engagée par les populations chrétiennes de l’empire ottoman),
l’émergence de la Serbie et la volonté du tsar d’en finir avec les Turcs préoccupaient l’opinion. L’intervention
heureuse de la Russie aboutit à la défaite du Sultan et à la signature du traité de San Stefano (3 mars 1878).
Mais il fut refusé par l’ensemble des grandes puissances, et surtout de l’Angleterre qui ne voulait pas voir une
Turquie asservie à la Russie et cette dernière occuper une position stratégique de premier ordre en
Méditerranée. Le déséquilibre engendré par cette crise provoqua un revirement de Bismarck à l’égard de la
France.
— Pour Bismarck en effet, les orientations étaient toujours simples : détourner la France de toute idée de
revanche et de reconquête des deux provinces perdues. Pour ce faire, il appuya sans réserve les ambitions
coloniales des Français, ce qui permettait de préserver l’équilibre européen sans remettre en cause la
domination allemande. La présence de Ferry aux affaires fut incontestablement une aubaine pour Bismarck. En
effet, toute idée de guerre contre l’Allemagne était à repousser pour le Français.
— Face au système d’alliances mis en place par Bismarck, particulièrement efficace, Ferry avait aussi besoin
d’un appui indirect du chancelier pour faire pression sur l’Italie (Tunisie) ou sur l’Angleterre (Extrême-Orient,
colonies). Il repoussa cependant d’aller jusqu’où Bismarck aurait souhaité le mener : conclure une alliance, qui
aurait eu pour effet d’isoler l’Angleterre mais surtout de la brouiller avec la France, sans compter les réactions
immédiates qui se seraient exprimées chez les patriotes français, alors actifs.
Au Congrès de Berlin (15 juin-15 juillet 1878), Bismarck déploya une activité diplomatique intense dans laquelle
il marqua, entre autres choses, sa volonté d’établir avec la France des relations plus cordiales. Il accepta et
favorisa même l’expansion coloniale de la France. Le contrôle de la Tunisie qui s’inscrit dans ce cadre, satisfit
une partie de l’opinion française mais provoqua la rupture entre les deux soeurs latines : l’Italie, humiliée, fut
contrainte — comme on l’a vu — de se rapprocher de la Duplice pour trouver une aide possible contre la
France et l’Angleterre (alors que c’est l’Allemagne qui avait tiré les ficelles...).
Autre élément fondamental de ce congrès : la mauvaise humeur des Russes, conscients de ne pas avoir tous
les moyens d’exploiter leur victoire militaire sur les Turcs et contraints de renoncer aux avantages
considérables que leur avait donné le traité de San Stefano. Leçon reçue pour un possible renversement des
alliances.
Nouvelles tensions (1887-1889). La France était en quelque sorte condamnée aux conquêtes coloniales avec
les avantages qu’elle avait tirés du Congrès de Berlin. Mais, sur le front intérieur, Ferry en subit les
conséquences : il fut mis en minorité et l’agitation nationaliste favorisa le développement du boulangisme.
Berlin s’inquiéta, malgré les déclarations d’apaisement exprimées par le ministère des Affaires étrangères et
l’ambassade de France à Berlin.
Bismarck voulut-il brusquer les choses en arrêtant Schnæbelé, attiré en territoire allemand pour être arrêté et
accusé d’espionnage ? La libération de Schnæbelé obtenue, la guerre fut évitée ; mais les nationalistes
s’étaient convaincus de l’action décisive de Boulanger et du recul de Bismarck. La démission du gouvernement
écarta Boulanger des affaires, mais l’agitation antiallemande resta forte. En fait, le chancelier allemand profita
du conflit pour obtenir de son Reichstag des crédits supplémentaires.
1.2.2. Dans les relations avec l’Angleterre
Elles sont très largement dépendantes de leurs rivalités coloniales.
L’Afrique. La concurrence qui opposait les deux pays s’inscrivait dans celle, plus générale, que se faisaient tous
les pays européens sur le continent au tournant des années 1880.
— L’Angleterre, qui s’était heurtée à la république boer du Transvaal, s’était installée en 1881 dans le bas Niger
et, en 1885, en Afrique orientale.
— La France avait pris pied à Obock (1882) et établi en 1885 son protectorat sur Madagascar.
— L’Italie créa la colonie d’Érythrée.
— L’Allemagne se lança aussi dans l’aventure. En 1884, sur la pression des milieux armateurs de Hambourg et
de Brême, elle établit son protectorat sur le sud-ouest africain. L’explorateur Nachtigal dirigea l’occupation du
Togo et du Cameroun. Elle crée aussi la colonie d’Afrique orientale qui, joignant le Congo belge à l’océan
Indien, interdit aux Britanniques la liaison Le Cap-Alexandrie.
— Les rivalités européennes se dégradèrent à propos du Congo. Le roi des Belges, Léopold II, fondateur et
président de l’Association internationale africaine, avait chargé le journaliste et explorateur Stanley de procéder
à l’exploration du moyen Congo. C’était, vers l’ouest, contrarier les intérêts des autres puissances.
La France, avec Savorgnan de Brazza, s’était lancée dans l’exploration de l’Ogooué.
Le Portugal et l’Angleterre, alliés, souhaitaient contrôler la côte du Cabinda à l’Angola et par conséquent,
prétendaient posséder des territoires de part et d’autre de l’embouchure du Congo.
L’Allemagne indirectement, souhaitait bénéficier de ces rivalités pour obtenir des territoires, quitte d’ailleurs à
conclure des accords avec la France (on comprend aussi un peu mieux l’aménité de Ferry à l’égard de
Bismarck).
Une conférence internationale était inévitable. Elle eut lieu à Berlin, du 15 novembre 1884 au 26 février 1885
donnant en principe l’accès de toutes les grandes puissances au Congo. Autour du fleuve, se formait un « État
indépendant du Congo », international, qui revint en 1890 à la Belgique et dont la souveraineté fut attribuée à
Léopold.
L’Égypte. Depuis le percement du canal de Suez en 1869, l’Égypte était devenue le passage obligé pour se
rendre aux Indes : les navires britanniques assuraient 80% du trafic du canal. On comprend dès lors la volonté
des Anglais de mieux contrôler l’évolution intérieure de la vice- royauté d’Égypte. C’est ainsi que les relations
avec la France se dégradèrent.
En effet, la présence française ne s’était pas démentie depuis le début du siècle et les relations entretenues
avec les pachas d’Égypte étaient restées toujours été fécondes. Mais ces relations s’étaient envenimées à la fin
des années 1860 quand le khédive d’Égypte s’était engagé dans une politique de rénovation coûteuse,
entraînant une collaboration financière des puissances européennes.
Les Anglais eurent alors eu la politique la plus adroite : en 1875, incapable de faire face à une échéance de 100
millions de francs, le khédive vendit — avec l’accord du ministère français des Affaires étrangères dirigé par
Decazes — ses 177 000 actions de la Compagnie de Suez au gouvernement britannique alors qu’un
consortium français dirigé par la Société générale s’était proposé pour les racheter.
En 1878, la dette avait atteint 2,5 milliards de francs. La vente des actions n’avait pas permis d’apurer les
comptes. Français et Anglais imposèrent donc la création d’une « Caisse de la Dette publique » gérée par deux
commissaires européens, un « condominium » franco-britannique enlevant au khédive une partie de ses
pouvoirs.
Cette mainmise des Européens sur l’Égypte provoqua une réaction nationale contre le khédive, menée par des
officiers nationalistes. Elle se traduisit, dans les faits, par une montée en puissance d’un colonel, Arabi Pacha,
et des troubles aboutissant, comme à Alexandrie, à l’assassinat de ressortissants chrétiens (juillet 1882).
France et Angleterre ne pouvaient qu’intervenir. Mais la position de la France, alors, n’était pas suffisamment
forte. Freycinet, qui présidait le gouvernement, fut hésitant et voulut d’abord s’assurer de la neutralité, voire du
soutien allemand. En revanche, l’Angleterre n’hésita pas à dépêcher sur place une escadre pour bombarder
Alexandrie à laquelle la France aurait pu se joindre (11 juillet 1882).
En définitive, les atermoiements de la France entraînèrent son recul. Mais pouvait-elle intervenir ? Une droite,
toujours fixée sur la ligne bleue des Vosges, était opposée à toute aventure outre-mer. Une gauche ultra,
menée par Gambetta, trouvait de toute façon insuffisant le crédit de 9,5 millions de francs proposé par le
gouvernement pour participer aux opérations. Toute intervention était impossible. L’échec de Freycinet favorisa
les ambitions de l’Angleterre et celles de l’Allemagne : la France, en tout état de cause, était affaiblie1.
Seule à intervenir, l’Angleterre débarqua le 2 août 1882 à Suez, écrasa le 13 septembre Arabi Pacha à Tell elKebir, et le fit prisonnier. Le parti national réduit, Londres fit dissoudre l’armée égyptienne et occupa
durablement le pays en y exerçant un protectorat occulte. Mais elle mit fin au régime du condominium,
promulgua une loi organique dotant l’Égypte d’une constitution donnant à un gouvernement dévoué des
pouvoirs contrôlés. En revanche, la zone du canal devint une zone strictement militarisée. Paradoxe, les milieux
financiers français n’étaient pas mécontents d’une reprise en main par Londres qui, de toute façon, assurait le
maintien de leurs revenus.
L’Extrême-Orient
— La France décida en février 1885 d’occuper le Tonkin et d’établir son protectorat sur l’Annam. Pour ce faire,
elle prit la ville de Lang Son et instaura le blocus du riz sur les côtes pour affamer les Chinois. A la fin du mois
de mars, l’impératrice autorisa l’ouverture de pourparlers. Les troupes françaises n’étaient pas moins en
difficulté à Lang Son. Il fallut évacuer la ville et Ferry n’obtint pas de la Chambre les crédits nécessaires à
l’effort militaire qu’il fallait déployer (30 mars). Néanmoins, les préliminaires de paix entre la France et la Chine
furent signés le 4 avril et la cessation des hostilités fixée au 10. Le 9 juin, lors du traité de Tianjin, la Chine
renonça à l’Annam et autorisa la France à construire un chemin de fer vers le Yunnan ; elle lui accorda aussi le
privilège de l’exploitation des mines de la région. Mais ce traité ne satisfaisait pas les Anglais qui souhaitaient
établir aux frontières orientales de l’Inde, un glacis protecteur contre toute extension française. A partir de 1885,
Londres entreprit la conquête de la Birmanie qui lui permettait aussi d’accéder à la Chine.
— Les Français intervinrent au Laos en 1893 en faisant une démonstration navale devant Bangkok. Ils
voulaient se faire reconnaître des droits sur l’Annam et le Cambodge par le gouvernement siamois. « Agression
» dénoncée par le gouvernement britannique. Le 3 octobre suivant, le Siam consentit un traité qui donnait à la
France l’ensemble des territoires sur la rive gauche du Mékong, c'est-à-dire le Laos, et une zone démilitarisée
sur la rive droite, mais ouverte au commerce français 1. La cession du Laos par le Siam à la France calma les
esprits car elle autorisa le maintien du Siam, État tampon que les Anglais souhaitaient entre Annam et
Birmanie.
1.3. Les limites du magistère bismarckien
L’affaire Schnæbelé avait montré à Bismarck que les Français, en dépit de leur expansion coloniale, n’avaient
pas abandonné leur intention de reconquérir l’Alsace et la Lorraine. Le principe de « bonne entente » fondé sur
l’isolement de la France avait fait long feu. Le mécontentement de la Russie, toujours flouée dans ses
ambitions balkaniques au profit d’une Autriche-Hongrie désormais soutenue par Berlin, pouvait favoriser un
rapprochement avec Paris. Il fallait donc, coûte que coûte tenter de faire perdurer le système d’isolement de la
France, en faisant des propositions à l’Italie et à la Russie.
1.3.1. L’exemple italien
En 1887, au moment du renouvellement de la Triplice, l’Italie souhaita obtenir de meilleures garanties de Berlin
:
— Le statu quo en Méditerranée et l’impossibilité pour la France de s’étendre en Tripolitaine.
— Le statu quo aussi dans les Balkans, pour éviter une croissance de la puissance autrichienne. Les ambitions
italiennes devenaient donc elles aussi bien réelles et s’exprimaient aussi bien vis à vis des Allemands que des
Britanniques.
— Vis-à-vis des Allemands. Bismarck convint de garantir l’appui allemand dans le cas où l’Italie devrait
intervenir contre les empiétements français en Afrique du Nord (20 février 1887). Pour ne pas assumer seul ce
possible soutien, il suggéra une négociation entre Rome et Londres. C’était le bon moment, puisque Français et
Anglais étaient en désaccord à propos de l’Égypte et de l’Extrême-Orient.
— Vis-à-vis des Britanniques. Les Italiens et Anglais passèrent en même temps un accord concluant l’aide
anglaise aux Italiens pour s’opposer à l’occupation de la Tripolitaine par les Français et le soutien italien aux
Anglais dans l’affaire égyptienne. Il ne faut pas cependant exagérer l’engagement britannique : le Foreign
Office n’avait promis aucune aide militaire effective. Cependant, Bismarck avait réussi à faire entrer la GrandeBretagne dans un système
d’alliances tourné contre la France.
1.3.2. L’exemple russe
L’autre levier d’isolement de la France, la Russie, méritait effectivement attention puisque Moscou pouvait
avoir des raisons de se tourner vers Paris. Pour l’en dissuader, Bismarck conclut un accord secret qui
promettait l’appui diplomatique de l’Allemagne dans le contrôle de la Bulgarie et l’accès aux détroits. De son
côté, la Russie promit sa neutralité en cas de guerre défensive de l’Allemagne contre la France.
Ce « traité de Contre-Assurance » du 18 juin 1887 constitua le dernier acte de Bismarck en politique extérieure.
En effet, dans les deux années qui suivirent, conscient des contradictions du système mis en place, il tenta
d’impliquer davantage l’Angleterre, mais n’y parvint pas. De son côté, le tsar, tout en ne dénonçant pas le traité
de contre-assurance, se demanda comment ce dernier pourrait effectivement s’appliquer (la Russie ne
supportait pas l’élection le 7 juin 1887 du prince de Saxe-Cobourg sur le trône de Bulgarie).
La retraite forcée de Bismarck donna une issue à cette impasse1. Elle correspondait au début d’une nouvelle
période.
2. 1890-1914 : les rivalités nationales
2.1. Le nouvel ordre international
2.1.1. Des conditions nouvelles
L’importance des relations économiques. Le monde sortait peu à peu de la Grande dépression. A partir de
1898 surtout, la croissance intensifia la concurrence économique et commerciale entre les pays industrialisés.
L’Allemagne restait cependant au coeur des mutations économiques dont René Girault souligne l’ampleur et
leurs conséquences sur les relations internationales :
« L’essentiel pour les relations internationales, n’est-il pas la
mondialisation qui s’organise en cette période, tant sur le plan politique que
sur le plan économique ? »2
Le redéploiement de la diplomatie allemande. La mort de Guillaume 1er en 1888 a scellé le sort de Bismarck.
Guillaume II lui reprochait une politique extérieure trop continentale, fondée sur l’alliance des empereurs
dominés par la Prusse dans un projet d’isolement de la France républicaine. Il voulait pour son pays une autre
politique, plus tournée vers le monde et le prestige extérieur de l’Allemagne : la Weltpolitik.
Affranchi du pesant chancelier, Guillaume II s’engagea dans la Weltpolitik conformément aux besoins de
l’Allemagne de la fin du XIXe siècle. La bourgeoisie entreprenante des grands ports allemands souhaitait une
extension des marchés, la présence de la place dans le monde et sa participation à son exploitation
économique.
2.1.2. Les divergences d’intérêts
Les rivalités en Europe. En Europe, les rivalités territoriales étaient nombreuses.
— Entre la France et l’Allemagne, la question de l’Alsace et de la Lorraine restait toujours un sujet de discorde
fondamental.
— Entre l’Autriche et l’Italie, se posait la question des provinces irrédentes. Les deux pays souhaitaient
contrôler la mer Adriatique, ce qui supposait une bonne implantation en Dalmatie.
Les rivalités en Afrique. L’Afrique était aussi le théâtre des ambitions européennes.
— La France et l’Angleterre étaient opposées à propos des zones d’influence, comme au Nigeria.
— L’Allemagne qui s’est emparée du Togo et qui s’est installée au Cameroun était devenue une concurrente
directe des deux premières puissances.
— La Belgique avait fait du Congo son champ d’explorations.
— L’Italie disposait de bases de conquête à partir de l’Érythrée et de la Somalie et voulait s’emparer de
l’Éthiopie.
Les rivalités extrême-orientales. La France et l’Angleterre étaient encore en conflit à propos des possibilités
d’accès à la Chine où l’Angleterre voulait conserver ses prérogatives. Mais elles s’opposaient toutes les deux
aux ambitions de l’Allemagne qui avait engagé une politique de présence dans le Pacifique et qui, elle aussi,
s’intéressait désormais à la Chine.
Les rivalités balkaniques. Dans la poudrière balkanique, la Russie et l’Autriche-Hongrie s’opposaient pour le
contrôle des provinces qui avaient réussi à s’affranchir de la domination ottomane (Bosnie, Serbie). Mais
l’Angleterre ne souhaitait pas la disparition de toute puissance à Constantinople, car elle tenait à la sécurité de
la Méditerranée.
2.2. Le bouleversement des alliances
2.2.1. La France et la Russie
La Russie, une puissance inégale aux besoins importants. Quoique le pays le plus peuplé d’Europe avec plus
de 75 millions d’habitants, et quoique disposant d’immenses ressources naturelles, la Russie était restée
attardée. Largement dominée par l’agriculture, l’économie n’avait amorcé sa mutation que vers 1880 et à grand
recours de capitaux étrangers1.
Sur le plan militaire, les moyens ne correspondaient ni aux ambitions, ni aux besoins à cause du manque de
ressources budgétaires, du manque de cadres et l’insuffisance de la logistique. L’armement, médiocre, n’était
pas non plus à la hauteur de celui des autres grandes puissances du moment.
Il faut ajouter les relations difficiles que Saint-Pétersbourg entretenait avec les pays que l’empire dominait, la
Pologne en particulier. Enfin, les ambitions balkaniques et expansionnistes du tsar non seulement ne
correspondaient pas à ses moyens véritables mais constituaient une source importante de déstabilisation.
Les mobiles du rapprochement.
— Les mobiles russes.
Le premier acte continental du nouvel empereur d’Allemagne, poussé en cela par son état-major et en
particulier le général Waldersee, a été de rompre avec l’entente russe 1. Guillaume II refuse le
renouvellement du traité de contre-assurance, car contraire à l’esprit de la Triplice. Les conseils de
modération de l’ambassadeur d’Allemagne en Russie furent inutiles.
Le maintien de la rivalité austro-russe dans les Balkans ne favorise pas les relations entre Russes et Allemands
(d’autant que l’Autriche-Hongrie était, comme on le sait, une alliée de Berlin).
L’élection de Ferdinand de Saxe-Cobourg au trône de Bulgarie a exaspéré les Russes.
Les Russes se sentaient humiliés. Alors qu’elle était franchement désireuse de rester l’alliée de l’Allemagne, la
Russie fut contrainte de se tourner vers d’autres pays. Pourquoi la France ? La chose n’était pas pour autant
facile : la France n’avait pas les moyens de l’aider pour l’accès aux détroits. Mais les deux pays voulaient sortir
de leur isolement.
— Les mobiles français. La France désire constituer une alliance de revers par l’engagement des Russes à
l’Est. Sa position s’est améliorée avec l’aide financière apportée au gouvernement russe par les grandes
banques françaises après l’interdiction faite par Bismarck à la Reichsbank de pratiquer des avances sur les
valeurs russes. En 1888, les groupes financiers français ont couvert un emprunt de 125 millions de roubles et
d’autres avances ont suivi, soutenues par le gouvernement français.
Les étapes
— Une première étape. L’attitude ferme de Guillaume II a convaincu le tsar de se tourner vers « le
gouvernement bête ». Dès lors les signes de rapprochement se multiplient : arrestation à Paris d’anarchistes
russes, présence du général de Boisdeffre (août 1890), sous-chef de l’état-major français aux manoeuvres
russes qui aboutit à des conversations tactiques et stratégique communes. Au début de 1891, la Russie passe
à la France une commande d’armements, le président Sadi-Carnot est décoré de l’ordre de Saint-André.
Chantage de la part de la France : tout nouvel emprunt doit passer par la signature d’un traité. Le
renouvellement de la Triple Alliance en 1891 achève de convaincre Alexandre III d’autant qu’une adhésion de
l’Angleterre ne serait pas exclue. Il y a aussi des mobiles financiers (bien qu’en France, les Rothschild soient
réticents devant les mesures antisémites prises par le tsar).
— Une deuxième étape. En juillet 1891, le tsar visite avec éclat la flotte française ancrée à Kronstadt. La
musique russe va jusqu’à jouer La Marseillaise lors des festivités organisées. Si aucun accord n’est encore
conclu à l’été 1891, les principes d’une alliance entre les deux pays sont acquis : le 27 août, les deux pays
signent une convention de politique générale, n’engageant pas la France dans les aventures extrême-orientales
de la Russie et ne contraignant pas cette dernière à se battre pour l’Alsace et la Lorraine. On se consulterait
donc en cas de menace et on proclame une amitié réciproque. « L’arbre est planté » comme le dit alors le
président Ribot.
— Une troisième étape. La période qui suit l’accord de 1891 est fertile en incertitudes : même si les Russes
passent commande de fusils et si les banquiers français ont subi des pressions de la part des politiques,
l’emprunt à 3% lancé est un fiasco1. Une partie de la diplomatie et de l’état-major russe ne désespère pas de
renouer le dialogue avec l’Allemagne : les Russes répugnent toujours à une sorte de mésalliance qui les
contraindrait à se battre pour une République. Comment, d’autre part, venir au secours de la France puisque le
continent est contrôlé par l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie et que l’accès aux mers leur est limité ?
— Une quatrième étape. Les Français sont avides de sortir de leur isolement. Un article paru dans Le Figaro en
juillet 1892 indique l’impatience de Paris. L’intérêt financier primant, le tsar se détermine à ouvrir des
négociations largement appuyées par les militaires, des deux côtés 2. Elles aboutissent, le 18 août 1892, à la
signature secrète d’une convention militaire qui stipule :
Si la France était attaquée par l’Allemagne ou l’Italie soutenue par l’Allemagne, la Russie l’aiderait en mettant
en ligne 800 000 hommes contre l’Allemagne.
Si la Russie était attaquée par l’Allemagne, ou l’Autriche-Hongrie soutenue par l’Allemagne, l’aide française
serait automatique et mettrait en jeu des effectifs de 1,3 million d’hommes.
La mobilisation, même partielle, d’une des forces de la Triplice, entraînerait nécessairement la mobilisation
générale en France et en Russie.
Le traînement en longueur de la ratification (18 mois) s’explique par les risques de l’accord.
Pour la France, l’acceptation d’une procédure « anticonstitutionnelle » puisque l’accord, secret et signé par des
militaires, n’a pas respecté la procédure régulière. La France doit procéder à une mobilisation générale en
cas de mobilisation partielle de l’Autriche-Hongrie et peut être entraînée dans une guerre balkanique.
Pour la Russie, que vaut une République engagée dans les scandales financiers ? Le réflexe germanophile
joue à plein : le tsarévitch Nicolas parle d’une nécessaire coalition contre la France et Giers, le ministre des
Affaires étrangères, regrette que l’Allemagne ait poussé la Russie « dans les bras de la France »
républicaine.
— Une cinquième étape.
Ce sont encore la fermeté méprisante de l’Allemagne et les besoins financiers de la Russie qui accélèrent la
conclusion : fermeture du marché allemand et vote de crédits militaires qui traduisent une nette agressivité
de Berlin à l’égard de Moscou. Du coup, les Russes instaurent à leur tour contre les produits allemands des
tarifs prohibitifs et accordent des avantages aux Français. Ils réagissent également mal à la mise en place
d’un plan Schlieffen contre la Russie (guerre sur deux fronts).
Un traité de commerce est signé en 1893 avec les Français et le tsar est reçu triomphalement à Toulon pour
visiter l’escadre de la Méditerranée (13 octobre 1893). Signe de l’enthousiasme de l’opinion publique :
l’emprunt à 4%, lancé au même moment rencontra un immense succès, largement acquis, il est vrai, par
une presse très bien disposée.
Le 4 janvier 1894, les Français ratifièrent l’accord que les Russes avaient reconnu depuis le 27 décembre.
L’alliance est défensive (il n’est pas question d’un appui pour la reconquête de l’Alsace). Elle comporte
néanmoins un certain nombre d’inconvénients :
— La réticence maintenue d’une partie de l’aristocratie russe, restée germanophile.
— Le risque d’entraînement de la France dans les affaires balkaniques.
— Le poids des engagements financiers : les fonds placés en emprunts ont progressé de 47,2% entre 1894 et
1900 ; les capitaux privés investis en Russie ont crû de 149%.
Mais la France est rentrée dans le concert des nations européennes et a rompu l’isolement dans lequel l’avait
cantonné le système bismarckien. Pour parfaire cette stratégie, il fallait résoudre le contentieux qui l’opposait à
l’Angleterre. Comment faire ?
2.2.2. La France et l’Angleterre
De nombreux motifs de mésentente. Depuis le règlement de la question siamoise, le différend franco-anglais
s’est déplacé vers l’Afrique1.
— Madagascar. Le protectorat français sur Madagascar donne un contrôle de la route vers les Indes à partir du
Cap. En 1890, les droits britanniques sur Zanzibar sont reconnus et un accord intervient sur la définition de
zones d’influence au Niger.
— La question du Soudan et Fachoda. Les sujets de friction sont restés importants à propos de l’Afrique et de
la vallée du Nil : les Français n’ont pas oublié l’affaire égyptienne.
A partir de 1895, la situation s’envenime à cause de la question du Soudan. En effet, c’est là que se trouvent
les sources du Nil et qui les possède, contrôle en fait l’Égypte. La vallée est aussi la clé pour le passage
d’une ligne de chemin de fer qui relierait Le Cap au Caire. Or, depuis 1885, les Anglais ont dû évacuer le
Soudan et se sont attelés à obtenir la neutralité des autres pays pour préparer sa reconquête. Seule la
France n’a pas été consultée. Et pour cause : elle ne veut pas accorder à l’Angleterre une bande continue
de territoire du Cap au Caire et se trouve lésée dans son intention de relier, d’est en ouest, Dakar et
Djibouti. Aussi les projets français d’expédition vers le Haut- Nil (1894-1895) ont-ils été très mal accueillis
par les Britanniques.
En mars 1896, les Anglais annoncent leur décision d’en finir avec la sécession du Soudan (les Mahdistes).
Kitchener doit remonter le Nil avec 3 000 hommes et une trentaine de canonnières. Arrivé à Fachoda en
septembre 1898, il y trouve un corps expéditionnaire franco-sénégalais commandé par le capitaine
Marchand, qui avait quitté le Gabon deux ans plus tôt pour arriver dans le Haut-Nil avant les Anglais : il
s’agissait de tenir une position sur le terrain susceptible de peser dans des négociations. Marchand avait
construit un fortin et proclamé la souveraineté de la France dans cette région. Les Anglais exigent
l’évacuation de Fachoda. Les Français semblent prêts à faire la guerre mais Delcassé 2, après avoir reçu
des officiers de la mission Marchand, décide de céder.
La signature d’une convention en 1899 exprime la défaite française : les deux pays s’accordent des zones
d’influence autour du Tchad, mais la France abandonne ses prétentions sur le bassin du Nil. Si Delcassé,
dans un premier temps a essayé d’intimider les Anglais, il a bien été obligé de reculer à partir du moment
où ces derniers le prenaient au sérieux : la France n’avait pas les moyens de sa politique, il ne faut pas
s’attirer « l’hostilité d’un État aussi puissant que l’Angleterre ». L’aventure engagée par Hanotaux était très
largement imprudente. La guerre a été évitée à Fachoda, mais l’affront subi a assombri les relations francobritanniques pour quelques années.
— La situation est encore largement défavorable quand le nouveau siècle commence.
Tout rapprochement avec la France et la Russie est difficile étant donné l’ampleur des motifs de désaccord.
Le rapprochement avec l’Allemagne n’est pas une utopie : relations familiales, opposition avec la Russie. En
outre, souhaitant en terminer avec la révolte boer, Londres a passé un traité secret avec Berlin visant à se
partager les possessions portugaises en Afrique (le Mozambique pour l’Angleterre, l’Angola pour
l’Allemagne). Tout repose sur un arrangement qui limiterait la course aux armements navals.
Le processus de rapprochement. Heureusement pour la France, l’agressivité industrielle et commerciale du
Reich rend ce rapprochement difficile. Surtout, la volonté — réelle — de constituer une flotte puissante
convainc les Britanniques d’envisager un rapprochement avec la France.
La réalisation de l’Entente cordiale (1904). Delcassé l’avait compris dès 1898 et c’est peut-être la raison pour
laquelle il avait préféré céder à Fachoda1. La mort de Victoria en 1901 a probablement accéléré le
rapprochement. En effet, Édouard VII est francophile et n’aime pas beaucoup son cousin Guillaume. En tout
état de cause, et en dépit du risque d’implication des Anglais dans des conflits continentaux, la France est aussi
une puissance navale et son appui en cas de conflit contre l’Allemagne peut devenir précieux. Il fallait oublier
Fachoda, et Delcassé en était convaincu d’autant que la France, à ce moment-là, pouvait difficilement compter
sur une Russie engagée en Extrême- Orient (guerre contre le Japon).
Le voyage du roi d’Angleterre à Paris le 1er mai 1903 dégèle l’atmosphère, du moins au niveau
gouvernemental2. Mais l’opération de charme et le savoir-faire du roi permettent un dégel remarquable.
Quelques mois plus tard (juillet 1903), Émile Loubet et Delcassé se rendent à Londres.
L’accord franco-anglais est signé le 8 avril 1904. Il est purement colonial, mais il évite la guerre.
— La France renonce au droit de pêche exclusive qu’elle possédait à l’ouest de Terre-Neuve, en échange des
îles de Los situées au large de Conakry, d’une indemnité et d’une rectification de frontière dans la zone TchadNiger.
— Le Siam est partagé en deux zones d’influence et une administration conjointe est prévue aux Nouvelles
Hébrides.
— La France s’engage à « ne pas entraver l’action de la Grande-Bretagne en Égypte », et la Grande-Bretagne
reconnaît « qu’il appartient à la France de veiller à la tranquillité du Maroc ».
Pas d’alliance véritable, mais l’établissement de relations « cordiales » entre les deux pays. En effet, le
rapprochement se fait par défaut, à cause de la franche dégradation des relations germano-anglaises :
— Les opinions publiques, nationalistes, chauffées à blanc, s’attaquent par presse interposée.
— Les uns et les autres s’accusent des pires atrocités (Anglais au Transvaal, Allemands en France).
— La position allemande, agressive, pendant la crise marocaine (infra), révèle aux Anglais une puissance
dangereuse pour l’équilibre européen et pour la sécurité de l’Angleterre (les prétentions du Kaiser ne risquentelles pas de bousculer l’équilibre méditerranéen ?).
L’alliance française est devenue souhaitable.
Pour renforcer son réseau d’alliance, la France a engagé une démarche parallèle avec l’Italie.
2.2.3. La France et l’Italie
Un état des lieux médiocre. La défaite d’Adoua (1er mars 1896) et la chute de Crispi sont des clés significatives
de l’évolution de la politique extérieure italienne. La politique de grandeur menée par le Premier ministre italien
est utile à l’Italie mais celle-ci n’en a pas les moyens. Elle dépend d’ailleurs très largement de la bonne volonté
allemande.
Le contentieux franco-italien porte sur le soutien accordé à la papauté entre 1870 et 1875 malgré la relative
embellie liée à la période de l’Ordre moral. Après 1875, la République a évidemment renoué avec la tradition
antivaticane. Ce n’est pas le plus grave, étant donné les relations complexes qui existaient entre les Italiens
eux-mêmes.
La question migratoire, la concurrence commerciale et les querelles engagées sur les positions réciproques en
Tunisie constituent de sérieux motifs d’affrontement.
L’exploitation de conditions favorables.
— Avec le retrait de Bismarck et la sortie de son isolement, la France dispose de nouveaux atouts face à l’Italie.
— Le départ de Crispi est aussi un moment opportun, comme son remplacement par des francophiles : le
marquis Visconti-Venosta, le comte Tornielli.
— Les Français ont besoin des crédits italiens à la Bourse de Paris.
— Les circonstances sont favorables pour détacher l’Italie de la Triple Alliance, avec la renaissance du
sentiment irrédentiste en Italie.
— Les industriels français désireux de conquérir en Italie des marchés détenus par les Allemands font pression
sur les dirigeants français. En effet, les deux ministres des Affaires étrangères français successifs, Hanotaux et
Delcassé, subordonnent le rapprochement avec l’Italie à celui avec l’Angleterre. Les négociations (au détriment
d’ailleurs des viticulteurs du Midi et des soyeux de Lyon) ont fini par avancer.
Les accords
— Un accord intervient sur la Tunisie le 30 septembre 1896. L’Italie reconnaît le protectorat français sur la
Régence mais bénéficie de facilités commerciales et d’un statut privilégié pour ses ressortissants (ils
conservent en particulier leurs écoles élémentaires).
— Le 21 novembre 1898, Français et Italiens passent des accords commerciaux en réduisant leurs tarifs
réciproques.
— Le 14 décembre 1900, un accord secret dû à la diligence de l’ambassadeur Barrère permet de lever les
craintes concernant une intervention possible des Français en Tripolitaine. Les Italiens donnent de leur côté «
carte blanche » aux Français au Maroc.
— En juin 1902, les Français obtiennent secrètement la neutralité de l’Italie en cas de conflit contre l’Allemagne,
non seulement si cette dernière est l’agresseur, mais aussi dans le cas où la France, par suite d’une
provocation indirecte, prenait l’initiative de la guerre. Victor- Emmanuel fait un voyage à Paris en octobre 1903
et Émile Loubet se rend à Rome en avril 1904.
NB. L’Italie ne quitte par pour autant la Triplice et reste en principe liée par les accords qui la
lient à ses alliés allemand et autrichien. Mais ni les premiers, ni les seconds ne croient beaucoup en elle.
2.3. La montée des tensions
L’Allemagne est devenue une forte puissance navale. La défaite de la Russie en 1905 a quelque peu affecté
les convictions concernant la valeur du « rouleau compresseur » russe. La France a avancé 12 milliards de
francs à la Russie. Les problèmes balkaniques sont devenus plus pressants.
En même temps, la France connaît un surcroît de nationalisme.
2.3.1. L’opposition franco-allemande au Maroc
Le Maroc est un État dont l’indépendance a été reconnue par une convention internationale signée à Madrid en
1880 par les principales puissances. Les qualités politiques de son sultan, Moulay Hassan (1873-1894), ont
permis de maintenir l’intégrité territoriale.
Son successeur, Moulay Abd el-Aziz, est incapable de maintenir cette stabilité. Son pouvoir est en particulier
contesté dans l’est du pays, aux frontières de l’Algérie, et les Français ont dû plusieurs fois intervenir pour
rétablir l’ordre.
Des intérêts divergents
— En France, l’intérêt pour le Maroc est défendu par le Parti colonial et Eugène Étienne (surtout à partir de
1905 quand ce dernier fait partie des gouvernements Rouvier et Sarrien). Pour la conquête du Sahara, la
France a besoin de contrôler le Hoggar qui appartient au Maroc.
Comment renforcer l’influence de la France (elle n’assure que 22,9% du commerce extérieur du pays contre le
double pour la Grande-Bretagne), et à moyen terme, aboutir à un véritable protectorat permettant de
consolider la présence en Afrique du Nord ?
Au-delà des difficultés de succession, le Maroc traverse une période difficile. L’administration du sultan est
endettée et incapable de maintenir son autorité sur l’ensemble du territoire. Elle a donc besoin d’argent et
la France se propose de lui venir en aide en obtenant des compensations. En 1901, la Compagnie
marocaine (un consortium réunissant Schneider, Le Printemps, Paquet, la maison Calvet de Bordeaux et la
banque Allard) offrent une aide au sultan. Un autre consortium, dirigé par Paribas, propose aussi ses
services. Un accord intervient entre les protagonistes, la France faisant au total deux prêts au Maroc, l’un
en décembre 1902 (7,5 millions de francs) et l’autre en juin 1904 (62,5 millions de francs) gagés sur les
douanes marocaines.
La liberté d’intervention sur le terrain doit passer par l’assentiment des autres puissances signataires de
l’accord de 1880. Paris, sous l’impulsion de Delcassé, obtient ainsi l’assentiment de l’Italie (avril 1904), de
l’Angleterre (juin 1904) et de l’Espagne (accord secret s’octroyant des zones d’influence). Les conditions
sont plus difficiles avec l’Allemagne.
— Les Allemands sont aussi signataires de la convention de Madrid. Ils désirent préserver leurs intérêts au
Maroc sans pour cela entrer dans une spirale belliqueuse en obtenant pour leurs commerçants la fréquentation
des ports. Les nationalistes souhaitent appliquer la Weltpolitik et les diplomates empêcher la France de se
renforcer en Méditerranée. Il faut aussi perturber les relations franco-anglaises et franco-russes.
La première crise marocaine
— Le 31 mars 1905, lors d’une visite éclair à Tanger au cours d’une croisière en Méditerranée, Guillaume II
remet en cause l’accord franco-britannique sur le Maroc et déclare faire sa visite au « sultan du Maroc,
souverain indépendant » d’un pays « libre et ouvert à la concurrence pacifique de toutes les nations, sans
monopole d’aucune sorte ». Il demande la convocation d’une conférence internationale réunissant les
signataires de Madrid. Le sultan, qui accepte mal l’emprise de la France, agrée bien évidemment la déclaration
du Kaiser. La première crise marocaine va commencer.
— Crise au quai d’Orsay, où le discours est pris pour une atteinte à la politique nationale :
Le président du Conseil, Rouvier, est formellement opposé à un conflit avec l’Allemagne. Il est convaincu que
cette dernière est sur le pied de guerre et l’état-major français a assuré que l’armée française n’était pas
prête. Il a l’appui des modérés de son gouvernement et de la majorité des parlementaires (dont les
socialistes et Jaurès).
Le ministre des Affaires étrangères, Delcassé, ne veut pas céder et estime pouvoir disposer du soutien anglais
(une guerre préventive serait même envisagée contre l’Allemagne). Les Allemands, conscients de la
mésentente des Français, finissent par soumettre toute négociation à la démission de Delcassé.
Delcassé démissionne à cause de la nécessité dans laquelle le gouvernement se trouve de négocier. Mais son
départ apparaît comme une reculade devant les prétentions allemandes (juin 1905) d’autant que les
Allemands exigent aussi la réunion de la conférence et veulent absolument faire échouer le rapprochement
franco-anglais (ce qui reste l’essentiel de la politique de Delcassé).
— La conférence d’Algésiras. se tient du 16 janvier au 7 avril 1906 et fait suite au coup de Tanger.
Les Français sont contraints à un accord avec l’Allemagne et reconnaissent l’indépendance du Maroc en
concédant l’égalité du traitement pour toutes les nations désireuses de commercer dans le royaume
chérifien.
La France partage la police des ports avec l’Espagne mais elle garde le contrôle de la frontière avec l’Algérie,
encadre la police marocaine et préside la Banque d’État du Maroc. On mesure la modestie de l’appui
britannique et surtout celui des Russes (a qui pourtant la France venait d’accorder un prêt supplémentaire
de 1,4 milliard de francs).
Les Allemands ne sont pas pour autant satisfaits puisque Rouvier n’a pas non plus accepté de se joindre à une
alliance continentale proposée par Guillaume II au tsar (traité de Björkö).
Les prodromes d’une nouvelle crise. Après Algésiras, l’attention se tourne davantage vers l’évolution des
relations internationales mais la question marocaine reste entière.
— Les alliances se resserrent et se précisent :
Le 30 août 1907, Anglais et Russes règlent leur contentieux en Asie centrale, s’entendent sur l’Afghanistan, se
partagent des zones d’influence en Perse.
Les tractations se multiplient : ainsi, pour obtenir carte blanche au Maroc, les Français profitent de
l’affaiblissement des Russes (guerre contre le Japon) et soutiennent discrètement le rattachement de la
Bosnie à l’Autriche contre plus de souplesse au Maroc.
— La question marocaine reste entière.
L’accord d’Algésiras a accordé à la France le seul maintien de l’ordre sur les confins algériens et dans les ports
atlantiques alors que la situation est surtout critique à l’intérieur du royaume : les Français doivent intervenir
à Oudjda à la suite de l’assassinat d’un médecin français et prendre le contrôle de la plaine qui entoure
Casablanca après le massacre d’ouvriers européens. Contrepartie, ils subissent l’hostilité de Moulay Hafid
qui veut renverser son frère Abd el-Aziz, trop favorable aux Français.
En 1907, l’Union minière marocaine (UMM) s’est fondée, contrôlée à 57% par des capitaux français). La France
refuse en outre de concéder aux Allemands une place dans les chemins de fer marocains. C’est l’impasse,
car les projets d’exploitation commune des ressources congolaises n’ont pas de succès.
En 1908, le consul d’Allemagne provoque une grave tension en donnant l’asile à des déserteurs de la Légion et
un nouveau marchandage s’amorce. Pour en « finir avec les frictions », Guillaume II reconnaît la position
prédominante de la France à condition que les deux pays partagent les avantages économiques, prologue
à un rapprochement qui favoriserait la compagnie allemande Mannesmann qui cherche à obtenir une
position dominante dans l’exploitation des ressources minières du pays. Mais les Français veulent contrôler
seuls le Maroc (ils ont une interprétation dans ce sens en tout cas et parce que, de toute façon, les Anglais
sont opposés à cette entente).
En 1909, l’entente est superficielle : le 9 février 1909, un accord est signé, confirmant l’indépendance du Maroc
et l’égalité des droits économiques à l’Allemagne). Mais les Français ont accru leur emprise sur
l’administration marocaine et sont durablement installés dans le Maroc occidental. En France, la
germanophobie n’a pas désarmé, au contraire.
En 1910, c’est la position de l’Allemagne qui se durcit à nouveau. Elle reprend sa liberté et revendique les
conventions conclues à Algésiras.
En 1911, une rébellion contre Moulay Hafid entraîne une nouvelle intervention des Français destinée à protéger
les colons : Fez est occupée en violation des accords passés et du statu quo. Les Pangermanistes sont
prêts à une action sur le terrain alors que le chancelier Kiederlen-Wächter propose d’évacuer le Maroc en
échange de substantielles concessions.
La deuxième crise marocaine. La situation se tend brusquement à l’été 1911. On parle de la seconde crise
marocaine. Elle commence le 1er juillet : le Panther arrive devant Agadir et y débarque un contingent
symbolique pour protéger les colons allemands. Opération d’intimidation pour obliger Paris à faire une offre
importante. En France, on est prêt à l’affrontement. Caillaux, qui est devenu président du Conseil le même jour,
préfère négocier. Les Allemands sont alors très exigeants : ils veulent la totalité du Congo ce qui leur
permettrait de prendre pied définitif dans une région de l’Afrique où ils possèdent déjà le Cameroun.
— Le 17 juillet, on est au bord de la guerre car Kiederlen ne semble pas la redouter et la France est décidée à
ne pas céder. Grâce à une médiation britannique qui manifeste son soutien à la France (discours de Lloyd
George, 21 juillet), y compris par la force, les Allemands reculent (ils ne veulent pas de négociations trilatérales
et ne peuvent faire face à une alliance franco-britannique). Les négociations reprennent à deux niveaux :
l’officiel entre Kiederlen et Cambon ;
l’officieux, entre le baron de Lancken, porte-parole de la Wilhelmstrasse, et Fondère, chargé d’affaires français,
délégué par le président du Conseil.
— En août, on n’a pas encore trouvé de solution. Les Français envisagent la solution armée mais reculent à
cause de la faiblesse de l’armée en artillerie, du manque de soutien de la Grande-Bretagne et du refus des
Russes qui estiment que « la sécurité de la France n’est pas menacée ». L’issue du conflit vient de concessions
mutuelles : la France reconnaît un certain nombre de droits commerciaux aux Allemands au Maroc tandis que
ces derniers sont malmenés par une tempête financière qui secoue la bourse de Berlin et que Caillaux a peutêtre suscitée.
— Le 4 novembre, un accord est signé, dans lequel l’Allemagne s’engage à ne pas « entraver l’action de la
France au Maroc » et accepte le protectorat français. Elle reçoit en échange une grande partie du Congo
français, entre le Congo belge et le Cameroun, ainsi qu’un accès à la mer. Elle cède à la France le « bec de
canard » situé au sud du lac Tchad. En cas de vente du Congo belge, la France peut exercer un droit de
préemption déjà reconnu à la Conférence de Berlin en 1884.
Aurait-on pu aller plus loin et envisager même un renversement d’alliances ? Guillaume II n’était pas
défavorable à un rapprochement qui aurait isolé Angleterre et Russie. Caillaux, de son côté, n’envisageait pas
sans intérêt une telle éventualité. Mais les opinions publiques, tant en France qu’en Allemagne, avaient une
autre conception.
Agadir va coûter à Caillaux son ministère. En effet, après avoir réglé le conflit, ce dernier doit rendre des
comptes devant le Sénat et justifier de ne pas avoir eu de tractations secrètes avec l’Allemagne. Il démissionne.
En revanche la crise favorise la montée en puissance de Poincaré. Si le nouveau président du Conseil déclare
son intention de ne pas revenir sur le traité de 1911, il montre sa fermeté dans la volonté de mener avec
l’Allemagne des relations « dans la dignité ». L’alliance russe constitue pour lui un axe principal et l’alliance
anglaise est devenue tout à fait envisageable.
En effet, quand la guerre a paru imminente en juillet 1911, les modalités d’une intervention britannique ont été
sérieusement envisagées par les états-majors. D’autre part, toutes les possibilités de compromis avec
l’Allemagne ont été épuisées à cause des prétentions de Berlin en matière d’armements navals et de son
exigence concernant la rupture de l’entente cordiale.
2.3.2. Les autres sources de conflit
La rivalité anglo-allemande. Pour mémoire, puisque ces questions touchent davantage aux relations
internationales proprement dites ou aux relations bilatérales entre l’Angleterre et l’Allemagne rappelons les
principaux points du contentieux :
— La course aux armements navals. Sous l’impulsion de von Tirpitz, et avec l’aide de la grande industrie, la
flotte allemande connaît un développement étonnant : croiseurs, destroyers, bâtiments de ligne (cuirassés et
croiseurs de bataille) sont capables de rivaliser voire d’affronter les navires britanniques.
— La naissance de la Triple Entente. A partir du 31 août 1907 une convention anglo-russe, a réglé le différend
anglo-russe en Perse, en Afghanistan et au Tibet1. Le renouvellement de la Triplice en 1912 incite la diplomatie
française à renforcer ses alliances. Elle propose aux Britanniques de répartir les tâches maritimes : la flotte
anglaise se réserverait l’Océan et les mers du Nord, tandis que la flotte française protégerait la Méditerranée.
En 1914, ces accords s’étendent aux Russes.
La rivalité austro-serbe. Les Autrichiens et les Serbes se livrent une guerre économique depuis 1905. Le
contentieux territorial est aussi fort : l’annexion de la Bosnie par l’Autriche en 1905 a toujours été dénoncée par
Belgrade. Mais les Russes et les Italiens soutiennent la Serbie contre l’Autriche. La France aussi, qui a vendu
des armes à la Serbie.
Les guerres balkaniques
— La première guerre balkanique (1912) dure du 8 octobre 1912 au 16 avril 1913, et oppose à la Turquie le
Monténégro, la Serbie, la Bulgarie et la Grèce (création de la Ligue balkanique en 1911 contre la Turquie, avec
l’appui de la Russie). Les alliés remportent la victoire en octobre 1912. Il en découle un démantèlement de
l’empire ottoman : la Bulgarie obtient la Macédoine et la presque totalité de la Thrace ; la Grèce reçoit les îles
de la mer Égée, la Crète, le sud de la Macédoine et Salonique ; la Serbie la partie restante de la Macédoine, le
nord de l’Albanie.
— La deuxième guerre balkanique (1913) éclate le 28 juin 1913 et naît du partage des dépouilles : la Bulgarie,
subissant une attaque surprise de la Serbie, du Monténégro, de la Grèce et de la Roumanie, doit finalement se
soumettre au traité de Bucarest (10 août 1913).
Surtout, deux nations sont directement liées à une évolution de la situation : les Russes, alliés des Serbes, et
les Allemands, alliés des Autrichiens. Les Russes convoitent les détroits contrôlés par les Turcs qui sont
devenus les alliés des Allemands. Or la Grande-Bretagne, fidèle à sa volonté de maîtriser les routes maritimes,
imagine mal l’Allemagne s’installer dans cette partie du monde. Quant à la France, elle est l’indéfectible alliée
de la Russie qui a d’ailleurs connu un remarquable réorganisation de son armée 1... et ne répugne pas, de toute
façon, à jouer un rôle dans la région.
Conclusion
Les conclusions peuvent porter sur trois points.
Tout d’abord, la France est revenue au premier rang. Dans le jeu diplomatique, elle est une puissance à part
entière, que ce soit vis à vis de la Russie ou vis à vis de l’Angleterre. On peut mesurer le chemin parcouru en
trente ans. Elle constitue une puissance réelle.
Ce rayonnement ne doit pas masquer les faiblesses.
— Pour commencer, ces alliances ont coûté cher, en particulier avec les Russes. L’engagement dans la dette
russe est trop fort et si personne ne peut imaginer la chute du tsar, les garanties financières demeurent
incertaines, en tout cas à court terme.
— L’union qui lie la France à la Russie, comme à l’Angleterre d’ailleurs, apparaît à bien des égards comme une
union obtenue par défaut.
Nicolas II, tsar depuis le 1er novembre 1894 a toujours préféré l’Allemagne et c’est bien le comportement
méprisant de Berlin qui l’a résigné à se tourner vers Paris.
Le revirement britannique est tout aussi récent. C’est bien encore l’attitude allemande qui a incité Londres à se
rapprocher de Paris. Les relations avaient été bien tendues avant 1900.
Enfin, la dernière observation portera sur la logique de guerre.
— Les revendications territoriales et les nationalismes ont certainement aiguisé les appétits et les ambitions.
L’Europe, divisée, n’a pas su surmonter ses contradictions et essayer d’établir un modus vivendi qui lui évite
d’entrer en conflit. Et les élites en sont en partie responsables, car ce sont bien elles qui ont mené les peuples à
la guerre : en Allemagne, comme en France ou en Italie, les jeunes gens destinés au commandement étaient
convaincus du bien fondé d’en découdre.
— Les intérêts économiques révèlent leurs ambivalences. La guerre impérialiste dénoncée par Lénine
débouche-t-elle inévitablement sur le conflit armé ? Dans bien des cas, on a vu les financiers et entrepreneurs
collaborer pour répartir des risques. Il n’y a pas d’opposition fatale, même si les raisons d’en découdre pour des
motifs économiques existent. Mais une guerre signifie toujours une rupture des courants commerciaux, des
impôts supplémentaires, des reconversions douloureuses. En revanche, elles permettent aussi de fructueux
contrats et des débouchés garantis grâce aux commandes de l’État.
Dans tous les cas, les relations étroites entre le pouvoir et l’économie ont engendré des décisions ou guidé des
politiques qui ont renforcé le premier et développé la seconde, au bénéfice, il faut bien le dire, de ses
dirigeants.
1. Un exemple : la production de fonte augmente de plus de 50% entre 1871 et 1873. Voir Milza
(Pierre) - Les relations internationales de 1871 à 1914, Paris, Armand Colin, « Cursus », ,
1990, p. 9.
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1. On peut dès lors se poser la question de savoir si Gambetta, dans cette affaire, n’avait pas vu
juste et Clemenceau, mal. En effet, quels que soient l’efficacité et le talent de sa déclaration (« il
semble qu’il y ait quelque part une main fatale qui prépare une explosion terrible. L’Europe est couverte de
soldats ; toutes les puissances réservent leur liberté d’action pour l’avenir : réservez
la liberté de la France »), elle peut être prémonitoire, elle n’est pas politiquement objective et
utile. La France fait le jeu de Bismarck, se trouble avec l’Angleterre tout en s’affaiblissant vis à vis
d’elle et perd à la fois du prestige et de la présence à l’extérieur.
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1. Le territoire laotien, placé ainsi sous protectorat français, sera étendu vers le nord entre 1902
et 1907 (provinces des Luang Prabang, Hua Khong et Phong Saly).
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1. Guillaume I est mort le 9 mars 1888. Frédéric III devient roi mais meurt à son tour le 15 juin.
C’est son fils, Guillaume II, qui monte sur le trône pour lui succéder. En conflit avec le chancelier de fer, il finit
par le congédier le 18 mars 1890.
2. Girault (René) - Diplomatie européenne et impérialisme, 1871-1914, Paris, Masson, 1979,
p. 132.
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1. L’endettement était considérable : à la veille de la guerre, l’épargne étrangère détenait 48% de
la dette (la France détenant à elle seule 31%). Sur 14 aciéries fondées dans le Sud de la Russie, 13
l’avaient été grâce à des capitaux étrangers (entre 1888 et 1900). Le pétrole était exploité par les
frères Nobel avec des capitaux Rothschild. Les Allemands dominaient l’électricité et la chimie avec AEG,
Siemens, Badische ou Bayer. Français et Belges contrôlaient les chemins de fer. Au total, le capital étranger
représentait 41% du capital des sociétés industrielles en 1915, mais il atteignait
71% dans les mines, les industries métallurgiques et mécaniques. Voir cours sur la Russie et
l’URSS.
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1. Il ne faut pas négliger non plus l’influence exercée par le nouveau maître de la Wilhelmstrasse, le
baron Fritz von Holstein.
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1. Nous sommes en mai 1891. La Banque Rothschild refuse un emprunt lancé sur la Bourse de Paris.
2. Au cours de l’hiver 1892, ces derniers avaient pris l’initiative, et tout particulièrement le
général de Boisdeffre, ancien attaché militaire en Russie, le général Obroutchev, chef d’état-major
de l’armée russe (marié à une Française) et son homologue français, le général de Miribel.
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1. Sur l’ensemble du contentieux franco-britannique et sur son évolution : Brisson (Max) - Quand
les Français détestaient les Anglais, Anglet, Atlantica, 2001, 192 p.
2. Voir : Zorgbibe (Charles) - Théophile Delcassé (1852-1923) : le grand ministre des Affaires
étrangères de la IIIe République, Paris, Éditions Olbia, 2001, 408 p.
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1. Il écrivait à un ami le 7 février 1898 : « Il faut être aveugle pour ne pas voir que la rivalité
d’intérêts et d’ambitions, qui ne peut s’accentuer entre l’Angleterre et l’Allemagne, nous offre une
chance suprême. Nous rendre forts, très forts et rester libres : voilà notre politique. »
2. Si Édouard VII, conformément à ses souhaits, est reçu en grande pompe quand il débarque à la
gare du Bois-de-Boulogne, le passage du cortège doit essuyer les quolibets antibritanniques de la
foule. Même si les Français sont « édouardophiles », ils restent largement anglophobes. Voir :
Navailles (Jean-Pierre) - « La leçon de charme d’Édouard VII », L’Histoire, n° 277, juin 2003,
pp. 24-25.
13
1. L’Angleterre renonce au Tibet. L’Afghanistan est abandonné par les Russes. La Perse est divisée
en trois zones d’influence (anglaise au Sud, russe au Nord et neutre au centre)?
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