Inauguration and foundation talk.

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Inauguration and foundation talk, April 27, 2004.
I. Saillot
Pourquoi, aujourd'hui, un Institut Pierre Janet ? Quelle sera sa place dans la recherche
janétienne ? Avant de répondre à cette question, passons en revue ces recherches
actuelles.
De nombreuses initiatives sont entrain d'émerger ou de se développer, dans les
domaines où Pierre Janet a lui-même effectué sa recherche, à savoir : psychologie
fondamentale et clinique, psychiatrie, philosophie, sociologie.
PSYCHOLOGIE CLINIQUE ET PSYCHIATRIE
Dans ce domaine, les idées de Janet sont en plein essor, principalement autour du
mécanisme de la dissociation et de ses effets. Introduits en 1980 dans le DSM III, les
troubles dissociatifs intègrent les résultats de Pierre Janet à la célèbre classification
diagnostique américaine. La classification de l'OMS, la CIM-10 leur annexera même les
troubles de conversion (de Charcot), alors qu'ils restent "somatoformes" dans le DSM.
L'hystérie et les névroses, qui, sous ces vocables, recevaient des interprétations
contradictoires, trouvent avec la dissociation leur premier déterminant consensuel… et
janétien !
Ces nouvelles approches sont très vivantes en clinique : Les mécanismes et les
traitements du Trauma font l'objet de programmes actifs et variés sur de nombreux
continents. La société internationale pour l'étude de la dissociation (ISSD) organise un
Prix Pierre Janet (Pierre Janet Writing Award) tous les ans. La théorie janétienne de la
"Structural Dissociation" d'Onno van der Hart et ses collègues, est un fleuron de ces
recherches de pointe.
En Hollande, aux Etats-unis, en Australie et en Belgique existent des équipes
universitaires de psychothérapie janétienne. Quelques psychothérapies privées se
réclament de Janet au Canada (Jean Côté), et dans ce pays existe le deuxième hôpital du
monde à être intitulé Pierre Janet (le premier étant celui du Havre). Il a été fondé par
Gaston Harnois après des discussions avec H. Ellenberger, en 1965. Il s'y est ajouté une
Fondation Pierre-Janet pour la psychopathologie, assortie d'un Pierre Janet Award. En
Russie, une thèse de psychologie clinique vient d'être soutenue sur la thérapie
janétienne, par Natalia Fedunina. En Allemagne, une Société Pierre Janet vient d'être
créée en 2001, à Berlin. Consacrée à la psychopathologie et présidée par G. Heim, elle
organisera son premier symposium "Janet" en 2005 . Au Brésil, l'académie de
psychologie a créé un Centre Pierre Janet et également une " Pierre Janet Award ".
L'hypnose thérapeutique janétienne est de plus en plus considérée comme une
alternative sérieuse à l'hypnose eriksonienne comme à d'autres formes de thérapies. Le
GEAMH (Groupement pour l'Etude des Applications Médicales de l'Hypnose du CHU du
Kremlin-Bicêtre), présidé par le Dr de Verbizier, s'intéresse aux travaux de Janet, qui
devraient être présentés lors du colloque d'octobre prochain.
Les TOC, qui ont remplacé l'ancienne névrose obsessionnelle dans les années 80, se
traitent par thérapie comportementale et par antidépresseurs, ce qui redonne de
l'actualité aux idées de Pierre Janet, qui a toujours rapproché les symptômes qu'il
décrivait chez ses malades avec ceux produits par diverses drogues, ainsi que le
rappelait récemment le docteur Yves Thoret dans un éditorial de l'encyclopédie médicochirurgicale.
La nature de l'alexithymie, un concept à la fois psychiatrique et psychologique, est depuis
quelques années ré-examinée par plusieurs équipes, en terme de dissociation janétienne,
et la corrélation semble bonne.
Dans un futur plus ou moins proche, l'Institut Pierre Janet devrait fédérer des tentatives
de thérapie janétienne. Proposer des thérapies et des formations de thérapeutes, outre
que ça pourrait nous constituer quelques recettes financières, ce qui n'est pas
négligeable, serait un moyen de rendre service à autrui tout en faisant connaître le grand
psychologue, et la fécondité de sa théorie. Il serait intéressant aussi de promouvoir une
psychothérapie scientifique exempte des abus méthodologiques et théoriques de
certaines communautés privées, bien éloignées de la recherche, de sa rigueur et … de sa
modestie.
SOCIOLOGIE
Les tendances sociales interviennent pour Janet dès les niveaux les plus bas de la
hiérarchie des conduites, avant même le langage. Autant que dire pour lui, pratiquement
toutes nos actions sont sociales. Quelques sociologues outre-Atlantique s'intéressent
effectivement au psychologue français.
Une psychosociologie de la motivation se développe avec Nuttin, M. Reuchlin ou L.
Oulahbib, parfois implicitement, parfois ouvertement janétienne, qui remet au goût du
jour des conceptions qu'il avait développées, comme la force psychologique nécessaire à
la synthèse du moi.
Pour l'avenir, s'il est un domaine où la sociologie relira Janet avec le plus grand profit,
c'est bien celui de la sociologie de la croyance, et des recherches comme celles de
Raymond Boudon. La critique de la théorie du choix rationnel était certes une première
étape indispensable, mais il me semble qu'il reste encore à étayer ces " bonnes raisons
de croire ", sur les bases phénoménologiques qui leur reviennent c'est à dire sur la
psychologie dynamique.
Par ailleurs, la psychologie sociale gagnerait à redécouvrir les thèses de Janet. On
attendrait avec grande impatience une critique janétienne de Moscovici et des deux
théories qui en découlent : les principes organisateurs de Doise ou le noyau central
d'Abric. Purement structurales, elles devraient probablement profiter des concepts
dynamiques de Janet.
PHILOSOPHIE
C'est une revue de psychiatrie qui a sollicité un article du philosophe Claude Prévost, sur
Janet, en 2002. L'intérêt des psychiatres dessine donc malheureusement, en négatif, la
faible participation actuelle de la philosophie à la critique janétienne.
Toutefois, l'intérêt qu'on porte de nos jours à Bergson pourrait bien stimuler une
redécouverte prochaine du Janet philosophe. Bergson et Janet ont tous deux mis au
fondement de leur philosophie la même détermination à rompre avec un associationisme
de tradition lockienne, comme avec un sensualisme inspiré de Condillac. Or ces traditions
ne sont pas sans lien avec la volonté de décomposition logique et organique de la pensée
affichée par les recherches du courant cognitiviste ou de la philosophie de l'esprit, où
Janet nous offrirait une pertinente alternative.
Je suggère par ailleurs que la recherche à venir s'intéresse aux critiques de Janet sur
Hume dans le domaine de la croyance, car ils sont tous deux les meilleurs spécialistes du
domaine, l'un en psychologie philosophique, l'autre en psychologie expérimentale. Un
rapprochement avec la Hume Society me semblerait des plus intéressants pour
confronter les deux philosophies de la croyance.
Janet est élogieux avec Spinoza, en ce qu'il attribue les passions à une chute de force
psychologique. Il serait bon que des philosophes ou des psychologues prennent enfin en
main ces commentaires psychologiques d'un philosophe, ce qui aurait le mérite de
renouveler les études sur Spinoza, et donner un peu de rigueur technique à des
tentatives amorcées essentiellement par des neurologues.
Une comparaison de Pierre Janet avec Husserl devrait présenter, à l'avenir, le plus grand
intérêt : Claude Prévost disait de Janet qu'il était un phénoménologue, et effectivement,
bien qu'il n'ait probablement jamais lu Husserl, sa méthode de description des
symptômes s'apparente autant à une phénoménologie qu'à un système, et bien plus qu'à
une nosographie. De plus, l'importance qu'il donne à la volonté et à la conscience comme
une forme d'intentionnalité suscite le rapprochement des deux pensées.
PSYCHOLOGIE
Depuis le tournant cognitiviste des années 80, la recherche a abandonné la
psychodynamique, pratiquée de nos jours en institution privée, hors de tout protocole de
vérification des connaissances. Les thèmes de la volonté, de la croyance, et celui de la "
conduite ", proposé par Janet comme l'objet même de la psychologie, sont passés
d'intérêt. Pourtant, des initiatives quelque peu isolées annoncent certainement une
heureuse redécouverte du plus grand psychologue mondial des années 1900, au sein
même de la recherche.
Mémoire
Serge Nicolas, à Paris, montre en quoi les études actuelles sur la mémoire ont intérêt à
relire les fines descriptions janétiennes entre, notamment, la production, la conservation,
l'utilisation et l'expression des souvenirs, sans nul besoin d'un paradigme informationnel.
Rappelons aussi que la question de la personnalité, qui intéresse la psychologie
différentielle, reposait principalement pour Janet sur celle de la mémoire et de son
corollaire, la construction autobiographique. Une convergence " janétienne " des
spécialistes de la mémoire et des psychologues différentiels serait des plus fécondes.
Action
A. Berthoz, du Collège de France, commente longuement les développements de Janet
sur les actes moteurs, leur représentation et leur engagement dans l'action. La volonté,
l'action et la motivation constituent l'horizon psychologique et philosophique de ces très
intéressantes études de neurobiologie de la motricité.
Je suggérerai quelques axes de recherche en psychologie qu'il serait intéressant de
développer au sein de l'Institut Pierre Janet.
Émotions
Un axe très prometteur est celui des émotions, car ce domaine reçoit actuellement une
faveur grandissante au sein du courant cognitiviste. Les recherches se réfèrent pour
l'instant surtout à William James, ce qui est un bon début ! En effet, ami personnel et
fidèle correspondant de James, Pierre Janet n'a cessé de commenter son œuvre et De
l'Angoisse à l'Extase en avait déjà signalé les principales faiblesses. Il n'est pas douteux
que l'engouement pour James conduise ses commentateurs modernes, comme Damasio,
à redécouvrir sous peu le bien fondé des critiques janétiennes, et l'alternative qu'il leur a
proposé dans les années 30.
Objets
En psychologie cognitive, le modèle de la catégorisation d'action de Jean-François
Richard s'appuie sur la notion d'affordance proposée par J. Gibson en 1979. L'idée de
Gibson correspond presque point par point à ce que Janet avait énoncé dès les années
20, liant indissolublement l'objet à la conduite qu'il inspire. Il serait bien intéressant de
rapprocher les deux pensées.
Conduites
Le cognitivisme a repris à son compte la volonté du béhaviorisme de n'étudier que des
observables. C'est ainsi que le mot de "comportement" a été importé et adopté en
sciences cognitives. Pourtant, Pierre Janet, qui avait assisté à la naissance du
béhaviorisme, n'a cessé d'opposer "conduite" à "comportement", signalant plusieurs
années avant Watson l'insuffisance de ce vocable, initialement créé pour la psychologie
animale, dans le cas de l'étude de l'homme, car chacune de ses actions s'accompagne de
conscience ou de croyance, qu'il convient de prendre en compte. Il serait intéressant que
des psychologues reprennent cette distinction et montrent en quoi elle a été
problématique pour la psychologie dynamique.
Revenons donc, pour terminer, à notre question initiale : pourquoi, aujourd'hui, un
Institut Pierre Janet ? Quelle sera sa place dans la recherche janétienne ?
Je vois l'IPJ comme un organisme de recherche. La majorité de ses chercheurs est déjà
en poste dans une institution de recherche internationale (université principalement), et
ceci est très important : il n'existe qu'une unique façon de différentier la recherche avec
d'autres formes de production de connaissances : c'est celle de la procédure de preuve,
qui elle-même repose principalement sur la critique internationale des articles ou "
publications ". Une idée non critiquée n'est qu'une fable. La méthodologie de validation
des connaissances sera l'une des préoccupations majeures de l'Institut, qui n'aura de
cesse d'offrir ses productions à la critique de la recherche internationale.
Malgré la diversité de ses thèmes, le programme de recherche de l'IPJ est unifié, et cette
unité est celle du personnage lui-même, Pierre Janet.
Pierre Janet est un psychologue. Il a étudié la philosophie parce qu'elle était la
psychologie de ses prédécesseurs, il a dû bifurquer sur la médecine parce qu'elle
commençait à décrire les troubles psychologiques, puis il a lui-même fondé une
psychologie, la psychologie dynamique des conduites. Psychologue au milieu des
psychiatres, il n'eut de cesse toute sa vie de démarquer sa psychologie de la philosophie,
de la physiologie, de la psychiatrie et de la sociologie.
Mais peut-on aller plus loin et se demander ce qui intéressait Pierre Janet, à l'intérieur
même de la psychologie ? Je pense que oui, et, contre l'avis de Claude Prévost, je crois
que l'interrogation fondamentale de Pierre Janet, de son adolescence à sa mort, fut celle
de la croyance. Est-ce un hasard si la croyance, comme tendance moyenne, constitue le
centre de sa hiérarchie des conduites, de sorte que toutes les autres y convergent par
des élévations ou abaissements de la force ?
Hiérarchie en échelle
Laissez-moi vous proposer une version différente de la hiérarchie janétienne, qui
préserverait ses propriétés heuristiques en psychologie et en psychiatrie, mais qui aurait
un double avantage : d'abord, elle atténuerait la référence darwinienne à Jackson, qui
n'est pas nécessaire à la psychodynamique janétienne. D'ailleurs les nouveaux
paradigmes évolutionnistes des Equilibres Ponctués du regretté Gould et de la Théorie
Neutraliste de Kimura invalident Jackson. D'autre part, elle mettrait les croyances
asséritive et réfléchie au centre " réel " de la dynamique janétienne, comme
probablement elles l'étaient vraiment dans sa motivation. Voilà pourquoi je propose de
substituer des blocs à l'échelle précédente.
Hiérarchie par blocs
Or, nous en arrivons à mon sens à un grand drame de notre temps : cette psychologie
des croyances n'existe plus dans la recherche, depuis Pierre Janet. Pire encore, toute la
psychologie dynamique dans son ensemble a été éradiquée de la recherche en
psychologie (au moins en France, où elle était née). La conséquence majeure de ce
funeste désistement, c'est que les psychologues n'ont plus rien à dire sur certains
phénomènes fondamentaux de notre société et de l'actualité, qui sont laissés à débattre
aux médecins, aux journalistes, aux statisticiens ou aux politiciens. En éliminant la
psychodynamique de son sein, la psychologie s'est éliminée elle-même de la pensée
contemporaine. Quant au public et aux décideurs, ils sont livrés pareillement à
l'ignorance, au doute, ou à l'erreur.
Pointons trois aspects de cet état de fait.
1 - La psychothérapie, qui est une application de la psychodynamique, a donc disparu de
la recherche également. Un psychiatre ou un psychologue qui souhaite s'y exercer
doit…en inventer une lui-même, ou alors sortir de son institution de recherche par une
démarche personnelle, et aller se former auprès d'organismes privés, affranchis de tout
contrôle des connaissances. La psychodynamique a certes fleuri depuis 70 ans, mais elle
n'est plus pratiquée qu'au sein de ces communautés.
2 - La médecine d'influence et de suggestion est en plein essor : médecines
traditionnelles ou alternatives, produits sans effet pharmacologique, envolée remarquable
des parapharmacies. Privée de psychodynamique, la psychologie est réduite au silence
sur ces phénomènes quotidiens, très réels pour chacun de nous et de nos proches, lourds
d'enjeux économiques internationaux. Les décideurs, les acteurs et bien sûr le public,
tous sont lésés par ce silence coupable, la connaissance, éminemment édifiée par Pierre
Janet, y est bafouée.
3 - La croyance superstitieuse (pratiques ésotériques) ou la croyance religieuse, dont
l'actualité livre depuis peu les effets parfois catastrophiques, a perdu à la fois son
explication et le traitement de ses formes pathologiques. Passionné des états du
mysticisme, érudit et correspondant de tous les spécialistes de son époque, Pierre Janet
s'y consacra toute sa vie de façon récurrente. Ces connaissances avancées de l'Europe
savante des années 30 sont négligées à l'heure où elles serviraient le mieux la curiosité...
et même la paix.
L'Institut Pierre Janet aura pour ambition de développer la psychologie dynamique,
espérant démontrer à la recherche publique tout l'intérêt qu'elle aurait à la réintégrer en
son sein, comme une spécialité de psychologie, aux côtés de la psychologie sociale,
différentielle ou cognitive.
La psychologie dynamique de l'Institut Pierre Janet doit par ailleurs s'atteler au
programme de recherche que Pierre Janet n'a pas eu le temps de développer, quoique
toute son œuvre y tendait irrésistiblement : psychologue et non aliéniste, Pierre Janet
cherchait à comprendre l'homme sain. Il a fondé la psychopathologie pour que la
psychologie de l'homme sain trouve les fondements conceptuels et méthodologiques qui
lui avaient manqués à l'époque de Hume ou de Maine de Biran, encore philosophes, mais
de nos jours, la psychodynamique peut puiser à d'autres sources que la
psychopathologie, comme Pierre Janet lui-même l'appelait de ses voeux dans "Les débuts
de l'intelligence" (1932) : la psychologie comparée, la psychologie évolutionniste,
l'anthropologie et bien sûr les sciences cognitives apportent des données pertinentes à
prendre en compte pour étudier sur une base dynamique nos croyances et nos
sentiments.
Comment dynamiser cette recherche, florissante il y a 70 ans, émergente actuellement ?
- L'IPJ aura pour principale mission de centraliser l'information janétienne mondiale,
grâce à son site Internet.
- De plus, il organisera des journées d'étude dans les centres universitaires ou de
recherche, là où ses membres pourront l'accueillir.
- Par ailleurs, un des organes majeurs de nos initiatives, est dores et déjà la revue
électronique Janetian Studies.
- Enfin, nous proposerons aux facultés des sujets de mémoire ou de thèse, lors desquels
les étudiants pourront venir consulter l'œuvre à l'Institut.
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