LE TAUX DE CHANGE EST-IL ENCORE AUJOURD'HUI UN BON FACTEUR DE COMPETITIVITE ? ESCP 2013 Introduction → contradiction apparente entre généralisation du principe des changes flottants, en tout cas pour les principaux pays développés, qui confie au marché la détermination du taux de change (valeur externe d'une monnaie nationale) et donc limite les possibilités d'interventions étatiques et les interrogations autour d'une « guerre des changes » (G. Mantega – 2010) ou le « mésalignement » de la valeur externe de certaines devises → utilisation politique du taux de change dans un objectif de compétitivité externe (définie de manière large comme la capacité d'une économie nationale à conserver et/ou gagner des parts de marché à l'échelle mondiale) a été fréquente dans l'histoire monétaire, la question est alors de savoir si l'utilisation de cet outil est encore efficace aujourd'hui, ce qui implique également de réfléchir sur la possibilité de mise en œuvre d'une réelle politique de change par les Etats. 1- Même si les règles de fonctionnement du SMI ont changé, l'action sur le taux de change peut avoir un impact sur la compétitivité a- Dévaluation et compétitivité externe une dévaluation pourra avoir un effet sur la compétitivité si elle se traduit par une baisse de la valeur externe de la monnaie supérieure à ce qui est nécessaire pour rétablir l'équilibre des comptes extérieurs (le déséquilibre peut être lié à une inflation plus élevée dans le pays – principe de la Parité des Pouvoirs d'Achat – ou à un différentiel de croissance significatif la dévaluation entraîne un effet prix (prix relatif des exportations baisse alors que le prix des produits importés augmente) et un effet volume (variation des prix entraîne une modification des comportements des acheteurs) –> ces effets se produisent de manière décalée dans le temps (courbe en J) l'analyse historique permet d'identifier des exemples de ce type de politique où une dévaluation entraîne un gain de compétitivité significatif et favorise la croissance : France (en particulier 1958 et 1969), Allemagne fédérale et Japon dans les années 50 et au début des années 60, NPIA dans les années 70 b- Dépréciation et compétitivité externe dans un régime de change flottant, le processus est plus complexe : la dépréciation du change peut être subie (acteurs de marché perdent confiance dans la monnaie et la vendent) ou choisie (le pays met en œuvre des politiques destinées à pousser la valeur externe de la monnaie à la baisse – généralement en augmentant la création de monnaie nationale) exemple significatif est celui des opérations de Quantiative Easing (QE) destinées à soutenir l'activité économique nationale mais qui entraînent aussi une dépréciation monétaire significative (Japon depuis le début des années 2000, Etats-Unis à partir de 2009, zone euro à partir de 2015) pour certains pays, la faible taille du marché des changes (Suisse) ou le maintien de contrôles assez stricts sur les flux de capitaux (Chine) facilite les interventions sur la valeur externe de la monnaie c- Les conditions d'efficacité la dévaluation et/ou la dépréciation de la monnaie suppose cependant des conditions d’efficacité la première condition porte sur les élasticités (condition (ou théorème) de Marshall-Lerner) : pour que l'effet volume puisse avoir un impact favorable sur le solde extérieur, il faut que les exportations et les importations réagissent de manière significative à la variation de leur prix la deuxième condition porte sur l'inflation : une hausse des prix des produits importés peut entraîner des tensions inflationnistes (inflation par les coûts mais aussi hausse des salaires destinée à compenser la baisse du niveau de vie – effets de « second tour ») qui annihilent l'impact de la variation du taux de change ==> la politique de change apparaît alors en première analyse comme un instrument efficace pour atteindre un objectif d'équilibre (ou d'excédent) des comptes extérieur mais aussi pour soutenir la croissance et, plus largement, impulser une stratégie de développement. De ce point de vue les interrogations à propos de la participation à la zone euro (interdisant de facto dévaluation ou dépréciation) de pays dont la compétitivité est fragile souligne l'importance de cet outil 2- Le lien taux de change – compétitivité est cependant aujourd'hui beaucoup plus complexe a- La baisse du taux de change n'a pas d'effets positifs automatiques rappel première partie : la dévaluation peut déboucher sur des spirales inflationnistes. On peut alors dans certains pays se retrouver face à des crises de change (forte baisse non désirée de la valeur externe de la monnaie) les effets de la baisse de la valeur externe de la monnaie peuvent être limitées par le comportement d'entreprises qui ne la répercutent pas dans leurs prix (priorité à la marge sur le prix) la baisse du taux de change peut se révéler une solution de facilité en ne forçant pas les économies concernées à mettre en place des mesures de compétitivité plus structurelles dans le cadre de politiques non coopératives entre les Etats, des spirales de dévaluation/dépréciation peuvent se mettre en place (années 30, interrogations aujourd'hui sur la guerre des monnaies) b- L'appréciation du change peut également être un facteur de compétitivité l'appréciation du change peut permettre de maîtriser l'inflation pour ensuite déboucher sur une compétitivité plus structurelle (politique du franc fort dans les années 80) l'appréciation du change peut contraindre l'économie concernée à monter en gamme dans ses productions l'appréciation du change peut pousser à réorienter la croissance vers le marché intérieur en la rendant moins dépendante des débouchés extérieurs (Chine aujourd'hui) c- La compétitivité d'un pays renvoie à des enjeux plus larges la compétitivité passe également par les coûts et non seulement par les prix : dynamique des salaires et productivité sont des éléments essentiels la compétitivité est également liée à des facteurs qualitatifs (compétitivité hors prix) la dynamique actuelle de la mondialisation, marquée par l'accélération des flux de capitaux internationaux mais aussi le rôle accru joué par les firmes dans les flux commerciaux (DIPP, segmentation des chaînes de valeur) conduit également à mettre en avant l'attractivité d'un territoire comme facteur important dans la compétitivité de l'économie Conclusion La manipulation du taux de change a été et reste encore un instrument de compétitivité dont les Etats ont largement usé et qu'ils cherchent encore à utiliser. Cependant il convient de relativiser l'importance de cet instrument : ses conditions d'utilisation sont significativement plus complexes dans un système de changes flottants, la variation du taux de change présente des risques, en particulier en matière d'inflation, et ce n'est qu'un des outils possibles pour atteindre un objectif en terme de compétitivité. Au delà de ces interrogations sur la politique de change, on peut aussi réfléchir plus largement sur le sens de l'objectif de compétitivité : condition nécessaire de la croissance si on la comprend dans son sens le plus large, le compétitivité ne serait-elle pas en train de devenir, pour reprendre l'expression de Paul Krugman, une « dangereuse obsession » ? Extrait du rapport du jury On attendait des candidats qu’ils mobilisent des analyses théoriques (parité de pouvoir d’achat, courbe en J ou théorème des élasticités critiques par exemple), des références historiques (dévaluations compétitives des années 1930 ou dévaluation du dollar de 1971 par exemple), des faits et débats actuels (questions du taux de change des monnaies asiatiques, du dollar, de l’euro…). Les termes devaient être définis précisément et les mécanismes explicités. Certains candidats ont confondu dévaluation (en changes fixes) et dépréciation (en changes flottants) ; d’autres se sont éloignés du sujet en consacrant des développements trop importants aux différents systèmes de change ou en présentant trop longuement l’histoire du système monétaire international. Au total et comme les années précédentes, les bonnes copies sont celles qui ont rempli les exigences de l’épreuve : devoir construit autour d’une problématique d’étude ; réponse précise au sujet ; capacité à se prononcer en fonction des éléments mobilisés dans l’argumentaire ; points d’appui factuels et théoriques permettant d’étayer les assertions ; maîtrise des mécanises ; emploi d’un vocabulaire rigoureux.