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Discours théologiques et ecclésiaux récents sur l’homosexualité au Québec
Isabelle Archambault
Professionnelle de recherche
Faculté de théologie et de sciences religieuses
Université Laval, Québec (Canada)
Guy Jobin
Professeur agrégé de théologie morale et d’éthique
Faculté de théologie et de sciences religieuses
Université Laval, Québec (Canada)
Cet article a été rendu possible grâce au soutien financier du CRSH.
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Résumé
Le débat sur le mariage entre conjoints de même sexe au Canada a relancé le débat, interne
au catholicisme, sur le statut moral de l’homosexualité. En repérant les caractéristiques des
principaux discours théologiques et magistériels sur la question, nous voulons montrer les
changements dans l’argumentation des protagonistes québécois de ce débat. Nous
constatons que des supporteurs et des opposants d’une conception méliorative de
l’homosexualité s’empruntent des arguments pour prouver leurs thèses. Toutefois, ces
emprunts sont faits à partir de positions épistémologiques et morales qui ne permettent
aucun rapprochement.
Liste de mots-clés :
homosexualité, Église catholique, théologie, morale sexuelle, discours
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Le Québec contemporain a connu plusieurs débats tant moraux que juridiques sur
des questions de régulation de la sexualité humaine. Depuis plus de quarante ans, plusieurs
questions touchant les transformations du rapport symbolique et juridique à la sexualité ont
marqué la sphère publique : la décriminalisation de la vente de moyens anticonceptionnels
et de la diffusion de renseignements concernant la contraception (1966), la dépénalisation
de l’avortement (1969), la Commission royale d’enquête sur les nouvelles techniques de
reproduction (1989-1993), les législations fédérale et provinciale contre la discrimination
basée sur l’orientation sexuelle (1975 au Québec, 1982 au Canada), et plus récemment
l’adoption de la Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation
(Québec, 2002) et la Loi sur le mariage civil (Canada, 2005)
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. Ces modifications
législatives, entérinant des déplacements de consensus moraux au sein de la majorité de la
population, sont des manifestations d’un phénomène marquant l’Occident : l’émergence,
au XXe siècle, de ce que nous pourrions nommer la question sexuelle. L’expression
« question sexuelle » fait évidemment référence à un phénomène du XIXe siècle : la
question sociale. C’est que l’émergence des deux questions présente des caractéristiques
communes
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.
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Cette énumération n’est pas exhaustive. Elle se limite aux débats moraux qui ont eu une répercussion dans
la législation, en somme des débats moraux autour de projets de modifications juridiques. C’est pourquoi les
exemples donnés sont tout aussi bien canadiens que québécois.
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La question sociale, « posée » par les conséquences de la révolution industrielle sur l’organisation des
classes sociales et économiques de l’époque, a d’abord été portée par les revendications de justice sociale et
de reconnaissance pour le monde ouvrier, alors le grand exclu du développement capitaliste. Dans un second
temps, la réponse étatique à ces revendications fut élaborée sous forme de lois encadrant le travail (heures de
travail, âge minimum de travail, droits d’association syndicale, etc.). Par ailleurs, la société civile s’est elle
aussi organisée en cercles et groupes ouvriers (parfois liés à des Églises), en syndicats indépendants par
rapport aux grandes entreprises, pour ne nommer que ceux-là. Enfin, c’est assez tardivement que le magistère
romain a réagi, par l’entremise du pape Léon XIII, avec la publication de l’encyclique Rerum novarum qui
reçut l’accueil que l’on sait et qui lança la « tradition » moderne de l’enseignement social de l’Église
catholique. Il faut cependant noter que de nombreux catholiques n’ont pas attendu la prise de parole
magistérielle pour formuler des réponses pratiques à la question sociale. Ce cheminement de la question
sociale rappelle donc celui de la question sexuelle. En effet, là comme ici, des mouvements de revendications,
souvent d’inspiration féministe dans le deuxième cas, ont été les vecteurs de la discussion publique sur les
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La question sexuelle est complexe. Elle se décline en plusieurs enjeux différents liés
à des institutions (politiques ou civiles) ayant pour fonction de réguler l’activité sexuelle.
Elle suscite des transformations tant juridiques que symboliques
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. Les enjeux liés à la
question sexuelle appellent une réflexion qui dépasse celle d’une éthique sectorielle, en
l’occurrence une éthique de la sexualité, à l’instar de la question sociale qui, en son temps,
ne s’est pas limitée à une pure éthique économique. En clair, la question sexuelle touche
les institutions et les groupes porteurs d’un discours normatif sur la sexualité humaine,
notamment les institutions religieuses. Celles-ci, parce qu’elles occupent une fonction dans
la production de l’imaginaire et des normes, sont convoquées à prendre position et à
examiner quand ce n’est pas à-examiner les doctrines et les sources mobilisées dans
l’élaboration des discours théologiques et ecclésiaux en situation.
Un des épisodes récents ayant relancé la question sexuelle dans l’Église catholique
au Québec et au Canada est l’enjeu politique et moral de la reconnaissance juridique de
l’union entre conjoints de même sexe. Cet enjeu est transnational; il touche plusieurs pays
occidentaux qui ont introduit des législations voulant accorder aux conjoints de couples
enjeux de la question sexuelle. Ils ont provoqué les réponses législatives évoquées dans le premier
paragraphe. En fait, le parallèle des deux questions tient sauf en ce qui concerne le discours magistériel.
Hormis un ajustement sur les finalités du mariage manifeste aux nos 47-52 de la Constitution pastorale
Gaudium et spes et un approfondissement personnaliste de la morale sexuelle, cette dernière demeure
encore aujourd’hui en porte-à-faux avec les expériences sexuelles des contemporains en s’en tenant à un
discours traditionnel sur l’exercice de la sexualité humaine. Le discours officiel en matière de sexualiest
porteur d’une vision plus positive de la sexualité qui n’est plus vue comme une activité éminemment délicate
et toujours en danger de verser dans le péché, mais le discours social magistériel qui est venu conforter les
efforts de chrétiens voulant changer les situations d’injustice envers les ouvriers n’a pas son équivalent dans
le domaine de la sexualité. Néanmoins, la question sexuelle apparaît tout aussi cruciale que la question sociale
puisqu’elle est intimement liée aux revendications de groupes marginalisés ou stigmatisés. L’identité sexuelle
est (encore) cause d’exclusion et de manifestations haineuses, au même titre que les identités ethnique ou
religieuse peuvent l’être.
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Des transformations juridiques telles que la modification de lois et l’élargissement de la notion juridique de
discrimination à celle basée sur l’orientation sexuelle; des transformations symboliques concernant la notion
de couple, l’institution du mariage, la redéfinition de la notion de fécondité sur des bases qui ne sont pas que
biologiques.
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homosexuels les mêmes droits ou des droits équivalents à ceux de couples hétérosexuels
4
.
Tout en ayant des caractéristiques semblables d’un État à l’autre, cet enjeu prend la couleur
propre du contexte social, juridique, moral et religieux du lieu les débats publics et
parlementaires sont tenus. Il a suscité maints discours et analyses au sein des Églises
chrétiennes établies au Canada
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. Il a polarisé les membres d’une même confession, quelle
que soit l’option choisie par les autorités ecclésiales sur la reconnaissance du mariage gai
et sur l’opportunité de bénir religieusement ces unions.
Par delà les débats légaux et juridiques, ce nouvel épisode de la question sexuelle
réactive la réflexion théologique, magistérielle et croyante sur l’homosexualité
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. En effet,
la question remise en mouvement ici est de celles qui occupent l’espace discursif ecclésial
depuis plusieurs décennies et qui ne cessent de refaire surface malgré une doctrine à peu
de choses près inchangée du côté du magistère catholique. Cette question porte sur le statut
théologique et moral de l’homosexualité.
Il y aurait toutefois une mise en garde méthodologique et théorique à faire pour qui
veut traiter de cette question. Voilà plus de dix ans, R. Bisaillon soulignait que l’enjeu
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Cette reconnaissance s’est faite sous le mode de la légalisation du mariage entre conjoints de même sexe
(Belgique, Espagne, Pays-Bas, Canada) ou sous le mode d’une union juridique autre que le mariage (France,
Danemark, Islande, Suède, Norvège, etc.).
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Pamela Dickey Young, « Same-sex Marriage and the Christian Churches in Canada », Studies in
Religion/Sciences religieuses, vol. 35, n° 1, 2006, p. 3-23.
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Cette réflexion passe par la production de discours dont les caractéristiques varient selon les acteurs qui
les énoncent. Les discours les plus proches de l’expérience communautaire de foi (ceux des croyants qua
croyants) sont dits discours croyants. Les discours magistériels prennent une distance réflexive en regard de
l’expérience croyante et émanent d’une instance régulatrice doctrinale interne. Les discours théologiques
participent aussi d’une réflexivité en regard de l’expérience croyante et proviennent de lieux habituellement
non liés aux instances régulatrices doctrinales internes. Dans cet article, nous nous intéresserons aux deux
dernières catégories de discours. Pour un regard plus large sur ces questions, le lecteur consultera avec
profit l’ouvrage de Guy Ménard qui collige le dossier de presse de la page « Idées » du quotidien Le Devoir
autour du débat canado-québécois sur la reconnaissance juridique de l’union entre conjoints de même sexe
(Guy Ménard [éd.], Mariage homosexuel. Les termes du débat, Montréal, Liber/Le Devoir, coll. « Éthique
publique Hors série », 2003, 274 p).
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