Cass. 24 octobre 2000 responsabilité pénale personnes

Responsabilité pénale des personnes morales
La loi du 10 juillet 2000 est source de discrimination entre les personnes physiques et
les personnes morales du point de vue de leur responsabilité pénale. La première application
de ce texte est posée par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du
24 octobre 2000 se prononçant quant aux conditions engageant la responsabilité des
personnes morales dans le cadre des délits non intentionnels.
En l’espèce, dans une usine à l’occasion d’une réparation, un contremaître responsable
de l’entretien avait décidé, sans en référer à sa hiérarchie, d’ordonner à un ouvrier d’utiliser
une échelle pour effectuer la réparation plutôt qu’une nacelle élévatrice prévue à cet effet.
Lors de cette opération, l’ouvrier ainsi perché et tenant une masse fut déséquilibré et
grièvement blessé lors de sa chute.
Dès lors à la suite de cet accident de travail, le contremaître, le responsable du service
d’entretien, le directeur d’usine et la société ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel
pour blessures involontaires.
Si tous les prévenus ont été relaxés par le tribunal de première instance, la Cour
d’appel de Lyon en date du 7 décembre 1999, soit sous l’empire de la loi de 1996, confirme le
jugement concernant uniquement le responsable du service entretien ainsi que le directeur de
l’usine ayant estimé qu’ils n’avait commis aucune faute délibérée ou caractérisée « au sens de
l’article 121-3, alinéa 4, du Code pénal dans sa rédaction issue de la loi du 10 juillet 2000,
immédiatement applicable » vue que le contremaître a pris seul l’initiative de l’intervention à
l’origine des blessures de la victime sans en référer à ses supérieurs. Cependant, elle rend un
jugement infirmatif quant au contremaître qui est reconnu coupable du délit de blessures
involontaires. En effet, la Cour d’appel établit la faute de négligence qui a consisté à avoir
recours à une méthode dangereuse pour réparer une avarie non urgente et alors qu’il était
possible de recourir à la nacelle élévatrice dont disposait l’entreprise. Enfin, quant à la
personne morale, les juges du fond concluent également son irresponsabilité, ils considèrent
qu’aucune infraction n’a été commise par un organe ou représentant puisque le seul acteur de
l’infraction était un contremaître ne bénéficiant pas d’une délégation de pouvoirs.
Un pourvoi en cassation est alors formé avec pour but de remettre en cause la relaxe
de la personne morale avec entre temps l’intervention de la loi du 10 juillet 2000 plus
favorable et par conséquent applicable aux infractions non encore définitivement jugées.
Les juges de cassation ont du alors se poser la question de savoir si une faute
d’imprudence applicable à une personne physique n’ayant pas la qualité d’agent ou de
représentant de l’entreprise, l’est également à la société personne morale ?
Le 24 octobre 2000, la chambre criminelle de la Cour de cassation casse partiellement
l’arrêt rendu par la Cour d’appel selon les articles 121-2 et 121-3 du nouveau Code pénal.
En effet, si la Haute juridiction maintient la relaxe du responsable de l’entreprise et du
directeur d’usine, elle fait une application rétroactive immédiate de la loi nouvelle et en trouve
un motif de cassation de l’arrêt de la Cour d’appel en ce que celle-ci a relaxé la société sans
avoir recherché alors qu’elle avait relevé des manquements à des prescriptions règlementaires,
si ces derniers n’étaient pas dus à un défaut de surveillance ou d’organisation du travail
imputable au chef d’établissement ou à son délégataire. Dès lors, La Haute juridiction ayant
relevé une insuffisance des motifs sur la seule relaxe de la personne morale a pu exercer sa
censure.
Ainsi, l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation rendu en date du 24
octobre 2000 pose le principe de la dissociation de la faute ordinaire qui continue en toutes
occasions à fonder la responsabilité pénale des personnes morales, de la faute délibérée ou
qualifiée réservée à la seule personne physique. Néanmoins, tout en apportant une nouvelle
conception de la responsabilité des personnes morales par la consécration d’une responsabilité
autonome (I), cette solution de la Cour de cassation en laissant un certain nombre de questions
en suspens est révélatrice de la discordance entre les nouvelles dispositions en matière
d’infractions non intentionnelles et le principe de responsabilité posé par l’article 121-2 du
Code pénal notamment quant à la formulation légale de cette responsabilité (II).
I Une nouvelle conception de la responsabilité des personnes morales : la consécration
d’une responsabilité autonome
Le champ d’application de la loi du 10 juillet 2000 est exclusif de la personne morale
en tant que sa responsabilité pénale peut être retenue même lorsque la personne physique,
auteur indirect du dommage, n’a pas commis de faute qualifiée. Cette nouvelle articulation de
responsabilité signe la consécration de la théorie de la responsabilité autonome de la personne
morale (A). De plus, cette dissociation de responsabilités se fait à l’avantage des personnes
physiques en dépénalisant pour ces derniers certains comportements involontaires (B).
A L’influence de la nouvelle définition de la faute non intentionnelle de la personne
physique sur la responsabilité pénale de la personne morale
Avant l’entrée en vigueur de la loi du 10 juillet 2000, la jurisprudence avait admis que
la responsabilité pénale des personnes morales était indirecte et qu’elle ne pouvait voir sa
responsabilité engagée que s’il était possible de relever, chez une personne physique
l’existence à la fois de l’élément matériel et de l’élément moral de l’infraction.
Il en est tout autrement par l’apport de la loi nouvelle qui dépénalise certains
comportements non intentionnels pour les personnes physiques tout en maintenant la
responsabilité pénale des personnes morales.
Dès lors, la Cour de cassation semble obliger de réviser sa conception de la
responsabilité telle qu’exprimée dans la décision du 24 octobre 2000 si dans un premier
temps la Haute juridiction a approuvé la relaxe des dirigeants personnes physiques au motif
qu’il n’y a qu’un lien indirect entre leur comportement et le dommage causé et qu’il est
impossible de relever une faute qualifiée à leur encontre, elle casse ensuite l’argument de la
Cour d’appel quant à sa cision concernant la personne morale en relevant le manquement
des juges du fond d’avoir recherché un « défaut de surveillance ou d’organisation » imputable
au dirigeant personne morale.
Ainsi, la Cour de cassation réaffirme son attachement au caractère indirect de la
responsabilité pénale des personnes morales en posant le principe de la dissociation de la
faute ordinaire qui continue en toute occasion à fonder la responsabilité pénale des personnes
morales, de la faute qualifiée réservée à la seule personne physique en cas de causalité
indirecte.
Cette solution traduit donc l’influence de la nouvelle définition de la faute non
intentionnelle de la personne physique sur la responsabilité de la personne morale qui revient
à considérer que la responsabilité de cette dernière n’était plus le reflet de la culpabilité,
sanctionnée ou non de la personne physique.
En outre, en cas de causalité indirecte sur le fondement de la faute délibérée ou
caractérisée, les personnes morales continuent à engager leur responsabilité sans restriction
aucune, même en cas de faute légère indirecte, signe d’une dissociation des responsabilités à
l’avantage des seules personnes physiques.
B une dissociation des responsabilités à l’avantage des personnes physiques
L’évolution rendue nécessaire de la loi nouvelle, rend désormais les personnes
physiques responsables pénalement qu’en cas de comportement imprudent qui n’a eu qu’un
lien indirect avec le dommage causé, sauf en cas de « violation manifestement délibérée d’une
obligation particulière de prudence ou de sécurité » ou de « faute caractérisée ». A contrario,
il y a dépénalisation du comportement imprudent lorsque celui-ci n’a fait que permettre la
réalisation du dommage sans l’avoir causé indirectement. Cette « dépénalisation » ne profite
donc qu’aux personnes physiques en tant que les personnes morales restent pénalement
responsables de leurs moindres fautes d’imprudence.
En l’espèce, si la Haute juridiction a retenu l’absence de faute imputable au
responsable du service d’entretien et au directeur de l’usine vue que l’absence de faute simple
d’imprudence préjugeait pour les personnes physiques visées, de l’impossibilité de
caractériser la faute qualifiée, tel n’était pas le cas pour la personne morale seule à même
d’engager sa responsabilité sur le fondement d’une faute simple indirectement liée au
dommage.
Ainsi, la règle permet de rechercher la responsabilité pénale de la personne morale
alors même que celle des personnes physiques ne pourraient l’être sur le fondement de la
faute qualifiée ce que le doyen Philippe Conte décrivait comme « un savant montage ayant
pour vertu de faire apparaître comme ayant joué un rôle causal indirect tous ceux qui agissent
par l’intermédiaire d’autrui, en exerçant un autorité, et opérant à décharge sur les simples
exécutants faisant figure de cause directe du dommage et les personnes morales chaque fois
que la faute simple sera indirectement liée au dommage ».
En outre, cette mise en œuvre de l’abandon de la théorie de la responsabilité par
ricochet aurait pu connaître un regain de vitalité par l’initiative législative de permettre à la
responsabilité pénale des personnes morale d’accéder à une certaine autonomie pénale en se
détachant de la responsabilité des personnes physiques.
Néanmoins, la théorie de la responsabilité autonome ne semble en réalité que relative
tant il semble difficile de concilier la poursuite des personnes morales tout en recherchant
l’intégralité des causes d’homicides ou blessures involontaires, signe d’un nécessaire
réajustement législatif (II).
II Une consécration relative de la théorie de la responsabilité autonome par la délicate
articulation des responsabilités entre personnes physiques et morales
Dans cet arrêt, la Cour de cassation rattache ce qui constitue l’élément moral de
l’infraction, identifié chez l’être moral, à la nécessité d’une intervention humaine pour le
compte d’une personne morale, c'est-à-dire à l’élément matériel de l’infraction, relativisant
ainsi la consécration de la responsabilité autonome (A). Cette délicate articulation une fois
mise en exergue semble traduire une nécessaire retouche législative pour pallier une lecture
jurisprudentielle minimaliste de la loi nouvelle (B).
A- La théorie de la responsabilité par ricochet simplement affaiblie : une responsabilité
pénale de la personne morale par lien de représentation
Toute la délicatesse de l’articulation des responsabilités des personnes physiques et
morales réside dans l’identification de l’organe ou le représentant de la personne morale ayant
commis une infraction pour le compte de la personne morale.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation reproche aux juges du fond d’avoir fait une
appréciation in concreto des faits à savoir de ne pas avoir recherché une faute légère, un
comportement imprudent de la personne morale révélé par les agissements non punissables,
des organes ou représentants qui aurait permis de retenir la responsabilité pénale de la société
compte tenu des manquements relevés.
Dès lors, par cette solution la Haute juridiction exige que soit établi un défaut de
surveillance ou d’organisation, indirectement lié au dommage et imputable au dirigeant pour
que soit retenue la responsabilité pénale de la personne morale et, ce faisant, elle renouvelle
son attachement à la théorie de la responsabilité par ricochet tout en l’affaiblissant.
En effet, l’identification de l’organe ou du représentant de la personne morale
constituant le point central de l’articulation entres les responsabilités, celle de la personne
morale ne deviendrait qu’une responsabilité indirecte en tant que la présence d’une infraction
et donc de ses éléments constitutifs ne doit pas être recherché directement dans la personne
morale, et, au-delà, personnelle par lien de représentation, nécessitant une infraction commise
par une personne physique.
Autrement dit, la personne morale, pour être condamnée, doit réunir l’ensemble des
éléments constitutifs de l’infraction, étant entendu que l’élément matériel - faute qualifiée
indirecte ou une faute d’imprudence directe - ne peut être que le fait d’une personne physique,
organe ou représentant, agissant « pour le compte » et dans le cadre du fonctionnement ou de
l’organisation habituelle de l’être moral.
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