Tétralogiques n° 20, Politique et Morale
Appel à contributions
« C'est une faute morale dont je ne suis pas fier. Je crois que je n'ai pas fini de la regretter »
déclarait Dominique Strauss-Kahn, invité du Journal de 20h de TF1 le 18 septembre 2011.
« La faute morale ne me permet pas de rester député » affirmait de son côté l'ancien ministre
du budget Jérôme Cahuzac le 16 avril 2013 au micro de RMC et BFMTV. Ainsi deux
hommes politiques, dont les comportements ont été à l'origine de deux des grandes
« affaires » françaises de la période récente, évoquent une « faute morale » qui les a conduit,
au moins momentanément, à interrompre leur carrière politique, semblant ainsi attester du fait
que cette dernière n'est pas compatible avec la mise à jour de telles « fautes ».
Mais comment s'assurer que les responsables politiques ne soient pas en faute ? À entendre la
rumeur contemporaine, la réponse serait à chercher dans la « transparence ». Dans l'affaire
Strauss-Kahn, il est vrai, une partie des commentateurs a commencé par s'offusquer de l'excès
de transparence de la justice américaine. Mais d'autres se sont réjouis de la fin de l'« omerta
française » Dans l'affaire Cahuzac, par contre, le gouvernement a réagi immédiatement par
l’annonce d'un renforcement des exigences de « transparence de la vie publique ».
Cette exigence de transparence (plus anciennement de « publicité ») ne date pas des dernières
décennies, mais elle est relativement récente d'un point de vue historique (on ne peut guère la
faire remonter au-delà du XVIIIe siècle). Comme le souligne Sandrine Baume, elle apparaît
alors comme une condition de la légalité (en s'opposant à l'arbitraire) mais aussi de la moralité
(en décourageant la « corruption » et les « agissements coupables »)1. C'est dire qu'elle est au
cœur de la philosophie politique des démocraties libérales.
La question des rapports entre politique et morale ne se limite cependant pas à cet appel à la
transparence. Elle lui est bien antérieure tant il est vrai que toute la philosophie politique
occidentale, au moins depuis Platon, s'est interrogée sur ce qui fonde la « vertu politique »2.
Chez Durkheim encore, le projet sociologique était indissociable d'un projet de réforme
sociale passant par l'intégration des individus dans des collectifs dotés d'une autorité morale.
Politique et morale étaient donc étroitement liées. Moins directement soucieux de réforme,
Max Weber quant à lui attachait toute l'importance qu'elles méritent aux motivations éthiques
de l'action, soulignant notamment l'existence d'une « affinité élective » entre l'éthique
protestante et l'esprit du capitalisme. On lui doit également la distinction, désormais classique
en sociologie comme en sciences politiques, entre éthique de responsabilité et éthique de
conviction. Mais la conférence sur la profession et la vocation de politique, dans laquelle il
introduit cette distinction, lui donnait également l'occasion de mettre en garde ses auditeurs
contre l'usage de certains arguments (prétendument) « éthiques » tant dans le domaine des
relations amoureuses ou conjugales que dans celui des relations internationales : en jouant
avec la culpabilité, ils peuvent se révéler catastrophiques. Ce qui lui permettait d'insister sur le
fait que les décisions politiques ont rarement l'effet escompté, y compris quand elles
paraissent moralement bonnes3. Sa sociologie, sans doute mieux que celle de Durkheim, aide
à concevoir que l'ordre politique ne se confond pas avec l'ordre moral, quand bien même ces
deux ordres interfèrent. Or c'est précisément sur cette dissociation entre l'ordre politique et
l'ordre moral que ce numéro de Tétralogiques entend insister, sans pour autant perdre de vue
la façon dont ils s'influencent mutuellement.