A) La réflexibilité comme production.
Le trait le plus immédiatement caractéristique de la réflexivité est qu’elle ne se définit pas
comme description mais comme construction d’un processus. Construction, puisque réfléchir
ne sera pas refléter ou donner une image de quelque chose d’initial mais produire des
concepts ou des images (ou formations, Bildung). Réfléchir consiste à produire la réflexion et
non à revenir sur un X préexistant. Pour le montrer, il n’est que de recenser les formules les
plus significatives de ce début de la WL 1813 : « notre première tâche est de construire l’unité
mentionnée plus haut »
ou : « cette formation de l’unité que nous devons produire
(Erzeugen) ». De même encore, Fichte précise que « la réflexivité comme comprendre du
comprendre » est « une réalisation qui est exigée »
, et qu’ainsi : « l’unité du comprendre » est
« une unité construite »
. Construction, réalisation, production, tels sont donc les premières
expressions qui viennent remplir ce terme de réflexibilité, et il serait loisible ici de multiplier
les citations, puisque, quasiment à chaque paragraphe des premières conférences, surgissent
des qualificatifs qui tous relèvent de l’agir productif. Ainsi la réflexibilité doit se produire
elle-même comme : « comprendre du comprendre » et non dévoiler une nature antécédente.
Pour mieux saisir ce premier trait de la réflexibilité donnée dans la WL 1813, sans doute
convient-il, un bref instant, de l’opposer aux habituelles définitions de la réflexion.
Traditionnellement, la réflexion se donne comme retour sur une nature antérieure ou comme
visée d’un état de fait ou d’une res précédent l’acte de réfléchir. Prenons ici deux exemples,
aussi canoniques que différents : la réflexion chez Descartes et Locke, c’est-à-dire la réflexion
métaphysique d’un côté, psychologique de l’autre. Descartes, dans les Méditations
métaphysiques, est conduit à penser le mouvement réflexif sur le modèle du retour sur un X
antérieur
. Au moment même où, abandonnant la simple énonciation du performatif
: “ Je
suis, j’existe, cette proposition est vraie chaque fois que je la prononce ou la conçoit en mon
esprit ”, Descartes pose la question : “ Mais quel donc que je suis ? ”, il fait du moi un objet
sur lequel se penche un sujet questionnant, réalisant ainsi un inévitable dédoublement. C’est
précisément ce mouvement d’objectivation (comme passage d’un acte à une res) auquel
renonce Fichte par sa notion de réflexibilité en 1813, comme il y renonçait déjà par sa notion
de réflexion dès 1793. Locke, quant à lui, comprend la réflexion comme prise de conscience
. WL 1813, p. 11.
. Ibid., p. 15.
. Ibid., p.12.
C’est ce mouvement que M. Gueroult, dans son Descartes selon l’ordre des raisons (Aubier-Montaigne,
1953) a appelé “ l’objectivation du cogito ”.
Sur la conception de la première énonciation du Cogito comme performatif, voire outre l’article fondateur
de J. Hintikka “ Cogito ergo sum, Inference ou performance ”, Philosophical Review, 1962 ; J.-M. Beyssade, La
Philosophie première de Descartes, Flammarion, 1979, p. 250 ; J.-L. Marion, Sur la théologie blanche de
Descartes, PUF, 1980, p. 380