C) L’infini dans la philosophie
Rappelons tout d’abord l’un des gestes les plus significatifs, à mon sens, des Doctrines de la
science : le mouvement du savoir est le processus du sublime. Loin d’être relégué dans le seul
champ esthétique, le sublime est la dynamique de l’esprit. La promotion du concept de
sublime au rang de processus gnoséologique résume le parcours effectué par chaque doctrine
de la science, parcours qui conduit toujours de la critique de la connaissance objectivante à la
caractérisation d’un savoir au-delà de la représentation.
Si l’on reprend les analyses kantiennes de la Critique de la faculté de juger, le sublime est
défini comme tentative de « présenter l’infini ». Dans ce contexte, le sublime est le contre-
concept du beau qui, toujours, procède de la forme de l’objet, de sa figure, laquelle consiste
en une délimitation. Le beau renvoie à l’idée de contours, de délinéation, de limites. Or, le
sublime opère à l’inverse et tente de présenter l’infini. Le sublime se donne comme une anti-
figure. Mais si le processus du sublime est tentative de présentation de l’infini, il ne s’agit
évidemment pas d’une présentation positive ; il est à ce titre révélateur que l’énoncé donné,
par Kant, comme sublime soit le deuxième commandement : « Tu ne feras pas d’idole ni
aucune image de ce qui est dans les cieux en haut ou de ce qui est sur la terre en bas, ou de ce
qui est dans les eaux, sous la terre ». Parce que l’infini ne peut être contenu dans aucune
figure, le sublime signe la faillite de la figuration, la faillite de la représentation objective, la
faillite de la circonscription en des limites définies. Le sublime est donc le moment où la
figuration est récusée. Parce que la tâche, dans le sublime, consiste à nouer fini et infini en un
même acte, il ne s’agit plus d’avoir recours à la représentation mais de procéder à sa mise en
question. En un mot, chez Kant, le sublime est la mise en question du représentable. Or,
Fichte fait du sublime la marque même de la mise en œuvre du savoir. De fait, si nous
reprenons, à tire d’exemple parmi d’autres possibles, la structure de la Nova Methodo, la
dynamique est celle du sublime. Fichte y explique, dès les premiers paragraphes, que le Moi
ne peut s’attribuer immédiatement l’infinité comme prédicat ; pour le dire plus précisément,
l’infini de la liberté ne peut se représenter sans se déterminer, se limiter. Mais cette limitation
semble requérir la constitution d’un objet ou d’une figure qui, parce que insérée en des limites
précises, pourrait devenir appréhendable. De là naît la contradiction entre liberté et
représentation. Ce moment correspond au moment de l’échec dans l’analyse kantienne du
sublime. Mais il s’agit ici d’un échec fécond puisqu’il donne naissance à de nouveaux
concepts (par exemple, le concept de fin, puis l’impératif catégorique). Cette relation du fini
et de l’infini, comme dynamique de la liberté et du savoir de liberté, loin d’être un idéal
inaccessible, est le processus même d’engendrement de la vérité. Les concepts intermédiaires