2– Visitation – Mission

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2– Visitation – Mission
 Marie de la Passion
« Marie est apôtre,
la première apôtre de Jésus »
« Il me parle » n°281, 15 décembre 1885
« Pressée par la charité de Jésus Christ (2 Co 5, 14),
Marie se levant s’en alla en grande hâte par les montagnes en une ville de Juda.
en entrant dans la maison de Zacharie, elle salua Élisabeth (cf Lc 1, 39-47) […].
Tâchons de conquérir cette liberté sainte des enfants de Dieu
qui suppose une telle purification de l’être humain
qu’il ne forme plus en toute vérité
‘ qu’un même esprit avec le Seigneur ’ (1 Co 6, 17). »
Méditations t. 3, 2 juillet
« Marie apparaît dans ce mystère comme une vraie arche d’alliance,
portant en elle non plus les tables de la loi, mais l’auteur de la loi,
l’Emmanuel, venant faire avec l’humanité l’alliance de l’amour.
À peine conçu, il commence l’œuvre d’universelle propitiation. [...]
Marie est l'arche de paix, la Missionnaire qui porte Jésus . »
Méditations t. 2, 2 juillet Visitation
« Le mystère de la sanctification de saint Jean Baptiste dans le sein de sa
mère se révèle à nos âmes avec une simplicité digne de la divinité qui l’opère.
Devenu le Temple du Saint Esprit, le précurseur sera le témoin du Christ et
de son alliance avec l’humanité. [...] Il est le témoin du premier prodige du
Verbe incarné, mais Marie en est l'instrument .»
Méditations t. 3, 2 juillet.
« Dès que Marie,
[arche de paix, la Missionnaire qui porte Jésus], apparaît, [...]
avec Jean Baptiste le genre humain tressaille de bonheur,
car l’ennemi a été écrasé pour la première fois par le femme.
Aussi Marie chante sa victoire dans l'admirable cantique du
Magnificat.
Déjà, ô Marie, vous travaillez à étendre le règne de votre divin Fils
et préludant à notre vocation missionnaire, vous devenez notre
modèle. »
Méditations t. 3, 2 juillet
« À la vue de tant de merveilles, chantons avec Marie le Magnificat. »
Ibidem
I, Genèse d’une mission – 2, Visitation
 Constitutions
[Art 10]
Envoyées à notre tour,
et vouées à la mission universelle
selon nos priorités,
nous nous y engageons
d’une manière spécifique dans l’Église,
livrant nos vies
en disponibilité totale comme Marie,
et puisant notre dynamisme apostolique
dans l’Eucharistie [Art 36]
2
I, 2
« Nous ferons les missions à la manière de Marie. Par Jésus » 1.
Pour Marie de la Passion, c’est donc en regardant Marie que nous apprendrons notre
manière de « missionner ».
Reprenant le récit de Luc là où nous l’avons laissé, nous allons essayer maintenant de
saisir quelques grandes lignes de cette forme mariale de la mission , dans son jaillissement
premier : Lc 1, 39-56.
Nous utilisons ici la traduction faite à partir de l’original grec par Sr. Jeanne d’Arc O.P.
au plus près du texte, et aussi celle de la TOB.
Remarquons tout de suite que le récit est au présent, ce qui lui donne une grande force
d’évocation, et en même temps d’actualité.
Dans notre lecture méditée, nous allons répartir le texte en 4 parties , essayant d’y
découvrir quelque chose de ce qu’il a à nous dire comme FMM :
-
-
I. Vt. 39 – L’initiative missionnaire de Marie.
II. Vts. 40-45 - Une rencontre familière qui évangélise :
a. 40-41 - Marie et Élisabeth se rencontrent.
b. 42-45 – Elisabeth prophétise.
III Vts. 46-55 – Le Cantique de Marie.
IV Vt. 56 - Le séjour de Marie et son retour chez elle.

I – L’INITIATIVE MISSIONNAIRE DE MARIE (1, 39).
« 39 - Marie se lève en ces jours-là.
Elle va vers le haut- pays, en hâte,
dans une ville de Juda. »
 Un premier coup d’œil nous révèle déjà des chose intéressantes :
 Ce verset est un pont entre Annonciation et Visitation; il appartient aux deux récits,
qui sont inséparables et s’appellent mutuellement.
 En peu de mots, beaucoup de choses sont dites.
 « Marie se lève » - « elle va...en hâte ». Après le récit d’accueil d’une mission, c’est un
récit d’action immédiate et spontanée.
 Lorsqu’il s’agira plus tard de l’envoi des apôtres ou des disciples, ils y sont
nommément et expressément envoyés par le Christ. Ici, aucun récit d’envoi. Mais on
peut comparer cette initiative de Marie après la « théophanie » de l’Annonciation où
elle est devenue mère du Messie, à celle de Jésus partant au désert puis en Galilée
poussé par l’Esprit, après en avoir reçu l’onction messianique [cf Lc 4, 1, 14].
 Toutes les expressions sont porteuses de sens :
 Elle « se lève... » : Le verbe employé est celui qui s’applique à la résurrection.
Devenue, par l’action de l’Esprit, mère de Jésus, elle a reçu elle-même comme une
naissance à une vie nouvelle, celle de sa mission.
 «... en ces jours-là » : L’indication de temps est plus précise qu’il ne semble : Marie a
été avertie [cf 1, 36] qu’Élisabeth en est à son sixième mois; par ailleurs, le verset de
conclusion [56] nous apprend qu’elle va rester auprès de sa parente « quelque trois mois ».
Cela signifie qu’elle part tout de suite. Du reste, le texte ajoute qu’elle ne traîne pas en chemin :
1
« Il me parle... » n° 268, 18 décembre 1888.
3
I, 2

« Elle va...en hâte ».
Il peut y avoir plusieurs raisons à cela. En voici quelques-unes:
- Le devoir d’aide à sa parente qui est âgée, et dont elle pressent qu’elle aura besoin
de son assistance - les « œuvres de miséricorde » font partie de la loi mosaïque.
- L’intuition que « le signe » donné par l’ange a quelque chose à voir avec la
maternité miraculeuse dont elle est bénéficiaire elle-même: si son fils est le Messie
attendu, celui d’Élisabeth pourrait être le nouvel Élie qui doit préparer le chemin
devant lui [cf Ml 3, 23-24 et Annonce à Zacharie : Lc 1, 15-17].
- Le besoin de partager avec elle la joie et l’action de grâces pour les merveilles
opérées par Dieu grâce à elles, dans leurs familles et dans leur peuple...
- Si l’on compare ce départ en mission avec celui des disciples il y a peut-être encore,
comme pour eux, une autre raison à la hâte de Marie, même si elle ne le discerne pas
clairement : l’urgence de l’annonce de la Bonne Nouvelle . - Cf Lc 10, 4 :
« ... n’échangez de salutations avec personne en chemin. ». Note de la TOB : « Les
salutations orientales sont interminables. Or le message est urgent - cf 2 R 4, 29 ».
Et Marie est devenue servante de ce message.
 « ...vers le haut pays, ... dans une ville de Juda » .
Les indications de lieux, elles aussi, sont importantes.
- «Le haut pays » est celui où, sur le mont Moriyyah, se trouve la Demeure de Dieu,
symbolisant sa présence (« Shekhina ») parmi son peuple [Cf 2 Ch 5, 14]. Il s’oppose
à Nazareth, d’où arrive Marie, bourgade ignorée de la « Galilée des Nations » [cf Is
8, 23 ; 9, 1 ; – Mt 4, 15-16], d’où « rien de bon ne peut sortir » [cf Jn 1, 46 ; 7, 42].
Or celle qui en vient, petite et pauvre , est elle-même devenue sacrement vivant de
la présence divine, demeure de Dieu .
- « Une ville de Juda », tribu d’où est issu le roi David, ancêtre du Messie à naître.
Cette tribu est devenue si importante qu’elle a donné son nom au peuple Juif
(« Yehudi ») ; étymologiquement : Peuple de l’Action de Grâces, de la Louange.
Marie et Élisabeth, qui sont ici toute louange, accomplissent bien la vocation qui est
celle de leur peuple.
 
2
Jean Paul II, à l’aube du troisième millénaire, rappelle à tous les baptisés
l’urgence de la mission. Comment répercuter cet appel ?

II - UNE RENCONTRE FAMILIÈRE QUI ÉVANGÉLISE (1, 40-45)
De grandes choses pour le monde vont maintenant se dérouler dans le cadre banal de la vie
quotidienne.
a) Vts. 40-41 : MARIE ET ÉLISABETH SE RENCONTRENT
« 40 – Elle entre dans la maison de Zacharie
et salue Élisabeth.
41 - Or, quand Élisabeth entend
la salutation de Marie,
l’enfant tressaille dans son sein,
et Élisabeth est remplie d’Esprit Saint. »
2
Ce signe indiquera dans le texte sur la Visitation, les interpellations missionnaires.
4
I, 2
Deux petits versets qui, dans leur brièveté, évoquent la soudaineté et la simplicité des
interventions de Dieu par l’Esprit Saint dans l’histoire humaine. Interventions qui
bouleversent l’existence en quelques instants, comme va en témoigner le long concert de
louanges où les voix des deux femmes se répondent.
 Jetons d’abord un regard d’ensemble sur ce texte :
 Le premier verset met en avant Marie, et le second Élisabeth. Marie a l’initiative.
Élisabeth est accueil.
 Cependant, elles ne sont pas seules nommées. Dans ces quelques lignes, sont
rassemblées cinq des six personnes dont il sera question dans l’acte qui se joue. Au
sixième acteur : la Parole de Dieu faite chair en Marie, il sera seulement fait allusion au
verset 43. Ce n’est pas le moment pour lui de se faire entendre. Il est encore caché et
inaudible. Mais c’est sur lui que repose l’Esprit, acteur principal de cette scène et qui
va agir par Marie – comme plus tard dans l’Eucharistie, il agira par l’Église et ses
membres.
 En fait, nous assistons ici à une véritable « Pentecôte domestique »3, qui annonce et
prépare la future Pentecôte de l’Église [cf Ac 2, 1ss] . Elle nous fait d’emblée saisir la
signification de la mission du Verbe dans son Incarnation : donner au monde l’Esprit
qui fait vivre de la vie du Père.
 Quatre des personnes nommées sont des acteurs - actifs ou passifs - dans la scène qui
se joue. La cinquième, Zacharie, n’en fera pas partie. Pourquoi est-il mentionné ici ?
À cette question, plusieurs réponses possibles :
- La plus simple et la plus évidente : il est le père de l’enfant à naître. Un enfant
engendré selon les lois de la génération humaine, inséré par son père dans la tribu
sacerdotale de Lévi , mais qui va être promis par une seconde naissance, à une autre
vocation.
- C’est chez lui que la scène se passe.
- Mais ici, l’accent porte sur « sa maison » autant que sur lui-même. En milieu sémite,
« la maison » est un terme très riche. Il désigne « le foyer », « la famille », et plus
précisément encore « l’épouse », « la mère».
 Même si Zacharie n’est pas présent au moment de l’événement, son foyer devient
alors à l’image de la « tente de la rencontre » au désert du Sinaï, une demeure sur
laquelle repose la Nuée, et qui est envahie par elle [cf Ex 40, 34].
 Son fils à naître tressaille et son épouse prophétise au contact de Marie, portant
son Fils oint d’Esprit Saint.
 Or, le texte est clair à ce sujet : la présence de l’Esprit est « contagieuse ». Cette
présence purifie, sanctifie, vivifie, dynamise. Sans doute trouvons-nous là
l’explication de la conversion de Zacharie, qui n’est donnée nulle part ailleurs. En
effet, cette mention de « la maison de Zacharie » est placée par Luc entre la scène
de son manque de foi au Temple, lors de son service sacerdotal [cf Lc 1, 5-22], et celle où, après la naissance de son fils, sa langue libérée par la foi se délie, pour
obéir à Dieu et nommer, à la suite d’Élisabeth, son fils : « Jean » [cf Lc, 63].
Après quoi, rempli lui aussi d’Esprit Saint, il se met à prophétiser [cf Lc 1, 67-79].
Il n’est plus alors au Temple, mais « dans sa maison », devenue demeure de la
‘Shekhina’.
À noter d’ailleurs que sans aucun doute, à ce moment-là, Marie se trouvait encore
3
Cf. Jean Paul II, 31 mai 2001, fête de la Visitation : « La rencontre entre la Madone et sa cousine Élisabeth est
comme une sorte de ‘petite Pentecôte’.»
5
I, 2
auprès d’Élisabeth, puisqu’elle y demeura 3 mois [cf Lc 1, 56], c’est-à-dire
jusqu’à la date de la naissance.
 Enfin, notons que la tradition chrétienne s’est plue à interpréter la rencontre de ces
deux femmes comme un symbole de celle de la Synagogue et de l’Église . Sans doute
cette évocation a-t-elle pris parfois un aspect négatif de substitution du peuple de la
Première Alliance par celui de la Nouvelle. Mais aujourd’hui, ce signe nous parle plus
clairement et nous permet de mieux comprendre l’étroit rapport entre les
deux communautés, qui demeurent mystérieusement parentes. Élisabeth comme son fils
n’ont jamais fait partie de l’Église ; et pourtant celle-ci les a inscrits depuis toujours
dans la liste de ses saints ; comme aussi Abraham, Moïse, les prophètes…
 Lisons maintenant ces deux versets plus en détail.
 Vt 40 : « [Marie] entre dans la maison de Zacharie et salue Élisabeth » :
- La première démarche de Marie ressemble à celle de l’ange de l’Annonciation: elle
« entre », et elle « salue » . Elle est en effet « messagère » du Seigneur, au service
d’une mission : celle de Jean comme précurseur.
- Si, par ailleurs, nous poursuivons notre comparaison avec la mission des apôtres et
des disciples telle que la présente l’Évangile, nous nous apercevons de plusieurs
choses :
 À propos des lieux et des personnes : Apôtres et disciples sont envoyés à villes et
villages. Dans les paroles de Jésus qui les envoie, il est bien question de la maison
qui les reçoit ou ne les reçoit pas, mais en termes d’accueil, non d’évangélisation.
[Cf Lc 9, 1-6 ; 10, 1-11].
La mission de Marie, elle, s’adresse à une « maison », une famille, dans ses
diverses composantes.
 À propos de la manière d’évangéliser : Eux ont pour tâche d’enseigner
ouvertement, de « prêcher », d’opérer des guérisons [ibid.].
Elle, elle ne fait aucune prédication tant soit peu officielle, ne s’adresse pas
aux foules ; son action évangélisatrice passe par les gestes et les paroles de la vie
quotidienne, et par une célébration des merveilles opérées par le Seigneur.
 Quant à l’entrée en matière dans la rencontre avec les hôtes : Lorsqu’il envoie ses
disciples, Jésus leur demande de dire, là où ils seront accueillis : « Paix sur cette
maison »; sinon, « la paix reviendra sur eux et ils secoueront la poussière de leurs
pieds sur cette maison ». Car l’avènement de la paix est un signe messianique :
auront la paix, ceux qui se rangeront derrière le Messie [ibid.]
En ce qui concerne Marie, rien ne nous est précisé des paroles qu’elle a dites en
arrivant. Alors pourquoi noter qu’elle ‘ salue ’ Élisabeth ? Cela ne va-t-il pas de
soi ? En fait, cette salutation va avoir un grand retentissement. Sans aucun doute,
d’ailleurs, elle aussi fait un souhait de paix, puisque c’est, aujourd’hui encore, la
manière de se saluer quand on se rencontre, chez les peuples sémites. Et l’acte de
se saluer se dit en hébreu : birkat shalom = « bénédiction de paix ».
Cependant, comme nous l’apprend la suite du récit, cette parole - prononcée
en communion avec l’Enfant qu’elle porte et qui, dans « le vrai pouvoir de
l’Esprit4 », est Prince de la Paix - est efficace et transmet la vie, la paix, la joie; et
en même temps - selon l’étymologie du mot « shalom » - l’harmonie fruit d’un
accomplissement, d’une complétude .
 Que l’avènement de la paix soit comme le « fer de lance » du salut messianique,
cela sera clairement exprimé dans le Cantique de Zacharie (complémentaire de
4
Cf. Marie de la Passion .
6
I, 2
celui de Marie), lorsqu’à la naissance de son enfant il prophétisera lui aussi, sous
l’action de l’Esprit . Son fils en sera le héraut [cf Lc 1, 67-79].
 Vt 41 : « Or, quand Élisabeth entend la salutation de Marie,
l’enfant tressaille dans son sein
et Élisabeth est remplie d’Esprit Saint. »
Élisabeth, nommée au début et à la fin, est le personnage-clé de ce verset.
- Elle semble inactive. Et pourtant, elle n’est aucunement passive : elle entend, au
sens fort de la Bible, et de ces icônes orientales dont les personnages ont une petite
bouche et de grandes oreilles, pour signifier l’attente du cœur et l’attention à la
parole (ce n’est pas si facile : nous-mêmes, savons-nous toujours nous taire pour
« entendre » ?).
- Cette attitude réceptive de la mère rejaillit sur le fils qu’elle porte grâce à la
miséricorde du Seigneur : il « a jeté les yeux sur elle pour mettre fin à ce qui faisait
sa honte devant les hommes » [Lc 1, 25], comme il est advenu au temps jadis, à
Sarah, l’ancêtre.
- C’est donc par le canal de sa mère que la salutation de Marie atteint l’enfant ;
Élisabeth le sent bondir en elle , à la voix de ce message porteur de Vie, écho de la
Parole incarnée en Marie et dynamisée par l’Esprit. Comme l’ange en avait , à
l’avance, averti Zacharie : « … il sera rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa
mère » [Lc 1, 15]. Par là, il est comme un nouveau Jérémie, « consacré » pour sa
mission à venir [cf. Jr 1,5]. Prophète, et « plus que prophète », il sera le « nouvel
Élie » précurseur du Messie, selon Malachie [cf Ml 3, 23. – Lc 1, 17 ; 24, 26-27 ; Mt 11, 9-10. 14 ; 17, 10-13].
- Mystérieuse rencontre de ces deux enfants à naître, dans celle de leurs mères
respectives ! Ils n’ont, évidemment, pas encore conscience du sens de cette
rencontre ; bien plus tard encore, Jean fera demander à Jésus par ses disciples : « Estu ‘ Celui qui vient ’, ou devons-nous en attendre un autre ? » [cf Lc 7, 18-19]. Mais
elle est décisive.
- Marie, nous dit Marie de la Passion , est « instrument de sanctification » pour Jean.
En fait, elle l’est tout autant pour Élisabeth, dont la maternité humaine prend aussi,
maintenant, une dimension spirituelle grâce à l’action de l’Esprit qui, à son contact,
lui est communiqué, dont elle est « remplie », et qui lui fait intuitivement
comprendre le tressaillement d’exultation de son enfant. Si bien qu’elle va se mettre
à prophétiser .
Qui mesurera la fécondité spirituelle d’Élisabeth à travers les siècles, elle dont les
paroles sont entrées dans la prière quotidienne de l’Église, qui les redit
inlassablement de génération en génération ?

Nous pourrions nous demander si la mission aujourd’hui tient suffisamment
compte de l’importance de la « rencontre », avec toute la densité de cet acte
évangélisateur.
7
I, 2
b) Vts 42-45 : ÉLISABETH PROPHÉTISE, EN CÉLÉBRANT LA MÈRE DU MESSIE
« 42 - Elle élève la voix avec un grand cri et dit :
‘ Bénie es-tu entre les femmes,
et béni le fruit de ton sein !
43 - Comment m’est-il donné que vienne vers moi
la mère de mon Seigneur ?
44 – Car voici :
lorsque la voix de ta salutation
est parvenue à mes oreilles,
il a tressailli d’exultation,
l’enfant dans mon sein !
45 – Heureuse celle qui a cru
que serait accompli
ce qui lui fut dit de la part du Seigneur ! »
 Dans une première approche globale:
 Nous constatons repérons des mots et expressions qui se répondent 2 à 2 :
« Elle élève la voix / « la voix de ta salutation » [42, 44],
« béni », « bénie » / « heureuse » [42, 45],
« le fruit de ton sein » / « l’enfant dans mon sein » [42, 44],
« la mère de mon Seigneur » / « celle qui a cru que serait accompli ce qui lui fut
dit de la part du Seigneur »[43, 45].
 Cela permet de repérer dans ce passage, deux parties presque symétriques :
Vts 42-43 : La célébration d’une bénédiction sur Marie et son fils.
Vts 44-45 : Les circonstances de cette célébration.
- Ces deux parties forment comme les couplets d’une sorte de cantique, en prose
rythmée. Le texte reprend l’événement des vts 40-41, sur un mode lyrique : procédé
connu de la Bible, pour approfondir – souvent postérieurement aux événements – le
sens de ce qui est arrivé, et qui a toujours valeur actuelle (exemple : la libération des
hébreux d’Égypte - en Ex 14, et 15 ; la naissance de Samuel - en 1 S 1, et 2, 1-11…).
- Ce cantique est provoqué par le « tressaillement d’exultation » de l’enfant
d’Élisabeth qui, elle-même, dans le fils de Marie, reconnaît le Messie promis, et dans
le sien le précurseur. C’est un cantique de joie exubérante : « un grand cri » qui
traverse les siècles. Il revêt un caractère solennel, presque liturgique.
- Sans doute avons-nous là un écho de la voix de l’Église des origines pour qui, avec
la tradition biblique, la joie est un signe messianique.
 Tâchons maintenant d’entrer un peu plus avant dans le sens des mots.
 Vts 42 et 44 : « La voix… »
- C’est l’Esprit qui est le maître d’œuvre. Et c’est lui le grand acteur de cette scène,
avec la collaboration des deux femmes. Chacune des parties de ce poème en prose
s’ouvre sur la mention de « la voix » : celle d’Élisabeth (vt 42), puis celle de Marie
(vt 44). Mais l’une et l’autre sont porteuses d’une autre « Voix ». Avec le
« Souffle », ce vocable est en effet l’un des symboles pneumatologiques forts .
 Sans voix, la parole demeure inaudible. Elle est inactive, inutile. Dans la relation
humaine, comme dans la relation entre Dieu et l’homme, c’est la voix qui établit
la communication interpersonnelle. Elle incarne la parole, la fait passer de la tête
dans le cœur et la personnalise, l’enrichit de sens et de chaleur, la rend terrible ou
8
I, 2
désirable, en fait jaillir des harmoniques…
 Or en Dieu, si le Fils est la Parole du Père, l’Esprit en est la Voix qui la porte.
À la Pentecôte du Sinaï déjà, les Dix Paroles sont transmises à Moïse au milieu
d’un concert de « Voix » que le peuple perçoit et dont il est impressionné [cf Ex
19, 16-19].
C’est cette même Voix puissante et éclatante que chante le Psaume 29 (28), et qui
s’exprime avec force par la bouche des prophètes.
Pourtant, lorsque se sont tus les prophètes, avec les livres de Sagesse elle est
encore là mais ténue, incarnée dans le quotidien (« Bat-Qol », ou « fille de la
Voix ») ; il faut bien l’écouter pour l’entendre. Comme le vent qui « souffle où il
veut, […] tu entends sa voix mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va »[Jn 3, 8].
Cette même « Voix » encore se manifeste lors de la Pentecôte chrétienne, par le
« violent coup de vent », les « langues de feu » qui se posent sur tous les assistants
et les fait « parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer »
[cf Ac 2, 1-4].
- À la Visitation, c’est par la voix de Marie que passe la Voix de l’Esprit, établissant
le contact entre la Parole faite chair en elle, et le fils d’Élisabeth.
Celle-ci « élève la voix avec un grand cri et dit : […] ‘ Lorsque la voix de
ta salutation est parvenue à mes oreilles, il a tressailli d’exultation,
l’enfant dans mon sein !’ ».
 À ce signe, Élisabeth reconnaît avec respect et exultation la mère de celui qui fait
l’objet de la longue attente et de la préparation séculaire d’Israël : ‘ mon Seigneur ’,
comme elle le nomme.
 Ainsi Jean, fils de son peuple, est-il dès avant sa naissance, en quelque sorte
déjà ‘ rené de l’Esprit ’ [cf Jn 3, 5-8], dans la nouveauté. De même que Jésus,
fils de David , ne sera pas roi selon la tradition humaine, lui, fils de Lévi, ne sera
pas prêtre. Il naît à sa mission de précurseur, annonciateur du Messie Serviteur :
‘voix qui crie dans le désert ’, ‘ ami de l’époux ’, appelé à lui ‘ préparer la voie ’.
Il résume et condense en lui-même la vocation de tout son peuple, passé, présent
et encore à venir : appeler le monde à se tourner vers le Dieu qui vient à sa
rencontre.

Dans la perspective de notre méditation, ne pouvons-nous pas voir là une
invitation à écouter l’Esprit à l’œuvre, dans nos rencontres avec ceux qui
professent d’autres religions et vivent dans d’autres cultures, comme le Pape y
convie si ardemment l’Église aujourd’hui ? ceux qui, sans recevoir le baptême
chrétien, sont « baptisés dans l'Esprit ». D’où, entre autres :
 Connaissance et reconnaissance :
 des juifs et de leur vocation toujours actuelle [cf Is 2, 2-5] ;
 de la judaïté de Jésus et des racines hébraïques de l’Église ;
 de ceux qui suivent d’autres traditions religieuses : en leur sein se
préparent mystérieusement, dans la pluralité des cultures, les voies à
l’action salvifique de Jésus Messie.
 Respect mutuel, dans l’unité d’un même dessein d’amour du Père pour ses
enfants.
 Émerveillement de l’action de l’Esprit en tout cœur ouvert à son inspiration.

Vts 42 et 45 : Bénédictions et béatitude.
Mais c’est aussi par la voix d’Élisabeth qu’il manifeste la bénédiction du Père sur
Marie et sur son enfant. Dans la soudaineté de l’illumination intérieure, c’est « dans un
grand cri » que « remplie d’Esprit Saint […], elle élève la voix ». Un cri qui est
9
I, 2
proclamation 5 de foi dans le « Seigneur »-Messie et dans sa mère ; proclamation dont
l’écho se transmet à travers les siècles, au delà même de l’Église, puisqu’il se répercute
jusque dans le Coran, - même si celui-ci ne reconnaît pas la divinité du Christ 6.
 Bénédictions :
« Bénie es-tu entre les femmes et béni le fruit de ton sein » [42].
Quel est le sens de cette double bénédiction ?
 Ce terme biblique est très fort et sa signification peut varier selon les cas. Qui
donc bénit, et qui est béni ? – Dans la Bible, la bénédiction est réciproque. Dieu
bénit l’homme et l’homme bénit Dieu ; l’homme, aussi, bénit son semblable. Dans
ce dernier cas, il peut s’agir soit d’un souhait : « Que Dieu te comble de tous ses
dons ! », ou d’une constatation : « Dieu t’a comblé de ses dons ! ».
 Quant à la prière liturgique juive, elle est essentiellement une prière de
bénédiction. Le peuple bénit Dieu pour tous ses bienfaits : ceux de la vie
quotidienne, comme ceux des grands événements de l’histoire. Si bien que le texte
de base de la prière journalière s’appelle : « Les dix-huit bénédictions ».
 Dans le cas qui nous occupe, l’expression : « Tu es bénie entre les femmes » a des
antécédents dans l’histoire du Premier Testament. Ils peuvent nous aider à saisir
des harmoniques dans les paroles d’Élisabeth.
 Cette expression apparaît pour la première fois dans le Livre des Juges: le
Cantique de Débora [Jg 5, 2-31] est une hymne à Dieu qui a donné la victoire
sur Sisera par la main d’une femme, Yaël, alors que les hommes de la ville,
eux, « ne sont pas venus au secours du Seigneur » [Jg 5, 23] – expression
étonnante !….
 Plus tard, vers le 2e siècle, les mêmes termes de bénédiction seront employés
au sujet de Judith, dont la légende rapporte qu’elle a délivré Israël
d’Holopherne. Ici encore, la délivrance vient de Dieu par la main d’une femme.
En Jdt 13, 17-18, les habitants de Béthulie assiégée bénissent Dieu pour ce
haut-fait ; et de plus, Ozias, chef de la ville, adresse à Judith elle-même une
bénédiction : « Ozias lui dit : ‘ Bénie sois-tu, ma fille, par le Dieu très haut,
entre toutes les femmes qui sont sur la terre ! Et béni est le Seigneur Dieu, qui a
fait le ciel et la terre ’. »
 En employant les mêmes termes, Élisabeth se situe dans la même perspective
de libération opérée par Dieu au moyen d’une femme. Mais certains indices
suggèrent de plus un accomplissement. Car ici :
 Le salut-libération n’est pas acquis par un acte de violence, mais par une
naissance.
 La bénédiction sur Marie n’est pas un souhait, mais une affirmation : de
même que l’ange reconnaît en elle, celle « qui a la faveur de Dieu » [Lc 1,
28 », de même Élisabeth constate et proclame : « Tu es bénie entre toutes
les femmes ».
 Et cela, parce que l’enfant qu’elle porte, lui aussi, lui le premier, « est
béni » . Messie pour Élisabeth [1, 43], et de plus pour les premiers chrétiens
Fils de Dieu, il est celui qui apportera la vraie libération, le « salut par le
pardon des péchés… sur la route de la paix »[Lc 1, 77. 79 : Cantique de
Zacharie].
5
Le verbe grec employé : « anaphonein », en effet, appartient au vocabulaire liturgique et signifie proclamer.
« L’ange dit : Ô Marie, Dieu t’a choisie, il t’a purifiée ; il t’a choisie parmi toutes les femmes des mondes. »
[Coran, III, 42].
6
10
I, 2
 Dans l’Église des premiers chrétiens, cette double bénédiction de la mère et du
fils se tient étroitement, et représente un acte de foi en l’identité du Christ vrai
Dieu et vrai homme. Si Marie « est bénie entre toutes les femmes », c’est que,
choisie par le Père pour donner le Christ-Sauveur au monde, seule elle est à la
fois vierge et mère, et seule garante de l’origine divine de son fils qui tient d’elle
son humanité.
 Béatitude :
« Heureuse celle qui a cru que serait accompli ce qui lui fut dit de la part du
Seigneur ! » [45].
Élisabeth, qui a commencé par des paroles de bénédiction, les conclut par une
proclamation de béatitude.
 Humainement parlant, les fils que portent ces deux femmes sont promis à un
destin tragique. Pourtant, au-delà de l’échec apparent – vécu par l’Église des
origines -, l’œuvre qu’ils vont entreprendre conduira le monde au bonheur, celui
que n’assombrit aucune menace ni aucune crainte.
 L’Évangile est une annonce de béatitude. On la trouve non seulement dans le
« discours sur la montagne » de Mt 5, 3-12 ou le « discours dans la plaine » de Lc
6, 20-23, mais en de multiples occasions. On y voit toujours que, tout en étant don
gratuit de Dieu, le bonheur est aussi le fruit d’une démarche , souvent coûteuse,
de la part de l’homme libre et responsable [cf déjà Dt 30, 15-20].
 Une des conditions primordiales est d’ouvrir son cœur à la foi, ce qui signifie
aussi à la confiance en la parole et en l’amour du Père. À la fin de sa vie Jésus,
prévoyant la ruine de Jérusalem, pleurera sur elle parce que, dit-il, « tu n’as
pas reconnu le temps où tu as été visitée » [Lc 19, 44]. Parmi les païens, il
trouvera parfois une foi plus grande que dans son propre peuple, ce qui leur
sera gage de salut.
 Souvent aussi, les femmes auront plus que les hommes, le cœur ouvert au don
de la foi et de la confiance ; cela leur vaudra d’être envoyées les premières en
messagères de la Résurrection auprès des apôtres – tout comme, ici, Élisabeth
clair-voyante prélude à l’évangile des béatitudes, en proclamant Marie
heureuse parce qu’elle a cru .
 Il est d’importance vitale, en effet, de ne pas se tromper de béatitude, en
prenant pour « bénédiction » ce qui n’en est qu’une image extérieure. C’est
justement à propos de sa mère qu’un jour Jésus va l’affirmer : « […] une
femme éleva la voix du milieu de la foule et dit : ‘ Heureuse celle qui t’a porté
et allaité ! ’ Mais lui, il dit : ‘ Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de
Dieu et qui la gardent ! ’ » [Lc 11, 27-28].
Par là, il proclamait avant toute autre, la vraie béatitude de Marie, celle
qu’Élisabeth, dans l’Esprit, a déjà saisi intuitivement.

Vt 43 : Joie pour Élisabeth !
« Comment m’est-il donné que vienne vers moi la mère de mon Seigneur ? »
La découverte de la béatitude de sa jeune parente est en même temps, dans cette
rencontre, source de bénédiction et de joie pour Élisabeth ; grâce insigne dont elle, qui
est pourtant son aînée, ne se reconnaît pas digne : la « mère de son Seigneur vient à
elle » ! La mère du Messie, autrement dit la Reine (dans l’ancien Orient, ce n’est pas
l’épouse du souverain qui est importante, mais sa mère) est cette toute jeune femme...
 Il en est souvent ainsi dans l’histoire du salut: Dieu se choisit le plus jeune, le plus
petit, celui qui a moins d’apparence aux yeux des hommes (cf Jacob, Moïse, David,
11
I, 2
Rachel, Joseph…). Il en sera de même entre Jésus et Jean le Baptiste, mais de façon
encore plus radicale. Jean dira de Jésus : « Il vient après moi et je ne suis même pas
digne de dénouer la lanière de sa sandale » [Jn 1, 27].
 Dans l’exclamation émerveillée d’Élisabeth, nous trouvons une référence à l’Arche
d’Alliance :
 Déjà, quand il nous est dit qu’Élisabeth « proclame » ces paroles, le verbe
employé dans l’original grec (‘anaphonein’) est celui dont se sert la traduction des
Septante pour désigner le chant des lévites et de tout le peuple devant l’Arche, que
David fait monter à Jérusalem7. Le terme est employé seulement dans ces
passages et nulle part ailleurs dans le Premier et le Nouveau Testaments ; « il est
donc lié à la célébration liturgique des lévites devant l’Arche ».
 Or, la parole d’Élisabeth qui nous occupe maintenant, renvoie au même contexte,
en 2 S 6, 5-9 : ayant décidé le transfert de l’Arche à Jérusalem, et au milieu des
danses et des chants du peuple « devant YHWH », David s’écrie : « Comment
l’Arche du Seigneur viendrait-elle vers moi ? ».
Pour les chrétiens venus du judaïsme, l’allusion est claire ; d’autant plus que dans
les deux cas, il s’agit d’une montée vers la Ville Sainte et d’une station de trois
mois dans une maison qui en reçoit bénédiction. Il est donc légitime de penser
qu’il y a ici une identification typologique de Marie avec l’Arche d’Alliance.
 « On peut remarquer que Jean semble avoir repris cette typologie dans
l’Apocalypse : ‘Alors s’ouvrit le Temple de Dieu dans le ciel et son Arche de
l’Alliance apparut dans le Temple… Alors apparut un signe grandiose dans le
ciel : une femme enveloppée de soleil, et la lune sous ses pieds.’ 8
Selon la rédaction actuelle du texte, le signe de la Femme vêtue de soleil et
couronnée d’étoiles suit immédiatement l’apparition de l’Arche de l’Alliance » 9.

La simple rencontre d’où rayonne l’Esprit de Jésus, ne serait-elle pas l’un des
modes privilégiés de la mission , non seulement pour nous mais aussi pour toute
l’Église aujourd’hui?
 Ceux qui seront touchés par le Souffle de la Parole incarnée, resteront pour la
plupart sans doute dans leur tradition culturelle et religieuse - comme
Élisabeth, Jean et Zacharie . Mais éclairés et dynamisés par l’Esprit du
Ressuscité, ils deviendront eux aussi, dans cette tradition et pour elle, « voix
qui crie dans le désert : préparez le chemin au Seigneur ».
 Au-delà même des fidèles d’autres religions, cela peut aussi s’entendre des
rencontres avec tout homme de bonne volonté, croyants ou non.
 Mais cela peut également concerner la rencontre entre chrétiens et entre nous,
chacun apportant à l’autre et recevant de l’autre : alternativement Marie et
Élisabeth.
EN CONCLUSION: ÈVE, ÉLISABETH ET MARIE.
La rencontre des deux mères dans la Visitation peut être pour nous un symbole de la vocation
maternelle de la femme – et de l’Église - dans l’Esprit, en la totalité humaine et spirituelle de
cette vocation.
¤ ÈVE, dans le récit mythique de la création, est la composante féminine de l’humanité. Son
nom le dit : Hawa (la Vivante), qui dans la puissance du Créateur transmet le « souffle de
vie » (nèfèsh – neshamah) , aux enfants d’Adam « le terreux » (de adamah = terre).
7
Cf 1 Ch 15, 28 ; 16, 4. 6. 42 ; - 2 Ch 5, 13.
Ap 11, 19 ; 12, 1.
9
Pour tout ce passage, cf L. Deiss dans « Marie, Fille de Sion », chap. 4 – Éd. DDB 1959.
8
12
I, 2
L’humanité peut alors croître et se multiplier, selon l’ordre de YHWH.10
La tradition théologique n’a pas été tendre envers cette femme-type, « séductrice », par
laquelle le mal serait entré dans le monde...
Or, une tradition juive11 nous invite à lire de plus près le récit de la première
transgression : quand Dieu prescrit de ne pas manger du fruit de l’arbre « de la
connaissance du bien et du mal », sinon il « devra mourir »,c’est à Adam qu’il s’adresse
avant la création d’Ève [cf Gn 2, 15-18] . Adam se distingue des autres êtres animés par la
conscience, ainsi que par la parole instrument de communication-communion entre
personnes ; si bien qu’il est appelé à participer à la création du monde en le cultivant et le
développant selon le dessein de YHWH. Lorsque sa femme lui est donnée pour collaborer
avec lui à cette œuvre, il lui revient donc avant tout de l’informer exactement de cette
interdiction . C’est lui qui faute en ne le faisant pas ; et lui qui est appelé en premier à s’en
expliquer [cf Gn 3, 9-12. 17-19].
¤ Dans la suite des générations, la longue succession des « mères en Israël » aboutit, pour
l’époque qui nous occupe, à ÉLISABETH l’épouse stérile devenue féconde par grâce.
Elles ont bien conscience que le « souffle », « l’âme » qu’elles transmettent à un être
nouveau, procréé selon les lois de la nature, vient de Dieu [cf déjà Ève, en Gn 4, 1. 25]. La
« première naissance » de l’homme, avec tout ce que cela comporte – procréation, gestation,
mise au monde, éducation, culture, etc. – est participation à l’acte créateur de YHWH ;
déjà cet « enfant de l’homme » (ben ha adam) est donc digne de respect ; déjà, il est « à
l’image de Dieu » [cf Gn 1, 27] ; et Dieu vit que « voilà, c’était très bon » [1, 30].
¤ MARIE, elle - « l’épouse inépousée »12, la vierge rendue féconde, la nouvelle Ève enfante dans l’Esprit Saint, le Nouvel Adam ; il vient apporter à « l’enfant de l’homme »
cet Esprit même, qui dans une seconde naissance le rendra enfant du Père avec lui. De là
pour Marie sa maternité, non seulement divine, mais universelle dès, peut-on dire,
l’Annonciation.
¤ Voilà rassemblés, dans la scène de la Visitation, en ELISABETH et MARIE, les deux
aspects conjugués de la mission maternelle de LA FEMME–ÈVE réconciliée, « la
Vivante », la transmetteuse de Vie dans l’Esprit, figure du mystère de l’Église.
Cette mission ne s’achèvera qu’avec la fin du monde présent, quand « l’épouse » avec
l’Esprit iront à la rencontre définitive de « l’Époux » dans la Maison du Père, remplie de la
foule innombrable de ses enfants « de toutes langues, peuples et nations »13.

À notre époque où difficilement et de façon chaotique, se recherchent la « parité
homme/femme », et la connaissance du vrai rôle de la femme dans le monde, ce
texte évangélique peut-il apporter quelque lumière ?

III – LE CANTIQUE DE MARIE (1, 46-55)
Innombrables sont les lectures qui peuvent être faites du Cantique de Marie , et qui de fait
l’ont été. À chacune d’entre nous de faire le choix qui convient le mieux à ses besoins et à ses
attentes. Pour nous ici, nous allons l’aborder dans l’optique missionnaire qui a jusqu’à
présent guidé notre lecture de la Visitation :
Gn 4, 1 ; cf 29, 31 ; 30, 2. 22. – 1 S 1, 6.11.
Cf. « L’homme et la femme dans la Bible, d’après une tradition juive », conférence donnée par Paulline Bèbe,
rabbin, à la Maison Communautaire des Parrichets en novembre 1999.
12
Cf la liturgie orientale, en particulier l’Hymne Acathiste byzantine.
13
[cf Ap 7, 9 ; 14, 1 ; - 19, 6-8 ; - 22, 17-20].
10
11
13
I, 2
Cf :
« 46 - Et Marie dit :
47 – ‘ Mon âme exalte le Seigneur
et mon esprit exulte en Dieu mon sauveur,
Ps 104,1
1 S 2, 1-10 ; Ha 3, 18
48 – parce qu’il a posé son regard sur l’humilité de sa servante.
Car voici : dès cet instant toutes les générations
me proclameront bienheureuse,
1 S 1, 11 ; Ps 113, 5-6
Jdt 13 et 15
49 – parce qu’il a fait pour moi de grande choses, le Puissant :
saint est son Nom !
50 – Et sa miséricorde s’étend de génération en génération
sur ceux qui le craignent.
Ps 111, 9 ; 103, 1
Ps 103, 16-17
51 – Il a fait agir la force de son bras,
Ps 89, 11
il a dispersé ceux qui s’enorgueillissent en pensée dans leur cœur. 2 S 22, 28
52 – Il a fait descendre les puissants de leurs trônes
et il a élevé les humbles.
Ps 147, 6
1 S 2, 7
53 – Les affamés, il les a comblés de biens
et les riches, il les a renvoyés les mains vides.
Ps 107, 9 ; 34, 11
1 S 2, 5
54 – Il vient en aide à Israël son enfant,
se souvenant de sa miséricorde,
Is 41, 8
Ps 98, 3
55 – comme il l’a dit à nos pères,
en faveur d’Abraham et de sa descendance pour l’éternité ’. »
Mi 7, 20
Gn 17, 7 ; 18, 18 ; 22, 17
¤ Premières impressions d’ensemble :
 Dès l’abord, on est frappé par la longueur du texte par rapport au récit qui le précède et
l’introduit : 10 versets, contre 6. Il semblerait presque, que ce cantique soit le texte le
plus important de tout le passage, célébrant l’événement qui se joue depuis
l’Annonciation, et lui donnant tout son sens. De fait, avec le cantique de Zacharie et
celui du vieillard Syméon, il fait de siècle en siècle partie de la prière liturgique
quotidienne de l’Église.
 Une question se pose : Marie a-t-elle prononcé réellement ces paroles ?
Ce cantique pourrait être une composition de Luc. Il pourrait aussi se faire qu’il ait
pris naissance dans la première communauté chrétienne, et que Luc y ait ajouté le vt.
48 pour l’adapter à Marie.
Mais peu importe son origine : « En tous cas, à sa place et sous sa forme actuelles,
cet hymne chante la gratitude personnelle de la mère de Jésus (vts 46-50), puis celle
de tout le peuple de Dieu (vts 51-55) pour l’accomplissement des promesses de
l’Alliance ».14 Il exprime authentiquement la foi et les sentiments de Marie à ce
moment-là, et le message qu’ils portent à travers les siècles. Ce message est à saisir à
partir du texte et de son contexte, tels qu’ils ont été retenus par l’Église comme
Parole de Dieu dans une parole humaine. C’est à partir de là que nous allons essayer
d’en comprendre quelque chose.
14
Cf. TOB , note sur le Cantique de Marie .
14
I, 2
 L’exultation de Marie semble être une exultation différée… Pourquoi ne s’exprime-telle pas spontanément après l’Annonciation ? - De fait, ce sont les paroles d’Élisabeth
qui déclenchent son action de grâces.
 D’après le récit, en effet, tout porte à croire qu’elle eut besoin de la rencontre avec sa
parente, de la « Pentecôte domestique » provoquée par l’enfant qu’elle porte, et des
paroles de bénédiction d’Élisabeth, pour prendre toute la dimension de l’événement
qu’elle est en train de vivre depuis l’Annonciation.
Cette venue de l’Esprit, à son contact, sur Jean et sur Élisabeth lui confirme que son
fils est bien le « rameau [qui] sortira de la souche de Jessé » et sur qui « reposera
l’Esprit du Seigneur » [Is 11, 1-2] ; celui qu’attendent les « ‘Anawim », et dont le
Seigneur dit – contrairement à ce qu’en pensent les puissants - : « Voici mon
serviteur que je soutiens, mon élu que j’ai moi-même en faveur, j’ai mis mon Esprit
sur lui. […] Il ne criera pas, il n’élèvera pas le ton, il ne fera pas entendre dans la rue
sa clameur; il ne brisera pas le roseau ployé, il n’éteindra pas la mèche qui s’étiole ;
à coup sûr, il fera paraître le jugement. » [Is 42, 1-3].
 Le Père15, tout en faisant appel à la confiance de Marie, ne lui a pas demandé une
obéissance aveugle, mais lui a donné « un signe » [cf 1, 36] qui lui permet d’entrer
avec toutes les dimensions de ses facultés humaines et spirituelles, dans la
coopération qu’il attend d’elle à son dessein de salut.
Son discernement, ou décryptage de ce signe, s’appuie à la fois sur l’inspiration
intérieure de l’Esprit et son opération dans l’événement, - l’éclairage de celui-ci par
la Parole du Dieu présent à l’histoire, - et sa manifestation dans la parole de
« l’autre ».
 C’est donc dans cette rencontre avec toutes ses harmoniques, que Marie peut
entrevoir à quel point sa propre vocation fait partie intégrante de l’histoire de son
peuple, orientée au salut du monde : toutes les générations la proclameront
bienheureuse…, elle qu’Élisabeth vient de proclamer « bénie entre toutes les
femmes ».
 Peut-être est-ce ce chemin d’illumination, par la Parole et par l’Esprit qui baigne de
sérénité son poème d’exultation. À la différence d’Élisabeth, qui a tout à l’heure « élevé
la voix avec un grand cri », il nous est rapporté que Marie, simplement « dit » son
émerveillement, sa reconnaissance et sa joie. Ils font partie de son être profond. C’est
avec une tranquille assurance qu’elle célèbre en un cantique la geste divine dans sa vie
et celle du monde.
 L’une des causes de cette sérénité est sans doute aussi l’humilité vraie qui se manifeste
dans ses paroles, et lui permet de se voir dans la clarté de son rapport à Dieu et aux
autres. L’humilité est la vérité, et elle met dans la paix. Se savoir « faible » mais aimé
d’un Dieu qui est « miséricorde » et qui aime les humbles, permet de reconnaître sans
trouble la merveille de ses dons et à lui en rapporter toute gloire, en les mettant à son
service et à celui des autres – tout en lui rendant grâce aussi pour ses dons à autrui.
 De là, Marie passe facilement à la louange du Seigneur qui à travers l’histoire de son
peuple, a sans cesse pris le parti des petits et des humbles contre l’injustice des
puissants. Comme il a agi par le passé, dans cette nouvelle étape qui commence, il va
agir encore selon sa parole donnée.
Ainsi prélude-t-elle par une hymne d’action de grâces, à l’annonce de la Bonne
Nouvelle que les temps messianiques sont arrivés ; elle en a la certitude : ils vont
maintenant se réaliser. Lorsque le temps sera venu pour Jésus de l’annoncer
15
Dans le Nouveau Testament, le vocable « Dieu » se rapporte, dans presque tous les cas, au Père [cf K. Rahner,
in « Theos nel Nuovo Testamento »].
15
I, 2
officiellement, il en énoncera, selon Lc 4, 17-19, les mêmes caractéristiques à la
synagogue de Nazareth, mais cette fois sur le mode de la prédication : « ‘ L’Esprit de
Dieu est sur moi, parce qu’il m’a consacré pour annoncer la bonne nouvelle aux
pauvres [...], proclamer une année d’accueil de la part du Seigneur ’ [cf Is 61, 1-2]. ».
 Ce cantique de Marie nous est d’autant plus précieux, qu’après lui l’Évangile est avare
des paroles pouvant nous révéler sa pensée : il y a eu ses quelques mots à
l’Annonciation ; il y aura ceux du recouvrement de Jésus au Temple et ceux de Cana.
Puis ce sera tout. Sa mission ne consiste pas en des discours !
Un fois terminée son action de grâces exultante, il ne nous est d’ailleurs plus rien
transmis de ses paroles chez Élisabeth, pendant les trois mois de son séjour.
¤ Avant d’aborder le texte plus en détail, faisons un rapide rapprochement entre
Magnificat et Benedictus [Lc 1,68-79] , puisque Marie de la Passion16, avec la tradition
de l’Église, nous y invite.
 Il n’est pas inutile de noter la place qu’ils occupent l’un par rapport à l’autre. Le
cantique de Marie est premier dans le temps, comme l’a été sa foi et son acceptation de
la parole du Seigneur. Et sa venue chez Zacharie n’est pas étrangère au cheminement
qu’il a dû faire jusqu’à pouvoir lui-même prophétiser. Ainsi en sera-t-il plus tard de la
foi des apôtres, suscitée par celle des femmes revenant du tombeau vide.
 Si chacun des 2 cantiques a sa propre structure et ses accents particuliers, ils célèbrent
la même Bonne Nouvelle. Il n’est pas indifférent de recevoir celle-ci de personnes qui se
situent différemment dans l’événement, et le ressentent avec leur identité propre et leur
rôle dans l’histoire du salut. Ainsi en est-il de nous tous, appelés à recevoir, transmettre
et célébrer la même annonce, chacun à sa manière.
 La similitude des thèmes centraux nous éclaire sur ce qui fait de l’annonce une Bonne
Nouvelle :
 C’est une action de grâces envers le Seigneur, Dieu d’Israël, Sauveur. Il est Saint
(Magnificat), et ses prophètes sont saints (Benedictus).
 C’est un Dieu qui parle aux hommes. Son action envers eux s’exerce d’éternité en
éternité . Les hommes sont ses enfants (païdos) : le peuple, David (Jean Baptiste).
 Il est fidèle et se souvient de ses promesses faites aux pères, en particulier à
Abraham, pour la suite des temps.
Aujourd’hui comme hier et toujours, il fait miséricorde. Il libère de toutes les
oppressions, et met dans la joie (Magnificat) et la paix (Benedictus).
 Son action libératrice s’incarne dans des personnes qu’il discerne et choisit pour une
tâche particulière : Marie, Jean.
 N’ayant pas à approfondir le Benedictus, nous n’entrerons pas dans le détail des
différences entre les deux cantiques. Cependant, quelques traits spécifiques de part et
d’autre peuvent nous éclairer sur leur complémentarité – masculine et féminine.
 Le cantique de Zacharie est plus centré sur le salut du peuple d’Israël (occupé, et
donc opprimé par l’ennemi), - sur sa libération politique par la main d’un descendant
de David (qu’il est seul à nommer), - et sur la paix par rémission des péchés.
 Celui de Marie est plus universel, faisant seulement allusion à Abraham et à sa
descendance (père d’une multitude de peuples, et père des croyants), - la libération
est celle de l’oppression de toute personne, d’où qu’elle vienne, - et met l’accent sur
l’humilité : Dieu se plaît à relever tous les humiliés.
16
Cf. Méditations Liturgiques t. 3, 1er juillet.
16
I, 2
¤ Que peut, maintenant, nous dire le texte même du Magnificat , dans l’optique de notre
lecture?
 Ce cantique revêt la forme traditionnelle d’un psaume d’action de grâces (d’une
« eucharistie »), et emploie le vocabulaire du Premier Testament. La proclamation par
Marie des hauts-faits du Seigneur est donc inculturée dans son milieu et dans son temps.
 De plus, il est tissé de réminiscences bibliques 17 et s’inspire en grande partie du
cantique d’Anne, mère de Samuel [cf 1 S 2, 1-10]. L’événement qu’elle célèbre, tout
inusité qu’il soit, elle le ressent comme inséré dans la longue histoire d’alliance de son
peuple avec Dieu : ainsi, ses contemporains pourront en comprendre quelque chose ;
mais cette tradition religieuse lui en fait aussi mieux comprendre à elle-même la portée.
 Cette célébration part de l’expérience personnelle faite par Marie, d’une rencontre
privilégiée avec le Dieu vivant ; Dieu qui commence de façon encore voilée, à se
manifester « Trine-Un ». Une telle rencontre a bouleversé sa vie et témoigne avec force
de la présence divine à la vie des humains et de sa puissance transformante, dans le
quotidien de l’existence.

Un enseignement de foi n’a de force qu’inculturé, et enraciné dans un
témoignage vécu. De quelle façon témoigne notre Église, dans le monde qui est le
nôtre aujourd’hui ? et nous, dans cette Église ?
 Vts 47-49 : Marie commence par célébrer les « merveilles » opérées par Dieu dans sa
propre vie.
Les vts 47 et 49 expriment l’exultation de son « âme » et de son « esprit », et
magnifient le Seigneur pour « les grandes choses » dont il l’a gratifiée. Entre les deux,
le vt 48 explique ce qu’est cette merveille : alors qu’elle-même n’était rien, il l’a relevée
et rendue bienheureuse parmi toutes les générations. La suite du texte montrera, d’après
l’expérience vécue par Israël, que cette manière d’agir est bien selon les mœurs de Dieu.
 À y regarder de plus près, l’exultation de Marie ne vient pas seulement des bienfaits
de son « Sauveur », mais aussi de la louange qu’elle peut, de ce fait, lui adresser.
Dans le texte, il y a un lien entre « l’exaltation » de Dieu par son « âme » (toute sa
personne), et les « grandes choses » qu’il a faites pour elle : la racine des deux mots
grecs employés est la même (megalunei – megala). Si bien que la louange de Marie
acquiert une puissance inouïe : en le célébrant, son cœur « fait Dieu grand,
magnifique ». Sa proclamation contribuera, à travers les siècles, à le faire connaître
tel par des multitudes.
 Suivant la tradition de son peuple, Marie emploie divers vocables pour désigner
Celui qu’elle exalte; chacun d’eux s’appuie sur les actions divines passées en faveur
du peuple et grâce auxquelles on peut connaître quelque chose de ce qu’il est :
 Le Seigneur, le Maître , avec une nuance de paternité. Employé dans la prière, ce
vocable s’adresse à Celui qui, dans sa tendresse, visite son peuple.
 « Le Dieu » par excellence, le Dieu unique. Il est le Créateur qui fait toute justice.
 « Mon Sauveur »: Celui qui « sauve » Marie, est celui qui a opéré la libération
d’Égypte et ramené les déportés de Babylone, et qui plus de 300 fois dans la
Bible, est intervenu en faveur du peuple ou d’un de ses membres. Le nom de Jésus
- Yeshu‘a - le fils de Marie, signifiera : « Dieu sauve ».
 « Le Puissant » ( celui qui est capable) : comme le chantent les psaumes, il est
« au-dessus de tous les dieux » (même celui de l’argent, du pouvoir, de la
science…), et « rien ne lui est impossible » - même pas de faire naître en elle son
17
Cf plus haut, le texte du Magnificat.
17
I, 2
Fils [cf Lc 1, 37, repris de Gn 18, 14].
 « Le Saint »: Lui seul est saint parce qu’au-delà de tout et seul adorable, dans les
hauteurs comme sur la terre. Mais il peut sanctifier en rapprochant de lui ; purifié
par lui, le peuple devient un peuple saint, consacré.
 « Son Nom »: Le Tétragramme ne se prononce pas : parce qu’on ne connaît que
ses consonnes et non ses voyelles ; mais surtout parce que prononcer le nom de
quelqu’un, c’est en quelque sorte mettre la main sur lui. C’est pourquoi, au lieu de
lire YHWH 18, on dira : le Dieu ou le Seigneur ; ou tout simplement : ha
Shem = « le Nom ». Ici, « Saint est son Nom » signifie : Il est Saint.



L’annonce de l’Église, la nôtre, sait-elle se faire témoignage de vie, dans la
louange et l’action de grâces ?
Notre vocabulaire religieux a-t-il gardé une richesse de termes pouvant servir
à désigner Celui qui est « au-delà de tout », l’Inconnaissable, et qui pourtant
s’est fait tout proche de nous ? Cela peut avoir des conséquences en ce qui
concerne l’annonce missionnaire ou la pastorale, dans des cultures et de
jeunes Églises où peut-être les termes employés passent à côté de la vie des
gens.
Le vt 48, lui, nous apprend que ce Dieu si grand, si puissant et inconnaissable, a
« posé son regard » sur quelqu’un de très bas, qui va en devenir bienheureux ! Et ce
sera une cause de joie pour toutes les générations humaines.
 Dans la tradition biblique, le Seigneur est un Dieu qui regarde… et qui voit. Son
regard est efficace ! Et, dès cet instant, il agit. Parce qu’il est juste, il sait reconnaître
celui qui lui est soumis du fond du cœur ; et en même temps, il ne peut laisser régner
l’injustice sans intervenir, en sauveur.
 Ici, ce sur quoi il a posé son regard, c’est « l’humilité de sa servante ». Cette
« humilité » peut s’entendre, en particulier dans le cas de Marie, en deux sens :
 Elle reconnaît n’être « rien » devant son Créateur. Le terme « doulos » employé
dans le texte, a le sens fort d’« esclave » : celui qui par lui-même, dans la société,
est dépourvu de tout avoir et de tout pouvoir ; celui qui doit tout à son maître.
Dans ce sens, c’est un honneur – et une sécurité - pour le peuple d’Israël de se dire
« serviteur du Seigneur ».
 Ce sentiment d’humilité devant le Seigneur, est encore renforcé par le fait qu’elle
appartient socialement au groupe des «‘Anawim », des « Pauvres de YHWH ».
De plus, elle est femme et, par là, doublement marginalisée dans une société de
tradition fortement patriarcale.
 Prenant conscience par les paroles d’Élisabeth, de toute l’ampleur de la bénédiction
qui lui est faite en son fils, et qui atteindra l’univers de génération en génération l’accomplissement en elle et par elle de la promesse d’un sauveur dès l’origine des
temps19 -, Marie proclame ouverte « dès cet instant » l’ère messianique. Ère qui sera
marquée par la justice, la paix et la joie pour tous, sans distinction de grands ou de
petits. Comme l’a jadis annoncé Isaïe : « Que tout vallon soit relevé, que toute
montagne et toute colline soient rabaissées, que l’éperon devienne une plaine et les
mamelons une trouée ! Alors la gloire du Seigneur sera dévoilée et tous les êtres de
chair ensemble verront que la bouche du Seigneur a parlé » [Is 40, 4-5].
18
19
À ne pas prononcer « Yahvé »…
Cf. Gn 3, 15.
18
I, 2
 Vts 50-54 : Ce qui se passe aujourd’hui pour elle, son expérience de vie, Marie la relit
et la situe au cœur de l’action de Dieu dans l’histoire humaine, l’une éclairant l’autre.
 Cette relecture nous révèle que, si l’opération de partage des biens entre tous est une
action de justice, c’est en même temps une action de miséricorde. Le terme « éléos »
- qui veut aussi dire « pitié , compassion » -, encadre, en effet, l’énumération des
hauts faits de Dieu : sa miséricorde est acquise à tous ceux qui se tournent vers lui à
travers les siècles (vt 50), et de façon exemplaire à « Israël son enfant » (vt 54).
Au centre de ces quelques lignes, nous retrouvons ces humbles (vt 52), qui attirent
son regard…
 Sur quels groupes s’exerce cette action de miséricorde ? À la fois sur ceux qui ont et
ceux qui n’ont pas : savoir, pouvoir, avoir. Trois choses qui se tiennent et qui
déterminent la relation à Dieu et aux autres : sera-t-on enfants et frères/sœurs, ou
bien sera-t-on « comme des dieux » ? En cela se joue le Royaume. Et c’est pourquoi
l’action de justice du Seigneur est aussi une action de miséricorde envers chacun ; il
veut que tous soient sauvés : ceux qui ont, et ceux qui n’ont pas… Ce sera le fruit
d’un partage équitable.
Ici, pas d’esprit de vengeance! On peut mesurer tout le chemin parcouru dans la
compréhension de la justice divine, depuis le cantique d’Anne mère de Samuel, qui
se réjouit à la perspective de voir les méchants périr dans les ténèbres et les
adversaires être brisés [cf 1 S 2, 9-10] . Cela aussi est une bonne nouvelle
évangélique. Et c’est ainsi que le Seigneur « vient en aide à Israël » pour qu’il
puisse en vérité être appelé « son enfant ».
 Reprenons en effet les paroles du cantique de Marie :
 Face à ceux qui le craignent , il y a ceux qui s’enorgueillissent dans les
pensées de leur cœur 20 [vts 50-51]. Ceux-là il les « disperse ». On se serait
plutôt attendu à ce qu’il les abaisse, les humilie… Pourquoi cette étrange
conduite ?
En fait, c’est la même histoire que celle de la Tour de Babel 21 : se mettre
ensemble, « parler une seule langue », celle des savoirs et des techniques qui
permettront de mettre la main, là-haut, sur les secrets des dieux, et de devenir
« comme eux » possédant la « connaissance du bien et du mal », et provoquant
à volonté sur la terre le « bonheur et le malheur ». Plus besoin du Seigneur,
qu’il n’y a plus à « craindre » ! Et c’est la mort pour le monde [cf Gn 3, 3] –
mais aussi avec lui, pour les bâtisseurs de la Tour. Alors, le Seigneur fait agir
sa puissance (son bras) pour les disperser ; par là, il use de miséricorde non
seulement envers « ceux qui le craignent » et sont leurs victimes, mais aussi
envers eux, qu’en même temps, il sauve en faisant agir « la vigueur de son bras ».
 Les puissants siégent sur leur trône, et exercent sur ceux qui sont en bas,
« courbés »22 sous leurs ordres et humiliés, un pouvoir de domination ; ils l’ont
souvent acquis par le « savoir » et cette situation leur procure un grand « avoir ». En
tous cas, les voilà bien assis… et sûrs d’eux-mêmes : ils peuvent faire autour d’eux la
pluie et le beau temps ! – Jusqu’au jour où les humiliés se révolteront…
En termes bibliques, le « cœur » - lèv « désigne toute la personnalité consciente, intelligente et libre d’un être
humain. Il est donc le siège et le principe de la vie psychique profonde : il désigne l’intérieur de l’homme,
le ‘ dedans ’, son lieu caché, son intimité et sa liberté. » Le cœur est « non seulement le siège des émotions et de
l’affectivité, mais aussi celui de l’intelligence et des pensées. C’est encore la source des souvenirs et de la
mémoire, c’est enfin le centre des projets et des choix décisifs » [cf P. Mourlon Beernaert, dans Cahier Évangile
n° 46 pp 8 et 10 . Cité par « Les mots-clés de la Bible »].
21
Cf. Gn 11, 1-9.
22
Sens originaire du mot « ‘Anav, ‘Anawim »
20
19
I, 2
Cette fois encore, le Seigneur va remettre les choses en place, pour le bien
des uns et des autres. Celui qui est courbé, il va le redresser ; celui qui est
assis, il va le « faire descendre » de son trône (non pas, comme on traduit
parfois, le « jeter en bas ») pour le mettre debout. Tous sont égaux ; tous sont
ses enfants. Ensemble, ils vont pouvoir maintenant former la communauté
fraternelle de ceux qui mettent leur joie à le louer, témoignant de la fraternité
humaine au milieu du monde.
 Les affamés sont, certes, ceux qui n’ont pas le minimum vital pour eux et leur
famille. Ils sont légions. Mais ce sont également, selon les paroles de
l’Évangile, ceux qui « ont faim et soif de la justice » ; ceux que les biens du
monde présent ne peuvent combler et qui tendent de tout leur désir vers le
Seigneur. Ceux-là aussi « seront rassasiés » [cf Mt 5, 6].
Quant aux riches, il n’est pas dit comme dans le cantique d’Anne [1 S 2, 5]
qu’ils vont devoir « s’embaucher pour du pain ». Mais lorsque le Seigneur, lors
de la distribution, aura mieux réparti les biens en les allégeant eux-mêmes et
« comblant » ceux qui en avaient besoin, eux non seulement n’auront rien reçu
mais ils repartiront « les mains vides », plus légers, avec un creux au cœur qui
les rendra plus aptes à « avoir faim et soif » d’autre chose, à demander et
recevoir du Seigneur leur bonne part et vivre en frères avec les autres.
 En célébrant ainsi « les grandes choses » opérées par le Seigneur à travers elle,
aube de la nouvelle et définitive étape dans l’alliance - qu’il a nouée autrefois
avec l’humanité et qui a mûri au long de l’histoire de son peuple -, Marie annonce
et résume ce que va être l’œuvre de son fils.



À quelles conditions pouvons-nous chanter avec Marie notre Magnificat, en
laissant Dieu opérer en nous et par nous ses « merveilles » ?
Nous pouvons aussi nous demander :
 Quel est le « lieu », ou quels sont les « aréopages » où tente de se
construire aujourd’hui une Tour de Babel, - et quel en serait le remède, au
nom du Christ ?
 Comment faire face aujourd’hui, de façon réaliste et évangélique, à toutes
les sortes de « faims » du monde ?
 Nombreux sont de nos jours les humiliés, les courbés, les laissés pour
compte, les sans voix. Et beaucoup des « haut placés » tendent à atteindre
une situation toujours plus élevée. Comment, en Église, collaborer avec le
Seigneur à la manière franciscaine, pour « relever les vallons et abaisser
les collines » afin que le monde devienne enfin fraternel ? …
 Vt 55 : La miséricorde du Seigneur, qui se manifeste aujourd’hui, est de toujours à
toujours : on peut en être sûr, parce que, depuis le passé le plus lointain, il est fidèle à
sa parole.
 Ce qui se réalise à présent, c’est ce qui a été annoncé aux « pères », les uns après les
autres, à commencer par Abraham, l’ancêtre non seulement des juifs, mais de
nombreux peuples, et « en [qui] seront bénies toutes les familles de la terre » [cf Gn
12, 3]. À noter en passant, que le texte ne parle pas de sa « race », mais de sa
« semence », sa « descendance ».
 Moïse, en particulier, a déjà fait l’expérience de cette fidélité, en s’appuyant sur le
passé pour pouvoir raisonnablement engager l’avenir, dans une aventure qui le
dépassait : celle de la Première Alliance [cf Ex 3, 6-10].
 Lors de l’Annonciation, c’est aux promesses faites à David [2 S 7, 16] qu’a fait
référence le messager du Seigneur pour éclairer l’acquiescement de Marie: « Ne
20
I, 2
crains plus !… ». Promesses faites, elles aussi, pour l’éternité [cf Lc 1, 31-33].

Quelles résonances a dans nos vies missionnaires, le Cantique de Marie ?

IV – LE SÉJOUR DE MARIE ET SON RETOUR CHEZ ELLE (1, 56)
16 versets nous ont entretenus des premiers instants de rencontre entre Marie et Élisabeth,
dans la maison de Zacharie. Il en avait suffi d’un pour nous parler de son initiative
missionnaire et de son voyage. Un seul suffira encore pour nous dire qu’elle séjourne sur
place trois mois, puis retourne chez elle : nous restons un peu sur notre faim !
« 56 - Marie demeure avec elle quelque trois mois, - et elle revient dans sa maison. »

Pourquoi faire mention de cette période de « trois mois », si l’on ne nous dit pas ce qui
s’y passe ?…
 Un détail qui, peut-être, ne nous saute pas tout de suite aux yeux parce que nous
sommes habitués à ce récit : il est dit que « Marie demeure avec elle ». Qui est cette
« elle » ? Le nom d’Élisabeth n’a pas paru depuis les vts 40 et 41. De 42 à 45, Luc
nous a rapporté ses paroles. Mais depuis le vt 46, il n’est plus du tout question d’elle.
En réalité, si tout le cantique de Marie était supprimé, le récit s’enchaînerait
beaucoup mieux. Cela accréditerait l’hypothèse que l’Église des origines avait déjà
mis ces paroles sous forme de psaume . Luc n’aurait plus eu alors qu’à les intégrer à
son récit, en y insérant le vt 48 pour les mettre sur les lèvres de Marie. Pour nous,
cela ne leur en donne que plus de force, en unissant sa prière d’action de grâces et
celle de l’Église.
 Sans doute aussi, l’évangéliste n’avait-il plus rien à nous exposer sur le séjour de
Marie près de sa parente. La mention de ce séjour, précisément après le Magnificat,
nous dit suffisamment tout ce qu’il a dû être, en nous dévoilant son esprit :
 En plus de l’entraide mutuelle entre les deux futures mères, l’une apportant la
vigueur de sa jeunesse et l’autre son expérience et ses conseils, elles ont vécu
ensemble le temps béni de l’attente d’un enfant, qui est celui de la maturation de
la vocation maternelle : une étape à franchir, et qui demande du temps, voire un
accompagnement. Dans la ligne de sa vocation propre, l’Église voit là un signe de
l’Avent qu’elle-même doit vivre au milieu du monde, afin que mûrisse et rayonne
en elle la Parole avant qu’elle ne paraisse au grand jour.
 Ensemble, à la lumière de ce qu’elles ont découvert de leurs vocations
complémentaires, qui les entraînent dans une aventure commune, et dans la
docilité à l’Esprit qui leur donne de la comprendre et de l’approfondir jour après
jour, leur foi et leur confiance se fortifient pour affronter l’avenir. Elles ne seront
pas seules pour y faire face.
 Si, dans sa tradition, l’Église reconnaît en Élisabeth une personnification de la
Synagogue et en Marie celle de l’Église, n’est-il pas suggestif de voir celle-ci
aider son aînée à accomplir pleinement sa vocation jusqu’au bout, au service d’un
même projet de Dieu sur le monde ?
 Et puis, tout ce qu’a célébré Marie de la miséricorde du Seigneur envers les
« pauvres », elle en est maintenant le signe visible, l’instrument, le « sacrement » :
Élisabeth et Zacharie font partie à plus d’un titre, de ces petits et de ces faibles qui
attirent le regard de Dieu. Tous deux sont âgés. Elle, de plus, est femme et porte
21
I, 2
un enfant dans sa vieillesse. Quant à lui, s’il faut en croire l’évangile, il est
maintenant sourd et muet, incapable de bénir le peuple dans le Temple, de la
bénédiction des prêtres [Lc 1, 22. 62]. À travers Marie, dans le déroulement des
jours et sans bruit, passe déjà la mission de compassion et de guérison du Fils,
dans la puissance de l’Esprit.
 « …et elle revient dans sa maison. »
Sa maison, désormais, est celle de Joseph [cf Mt 1, 24] – qui, selon les mœurs du temps,
a bien dû l’accompagner jusque chez Zacharie, et l’en ramener ! Et là, en communion
avec lui, elle continue à grandir au fil des jours, dans la foi et la fidélité à sa mission
qu’elle connaît déjà un peu mieux, et qui se diversifiera selon les étapes, mais dont la
réalité demeure la même .

L’Église sait-elle, et savons-nous, vivre l’Avent de la mission ?
Dans notre Église, la mission est-elle assez basée sur ce rythme binaire de
l’intimité et de la rencontre ?
Savons-nous l’harmoniser nous-mêmes dans nos vies ?
22
I, 2
ANNEXES
Textes ressourceS
23
textes de l’Église
Paroles du Pape Jean Paul II, au cours de la CÉLÉBRATION MARIALE POUR LA
CONCLUSION DU MOIS DE MAI AU VATICAN, 31 mai 2001, fête de la Visitation.
« [...] Dans le récit évangélique, la Visitation suit immédiatement l’Annonciation : la Sainte Vierge, qui
porte en son sein le Fils conçu par l’œuvre de l’Esprit Saint, rayonne autour d’elle de grâce et de joie
spirituelle. C’est la présence de l’Esprit en elle qui fait tressaillir de joie le fils d’Élisabeth, Jean,
destiné à préparer la voie au Fils de Dieu fait homme.
Là où se trouve Marie il y a le Christ ; et là où se trouve le Christ il y a son Esprit Saint [...]. »
De la Lettre encyclique du Pape Jean Paul II : « REDEMPTORIS MATER »24.
« 35 – [...] La Vierge Mère est constamment présente dans [le] cheminement de foi du Peuple de Dieu
vers la lumière. Nous en avons pour témoignage particulier le cantique du « Magnificat » qui, jailli des
profondeurs de la foi de Marie lors de la Visitation, ne cesse de résonner dans le cœur de l’Église à
travers les siècles. [...].
36 – Quand Élisabeth salua sa jeune parente qui arrivait de Nazareth, Marie lui répondit par le
Magnificat. En saluant Marie, Élisabeth avait commencé par l’appeler ‘bénie’, à cause du ‘fruit de son
sein’, puis ‘bienheureuse’ en raison de sa foi (cf. Lc 1, 42. 45). Ces deux bénédictions se référaient
directement au moment de l’Annonciation. Or, à la Visitation, lorsque la salutation d’Élisabeth rend
témoignage à ce moment primordial, la foi de Marie devient encore plus consciente et trouve une
nouvelle expression. Ce qui, lors de l’Annonciation, restait caché dans les profondeurs de
‘l’obéissance de la foi’, se libère maintenant, dirait-on, comme une flamme claire, vivifiante, de l’esprit.
Les expressions utilisées par Marie au seuil de la maison d’Élisabeth constituent une profession de foi
inspirée, dans laquelle la réponse à la parole de la Révélation s’exprime par l’élévation spirituelle et
poétique de tout son être vers Dieu. Dans ces expressions sublimes, qui sont à la fois très simples et
pleinement inspirées par les textes sacrés du peuple d’Israël, transparaît l’expérience personnelle de
Marie, l’extase de son cœur. En elles resplendit un rayon du mystère de Dieu, la gloire de sa sainteté
ineffable, l’éternel amour qui, comme un don irrévocable, entre dans l’histoire de l’homme.
Marie est la première à participer à cette nouvelle révélation de Dieu et, en elle, à ce nouveau
don que Dieu fait de lui-même. [...] Ses paroles reflètent la joie de l’esprit, difficile à exprimer [...] Dans
l’exultation de son cœur, Marie proclame qu’elle s’est trouvée au centre même de [la] plénitude du
Christ. En elle s’est accomplie, elle en a bien conscience, la promesse faite à nos pères, et avant tout
‘en faveur d’Abraham et de sa race, à jamais’ ; et donc vers elle, comme Mère du Christ, s’oriente
toute l’économie du salut, dans laquelle ‘d’âge en âge’, se manifeste le Dieu de l’Alliance, celui qui ‘se
souvient de son amour’. »
Des paroles de Jean Paul II durant l’audience générale du 21 mars 2001 : « LE
PÈLERINAGE DE FOI DE MARIE, ÉTOILE DE L’ÉVANGÉLISATION ».
« 4 – La visite à Élisabeth est scellée par le cantique du Magnificat, une hymne qui traverse comme
une éternelle mélodie tous les siècles chrétiens ; une hymne qui unit les âmes des disciples du Christ
au-delà des divisions historiques que nous nous efforçons de surmonter en vue d’une pleine
communion. Dans ce climat œcuménique, il est beau de rappeler que Martin Luther, en 1521, a
consacré à ce ‘saint cantique de la bénie Mère de Dieu’ – comme il disait – un célèbre commentaire. Il
23
24
Simples suggestions pour accompagner la réflexion.
« Sur la Bienheureuse Vierge Marie dans la vie de l’Église en marche », 25 mars 1987.
23
I, 2
y affirmait que l’hymne ‘devrait être bien apprise et retenue par tous’, car ‘dans le Magnificat, Marie
nous apprend comment nous devons aimer et louer Dieu [...]’.
5 – Depuis que Dieu l’a regardée avec amour, Marie devient un signe d’espérance pour la foule des
pauvres, ces derniers de la terre qui deviennent les premiers dans le Royaume de Dieu. Elle reproduit
fidèlement le choix du Christ, son Fils, qui redit à tous les affligés de l’histoire : ‘Venez à moi, vous
tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous procurerai le repos’ (Mt 11, 28). »
De Mgr. GILSON au sujet du DEVOIR DU CHRÉTIEN DE PORTER DANS SON
MILIEU DE VIE LA PAROLE INCARNÉE25 :
« ‘ Dieu, en la période finale où nous sommes, nous a parlé à nous en un Fils qu’il a établi héritier de
tout, par qui aussi il a créé les mondes. Ce Fils est resplendissement de sa gloire et expression de
son être. Il porte l’univers par la puissance de sa Parole ’ [Hé 1, 1-3].
Nous possédons un diamant. Et souvent, il nous faut le cacher au creux de notre main… Il
rayonne d’une beauté extraordinaire par le feu qui vient l’habiter. Et voici notre responsabilité
d’apôtres des temps modernes : tenir les mains ouvertes pour que le diamant christique rayonne de la
lumière de l’Esprit. C’est bien ce que réalise Jésus quand, dans la synagogue de Nazareth, il fait la
lecture d’un passage du prophète :
‘ L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a conféré l’onction […] . Aujourd’hui, cette Écriture est
accomplie.’ [Lc 4, 16].
Que vous dire d’autre ? Sinon d’être les missionnaires du troisième millénaire : soyez pressés ! Il nous
faut retrouver l’audace de la proposition. Il nous faut croire à ce monde qui peut accueillir l’authentique
présence de Dieu reconnu en Jésus Christ, dans la lumière de l’Esprit. Il nous faut veiller à réaliser les
conditions qui permettent à une nouvelle Pentecôte de s’accomplir.
Le troisième millénaire doit être le temps œcuménique de l’Esprit Saint. Le Christ, dans la lumière de
l’Esprit, est révélation du Dieu trois fois saint et chemin de la fraternité universelle.
Allons, le temps presse… Il y a urgence de la mission […]. » 26

25
26
Ancien évêque du Mans, aux chrétiens de ce diocèse, à l’occasion de l’ouverture de l’année jubilaire 2000.
Cité par « Église du Mans », n° 3, 20/02/2000.
24
I, 2
Textes de Marie de la Passion
Rayonnement de la charité missionnaire
« Cette fête de la Visitation est un splendide rayonnement de la charité missionnaire; cette vertu
arracha Marie à sa tranquille retraite et la conduisit chez [...] Élisabeth pour la sanctification des âmes,
en particulier de celle de saint Jean Baptiste.
[...] cette fête [...] nous convient particulièrement, et nous tâchons d'obtenir ce jour-là, un grand zèle
pour le salut des âmes et cet oubli de soi-même, qui ne recule devant aucun sacrifice pour faire du
bien. » [Coutumier éd. 1938, n° 104, 2 juillet ].
Marie « arche de paix »
« Dès que Marie, [arche de paix, la Missionnaire qui porte Jésus], apparaît, [...] avec Jean Baptiste le
genre humain tressaille de bonheur, car l’ennemi a été écrasé pour la première fois par le femme. »27
[Méditations t. 3, 2 juillet].
Le cantique de Marie
«[...] le Magnificat – c'est l'extase de l'amour à la vue des dons de Dieu avec la certitude de son
[propre] néant; donc avec la vraie humilité.» [ Il me parle... » n° 183, 10 février 1883].
« Que le ‘Benedictus’ et le ‘Magnificat’ restent pour nous pleins d’enseignements sur l’esprit de notre
vocation. » [Méditations t. 3, 1er juillet].
L’union à Dieu
« Obtenons en ce jour [de la Visitation] le secret de rester unie à Jésus, au milieu des œuvres de
miséricorde. Telle est l'âme de la vie missionnaire. » [Méditations t. 3, 2 juillet].
Texte FRANCISCAIN
LA SALUTATION À LA VIERGE 28
« La Salutation à la Vierge est un exemple de [la] création lyrique de François en l’honneur de
Marie. Il y exprime sa vénération filiale, selon sa méthode préférée : par une prière litanique où
presque toutes les images expriment sa maternité, c’est-à-dire son exceptionnelle intimité avec Dieu :
‘ Salut, Marie, Dame sainte,
reine, sainte mère de Dieu,
vous êtes la Vierge devenue l’Église :
choisie par le très saint Père du ciel,
consacrée par lui comme un temple
avec son bien-aimé Fils et l’Esprit Paraclet ;
vous en qui fut et demeure
toute plénitude de grâce
et celui qui est tout bien.
Salut, palais de Dieu !
Salut, tabernacle de Dieu !
27
28
Cf. Gn 3, 15.
Cf. « Christ notre bonheur » op. cit. chap. VIII (suite).
25
I, 2
Salut, maison de Dieu !
Salut, vêtement de Dieu !
Salut, servante de Dieu !
Salut, mère de Dieu !
Et salut à vous toutes, saintes vertus,
qui, par la grâce et l’illumination de l’Esprit-Saint,
êtes versées dans le cœur des fidèles,
vous qui, d’infidèles que nous sommes,
nous rendez fidèles à Dieu ! ‘
Sa louange comme sa contemplation sont donc centrées sur cette fonction maternelle. Elle
est le palais, la demeure, la maison, le vêtement de Dieu ! François ne se lasse pas de saluer
courtoisement cette ‘ Dame sainte ‘ qui a eu cette faveur inouïe d’accueillir en elle le Dieu trois fois
saint, celui qui est tout Bien. Dans cette Salutation à la Vierge, nous y entendons comme un écho de
la Salutation des vertus dont voici l’ouverture :
‘ Salut, reine Sagesse, que le Seigneur te garde,
avec ta sœur, sainte et pure Simplicité.
Dame sainte Pauvreté, que le Seigneur te garde,
avec ta sœur, sainte Humilité.
Dame sainte Charité, que le Seigneur te garde,
avec ta sœur, sainte Obéissance.
Vous toutes, saintes vertus, que le Seigneur vous garde,
lui de qui vous procédez et venez.
Nul homme en ce monde, si d’abord il ne meurt,
ne peut posséder une seule d’entre vous.
Qui possède l’une et ne blesse pas les autres,
Il les possède toutes...’
Pour François, homme concret et visuel, les vertus évangéliques ne sauraient être des
concepts ou des exercices moraux, mais des dons dynamiques et vivants de l’Esprit Saint. La Vierge
Marie en est, à ses yeux, le miroir et l’exemplaire parfaits. En elle, François et Claire contemplent
toutes les vertus de la vie chrétienne. Le parallélisme entre les deux Salutations apparaît bien dans le
choix même du vocabulaire. Comme la pauvreté, l’humilité, la charité et l’obéissance, Marie est la
Dame. Comme la Sagesse et sa sœur la pure simplicité, Marie est la reine. Elle est donc la meilleure
personnification de toutes les qualités évangéliques. Ici encore, François rejoint la grande tradition
orthodoxe pour laquelle la Vierge Marie est la ‘ Sainte Sofia ‘, la Sagesse incarnée.
La Vierge Marie, pure, disponible, simplifiée et unifiée par l’amour, est la demeure de ‘ celui qui
est tout bien ‘, de ‘ celui que les cieux ne pouvaient contenir ‘. Aux yeux éblouis de François et de
Claire, elle réalise donc ce qu’ils ont poursuivi, recherché, désiré toute leur vie : être ce cœur pur qui
devient la pure maison d’adoration où l’Esprit prie en esprit et en vérité. Ils contemplent en cette
femme la Vierge, au sens profond du terme. La créature vierge de tout retour sur elle-même, de tout
péché d’appropriation des dons de Dieu. Son désir est pur élan, pur retour vers le Créateur. Elle est la
terre vierge fécondée par les semences de la parole de Dieu et qui, exceptionnellement, lui ont donné
chair, consistance humaine. »
26
I, 2
textes de l’institut
Des LETTRES GÉNÉRALES de Sr. CHRISTIANE MÉGARBANÉ
N° 9 – « Notre mission, notre passion pour la mission ne serait-elle pas de communier à la passion de
Dieu pour notre monde : ‘Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils, son unique’ (Jn 3,
16). N’est-ce pas à cela que nous convie notre prochain Chapitre général : ‘Femmes d’Évangile
pour un monde nouveau’ ?
Être des femmes, c’est aller à la rencontre de l’autre quel qu’il soit pour lui partager une
expérience unique, celle d’un Dieu dont la Parole a pris chair par amour pour nous et qui nous
confie ce monde à construire pour que son Règne vienne. C’est être des femmes d’espérance qui
ouvrent les yeux de l’intelligence et du cœur pour percevoir ce que le monde dit, préfigure, espère.
Être des femmes d’Évangile, c’est partager la rencontre qui nous habite avec le Dieu de nos
vies (cf. Const. Art.3). Dieu fait toujours sortir de soi pour aller vers l’autre, pour aller au-delà de
nos frontières, les barrières géographiques, mais aussi celles que nous érigeons, pour témoigner
de la passion de Dieu pour nous.
Être des femmes d’Évangile, c’est comme Marie accueillir la vie et non la retenir, pour la donner
et non la posséder. Marie partit en hâte chez sa cousine Élisabeth. En Marie, la Parole est
devenue Vie. En Marie de la Passion, ce 23 janvier où nous faisons mémoire de son Fiat, la Parole
est devenue offrande et mission : ‘Marie Victime de Jésus et de Jésus crucifié’. En Marie comme
en Mère Fondatrice, la Parole de Dieu rencontre une parole humaine et devient Bonne Nouvelle
pour le monde. » [23 janvier 2001].
N° 1 – « [...] Marie [...] est l’Ecce et le Magnificat, le Oui et le Merci ». [13 octobre 1996].
Des LETTRES GÉNÉRALES de Sr. MAURA O’CONNOR
N° 11 – « Au cœur de notre vocation se trouve Marie, dans son acceptation sans réserve du plan de
Dieu, ce plan devenu pour elle engagement à servir. Ainsi, elle se met en route, en toute hâte, pour
aller avec amour vers Élisabeth, non seulement pour servir, mais pour porter un message de joie
et de paix à cause de Celui qu’elle porte et qui est venu établir un Royaume de paix et de justice.
La Visitation de Marie, nous le savons bien, est le modèle de la vocation missionnaire de l’Institut.
“Harmonisant ainsi une courageuse action missionnaire avec une profonde communion à Dieu
dans une intense prière adoratrice, Marie de la Passion en exprime l’idéal dans une note concise,
lapidaire : ‘ Jésus obtenu, donné, puis l’ombre. Voilà ce que doit être la voie...’ .” 29 Déjà est notée
cette attitude de minorité que nous savons si essentielle à l’évangélisation aujourd’hui. Dans la
demeure de la Visitation, il y a un merveilleux dialogue de foi, une prière partagée ; nous pouvons
y contempler le Verbe Éternel dans le sein de la Vierge, sa Mère, qui le porte, Lui, la source de
toute bonté et de toute paix ; Élisabeth remplie de l’Esprit Saint ; Jean le Baptiste qui prépare la
venue du Christ ; Zacharie, homme de profond silence, aux lèvres muettes mais dont les yeux et le
cœur sont grands ouverts, son silence étant une véritable participation, une écoute et une
présence. [...]
Le lien profond qui fait notre unité dans le partage de la mission de Jésus nous fortifie dans la
grande part de responsabilité portée par chacune dans le monde d’aujourd’hui, pour y être
messagère d’espérance, de réconciliation, constructrice de ponts, porteuse de paix dans la fidélité
à notre charisme, en communion avec l’Église.
‘Nous ferons les missions à la manière de Marie : par Jésus. C’est ainsi qu’elle fut, vraiment,
missionnaire, à l’ombre de Jésus et des Apôtres. Nous portons Jésus et Marie à la fois’ (NS 341). Il
ne s’agit pas de faire ce que le Christ ou Marie ont fait, ni de redire ce qu’ils ont dit ; mais, sous29
« Le Don de Dieu » (p. 14).
27
I, 2
jacentes à toute notre activité, [...] il est une attitude, une mentalité, une présence particulières qui
sont les leurs. » [31 mai 1986].
MAURA O’CONNOR au chapitre général de 1996 : « UN SEUL
PAIN, UN SEUL CORPS, UNE SEULE MISSION - 1990 – 1996 ».
Du RAPPORT de Sr.
Conclusion
« V. 1 – Dans notre marche nous avons cheminé avec Marie, notre VOIE, dans son pèlerinage de foi
et d’espérance. Finalement, avec Elle, tous nos efforts sont un partage de la vie reçue de Dieu, un
partage d’espérance, afin d’apporter notre petite contribution à la construction d’un monde qui soit
davantage tel que Dieu le désire. En général, nous ne sommes pas appelées à faire de grandes
choses, mais l’appel à cultiver la vie se fait entendre à nouveau à chacune à travers ce Chapitre
général. En Marie, la communication gratuite de la vie divine n’a rencontré aucun obstacle. Elle est
vraiment une créature totalement ouverte à l’action divinisante de l’Esprit Saint. ‘Voici la servante
du Seigneur’ (Lc 1, 38). Marie a épousé dans la foi le plan d’amour de Dieu et dès lors Elle est
associée à son Fils pour communiquer au monde la vie divine. [...]
V. IV - [...] Donner la vie passe nécessairement par l’étude attentive des défis, l’établissement des
priorités et la réalisation persévérante des changements. Dans son Magnificat, Marie nous invite à
découvrir Dieu présent dans l’histoire et à reconnaître les merveilles qu’Il accomplit. » [Septembre
1996]
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I, 2
À L’ATTENTION DE L’ÉQUIPE RESPONSABLE
APPROFONDISSEMENT PERSONNEL PUIS PARTAGE
ORIENTATIONS
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Relire et méditer : Lc 1, 39-56.
Voir le rapport qu’il y a entre ce texte et celui de l’Annonciation : Lc
1, 26-38.
Noter les ressemblances et les différences entre les cantiques de Marie
(1, 46-56) et de Zacharie (1, 67-79).
Me demander ce qui caractérise ici, la mission « à la manière de
Marie ».
Prendre moi-même un premier contact avec le texte : « 2 – Visitation Mission», pour avoir une vision globale du contenu.
Noter : ce qui me semble important,
ce qui me semble nouveau,
ce que je voudrais approfondir davantage.
Reprendre le texte en m’arrêtant aux passages qui présentent une
certaine difficulté. Essayer de pénétrer le sens avant d’aller plus
loin.
Relever toutes les interrogations sur la mission et voir comment elles
nous concernent ici et maintenant, ainsi que notre Église locale.
Prier avec le texte.
Partage entre membres de l’équipe responsable.
PISTES POUR UNE RELECTURE DE VIE
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
Dans un premier temps, relire ma vie missionnaire : quels en ont été les
grands axes ? par qui et par quoi ont-ils été inspirés ?
Je me laisse interpeller par « Marie missionnaire » :
1. Par sa hâte, une fois connue la volonté du Seigneur, à se lever et à
partir malgré les « montagnes à franchir ».
2. Par sa manière d’aborder sa cousine dans la discrétion et le respect,
laissant agir l’Esprit.
3. Par sa lecture de l’événement, à la lumière de la Parole qu’elle
porte, de sa tradition religieuse et de l’Esprit qui l’habite.
4. Par l’écoute et l’accueil de ce que l’Esprit lui communique de la
part de « l’autre », et par sa disponibilité à collaborer avec elle
pour accomplir le dessein de Dieu.
5. Par le lien qu’elle fait dans l’humilité et l’émerveillement, entre
ce qu’elle vit (qui la dépasse) et l’histoire du salut.
6. Par sa joyeuse proclamation des merveilles dont elle est témoin et
bénéficiaire.
7. Par son séjour chez Élisabeth dans la charité, l’entraide, et la
collaboration sans bruit dans la vie quotidienne, au service du
dessein de Dieu.
8. Par son retour à Nazareth dès qu’on n’a plus besoin d’elle.
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I, 2
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Je me demande si ma manière de faire la mission ressemble à celle de
Marie, et comment elle la ferait si elle était là, dans les
circonstances où je me trouve.
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INTERLUDE POUR PRIER
JE TE SALUE MARIE
Je te salue Marie,
Mère de toutes nos rencontres humaines habitées par une présence,
Où l’amour attentif se fait Visitation.
Tu es la nouvelle arche de l’Alliance,
Tu portes Dieu dans l’intimité de nos maisons.
Tu cours vers les montagnes de Judée,
Pour porter Dieu à l’homme assoiffé de bonheur,
L’Esprit déjà fait chanter tes journées,
Tressaillir le précurseur,
Et bondir d’allégresse ta cousine Élisabeth.
Tu es l’aurore de la joie du salut au creux de nos impasses,
Tu es l’aube d’une éternelle fête,
Qui met l’humanité en état d’action de grâce.
[M. Hubaut, dans « Christ notre bonheur »]
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I, 2
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Textes de Marie de la Passion
Rayonnement de la charité missionnaire
« Cette fête de la Visitation est un splendide rayonnement de la charité missionnaire; cette vertu
arracha Marie à sa tranquille retraite et la conduisit chez [...] Élisabeth pour la sanctification des âmes,
en particulier de celle de saint Jean Baptiste.
[...] cette fête [...] nous convient particulièrement, et nous tâchons d'obtenir ce jour-là, un grand zèle
pour le salut des âmes et cet oubli de soi-même, qui ne recule devant aucun sacrifice pour faire du
bien. » [Coutumier éd. 1938, n° 104, 2 juillet ].
Marie « arche de paix »
« Dès que Marie, [arche de paix, la Missionnaire qui porte Jésus], apparaît, [...] avec Jean Baptiste le
genre humain tressaille de bonheur, car l’ennemi a été écrasé pour la première fois par le femme. »
[Méditations t. 3, 2 juillet].
Le cantique de Marie
«[...] le Magnificat – c'est l'extase de l'amour à la vue des dons de Dieu avec la certitude de son
[propre] néant; donc avec la vraie humilité.» [ Il me parle... » n° 183, 10 février 1883].
« Que le ‘Benedictus’ et le ‘Magnificat’ restent pour nous pleins d’enseignements sur l’esprit de notre
vocation. » [Méditations t. 3, 1er juillet].
L’union à Dieu
« Obtenons en ce jour [de la Visitation] le secret de rester unie à Jésus, au milieu des œuvres de
miséricorde. Telle est l'âme de la vie missionnaire. » [Méditations t. 3, 2 juillet].
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I, 2
IV – LE SÉJOUR DE MARIE ET SON RETOUR CHEZ ELLE (1, 56)
16 versets nous ont entretenus des premiers instants de rencontre entre Marie et Élisabeth,
dans la maison de Zacharie. Il en avait suffi d’un pour nous parler de son initiative
missionnaire et de son voyage. Un seul suffira encore pour nous dire qu’elle séjourne sur
place trois mois, puis retourne chez elle : nous restons un peu sur notre faim !
« 56 - Marie demeure avec elle quelque trois mois, - et elle revient dans sa maison. »

Pourquoi faire mention de cette période de « trois mois », si l’on ne nous dit pas ce qui
s’y passe ?…
 Un détail qui, peut-être, ne nous saute pas tout de suite aux yeux parce que nous
sommes habitués à ce récit : il est dit que « Marie demeure avec elle ». Qui est cette
« elle » ? Le nom d’Élisabeth n’a pas paru depuis les vts 40 et 41. De 42 à 45, Luc
nous a rapporté ses paroles. Mais depuis le vt 46, il n’est plus du tout question d’elle.
En réalité, si tout le cantique de Marie était supprimé, le récit s’enchaînerait
beaucoup mieux. Cela accréditerait l’hypothèse que l’Église des origines avait déjà
mis ces paroles sous forme de psaume . Luc n’aurait plus eu alors qu’à les intégrer à
son récit, en y insérant le vt 48 pour les mettre sur les lèvres de Marie. Pour nous,
cela ne leur en donne que plus de force, en unissant sa prière d’action de grâces et
celle de l’Église.
 Sans doute aussi, l’évangéliste n’avait-il plus rien à nous exposer sur le séjour de
Marie près de sa parente. La mention de ce séjour, précisément après le Magnificat,
nous dit suffisamment tout ce qu’il a dû être, en nous dévoilant son esprit :
 En plus de l’entraide mutuelle entre les deux futures mères, l’une apportant la
vigueur de sa jeunesse et l’autre son expérience et ses conseils, elles ont vécu
ensemble le temps béni de l’attente d’un enfant, qui est celui de la maturation de
la vocation maternelle : une étape à franchir, et qui demande du temps, voire un
accompagnement. Dans la ligne de sa vocation propre, l’Église voit là un signe de
l’Avent qu’elle-même doit vivre au milieu du monde, afin que mûrisse et rayonne
en elle la Parole avant qu’elle ne paraisse au grand jour.
 Ensemble, à la lumière de ce qu’elles ont découvert de leurs vocations
complémentaires, qui les entraînent dans une aventure commune, et dans la
docilité à l’Esprit qui leur donne de la comprendre et de l’approfondir jour après
jour, leur foi et leur confiance se fortifient pour affronter l’avenir. Elles ne seront
pas seules pour y faire face.
 Si, dans sa tradition, l’Église reconnaît en Élisabeth une personnification de la
Synagogue et en Marie celle de l’Église, n’est-il pas suggestif de voir celle-ci
aider son aînée à accomplir pleinement sa vocation jusqu’au bout, au service d’un
même projet de Dieu sur le monde ?
 Et puis, tout ce qu’a célébré Marie de la miséricorde du Seigneur envers les
« pauvres », elle en est maintenant le signe visible, l’instrument, le « sacrement » :
Élisabeth et Zacharie font partie à plus d’un titre, de ces petits et de ces faibles qui
attirent le regard de Dieu. Tous deux sont âgés. Elle, de plus, est femme et porte
un enfant dans sa vieillesse. Quant à lui, s’il faut en croire l’évangile, il est
maintenant sourd et muet, incapable de bénir le peuple dans le Temple, de la
bénédiction des prêtres [Lc 1, 22. 62]. À travers Marie, dans le déroulement des
jours et sans bruit, passe déjà la mission de compassion et de guérison du Fils,
dans la puissance de l’Esprit.
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I, 2
 « …et elle revient dans sa maison. »
Sa maison, désormais, est celle de Joseph [cf Mt 1, 24] – qui, selon les mœurs du temps,
a bien dû l’accompagner jusque chez Zacharie, et l’en ramener ! Et là, en communion
avec lui, elle continue à grandir au fil des jours, dans la foi et la fidélité à sa mission
qu’elle connaît déjà un peu mieux, et qui se diversifiera selon les étapes, mais dont la
réalité demeure la même .
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L’Église sait-elle, et savons-nous, vivre l’Avent de la mission ?
Dans notre Église, la mission est-elle assez basée sur ce rythme binaire de
l’intimité et de la rencontre ?
Savons-nous l’harmoniser nous-mêmes dans nos vies ?
*
EN CONCLUSION: ÈVE, ÉLISABETH ET MARIE.
La rencontre des deux mères dans la Visitation peut être pour nous un symbole de la vocation
maternelle de la femme – et de l’Église - dans l’Esprit, en la totalité humaine et spirituelle de
cette vocation.
¤ ÈVE, dans le récit mythique de la création, est la composante féminine de l’humanité. Son
nom le dit : Hawa (la Vivante), qui dans la puissance du Créateur transmet le « souffle de
vie » (nèfèsh – neshamah) , aux enfants d’Adam « le terreux » (de adamah = terre).
L’humanité peut alors croître et se multiplier, selon l’ordre de YHWH.30
La tradition théologique n’a pas été tendre envers cette femme-type, « séductrice », par
laquelle le mal serait entré dans le monde...
Or, une tradition juive31 nous invite à lire de plus près le récit de la première
transgression : quand Dieu prescrit de ne pas manger du fruit de l’arbre « de la
connaissance du bien et du mal », sinon il « devra mourir »,c’est à Adam qu’il s’adresse
avant la création d’Ève [cf Gn 2, 15-18] . Adam se distingue des autres êtres animés par la
conscience, ainsi que par la parole instrument de communication-communion entre
personnes ; si bien qu’il est appelé à participer à la création du monde en le cultivant et le
développant selon le dessein de YHWH. Lorsque sa femme lui est donnée pour collaborer
avec lui à cette œuvre, il lui revient donc avant tout de l’informer exactement de cette
interdiction . C’est lui qui faute en ne le faisant pas ; et lui qui est appelé en premier à s’en
expliquer [cf Gn 3, 9-12. 17-19].
¤ Dans la suite des générations, la longue succession des « mères en Israël » aboutit, pour
l’époque qui nous occupe, à ÉLISABETH l’épouse stérile devenue féconde par grâce.
Elles ont bien conscience que le « souffle », « l’âme » qu’elles transmettent à un être
nouveau, procréé selon les lois de la nature, vient de Dieu [cf déjà Ève, en Gn 4, 1. 25]. La
« première naissance » de l’homme, avec tout ce que cela comporte – procréation, gestation,
mise au monde, éducation, culture, etc. – est participation à l’acte créateur de YHWH ;
déjà cet « enfant de l’homme » (ben ha adam) est donc digne de respect ; déjà, il est « à
l’image de Dieu » [cf Gn 1, 27] ; et Dieu vit que « voilà, c’était très bon » [1, 30].
Gn 4, 1 ; cf 29, 31 ; 30, 2. 22. – 1 S 1, 6.11.
Cf. « L’homme et la femme dans la Bible, d’après une tradition juive », conférence donnée par Paulline Bèbe,
rabbin, à la Maison Communautaire des Parrichets en novembre 1999.
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I, 2
¤ MARIE, elle - « l’épouse inépousée »32, la vierge rendue féconde, la nouvelle Ève enfante dans l’Esprit Saint, le Nouvel Adam ; il vient apporter à « l’enfant de l’homme »
cet Esprit même, qui dans une seconde naissance le rendra enfant du Père avec lui. De là
pour Marie sa maternité, non seulement divine, mais universelle dès, peut-on dire,
l’Annonciation.
¤ Voilà rassemblés, dans la scène de la Visitation, en ELISABETH et MARIE, les deux
aspects conjugués de la mission maternelle de LA FEMME–ÈVE réconciliée, « la
Vivante », la transmetteuse de Vie dans l’Esprit, figure du mystère de l’Église.
Cette mission ne s’achèvera qu’avec la fin du monde présent, quand « l’épouse » avec
l’Esprit iront à la rencontre définitive de « l’Époux » dans la Maison du Père, remplie de la
foule innombrable de ses enfants « de toutes langues, peuples et nations »33.
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À notre époque où difficilement et de façon chaotique, se recherchent la « parité
homme/femme », et la connaissance du vrai rôle de la femme dans le monde, ce
texte évangélique peut-il apporter quelque lumière ?
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Cf la liturgie orientale, en particulier l’Hymne Acathiste byzantine.
[cf Ap 7, 9 ; 14, 1 ; - 19, 6-8 ; - 22, 17-20].
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I, 2
Suggestions pour le partage :
Me laisser interpeller par Marie Missionnaire :
 Quelles attitudes m’invite-t-elle à vivre pour continuer sa mission en « femme
d’Evangile » ?
 Comment puis-je les actualiser concrètement dans mon contexte actuel ?
*
Quelques textes qui peuvent nous préparer au partage
Marie de la Passion
« Cette fête de la Visitation est un splendide rayonnement de la charité missionnaire; cette vertu
arracha Marie à sa tranquille retraite et la conduisit chez Élisabeth pour la sanctification des âmes, en
particulier de celle de saint Jean Baptiste.
Cette fête nous convient particulièrement, et nous tâchons d'obtenir ce jour-là, un grand zèle
pour le salut des âmes et cet oubli de soi-même, qui ne recule devant aucun sacrifice pour
faire du bien. » (Coutumier, 2 juillet ).
Constitutions
Envoyées à notre tour, et vouées à la mission universelle selon nos priorités,
nous nous y engageons d’une manière spécifique dans l’Église,
livrant nos vies en disponibilité totale comme Marie,
et puisant notre dynamisme apostolique dans l’Eucharistie [Art 36]
Prière
Je te salue Marie,
Mère de toutes nos rencontres humaines habitées par une présence,
Où l’amour attentif se fait Visitation.
Tu es la nouvelle arche de l’Alliance,
Tu portes Dieu dans l’intimité de nos maisons.
Tu cours vers les montagnes de Judée,
Pour porter Dieu à l’homme assoiffé de bonheur,
L’Esprit déjà fait chanter tes journées,
Tressaillir le précurseur,
Et bondir d’allégresse ta cousine Élisabeth.
Tu es l’aurore de la joie du salut au creux de nos impasses,
Tu es l’aube d’une éternelle fête,
Qui met l’humanité en état d’action de grâce.
(Michel Hubaut)
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