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QUE SERA DONC CET ENFANT ?
D’après Luc 1, 39-66
Le jour était dans tout son éclat. Bravant les volutes de poussière aveuglante
que le vent soulevait, une silhouette s’approchait de la maison, ballottée au
rythme lent de sa monture. Sur la terrasse, Élisabeth clignait des yeux pour
ajuster son regard et percevoir quelque chose de l’identité de ce visiteur. Ses
entrailles tressaillirent lorsqu’elle reconnut sa cousine Marie qui lui faisait la
faveur d’une visite. Élisabeth porta vivement la main sur le galbe de son ventre
habité qui venait de s’agiter, ferma les yeux un instant sur ce mystère, essayant
de comprendre le doux message qui lui parvenait du tréfonds d’elle-même.
L’Esprit-Saint lui enseignait que l’enfant en gestation porté par sa cousine
dépasserait de beaucoup le sien, mais que leurs destins étaient déjà intimement
liés.
Dès qu’elle franchit le porche de la propriété, la jeune visiteuse descendit de son
ânesse avec précaution et s’avança vers Élisabeth d’un pas léger. Un serviteur
vint s’occuper de sa monture et de ses bagages, car la jeune femme avait
l’intention de rester quelque mois. Alors qu’elle s’approchait de sa cousine,
Marie ressentit elle aussi un trouble en son sein. Le message de l’ange se
confirmait-il donc ? Grâce à l’enfant d’Élisabeth, l’Esprit-Saint assurait à la jeune
élue du Seigneur qu’elle était réellement porteuse de l’enfant de la Promesse !
Trop peu de temps s’était écoulé depuis l’Annonciation pour que l’hôte de son
sein ait déjà pu se manifester en elle, mais cette fois, l’émotion perçue ne
pouvait la tromper. Ne dirait-on pas que le futur précurseur prenait sa tâche
très au sérieux puisqu’il annonçait déjà Celui pour lequel il donnerait sa vie ? Les
yeux dans les yeux, cœur à cœur, mystère contre mystère, les deux cousines
s'élancèrent dans les bras l’une de l’autre, comme pour accueillir en chacune
d’entre elles la vocation qui leur était offerte d’apporter le Salut au monde.
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Marie dit alors : « Quelle joie fut la mienne lorsque j’appris de l’Ange Gabriel que
le Seigneur t’avait visitée de ses bénédictions ! » Élisabeth lui répondit avec
exubérance : « Nulle n’est bénie comme toi parmi les femmes, et plus encore
est béni celui que tu portes ! Sais-tu qu’à ton approche l’enfant que je porte a
tressailli d’allégresse en moi ? Loué soit le Seigneur d’avoir permis que tu
viennes jusqu’à moi ! Heureuse es-tu d’avoir cru sans réserve que l’œuvre
annoncée de la part du Seigneur s’accomplissait réellement en toi ! » Marie leva
les yeux au ciel et s’abandonna à la louange : « Tout mon être exulte de joie et
glorifie le Seigneur ! Il n’a pas dédaigné sa petite servante, réalisant en elle des
merveilles que l’on chantera à travers les âges ! Saint est ton Nom, Seigneur, toi
dont la Miséricorde se répand sur tous les croyants de siècles en siècles. La force
de ton bras a raison des orgueilleux, les puissants ne tiennent pas devant toi, tu
les abaisses au profit des humbles tout étonnés de se voir élevés, les riches s’en
vont démunis et le ventre vide alors que les affamés sont enfin comblés. Dans sa
fidélité, ton amour relève ton serviteur Israël, et tu n’oublies pas la promesse
qui te lie à la descendance d’Abraham à travers les siècles ! » Les deux femmes
s’embrassèrent à nouveau avec chaleur.
Dans la resserre, le vieux Zacharie eut tout à coup l’intuition qu’il se passait
quelque chose d’important. Il lâcha son occupation, sortit en hâte de la maison,
et se pencha par-dessus le parapet de la terrasse. Il aperçut les deux femmes
enlacées. Prenant conscience de l’importance de l’événement, il se mit à
applaudir à cette rencontre. L’usage de la parole lui faisait faut, mais pas la
capacité de tressaillir dans la joie de l’Esprit-Saint, ni celle de rendre Grâce. Il
entonna en lui cette parole de Jérémie : « Avant même ton éclosion dans le sein
maternel, je te connaissais ; avant que tes yeux aient vu le jour, je t'ai consacré ;
par mon désir le plus profond, je t’ai institué prophète pour les peuples. »
Dans quelques temps, le cordon ombilical allait se rompre sous une lame
acérée, faisant accéder les deux nouveau-nés à la vie ; et puis un jour, une autre
lame acérée couperait le cordon de leur vie et les enverrait vers la mort, Jean, la
gorge tranchée, et Jésus, cloué sur une croix. Ils passeront alors une seconde
fois par un ventre ténébreux qui les fera accéder à une vie nouvelle, définitive
cette fois. Mais entre-temps, le Royaume de Dieu aura été instauré, et le monde
sera restauré par la grâce du Salut offert à lui gratuitement.
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Voici qu’arriva le temps Élisabeth devait enfanter, elle mit au monde un fils.
Ses voisins et sa famille s'en réjouissaient avec elle. Le huitième jour, ils vinrent
pour circoncire l'enfant. Autre coupure sanglante. Sa mère refusa qu’on
l’appelle autrement que Jean. L’auditoire fut extrêmement surpris que l’on
sursoie ainsi à la Tradition. On demanda par signes au père comment il voulait
qu'on l'appelât ; lui au moins saurait entendre raison. Celui-ci demanda une
tablette. Chacun retint son souffle. Il se mit à graver de son poinçon maintenu
fermement. Tous les regards suivaient les lettres qui se formaient lentement.
Lorsqu’il eut terminé, Zacharie souleva la tablette et la montra aux assistants.
C’est alors qu’on pu lire cette parole de foi écrite dans la cire, expression de Foi
qui permettra à la Lumière de jaillir dans notre monde : « Son nom est Jean. »
Élisabeth prit chaleureusement la main de son époux et l’embrassa.
Voyant le regard ébahi des invités, Zacharie se leva, et voulant confirmer ce qu’il
venait d’écrire, il articula avec conviction : « Son nom est Jean ! » Stupeur
générale, voilà que le muet avait retrouvé la parole ! Le bénéficiaire lui-même
fut sidéré par ce miracle qui l’atteignait d’une façon inattendue ! La volonté de
Dieu ayant été réalisée, Zacharie venait d’être délié de son mutisme ! Les
applaudissements remplacèrent très vite la consternation générale. Et le
premier souci de Zacharie fut de louer et de remercier Dieu, accompagné par
Élisabeth et toutes les personnes, qui peu à peu avaient rempli la salle. Seul,
dans son coin, le petit Jean gémissait dans ses langes, ayant peu apprécié le
passage de la lame rituelle en son intimité.
Et voilà que la parole se propagea dans toute la région, la parole s’échangea
entre les hommes, de bouche en bouche, d’étonnement en étonnement,
d’émotion en émotion. Le muet avait retrouvé l’usage de la parole, et
maintenant il faisait parler toute la contrée. La Parole de Dieu fait parler, la
Parole de Dieu fait parler d’elle, elle fait communiquer les gens entre eux. Elle
nous parle du Verbe, le Verbe nous parle du Père, et le Verbe parle de nous au
Père.
Le soir tombait. Zacharie était passé sur la terrasse pour en goûter la fraîcheur,
et méditer sur ce qui s’était passé en cette journée. Marie était rentrée se
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reposer, car exténuée par son voyage. On entendait pleurer le petit Jean à
l’intérieur de la maison. Élisabeth était descendue s’occuper de lui, laissant
Zacharie seul avec ses pensées. « Que sera donc cet enfant ? » Cette question
venait de jaillir derrière lui, et le vieux prêtre se retourna et fixa le jeune homme
qui la lui avait posée. N’obtenant pas de réponse, le visiteur tardif insista : « Que
sera donc cet enfant ? Car la main du Seigneur est de toute évidence avec lui ! »
Zacharie fixa l’horizon comme pour y puiser une réponse. Il regarda un moment
le magnifique flamboyant qui étirait ses branches en forme de parasol, garnies
de foisonnants bouquets de fleurs rouges. Personne ne savait comment cet
arbre d’origine si lointaine était arrivé en cette contrée de Palestine. Puis
Zacharie se retourna vers le jeune visiteur :
« Le chemin de mon fils, si prometteur qu’il paraisse, est bien peu par rapport à
cet autre que va emprunter celui qu’il a mission d’annoncer. Mon cher
Nicodème, toi qui es un jeune chercheur de la Vérité, tu auras de quoi rassasier
ta quête. Malgré l’avenir de notable qui se dessine pour toi parmi les pharisiens,
ne dédaigne pas de rencontrer ce prophète hors du commun devant lequel mon
fils va marcher, car il n'y a pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes, par
lequel nous devions être sauvés.»
Une nouvelle de Jean-Marie Martin inspirée des Évangiles et extraite du recueil « La bonne
odeur de la Miséricorde » (Saint-Léger éditions).
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