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Le Kulturkampf
et la germanisation
En 1814, le Traité de Paris et le Congrès de Vienne en 1815 nous ont rattachés à la Prusse. Les
diplomates ayant choisi la frontière ecclésiastique plus que millénaire qui séparait les diocèses de
Liège et de Cologne et divisait l'ex-principauté de Stavelot-Malmedy. Le choix de 1815 ne suscita
pratiquement pas de réactions. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque, le choix ne se posait pas entre
la Prusse et la Bel- gique (qui n'existait pas encore !) mais bien entre la Prusse et les Pays-Bas.
Notre région qui sortait d'une longue période de troubles n'aspirait qu'à la paix quel que soit le
prince qui la gouverne !
A l'époque, le gouvernement de Berlin eut l'habileté d'être très tolérant et de ne rien tenter contre
le Wallon et le Français. Le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume IV, en 1856, se félicite d'avoir dans
son royaume un petit pays de langue française. Cette langue subsista ainsi sans problèmes dans
l'enseignement, à l'église et dans les administrations. Evidemment, les intérêts commerciaux
aidant, la population se mit à apprendre la langue officielle du reste de l’empire.
Vint Bismarck et la volonté prussienne d'unifier les « Allemagnes ». Ce fut le Kulturkampf. Des lois
sont promulguées, dites " Lois de Mai ", qui imposent petit à petit l'allemand dans l'administration,
dans l'enseignement, et finalement à l'église. L'opposition au Kulturkampf et à la germanisation
allait d'ailleurs rapidement se cristalliser autour d'une partie du clergé. Il faut dire que le
Kulturkampf s'en prenait aussi à l'église dont Bismarck voulait limiter les prérogatives en
supprimant les séminaires et en limitant l'accès des prêtres à l'école. Bismarck voulait ainsi lutter
contre « l‘obscurantisme clérical ».
La germanisation de l'administration commence en 1863. Elle est d'autant plus facile à réaliser
que c'est l'Etat prussien qui place lui-même les fonctionnaires. Il semble toutefois que bon nombre
d'entre eux appliquèrent avec souplesse les mesures en vigueur. Les délibérations des conseils
communaux purent continuer en français au moins jusqu'en 1890.
Mais la conséquence directe est que les Wallons qui voulaient faire carrière dans l'administration
ne pouvaient le faire qu'en Belgique... ou à l'intérieur de l'Allemagne. La germanisation des écoles
se fera en plusieurs étapes. En 1873, l'enseignement de l'allemand est renforcé et l'on assiste à la
germanisation progressive du personnel enseignant. Les anciens sont remplacés par des
Allemands et les plus jeunes sont mutés à l'intérieur du pays pour être remplacés eux aussi par
des enseignants d'expression allemande, ignorant parfois même le français comme ce fut le cas à
Gueuzaine. En 1874, l'abbé Liély se voit retirer l'inspection scolaire. En 1876, les prêtres ne
peuvent plus enseigner en allemand. En 1879, le catéchisme devrait être aussi enseigné en
allemand. Mais cette tentative fut vouée doublement à l'échec.
Les curés étaient généralement moins malléables que les enseignants prussiens et le catéchisme
de Liège fut maintenu en lieu et place de celui de Cologne. En 1880, l'allemand devient la langue
véhiculaire à l'école. En 1889 enfin, le français disparaît complètement à l'école primaire. Certains
enseignants très zélés imposant même l'écriture gothique pour rendre plus difficile la lecture «
clandestine » du français. Il faut dire que les enseignants allemands touchèrent à certaines
époques une prime spéciale de 300 marks (Wallonenzulage) pour les encourager dans leur
entreprise germanisatrice. Dans l'enseignement secondaire, le français eut une place
prépondérante jusqu'en 1866. En 1875, l'allemand y devint la langue véhiculaire, le cours de
français étant maintenu au même titre que le cours d'anglais... Les conséquences de cette
politique furent amères. Ceux qui le purent accomplirent leurs études en Belgique, plus
particulièrement à Stavelot. On vit se tarir les vocations religieuses et il n'y eut presque plus
d'enseignants locaux. Le niveau scolaire diminua sensiblement. Les jeunes n'étaient plus à même
de comprendre le français alors que les aînés éprouvaient des difficultés en allemand. Dieu merci,
il restait le wallon! Pour remédier à ces lacunes, certains eurent recours aux cours privés. Les
cours rétribués étaient autorisés mais rares car trop coûteux. Les cours gratuits étaient interdits et
punis d'une amende de trois marks. Toutefois, autour de l'abbé Pietkin, on vit des gens braver la
loi. A Sourbrodt, Pietkin et Serexhe, à Faymonville, le recteur Dethier et Jules Koch, à Ovifat et à
Waimes, Théophile Delhez, un aspirant instituteur qui ne put continuer ses études à cause du
Kulturkampf mais qui seconda le curé et enseignait le français et le catéchisme. La germanisation
du clergé se heurta à des opposants opinâtres comme l'abbé Pietkin et l'abbé Bastin. Toutefois,
comme la nomination des prêtres, après le Kulturkampf, dépendait autant de l'Etat que de
l'Evêché, l'administration prussienne faisant preuve de beaucoup de lenteur, plusieurs cures
restèrent vacantes des mois, sinon des années. La plupart des prêtres allemands qui furent
nommés à la fin du siècle ne firent pas preuve d'un zèle germanisateur excessif. Certains furent
d'ailleurs regrettés de leurs ouailles. Malgré toutes sortes de pression, le français ne disparut pas
de nos églises. Bien sûr, il y eut régulièrement des messes et des sermons en allemand. Mais
n'oublions pas qu'au fil des années, des germanophones étaient venus s'installer chez nous. Ce
fut le cas de Sourbrodt-Gare par exemple et l'abbé Pietkin eut avec ses nouveaux paroissiens
d'excellents rapports... en allemand. C'est aussi un curé, l'abbé Bastin, qui fit flotter le drapeau
wallon sur la nouvelle église de Faymonville en 1913 aux côtés des couleurs papales, prussiennes
et malmédiennes !
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, toutes ces vexations n'empêchèrent apparemment pas
la population de faire preuve de loyalisme envers la Prusse. Il est vrai que le vote censitaire
maintient finalement la masse populaire à l'écart de la politique.
Durant la guerre, des mouvements en faveur du rattachement à la Belgique semblent s'organiser
discrètement. Le café Mélotte à Grosbois était un de leurs lieux de rendez-vous, près de la grotte
dont la "Vierge française" irritait le Landrat qui aurait voulu la remplacer par une madone italienne.
L'armistice du 11 novembre 1918 allait marquer le début du processus de désannexion et de
rattachement à la Belgique.
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