permettant de prévoir le passage de celui-ci. La société propriétaire de l’immeuble demanda réparation de son préjudice à la
société de construction, gardienne de l’immeuble. Cette dernière invoqua la force majeure pour s’exonérer.
Mais la Cour d’appel (CA Saint-Denis de la Réunion 6 octobre 1995) refusa toute exonération au motif que la
société de construction ne prouvait pas qu’il lui avait été impossible, dans les premiers temps de l’alerte, de
démonter partiellement la grue afin d’éviter le dommage. La Cour de cassation rejette le pourvoi, confirmant qu’à
partir du moment où «
la société n’avait pas pris toutes les précautions possibles que la prévisibilité de
l’événement rendait nécessaires
, (…)
le cyclone n’avait pas présenté pour elle l’irrésistibilité constitutive
de la force majeure
de nature à l’exonérer de la présomption de responsabilité pesant sur elle comme gardien de la grue ».
Cet arrêt confirme bien la position précédemment adoptée par la 1ère chambre civile et la chambre commerciale,
mais seulement par une interprétation a contrario. Ainsi, si l’événement était prévisible et que le défendeur ne
prouve pas que la prévisibilité de l’événement n’a pas permis d’en empêcher les effets dommageables, il n’est pas
irrésistible et ne présente pas les caractères de la force majeure.
L’irrésistibilité et l’imprévisibilité de l’événement sont toutes deux exigées (donc si l’événement était prévisible,
il n’y aura pas FM), SAUF lorsque le responsable démontre que la prévisibilité de l’événement n’a pas permis
d’en empêcher les effets (la FM ressurgit).
Mais plus récemment, les positions des 1ère et 2ème chambre civile ont eu tendance à s’accentuer dans des
directions opposée : alors que la 1ère chambre civile est allée encore plus loin dans l’abandon de la condition
d’imprévisibilité, la 2ème chambre civile est quant à elle revenue à une position encore plus modérée, rappelant
expressément la caractère cumulatif des deux conditions :
Cass. 1ère civ. 6 novembre 2002, fiche : une société organisatrice de voyages avait promis à ses clients la présence de
Mme Desroches-Noblecourt, éminente égyptologue, dans le cadre d’un voyage organisé en Egypte. Cette dernière fut
empêchée au dernier moment, ayant du subir une intervention chirurgicale. Le voyage fut annulé et l’un des participants
réclama l’indemnisation de son préjudice. La société opposa la force majeure. Le Tribunal d’instance de Paris 15ème, par
une décision du 17 décembre 1998, refusa toute exonération au motif que la maladie d’une personne âgée n’est pas
imprévisible. La société défenderesse forma un pourvoi en cassation. La 1ère chambre civile affirma sans détours que
«
la seule irrésistibilité de l’événement caractérise la force majeure
».
Cela signifie-t-il pour autant que, pour la 1ère chambre civile, l’irrésistibilité est désormais dans tous les cas le
seul et unique critère de la force majeure ? Il ne semble pas qu’il faille donner une telle portée à l’arrêt…
Même si elle ne le précise pas, il semble que l’exception prévue par les arrêts antérieurs demeure :
l’irrésistibilité suffit à établir la force majeure, SAUF si la prévisibilité de l’événement aurait pu permettre d’en
empêcher les effets dommageables. Une sorte de présomption est posée, selon laquelle un événement irrésistible
présente les caractères de la force majeure. Mais elle peut être renversée par la démonstration de son caractère
prévisible et de la possibilité d’en empêcher les effets dommageables. Il se trouve qu’en l’espèce, le Tribunal n’avait
pas établi que la société organisatrice du voyage avait la possibilité d’anticiper en prévoyant le remplacement de
l’égyptologue.
Cass. 2ème civ. 12 décembre 2002 : un couple est déclaré responsable des dégâts occasionnés par le glissement de leur
terrain sur la propriété voisine suite à des pluies torrentielles. Il invoque la force majeure. La Cour d’appel (CA Riom 28
mai 1998), refuse toute exonération au motif que l’événement n’était pas imprévisible. Le couple forme un pourvoi
en cassation. La Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir pu retenir que l’événement « ne constituait pas un
cas de force majeure que [le couple]
ne pouvait ni prévoir ni empêcher
».
Cela signifie-t-il pour autant que, pour la 2ème chambre civile, l’imprévisibilité et l’irrésistibilité de
l’évènement doivent être systématiquement exigées cumulativement ? Il ne semble pas qu’il faille, là non plus,
donner une telle portée à l’arrêt… Il est encore permis d’imaginer que si le couple avait démontré que la prévisibilité
des pluies torrentielles et du glissement de terrain n’avait pas pu leur permettre d’empêcher la survenance du
dommage, la condition d’imprévisibilité aurait pu être contournée et la force majeure admise.
Ainsi, la divergence de jurisprudence entre les 1ère et 2ème chambre civile ne portait pas réellement sur la
disparition ou non du critère d’imprévisibilité. La discorde était plus ambiguë et portait sur le rôle de ce critère :
pour la 1ère chambre civile, l’imprévisibilité était un indice de l’irrésistibilité, alors que pour la 2ème chambre civile, il
s’agissait d’un critère autonome de la force majeure. Mais en admettant, pour la première, que l’irrésistibilité pouvait
être déjouée par la prévisibilité et, pour la seconde, que le critère d’imprévisibilité pouvait être contourné, elles
démontraient que leurs positions respectives n’étaient pas si tranchées.