Séance 4 (partie 1)

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LES CAUSES EXONERATOIRES DE RESPONSABILITE
Si une personne est poursuivie en tant que civilement responsable d’un dommage, elle peut riposter en
affirmant que ce dommage n’est pas du à son fait, mais à un fait qui lui est étranger (fait de la victime, fait d’un tiers,
événement étranger à toute action humaine = cas fortuit).
Selon les cas, cette cause étrangère entraînera soit l’irresponsabilité totale de la personne poursuivie, soit une
simple diminution de sa dette de réparation.
I.
La cause étrangère totalement exonératoire
Pour justifier l’exonération totale, les tribunaux parlent de « cause étrangère exclusive ». Cela suppose
que la personne poursuivie démontre que la survenance du dommage est imputable seulement à la cause étrangère.
La notion de « cause étrangère exclusive » a été consacrée par certains textes (cf. loi du 5 juillet 1985), mais le
vocabulaire employé par les tribunaux est généralement différent : ils parlent de « cause étrangère imprévisible et
irrésistible » ou de « cause étrangère présentant les caractères de la force majeure ».
A. La notion de cause étrangère présentant les caractères de la force majeure
Par hypothèse, cette cause étrangère est un fait relié au dommage par un rapport de causalité qui a rendu
nécessaire la production du dommage.
Pour être considéré comme présentant les caractères de la force majeure, le fait doit être :
- Extérieur à la personne du défendeur
- Imprévisible et irrésistible pour le défendeur
1/ L’extériorité de la cause étrangère
L’idée d’extériorité est inhérente à la notion de cause étrangère : le défendeur ne peut pas invoquer un fait
dont une règle juridique quelconque lui impose précisément de garantir les conséquences dommageables pour les
tiers. Mais pourtant, la notion d’extériorité a suscité beaucoup d’hésitations.
a. L’extériorité du fait du tiers
La notion d’extériorité est ici utilisée pour refuser la qualification de cause étrangère au fait d’une
personne dont la loi ou la jurisprudence impose au défendeur de répondre vis-à-vis des tiers.
Ainsi, à chaque fois qu’une personne doit répondre du fait d’autrui, elle ne peut pas invoquer ce fait comme étant
une cause d’exonération (père et mère pour le fait de l’enfant, commettant pour le fait du préposé…).
Cette solution a cependant posé de graves difficultés concernant la grève : au cours d’une grève, il peut y
avoir des désordres à l’origine d’un dommage ; souvent, l’employeur tente de se dégager de sa responsabilité en
invoquant la grève comme cause étrangère.
Un certain nombre d’arrêts ont accueilli cette argumentation en constatant que l’événement avait rendu impossible
l’exécution de l’obligation de l’employeur. Mais il faut distinguer entre les grèves :
- les grèves qui touchent seulement le personnel de l’entreprise ne sont pas exonératoires (mais réserve d’un
certain courant de JP qui admet l’effet exonératoire des grèves illicites)
- les grèves qui affectent toute une branche d’activité (cf. grève des convoyeurs), et a fortiori les mouvements
d’ampleur nationale (mai 68, manifs anti-CPE…) sont considérés comme extérieures et donc
exonératoires.
b. L’extériorité du cas fortuit
Si l’événement invoqué a été provoqué par le défendeur, il ne pourra pas être considéré comme une cause
étrangère. Mais dès qu’un phénomène, indépendant de la volonté du défendeur, est à l’origine du dommage, on
peut penser que la condition d’extériorité est remplie.
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En ce qui concerne le dommage causé par l’intermédiaire d’une chose, on a vu que son gardien engage
de plein droit sa responsabilité si elle a eu un rôle actif dans la survenance du dommage ; le fait de la chose n’est
donc pas exonératoire. Par ailleurs, la Cour de cassation a affirmé de manière constante que le vice interne de la
chose ne constitue jamais une cause étrangère susceptible d’exonérer le gardien vis-à-vis de la victime : le vice
entre dans la sphère de responsabilité de celui-ci (sous réserve du recours contre le gardien de la structure de la chose).
En ce qui concerne la survenance d’un événement, à l’origine du dommage, qui ne dépend pas de la volonté
du débiteur, certaines difficultés ont pu se poser :
- Pour l’incarcération, on considère que cet état de fait est imputable au défendeur et ne constitue donc pas une
cause étrangère (Cass. 2e civ. 25 mars 1998)
- Pour le chômage, et plus généralement l’insolvabilité, la JP distingue selon que cet état a été provoqué par le
défendeur, auquel cas ce n’est pas une cause étrangère, ou que cette situation est totalement indépendante de sa
volonté et de son comportement ; dans ce dernier cas il peut être reconnu comme une cause étrangère
exonératoire.
- Pour la maladie, la JP traditionnelle admettait qu’elle puisse constituer une cause étrangère exonératoire.
Cependant l’arrêt Trichard (Cass. 2e civ. 18 décembre 1964) a jugé que le trouble mental ne pouvait être une
cause d’exonération pour le gardien d’une chose poursuivi comme responsable du fait de cette chose, et l’art. 489-2
CC. dispose aujourd’hui que : « l’auteur d’un dommage causé sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à
réparation ». Mais les tribunaux ont jugé qu’un raisonnement par analogie n’aurait pas été équitable et admettent que
la maladie n’entraînant pas de trouble mental puisse constituer une cause étrangère exonératoire.
c. L’extériorité du fait de la victime
A priori, la question de l’extériorité ne concerne guère le fait de la victime : il est très rare que l’on
conteste cette extériorité. Cependant, il peut arriver que le fait de la victime ait été provoqué par le défendeur ; il ne
sera alors pas considéré comme une cause étrangère susceptible de l’exonérer.
cf. quand la victime s’était mise à la disposition du défendeur et suivait ses ordres ou ses directives, il ne pourra pas invoquer la conduite
de la victime pour s’exonérer à moins qu’il prouve sa désobéissance.
2/ L’imprévisibilité et l’irrésistibilité de la cause étrangère
La condition d’irrésistibilité est la plus importante et est toujours exigée : elle implique l’impossibilité
absolue pour le défendeur d’éviter le dommage.
L’imprévisibilité est tantôt conçue comme un simple indice de l’irrésistibilité, car elle la renforce en
imposant au défendeur de ne pas se laisser surprendre par un événement prévisible, tantôt comme un critère
autonome de la force majeure.
Si l’événement était prévisible, il était en principe possible au défendeur d’en anticiper les effets et d’éviter de
s’y exposer. Les tribunaux exigeaient donc traditionnellement que la cause étrangère ait été imprévisible pour
admettre l’exonération.
Mais la 1ère chambre civile a ensuite admis que la condition d’imprévisibilité soit écartée au motif que le
responsable n’avait aucun moyen de parer à l’événement à l’origine du dommage, pourtant prévisible (Cass. 1e civ.
7 mars 1966 et 9 octobre 1994). Elle a été suivie par la chambre commerciale :
Cass com. 1er octobre 1997 : « l’irrésistibilité de l’événement est à elle seule constitutive de la force majeure
lorsque sa prévision ne saurait permettre d’en empêcher les effets, sous réserve que le débiteur ait pris
toutes les mesures requises pour éviter la réalisation de l’événement dommageable ».
Ainsi, selon cet arrêt, si l’événement était prévisible mais que sa prévision n’a pas permis d’en empêcher les effets
dommgeables, il est irrésistible et présente les caractères de la force majeure.
L’irrésistibilité suffit à établir la force majeure, SAUF si la prévisibilité de l’événement aurait pu permettre
d’en empêcher les effets dommageables.
La 2ème chambre civile, après quelques hésitations, a fini par admettre le même principe, mais seulement a
contrario :
Cass. 2e civ. 18 mars 1998 : la grue utilisée par une société de construction avait détruit un immeuble en tombant dessus,
entraînée par un cyclone, alors qu’une procédure d’alerte graduée avait été mise en œuvre par les services météorologiques,
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permettant de prévoir le passage de celui-ci. La société propriétaire de l’immeuble demanda réparation de son préjudice à la
société de construction, gardienne de l’immeuble. Cette dernière invoqua la force majeure pour s’exonérer.
Mais la Cour d’appel (CA Saint-Denis de la Réunion 6 octobre 1995) refusa toute exonération au motif que la
société de construction ne prouvait pas qu’il lui avait été impossible, dans les premiers temps de l’alerte, de
démonter partiellement la grue afin d’éviter le dommage. La Cour de cassation rejette le pourvoi, confirmant qu’à
partir du moment où « la société n’avait pas pris toutes les précautions possibles que la prévisibilité de
l’événement rendait nécessaires, (…) le cyclone n’avait pas présenté pour elle l’irrésistibilité constitutive
de la force majeure de nature à l’exonérer de la présomption de responsabilité pesant sur elle comme gardien de la grue ».
Cet arrêt confirme bien la position précédemment adoptée par la 1ère chambre civile et la chambre commerciale,
mais seulement par une interprétation a contrario. Ainsi, si l’événement était prévisible et que le défendeur ne
prouve pas que la prévisibilité de l’événement n’a pas permis d’en empêcher les effets dommageables, il n’est pas
irrésistible et ne présente pas les caractères de la force majeure.
L’irrésistibilité et l’imprévisibilité de l’événement sont toutes deux exigées (donc si l’événement était prévisible,
il n’y aura pas FM), SAUF lorsque le responsable démontre que la prévisibilité de l’événement n’a pas permis
d’en empêcher les effets (la FM ressurgit).
Mais plus récemment, les positions des 1ère et 2ème chambre civile ont eu tendance à s’accentuer dans des
directions opposée : alors que la 1ère chambre civile est allée encore plus loin dans l’abandon de la condition
d’imprévisibilité, la 2ème chambre civile est quant à elle revenue à une position encore plus modérée, rappelant
expressément la caractère cumulatif des deux conditions :
Cass. 1ère civ. 6 novembre 2002, fiche : une société organisatrice de voyages avait promis à ses clients la présence de
Mme Desroches-Noblecourt, éminente égyptologue, dans le cadre d’un voyage organisé en Egypte. Cette dernière fut
empêchée au dernier moment, ayant du subir une intervention chirurgicale. Le voyage fut annulé et l’un des participants
réclama l’indemnisation de son préjudice. La société opposa la force majeure. Le Tribunal d’instance de Paris 15ème, par
une décision du 17 décembre 1998, refusa toute exonération au motif que la maladie d’une personne âgée n’est pas
imprévisible. La société défenderesse forma un pourvoi en cassation. La 1ère chambre civile affirma sans détours que
« la seule irrésistibilité de l’événement caractérise la force majeure ».
Cela signifie-t-il pour autant que, pour la 1ère chambre civile, l’irrésistibilité est désormais dans tous les cas le
seul et unique critère de la force majeure ? Il ne semble pas qu’il faille donner une telle portée à l’arrêt…
Même si elle ne le précise pas, il semble que l’exception prévue par les arrêts antérieurs demeure :
l’irrésistibilité suffit à établir la force majeure, SAUF si la prévisibilité de l’événement aurait pu permettre d’en
empêcher les effets dommageables. Une sorte de présomption est posée, selon laquelle un événement irrésistible
présente les caractères de la force majeure. Mais elle peut être renversée par la démonstration de son caractère
prévisible et de la possibilité d’en empêcher les effets dommageables. Il se trouve qu’en l’espèce, le Tribunal n’avait
pas établi que la société organisatrice du voyage avait la possibilité d’anticiper en prévoyant le remplacement de
l’égyptologue.
Cass. 2ème civ. 12 décembre 2002 : un couple est déclaré responsable des dégâts occasionnés par le glissement de leur
terrain sur la propriété voisine suite à des pluies torrentielles. Il invoque la force majeure. La Cour d’appel (CA Riom 28
mai 1998), refuse toute exonération au motif que l’événement n’était pas imprévisible. Le couple forme un pourvoi
en cassation. La Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir pu retenir que l’événement « ne constituait pas un
cas de force majeure que [le couple] ne pouvait ni prévoir ni empêcher ».
Cela signifie-t-il pour autant que, pour la 2ème chambre civile, l’imprévisibilité et l’irrésistibilité de
l’évènement doivent être systématiquement exigées cumulativement ? Il ne semble pas qu’il faille, là non plus,
donner une telle portée à l’arrêt… Il est encore permis d’imaginer que si le couple avait démontré que la prévisibilité
des pluies torrentielles et du glissement de terrain n’avait pas pu leur permettre d’empêcher la survenance du
dommage, la condition d’imprévisibilité aurait pu être contournée et la force majeure admise.
Ainsi, la divergence de jurisprudence entre les 1ère et 2ème chambre civile ne portait pas réellement sur la
disparition ou non du critère d’imprévisibilité. La discorde était plus ambiguë et portait sur le rôle de ce critère :
pour la 1ère chambre civile, l’imprévisibilité était un indice de l’irrésistibilité, alors que pour la 2ème chambre civile, il
s’agissait d’un critère autonome de la force majeure. Mais en admettant, pour la première, que l’irrésistibilité pouvait
être déjouée par la prévisibilité et, pour la seconde, que le critère d’imprévisibilité pouvait être contourné, elles
démontraient que leurs positions respectives n’étaient pas si tranchées.
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Quoi qu’il en soit, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation est venue harmoniser de façon définitive
la jurisprudence, mettant un terme aux discussions stériles précitées, par le rappel de l’exigence cumulative des
conditions d’imprévisibilité et d’irrésistibilité (l’extériorité n’est même pas évoquée), de la façon la plus claire
possible :
Cass. Ass. Plén. 14 avril 2006 (fiche) : (2e arrêt relatif à la responsabilité délictuelle : ce n’est pas la victime partie
au contrat de transport qui agit mais ses proches, afin d’obtenir réparation de leur préjudice d’affection, en tant que
victimes par ricochet). Une femme s’était suicidée en se jetant sur les voies du métro parisien au moment du départ d’une
rame. Ses proches assignèrent la RATP (gardienne de la rame) en réparation. La RATP invoqua la faute de la victime
présentant les caractères de la force majeure pour obtenir son exonération totale. La CA débouta les demandeurs, retenant
la force majeure. Les proches de la victime formèrent un pourvoi en cassation, affirmant que la faute de celle-ci ne
présentait pas les caractères de la FM. L’Ass. Plén. rejette le pourvoi et confirme que la faute de la victime était bien
en l’espèce imprévisible et irrésistible pour la RATP.
A noter :
- Les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité s’apprécient au moment de la survenance du fait
dommageable.
- L’imprévisibilité et l’irrésistibilité sont appréciées in abstracto : on parle de « cause normalement imprévisible et
irrésistible ».
B. L’effet exonératoire de la cause étrangère présentant les caractères de la force majeure
En principe, si les caractères d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité sont remplis, l’exonération du
défendeur est totale.
Si certains régimes spéciaux de responsabilité excluent même l’effet exonératoire de la force majeure (cf. loi du 5
juillet 1985 : elle a complètement écarté l’effet exonératoire du cas fortuit et du fait du tiers et a réduit celui de la faute de la victime),
ces textes sont interprétés de façon étroite et le droit commun reste l’exonération totale.
II.
Le concours entre le fait imputé au défendeur et une cause étrangère ne présentant pas les
caractères de la force majeure
A priori, à partir du moment où le dommage a plusieurs causes juridiques imputables à des personnes
différentes, ce concours devrait conduire à un partage de responsabilité. Mais il est fréquent que le partage soit
écarté en application du principe de l’obligation in solidum de chacun des co-auteurs d’un même dommage à l’égard
de la victime.
Le principe de l’obligation in solidum n’est pas appliqué seulement en cas de responsabilité pour faute ; son
domaine est beaucoup plus large et englobe l’ensemble des régimes de responsabilité. Chaque fois qu’un dommage
est du à plusieurs causes, il permet que l’auteur de l’une de ces causes soit déclaré responsable vis-à-vis de la victime
pour le tout, quitte ensuite à exercer un recours contre les co-auteurs.
L’obligation in solidum est un obstacle, au moins provisoire, à l’effet exonératoire partiel de la
cause étrangère, au partage des responsabilités vis-à-vis de la victime, dans un objectif de protection des intérêts
de cette dernière.
A. Le concours entre le fait reproché au prétendu responsable et le cas fortuit
A propos de ce concours, la jurisprudence a évolué. Dans les années 50, la Cour de cassation avait admis
que le cas fortuit pouvait avoir un effet d’exonération partielle et entraîner une diminution de la réparation mise à la
charge du défendeur.
Mais elle a par la suite marqué sa volonté de maintenir intégralement la responsabilité de l’auteur du
dommage à partir du moment où il n’avait pas établi que le cas fortuit avait présenté pour lui les caractères de la
force majeure.
Aujourd’hui, le cas fortuit n’a aucun effet exonératoire ; il ne diminue en rien les droits de la victime
s’il n’a pas présenté, pour l’auteur du dommage, les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité de la
force majeure.
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B. Le concours entre le fait reproché au prétendu responsable et le fait d’un tiers
- Dans les rapports de la victime avec chacun des co-auteurs du dommage :
C’est la question de l’obligation à la dette de réparation.
Le principe de l’obligation in solidum va jouer pleinement : la victime pourra s’adresser à l’un quelconque des coauteurs pour lui demander la réparation intégrale de son dommage.
Cette règle joue même si le défendeur est poursuivi sur le fondement d’une responsabilité sans faute et qu’il invoque
la faute d’un tiers (Cass. 2e civ. 26 avril 1990). Elle joue également si l’un des responsables est tenu sur le
fondement d’un texte spécial et l’autre en application du droit commun.
Le responsable du dommage ne peut plus s’exonérer par la preuve du fait d’un tiers à moins de démontrer
que ce fait a présenté pour lui les caractères de la force majeure.
- Dans les rapports entre co-auteurs :
C’est la question de la contribution à la dette de réparation.
Le principe est que, entre co-auteurs, celui qui a indemnisé la victime pour le tout peut se retourner contre les
autres (l’obligation in solidum s’explique par l’idée de garantie offerte à la victime qui ne profite pas aux co-auteurs non poursuivis).
Mais les tribunaux ont apporté une exception en cas de concours entre deux co-auteurs dont l’un est coupable
d’une faute alors que l’autre est poursuivi pour un fait non fautif. Dans ce cas, la Cour de cassation a décidé que si
l’auteur de la faute a été poursuivi pour le tout, il n’aura pas de recours contre l’auteur du fait non fautif = priorité
de la responsabilité pour faute dans les relations entre co-responsables.
En ce qui concerne le montant du recours :
- si les co-auteurs sont tous jugés coupables d’une faute, le recours est en principe proportionné à la gravité
respective des fautes
- si l’un des co-auteurs est coupable d’une faute alors que l’autre non, celui qui est responsable sans faute aura
un recours intégral contre l’autre
- si tous sont responsables pour un fait non fautif, on partage leur responsabilité de façon égale.
C. Le concours entre le fait reproché au prétendu responsable et le fait de la victime
1/ En ce qui concerne le droit à réparation de la victime elle-même :
- l’influence de la faute de la victime
Il est de jurisprudence constante en matière civile que la faute de la victime qui ne présente pas les
caractères de la force majeure exonère partiellement le responsable. Si le défendeur prouve que la faute de la
victime a contribué à la réalisation de son propre dommage, il pourra s’en prévaloir pour obtenir une réduction de
sa dette de réparation.
En revanche la chambre criminelle a longtemps écarté ce principe, jusqu’à un arrêt de Chambre mixte du 28
février 1978 qui l’a amenée à aligner sa JP sur celle des chambres civiles. Cependant, elle a maintenu une exception :
elle admet qu’en cas d’infraction intentionnelle contre les biens, toute diminution d’indemnisation fondée sur la faute
de la victime est écartée, à moins que la victime n’ait elle-même participé à l’infraction.
Si le principe de l’exonération partielle est appliqué sans difficultés pour les cas de responsabilité fondés sur la faute,
dans le domaine des accidents de la circulation (responsabilité du fait des choses art. 1384 al. 1 au départ), cette règle a pris peu à peu
une très grande importance en pratique. Elle a conduit les tribunaux à prononcer de très nombreux partages de responsabilité,
les assureurs ayant pris l’habitude d’invoquer quasi-systématiquement une faute de la victime pour éviter l’indemnisation
intégrale.
Cela explique la réaction de la doctrine, suivie par la Cour de cassation :
Cass. 2e civ. 21 juillet 1982 Desmares : la Cour de cassation a décidé qu’en matière de responsabilité du fait des choses, la
faute de la victime ne pourrait plus être invoquée pour justifier un simple partage de responsabilité, mais seulement pour
exonérer le gardien de toute responsabilité si elle présente les caractères de la force majeure.
Cet arrêt a été très critiqué et un certain nombre de CA ont refusé de l’appliquer. En réalité, l’objectif de la Cour de cassation
était d’inciter le législateur à intervenir pour réformer le droit des accidents de la circulation. Ce but a été atteint puisque la loi
du 5 juillet 1985 a été promulguée trois ans plus tard.
Finalement, la Cour de cassation a abandonné cette JP :
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Cass. 2e civ. 6 avril 1987 Mettetal et Chauvet : permet de nouveau au gardien de s’exonérer partiellement en invoquant la
faute de la victime, même si elle ne revêt pas les caractères de la force majeure.
Pour déterminer l’étendue de l’exonération due à la faute de la victime, la Cour de cassation s’en remet à
l’appréciation souveraine des juges du fond, que le défendeur soit responsable sur le fondement de la faute (1382
CC.) ou non (1384 al. 1 et suivants). Elle déclare que les juges du fond sont souverains pour apprécier la part de
responsabilité qui doit être attribuée au défendeur.
- l’influence du fait non fautif de la victime
Il n’a aucune influence sur son droit à réparation, à partir du moment où il ne présente pas les caractères
de la force majeure. Depuis l’abandon de la JP Desmares (qui a écarté l’exonération partielle pour faute de la victime et donc a
fortiori pour le fait non fautif), la Cour de cassation considère que seule une faute de la victime peut entraîner une
exonération partielle.
1/ En ce qui concerne le droit à réparation des victimes par ricochet :
Dans l’hypothèse d’un décès de la victime initiale du dommage, ses proches vont-ils subir une réduction de
leur créance de réparation parce que la victime initiale a commis une faute qui a contribué à sa survenance ?
Après de nombreuses hésitations, la position de la Cour de cassation est aujourd’hui fixée.
Si dès 1938, la Chambre criminelle avait admis que la faute de la victime initiale était opposable aux victimes par
ricochet (Cass. Ch. crim. 14 décembre 1938), d’autres formations de la Cour de cassation s’étaient prononcées en
sens contraire. Les Chambres réunies se sont rangées du côté de la Chambre criminelle (Cass. Ch. réunies 25
novembre 1964) et finalement :
Cass. Ass. plén. 19 juin 1981 : confirmation de ce que la faute de la victime s’impose aux victimes par
ricochet, qui subissent le partage de responsabilité qui aurait été prononcé vis-à-vis de la victime immédiate si elle
avait elle-même exercé l’action en responsabilité (solution reprise dans la loi du 5 juillet 1985).
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