
internalise ainsi au moins pour partie. Dans le même mouvement pourtant, il divise,
fractionne et disperse ces mêmes communautés et l’entreprise devient le lieu de la cohésion,
l’entité capitaliste valorisable sur les marchés. Il offre ainsi toujours une réponse aux
revendications et mouvements ouvriers qui cherchent l’émancipation ouvrière en contestant le
pouvoir du patronat, il fait pièce aux mouvements socialistes du 19è siècle. Il invente et
transforme suffisamment « lentement » pour limiter les risques de révolution et d’implosion
véritables. En somme, ce qui peut apparaître comme une logique managériale des siècles
passés, se pose plus exactement comme réponse plurielle (religieuse, idéologique, stratégique)
à la question sociale de son temps.
Ce faisant, les patrons, lors des révolutions et des transitions industrielles des 18è au 19è
siècles, en définissant les règles de la morale au travail, ont donc à la fois intériorisé la
question de la solidarité au sein de l’entreprise et assuré à travers celle-ci la légitimité globale
de l’organisation, donc leur propre position. À l’échelle des plus grandes unités productives,
au tournant des deux derniers siècles, le patron paternaliste tente même réellement d’éviter la
confrontation entre travail et capital, chère au matérialisme historique. Il perçoit l’intérêt de
placer les conditions du travail salarié au cœur de la relation des hommes au sein de
l’entreprise. De la qualité de ces conditions dépendra alors celle de la coopération, de la
relation, de la solidarité voire de l’unité. Une entreprise peut, certes, être perçue comme
« fondamentalement intermédiaire », c’est-à-dire comme un « groupement humain, plus large
que la famille, plus petite que la nation ou la société, différente du clan ou de la bande
». Elle
va aussi probablement au-delà de la « mise en commun d’individus » puisqu’elle opère à
partir des interactions, des relations entre personnes
. En chaque cas, elle demeure une
structure de production identifiable, valorisable et transformable par le marché.
Patrons et ouvriers, bailleurs de fonds et ingénieurs concourent alors au moins autant que
l’État à assurer le bonheur des hommes… et probablement mieux au regard du souhait
d’éviter un cadre règlementaire uniforme et contraignant sur des territoires hétérogènes où
s’organisent des hiérarchies productives extrêmement variées dont les chefs d’entreprise
entendent tirer profit
. Dès lors, « pour mettre en œuvre des formes d’organisations modernes
D. BESSIRE et H. MESURE, « Penser l’entreprise comme communauté : fondements, définition et
implications », art. dans Management & Avenir, Management Prospective Ed., n°30, 2009, p. 35.
Ph. ZARIFIAN, Travail et communication. Essai sociologique sur le travail dans la grande entreprise
industrielle, Paris, PUF, 1996.
N. GENESTE, Les spécialisations industrielles des régions françaises (1837-1866), Thèse pour le Doctorat
ès Sciences Économiques, Université Montesquieu – Bordeaux IV, sous la direction de B. Desaigues, 1997.