L`obsolescence du capitalisme français peut-elle conduire à

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Nathalie Geneste
Marie Christine Monnoyer
L’obsolescence du capitalisme français peut-elle conduire à développer la solidarité ?
Introduction .................................................................................................................... 1
1.
Du paternalisme à La RSE. ....................................................................................... 3
1.1 L’entreprise, communauté intermédiaire .............................................................................................................. 4
1.2 De la corporate responsiveness à la RSE ............................................................................................................. 9
1.3 Les limites de la RSE ...................................................................................................................................................15
2. Du social business à la solidarité de proximité ........................................................... 17
2.1 De l’économie positive au social business .........................................................................................................18
2.1.1 L’économie positive ou les effets d’une auto critique .........................................................................18
2.1.2 Le social Business, une troisième Voie ? ............................................................................................ 19
2.2 De la solidarité fiscale à la solidarité de proximité .......................................................................................21
2.2.1 Vers une solidarité légalisée .................................................................................................................... 21
2.2.2 Le développement d’une solidarité de « proximité » ........................................................................ 23
Conclusion ...................................................................................................................... 24
Introduction
Le dernier quart du 20° siècle a été caractérisé par plusieurs évolutions technologiques qui ont
transformé les processus productifs et l’organisation spatiale de la production. Si l’histoire de
notre planète a déjà connu des bouleversements similaires, l’évolution des techniques de
transport de marchandises et l’apparition des échanges d’information numérisés ont favorisé
le développement des échanges internationaux en réduisant les coûts liés à la distance entre
producteurs et consommateurs. La domination qu’exerçait le monde dit occidental (pays de
l’OCDE) sur le reste du monde est mise en cause et de nouveaux pays, qualifiés d’émergents
prennent place de façon marquante dans les échanges internationaux. La dislocation de
l’URSS en 1990 et 1991, la prise de distance des « démocraties populaires » autorise pour la
plupart d’entre elles leur indépendance avec la nation sœur et fait apparaître les différentes
formes du capitalisme comme les voies d’avenir du développement économique.
Mais la révolution qu’apporte le numérique ne se focalise par sur un ou quelques secteurs
d’activités, elle transforme petit à petit toutes les industries et toutes les activités tertiaires,
1
qu’elles soient d’ailleurs marchandes ou non marchandes. Les progrès se nourrissent les uns
des autres et permettent aux pays qui ne se sont pas doté d’une législation sociale au 20°
siècle de mettre en difficulté les organisations productives nées des deux premières
révolutions industrielles.
La crise financière qui débute aux Etats-Unis en 2008, en, prenant son origine dans des
comportements bancaires que l’on pourrait qualifier de mafieux, apparaît comme la plus
grave que le monde ait connu depuis les années trente, sans doute parce que ses effets négatifs
s’ajoutent aux conséquences des transformations technologiques telles que nous venons
rapidement de les brosser.
Toutefois chaque pays a son histoire et chacun a affronté ces bouleversements en s’appuyant
sur ses forces et ses faiblesses pour tenter de maintenir ses acquis. La diversité des situations
économiques et sociales actuelles au sein des pays de l’OCDE témoigne de la variété des
politiques engagées, et de la réactivité des entreprises dans chacun des pays concernés.
Mais le monde, de l’agriculteur aux édiles politiques, du marin au chercheur se trouve en
parallèle confronté avec ce qu’annonçaient les travaux du club de Rome en 1974. De
nombreux scientifiques, tant en sciences sociales qu’en sciences dures, insistent sur les
dangers d’une organisation de la production fortement destructive de matières premières et de
ressources naturelles non renouvelables. Les travaux du GIEC confirment les effets négatifs
sur le climat de la planète des surconsommations et des effets de la pollution atmosphérique.
De telles difficultés, de telles incertitudes quant à la pérennité du mode de vie des occidentaux
et en particulier des Français conduisent les citoyens, les structures productives et ceux qui les
dirigent, les hommes politiques, à s’interroger sur l’obsolescence de la gouvernance de nos
institutions. D’une façon peut-être paradoxale, depuis la fin des 30 glorieuses (1975), alors
que la quête de la reprise de la croissance n’a pas cessé, des embellies temporaires sur le front
de l’emploi ont conduit à repousser une réflexion plus profonde sur les causes des
dégradations constatées. JP Dupuy, (2014) explique que malgré la crise financière de 2008, la
sacralisation de la croissance, son immortalité intrinsèque apparente a empêché les acteurs
économiques et politiques de la fin du 20°s, d’imaginer d’autres formes d’organisations
productives, moins lourdes de conséquences écologiques, humaines et sociales. Dans la
société civile, les réflexions semblent bloquées. Les acquis sociaux (retraite, durée du travail,
2
organisation hebdomadaire du travail…), les privilèges sectoriels, administratifs, salariaux,
fiscaux n’apparaissent exorbitants que chez le voisin… Certains n’hésitent pas à rechercher
un bouc émissaire aux difficultés du temps.
Les structures de réflexion internationales (OCDE, Commission européenne, ONG, voire
étatiques) conscientes des dangers de ces évolutions, réfléchissent à la structuration de
nouvelles formes productives, caractérisées par la recherche de la satisfaction de besoins
sociaux de proximité, une moindre recherche du profit, une attention plus forte aux personnes
employées. Elles sont connues principalement sous le nom d’économie sociale et solidaire.
Les chercheurs se sont emparés de ces concepts pour ouvrir des pistes innovantes aux
managers et éviter des dérives vers des structures très déséquilibrées sur le plan financier. Les
gestionnaires imaginatifs s’intéressent au « bottom of the pyramide » pour trouver des
réponses aux besoins sur lesquels la solidarité fiscale achoppe. Les créatifs, s’appuyant sur les
réseaux sociaux et les technologies numériques, rivalisent d’imagination pour contrebalancer
les effets négatifs d’une gouvernance des structures productives déficiente.
Pour mieux comprendre l’obsolescence du capitalisme français, nous plongerons dans son
histoire riche d’autant de concupiscence que d’engagements sociaux. Elle nous ouvrira la voie
vers les tentatives de rénovation actuelle des formes de gouvernance que nous analyserons
ensuite dans leurs différentes formes managériales ou associatives.
1. Du paternalisme à La RSE.
Historiquement, toutes les phases d’obsolescence d’un mode de production se sont
caractérisées par l’émergence des forces sociales et de tentatives pensant et portant un projet
de société différent.
Pour ce qui concerne les révolutions/transitions industrielles traditionnellement repérées aux
19è et 20è siècles, ces réactions furent pour l’essentiel menées sur le terrain des réformes du
système de production et des transformations des organisations. En d’autres termes, elles sont
demeurées internes au capitalisme (en dehors de certaines approches d’utopies sociales de la
deuxième moitié du 19ès siècle). Si bien que si, comme Marx le prétendait, la chute du
capitalisme est inéluctable, elle ne se traduit pas en tout état de cause par quelque
effondrement que ce soit, par un collapse en quelque sorte, mais au contraire elle se
3
prolongerait indéfiniment en un processus séculaire de transformations et de métamorphoses ;
Ce processus rend l’obsolescence du système globalement imperceptible pour ses acteurs
contemporains (ouvriers, consommateurs), mais paradoxalement et dans le même
mouvement, créatrice d’une nouvelle recomposition à travers des expériences apparemment
limitées mais multiples.
L’hypothèse que la troisième révolution industrielle externaliserait les enjeux humains là
où les deux précédentes les auraient internalisés –dans l’entreprise d’abord, dans
l’organisation managériale ensuite -, peut être avancée et mériterait d’être testée sur le temps
long. En effet, à chaque fois, plusieurs facteurs se conjuguent – et ils se développeront au
cours du 20e siècle –, pour transformer l’organisation de lieux de production1. Les progrès
scientifiques et les innovations dont ils sont porteurs impliquent la création de collectifs de
développement internes puis, progressivement externes, qui laissent entrevoir des possibilités
profondes d’enrichissement mutuel des personnes et de la société. Certes, le capitalisme
financier, notamment, a nettement fait régresser la place offerte aux relations humaines au
sein de l’entreprise ou au cœur de la dynamique des marchés, contribuant à renforcer
l’individualisme, la recherche de la performance individuelle dans l’action immédiate. Ce
faisant, il a relégué contemplation et intériorité ainsi que bien des formes d’action solidaire
hors de l’activité travaillée au sein de l’entreprise.
1.1 L’entreprise, communauté intermédiaire
Il y a deux siècles déjà, l’organisation de production pouvait apparaître parfois comme une
véritable communauté sur un territoire. Aujourd’hui, non seulement l’ensemble des textes,
directives, réglementations, conduisent les managers d’entreprise et leurs actionnaires vers
une meilleure prise en compte de leurs parties prenantes, mais en sus, la circulation des
expériences personnelles et les réalisations d’entreprises petites ou grandes invitent à
éprouver le création et le partage de valeurs et d’actions solidaires (familiales, territoriales,
culturelles, religieuses) comme autant de ressources bénéfiques et non épuisables.
Le capitalisme pétri de paradoxes, y compris sous sa forme industrielle originelle, a toujours
fait grand cas – explicitement comme en creux, par conviction comme par obligation – des
questions de solidarité. Le paternalisme, par exemple, vient substituer une organisation
productive heureuse aux communautés primaires (familiales, locales, de métiers) : il les
1
B. SEGRESTIN et A. HATCHUEL, Refonder l’entreprise, Paris, Seuil, 2012.
4
internalise ainsi au moins pour partie. Dans le même mouvement pourtant, il divise,
fractionne et disperse ces mêmes communautés et l’entreprise devient le lieu de la cohésion,
l’entité capitaliste valorisable sur les marchés. Il offre ainsi toujours une réponse aux
revendications et mouvements ouvriers qui cherchent l’émancipation ouvrière en contestant le
pouvoir du patronat, il fait pièce aux mouvements socialistes du 19è siècle. Il invente et
transforme suffisamment « lentement » pour limiter les risques de révolution et d’implosion
véritables. En somme, ce qui peut apparaître comme une logique managériale des siècles
passés, se pose plus exactement comme réponse plurielle (religieuse, idéologique, stratégique)
à la question sociale de son temps.
Ce faisant, les patrons, lors des révolutions et des transitions industrielles des 18è au 19è
siècles, en définissant les règles de la morale au travail, ont donc à la fois intériorisé la
question de la solidarité au sein de l’entreprise et assuré à travers celle-ci la légitimité globale
de l’organisation, donc leur propre position. À l’échelle des plus grandes unités productives,
au tournant des deux derniers siècles, le patron paternaliste tente même réellement d’éviter la
confrontation entre travail et capital, chère au matérialisme historique. Il perçoit l’intérêt de
placer les conditions du travail salarié au cœur de la relation des hommes au sein de
l’entreprise. De la qualité de ces conditions dépendra alors celle de la coopération, de la
relation, de la solidarité voire de l’unité. Une entreprise peut, certes, être perçue comme
« fondamentalement intermédiaire », c’est-à-dire comme un « groupement humain, plus large
que la famille, plus petite que la nation ou la société, différente du clan ou de la bande 2 ». Elle
va aussi probablement au-delà de la « mise en commun d’individus » puisqu’elle opère à
partir des interactions, des relations entre personnes3. En chaque cas, elle demeure une
structure de production identifiable, valorisable et transformable par le marché.
Patrons et ouvriers, bailleurs de fonds et ingénieurs concourent alors au moins autant que
l’État à assurer le bonheur des hommes… et probablement mieux au regard du souhait
d’éviter un cadre règlementaire uniforme et contraignant sur des territoires hétérogènes où
s’organisent des hiérarchies productives extrêmement variées dont les chefs d’entreprise
entendent tirer profit4. Dès lors, « pour mettre en œuvre des formes d’organisations modernes
D. BESSIRE et H. MESURE, « Penser l’entreprise comme communauté : fondements, définition et
implications », art. dans Management & Avenir, Management Prospective Ed., n°30, 2009, p. 35.
3
Ph. ZARIFIAN, Travail et communication. Essai sociologique sur le travail dans la grande entreprise
industrielle, Paris, PUF, 1996.
4
N. GENESTE, Les spécialisations industrielles des régions françaises (1837-1866), Thèse pour le Doctorat
ès Sciences Économiques, Université Montesquieu – Bordeaux IV, sous la direction de B. Desaigues, 1997.
2
5
exigeant des efforts renouvelés, le salarié ne doit pas défendre avec ses semblables des
intérêts catégoriels mais s’impliquer au nom des intérêts supérieurs de l’entreprise »5.
Dans cet esprit, deux voies au moins ont été mobilisées au cours des temps d’accélération
industrielle, c’est-à-dire d’émergence et d’intensification du capitalisme (premier tiers et
milieu du 19è siècle). Ces voies considèrent le paternalisme appliqué aux conditions de travail
à l’intérieur de l’entreprise et celui débordant sur les conditions de vie des salariés, c’est-àdire sur le temps de non-travail6. L’entreprise y gagne toujours une main-d’œuvre qualifiée,
impliquée, de confiance et finalement fidèle, ce qui compose des attributs majeurs en des
temps de concurrence vive. Les contestations ouvrières et la prise de conscience des effets
délétères du capitalisme qui court alors vers son apogée sont, d’un même mouvement,
désamorcées. La qualification tient ainsi à la fois aux techniques qui se développent et, en
France notamment à la relation toute particulière que l’ouvrier entretient à la (« sa »)
mécanique. Il doit bien souvent la penser, la concevoir (notamment en temps de prohibition
des métiers à tisser ou des moteurs anglais en France par exemple), en améliorer lui-même les
performances, la contrôler, la réparer… Cette perception de la mécanique et la place qu’elle
occupe dans le travail dans les premiers temps du capitalisme industriel contribuent à donner
du sens et un fort sentiment de responsabilité aux ouvriers. Ils sont détenteurs exclusifs d’un
savoir qui, certes, leur ouvre la reconnaissance de leurs pairs, du patron et des apprentis qu’ils
vont choisir de former et de fait, ils sont tout autant garants de la transmission du savoir-faire
et de l’éthique qui le rend indispensable à la communauté productive. Le travail est un art
véritable qui exige à la fois attention, réflexion, et intelligence. L’ouvrier le maîtrise, l’expose
et le commente volontiers, fier d’une compétence exclusive, parfois élitiste mais toujours à
transmettre, qui lui permet dans certains cas « d’imposer les conditions de son exercice au
sein de l’atelier »7. L’entreprise devient le lieu d’expression d’un art mécanique intellectuel et
personnel mais exprimé pour l’intérêt commun.
Le capitalisme s’intensifiant, le patron va doter parallèlement ses ouvriers en conditions de
vie qui auraient été inaccessibles au regard des seuls salaires versés. Il opère des
investissements et des constructions en logements ouvriers, contribue à établir des écoles, des
centres de soins voire des hôpitaux, et des lieux de culture… Ces implantations organisent
5
H. JORDA, « Du paternalisme au managérialisme : les entreprises en quête de responsabilité sociale », art.
dans Innovations, 2009/1, Éditions De Boeck Supérieur, p. 149-168.
6
Ce sont les loisirs, selon une terminologie actuelle quoique anachronique.
7
N. GENESTE et M.-C. MONNOYER, « Numérisation des processus productifs dans les activités de services et
souffrance au travail », art. dans Vers un Management Éthique et Responsable ? La Contribution des Systèmes
d'Information, 17e édition du colloque de l'Association Information et Management, 21-23 mai 2012.
6
une solidarité géographique et d’objectifs dans des époques où les institutions peinent à
clairement mesurer et/ou traiter les enjeux de la pénibilité travail d’une part, de l’intégration
sociale dans les mouvements d’exode rural d’autre part.
Le patron paternaliste semble donc pourvoir à la compensation sociale des risques à travers
les dispositifs de prévoyance et de protection sociale ou encore les coopératives de
consommation… Cela fonctionne aussi longtemps que l’ouvrier, en confiance, peut estimer
ces œuvres patronales comme pourvoyeuses d’un intérêt commun d’ordre supérieur à la fois
aux revendications salariales et à l’organisation centralisée par l’État ; celle-ci est perçue
comme une entrave au libre exercice de l’activité industrielle, celles-là sont vectrices d’une
individualisation plus grande de la personne au travail et en société.
Le patronat français, notamment, va alors jusqu’à s’immiscer dans les conditions
d’existence des ouvriers dans le but de les humaniser. Il entre ainsi dans une logique de prise
en charge véritable d’une grande partie de la vie ouvrière. Il commence par là même à
externaliser de l’entreprise, d’abord très partiellement, le traitement de la question de la
solidarité. Parce qu’il est jugé imprévoyant, dépensier voire irresponsable, l’ouvrier se voit
alors proposés éducation, logement et soin, mais aussi l’organisation de son bien-être dans le
temps non-contraint par le travail. Le paternalisme entre de plain-pied dans la sphère privée
du travailleur à travers les œuvres sociales, donc, mais aussi dans le champ du sport, de la
culture, de la musique, des arts, des voyages… à travers la création d’associations à visées
philanthropique, religieuse ou morale qui organisent l’activité pour détourner l’ouvrier de
toute tendance incompatible avec le travail productif rentable en usine (cf. la pratique du saint
lundi8).
Même au temps de la mécanisation – mieux éprouvée lorsqu’elle est progressive plutôt
qu’accélérée –, le patron va chercher à reconstituer une organisation du travail en équipe,
hiérarchisée, soudée autour de nouveaux savoir-faire venus se substituer à ceux que
l’équipement aura détruits. Il construit alors un modèle de contrôle et de normalisation des
ouvriers. Ceux-ci n’ignorent pas plus ce qu’ils perdent en autonomie que ce qu’ils
économisent en fatigue et risques physiques : chacun prend ainsi la juste mesure de
l’oppression du travail sur soi pour les ouvriers, contre soi pour le contremaître, sur le capital
Voir N. GENESTE, Les spécialisations…, 1997. Voir aussi N. GENESTE, « Mythes et réalités du tourisme
social et associatif : les vacances entre droit et devoirs », art. dans Assistance et assurance : heurs et malheurs de
la protection sociale en France, colloque organisé par le Comité Aquitain d’Histoire de la Sécurité Sociale
(CAHSS) et le Centre Aquitain d’Histoire du Droit (CAHD), 2006.
8
7
pour l’entrepreneur. Ce faisant, et pour autant, celui-ci enclot l’entreprise sur elle-même et,
s’il la rend plus forte face à l’inefficacité ou l’inertie territoriale comme face à la compétition
internationale, il court le risque d’exacerber en son sein les tensions apaisées vis-à-vis de
l’extérieur. L’ouvrier est alors instrumentalisé et en a conscience. Les formes de solidarité au
sein de l’organisation, sauf à être pensées à nouveau frais, deviennent inopérantes voire
disparaissent.
Les accélérations et transformations industrielles passées se sont donc appuyées longtemps
sur de véritables pactes de confiance entre travailleurs et entrepreneur. Au 20è siècle pourtant,
se développe une logique de contractualisation, dont l’une des visées est paradoxalement la
protection du travailleur mais dont les effets sont aujourd’hui clairement perçus comme
potentiellement délétères. Le travail en entreprise témoigne en effet d’une capacité et des
moyens de s’associer aux autres en partageant, dans le cadre d’interactions répétées, des
finalités, des valeurs et des sentiments. « Ce faisant, il exprime tout à la fois une possibilité et
une volonté de donner, de s’impliquer et de s’engager. Mais on observera de la même manière
le déficit et/ou le caractère inacceptable de la régulation sociale sur la base de règles de vie
instaurées unilatéralement par l’organisation et, de fait, perçues comme illégitimes et donc
moins voire pas créatrices de lien entre la personne et le groupe9 ». Aujourd’hui, les employés
légitimement bénéficiaires de la formation individuelle continue (CIF, DIF…) se sentent
libres de proposer leurs compétences actualisées à d’autres organisations que celles qui les ont
formés et ces dernières deviennent de fait réticentes à activer ces dispositifs dont elles
verrouillent les critères d’entrée aux motifs de restrictions ou d’indisponibilités budgétaires.
Après avoir disloqué les solidarités familiales par des organisations orientées vers le primat
de la satisfaction de l’ouvrier masculin sur la communauté familiale, par exemple, et ce, en
dépit des œuvres sociales de prévoyance (à travers des rémunérations indépendantes voire
inverses de la productivité hommes, femmes, enfants, par exemple10), après avoir affaibli les
solidarités villageoises en localisant les grandes unités de production près des centres de
consommation ou de transport et désormais loin des zones rurales où était née l’activité protoindustrielle, après avoir désépaissi les solidarités professionnelles qui s’exprimaient dans les
métiers en imposant des experts mal compris (ingénieurs et contremaîtres11), le paternalisme
N. GENESTE, « Le don : l’autre comme horizon », art. dans COLLECTIF, Chaire Jean Rodhain de Toulouse,
Cahiers de l’Atelier, 2014.
10
N. GENESTE, Les spécialisations…, 1997.
11
L’histoire des corporations comme celle des syndicats ou des mouvements ouvriers rappelle qu’une
communauté artificiellement construite au sein de l’organisation, des valeurs mal (non ?) partagées, le repli
9
8
doit céder du terrain aux actions et programmes sociaux que l’État est conduit à mener. Le
capitalisme « est sauvé » parce qu’il accepte que l’intervention publique vienne garantir la
solvabilité des marchés donc la circulation de la valeur.
1.2 De la corporate responsiveness à la RSE
En effet, jusque-là, le paternalisme avait souvent permis de conquérir, en tant que
démarche volontaire toujours, avant-gardiste souvent, la confiance du salariat. Il démontrait
ainsi l’inutilité des revendications en faveur de mesures législatives finalement contraignantes
pour l’exercice industriel (droit du travail des enfants et des femmes, responsabilité en cas
d’accident du travail dont la définition puis l’application vont prendre du temps). Cela avait
concouru à la libre différentiation de l’entreprise donc à sa capacité à se distinguer sur les
marchés et à déployer ses performances dans un contexte de concurrence (de ressources et de
produits). Mais aujourd’hui, après deux siècles et demi de mutations industrielles profondes,
au temps de l’individualisation et de la flexibilité de la relation de travail et de son corollaire –
le contrat de travail –, la personne au travail est citoyenne : reconnue par l’État et ses
institutions/émanations plus que sur son lieu de travail, elle demande à l’organisation
d’imaginer alors devenir elle-même entreprise citoyenne. Elle la somme de retrouver la
vocation intégrale qu’assumait le paternalisme des années 1850 à 1920 notamment et qu’il
avait remise ensuite entre les mains de l’État : cette logique est « né(e) dans la sphère du
travail (pour) viser à intégrer et à protéger (la personne) avant, pendant et après, à l’échelle de
la journée, de la semaine, de l’année, de la vie »12, du berceau à la tombe en somme. De
nouveau, l’organisation productive est mise en situation (en devoir ?) de venir empiéter sur
l’action - balbutiante et maladroite aux 18è et 19è siècles, dévolue mais défaillante aux 20è et
21è siècles - de l’interventionnisme économique et social public pour préserver tout attribut
de sa personne au citoyen13. La Responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) participe de cette
quête de reconnaissance et d’appartenance de la personne, quête interrogée désormais à
nouveaux frais. Mais avec elle, l’entreprise franchit un pas nouveau – à la fois supplémentaire
et de nature différente -, dans l’externalisation des enjeux de solidarité éclairés par la
transformation du capitalisme moderne désormais clairement financier.
frileux et rigoureux de l’attention portée à la dignité de la personne au travail, redisent toujours et partout, y
compris en présence d’un encadrement fort et d’une trinité normative forte – régulation/évaluation/sanction
(contremaître, ingénieurs-experts puis ingénieurs sociaux, managers intermédiaires) –, que ce sont les
travailleurs qui mènent « au succès ou à la ruine des entrepreneurs » (F. Jarrige, « La longue agonie… », 2011).
12
F. JARRIGE, « La longue agonie… », 2011, p. 117.
13
Voir J. LANZA, « Les veuves dans les corporations parisiennes au XVIII e siècle » dans Revue d’histoire
moderne et contemporaine, Belin, 2009, n°56/3, p. 92-122. Voir aussi X. VIGNA, Histoire des ouvriers en
France au XXe siècle, Paris, Perrin, coll. « Pour l’histoire », 2012.
9
La sensibilité aux impacts sociaux du développement de l’industrie et donc ancienne, pour
autant, les analystes actuels de la RSE insistent sur le fait qu’elle a pris des formes très
différentes, en lien avec le contexte politico-culturel (États-Unis vs Europe) et les caractères
du capitalisme qui évoluent profondément et rapidement tout au long du XXe siècle14.
Les années d’après-guerre, jusqu’au premier choc pétrolier, voient se développer un
capitalisme managérial que les pouvoirs politiques européens pensent être capables de
maîtriser via un appareil légal considérable complété par une démarche de corporate social
responsiveness marquée par la dimension morale de ses défenseurs15. L’entrée dans un
contexte économique plus difficile qui rigidifie le management des entreprises, à partir de
1980, conduit à un déploiement du développement théorique de la RSE avec la volonté des
auteurs de se dégager de l’influence morale diffusée par les encycliques Mater et magistra
(1961), Sollicitudo rei socialis (1987) ou encore Centesimus annus (1991), ainsi qu’à
l’émission par certains économistes de critiques sur un modèle dont la diffusion paraît
marquée par des freins culturels.
Parmi les courants théoriques qui ont nourri réflexions et expériences, il en est un qui a
alimenté le champ de la RSE et dont l’influence s’est élargie au-delà. Il s’agit de la théorie des
parties prenantes proposée par E. Freeman en 1984. Le terme de partie prenante (en anglais
stakeholders qui s’oppose à shareholders, actionnaires) est défini par Freeman comme « tout
individu ou groupe d’individus dans l’organisation qui peut affecter ou être affecté par la
réalisation des objectifs organisationnels ».
14
J. PASQUERO, « La responsabilité sociale de l’entreprise comme objet des sciences de gestion : le concept
et sa portée » dans M.-F. BOUTHILLIER-TURCOTTE et A. SALMON (eds.), Responsabilité sociale et
environnementale de l’entreprise, Québec-Sillery, Presses de l’Université du Québec, 2005, p. 112-143. – A.
ACQUIER, J.-P. GOND et J. IGALENS, « Des fondements religieux de la responsabilité sociale de l’entreprise à la
responsabilité sociale de l’entreprise comme religion » dans Cahiers du CRG, n° 166, 2005, IAE de Toulouse.
15
Y. LE THI, La mondialisation et les stratégies des leaders pharmaceutiques mondiaux face à la question
des maladies tropicales négligées, thèse de doctorat en sciences de gestion, Université Toulouse I Capitole,
2011.
10
Les différentes parties prenantes d’une organisation
Il permet de resituer une organisation en fonction de son environnement et des relations de
pouvoirs exercées par certains de ses acteurs (dimension descriptive), mais ce concept peut
aussi permettre de comparer le management d’une organisation avec d’autres et leurs résultats
financiers (dimension instrumentale). Le concept a aussi pour ambition de prescrire des
comportements et des formes de régulation en vertu de principes éthiques et moraux
(dimension normative).
Cette théorie doit sans doute son succès au fait qu’elle reflète la prise de conscience par les
acteurs économiques et sociaux de la transformation du concept d’entreprise. Dès la fin du
19è siècle, les entreprises modernes ont le souci de domestiquer l’innovation16 pour obtenir
des rendements plus importants et, pour certaines, améliorer les conditions de vie ouvrière.
« L’entreprise apparaît comme le premier collectif qui prend en charge à la fois l’activité
innovante, son organisation et sa valorisation marchande »17. Les dirigeants sont d’ailleurs, à
partir de 1900, appelés régulièrement « chefs d’entreprise » pour bien montrer leur rôle de
coordinateur et de stratège. Mais l’entreprise est rapidement confrontée aux effets négatifs de
son processus productif sur les hommes et les territoires. Un rôle sociétal qui dépasse les
limites de l’entreprise stricto sensu lui est renvoyé par les édiles et les syndicats, en particulier
lorsque les besoins en investissement nécessaires à l’exploitation du progrès scientifique
conduiront à une valorisation du rôle des actionnaires, au détriment de celui des dirigeants. Le
nombre de parties prenantes reconnues augmente année après année, car « malgré le silence
du droit, la communauté de l’entreprise est formée par les effets consentis de gestion, plus que
par les apports respectifs »18. Énoncer la liste des parties prenantes potentielles apparaît,
P. LE MASSON, B. WEIL, A. HATCHUEL, Les processus d’innovation. Conception innovante et croissance,
Paris, Hermès Sciences Publications, 2008.
17
B. SEGRESTIN et al., Refonder…, 2012, p. 29.
18
B. Segrestin et al., Refonder…, 2012, p. 80.
16
11
aujourd’hui, comme une nécessité pour le législateur mais aussi pour le management de
l’entreprise, à l’heure où son marché, ses approvisionnements, ses ressources humaines
s’élargissent au-delà d’un lieu de production géographiquement situé. Ces ouvertures rendent
en effet le législateur responsable aux yeux des citoyens des effets négatifs des processus
productifs, et elles interpellent le dirigeant quant à ses propres responsabilités et aux
conséquences de ses décisions stratégiques et techniques.
Le rappel de textes pontificaux montre cependant que cette vision du rôle élargi de
l’entreprise ne se diffuse que lentement dans la société. Le Compendium de la Doctrine
sociale de l’Église indique que
L’entreprise ne peut être considérée seulement comme une « société de capital » ; elle
est en même temps une « société de personnes » dans laquelle entrent de différentes
manières et avec des responsabilités spécifiques ceux qui fournissent le capital
nécessaire à son activité et ceux qui y collaborent par leur travail19.
Le pape Benoît XVI précise dans Caritas in veritate que
C’est un fait que se répand toujours plus la conviction selon laquelle la gestion de
l’entreprise ne peut pas tenir compte des intérêts de ses seuls propriétaires, mais aussi
de ceux de toutes les autres catégories de sujets qui contribuent à la vie de
l’entreprise : les travailleurs, les clients, les fournisseurs de divers éléments de la
production, les communautés humaines qui en dépendent20.
Cette théorie constitue désormais un élément sous-jacent de la pratique des démarches de
responsabilité sociale. Celles-ci, cependant, sont loin de se généraliser, malgré la diffusion des
textes émis par des instances internationales au cours des vingt dernières années, ou
l’intensification des travaux académiques sur ce thème et les pressions qu’exercent certaines
décisions législatives. Il apparaît ainsi difficile de cibler les secteurs dans lesquels ces
pratiques seraient plus courantes. Certains auteurs considèrent que ces démarches représentent
des stratégies hors marché, ce qui explique qu’elles peuvent être très affectées par des
retournements conjoncturels21. De façon plus générale, elles prennent une coloration plus
socio-économique qu’éthique. Les entreprises sont en effet en quête d’une légitimité dont les
Compendium de la Doctrine sociale de l’Église, 2005, § 338.
Benoît XVI, Caritas in veritate, 2009, § 40.
21
J-C.DUPUIS, « Le management responsable, un modèle de gestion de l’obsolescence morale » dans Revue
Française de Gestion, vol 37, n° 215, juin-juillet 2011, p. 71-85.
19
20
12
critères sont plus largement définis par la société civile que par le passé. Elles sont aussi en
quête d’une identité dont puissent se valoriser leurs salariés. « Les démarches volontaires
d’amélioration de la qualité sociale, sociétale et écologique de la production découlent alors
d’une prise en compte par anticipation d’une contestation possible des droits économiques
dévolus aux entreprises, menaces de contestation ne dérivant pas tant d’acteurs économiques
mais d’acteurs sociaux (ONG, associations de consommateurs, syndicats) »22. Ces démarches
se limiteraient ainsi à une gestion anticipée de l’obsolescence morale des structures
entrepreneuriales et à une réponse ciblée à certaines actions de protection de l’environnement.
Dès lors, si la RSE, telle que nous venons de la décrire, apparaît comme une forme de
réflexion nécessaire, en termes d’image, après les excès de la shareholder value theory de
Friedman (1970), son orientation principale vers des actions de protection de l’environnement
n’est pas suffisante aux yeux de ceux qui ont une vision plus éthique des responsabilités
entrepreneuriales. Enfin, il ne semble pas qu’elle soit suffisamment élaborée pour répondre
aux critiques de ceux qui insistent sur la nécessité, pour le management de l’entreprise, de
veiller à l’efficience des structures productives. Deux voies de réflexion s’offrent alors dont le
potentiel peut interpeler le chercheur et le chrétien.
L’entrepreneur, comme l’affirmait Schumpeter, est à l’origine de nouveaux biens et
services dont les finalités et les valeurs peuvent remettre en cause les offres antérieures. Des
exemples divers de nouveaux produits élaborés avec un nouveau référentiel économique et
social sont là pour montrer qu’une démarche d’innovation peut conduire à la création de
valeurs économiques et de valeurs sociales. Des entreprises appartenant à des secteurs aussi
différents que l’agriculture, l’industrie alimentaire, l’énergie… ont défriché ce champ
qu’Aggeri et al. qualifient « d’innovation par les valeurs » et qui permettent de réconcilier la
gestion de l’obsolescence morale et celle de l’obsolescence économique23.
La mondialisation des échanges et son corollaire, l’intensification de la concurrence
internationale, conduisent les entreprises à reconstruire leur chaîne de valeurs en intégrant
davantage de produits et de services acquis à l’extérieur de leurs frontières propres et des
frontières nationales. Ces pratiques d’externalisation et de délocalisation modifient l’exercice
J-C.DUPUIS, « Le management responsable, comme modèle de gestion de l’obsolescence morale » dans
Revue des sciences de gestion, 2007, n° 223, p. 131-135.
23
F. AGGERI, E. PEZET, C. ABBRASSART et A. ACQUIER, Organiser le développement durable, Paris,
Vuibert, 2005.
22
13
des responsabilités de l’entreprise24. Mais elles interpellent aussi les managers sur l’incidence
des formes de relation qu’elles entretiennent avec ces parties prenantes que sont les
fournisseurs et les sous-traitants. Les apports de Porter et Kramer (2011) sur la responsabilité
élargie mettent en avant que l’attention portée aux conditions de travail et de production en
amont de l’entreprise n’est pas préjudiciable au bon positionnement concurrentiel de
l’entreprise, bien au contraire25. La recherche d’un avantage compétitif apparaît conciliable
avec la satisfaction d’objectifs sociétaux.
Si donc la RSE n’apparaît pas antinomique d’une lutte contre l’obsolescence économique,
elle peut peut-être servir de point d’appui à une réflexion sur le rôle de la communauté
entreprise. Le terme de communauté est évoqué en effet tant dans des écrits laïcs (Segrestin
cité plus haut) que religieux, même s’il ne s’applique plus désormais à l’ensemble de
personnes que connaît souvent nominativement le patron du 19è siècle, mais à tous ceux qui
travaillent ou vivent de l’organisation « entreprise ». Ce terme est interpellant, car s’il existe
des communautés de biens, le mot est ici davantage employé au sens d’une communauté
d’êtres humains, c’est-à-dire si nous nous référons à son sens théologique, de personnes en
relation. Emmanuel Mounier, philosophe personnaliste du 20è siècle, constate par exemple :
« Il n’y a jamais eu tant de société. Jamais moins de communauté 26 ». Les quatre principes
qu’il énonce pour « construire une communauté personnaliste » peuvent nourrir les axes
éthiques de la RSE même dans sa version la plus laïque : 1. Une communauté n’a pas à
utiliser la personne comme un moyen ; 2. Une communauté est elle-même une personne de
personnes27 ; 3. Une communauté offre une totale liberté aux personnes ; 4. La personne doit
répondre à sa vocation, la communauté ne peut la remplacer dans cette réponse personnelle.
Ces principes nous semblent d’ailleurs correspondre à l’idéal démocratique d’égalité et de
liberté qui tranche avec des normes émises dans les siècles précédents, considérées comme
obsolètes et remises en cause par des textes internationaux (droits de l’homme, droits des
enfants…). Mais ces principes peuvent aussi être la source d’une réflexion économique qui
promeut la créativité de tous dans l’entreprise et, par là même, une lutte contre l’obsolescence
économique.
P. MATHIEU, « Management stratégique… », 2012.
M. E. PORTER and M. K. KREMER, « Creating Shared Value » dans Harvard Business review, January
2011. En ligne: http://hbr.org/2011/01/the-big-idea-creating-shared-value/ar/1 (consulté le 8 mars 2014).
26
E. MOUNIER, Révolution personnaliste et communautaire dans Œuvres, tome 1 (1931-1939), Paris, Seuil,
1961, p. 185.
27
« L’individu, c’est la dissolution de la personne dans la matière. », ibid., p. 177.
24
25
14
En RSE, la performance économique reste, nous l’avons rappelé, au cœur de la démarche
de l’entreprise même si elle la déborde. Elle s’appuie souvent sur les valeurs fondatrices et
originelles de l’entreprise en déclinant progressivement et non-immuablement les principes
initiaux. En somme, l’entreprise s’engage dans une stratégie économique soucieuse et
respectueuse d’une éthique préservant les intérêts fondamentaux des populations actuelles et
futures. Cet engagement impose explicitation et transparence car le développement de
l’histoire des entreprises en tant que discipline de recherche met face à un résultat
apparemment paradoxal : d’un côté, il existe une quête véritable pour retrouver les motifs et
les enjeux d’un enracinement entrepreneurial, de l’autre, l’expérience managériale semble
faire fi des enseignements du passé.
1.3 Les limites de la RSE
La RSE peut donc apparaître nécessaire, comme le paternalisme en son temps, car dans un
environnement économique, commercial, territorial de plus en plus concurrentiel, elle devient
l’un des garants de la stabilité de l’entreprise, un « facteur de performance et d’efficacité » et
de sa capacité à affronter à la fois les défis de l’innovation et ceux de la crise. Nécessaire ainsi
parce que « la disparition de l’autorité, de l’unité, de la continuité et de l’engagement et, plus
généralement, le rejet des métarécits sont la conséquence du post-modernisme et d’une perte
de valeurs de la part des individus28 » et sont, de fait, dangereux.
Réflexions et actions s’inscrivent alors dans le long terme et les personnes au travail
s’épanouissent à l’abri des effets délétères des cycles d’innovations de rupture. L’entreprise
qui tente de se construire communauté devient intégrante en un temps où, si la souffrance et le
sentiment d’exclusion s’éprouvent cruellement au travail, ils sont au moins aussi vifs en
l’absence de travail et de reconnaissance sociale. Par sa contribution à toutes formes de
culture et au travail reconnu, l’entreprise aide la personne à grandir et lui permet d’établir ou
de restaurer sa dignité. C’est donc sans angélisme ni contradiction qu’il faut ajouter aux rangs
des convictions partagées l’utilité du bon usage des outils de diagnostic qualité et comptables
ou d’un CHSCT. Les valeurs communes éprouvées dans une démarche qui fait l’unanimité,
qui n’est pas portée ni seulement impulsée par un ou quelques-uns peuvent pousser
progressivement les entreprises vers des projets plus larges, plus englobants et plus intégrants.
P. GHEWI, « La légitimation sociale de l’activité économique de l’entreprise par le discours sur les valeurs :
le cas des TPE » dans Marché et organisations, L’Harmattan, 2006, n°2, p. 97-108.
28
15
La réflexion peut alors être menée indépendamment de recommandations hiérarchiques ou,
pour le moins, de manière transversale ; dans cette initiative partagée s’exerce une logique
bottom/up là où les vertus du paternalisme industriel ne franchissaient qu’exceptionnellement
celle du top/down, faute d’une congruence suffisante des cultures confrontées au sein de
l’entreprise.
Mieux encore, en temps de ralentissement économique, voire de crise, la RSE contribue
respectivement à la pérennité et à la survie, donc au potentiel de transmission de l’entreprise
et de ses valeurs. Là où le paternalisme industriel cherchait à limiter les forces d’inertie et les
blocages auxquels les politiques interventionnistes ou simplement règlementaires nationales
le confrontent, la RSE vient pallier la défaillance de l’État dans nombre de domaines
économiques et sociaux territoriaux. Dès lors, s’il advenait que l’entreprise résistât moins bien
à la crise, au repli des marchés, il conviendrait non pas d’alléger la démarche en matière de
RSE, non pas d’opter pour des fournisseurs moins onéreux, non pas de réduire les ambitions
dans un repli frileux et attentiste qui inverserait les priorités et renverserait la logique des
valeurs jusque-là affirmées, mais, au contraire, de déployer plus encore l’expérience de cellesci, qui rend l’entreprise plus forte et conforte dans le même mouvement ses parties prenantes.
C’est ensemble que, la crise traversée, elles peuvent reprendre le sentier de la croissance et du
développement, ce qu’un territoire asséché en termes d’emplois, de revenus et de débouchés
ne peut permettre. S’exprime ici l’arbitrage entre la pondération solidaire, qui s’inscrit par
nature dans le temps long, et la recherche de l’excellence immédiate. Selon le fondement
éthique des convictions de chacun, on y lira de l’altruisme égoïste ou tout simplement de
l’humanisme, philosophie ou sentiments qui interpellent aujourd’hui les entreprises (en
particulier les grandes) des pays émergents qui doivent naviguer entre les attentes sociales de
leurs salariés et leur propre refus des exigences « droits de l’hommiste » d’ONG
internationales.
Pour autant, il est encore des risques à être victime d’illusion quant au caractère
performatif de la RSE. Des études récentes montrent ainsi qu’il y a plus à perdre d’une
mauvaise gestion des critères ESG29 qu’à gagner de leur bonne gestion. La RSE est donc
perçue de manière asymétrique30. D’ailleurs, dans bon nombre d’organisations, elle relève au
mieux d’une manœuvre incantatoire – elle demeure alors vaine, ses effets sont limités –, au
29
Critères Environnement, Social et Gouvernance.
P. CRIFO, V. FORGET, S. TEYSSIER, « Étude sur la valorisation de la performance extra-financière des
entreprises par les investisseurs en capitaux » dans Études du département d’économie de l’École
Polytechnique/Club DD AFIC, 2012.
30
16
pire elle affiche et promeut des valeurs contradictoires et déconnectées de réelles valeurs
éthiques. Ici, aucune communauté ne trouvera socle fondateur ou facteur d’épanouissement,
certaines se dissoudront. Notamment parce que l’on repère traditionnellement trois variables
qui influencent le degré d’engagement des collaborateurs ; selon le positionnement du curseur
sur cette échelle d’implication, les embryons de communautés trouveront, ou non, terrain à
devenir matures. « La première (de ces variables) est la compréhension et l’adhésion à la
stratégie de l’entreprise. La seconde est le partage des valeurs clés de l’entreprise. La
troisième variable d’engagement est la responsabilité et l’autonomie31 ». Selon que l’éthique
ou des valeurs spirituelles les infusent, et selon le degré d’infusion, l’entreprise acquiert ou
préserve a minima la paix sociale, favorise, a maxima, l’expression identitaire voire
communautaire.
Si l’on saisit le mouvement d’ensemble jusque-là exposé, il peut apparaître que la RSE
gravite autour du périmètre de l’entreprise solidaire sans toujours réussir à éviter de le
déborder ni de le rigidifier. La RSE ne semble toujours pas une approche suffisante, d’une
part, pour aller jusqu’à intégrer les « précaires » dans le déploiement de ses intentions, de ses
règles et de ses attributs. Elle dit ici fort peu (pas ?) de choses des contrats à durée déterminée
(CDD), des stagiaires ou de l’intérim comme des sous-traitants, sinon que l’entreprise qui
s’enracine et se démarque sur son territoire de projet a du mal à composer avec leur volatilité.
Elle se présente, d’autre part comme réponse avisée aux inquiétudes ou aux besoins de ses
parties prenantes dans un contexte anxiogène en raison de l’individualisation et la flexibilité
de la relation de travail ou encore des dérives et enjeux environnementaux. Mais il reste que
c’est toujours le management supérieur qui édicte les valeurs et l’éthique professionnelle sur
lesquelles le management intermédiaire doit communiquer pour les rendre intelligibles et
acceptables auprès de collaborateurs, certes associés mais finalement toujours subordonnés
dans leur respect à la logique de bonne gestion. C’est l’attachement au profit symbolique tout
autant qu’au profit économique tiré des pratiques de RSE qui apparait in fine comme la
différence fondamentalement majeure avec la conception ingénérable de Taylor qui repensait
l’organisation pour le bien commun à l’intérieur et hors de l’entreprise il y a 100 ans.
2. Du social business à la solidarité de proximité
L’aggravation des conditions économiques, en particulier en France, après la crise des
« subprimes » n’a pas favorisé la diffusion de la RSE, du fait des tensions financières qui
31
P. GHEWI, « La légitimation sociale… », 2006.
17
s’exerçaient plus fortement sur de nombreuses entreprises. Les appels répétés aux soucis
écologiques ont orienté les stratégies managériales vers des projets « verts » dont les impacts
financiers sont souvent plus faciles à mesurer de façon précise que les interactions avec les
parties prenantes. Une certaine opposition apparaît entre les structures productives
développant une solidarité forte s’appuyant sur la société civile et celles développant une
solidarité faible s’appuyant sur un modèle entrepreneurial32. Pour autant la créativité de
certains ne peut se satisfaire de l’affirmation de l’impossibilité à gérer ensemble des
dimensions sociales et des prégnances économiques. Parallèlement, l’urgence de besoins
locaux ou internationaux contraste avec des gabegies nées des pratiques de la société de
consommation ; les résultats des politiques de redistribution liées à la législation sociale ou
fiscale contrastent avec la faiblesse des niveaux de vie de certaines catégories sociales. Une
analyse des formes structurelles choisies permet d’ouvrir des champs complémentaires.
2.1 De l’économie positive au social business
2.1.1 L’économie positive ou les effets d’une auto critique
L’analyse des effets de la crise des « subprimes » a conduit de nombreux économistes à
critiquer les effets de la financiarisation et de la généralisation d’un management courttermiste, tant sur les décisions stratégiques que sur le management des hommes33. Le concept
d’économie positive développé par J.Attali34, rassemble sous un même chapeau toutes les
formes structurelles productives (marchandes et non marchandes), qui mettent l’homme et son
besoin de sens dans sa vie de producteur, au centre des objectifs de la structure. Ce n’est donc
pas le statut de la structure qui importe, mais la façon dont les hommes qui l’animent vont
choisir leurs projets et les modalités de leur exécution. Les exemples cités vont donc de la
RSE aux entreprises sociales ou solidaires, aux associations d’insertion…
La motivation des managers « positifs » est l’altruisme rationnel intergénérationnel. Pour
montrer que l’altruisme est une vertu féconde et non contradictoire des exigences du capital
financier, J.Attali et les auteurs du rapport cité en référence s’appuient sur de multiples
exemples tirés des résultats annoncés par les secteurs les plus divers de l’économie au sens
large. Ainsi, les mesures effectuées dans des entreprises qui pratiquent une gestion des
ressources humaines respectueuses des hommes, une attention à l’environnement soucieuse
des ressources futures, un mécénat orienté vers les besoins des populations les plus démunies
32
André K, 2015, « Evaluation hybride des entreprises sociales », RFG n°41, mars, p72-83
Segrestin B et Hatchuel Refonder l’entreprise, op cité
34
Attali J, 2013 ; Pour une économie positive, Fayard
33
18
font-elles apparaître que ces organisations réussissent à marier dimension sociale et
financière. Il est donc rationnel d’être altruiste !
J.Attali ajoute au concept d’altruisme rationnel l’adjectif intergénérationnel pour mettre en
avant la dimension temporelle et critiquer ainsi le court termisme de nombreux managers.
Mais la vérification est plus complexe puisque, comme le montre l’analyse de la RSE et des
entreprises sociales, l’éthique de l’équipe dirigeante impacte beaucoup la stratégie et il en est
de même des évolutions conjoncturelles…
Certains économistes35 regrettent que les porteurs du concept de l’altruisme s’appuient
principalement sur des indicateurs financiers pour montrer le bien fondé de leur analyse,
limitant par là même le rôle de la dimension sociale pour laquelle sans doute les indicateurs
sont plus complexes à établir.
2.1.2 Le social Business, une troisième Voie ?
Les insuffisances du capitalisme en vigueur ont conduit, dans les années 70, Muhammad
Yunus à proposer au Bangladesh, avec la création de la Grameen Bank, l’octroi de
microcrédits pour permettre aux femmes pauvres de ce pays de développer de petites activités
économiques. A cette nouvelle voie de développement, il ajoutera le projet de créer des
“entreprises d’un genre nouveau”, puisqu’elles seraient porteuses d’objectifs à la fois
35
Florence Palpacuer : note aux membres du GRACE, 11 mai 2015
19
économiques et sociaux : aspirer à la maximisation du bénéfice social sous contraintes de ne
pas essuyer de pertes, en outre les bénéfices doivent être réinvestis dans l’entreprise36.
Selon Yunus « la remise en cause des logiques de pensée dominantes, le recours à des
partenariats et à l’expérimentation constituent en temps de crise, pour les entrepreneurs
intéressés par le social business, une aventure mobilisatrice, et pour les salariés impliqués, une
motivation supplémentaire qui les prépare à créer des ruptures dans leur activité
traditionnelle : concilier logique économique et objectifs sociétaux « (in Yunus et al, 200937)
L’un des exemples les plus connus du social business est lié à la rencontre décisive entre
M.Yunus et F. Riboud, PDG du groupe Danone qui conduit à la création de la Grameen
Danone Foods en 2006.
La complémentarité des objectifs économiques et sociaux est construite sur l’ensemble du
processus. En amont la production de yaourts emploie la population locale qui fournit aussi le
lait. En aval, les yaourts, enrichis pour pallier les carences alimentaires sont vendus par des
femmes pour augmenter leurs revenus.
L’exemplarité du projet n’échappe à personne et sa notoriété est portée par le charisme de
F.Riboud et de son successeur. Pourtant comme le montre le travail de « déconstruction »
réalisé par Grisard et Blanchet, le déroulé de la vie de l’entreprise montre que son
management n’est pas exempt de dérives, de même le discours ou les écrits de M.Yunus
caricaturent l’exemplarité de cette 3° voie dont serait porteuse le social business.
Au niveau local de l’entreprise, les cadres peinent à admettre que le produit yaourt doit
être adapté aux spécificités du marché local. Vendre le même produit qu’en occident est plus
valorisant. Parallèlement les vendeurs, confrontés à la volatilité de la main d’œuvre locale
cherchent d’autres distributeurs que les « grameen ladies », visées par le projet social.
Dans la structure Danone Communities qui constitue l’interface entre la joint venture
et le groupe Danone, les sommes consacrées au développement du projet bangladais sont
largement tournées vers des actions de communication plus que vers la résolution des
problèmes locaux.
Cet exemple symbolique ne peut être présenté comme porteur de généralités. Il fait ressurgir
les difficultés qu’il y a à intégrer objectifs sociaux et économiques. Il met aussi en valeur le
rôle des hommes, comme moteur mais aussi comme frein dans toute construction
organisationnelle quelle que soit la solidité des concepts sur lesquels elle s’appuie.
36
Grisard C et Blanchet V, 2011, « Le social business ou « la pauvreté au musée », colloque AIMS, Nantes
Yunus M, Moingeon B et Lehman Ortega L, 2009, “Building social business models : lessons from the
Grameen expérience », Working papers, HEC
37
20
2.2 De la solidarité fiscale à la solidarité de proximité
Comme nous le rappelions précédemment, l’émancipation du « travailleur » vis-à-vis de son
employeur via l’officialisation du contrat de travail s’opère au début du 20° siècle. Elle sera
concomitante avec les effets sur la géographie économique et humaine du développement
industriel français. Les relations traditionnelles de proximité familiales et sociales évoluent et
souvent se relâchent, les formes matérielles de la solidarité sont appelées à évoluer.
2.2.1 Vers une solidarité légalisée
Les sous jacents du paternalisme, évoqués précédemment, ne pouvaient guère rester cachés
dans une démocratie qui s’ouvrait avec la montée en puissance des syndicats, l’élévation des
niveaux de formation… Il revenait donc à l’état d’élaborer et de gérer des formes nouvelles et
structurées de la solidarité. Elles vont être dynamisées par l’enrichissement économique qui a
caractérisé la période dite des trente glorieuses. La solidarité en tant que contrat social entre
les membres d’une société apparaît, en grande partie, contenue dans l’idée de communauté
des citoyens qui suppose un enchaînement régulier du progrès économique à la solidarité,
sous la forme d'une spirale : requise pour le progrès économique, la solidarité justifiait que
l'avancée de celui-ci soit mise au service du progrès social (réduction des inégalités
sociales)38. Le graphe ci-après met en évidence la forte croissance de ces dépenses jusqu’en
1983, puis leur évolution plus mesurée après les chocs pétroliers.
Dépenses et recettes de la protection sociale en % du PIB, hors transferts
Source : INSEE la protection sociale en France et en Europe, 2015
38
Jacques DONZELOT in Repenser la solidarité : l'apport des sciences sociales,
sous la direction de Serge Paugam, PUF, janvier 2007
21
Cette « nationalisation ou fiscalisation » de la solidarité est largement pratiquée en Europe,
mais à des degrés divers toutefois, puisqu’en 2012 la part des dépenses sociales dans le PIB
varie de 25% en Espagne à 28% en Allemagne et au Royaume Uni pour atteindre 34% au
Danemark.
Mais désormais, il n'est plus question que de cohésion sociale, de la menace qui pèse sur
celle-ci du fait de la mondialisation. La cohésion sociale succède bien au progrès social mais
sur fond d'une perte de la solidarité objective de tous à échelle de la nation. Avec la cohésion
sociale, la réflexion dépasse la pensée antérieure organisée autour des conflits et de
l'interdépendance des classes sociales dans l’ancienne société industrielle ; il faut maintenant
intégrer les catégories sociales et ethniques, de les amener à « faire société » autrement qu'en
misant sur une interdépendance objective39.
La crise de 2008 qui intensifie les besoins de solidarité (chômage…) accentue la pression sur
les ressources40, mais aussi la prise de conscience des limites de la solidarité « fiscale », alors
que pour autant 67% des Français déclarent à l’IFOP qu’ils ne sont pas près à abandonner la
sécurité sociale41
Pour la première fois peut être depuis la fin des trente glorieuses, des pessimismes s’affichent,
venant d’horizons divers, quant aux perspectives économiques et leurs conséquences en
termes d’emplois et de besoins sociaux dans notre pays :
- si, depuis 2008, le nombre d’emplois dans les établissements pérennes n’a pas
diminué, le renouvellement annuel des postes de travail varie de 20 à 49% selon les zones
d’emploi (INSEE, mai 2015)42, ce qui laisse entendre une très forte instabilité et des pertes
d’emplois liées à la non pérennité de certains établissements, et la non création de nouveaux
emplois susceptibles de réponde aux attentes des jeunes générations qui arrivent sur le marché
du travail.
- le quart des zones géographiques d’emploi perdent 36% de leurs emplois entre 1983
et 2012. Il s’agit essentiellement d’emplois de production (INSEE, février 201543). Si d’autres
en gagnent, ce sont davantage des emplois plus qualifiés qui ne peuvent occuper, toute
géographie mise à part, par les personnes licenciées.
39
Donzelot, op.cité
Le déficit des recettes afférentes aux dépenses sociales citées est de 7,9 Milliards d’euros en 2013
41
Sondage Ifop, Mai 2015 : les Français et le libéralisme
42
Insee premiere n°1551, mai 2015
43
Insee Première n°1538, février 2015
40
22
- le développement des technologies de l’information et la généralisation de leur usage
dans tous les secteurs de l’économie, fait craindre, grâce aux gains de productivité obtenus,
« la fin du travail »44.
Cette convergence de points de vue conduit certains
- à insister sur la nécessité d’appréhender les politiques économiques et sociales
ensemble : on peut ainsi exploiter des possibilités de réformes qui améliorent à la fois les
performances économiques et sociales 45
-à développer d’autres formes de solidarité, locales ou nationales en s’appuyant sur la
dynamique des réseaux sociaux et des outils numériques.
2.2.2 Le développement d’une solidarité de « proximité »
Nous évoquions au début de cette réflexion le rôle de la diffusion des technologies de
l’information sur la mondialisation des échanges internationaux. Mais leur rôle est tout aussi
significatif quant au positionnement respectif du producteur et du consommateur. Elles ont en
effet favorisé l ‘éclosion d’un ensemble d’applications et de services que se sont appropriés
les utilisateurs qui décident ainsi de coopérer et de diffuser leurs connaissances sans attendre
de contrepartie sous la forme d’un équivalent monétaire46. Le contributeur devient selon
Ricœur, l’homme capable, il acquiert le statut de personnage conceptuel qui s’immisce entre
le producteur et le consommateur. Le contributeur s’appuie essentiellement sur ses
compétences propres, celles de co-contributeurs et des ressources librement disponibles et non
limitées par des coûts d’accès, qu’il (ils) met à la disposition d’une structure ou d’un collectif
dont les motivations lui paraissent dignes d’intérêt. Les motivations de ce contributeur sont
bien sur multiples, parce que sa participation à l’action est choisie par lui, parce qu’il crée de
la valeur « sociétale » et qu’il peut le faire de façon désintéressée c’est à dire sans attendre de
contre don.
Si cette économie de la contribution peut faire l’objet d‘une appropriation par les entreprises
marchandes ou par les entreprises solidaires, nous retiendrons ici essentiellement sa
dimension de solidarité qui s’exprime tant dans l’espace public au sens large que dans des
espaces de proximité. Dans ce dernier cadre, la perception des besoins de solidarité peut être
très vivement ressentie par les citoyens, de même que l’inadaptation des formes de la
44
J.Rifkin et préface de M.Rocard
Paugam, op cité.
46
Beraud P et Cormerais F, 2011, « Economie de la contribution et innovation sociétale » Innovations n°34, p
163-183
45
23
solidarité » fiscale » alors que se révèle l’efficacité de la contribution dont sont porteurs
certains.
Conclusion
Si le capitalisme a permis au cours du 20° siècle d’améliorer considérablement les conditions
de vie des populations dans un très grand nombre de pays, ses excès ont contribué à
endommager de façon sans doute durable, le cadre naturel dans lequel nous vivons. Il n’a pas
réussi à conduire à un développement équilibré tant sur les plans nationaux qu’internationaux.
En revanche, nous avons pu mettre en évidence qu’il a suscité l’apparition de formes
managériales plus respectueuses de la personne humaine, de ses richesses et de ses faiblesses
et de économie de la contribution. Aujourd’hui, il nous semble que ces différents apports sont
susceptibles de renouveler l’organisation et la gouvernance des structures productives.
24
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