Le Kāmasūtra et la « pulsion shastrique » en Inde
Elizabeth Naudou, Université de Provence
Le mot « shastrique » fait référence au traité (śāstra) d’où sont issus les Kāmasūtra, (plus
généralement appelé le Kāmasūtra), « aphorismes sur l’amour » : le maśāstra, « traité sur
l’amour ». Qui dit śāstra, dit, en Inde, exposé religieux ou scientifique, d’où l’expression
« pulsion shastrique » que l’on pourrait rendre par « pulsion encyclopédique énumérative et
classificatoire ». Le but de cet exposé est de replacer le texte dans cette structure mentale
typiquement indienne, qui reflète un goût pour les nombres et par conséquent pour l’activité
ludique qui l’accompagne. N’oublions pas que les mathématiques doivent beaucoup à l’Inde.
ui, le premier, dans un traité datant de 499 ap. J.C.,
l’ , a mentionné le zéro et la numération de position, qui, d’ailleurs, existaient
en Inde avant lui, et que, au XXIe siècle, les Indiens sont parmi les premiers informaticiens au
monde.
Le Kāmasūtra, « aphorismes sur l’amour », n’est pas un ouvrage érotique, mais un traité
d’érotologie, rédi en sanskrit. C’est une œuvre classique, au même titre que les autres
traités, ceux de droit, de médecine, d’astronomie, de mathématiques… Il se présente comme
un texte encyclopédique descriptif, au style schématique et figé, ouvrage qui se veut précis,
rigoureux, sans élément d’ordre passionnel. Le mot kāma signifie « plaisir, souhait, désir,
satisfaction charnelle, volupté, amour ». sūtra veut dire « fil ». C’est le fil du collier et en
même temps les perles du collier. Traditionnellement, c’est le fil qui reliait les pages des
manuscrits faites en feuilles de palmier. C’est le fil conducteur d’un raisonnement ou d’un
exposé. Un sūtra est un texte condensé, qui exige des commentaires. Les sūtra sont des fils
mnémoniques pour guider l’enseignement oral selon la vieille tradition d’enseignement de
maître à disciple.
Il fut écrit vraisemblablement au IVe siècle de notre ère, dans cette phase la plus brillante de
l’histoire indienne à laquelle a donné son nom la dynastie Gupta. Ces souverains, grands
mécènes, ont fait de leur cour, réputée pour son grand raffinement, un lieu privilégié de
rencontres entre les différents arts.
C’est le plus ancien traité d’érotologie que nous connaissions ; d’autres traités en sanskrit
furent rédigés à date plus récente, comme le Koka śāstra (appelé aussi Ratirahasya), « La
science de la volupté », de Kokkola (XIIe s. ?) ; l’Ananga ranga, « Le théâtre de l’amour », de
Ka e s.), traité d’érotique et d’eugénétique. Le Kāmasūtra a fait l’objet -
comme il se doit dans la tradition indienne - de plusieurs commentaires, dont trois sont
connus. Le plus ancien et le plus puté est celui attribué à Yaśodhara, le Jayamangala , « La
réjouissance de la victoire » (XIIIe s.).
Nous ne savons pas grand-chose de l’auteur, Mallanaga Vātsyāyana, mais il était
vraisemblablement de caste brahmanique et aurait vécu à Pataliputra au IVe siècle de notre
ère. Nous apprenons, comme il le dit à la fin de l’ouvrage en parlant de lui-même, qu’il a
composé le Kāmasūtra en s’inspirant des ouvrages de ses prédécesseurs : « C’est après s’être
instruit et inspiré de l’œuvre des Bābhravya, que tsyāyana a composé le Kāmasūtra selon
les règles des écritures sacrées » (Kāmasūtra, VII.2. 56). Il ajoute qu’ « Il a réalisé ce travail
dans la chasteté et la méditation suprême pour l’amour de la vie dans le monde, mais il ne l’a
pas fait par amour de la passion ».(Kāmasūtra, VII.2. 57).
Le but est de fournir aux amants (en dehors et au sein de la vie conjugale) et aux courtisanes
les règles du plaisir pour vivre en harmonie. Il est conçu à l’usage du nāgarika, le « citadin »,
des femmes en général (mariées ou non, courtisanes ou non, princesses ou non), mais aussi à
l’usage des écrivains, dramaturges et poètes. L’activité sexuelle est considérée comme un
devoir religieux. Elle s’inscrit dans le devoir qu’a chaque individu de s’accomplir pleinement
dans cette vie, d’atteindre cette réalisation personnelle qui fait mouvoir la roue du dharma, la
roue de « l’ordre universel ». L’accomplissement , la satisfaction dans chaque domaine de la
vie est, pour les Indiens, la caractéristique même d’une société civilisée. Déjà dans le Veda,
des hymnes sont consacrés aux charmes de l’amour, aux remèdes, aux recettes…dans le but
d’obtenir une vie familiale harmonieuse. Il s’agit d’être en harmonie avec l’univers. Le mot
qui définit l’hindouisme et ses applications est le mot sanatanadharma, le « dharma éternel ».
Mais c’est la participation personnelle (de l’ordre de l’action, de la morale, du droit, de la
religion) à l’ordre universel tant qu’il durera, le svadharma, le « dharma personnel », qui le
délivrance », la « libération », le
« salut ».
Dans ce monde, les activités sont réparties en trois grands domaines (trivarga), qui sont les
objectifs de ce monde : dharma, le « devoir », artha, l’ « intérêt », kāma, le « plaisir », et en
particulier le plaisir sexuel. A ces domaines se rattachent trois grands textes : les śāstra, «
sciences » enseignées sous forme de traités didactiques, d’où la traduction de śāstra par
« traité » : le Dharmaśāstra, l’Arthaśāstra, le Kāmaśāstra. Le Dharmaśāstra, ou « Traité sur
la loi » est un exposé de prescriptions sociales, rituelles, religieuses. L’Arthaśāstra, « Traité
du profit, de l’intérêt », énumère toutes les lois immémoriales en droit, politique, économie,
diplomatie et guerre. Le Kāmaśāstra, « Traité sur l’amour », tel qu’il a pu exister avant
l’ouvrage de Vātsyāyana, décrivait les multiples règles de la science amoureuse. Il est à noter
que ces trois écoles portent l’influence d’une atmosphère scolastique et d’une vision
historique commune, le Kāmaśāstra étant très proche de l’Arthaśāstra, dont il a certainement
subi l’influence.
Le texte : démembrement et dénombrement
Le texte débute par une invocation, d’ordre quasiment religieux, aux trois buts : dharma,
artha, kāma.
Le Kāmasūtra de Vātsyāyana est un condensé d’une œuvre réputée de création divine :
Dans les premières lignes du livre I, l’auteur nous dit que le Créateur, lorsqu’il créa les êtres
vivants, composa en 100 000 chapitres les trois buts humains.
Voici ce qu’il écrit au début du livre I :
« Prajāpati, le Seigneur des créatures, lorsqu’il créa les hommes, composa en
100 000 chapitres les moyens de parfaire les trois buts de la vie sociale, la loi,
l’intérêt, le plaisir. Manu, le fils de l’Un de soi même, consacra un livre à l’un
d’eux, le Dharmaśāstra,
l’Arthaśāstra, et Nandin, le taureau-véhicule du Dieu Śiva, fit un livre à part, de
1000 chapitres, le Kāmaśāstra, que Śvetaketu réduisit à 500 chapitres, et ensuite les
Bābhravya (les fils de Babhru, du pays de Pañcāla) le coupèrent en 150 chapitres
regroupés en 7 parties : généralités, union sexuelle, jeunes filles vierges, femmes
mariées, femmes des autres hommes, courtisanes, pratiques secrètes. Dattaka fit le
livre 6 sur les courtisanes…En répons
filles vierges, Gonardiya sur les femmes mariées, Gonikaputra sur les femmes des
autres hommes, et Kuchumara sur les pratiques secrètes. Lorsque plusieurs
chercheurs l’eurent ainsi divisé en fragments, le texte fut presque détruit. Parce que
les membres amputés du texte que Dattaka et les autres divisèrent sont seulement
des parties de l’ensemble, et parce que le texte des Babhravya est aussi long qu’ardu
à étudier, Vātsyāyana condensa le sujet entier en un petit volume, et, remplissant
quelques lacunes, composa le Kāmasūtra » (I.1.1-14).
L’histoire du Kāmaśāstra est donc celle d’un démembrement. Vātsyāyana est celui qui a
reconstitué l’unité perdue, il est non seulement l’auteur, le compilateur, mais il assure la
fonction réintégratrice, unificatrice. Il en rassemble les membres (anga), nous livre les
morceaux recollés, recollés par un fil (sūtra), celui du plaisir amoureux. Kāma est, dans
l’hindouisme, la personnification même de l’amour. Il est le Dieu de l’amour, également
appelé ananga, « sans membres », « désincarné ». Ce surnom est justifié traditionnellement
par un mythe, celui de la réduction en cendres des membres du Dieu-amour par le Dieu Śiva-
ascète ( , 2e partie, XXXIX, 42-54).
De même, dans la mythologie indienne, la totalité de la création est issue du démembrement
d’une victime primordiale. Cette victime c’est l’Homme. Un hymne du - veda,
le kta , l’ « Hymne à l’Homme », décrit cet homme, ce géant primordial, qui est
aussi l’univers :
« L’Homme a 1000 têtes, 1000 yeux, 1000 pieds, après avoir couvert la Terre de
toutes parts, il a débordé de 10 doigts…Lorsqu’ils (les dieux) divisèrent l’homme,
en combien de parties l’ont-ils arrangé ?...Sa bouche fut le brahmane, de ses bras on
fit le guerrier, ses jambes, c’est le laboureur, le serviteur naquit de ses pieds L’Air
est issu de son nombril, de sa tête le Ciel s’est développé, de ses pieds la Terre, de
son oreille les Régions : ainsi se constitua le monde » ( -veda, 10, 90)
Ce mythe, qui se retrouve dans des traditions religieuses très éloignées de l’Inde, revêt ici une
signification évidente : il s’agit de la totalité primordiale brisée et fragmentée par l’acte de la
création. La métaphore met en relief totalité, pluralité et unité. Le Kāmasūtra, en découpant,
en dénombrant (abondance de livres, chapitres, sections, passages), vise d’une certaine
manière à l’exhaustivité, et au recouvrement de la totalité.
Voici le contenu résumé du Kāmasūtra :
1er livre, sur les généralités
Sommaire : énumération des 7 livres, avec leur contenu (en chapitres et sujets).
A la fin du sommaire, Vātsyāyana nous dit : « Ainsi le texte a 64 sections, en 36 chapitres, en 7
livres, consistant en 1250 passages (I.1. 4-23). C’est le sommaire du texte », et il ajoute :
« Maintenant qu’il a été résumé brièvement, il sera décrit en détails, puisque les hommes avisés du
monde aiment qu’on leur dise les choses sous deux formes : réduite et développée. »
Moyens de réaliser les trois buts de la vie : chaque but s’insère dans un tiers du temps de vie
estimé pour l’homme (cent ans).
Exposé des 64 arts : connaître la danse, la peinture, savoir façonner des formes avec les feuilles
des arbres, colorer les dents, la peau, faire de la musique avec des verres d’eau, pratiquer la
sorcellerie, mélanger des parfums, tisser, réciter des mots difficiles à prononcer, savoir reconnaître
l’or et l’argent, avoir une connaissance en matière de combats de coqs, parler en langage des
signes, connaître la récitation en groupe, connaître le jeu de dés, l’art du déguisement, le massage,
apprendre à parler aux perroquets, etc…
Style de vie du citadin : son emploi du temps, ses divertissements.
Raisons pour prendre la femme d’un autre : on distinguait à l’origine 4 types de femmes : les
femmes mariées, les jeunes filles vierges, les femmes adultères, les courtisanes. Avec les autres
types rajoutés, dont l’être de troisième nature, le total est devenu 9
Rôle des serviteurs et messagers de l’homme
2d livre, sur l’union sexuelle :
Typologie sexuelle d’après 3 critères : la taille du sexe (masculin et féminin), l’endurance dans
l’acte sexuel, le tempérament sexuel. Dans chacune des trois catégories on compte 9 formes. Donc
27 pour l’homme, et 27 pour la femme, soit 27x 27 = 729
Types d’amour, relevant de : l’habitude, l’imagination, la foi, la perception d’objets extérieurs 4
Types d’étreintes, sur la base de 4 : en touchant, en meurtrissant, en se dénudant, en compressant
12. « On prétend que les préliminaires de l’union sexuelle comportent 64 éléments, probablement
parce que leur description est faite originellement en 64 chapitres. »
Types de baisers 17
Griffures, égratignures avec les ongles : 8 critères parmi lesquels les formes des marques qui en
résultent : celles qui donnent la « chair de poule », demi-lune, cercle, ligne, griffe de tigre, patte de
paon, saut de lièvre, feuille de lotus bleu.
Morsures 16 (en comprenant également les griffures et morsures)
Coutumes sexuelles des femmes selon les régions
Positions sexuelles , selon les buts recherchés 17
Actes sexuels particuliers : homosexualité masculine et féminine, unions sexuelles en groupes,
positions ressemblant à des positions pratiquées par les animaux domestiques et sauvages et les
oiseaux 6
Coups et gémissements qui les accompagnent : l’auteur énumère les différentes parties du
corps qui peuvent être frappées : épaules , tête , entre les seins , dos , entre les jambes , sur les
côtés . 4 combinaisons sont ajoutées : avec le dos de la main , avec la main ouverte , avec le
poignet , avec la paume de la main . Le total est 24, nombre auquel il faut ajouter 4 autres variétés
dans le Sud de l’Inde.
Femme jouant le rôle de l’homme (3 mouvements supplémentaires) 3
Caresses de l’homme 10
Coït supérieur (fellation) : réservé aux personnes de la 3e nature- type femme et personnes de la
3e nature-type homme 8
Début et fin de l’acte sexuel
Différentes sortes d’union sexuelle : passionnée, nerveuse, artificielle, par transfert, avec un
vulgaire serviteur, avec un paysan, par amour spontané 7
Querelles des amoureux : (à cause de la jalousie) : conseils sur l’attitude à adopter.
3e livre, sur les jeunes filles vierges :
Comment courtiser la jeune fille
Comment contracter les alliances
Comment gagner la confiance d’une jeune fille
Comment faire des avances à une jeune fille
Interprétation des gestes et signes de la jeune fille
Les différentes avances qu’un jeune homme fait et leurs significations
Les avances qu’une jeune fille fait à celui qu’elle veut épouser
Les avances qui séduisent une jeune fille
Moyens détournés pour se marier
4e livre, sur les femmes mariées :
La vie d’une épouse unique
Différents comportements de l’épouse durant l’absence de son mari
Comment il prend une seconde femme si l’épouse est frigide, si elle n’est pas heureuse en amour
(sexuel), si elle tombe continuellement enceinte, si elle ne donne naissance qu’à des filles ou si
l’homme est volage.
Comment l’épouse la plus âgée s’occupe de la nouvelle épouse
Comportement de la jeune épouse envers l’aînée
Union avec une femme qui a déjà été mariée ou une veuve
Description de l’épouse qui n’est pas heureuse en amour (sexuel)
Vie des femmes du harem
Conduite d’un homme qui a plusieurs femmes
5e livre, sur les femmes des autres hommes :
Sur la nature des femmes et des hommes
Sur les causes de la résistance des femmes à se donner à un autre homme qu’à leur mari
Les hommes qui ont du succès auprès des femmes
Femmes « faciles »
Différentes manières de devenir intimes avec les femmes des autres
Comment faire des avances
Comment tester les sentiments de l’épouse d’un autre
Devoirs d’une messagère
Vie sexuelle des hommes politiques
Vie des femmes du harem
Garde des femmes
6e livre, sur les courtisanes :
Comment les courtisanes choisissent un amant : celui à prendre, celui à ne pas prendre.
Prendre un amant après s’être renseignée sur lui
Comment rendre l’amant amoureux sans s’attacher à lui
Moyens de soutirer de l’argent à l’amant
Signes qui montrent que la passion de l’amant décroît
Manières de ridiculiser l’amant
Différents cas où la courtisane retourne avec l’un de ses anciens amants
Différentes sortes de gains et profits : or, argent, et usage des gains : construction de temples,
jardins, autels du feu…dons aux brahmanes.
Calculs des gains et pertes, conséquences et doutes : mérites religieux accumulés (dharma) gains
(artha), plaisir (kāma).
Différents types de courtisanes (9) : servante porteuse d’eau, servante en général, libertine, femme
débauchée, danseuse, artiste, celle qui est décrépite, celle qui vit de sa beauté, la courtisane de
luxe.
7e livre, sur les pratiques secrètes
Comment être heureux en amour (sexuel): techniques non usuelles, recettes magiques spéciales
(pour ceux et celles qui n’ont pu y arriver en suivant les méthodes des premiers livres) : recettes
diverses, onguents et maquillages, port d’amulettes…
Comment réduire quelqu’un à sa merci : recettes d’onguents à appliquer sur le pénis.
Stimulants pour la virilité : recettes culinaires ; aliments à consommer.
Comment réveiller la passion : énumération de différents godemichés : en or, en argent, en cuivre,
en fer, en ivoire, en corne de buffle, en étain, en plomb ; les concombres, les tiges de lotus, les
morceaux de bambou, graissés avec de l’huile de sésame et diverses décoctions. Enumération de
fourreaux pour augmenter le plaisir de la femme. Description détaillée des piercings du pénis.
Pour augmenter la taille du pénis et du vagin : diverses préparations à appliquer, frotter…(à base
de plantes et autres) : pour augmenter la libido de l’homme, pour élargir ou rétrécir le vagin.
« Pulsion shastrique » et réalisme
Cette abondance d’énumérations illustre le goût indien pour l’esprit classificatoire et la
systématisation présente dans tous les traités d’ordre scientifique. Ce goût pour la
systématisation s’accompagne régulièrement en Inde d’énumérations et de dénombrements.
Plus que de goût, on peut se permettre de parler de « pulsion », de « pulsion shastrique ». Ces
techniques didactiques, et d’ailleurs aussi mnémoniques, relèvent des habitudes et des
méthodes utilisées par les pandits. En effet, les auteurs des grands traités scientifiques en
sanskrit sont pour la plupart des brahmanes, ceux-là même qui ont été et sont encore formés
de père en fils depuis des générations, « dépositaires » du sacré et du rituel depuis des
millénaires.
Les nombres font référence, bien entendu, à une symbolique. Dans le Kāmasūtra, les nombres
récurrents sont principalement : 7/16/24/27/36/48/64/72. Mais l’énumération s’accompagne
toujours d’une « ouverture », d’une autre possibilité. Le nombre est donné, mais, aussitôt,
l’auteur le déclare non définitif et entraîne le lecteur vers l’illimité. Tout semble être
dénombré dans une certaine relativité. L’un des critères les plus courants est la multiplication
des pratiques selon les régions de l’Inde, les époques, les auteurs (7 auteurs en l’occurrence).
Par exemple, dans le livre II, chap. 7, « coups et gémissements », V signale que les rôles de
celui qui est frappé peuvent alterner. Ce qui fait une combinaison multipliée par 2.
« Finalement, dit-il, ces méthodes ne doivent pas être utilisées si elles s’avèrent
dangereuses ». Dans tous les cas il insiste sur le fait qu’il faut éviter les abus. Et, plus
loin encore, il écrit : « Les techniques sexuelles ne peuvent pas être utilisées tout le temps, ni
sur toutes les femmes. La méthode doit être choisie en fonction de la partie du corps, la
région, l’époque. » (livre II, fin du chap. 7) ( Il multiplie ainsi par 3 le nombre donné
initialement dans l’énumération).
Cette souplesse d’utilisation des préceptes du plaisir est conforme à l’usage shastrique. La
dérogation à la règle, en matière de droit par exemple, est également inventoriée dans les
traités. On stipule bien que les prescriptions inventoriées dans le Dharmaśāstra, « Traité du
dharma », le plus important traité juridique ne peuvent être rigoureusement appliquées à notre
époque, puisque nous sommes dans l’âge kali, l’âge « terrible », le dernier âge cosmique,
celui de la décadence, et on prévoit des « dérogations pour l’âge kali ».
Vātsyāyana, dans le même esprit, se conforme aux règles, mais il en limite la rigueur et
l’application. Dans le livre II (II.2. 30-31), il dit : « Quelques étreintes sexuelles ne sont pas
dans ce texte, mais elles intensifient aussi la passion. Celles-là, aussi, peuvent être utilisées
pour faire l’amour, mais seulement avec soin. Le territoire des textes s’étend seulement aussi
loin que les hommes ont des appétits diocres, mais quand la roue du désir est en plein
mouvement, il n’y a ni texte ni ordre ». Et il ajoute : « Relativement à ces choses, il ne peut y
avoir ni énumération, ni table des matières. Pour ceux qui s’unissent dans l’extase sexuelle, la
passion est ce qui dirige les actes. Les émotions et les fantasmes réunis en un instant dans le
chaos sexuel ne peuvent être imaginés, même dans les rêves. »
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