L’expression du passé récent en français
Jukka Havu
Université de Tampere
Langue française
Mai 2008
ii
TABLE DES MATIÈRES
1. Délimitation du sujet ....................................................................................................... 1
1.1. L’expression du passé récent en français ................................................................. 1
La construction venir de + inf. ............................................................................................................... 2
1.2. La construction venir de + inf. dans la tradition grammaticale et dans la
recherche antérieure ......................................................................................................... 9
1.2.1. Caractérisations générales ............................................................................................................ 9
1.2.2. Caractérisations approfondies .................................................................................................... 10
2. Bibliographie ................................................................................................................. 20
1
1. Délimitation du sujet
1.1. L’expression du passé récent en français
Lorsque nous employons le terme « passé récent », nous nous référons à une catégorie
grammaticale dont la fonction est de localiser une situation dans un passé qui est
considéré comme chronologiquement proche du centre déictique. Le centre déictique
peut être exprimé de plusieurs façons ; à travers du contexte (p.ex. dans une situation
conversationnelle le centre déictique coïncide normalement avec le moment de la
parole), par une expression de localisation temporelle (hier á deux heures, Jean venait
de partir) ou par les propriétés d’une construction complexe (mais il n'eut pas plutôt
mangé qu'il eut soif). Dans la présente étude, nous nous concentrons surtout sur le
français préclassique, classique, moderne et contemporaine, grosso modo à partir du
début du XVIe siècle jusqu’à nos jours ; pendant ces plus de cinq siècles, le français a
développé plusieurs expressions du passé récent dont une seule a réussi à devenir
productive dans le système grammatical du français contemporain, la périphrase venir
de +inf.
Nous tenons à souligner le fait que nous employons le terme ‘expression du passé
récent’ comme dénomination d’une catégorie grammaticale. Il est clair que la langue
possède des moyens lexicaux pour localiser une situation dans un passé récent, computé
à partir d’un centre déictique (Pierre est arrivé tout à l’heure ; très récemment ; il y a
une minute ; à l’instant, etc.). Les expressions grammaticales du passé récent, qui
constituent l’objet d’étude du présent travail, sont dans la plupart des cas des
constructions grammaticalisées qui au cours de la transformation d’un élément lexical
en un morphème grammatical acquièrent la propriété d’exprimer la localisation d’une
situation dans le passé récent. Il est clair que le sens du passé récent (qui dans le cas de
venir + inf. est le seul que possède la construction) est dérivé du sens lexical ‘primaire’
de l’élément grammaticalisé (v. chap. xxx sur les procès de grammaticalisation).
Les constructions grammaticales pour exprimer le passé récent en français depuis le
début du XVIe siècle jusqu’à nos jours sont fondamentalement les suivantes (nos
exemples proviennent essentiellement des corpus de français littéraire ; les possibles
formes dialectales n’y apparaissent pas) :
2
1. Pierre vient d’arriver.
2. Pierre sort de prendre un verre.
3. [...] mais parmy la foiblesse de son âge, parmy le declin de sa santé, et parmy la
diminution de ses forces et de sa vigueur, ses dissimulations et ses cruautez ne
diminuoient point, et continuoit tousjours en ses premieres humeurs, y estans
mesme entretenu par les furieux conseils de ce Macron, qui achevoit de perdre
les reliques de ceux qui s' estoient sauvez de ce grand naufrage, si le devin
Thrasyllus n'eust rompu son dessein en trompant Tibere. (Frantext : Coeffeteau,
Histoire romaine, 1646, p. 298, livre 2)
4. La leçon ne faisait que commencer.
5. On ne les a pas plutôt mises au tombeau en cérémonie, qu'elles se dressent
plus vivantes que jamais sur la dalle funèbre. (Frantext : G. Clémenceau, Vers
la reparation, 1899, p. 52, Préface)
Il est évident que les constructions indiquées ci-dessus ne sont pas homogènes, ni en ce
qui concerne leur structure syntaxique ni quant à leur sens. Les quatre premiers
exemples sont des périphrases verbales tandis que le cinquième relève d’une structure
c’est la construction adverbiale ne + aux + pas + plutôt / plus tôt + participe passé
qui fait émerger le sens du passé récent.
Dans cette étude, nous allons nous concentrer essentiellement sur la périphrase venir de
+ inf. tout en donnant, pourtant un bref aperçu des autres expressions du passé récent.
La construction venir de + inf.
Dans la plupart des traités de grammaire française la construction venir de + inf. est
considérée comme une périphrase verbale exprimant une action achevée dans un passé
proche du centre déictique. Par conséquent, il s’agirait d’une construction
symétriquement opposée, du point de vue temporel, à la périphrase aller + inf. :
Cette périphrase [= venir de + inf., JH] évoque le moment qui suit le terme final de
l’accomplissement du procès. Elle correspond symétriquement à la périphrase ALLER +
INFINITIF. (Wagner et Pinchon 1962 : 293)
La périphrase venir de + infinitif est symétrique de la périphrase aller + infinitif.
(Chevalier et al. 1970 : 333)
Venir de, symétrique de aller , saisit le procès immédiatement après son stade final :
Elle vient de jouer. Sa valeur aspectuelle n’est pas identique à celle du temps composé
correspondant, marquant l’accompli (Elle a joué ). Certains considèrent que venir de +
infinitif exprime un « passé proche ». (Riegel et al. 1994 : 253)
Il nous paraît évident que ces définitions donnent lieu à plus d’une observation, car la
caractérisation qu’on en déduit ne prend pas en considération bien des phénomènes qui
3
nous semblent essentiels pour une analyse globale des fonctions de cette périphrase.
L’identification et l’examen de ces phénomènes, dont nous indiquerons les plus
importants ci-dessous, constitueront l’objectif principal de notre étude. Les paragraphes
qui suivent, où nous passerons en revue les observations sur venir de + inf. en contraste
avec aller + inf., ne doivent pas être considérés comme une évaluation critique des
grammaires de Chevalier et al. et de Riegel et al., qui sont des ouvrages portant sur
l’ensemble de la structure du français et qui, précisément pour cette raison, ne peuvent
pas procéder à une analyse très approfondie de chaque forme grammaticale.
La symétrie des deux constructions repose sur leurs propriétés temporelles. Par contre,
en ce qui concerne les propriétés déictiques, il est évident que aller + inf. est plutôt
symétrique avec venir + inf., expression lexicale indépendante qui, contrairement à
aller + inf., n’a pas subi les effets de grammaticalisation (v. cependant xxx).
(i) La construction aller + inf. est ambiguë, car à côté de l’emploi purement temporel,
le verbe aller peut conserver, même suivi d’un infinitif, sa valeur de verbe de
mouvement. Cet état de faits se reflète dans le comportement syntaxique de la
périphrase aller + inf. Lorsque le verbe aller possède la valeur sémantique de verbe de
mouvement, il est possible d’éliminer l’auxiliaire ou d’insérer un complément
circonstanciel entre le verbe aller et l’infinitif:
6. Où est-ce que tu vas? - Je vais acheter le journal.
7. Où est-ce que tu vas? - Acheter le journal.
8. Où est-ce que tu vas? - Je vais au kiosque acheter le journal.
La périphrase venir de + inf. n’admet pas cette possibilité, sauf peut-être (v. Togeby
1982 : 85) dans quelques cas sporadiques d’ellipse du verbe venir :
9. D’où est-ce que tu viens? - ?? Je viens d’acheter le journal.
10. D’où est-ce que tu viens? - *Je viens du kiosque d’acheter le journal.
11. D’où est-ce que tu viens? - * De sortir.
12. D’où est-ce que tu viens? - ?? De dîner.
L’exemple 9, manifestement incohérent, est en contradiction avec le principe
d’informativité (le verbe venir de la réponse ne correspond pas au verbe venir de la
question). Le différent degré d’acceptabilité de 11 et de 12 réside, à notre avis, dans le
caractère éminemment nominal de l’infinitif dîner et semblables (souper, manger, se
promener, etc.) ; ces expressions dénotent des activités qui, d’après notre connaissance
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