Le rapport capital/travail
et la mondialisation capitaliste
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Jean-Claude Delaunay, économiste
Après l’exposé de Quynh sur la société de service et les rapports de classes que
l’on y observe, je vais faire quelques remarques sur l’état actuel de ce rapport dans
le cadre de la mondialisation capitaliste.
Mon exposé contient deux parties. Dans la première, sont décrits les principaux
aspects de ce rapport, appréhendés dans le processus en question. On en retient
dix. Le présent texte est celui de la première partie de mon exposé.
La deuxième partie, qui sera mise sur le site un peu plus tard, est une
interrogation sur la territorialité de ce rapport. En effet, la société ne vit pas hors-
sol. C’est pourquoi la lutte des classes est toujours territorialisée. Quelle est
l’intérêt, pour telle ou telle catégorie sociale, de se situer sur tel terrain de
territorialité plutôt que sur tel autre ? En quoi le choix de ce terrain est-il
significatif de sa position dans le rapport capitaliste?
Le livre sur lequel nos analyses prennent appui (Lire le capitalisme
contemporain, Essai sur la société du XXIème siècle, Le Temps des cerises, 2007)
n’est pas un livre de circonstance et de commande. Nous renvoyons celles et ceux
qui sont intéressés à s’y reporter.
Première partie : Dix caractéristiques du rapport
capital/travail dans la mondialisation capitaliste
Le rapport économique d’une société veloppée comme la France
contemporaine (ou rapport capital/travail) est un rapport capitaliste. Ce
vocabulaire peut sembler un peu désuet. Pour l’instant, selon moi, c’est le seul qui
convienne. L’usage des mots « libéral » ou « néolibéral » pour caractériser la
société française actuelle n’aide pas à comprendre et à se faire comprendre.
Cela dit, il ne suffit pas dânonner le mot « capitaliste », ou le mot
« capitalisme », ou le mot « anticapitaliste », pour témoigner que l’on a fait un
travail d’analyse. Et puisque l’analyse commence par l’observation, quels sont les
principaux traits du rapport entre capital et travail aujourd’hui, au sein de la
mondialisation capitaliste?
On en a distingué une dizaine, dont on présente d’abord la liste et que l’on
examine ensuite plus en détail :
L’extension mondiale du rapport C/T correspond à la phase d’achèvement de
la révolution industrielle commencée en Europe à la fin du XVIIIe siècle.
Cette extension est toutefois réalisée sur le fondement d’importantes
inégalités et écarts de développement entre zones géographiques.
Le capital, pôle actif, exploiteur et dominant du rapport C/T, est mobile sur
tout l’espace mondial
Le travail, pôle exploité et dominé du rapport C/T est plutôt fixe
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Université d’été du PCF, Vieux Boucaux, 28 Août 2008
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Une infrastructure financière d’intensification de la mobilité mondiale du
capital a été fortement développée depuis trente ans.
Le grand capital industriel participe de ce processus de mondialisation
financière capitaliste. Mais il le fait sous la direction du capital bancaire et
financier ainsi que du capital commercial. Le rôle du capital fictif devient
prioritaire et autonomisé.
Comment définir la financiarisation capitaliste?
Le système monétaire et financier des Etats-Unis constitue le pôle
géographique moteur et dominant de l’ensemble capitaliste mondial financiarisé.
La mondialisation financière du capital permet la formation d’entreprises
mondiales géantes hyperconcurrentielles.
Le rapport C/T se déploie aujourd’hui dans le contexte d’une situation
générale de suraccumulation durable du capital.
A) L’extension mondiale du rapport C/T, phase d’achèvement du
capitalisme industriel.
a) Ce qui se développe est d’abord et avant tout la production industrielle. Au
cours des dernières cennies, le capitalisme industriel est un système dont
l’assiette de population est passée de 1 milliard à 4 milliards d’individus environ.
Le rapport C/T a donc été étendu dans le monde sur le mode industriel et dans
certains pays plus que dans d’autres, au détriment de la population agricole. En
évaluant que 3 milliards d’individus ont été intégrés dans la sphère de la
production industrielle au cours des 30 dernières années, on mesure mieux le
déséquilibre introduit dans le fonctionnement économique du monde.
b) Ces observations ne contredisent pas ce qu’a dit Quynh relativement à la
« société de service ». D’une part, la mondialisation des dernières décennies, une
chance pour le capitalisme, a étendu et généralisé un mode particulier de
production et de consommation (les objets) pour lequel ce système est adapté. La
production massive d’objets a été la « mission historique » du capitalisme. Mais
d’autre part, aujourd’hui, les activités de service croissent globalement plus vite
que les activités industrielles, même dans des pays comme la Chine. Ce qui
signifie 1) que les services ne sont pas le contraire de l’industrie 2) que l’industrie
contemporaine nécessite plus de services qu’autrefois, en raison de son niveau de
développement technique et financier plus élevé, de son degré plus grand de
socialisation et du contexte de la mondialisation. Par ailleurs, les besoins humains
évoluent et nécessitent plus de services pour être satisfaits.
c) Pour clore ce point, essayons de retenir quelques repères quantitatifs.
Aujourd’hui, dans le monde, la population agricole représente environ 45% de la
population active totale (un monde tend à disparaître, le monde rural). Le travail
industriel en représente environ 22%. Les services totalisent le reste, soit 33%. Un
nouveau monde se met en place, à la fois industriel et de services, avec
prédominance croissante des services.
La question posée est la suivante : le capitalisme est-il en mesure, dans chaque
nation et au plan mondial, de développer un ensemble productif de biens et de
services, en y incluant les services collectifs, ou a-t-il atteint les limites de ses
potentialités ?
B) L’expansion présente mondiale du rapport C/T est toutefois très
inégalement répartie dans le monde.
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a) Le terme de mondialisation ne doit pas faire illusion. Certes, tous les pays et
leurs populations sont concernés par la mondialisation, au moins en tant que
consommateurs de produits. La télévision, les images, les migrations de
population, les contacts touristiques diffusent partout le modèle de consommation
propre au système industriel moderne. Mais la production industrielle n’est pas
implantée partout. La mondialisation capitaliste du rapport C/T est une
mondialisation partielle.
On va dire, à la louche, que 1 milliard d’individus est actuellement en dehors du
champ de la production industrielle et 1 milliard en situation intermédiaire.
L’expansion du rapport C/T rencontre des limites en raison même de l’essence
capitaliste de ce processus. Le capitalisme, pour se développer, a besoin de
conditions matérielles et idéologiques qui, pour certaines zones géographiques,
font défaut. Lorsqu’elles n’existent pas, ce système n’est pas capable de les
implanter. Cela sort de ses « missions ».
b) On caractérise souvent la phase actuelle de mondialisation comme étant celle
de la 2ème mondialisation. Je ne retiens pas ici les théories de ceux pour lesquels
l’histoire de l’humanité n’a jamais été qu’un long processus de mondialisation. Il
faut savoir de quoi on parle. Mais généralement, et selon moi à juste titre, on
distingue deux phases de mondialisation. Au cours de la 1ère phase (fin du XIXe
siècle, exportation de capital et rôle dominant des banques), le pôle actif de la
mondialisation capitaliste est principalement l’Europe (la Grande Bretagne étant
au centre) en relation avec les empires coloniaux des pays qui la composent.
Le processus actuel de mondialisation capitaliste correspondrait à la 2ème
mondialisation. Il est centré sur les Etats-Unis et met principalement en rapport
l’Amérique du Nord et l’Asie. Les capitaux de l’Amérique du Nord et de l’Europe
tendent à s’interpénétrer productivement et financièrement tout en développant
entre eux des formes de rivalité. Les capitaux, privés et publics, de l’Amérique
latine cherchent à sortir de l’emprise exercée par le capital et le pouvoir politique
nord américains. Le continent africain, dont il ne faut certes pas gliger les zones
en développement, a plus de peine à prendre place dans le processus en cours de
mondialisation capitaliste.
c) On retrouve donc sur ce point le phénomène appelé développement inégal. Il
souligne l’incapacité spontanée du système capitaliste à prendre en compte les
besoins de tous les hommes, de toutes les civilisations. La mondialisation
capitaliste est inégale, fragmentée, partielle. Elle ne s’intéresse qu’aux populations
les plus riches.
C) Le capital est mobile comme il ne l’a jamais été. Le travail est soumis à la
mobilité accrue du capital.
a) Pour les économistes du début du XIXe siècle, les facteurs de la production
capitaliste (travail et capital) étaient fixés sur un même territoire. Cette
représentation est appelée « théorie du bloc des facteurs ». Il existait à l’époque un
mouvement mondial du capital, mais réalisé par l’intermédiaire des marchandises.
A partir de cette représentation de base, fut élaborée une théorie du commerce des
produits et une théorie de la répartition internationale du travail.
Certes, le travail circulait aussi, à cette époque, mais sous l’effet de grands
traumatismes (famines, répressions religieuses ou politiques massives). En règle
générale, le travail était donc fixe. D’après les théoriciens, il était spécialisé
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internationalement en fonction des ressources territorialement disponibles et des
degrés de productivité atteints par les processus productifs
b) Aujourd’hui, on assisterait à l’éclatement du « bloc des facteurs ». Ce serait la
caractéristique majeure de la mondialisation contemporaine que le capital fixe soit
mobile, le travail restant fixe.
Comme dans les périodes précédentes, le capital-marchandise serait mobile. Un
volume fortement croissant de marchandises et de « services » serait échangé et
circulerait de par de monde.
Le capital-argent serait également mobile dans des proportions accrues par
rapport à la fin du XIXe siècle, époque de l’éclosion du capital financier.
La nouveauté qualitative de notre époque, sous l’angle de la mondialisation
capitaliste, serait la mobilité du capital productif, comme en témoignent
concrètement les délocalisations de firmes, les implantations de nouvelles
entreprises à l’étranger à partir de l’épargne nationale, l’implantation sur le
territoire national de firmes financées par l’épargne étrangère. Les phénomènes de
sous-traitance peuvent être inclus dans cette représentation du capital comme
particulièrement mobile.
La spécialisation des zones résulterait, alors, des coûts comparés de leur main-
d’œuvre et non de leur productivité technique comparée.
Il résulte de la mobilité contemporaine du capital fixe (et de toutes les autres
composantes du capital) que le facteur travail est en situation de vulnérabilité
accrue. Le capital s’installe ici parce que le coût de la main-d’œuvre (ainsi que
d’autres avantages de coût) lui est favorable. Mais dès lors que ce coût se modifie,
à la hausse le capital s’en va. Les implantations engendrées par la mondialisation
capitaliste se révèlent extrêmement instables.
c) La production capitaliste mondialisée nécessite un nouveau management. Les
entreprises deviennent des concepteurs, des financeurs, des assembleurs et des
commerçants de productions segmentées et éparpillées sur diverses zones. Le
facteur « organisation » apparaît comme un facteur visible de la production des
firmes géantes. La mobilimondiale du capital et la quantité d’informations que
le management utilise pour totaliser des processus de production dispersés dans le
monde semblent justifier la thèse selon laquelle l’information serait aujourd’hui
l’élément déterminant de la production et même la source la valeur marchande.
Nous ne partageons pas cette approche. Mais c’est un autre sujet
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.
d) La recherche contemporaine de la mobilité accrue du capital sous toutes ses
formes, dans un espace ographique mondialisé, résulte de la baisse durable du
taux de rentabilité du capital, au cours des années 1960-1970, dans des sphères où,
préalablement, existait un bloc de facteurs. La fin du « bloc des facteurs » est
identifiée à « la fin des nations » et du rôle de l’Etat-Nation. Nous reviendrons en
deuxième partie sur l’idée selon laquelle la nation serait une réalité ringarde et
dépassée.
D) Simultanément le facteur travail est plutôt fixe
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Notons que la théorie de l’information comme source de valeur est de me nature que celle
selon laquelle les consommateurs clients seraient source de valeur. Il y aurait, dans le monde
contemporain, deux sources majeures de valeur, la valeur-information et la valeur-client. Le
travail, comme source de la valeur marchande dans certains rapports sociaux, est évacué de cette
approche.
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a) On observe des mouvements de main-d’œuvre dans le monde, mais d’ampleur
réduite. Pour tout un ensemble de raisons (législation, langue, niveau de richesse
culturelle et monétaire des individus, variables idéologiques) le facteur travail,
bien que subissant les effets de la mobilité mondiale du capital, est fixé sur un
territoire. Dans le contexte de la destruction programmée de l’Etat social et de la
nation par les classes capitalistes et leurs représentants politiques, cette dernière (la
nation) continue de faire partie de l’expérience concrète des classes populaires.
Rappelons que ces classes recouvrent la majorité des travailleurs salariés (ouvriers
et employés, c’est-à-dire la majorité de la population) les plus exploités par le
capital.
b) La caractéristique de fixité territoriale fait dire à certains analystes du marché
du travail qu’il n’existe pas de marché mondial du travail, sauf, peut-être, pour
certains segments d’une main-d’œuvre hautement qualifiée ou pour le personnel
appartenant aux sphères dirigeantes du management et de la finance.
c) Certes, il n’existe pas de marché mondial organisé du travail mais on observe
la mondialisation des conditions de fonctionnement et de rémunération directe et
indirecte des travailleurs. Cette mondialisation résulte notamment (si l’on met de
côté la fiscalité, le taux de change, les transports, divers risques politiques et
juridiques) de la comparaison du coût des produits et donc du coût en salaires
directs et indirects, du temps et de la productivité du travail, des perspectives sur
les marchés (écoulement prévisible des produits).
Jadis, en raison de la fixité du capital, les comparaisons internationales du
facteur travail se faisaient principalement par l’intermédiaire de la productivité du
travail en ce qui concerne le commerce des biens. Aujourd’hui, ces comparaisons,
qui visent à expliquer la mobilité du capital de production et pas seulement celle
du capital marchandises retiennent évidemment les productivités, mais elles font
davantage intervenir les coûts en salaires. Ce qu’on appelle le coût salarial est une
mesure du coût en salaire par unité de produit.
d) Les statuts particuliers de fonctionnement de la main-d’œuvre sont jugés
prohibitifs par les directions capitalistes. Leur anéantissement est recherché.
La main-d’œuvre est supposée devoir s’adapter très rapidement à l’organisation
capitaliste, à ses exigences en matière de temps et de salaires, aux réductions
drastiques d’allocations et de droits, aux changements introduits dans le droit du
travail, aux contraintes diverses exprimées par le capital. Le travail doit devenir,
selon les directions capitalistes et dans la phase actuelle de mondialisation,
totalement flexible, adaptable, intérimaire, frugal, soumis au capital dans tous les
actes de travail et de vie.
e) Dans la mesure le travail est fixe et le capital s’évapore rapidement, ou
ne s’investit pas s’il n’y trouve pas son compte, le chômage est devenu une
expérience durable de masse pour le facteur travail et pas seulement dans les pays
développés. En plus d’un volant de chômage, évalué par les gestionnaires du
capital à un niveau minimum nécessaire de 7-8% de la population active pour
limiter l’inflation, mais dépassant souvent ce niveau, se forme désormais une
population d’exclus ou d’« irrécupérables ». Le groupe des exclus représente une
couche nouvelle particulière au sein de l’ensemble que Marx appelait « l’armée
industrielle de réserve ».
f) Le processus en cours de mondialisation a profondément bouleversé la valeur
de la force de travail, ce qui pourrait justifier une réflexion approfondie et
comparative sur ce concept et la réalité qu’il recouvre, en ce qui concerne
notamment la consommation de services.
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