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Le rapport capital/travail
et la mondialisation capitaliste 1
Jean-Claude Delaunay, économiste
Après l’exposé de Quynh sur la société de service et les rapports de classes que
l’on y observe, je vais faire quelques remarques sur l’état actuel de ce rapport dans
le cadre de la mondialisation capitaliste.
Mon exposé contient deux parties. Dans la première, sont décrits les principaux
aspects de ce rapport, appréhendés dans le processus en question. On en retient
dix. Le présent texte est celui de la première partie de mon exposé.
La deuxième partie, qui sera mise sur le site un peu plus tard, est une
interrogation sur la territorialité de ce rapport. En effet, la société ne vit pas horssol. C’est pourquoi la lutte des classes est toujours territorialisée. Quelle est
l’intérêt, pour telle ou telle catégorie sociale, de se situer sur tel terrain de
territorialité plutôt que sur tel autre ? En quoi le choix de ce terrain est-il
significatif de sa position dans le rapport capitaliste?
Le livre sur lequel nos analyses prennent appui (Lire le capitalisme
contemporain, Essai sur la société du XXIème siècle, Le Temps des cerises, 2007)
n’est pas un livre de circonstance et de commande. Nous renvoyons celles et ceux
qui sont intéressés à s’y reporter.
Première partie : Dix caractéristiques du rapport
capital/travail dans la mondialisation capitaliste
Le rapport économique d’une société développée comme la France
contemporaine (ou rapport capital/travail) est un rapport capitaliste. Ce
vocabulaire peut sembler un peu désuet. Pour l’instant, selon moi, c’est le seul qui
convienne. L’usage des mots « libéral » ou « néolibéral » pour caractériser la
société française actuelle n’aide pas à comprendre et à se faire comprendre.
Cela dit, il ne suffit pas d’ânonner le mot « capitaliste », ou le mot
« capitalisme », ou le mot « anticapitaliste », pour témoigner que l’on a fait un
travail d’analyse. Et puisque l’analyse commence par l’observation, quels sont les
principaux traits du rapport entre capital et travail aujourd’hui, au sein de la
mondialisation capitaliste?
On en a distingué une dizaine, dont on présente d’abord la liste et que l’on
examine ensuite plus en détail :
 L’extension mondiale du rapport C/T correspond à la phase d’achèvement de
la révolution industrielle commencée en Europe à la fin du XVIIIe siècle.
 Cette extension est toutefois réalisée sur le fondement d’importantes
inégalités et écarts de développement entre zones géographiques.
 Le capital, pôle actif, exploiteur et dominant du rapport C/T, est mobile sur
tout l’espace mondial
 Le travail, pôle exploité et dominé du rapport C/T est plutôt fixe
1
Université d’été du PCF, Vieux Boucaux, 28 Août 2008
2
 Une infrastructure financière d’intensification de la mobilité mondiale du
capital a été fortement développée depuis trente ans.
 Le grand capital industriel participe de ce processus de mondialisation
financière capitaliste. Mais il le fait sous la direction du capital bancaire et
financier ainsi que du capital commercial. Le rôle du capital fictif devient
prioritaire et autonomisé.
 Comment définir la financiarisation capitaliste?
 Le système monétaire et financier des Etats-Unis constitue le pôle
géographique moteur et dominant de l’ensemble capitaliste mondial financiarisé.
 La mondialisation financière du capital permet la formation d’entreprises
mondiales géantes hyperconcurrentielles.
 Le rapport C/T se déploie aujourd’hui dans le contexte d’une situation
générale de suraccumulation durable du capital.
A) L’extension mondiale du rapport C/T, phase d’achèvement du
capitalisme industriel.
a) Ce qui se développe est d’abord et avant tout la production industrielle. Au
cours des dernières décennies, le capitalisme industriel est un système dont
l’assiette de population est passée de 1 milliard à 4 milliards d’individus environ.
Le rapport C/T a donc été étendu dans le monde sur le mode industriel et dans
certains pays plus que dans d’autres, au détriment de la population agricole. En
évaluant que 3 milliards d’individus ont été intégrés dans la sphère de la
production industrielle au cours des 30 dernières années, on mesure mieux le
déséquilibre introduit dans le fonctionnement économique du monde.
b) Ces observations ne contredisent pas ce qu’a dit Quynh relativement à la
« société de service ». D’une part, la mondialisation des dernières décennies, une
chance pour le capitalisme, a étendu et généralisé un mode particulier de
production et de consommation (les objets) pour lequel ce système est adapté. La
production massive d’objets a été la « mission historique » du capitalisme. Mais
d’autre part, aujourd’hui, les activités de service croissent globalement plus vite
que les activités industrielles, même dans des pays comme la Chine. Ce qui
signifie 1) que les services ne sont pas le contraire de l’industrie 2) que l’industrie
contemporaine nécessite plus de services qu’autrefois, en raison de son niveau de
développement technique et financier plus élevé, de son degré plus grand de
socialisation et du contexte de la mondialisation. Par ailleurs, les besoins humains
évoluent et nécessitent plus de services pour être satisfaits.
c) Pour clore ce point, essayons de retenir quelques repères quantitatifs.
Aujourd’hui, dans le monde, la population agricole représente environ 45% de la
population active totale (un monde tend à disparaître, le monde rural). Le travail
industriel en représente environ 22%. Les services totalisent le reste, soit 33%. Un
nouveau monde se met en place, à la fois industriel et de services, avec
prédominance croissante des services.
La question posée est la suivante : le capitalisme est-il en mesure, dans chaque
nation et au plan mondial, de développer un ensemble productif de biens et de
services, en y incluant les services collectifs, ou a-t-il atteint les limites de ses
potentialités ?
B) L’expansion présente mondiale du rapport C/T est toutefois très
inégalement répartie dans le monde.
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a) Le terme de mondialisation ne doit pas faire illusion. Certes, tous les pays et
leurs populations sont concernés par la mondialisation, au moins en tant que
consommateurs de produits. La télévision, les images, les migrations de
population, les contacts touristiques diffusent partout le modèle de consommation
propre au système industriel moderne. Mais la production industrielle n’est pas
implantée partout. La mondialisation capitaliste du rapport C/T est une
mondialisation partielle.
On va dire, à la louche, que 1 milliard d’individus est actuellement en dehors du
champ de la production industrielle et 1 milliard en situation intermédiaire.
L’expansion du rapport C/T rencontre des limites en raison même de l’essence
capitaliste de ce processus. Le capitalisme, pour se développer, a besoin de
conditions matérielles et idéologiques qui, pour certaines zones géographiques,
font défaut. Lorsqu’elles n’existent pas, ce système n’est pas capable de les
implanter. Cela sort de ses « missions ».
b) On caractérise souvent la phase actuelle de mondialisation comme étant celle
de la 2ème mondialisation. Je ne retiens pas ici les théories de ceux pour lesquels
l’histoire de l’humanité n’a jamais été qu’un long processus de mondialisation. Il
faut savoir de quoi on parle. Mais généralement, et selon moi à juste titre, on
distingue deux phases de mondialisation. Au cours de la 1ère phase (fin du XIXe
siècle, exportation de capital et rôle dominant des banques), le pôle actif de la
mondialisation capitaliste est principalement l’Europe (la Grande Bretagne étant
au centre) en relation avec les empires coloniaux des pays qui la composent.
Le processus actuel de mondialisation capitaliste correspondrait à la 2ème
mondialisation. Il est centré sur les Etats-Unis et met principalement en rapport
l’Amérique du Nord et l’Asie. Les capitaux de l’Amérique du Nord et de l’Europe
tendent à s’interpénétrer productivement et financièrement tout en développant
entre eux des formes de rivalité. Les capitaux, privés et publics, de l’Amérique
latine cherchent à sortir de l’emprise exercée par le capital et le pouvoir politique
nord américains. Le continent africain, dont il ne faut certes pas négliger les zones
en développement, a plus de peine à prendre place dans le processus en cours de
mondialisation capitaliste.
c) On retrouve donc sur ce point le phénomène appelé développement inégal. Il
souligne l’incapacité spontanée du système capitaliste à prendre en compte les
besoins de tous les hommes, de toutes les civilisations. La mondialisation
capitaliste est inégale, fragmentée, partielle. Elle ne s’intéresse qu’aux populations
les plus riches.
C) Le capital est mobile comme il ne l’a jamais été. Le travail est soumis à la
mobilité accrue du capital.
a) Pour les économistes du début du XIXe siècle, les facteurs de la production
capitaliste (travail et capital) étaient fixés sur un même territoire. Cette
représentation est appelée « théorie du bloc des facteurs ». Il existait à l’époque un
mouvement mondial du capital, mais réalisé par l’intermédiaire des marchandises.
A partir de cette représentation de base, fut élaborée une théorie du commerce des
produits et une théorie de la répartition internationale du travail.
Certes, le travail circulait aussi, à cette époque, mais sous l’effet de grands
traumatismes (famines, répressions religieuses ou politiques massives). En règle
générale, le travail était donc fixe. D’après les théoriciens, il était spécialisé
4
internationalement en fonction des ressources territorialement disponibles et des
degrés de productivité atteints par les processus productifs
b) Aujourd’hui, on assisterait à l’éclatement du « bloc des facteurs ». Ce serait la
caractéristique majeure de la mondialisation contemporaine que le capital fixe soit
mobile, le travail restant fixe.
Comme dans les périodes précédentes, le capital-marchandise serait mobile. Un
volume fortement croissant de marchandises et de « services » serait échangé et
circulerait de par de monde.
Le capital-argent serait également mobile dans des proportions accrues par
rapport à la fin du XIXe siècle, époque de l’éclosion du capital financier.
La nouveauté qualitative de notre époque, sous l’angle de la mondialisation
capitaliste, serait la mobilité du capital productif, comme en témoignent
concrètement les délocalisations de firmes, les implantations de nouvelles
entreprises à l’étranger à partir de l’épargne nationale, l’implantation sur le
territoire national de firmes financées par l’épargne étrangère. Les phénomènes de
sous-traitance peuvent être inclus dans cette représentation du capital comme
particulièrement mobile.
La spécialisation des zones résulterait, alors, des coûts comparés de leur maind’œuvre et non de leur productivité technique comparée.
Il résulte de la mobilité contemporaine du capital fixe (et de toutes les autres
composantes du capital) que le facteur travail est en situation de vulnérabilité
accrue. Le capital s’installe ici parce que le coût de la main-d’œuvre (ainsi que
d’autres avantages de coût) lui est favorable. Mais dès lors que ce coût se modifie,
à la hausse le capital s’en va. Les implantations engendrées par la mondialisation
capitaliste se révèlent extrêmement instables.
c) La production capitaliste mondialisée nécessite un nouveau management. Les
entreprises deviennent des concepteurs, des financeurs, des assembleurs et des
commerçants de productions segmentées et éparpillées sur diverses zones. Le
facteur « organisation » apparaît comme un facteur visible de la production des
firmes géantes. La mobilité mondiale du capital et la quantité d’informations que
le management utilise pour totaliser des processus de production dispersés dans le
monde semblent justifier la thèse selon laquelle l’information serait aujourd’hui
l’élément déterminant de la production et même la source la valeur marchande.
Nous ne partageons pas cette approche. Mais c’est un autre sujet2.
d) La recherche contemporaine de la mobilité accrue du capital sous toutes ses
formes, dans un espace géographique mondialisé, résulte de la baisse durable du
taux de rentabilité du capital, au cours des années 1960-1970, dans des sphères où,
préalablement, existait un bloc de facteurs. La fin du « bloc des facteurs » est
identifiée à « la fin des nations » et du rôle de l’Etat-Nation. Nous reviendrons en
deuxième partie sur l’idée selon laquelle la nation serait une réalité ringarde et
dépassée.
D) Simultanément le facteur travail est plutôt fixe
2
Notons que la théorie de l’information comme source de valeur est de même nature que celle
selon laquelle les consommateurs clients seraient source de valeur. Il y aurait, dans le monde
contemporain, deux sources majeures de valeur, la valeur-information et la valeur-client. Le
travail, comme source de la valeur marchande dans certains rapports sociaux, est évacué de cette
approche.
5
a) On observe des mouvements de main-d’œuvre dans le monde, mais d’ampleur
réduite. Pour tout un ensemble de raisons (législation, langue, niveau de richesse
culturelle et monétaire des individus, variables idéologiques…) le facteur travail,
bien que subissant les effets de la mobilité mondiale du capital, est fixé sur un
territoire. Dans le contexte de la destruction programmée de l’Etat social et de la
nation par les classes capitalistes et leurs représentants politiques, cette dernière (la
nation) continue de faire partie de l’expérience concrète des classes populaires.
Rappelons que ces classes recouvrent la majorité des travailleurs salariés (ouvriers
et employés, c’est-à-dire la majorité de la population) les plus exploités par le
capital.
b) La caractéristique de fixité territoriale fait dire à certains analystes du marché
du travail qu’il n’existe pas de marché mondial du travail, sauf, peut-être, pour
certains segments d’une main-d’œuvre hautement qualifiée ou pour le personnel
appartenant aux sphères dirigeantes du management et de la finance.
c) Certes, il n’existe pas de marché mondial organisé du travail mais on observe
la mondialisation des conditions de fonctionnement et de rémunération directe et
indirecte des travailleurs. Cette mondialisation résulte notamment (si l’on met de
côté la fiscalité, le taux de change, les transports, divers risques politiques et
juridiques) de la comparaison du coût des produits et donc du coût en salaires
directs et indirects, du temps et de la productivité du travail, des perspectives sur
les marchés (écoulement prévisible des produits).
Jadis, en raison de la fixité du capital, les comparaisons internationales du
facteur travail se faisaient principalement par l’intermédiaire de la productivité du
travail en ce qui concerne le commerce des biens. Aujourd’hui, ces comparaisons,
qui visent à expliquer la mobilité du capital de production et pas seulement celle
du capital marchandises retiennent évidemment les productivités, mais elles font
davantage intervenir les coûts en salaires. Ce qu’on appelle le coût salarial est une
mesure du coût en salaire par unité de produit.
d) Les statuts particuliers de fonctionnement de la main-d’œuvre sont jugés
prohibitifs par les directions capitalistes. Leur anéantissement est recherché.
La main-d’œuvre est supposée devoir s’adapter très rapidement à l’organisation
capitaliste, à ses exigences en matière de temps et de salaires, aux réductions
drastiques d’allocations et de droits, aux changements introduits dans le droit du
travail, aux contraintes diverses exprimées par le capital. Le travail doit devenir,
selon les directions capitalistes et dans la phase actuelle de mondialisation,
totalement flexible, adaptable, intérimaire, frugal, soumis au capital dans tous les
actes de travail et de vie.
e) Dans la mesure où le travail est fixe et où le capital s’évapore rapidement, ou
ne s’investit pas s’il n’y trouve pas son compte, le chômage est devenu une
expérience durable de masse pour le facteur travail et pas seulement dans les pays
développés. En plus d’un volant de chômage, évalué par les gestionnaires du
capital à un niveau minimum nécessaire de 7-8% de la population active pour
limiter l’inflation, mais dépassant souvent ce niveau, se forme désormais une
population d’exclus ou d’« irrécupérables ». Le groupe des exclus représente une
couche nouvelle particulière au sein de l’ensemble que Marx appelait « l’armée
industrielle de réserve ».
f) Le processus en cours de mondialisation a profondément bouleversé la valeur
de la force de travail, ce qui pourrait justifier une réflexion approfondie et
comparative sur ce concept et la réalité qu’il recouvre, en ce qui concerne
notamment la consommation de services.
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g) D’autres traits de l’exploitation et de la domination pesant sur le travail dans
le cadre du processus en cours de mondialisation capitaliste seront mentionnés ciaprès. Le fait, par exemple, d’appartenir à une entreprise capitaliste mondiale ne
présente aucun avantage pour les travailleurs de cette entreprise, sauf peut-être
pour le haut encadrement, souvent récepteur de stock options et de prébendes
diverses. La financiarisation capitaliste et le gigantisme recherché de la
production, du commerce et de la banque ont l’effet contraire. La caractéristique
d’entreprise géante (d’oligopole géant) ne protège pas les salariés, dont le statut
intérimaire et flexible est recherché par les dirigeants de telles entreprises. Leurs
effectifs se gonflent et se dégonflent brutalement.
h) Autre phénomène à considérer : toutes les entreprises ne sont pas
mondialisées. On peut dire cependant que les effets de la mondialisation du capital
se font sentir sur toutes les entreprises, en raison, par exemple, du développement
de rapports de sous-traitance avec ces entreprises. Elles sont alors mondialisées par
l’intermédiaire de leurs donneurs d’ordres. Elles sont également mondialisées par
l’intermédiaire du prix des produits qu’elles consomment comme matières
première et de la concurrence dans laquelle elles fonctionnent. Le facteur travail
est soumis de manière accrue au capital mondialisé dans toutes les entreprises.
E) Mise en place d’une infrastructure mondiale d’accroissement de la
mobilité du capital
a) La mobilité du capital est une caractéristique majeure de son fonctionnement à
l’époque actuelle. C’est pourquoi ceux qui monopolisent le pouvoir de décision
dans le système capitaliste ont progressivement mis en place, depuis le début des
années 1980, une infrastructure législative et technique d’accroissement de cette
mobilité, par les marchés financiers, par la législation et le droit financiers. La
création du statut de banques universelles, par exemple, a favorisé en France la
mobilisation de l’épargne courante en faveur des affaires. Le modèle angloaméricain de gestion du capital argent a été étendu à l’ensemble des pays entraînés
dans la mondialisation.
b) D’une part, les places financières ont été modernisées et adaptées
techniquement et juridiquement à ces nouvelles fonctions. Certains métiers de la
finance ont été redéfinis. D’autre part, sur ces places, de nouvelles opérations,
gérées par de nouveaux marchés, ont été introduites ou fortement développées.
Les bourses de valeurs assurent sans doute la fonction classique de centralisation
de l’épargne et d’allocation à l’investissement non financier. Mais elles le font de
manière secondaire et apparaissent surtout comme des lieux sur lesquels et grâce
auxquels le capital peut être transformé en argent et se déplacer plus rapidement.
Par l’intermédiaire des bourses, les directions capitalistes peuvent certainement
collecter de l’argent pour s’introduire sur tel ou tel marché économique en
émettant des actions et des obligations. C’est la fonction classique. Mais quand
elles veulent se dégager d’une économie dans laquelle elles ont investi et dont elles
estiment que la rentabilité est insuffisante ou problématique, ces places les aident à
s’en dégager. Le capital est mobilisé. Les bourses sont des accélérateurs de
mobilité du capital.
c) Peut-être faudrait-il distinguer, pour être plus précis, ce qui a trait à la
circulation du capital et ce qui a trait à sa mobilité (engagement et désengagement
du capital). Mais ces deux aspects sont liés dans la mesure où ils s’effectuent tous
deux par l’intermédiaire de la monnaie.
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En cherchant à décrire la façon dont la circulation-mobilité du capital est accrue
grâce à ces infrastructures financières, on dégage les 5 fonctions suivantes3.
1) Les places financières centralisent du capital-épargne. Pour qu’il y ait
mobilité, il faut des fonds prêts à s’investir dans des achats de titres.
2) Elles permettent l’évaluation de la valeur marchande des titres de propriété et
d’endettement des entreprises ainsi que la valeur des devises clés (dollar US, euro,
yen JP, livre sterling, franc suisse…). La mobilité implique l’évaluation.
3) Elles favorisent la privatisation des entreprises publiques.
4) Ce sont des lieux d’achat et de vente des titres de propriété ou d’endettement.
C’est la forme basique de la mobilité du capital.
5) Ce sont les lieux sur lesquels est en partie réalisée la concentration des
entreprises par absorption et acquisitions. La concentration du capital peut être
considérée comme une forme parfois brutale (OPA) de mobilité4.
F) Dans le rapport C/T contemporain, la position relative du travail de
production est dégradée.
a) Une observation l’emporte aujourd’hui: non seulement le travail est exploité
dans les lieux de production, industriels ou de service, mais le processus de
l’exploitation apparaît commandé à partir de la finance et du commerce. Tout se
passe comme si la sphère de circulation du capital (valorisation du capital fictif et
commercial) déterminait l’exploitation propre à la sphère de production et de
reproduction du capital (valorisation du capital productif). La filière de
l’exploitation est inversée. On note également que le capital fictif tend à
fonctionner de manière autonome relativement au capital productif. Ce phénomène
fait désormais partie de l’expérience courante vécue des salariés.
b) Avant de chercher à expliquer ces phénomènes d’inversion-autonomisation,
on indique ce qu’il change dans la position du travail au sein du rapport C/T. Soit
5
3
Nous renvoyons aux écrits qui seront vraisemblablement diffusés sur ce thème sur le site de
l’université d’été ou aux analyses diffusées par l’Humanité à l’occasion des crises financières
récentes.
4
Outre ces facteurs d’accroissement de la mobilité du capital, les bourses de valeur réalisent les
fonctions suivantes:1) La centralisation des ressources monétaires, car les capitalistes ont besoin
d’argent, au comptant ou à terme, pour réaliser les paiements venant conclure leurs achats de
marchandises ou d’autres opérations. 2) Le financement des dettes publiques, ce qui donne au
capital financier mondialisé une certaine garantie de rémunération lorsque les affaires du privé vont
mal. 3) la couverture des risques (change, taux d’intérêt), opérations de plus en plus importantes,
passant par l’intermédiaire des produits dérivés. La couverture des risques est sans doute l’aspect le
plus moderne de la finance capitaliste mondialisée contemporaine. C’est aussi son point faible.
5
En première approche, l’exploitation désigne, dans le système capitaliste, le processus de
contrainte matériel (organisation du travail, législation) idéologique (domination sur les idées) et
répressif (systèmes de punition et de répression, rôle de l’Etat en tant que gendarme du capital)
exercé sur les salariés pour qu’ils dégagent, au plan individuel et collectif, la masse la plus élevée
possible de travail non payé (plus-value, profit), sans avoir aucun mot à dire sur les méthodes
d’élaboration et d’application de cette contrainte, sur la répartition du revenu global qui en résulte
en conformité avec les décisions des capitalistes et les situations concurrentielles respectives des
entreprises, sur l’usage de la production et sur sa reproduction. L’exploitation concerne aussi bien
les ouvriers que les employés ainsi que l’encadrement, bien qu’avec des formes spécifiques et des
intensités diversifiées. Le processus d’exploitation est exercé prioritairement dans les lieux de
production de biens et de services. Les administrations relèvent de processus spécifiques
d’exploitation mais ne sont pas extérieures au phénomène. Cela dit, l’exploitation est également
réalisée massivement au plan de la circulation par l’intermédiaire, notamment, du prix des produits.
Par exemple, une entreprise dominante commande des produits et reporte sur le management de
l’entreprise avec laquelle elle a contracté le soin d’exploiter sa main-d’œuvre en conséquence.
8
une entreprise (α) cotée en bourse. Dire que la filière de l’exploitation est inversée
au sein de cette entreprise signifie deux choses :
1) La valeur marchande boursière de son capital et des compétences qu’elle
mobilise est « le bon guide » du processus d’exploitation à mener dans cette
entreprise. Si, par exemple, la valeur marchande de l’entreprise baisse, les
managers de plus haut niveau décident généralement de procéder à des
licenciements et d’intensifier en conséquence l’exploitation de la main-d’œuvre
restante. La réalité fonctionne alors de manière inversée. La valeur du capital fictif
commande le processus d’exploitation.
2) Le capital fictif est autonomisé relativement au capital productif. En effet, la
valeur marchande de l’entreprise dépend des anticipations manifestées par les
principaux détenteurs de son capital. Mais l’horizon et la nature de ces
anticipations peuvent être très diverses et découler de facteurs fort éloignés de la
production réelle (les risques politiques, le prix du dollar, l’évolution du marché,
l’estimation de la demande à un an ou plus, des indiscrétions sur la fiscalité à
venir, …).
Or la traduction marchande de ces anticipations est immédiate. La valeur
marchande de l’entreprise varie tout de suite. Le processus d’exploitation peut
donc se trouver modifié immédiatement, en fonction d’événements anticipés dont
la probabilité de réalisation n’est pas du tout connue.
c) Le processus d’exploitation du travail salarié est donc intensifié, sur le
fondement de l’inversion et de l’autonomisation du rôle des capitaux fictifs et
commerciaux faisant suite à la financiarisation capitaliste des processus productifs.
L’intensification de ce processus a été systématisée à l’aide de techniques de
management, d’origine américaine, telles que l’Economic Value Added (EVA).
Les normes comptables récemment adoptées en Europe et calquées sur les normes
américaines font une large place à la notion de valeur de marché de l’entreprise.
La marchandisation intensive et régulière des entreprises elles-mêmes, découlant
de la financiarisation des économies dans le cadre de la mondialisation capitaliste,
a bouleversé les modalités et les effets de l’exploitation capitaliste en la rendant
dépendante des anticipations des grands actionnaires et en favorisant la mise en
place de procédures de management, systématiquement orientées vers la
surexploitation de la main-d’œuvre.
G) Que signifie la financiarisation de l’économie ? La financiarisation
capitaliste de l’économie ?
Nous cherchons ici à définir précisément le sens du mot « financiarisation », que
nous avons déjà utilisé plusieurs fois. Il nous semble qu’il est employé de manière
très péjorative, comme si la finance était, par essence, nuisible et critiquable.
a) La difficulté, en ce qui concerne la finance, est la suivante. Elle a certainement
été inventée par le capitalisme. Cela ne fait aucun doute. Mais elle est un acquis
des sociétés humaines développées, au même titre, par exemple, que l’organisation
du travail. Le progrès social ne consisterait donc pas à revenir « avant la finance ».
On ne peut se satisfaire de « tirer » sur la finance chaque fois que cette dernière
apparaît. De plus, on peut et on doit sans doute « parler » aux salariés de ces
secteurs pour souligner les caractéristiques intelligentes de leurs métiers tout en
mettant avec eux en lumière la dimension capitaliste de leur activité et voir
comment celle-ci peut-être circonscrite, dépassée, séparée.
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b) La finance correspond, selon moi, au passage d’une économie agraire
marchande peu développée à une économie industrielle développée. La finance est
une forme développée supérieure de la monnaie et de gestion de l’épargne. C’est
une technique sociale très élaborée.
En effet, dans une économie agraire simple, tout se passe comme si les
producteurs devaient d’abord produire pour que, ensuite, la production marchande
soit transformée en valeur monétaire sur le marché. La plus-value est alors
supposée transformée en monnaie puis réinvestie ou consommée. Ce schéma
correspond au chapitre premier du livre 1 du Capital : la marchandise et la
monnaie (noter l’ordre des mots), ou à cette partie du Capital de Marx que l’on
appelle les schémas de la reproduction. On observe le schéma linéaire suivant :
d’abord la production de marchandises, ensuite leur transformation en monnaie,
ensuite l’investissement total ou partiel de cette monnaie et enfin la reproduction
du procès de production.
c) Relativement à ce schéma, les éléments constitutifs de la finance sont, selon
nous, les suivants.
Dès lors que l’ampleur du marché et le niveau technique le permettent, les
producteurs n’attendent pas que la production ait été vendue sur le marché et
transformée en monnaie pour recommencer la production. Grâce à l’injection de
crédits, ou grâce à l’utilisation d’argent en attente, l’épargne, la production peut
recommencer sans que, par exemple, les salades ou les voitures aient été vendues.
Dans le mouvement économique d’ensemble, au lieu que la monnaie succède à
la production, elle la précède désormais. S’amorce alors le processus d’inversion
mentionné plus haut. Lorsque l’économie marchande est peu développée, c’est la
production qui fait la monnaie, qui lui confère sa matérialité et sa substance.
Lorsqu’elle est au contraire, plus développée, c’est la monnaie (crédit ou épargne)
qui fait la production et permet qu’elle soit mise en route sans attendre.
Telle sont les bases de la finance, très tôt mise en place avec le développement
du capitalisme industriel. Elle commence à prendre forme en Europe à partir du
milieu du XIXe siècle. Une conséquence est que le capital fictif tend alors à
s’autonomiser par rapport au capital matériel.
d) La représentation suivante des phénomènes : je produis et après j’investis est
une conception rurale individuelle de la monnaie. Par différence, la représentation:
j’investis et après je produis est une conception développée et élargie, tant dans
l’espace que dans le temps, du fonctionnement économique et de la monnaie.
Certes, l’économie et ses agents doivent retomber sur leurs pieds. Si l’on
commence par créer de la fausse valeur, de la fausse monnaie (quand il y a crédit),
il faudra bien la transformer en vraie valeur, en vraie monnaie. Si j’emprunte de
l’argent pour acheter une bicyclette (emprunt dont je vais admettre qu’il se traduit
par la production de la bicyclette en question) il faudra bien que je rembourse ma
dette. La finance est une technologie sociale plus efficace que dans la période
historique précédente. Elle élargit le périmètre et l’horizon de la production
capitaliste. Mais elle est simultanément plus complexe et plus périlleuse pour les
équilibres économiques, pour la raison notamment que si elle en inverse le sens,
elle en accroît l’ampleur et l’autonomie. Elle oblige à lier avec soin les opérations
dans le temps.
d) Quelles sont les principales difficultés véhiculées par cette technologie
sociale ?
1) La première est l’ampleur de la transformation opérée dans l’économie. C’est
bien le but de la finance que d’amplifier la création monétaire pour élargir
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l’étendue et la temporalité de la production. Avec la financiarisation, on n’attend
pas que la production ait été vendue pour la recommencer. Or cette amplification
n’a pas de limites a priori. La création monétaire bancaire par écriture ne
rencontre pas d’obstacles techniques ou naturels (a fortiori la monnaie
électronique contemporaine), à la différence de la production de monnaie
métallique.
2) La deuxième difficulté tient à ce que la distinction entre vraie valeur et fausse
valeur précédemment introduite est une distinction erronée. Elle a tout juste une
vertu pédagogique. Dans la réalité, la fausse monnaie est tout aussi bonne que la
vraie monnaie. Si le banquier m’ouvre un crédit et alimente mon compte bancaire,
je vais tirer des chèques sur ce compte, et, en payant mes dettes, je vais transférer
de la soit disant fausse valeur à quelqu’un (une firme, un commerçant, un
particulier). Mais la firme, par exemple, à laquelle je remets cette supposée fausse
valeur, va-t-elle me dire « Ah ! mais vous me payez en fausse valeur. Je n’accepte
pas votre chèque ». ? Absolument pas.
La distinction entre vraie valeur (ou vraie monnaie) et fausse valeur (ou fausse
monnaie) est une illusion pédagogique. La finance ne fait pas, et ne peut pas faire
cette distinction. Cette dernière est une vue de l’esprit, nourrie par notre approche
intuitive de la monnaie comme marchandise matérielle. En réalité, la monnaie est
un rapport social. La matérialité d’un rapport social n’est pas une substance qui se
toucherait, comme on le fait d’une pièce d’or ou d’argent, même si cela s’est
produit pendant une certaine période historique.
Mais puisque la finance introduit en permanence de « la fausse valeur » dans la
masse de « la vraie valeur », quelle confiance accorder à la valeur que nous tirons
de la vente d’un produit ? A vrai dire, aucune. Plus est développée la technologie
de la finance, plus la valeur est un rapport social dont les aspects quantitatifs sont
susceptibles de varier vite et se détériorer à tout instant.
Les capitalistes n’hésitent pas une seconde à soutenir la finance. C’est elle qui
stimule leurs affaires. Ils n’ont pas une mentalité de petit paysan besogneux qui
économise pommes et châtaignes dans son grenier avant de pouvoir marier sa fille.
Mais c’est quand même un problème.
3) La troisième difficulté est que la monnaie peut tout acheter, aussi bien des
services et des biens que des titres. Dès lors que le système capitaliste non
seulement pousse à ce que la réalité du capital productif devienne une évidence
pratique mais encore transforme cette forme du capital en marchandises régulières
de façon à le contrôler conformément à ses lois, la création monétaire est
susceptible de distordre fortement le fonctionnement économique d’ensemble si
elle fournit du carburant monétaire à des acheteurs de titres et non à des acheteurs
de biens.
4) La quatrième difficulté, classique, tient au fait que si, d’un côté, la monnaie
est un rapport social, d’un autre côté, son appropriation et sa gestion sont privées.
Il se forme, au sein de la classe capitaliste, un groupe fonctionnel spécialisé, les
financiers. Ce sont d’une part des collecteurs d’épargne (de la vraie valeur si l’on
peut dire) et d’autre part des créateurs de monnaie (de fausse valeur). Ils sont
directement en rapport contradictoire, d’unité et d’opposition, avec l’ensemble
social. Ils sont également dans un rapport contradictoire avec les autres branches
du capital.
e) Au risque d’être redondant, essayons de conclure ce point en répondant aux
deux questions suivantes.
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1) Qu’est-ce que la financiarisation ?
C’est une technologie sociale d’inversion du processus marchand (la monnaie
fait la production) La finance est une forme développée de la monnaie. C’est une
technologie sociale qui engendre la formation du capital fictif et l’inversion de son
rôle relativement au capital productif.
2) Qu’est-ce que la financiarisation capitaliste ?
a) C’est un processus économique de financiarisation qui possède trois
caractéristiques.
1) Il est dominé par les banquiers, les compagnies d’assurances, les
centralisateurs d’épargne, etc.. Ce sont ces groupes sociaux que Lénine appelait le
capital financier. La financiarisation est capitaliste si elle est dirigée, orientée,
mise en œuvre par les capitalistes. Pendant une période historique, faisant suite
aux déséquilibres introduits par le capital financier (grande crise des années 1930),
la financiarisation capitaliste a été mise sous contrôle et a fonctionné sans
déséquilibres « trop graves ». Aujourd’hui, le grand capital a repris la main.
2) C’est un processus qui se déroule sur une très grande étendue géographique et
temporelle, à grande vitesse. Il nous semble que la financiarisation capitaliste est
non seulement caractérisée par la taille et l’étendue du processus, mais par la
vitesse de variation de ses dimensions quantitatives. Avec la mondialisation
capitaliste, la nature et l’ampleur de la financiarisation capitaliste ont changé.
Certes, ce processus, combine les deux catégories d’inversion propres à la
financiarisation : antériorité de la monnaie sur la production et prédominance du
capital fictif sur le capital productif.
Cela dit, dans le cadre de la mondialisation capitaliste, les effets de ces deux
mécanismes sont amplifiés, en raison de l’horizon du système, désormais mondial,
en raison de la lutte concurrentielle qui le traverse, en raison des difficultés de la
rentabilisation du capital.
3) C’est un processus hypercomplexe. Son hypercomplexité (terme que nous ne
définissons pas ici, mais qu’il faudrait préciser) est porteuse de risques
considérables. Pour tenter de maîtriser cette situation, le système capitaliste met en
place la seule procédure de contrôle qui soit conforme à son être profond, à savoir
la procédure des marchés financiers. Or les marchés financiers ne sont pas un
facteur fiable de contrôle et de régulation. Ils accroissent les déséquilibres au lieu
de les atténuer.
Au total, la financiarisation capitaliste contient l’inversion-autonomisation du
capital fictif par rapport au capital de production. Mais elle ajoute trois conditions
majeures : 1) une direction capitaliste, 2) un effet de masse et de vitesse non
contrôlé, 3) la tentative (vaine) du contrôle et de la régulation de l’ensemble par
les marchés financiers.
L’exploitation du travail exercée par les capitalistes sur les travailleurs est alors
d’autant plus poussée, plus ferme et plus intransigeante que, lorsque la
financiarisation capitaliste met en branle l’immense machine mondiale, la plusvalue n’est pas encore produite et a fortiori transformée en profit. Pourtant, l’échec
de la rentabilisation risque à tout instant de mettre en danger l’équilibre de ce
mécanisme de dimension mondiale.
Cela dit, l’hyperexploitation n’est pas la solution susceptible de régler cette
machinerie sociale. D’abord pour des raisons techniques. A machinerie mondiale,
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il faut un contrôle mondial qui n’existe pas. Mais ensuite et surtout parce que
l’hyperexploitation mondialisée est une fuite en avant totalement folle.
H) Le rapport C/T fonctionne au plan mondial grâce à l’intervention
monétaire, financière, étatique des Etats-Unis
Il ne nous paraît pas nécessaire ici d’en dire davantage sur ce point. Nous
renvoyons à la note que nous avons publiée dans de la cadre de la Fondation
Gabriel Péri, en 2006 (Le dollar, monnaie mondiale). Il est clair, en tout cas, qu’il
n’y a pas de financiarisation capitaliste sans monnaie, ce qui suppose une
puissance publique adaptée et prête à le faire. Les Etats-Unis assurent, depuis les
années 1970, la fourniture monétaire de ce vaste mécanisme.
Il serait vain de vouloir extraire les travailleurs des effets de la mondialisation
sans prendre en compte le rôle de la monnaie américaine.
Le système bancaire et financier public américain fournit aux agents capitalistes,
et d’abord à ses agents ainsi qu’à leurs capitaux, le fuel monétaire dont ils ont
besoin. Ensuite, il leur garantit une régulation réduite, mais pour l’instant
supportée, des effets de sa gestion du système monétaire mondial.
I) La mondialisation capitaliste engendre la formation de firmes géantes
hyperconcurrentielles
Ce point est ici juste mentionné pour mémoire. Je ne le développe pas. Le
rapport C/T dans le contexte de la mondialisation capitaliste et la place du travail
dans ce cadre dépend en partie de la structure des entreprises : en particulier
entreprises géantes (ou oligopoles géants), entreprises sous-traitantes.
Une question que l’on peut se poser à propos des entreprises géantes est la
suivante : qu’apporte la formation d’entreprises géantes pour un pays donné et
pour ses salariés ? On serait protégé par les plus gros, puisque ces derniers
seraient, en règle générale, moins susceptibles d’être dévorés que les plus petits ?
Il s’agit d’une illusion que l’on a déjà évoquée. L’une des raisons de cette
illusion est notamment que, dans la stratégie capitaliste, de telles entreprises sont
nécessairement privées. Mais alors, quelle attention peuvent-elles réellement
porter à l’intérêt national ? Que peut d’ailleurs signifier l’intérêt national ou
l’intérêt des populations pour ces entreprises ? Comment pourraient-elles
contribuer à satisfaire cet intérêt si les politiques économiques ne les encadrent pas
pour aller dans cette voie ? En ce qui concerne l’emploi, leurs dirigeants en
recherchent la précarité.
A mon avis, il faut remettre en cause radicalement l’idée selon laquelle « plus
c’est gros, mieux c’est ». Ce qui est cohérent avec des perspectives de
multipolarité. Pourquoi, par exemple, une entreprise de dimension européenne
devrait-elle avoir nécessairement une dimension mondiale ? Cela se comprend
peut-être dans un monde totalement libéralisé. Mais telle est précisément le
problème.
J) Le rapport C/T se déploie dans le contexte d’une situation de
suraccumulation durable du capital
Au terme de cette liste descriptive, un dernier trait mérite d’être souligné. Le
rapport C/T se déroule dans un contexte de crise macroéconomique : la
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suraccumulation du capital. Telle est l’hypothèse théorique la plus importante de
l’analyse du capitalisme mondialisé contemporain. Si l’on tient cette hypothèse
pour fondée, les problèmes que l’on observe ne sont pas, à titre principal, le
résultat technique de la mondialisation capitaliste. Ils en sont la conséquence
structurelle.
Tout le système capitaliste est à l’heure actuelle mobilisé pour faire face à la
profondeur de sa crise. Il importe de montrer que la mobilisation intensive et
mondiale du système capitaliste ne débouche pas sur la solution durable qu’elle est
supposée apporter. La mondialisation capitaliste visait à redonner un souffle de
rentabilité de long terme au système. Les crises financières récurrentes que l’on
observe montrent que le souffle est court, voire très court. D’une part, les
investissements financiers (et non plus seulement productifs) sollicités par la
mondialisation sont énormes. D’autre part, les marchés offrent d’inégales et
fragiles perspectives de débouchés. La rentabilité est donc menacée.
Cette théorie doit être consolidée, notamment par rapport à l’exposé succinct que
nous en faisons. Au plan théorico-politique, c’est elle, semble-t-il, qui creuse la
différence entre une analyse structurellement critique et une analyse critique en
surface du système capitaliste contemporain. La question de savoir si le
capitalisme doit être dépassé dans les 8 jours ou les 8 ans est une autre histoire. Le
fonctionnement de l’économie américaine semble animé par une certaine
recherche du dépassement de cette contradiction structurelle. Le marché américain
fonctionne comme marché en dernier ressort. Mais en réalité, la solution actuelle
de cette contradiction structurelle repose sur l’hyperexploitation des fournisseurs
(Chine, Inde, par exemple) de cette économie. Elle prend aussi appui sur une
architecture monétaire et financière complètement déséquilibrée et anarchique6.
Elément de conclusion
Supposons que notre analyse est exacte et dégageons deux ou trois de ses
conséquences.
a) Elle conduit à la conclusion que le danger principal du système actuel pour le
travail, au sein du rapport C/T, est la financiarisation capitaliste de l’économie.
L’ennemi du moment, c’est la finance capitaliste dans le cadre de la
mondialisation en cours.
b) La construction européenne ne dispose pas d’un marché financier puissant
correspondant aux exigences du capital telles qu’on vient de les appréhender. Les
gnomes de l’Europe cherchent à construire un tel marché. Ils se lamentent de ce
que l’Europe soit dotée de 27 marchés financiers mondialisés. Ils voudraient en
créer un et un seul. De leur point de vue, qui consiste à inscrire l’Europe dans la
concurrence mondiale des capitaux, ils ont raison, et ils s’y emploient. Une contreoffensive argumentée s’impose et prendrait aisément place dans une stratégie de
On note, dans la littérature économique américaine, la mention d’une troisième mondialisation.
Celle-ci consisterait à intégrer plus étroitement les économies asiatiques dans la mondialisation
capitaliste, de façon à en spolier plus intensément le travail et l’épargne. Les partisans de la 3 ème
mondialisation estiment que les taux d’épargne élevés des pays asiatiques sont responsables de la
crise structurelle endémique que l’on vient de désigner à l’aide du concept de suraccumulation
durable du capital. Il faudrait, selon eux, faire que l’Asie dépense beaucoup plus au lieu d’épargner
et notamment qu’ils achètent des titres en plus grande quantité. Il s’agirait de mobiliser le travail
asiatique pour rentabiliser le capital des autres parties du monde. Il est clair que, par delà cette
analyse, se profile la volonté politique de conférer au système socio-économique de certains de ces
pays une direction résolument capitaliste.
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service public financier adaptée aux besoins des économies. Incidemment, cela
impliquerait la formulation d’une politique économique européenne.
c) L’un des points aveugles de la théorie de la mondialisation capitaliste est la
théorie de la suraccumulation durable du capital à l’échelle mondiale. Cela tient à
ce que la notion de « révolution informationnelle » évoquée comme explication de
cet état des choses est une explication selon moi partielle et faible de la crise en
cours. La notion de service est plus stimulante. Le concept que Quynh a développé
(rapport social d’usage) conduit à soulever des problèmes que la notion
technicienne de révolution informationnelle ne peut éclairer.
d) La vraie révolution du monde moderne est que les activités sont
potentiellement, dans leur pratique et non dans l’intention morale, au service de la
population puisqu’elles sont de plus en plus des activités de service. La
technologie informatique est un moyen du travail de service qui envahit tout. Oui,
mais au service de qui ? Ce qui intéresse la pensée communiste est d’abord le
travail et non ses instruments. Avec la notion de révolution informationnelle,
certains pensent montrer que le travail est de plus en plus intelligent. Avec la
notion de société de service (qui n’exclut pas du tout la technologie), nous
indiquons que le travail est de plus en plus directement relationnel. Le fait qu’il
soit relationnel supposerait-il qu’il fût bête ? En outre, il existe un grand nombre
de situations relationnelles. Comment unifier ce grand nombre. A l’aide de la
question de l’usage, qui, elle aussi, découle de la pratique des services et non de
considérations morales.
e) Chacun défend ses idées avec conviction, cela se comprend. Une chose paraît
importante au plan des idées aujourd’hui. Plus la société est éduquée et formée,
plus elle devient intelligente, et plus le rôle de la théorie dans la formulation et la
conviction politiques devient primordial. Ce qui ne signifie évidemment pas que la
théorie puisse ou doive remplacer l’action politique. Mais elle est en elle-même
une action politique.
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