Gregory Bateson & Jurgen Ruesch
Communication & Société
Sommaire détaillé
Préfaces
I Valeurs, communication et culture
II Communication et relations humaines
III Communication et maladie mentale
IV La communication et les valeurs américaines
V Perspectives américaines
VI La communication et le système de contrôle et
régulation
VII Information et codage
VIII Communication et conventions
IX La pensée psychiatrique
X La convergence de la science et de la
psychiatrie
XI Individu, groupe et culture
Références bibliographiques
Préface à l'édition en ligne
Un courte préface technique. Cette édition reprend celle des Éditions du Seuil de 1988,
collection «La Couleur des Idées». Pour des raisons de cohérence interne (références aux
pages du livre) j'y ai inséré des marques pour indiquer les ruptures de pages originales,
marques qui sont en même temps des liens utilisés dans les endroits du texte qui réfèrent à
certaines pages. Autre élément pour le confort du lecteur, les références à la bibliographie
dans le corps du livre original sont aussi des liens qui permettent, si on le désire, d'accéder
directement à ces références. Pour le reste, cette édition reprend le texte de la traduction de
1988 de Gérald Dupuis, et j'en ai vérifié la transcription (faite avec un scanner et un logiciel
de reconnaissance d'écriture) du mieux que j'ai pu mais nul n'est parfait et l'on m'excusera
j'espère s'il reste quelques coquilles qui auraient échappé à ma vigilance.
Décembre 2006
O.M.H.
007
Préface à l'édition de 1987
«On peut envisager le monde comme une myriade de messages. A Celui Que Cela Peut
Intéresser» - tel était le postulat formulé, en 1947, par le grand mathématicien Norbert
Wiener. Son assertion illustre bien la profonde mutation qui avait commencé à se produire
dans nos façons de conceptualiser le monde. Les paradigmes de la science classique avaient
atteint les limites de leur utilité. Des phénomènes de plus en plus nombreux semblaient
défier l'explication linéaire (de cause à effet) des processus naturels et soulevaient ainsi des
doutes en ce qui concerne la validité de la très ancienne conviction selon laquelle, pour
comprendre (et changer) le présent, on devait d'abord en découvrir et analyser les causes
dans le passé. Une réorientation peut-être encore plus féconde intervint grâce à ce qu'on
pourrait presque appeler la «découverte» de l'information, entité qui possède son propre
droit à l'existence, aux côtés des principes classiques de la matière et de l'énergie. L'objet
d'étude, c'était maintenant le monde, interprété comme une «myriade de messages» qui
engendrent des messages qui provoquent une rétroaction sur leurs propres sources.
La publication du présent livre tomba durant cette période de fermentation naissante. Il
s'agit du travail commun de deux savants, venant de disciplines différentes, mais dont la
formation était cosmopolite, et qui pouvaient donc et souhaitaient remettre en cause les
hypothèses scientifiques à partir de leurs prémisses fondamentales: Jurgen Ruesch, un
professeur de psychiatrie, et Gregory Bateson, un spécialiste de l'anthropologie culturelle.
Ils se rencontrèrent alors qu'ils enseignaient à l'Ecole de médecine 008 de l'université de
Californie à San Francisco, et ils convinrent de faire converger leurs idées dans ce livre -
tout en écrivant chacun séparément leurs chapitres respectifs.
A notre époque, à la fin des années 1980, il est difficile d'imaginer que ce livre n'aurait pu
être écrit ne serait-ce que dix ans plus tôt. Il est vrai qu'une immense partie du travail avait
déjà été accomplie en ce qui concerne les aspects théoriques et pratiques de la transmission
de l'information, et que la sémiotique (la théorie générale des signes et des langues) avait
déjà réalisé des progrès significatifs. Mais les analyses des effets les plus immédiats des
échanges d'information - les effets de comportement (pragmatiques) - et des façons dont la
communication détermine le comportement en profondeur - en fait, est le comportement -,
ces recherches étaient pratiquement inexistantes. La publication de Communication: La
matrice sociale de la psychiatrie peut être considérée comme l'émergence d'un nouveau champ
- si nous acceptons d'oublier les sinistres abus de la communication déjà commis en matière
de publicité et de propagande.
Ce qui surprend est que ce livre, écrit il y a environ trente-cinq ans, n'a pas seulement
une signification historique - mais qu'il a réussi d'une certaine façon à garder son caractère
novateur, presque révolutionnaire, qui fait de sa relecture un véritable plaisir intellectuel.
Ses aspects pratiques, cliniques, sont toutefois encore plus importants. Le livre remet en
cause l'utilité de la question dogmatique «Pourquoi ?» en soulignant que «au cours des cent
dernières années, le concept médical de l'étiologie qui consistait à rechercher les causes
immédiates d'une maladie ou d'un trouble fonctionnel a dominé presque toute la
psychiatrie». C'est en partant de considérations de ce type et en mettant à profit leurs
connaissances socioculturelles et anthropologiques que les auteurs arrivent à d'importantes
et nouvelles perspectives. En vertu de sa formation clinique, le psychiatre traditionnel est
enclin à examiner les phénomènes de troubles du comportement avec un modèle
conceptuel de la maladie mentale déjà solidement structuré dans son esprit, et à essayer
ensuite de comprendre (et de changer) ce comportement dans le cadre de ce modèle. En
revanche, l'anthropologue est habitué à approcher les objets de ses recherches (une culture,
une 009 civilisation ou une société étrangères) en tâchant d'encombrer le moins possible
son esprit d'idées préconçues et de modèles théoriques établis; il fera attention aux
phénomènes observés qui se répètent et arrivera ainsi progressivement à un modèle
provisoire des processus interactifs qui façonnent la «réalité» de ce système particulier de
relations humaines. Appliquée à la psychiatrie, cette approche n'amène plus à se
demander: «Pourquoi cette personne se comporte-t-elle de cette façon bizarre,
irrationnelle ?» mais plutôt: «Dans quel contexte humain ce comportement serait-il le plus
adéquat - peut-être le seul possible ?» En procédant ainsi, il a introduit trois concepts d'une
importance capitale dans son travail: la communication, la relativité des normes
socioculturelles (et donc aussi la définition de ce qui est jugé sain ou malsain), et le contexte
dans lequel tout cela se produit. Selon cette conception, le «patient» n'est plus un individu-
monade, mais plutôt un système de relations perturbées. «L'ère de l'individu avait pris fin»,
déclaraient les auteurs dans leur préface à l'édition de 1968.
Dans la me préface, les auteurs mentionnaient que, après avoir achevé le livre, ils
avaient continué à développer indépendamment leurs idées. Entre 1956 et 1961, le docteur
Ruesch publia trois ouvrages, qui contenaient d'abondantes et riches observations cliniques
sur la communication non verbale, les troubles de la communication et la communication
en thérapie. Gregory Bateson avait, à ce moment-là, mis en place sa propre petite équipe de
chercheurs et poursuivait sa réflexion sur certaines des idées les plus fécondes qu'il avait
d'abord exprimées dans le présent ouvrage - avant tout les deux sortes de «sens» de chaque
message, c'est-à-dire le compte rendu et l'injonction qu'il contient. Son approche du paradoxe
et du rôle qu'il joue dans la communication, ses conceptions très originales de la
communication des schizophrènes, de la théorie de la «double contrainte» et des nouvelles
formes d'interventions thérapeutiques courtes, tout comme ses propositions pour une
meilleure compréhension des processus de la création constituent des apports encore plus
importants.
Les auteurs ont choisi comme sous-titre de leur ouvrage La matrice sociale de la psychiatrie.
Ce qu'ils ne pouvaient pas savoir à l'époque, c'est que le livre lui-même deviendrait la 010
matrice de développements ultérieurs capitaux, non seulement en psychiatrie, mais sur le
plan de notre compréhension du comportement au sens le pus large. Félicitons W.W.
Norton d'avoir entrepris cette réédition.
Palo Alto, Californie
Été 1986
Paul Watzlavick
011
Préface à l'édition de 1968
Les sciences de l'information sont apparues après la Seconde Guerre mondiale. Elles
représentent peut-être le bouleversement scientifique et intellectuel le plus passionnant du
XXe siècle. Les travaux des premières Conférences Macy sur la cybernétique, le livre de
Wiener, Cybernetics or Control and Communication in the Animal and the Machine (1948), et
celui de Shannon et Weaver, The Mathematical Theory of Communication (1949), marquent le
commencement de la nouvelle ère. Tandis que la communauté scientifique essayait
d'assimiler les nouvelles façons de penser que les ingénieurs de la communication avaient
introduites, la structure sociale des universités subissait des transformations marquantes.
Des spécialistes de formations différentes commencèrent à coopérer et à travailler en
équipe. La séparation traditionnelle entre les départements universitaires commençait à
s'estomper, et de nouvelles recherches, plus ambitieuses, étaient entreprises par des
équipes de travail interdisciplinaires.
A peu près à la même époque, de nouvelles orientations faisaient leur apparition dans le
domaine de la santé mentale. Avant l'avènement des tranquillisants, le psychiatre cherchait
surtout à traiter et soigner les principales psychoses, et il avait principalement recours aux
thérapies utilisant l'insuline et les électrochocs. Quand éclata la Seconde Guerre mondiale,
les psychiatres durent tout à coup prendre en charge et soigner des milliers de blessés qui
souffraient de stress d'origine psychologique ou sociale, sous une forme ou une autre. Dans
ces conditions, la psychopathologie classique se révéla de peu d'utilité pour comprendre les
troubles de la personnalité, 012 les psychonévroses et les problèmes psychosomatiques. En
revanche, les hypothèses de la psychiatrie dynamique, qui mettent l'accent sur les
processus intrapsychiques, commençaient à devenir beaucoup plus connues. Mais les
méthodes de traitement psychanalytique se révélaient être trop longues et les officiers
d'infanterie, les chirurgiens de l'armée de l'air, les chefs d'équipage et les psychiatres étaient
soumis à de très fortes pressions pour renvoyer les hommes au service actif. Il fallait
développer de nouvelles méthodes, et l'on s'intéressa particulièrement au fait que le groupe
pouvait grandement aider à la réadaptation des malades neuropsychiatriques. Les
techniques de thérapie de groupe commencèrent à faire partie des moyens utilisés par les
psychiatres.
A l'époque ce livre fut écrit, il devenait parfaitement clair que l'ère de l'individu avait
pris fin. En dépit de l'épanouissement temporaire de la psychanalyse, les problèmes privés
des gens n'étaient plus au centre des préoccupations. La menace de la destruction nucléaire,
les poussées démographiques, l'horrible spectre des futures famines, la pollution
progressive de l'air et de l'eau, et la lente dégradation des centres urbains, tous ces facteurs
montraient que les anciennes façons d'affronter les problèmes humains étaient inefficaces.
L'homme psychologique était mort et l'homme social avait pris sa place. Cependant, à
l'époque, on ne disposait d'aucune théorie générale ou unifiée qui pût convenablement
représenter et englober l'individu, le groupe et la société dans un même système. Certes, il
y avait des théories qui s'appliquaient d'un côté à de petits groupes et de l'autre à l'ordre
social; mais il manquait un maillon à la chaîne, qui aurait permis de relier l'individu à
l'individu, l'individu au groupe et le groupe à l'ordre social plus vaste.
Cette étape franchie, les développements théoriques dans le domaine de la cybernétique
et des techniques de la communication parvinrent à assurer le rapprochement. En centrant
l'analyse non plus sur la personne ou sur le groupe, mais sur les messages et les circuits de
communication, on réussit à relier différentes entités. Les circuits de communication qui
doivent être étudiés incluent d'habitude, surtout dans les systèmes humains, au moins
deux personnes. En effet, il faut souvent retrouver l'origine du message, et suivre son trajet:
il passe d'une personne à une autre, transite par des groupes et des 013 machines, subit
des transformations jusqu'à ce qu'il atteigne finalement sa destination prévue, ses effets
en général rétroa-eissent sur la source originelle. Au départ, ce livre avait pour but de
décrire une théorie de la communication, adaptée à la condition humaine, et
particulièrement aux besoins de la psychiatrie.
Près de vingt années se sont écoulées depuis que ce livre a été conçu, et la science
pendant ce temps a progressé à une vitesse foudroyante. La convergence de la physiologie,
de l'écologie et de l'éthologie - disciplines qui étudient les transactions de l'organisme avec
son environnement physique et social - a abouti à l'émergence de théories des systèmes
dans les sciences biologiques. La convergence de la psychiatrie, de la psychologie, de la
sociologie et de l'anthropologie - disciplines qui étudient le comportement de l'homme seul
et en groupe - a abouti à ce que l'on appelle maintenant la science du comportement. La
convergence des techniques de gestion, de l'organisation sociale, de la direction des
groupes et de la thérapie de groupe - techniques qui ont toutes pour but de diriger,
organiser ou changer les comportements sociaux - a abouti à la formation d'un corpus de
connaissances théoriques centré sur le fonctionnement de la société. Parallèlement à ces
nouveaux développements scientifiques, nous avons pu assister, au sein de l'arène
politique, à l'intervention du gouvernement dans des sphères jusque-là plutôt privées
comme l'éducation, les soins médicaux, le logement et les droits civiques. La perspective
sociale de l'existence de l'homme, qui avait été longtemps négligée, a réussi à atteindre
presque le même niveau que les conceptions technologiques.
Les progrès de la communication ont abouti non seulement à l'essor d'outils de
communication plus perfectionnés mais aussi à toute une gamme de nouveaux types de
comportements humains. L'ordinateur, par exemple, a assumé le rôle d'un cerveau
auxiliaire de l'homme et des tâches comme le stockage et la recherche d'information, la
consultation et le «balayage» des données, leur informatisation et leur traduction n'ont plus
eu besoin d'être effectuées par des cerveaux humains. De plus, les ordinateurs peuvent être
employés comme des modèles scientifiques d'organismes ou de sociétés. Et la simulation
de phénomènes naturels permet au savant de vérifier l'exactitude de ses hypothèses. Dans
le domaine de la psychiatrie, nous disposons de programmes qui 014 sont capables de
simuler le comportement des patients et le comportement des psychiatres. Il est presque
impossible de distinguer l'interaction entre un psychiatre et un patient en chair et en os de
la conversation entre deux ordinateurs - l'un simulant le médecin et l'autre le patient. Des
programmes d'enseignement informatisés et des machines thérapeutiques ont déjà
largement dépassé le stade expérimental. Alors que, dans le passé, l'homme interagissait
avec des animaux ou avec d'autres hommes, il doit maintenant faire face, en plus, à des
quasi-organismes, autonomes, fabriqués en métal. L'homme moderne doit donc affronter
l'interaction humaine, l'interaction entre l'homme et la machine, et l'interaction entre les
machines.
La communication est ainsi devenue la matrice sociale de la vie moderne. Quoique ce
livre n'eût pas la possibilité de décrire ni la vitesse de l'évolution technologique ni
l'extension des engagements sociaux actuels, il anticipa correctement la tendance des
événements à venir: le rôle de plus en plus important des mass média, des ordinateurs et
des instruments à pilotage automatique dans notre civilisation allait susciter le
développement parallèle, sur le plan théorique et pratique, de la communication sociale et
de l'organisation sociale qui allaient prendre une importance croissante. Déjà, il y a vingt
ans, il apparaissait clairement que la machine complexe ne pouvait exister sans l'aide de sa
servante, l'organisation sociale. L'approche développée dans ce livre allait aussi exercer une
influence significative sur l'essor ultérieur de la théorie des systèmes et sur les conceptions
qui dominent dans ce qu'on appelle aujourd'hui la «psychiatrie sociale».
Après avoir terminé ce livre, les auteurs ont continué à développer leurs idées. Gregory
Bateson a perfectionné ses théories du jeu, de l'interaction humaine et des moyens de
communication des schizophrènes, tandis que Jurgen Ruesch affinait ses conceptions de la
communication non verbale, de la communication thérapeutique et des troubles de la
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