Portrait du Porte-parole des Ouïghours en France

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La politique de « hanisation » du Xinjiang dénoncée par le Porte-parole des
Ouïghours en France
Après le Tibet, c’est au tour des Ouïghours, Musulmans turcophones, de se révolter contre la répression chinoise.
Dimanche 5 juillet, une manifestation pacifique, destinée à protester contre la mort de deux ouvriers ouighours, s'est
terminée dans un bain de sang. Le bilan se monte à 156 morts et un millier de blessés. A Paris, l’Association des
Ouïghours se mobilise. Descendue dans les rues, elle manifeste ce samedi pour montrer sa solidarité avec ses
compatriotes. A sa tête, Erkin Millet*.
Fondu dans la foule, l’enfant Erkin Millet regarde les chanteurs et danseurs qui interprètent, dans des costumes chatoyants, les ballades
populaires de la communauté ouïgoure. C’est la première fête folklorique du jeune garçon, alors âgé de dix ans. « Tout le village se réunissait
ainsi pour faire connaître aux enfants la culture ouïgoure », se souvient Erkin, avec nostalgie. Ces danses folkloriques appelées meshrep ne se
font plus aujourd’hui car le gouvernement de Pékin les a interdites. « Ils s’opposent à tout rassemblement en privé, de peur qu’on exprime notre
mécontentement ».
A bien y regarder, la Chine a de quoi s’inquiéter. « Il y a une grande frustration chez les Ouïghours, depuis l’occupation du Turkestan Oriental en
1949 », affirme Erkin sans ambages. Il refuse d’utiliser le nom Xinjiang, qui signifie ‘nouvelle frontière’. Il reproche au Parti communiste chinois
d’avoir fait venir des milliers de Chinois Hans et de rafler tous les postes clés. Tout ceci alors que beaucoup de Ouïghours ne trouvent pas de
travail. « Mes sœurs ont fait des études supérieures et pourtant, elles sont au chômage depuis quatre ans », peste-t-il.
Cadre anonyme dans le secteur financier il y a encore une semaine, Erkin Millet est propulsé à la tête de l’Association des Ouïghours de Paris, à
la suite des émeutes du 5 juillet à Urumqui, capitale de la région autonome de Xinjiang. « J’étais le seul à parler moyennement bien le Français »,
confie-t-il en haussant les épaules, encore mal à l’aise sous le feu des projecteurs. C’est son attachement à la famille qui le persuade. « Lorsque
les manifestations ont éclaté, j’étais en contact direct avec mon frère, puis tout d’un coup la ligne a été coupé, j’avais très peur ». Issu d’une
famille modeste de six enfants, il cache son identité car il craint les représailles.
"Une grande frustration chez les Ouighours"
Novice en politique, Erkin Millet s’est démené afin de sensibiliser le public français et la communauté internationale à la cause des Ouïghours. En
vain. L’intervention du ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, au micro de France Info, montre à quel point la communauté
Ouïghour est méconnue. Mais la comparaison des Ouïghours avec les Yoghurts ne lui déplait pas. Il en rit. « Cela fait toujours de la pub de toute
façon… L’essentiel c’est qu’on en parle ». Une communication cadenassée dans cette région chinoise, où les médias sont verrouillés. Erkin
ignore d’ailleurs l’histoire fondamentale de la Chine, comme le soulèvement de Tienanmen. « Je n’avais jamais vu la fameuse photo de l’homme
en train de faire arrêter les chars de l’armée populaire de la libération ; j’ai appris les faits en arrivant en France ». C’était en 2002, lorsque les
autorités Chinoises avaient commencé à empêcher l’enseignement en langue ouïghour.
Cartable en cuir à ses côtés, chemise bien repassée, Erkin Millet a failli devenir professeur. Fils aîné d’instituteurs, il en a l'allure. Diplômé en
informatique de l’Université d’Urumqi, élève « doué », il s’est vu offrir un poste de maître de conférence par le chef du département. Mais à
condition qu’il enseigne en chinois. Il s’élève contre cette décision. «Voir les professeurs Ouïghours enseigner en chinois à des classes où la
totalité des élèves étaient Ouïghours, c’était forcer les choses ».
"Les Ouïghours sont des Musulmans turcophones modérés"
Autant dire que les différences dans les deux langues sont considérables, l’ouïghour s’associant plus à l’arabe. Musulman pratiquant, comme la
plupart des Ouïghours, Erkin reconnaît que l’opinion publique n’est pas favorable à l’Islam. Et pour cause, la propagande chinoise véhicule l’idée
que les séparatistes ouïghours sont liés à Al-Qaida. Erkin Millet dément tout lien avec l’organisation terroriste. « Les Ouïghours sont des
Musulmans turcophones modérés, pas du tout les Musulmans extrémistes comme le disent les Chinois ». C’est vrai qu’ils ne s’aiment pas, les
Ouïghours et les Hans.
Dans ce fauteuil parisien, blotti dans un restaurant turc, les origines turcophones de Erkin Millet ressortent. Il dévore avec faim son plat bouillant
de sarma, ces feuilles de vigne farcies au riz. Il ne mange pas de plats chinois et il n’a plus d’amis Hans. Ce n’était pas comme cela au début.
Dans sa ville natale de Kashgar, où il a grandi, « on disait ‘bonjour’ lorsqu’on se croisait ». Mais l’afflux des Hans dans le Turkestan Oriental a
attisé la rancune des Ouïghours, mécontent de devenir minoritaires sur son propre territoire.
Car Kashgar est pour lui l’épicentre de son existence. C’est dans cette région que passait la route de la soie, voie commerciale qui selon Erkin
représente « le cœur de notre civilisation ». Mais la modernisation chinoise la met en péril aujourd’hui. L’antique cité de l’Asie centrale risque de
bientôt céder la place à de mornes bâtiments modernes. « Scandaleux », s'écrie Erkin Millet.
On lit de l’imperméabilité et de la conviction dans son regard. On le sent impatient de défendre cette cause qui lui tient à cœur. Sans état d’âme.
Juste un objectif : l’autonomie, la vraie.
*Nom d’emprunt, pour assurer son anonymat
Dates clés :
1949 – Occupation du Turkestan Oriental par la Chine
1989 – Manifestations de la place Tienanmen
1990 – Politique de sinisation. Les Hans (Chinois de souche) passent de 6% à 40% sur 20 millions d’habitants
1997 – Manifestations des Ouighours réprimées à Yinning
2001 – Instrumentalisation de Pékin, considérant les Ouighours comme des terroristes
2009 – Eclatement des violences interethniques à Urumqi, Xinjiang
Par Christina Okello
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