PAПSSY CHRISTOV P R O B L E M E S DE LA TRANSPOSITION

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PAПSSY CHRISTOV
PROBLEMES
DE LA TRANSPOSITION LINGUISTIQUE
PRESSES UNIVERSITAIRES
“SAINTS CYRILLE ET METHODE”
Трудът е îдîбрен çà печàт с решенèе нà
Êàтедрà Рîмàнсêè ôèлîлîгèè
îт 24 .2.1999 г.
Редàêтîр: дîц.д-р Êрàсèмèр Петрîâ
Пàèсèé Хрèстîâ - àâтîр, 1999
Êънчî Дàнеâ - худîжнèê
PAПSSY CHRISTOV
PROBLEMES
DE LA TRANSPOSITION LINGUISTIQUE
PRESSES UNIVERSITAIRES
“SAINTS CYRILLE ET METHODE”
Velico Tirnovo, 1999
TABLE DES MATIERES
Introduction: Position et transposition……………….......…........
Chapitre I. Les transpositions au niveau phonétique
et phonologique……………..........................................
Chapitre II. Les transpositions dérivationnelles…………….......
A. La conversion comme transposition……..........................
B. La suffixation comme transposition………........................
La substantivation……………………............................
La verbalisation……………………...............................
L’adjectivation………………………...........................
L’adverbialisation…………………..............................
C. La préfixation comme transposition…………….............
D. La dérivation parasynthétique comme transposition…....
Chapitre III. Les transpositions syntagmatiques…………….....
A. Le substantif comme objet de transposition.......................
Transpositions intracatégorielles………………............
Transpositions intercatégorielles……………….............
B. Le verbe comme objet de transposition…………..............
Transpositions intracatégorielles………..........................
Transpositions diathétiques………...................
Transpositions aspectuelles……….....................
Transpositions modales………….......................
Transpositions temporelles……….....................
Transpositions de la personne grammaticale......
La subduction comme transposition……............
Transpositions intercatégorielles……………….............
C. L’adjectif comme objet de transposition………................
Transpositions intracatégorielles………….....................
Transpositions intercatégorielles…………….................
D. L’adverbe comme objet de transposition………................
Transpositions intracatégorielles…………...................
Transpositions intercatégorielles…………...................
Chapitre IV. Les transpositions au niveau de la phrase……….
A. Transpositions dans le cadre du syntagme verbal……....
B. Transpositions par réduction de la phrase simple…........
C. Transposition du syntagme nominal en phrase simple…...
D. Transpositions au niveau de la phrase complexe……......
Transposition qui aboutit à une proposition-mot............
Transposition qui aboutit à une proposition-syntagme...
Transposition qui aboutit à une proposition-phrase…....
Chapitre V. Les transpositions au niveau lexico-sémantique…..
Les mécanismes de la transposition lexico-sémantique..
Les tendances dans le changement de sens………........
Les tropes comme réalisation contextuelle des
transpositions sémantiques……......................................
Conclusion.................................................................................
Résumé en bulgare....................................................................
Bibliographie.............................................................................
INTRODUCTION
POSITION ET TRANSPOSITION
Les efforts des savants qui s’étaient proposé de ranger la linguistique dans le groupe des
sciences exactes avaient pour but d’établir le caractère systématique de la langue. On peut
supposer qu’un système puisse comprendre des sous-systèmes organisés sur des principes
spécifiques. Il est de notoriété commune que toute théorie a pour principe générateur le rapport
entre le général et le particulier. “La pensée construisant la langue inscrit son action entre des
limites - qu’elle se donne selon le problème à résoudre - et entre ces limites se donne la liberté
d’un mouvement dans les deux sens”1. Le rapport en question organise la matière linguistique
aussi bien au niveau du système global qu’au niveau des sous-systèmes. Le général et le
particulier sont les deux positions extrêmes entre lesquelles, par des saisies plus ou moins
précoces ou tardives, se présente l’évolution des éléments de chaque système. Il est bien évident
que tout élément linguistique occupe, dans le système respectif, une position sous-tendue par
certaines références. La valeur d’un élément dépend de la position qu’il occupe. On a une valeur
de système (dans notre cas une valeur de langue) quand les caractéristiques de cet élément au
niveau du système correspondent aux références de la position où il se trouve. Etant donné le
dynamisme du système linguistique, il est à prévoir qu’un élément puisse prendre, pour des
raisons d’ordre différent et par des moyens appropriés, une position autre que celle qui lui est
réservée dans le système et grâce à laquelle le système est édifié. On est alors en présence d’un
changement de position - d’une transposition. Le général est, donc, ce qui est posé dans le
système, alors que pour obtenir le particulier on a deux voies à suivre: la première est celle qui
reste dans le cadre des références propres à la position en système; en suivant la deuxième voie
on transgresse ces références et l’élément s’avère dans une position dont les références sont plus
ou moins éloignées de celles de la position initiale. Dans ce cas il sera question d’un particulier
obtenu par transposition. Un élément en position initiale doit être considéré, au niveau du
système, comme un fait général, et un élément en transposition - comme un fait de discours. En
d’autres mots, la position initiale est ouverte, de l’ordre de la compétence, elle rend compte de la
fonctionnalité du système; la transposition est résultative, de l’ordre de la performance, elle rend
compte du fonctionnement linguistique. Il faut donc étudier la transposition comme une
corrélation entre la fonctionnalité des faits et le fonctionnement linguistique2. Pour bien prendre
connaissance de ces mécanismes, il faut procéder à l’analyse des éléments qui en sont concernés.
La transposition en tant que phénomène linguistique est signalée par un grand nombre de
chercheurs, mais, à notre connaissance, elle n’a pas été objet d’une étude plus détaillée qui
couvre tous les niveaux linguistiques. Dans son ouvrage Eléments de syntaxe structurale, Lucien
Tesnière parle de translation (la parenté sémantique entre transposition et translation est plus
qu’évidente). Selon Tesnière “la translation consiste à transférer un mot plein d’une catégorie
grammaticale dans une autre”3. Charles Bally4 souligne qu’ «au fond de toute substitution on
aperçoit une transposition d’une catégorie dans une autre» et il parle d’un échange fonctionnel
dans les cas de passage tels que paternel - de père et qui appartient au père. Les éléments
engagés occupent des niveaux d’analyse différents (respectivement le niveau du mot, le niveau
du syntagme et le niveau de la phrase) et c’est le contexte qui les fait changer de position pour
leur communiquer des références positionnelles différentes. A la suite de Ch. Bally nous
pourrions affirmer que cet échange résulte d’une transposition réalisée au niveau respectif: de
père - niveau syntagmatique (le translateur de forme avec le substantif qui suit, mais qui est déjà
sorti de son assiette nominale et privé de ses références catégorielles, un adjectif fonctionnel) et
qui appartient au père - niveau phrastique (le pronom relatif qui, à part son rôle référentiel, a, lui
aussi, une fonction translative - il fait passer (il transpose) la proposition en adjectif fonctionnel.
R. Martin considère la transposition comme “un mécanisme syntaxique par lequel on crée
au niveau du discours des substantifs, des adjectifs et des adverbes fonctionnels au moyen
d’opérateurs tels que les prépositions et les conjonctions”5.
Il y a lieu de faire un parallèle entre transformation et transposition. Dans les cas de
trasformation il y a un changement de forme - un passage d’une forme à une autre. Les
transformations sont codifiables. C’est ce qui explique le fait que depuis longtemps déjà sont
rédigées des grammaires transformationnelles6. Les transpositions ne regardent pas que la forme,
elles peuvent avoir pour objet aussi bien le côté formel que le côté sémantique. Une grammaire
transpositionnelle ( si l’on se décide à en faire une) devrait couvrir un champ bien plus large
parce qu’il faudrait prendre en considération l’ensemble des faits de langage où l’on constate un
écart des références positionnelles qu’un élément donné possède dans le système auquel il
appartient.
Le problème de la transposition trouve un fondement théorique incontestable dans les
ouvrages de Gustave Guillaume et de ceux qui ont fait l’école guillaumienne. Le guillaumisme se
présente comme “une linguistique de position, une linguistique regroupant trois disciplines: la
psycho-mécanique, science de la pensée en action de langage, la psycho-systématique, science du
système de représentation, et la psycho-sémiologie, science des signifiants”7. La théorie
guillaumienne repose sur quelques points cardinaux qui nous intéressent particulièrement, à
savoir:
1. Les changements linguistiques se réduisent à des changements de position lesquels se
ramènent à une suite d’états constituant le développement global d’une unité donnée. Il s’agit,
pour le chercheur, de se représenter vectoriellement un phénomène linguistique, c’est-à-dire d’en
rapporter le dynamisme à un cinétisme vecteur dont il est pris ensuite une connaissance intérieure
au moyen de coupes portées successivement par le travers. Ces coupes marquent dans le
cinétisme vecteur des positions prises. De là l’appellation justifiée de “linguistique de position”.
Et puisque G. Guillaume se répète très souvent, n’hésitons pas à reprendre son idée que
l’essentiel pour un linguiste c’est de “se représenter chaque phénomène linguistique sous l’aspect
premier de son développement longitudinal et à en faire l’analyse, ainsi que le fait la pensée ellemême, au moyen des coupes transversales portées par le travers du développement longitudinal”8.
2. Une position stable n’est possible que virtuellement - au niveau du système. Une fois le
système abandonné, pour des raisons d’ordre différent, les éléments linguistiques se voient
entraînés dans un mouvement perpétuel. C’est dans le changement qu’ils découvrent la richesse
de leurs valeurs - toujours réductibles à la valeur de langue. “Tout dans la langue est procès. Il
n’y a pas de substantif: il y a dans la langue une substantivation plus ou moins tôt interceptée. Il
n’y a pas d’adjectif, il y a une adjectivation plus ou moins avancée en elle-même au moment où
l’esprit la saisit. Il n’y a pas de mot, il y a une genèse extraordinairement compliquée du mot. Il
n’y a pas de temps, il y a un phénomène de formation de l’image-temps - la chronogenèseauquel il est indispensable de remonter si l’on veut comprendre quoi que ce soit à la systémologie
des modes et des temps français”9.
3. Les changements linguistiques sont prévisibles dans la mesure où les références de toute
position se regroupent comme références systématiques et le fait que tel élément change de
position est une preuve qu’il appartient à un système où, pour reprendre A. Meillet, “tout se tient
et a un plan d’une merveilleuse rigueur”10. Et G. Guillaume d’insister sur le fait que “le
changement de position d’une forme à l’intérieur d’un système correspond à peu près
régulièrement à un changement systématique”11.
4. Les valeurs discursives se ramènent à la valeur en système. Ce qu’on considère comme
polysémie n’est qu’une diversité sémantique résultant d’un changement de position, d’une
transposition très avancée - à ce point que le lien avec la position initiale demande parfois une
motivation approfondie. “Ce qui est au degré plein, c’est la valeur en système, valeur préexistante
à la valeur d’emploi et due à ce que chaque forme représente dans le système un moment original
de sa construction psychique, plus exactement encore, de l’acte de définition unique, homogène,
que représente cette construction”12.
5. La transposition vient répondre à un besoin d’expressivité, celle-ci étant d’ordre
psychique. L’esprit, à la recherche d’une expression, a recours à des moyens prévisibles, vu le
caractère systématique de la langue. “L’unité systématique est acquise dans le domaine psychique
bien avant que soit obtenue une unité correspondante dans le domaine sémiologique”13. La
sémiologie est donc résultative et c’est elle qui constitue la réalité même du langage. Pour se
rendre compte du fonctionnement de la langue il faut suivre un chemin inverse - de la valeur
discursive traduite par un signe à la valeur de langue du même signe. C’est en cela que consiste
pour Gustave Guillaume le bien fondé de la théorie linguistique. Et il le dit en ces mots: “La
langue se compose de résultats sous lesquels il s’agit de découvrir, afin de rendre raison des
choses, l’opération de pensée créatrice. La règle d’or qui guide ici nos travaux c’est la reversion
du résultat constaté en procès génétique”14. L’expression et l’expressivité sont les deux
phénomènes qui motivent la stratification stylistique du langage - plus on est près de l’expression
et plus le langage se prête à une codification (dans le style distingué); d’un autre côté, plus on est
à la recherche de l’expressivité, plus on s’éloigne des normes linguistiques (dans le langage
courant, populaire ou argotique). “Dans la langue de la bonne société, qui observe sa parole,
l’expressivité est peu, et l’expression est presque tout. La langue populaire ou courante, réagit au
préjudice de l’expression et au bénéfice de l’expressivité…Dans l’histoire générale du langage,
l’expressivité est primaire et l’expression secondaire. Tout idiome donc, considéré à une époque
donnée, représente un certain abandon d’expressivité suppléé par une création compensative
d’expression, l’expressivité étant en soi de l’ordre de l’improvisé et l’expression - de l’ordre de
l’institué”15.
6. Le changement de position est un point de rencontre entre la linguistique synchronique et
la linguistique diachronique, l’une allant dans le sens inverse de l’autre. Le système est, pour la
linguistique synchronique, un point de départ, et pour la linguistique diachronique- un point
d’arrivée. “La linguistique diachronique saisit les choses dans le temps qui les fait changer et les
détruirait sans l’intervention d’une force organisatrice
contraire (la systématisation
synchronique)”16. On ne se trouve jamais en présence d’un système, mais toujours en présence
d’une réfection engagée du système acquis”17.
Les raisonnements de G. Guillaume et les suggestions qu’ils évoquent expliquent le succès
dont jouira l’école guillaumienne. Il suffit de consulter l’ouvrage de Marc Wilmet Gustave
Guillaume et son école linguistique18 pour s’en convaincre. C’est précisément dans les oeuvres de
G. Guillaume et de ses disciples qu’on trouve un fondement théorique de la transposition et de
nombreux exemples qui l’illustrent.
Nous sommes enclin, à la base de ce qui vient d’être dit, de considérer la transposition
comme un changement de références. Un élément a telle ou telle valeur propre quand il reste dans
son domaine définitionnel, c’est-à-dire dans le cadre de ses références systématiques. Prenons le
cas de l’imparfait. Tant qu’il s’emploie comme temps descriptif, il garde son caractère de temps
d’époque dans le passé avec sa double constitution d’ascendance et de décadence. Telles sont ses
références propres. Quand un verbe à l’imparfait abandonne l’ensemble des références qui
caractérisent cette forme, il s’agit déjà d’un emploi transposé, un emploi correspondant aux
références d’une autre forme. Notons tout de suite que la transposition ne s’appuie que
partiellement sur les références initiales de la forme en question. L’emploi de l’imparfait à la
place du passé simple, par exemple, s’appuie sur son constituant en décadence (En 1799 à Tours
naissait Honoré de Balzac); l’emploi du présent comme futur proche repose sur son constituant
en ascendance (Je descends à la prochaine).
Il y a au moins trois questions auxquelles il faut répondre pour présenter la transposition
comme phénomène linguistique, à savoir:
1. A quel niveau linguistique peut-on étudier la transposition?
2. Comment se définissent les références systématiques d’un élément et sur quoi repose la
transposition?
3. Y a-t-il un moyen (un agent) explicite ou implicite qui déclenche le mécanisme de la
transposition?
Nous essaierons ici de répondre à ces trois questions d’une façon sommaire et nous y
reviendrons chaque fois qu’il s’agit d’expliquer les différents mécanismes de la transposition.
1. Les niveaux de manifestation de la transposition. La transposition, en tant que
phénomène de grande envergure, se manifeste là où l’on voit apparaître les différentes unités
linguistiques selon le sous-système dont elles font partie. On peut prévoir, compte tenu de la
tradition linguistique, que la transposition affectera les éléments respectifs du niveau
phonologique, du niveau morphosyntaxique (avec ses subdivisions - le mot prédicatif, le
syntagme et la phrase)19 et du niveau lexico-sémantique. Reste à prendre en considération encore
deux niveaux d’importance significative pour la transposition: le niveau transphrastique (le
niveau du texte) et le niveau interlinguistique - celui de la traduction. Le texte en tant qu’unité
finale de l’activité langagière fait objet, ces dernières années, de recherches toujours plus
poussées. Nous nous y arrêterons dans la mesure où les transpositions effectuées aux niveaux
précédents se présentent comme éléments constitutifs d’une oeuvre littéraire. Et puis, le texte
littéraire, plus spécialement le poème, peut être pris comme base d’étude de la transposition dans
le cas de la traduction versifiée. C’est dans la traduction versifiée que la transposition trouve un
de ses champs d’application les plus favorables. Rappelons la parenté lexico-sémantique entre
traduction (tra-ducere) et transposition (trans-ponere). Notons encore qu’en anglais on emploie
le terme translation (du verbe latin transfero) qui est encore plus près de transposition.
2. Les références positionnelles. La position d’un élément dans le système est délimitée
par ses caractéristiques formelles et/ou notionnelles. Chaque niveau d’analyse (et de
manifestation de la transposition) a ses caractéristiques propres à tel ou tel élément du système.
Ce sont, par exemple, en phonologie, les traits distinctifs des phonèmes; en phonétique - les
caractéristiques de la syllabe et de l’accent; en morphologie - les catégories grammaticales, en
syntaxe - l’ordre des mots et les rapports casuels, etc.). Les catégories grammaticales ont,
chacune, des caractéristiques propres qui sont à prendre en considération quand il s’agit d’étudier
les mécanismes de la transposition.
L’espace et le temps sont les deux constituants infinis de l’univers. Ils trouvent leur
incarnation linguistique respectivement dans le nom et dans le verbe. Voilà ce que dit à ce propos
Gérard Moignet, un des disciples de Guillaume: “L’expérience humaine est répartie entre ce qui
a référence à l’espace, le nom, et ce qui a référence au temps, le verbe. Le nom et le verbe sont
adossés à une dichotomie fondamentale de la pensée, l’espace et le temps que l’expérience
présente intimement associés…La représentation du temps n’est possible qu’au prix d’une
opération de spatialisation”20. “Le nom résulte d’une opération primordiale d’entendement, de
désignation (ou prédication), opération de langue. Le verbe, assurément institué en langue, a une
structure prévoyant la mise en discours, l’opération de communication, puisqu’il comporte les
repères par lesquels le temps peut être évoqué…Il se réfère donc à une opération seconde par
rapport à la désignation qui est l’utilisation du désigné dans la production du discours”. G.
Guillaume est encore plus explicite: “Dans le cas où les mots aboutissent à l’univers-temps ils
prennent la marque de catégories de représentation relevant du temps, à savoir: le mode et le
temps, et ensuite la personne ordinale, celle qui se décline, change de rang… Dans le cas où les
mots aboutissent à l’univers-espace, ils prennent la marque de catégories de représentation
spatiale, à savoir: la personne non ordinale - délocutive - de troisième rang, le nombre, le genre,
le cas…”22. E. Talmy fait remarquer qu’on peut observer de nombreuses homologies entre la
structuration linguistique de l’espace et celle du temps. “Une racine verbale lexicalisant
l’expression d’un événement ou d’une action en tant que quantité temporelle peut être associée à
des formes grammaticales, comme les nominalisations, qui signalent une opération cognitive de
«réification». Sous l’effet sémantique de cette opération, le référent se trouve conceptualisé
désormais comme objet ou comme masse. En tant que tel il est capable de participer à un grand
nombre d’activités (comme: être donné ou possédé), au même titre qu’une quantité physique,
ainsi qu’à la plupart des constructions syntaxiques correspondantes”23.
La spatialisation et la temporalisation de la matière langagière ne suffisent pas pour épuiser
toute la richesse des références auxquelles renvoient les formes linguistiques. L’espace et le
temps fournissent la base des références formelles et catégorielles auxquelles viennent s’ajouter
les références sémantiques qui se prêtent difficilement à une systématisation. Il faut rappeler,
toutefois, que le général et le particulier restent, ici encore, des limites extrêmes pour l’activité
langagière. Mais la spatialisation prête à une subdivision qui n’est pas propre aux catégories
formelles - il s’agit de l’opposition concret- abstrait qui est à la base d’un grand nombre de cas de
transposition. On peut établir une analogie entre le mouvement perpétuel de l’esprit du général au
particulier pour discerner d’abord des contenus spécifiques et, ensuite, du particulier au général
pour les reverser dans des formes générales, et son va-et-vient entre le concret et l’abstrait pour
établir des correspondances: de manière explicite - en recourant à la comparaison, et de manière
implicite - en recourant aux tropes.
Les deux domaines - le domaine formel et le domaine sémantique - sont sensiblement
différents et l’étude de la transposition demande à élucider un problème d’importance capitale :
Qu’est-ce qui est transposé?
Au niveau phonologique ce sont les phonèmes mêmes qui sont transposés. Il s’agit de
phénomènes tels que l’harmonisation vocalique et l’assimilation consonantique - régressive et
progressive. Dans les cas d’harmonisation vocalique une voyelle, qui se trouve dans des
conditions d’articulation contraignantes, perd certaines de ses caractéristiques et ipso facto cesse
d’exister comme telle. Elle se trouve donc transposée dans un milieu qui lui est étrange, qui
l’empêche de réaliser ses traits distinctifs et, en fin de compte, on est en présence d’une autre
voyelle. Il en va de même pour l’assimilation. Les consonnes qui suivent empêchent, le plus
souvent, les consonnes qui précèdent de se réaliser pleinement. Celles-ci perdent certains de leurs
traits distinctifs (leurs références positionnelles) pour prendre appui sur d’autres références. Et on
a, comme résultat de cette transposition, une autre consonne.
Les transpositions au niveau morphologique se présentent sous trois aspects selon l’objet de
la transposition et les mécanismes de sa réalisation.
a) Il sera question de transposition dérivationnelle quand le mot quitte sa zone
référentielle (son statut de partie de langue) et devient une autre partie de langue. On y arrive par
conversion (il marche - la marche) ou par dérivation (régressive: il donne -le don; préfixale: la
marche - la démarche; suffixale: le donnateur, la donnation, etc.).
b) Il sera question de transposition syntagmatique quand les mots restent tels quels - ils
gardent leur statut de parties de langue - mais subissent des changements conditionnés par
l’occurrence syntagmatique. Il se présente, cette fois encore, deux cas.
On peut parler de transposition formelle quand elle porte sur une des formes du mot quand cette forme est transposée dans le cadre des références positionnelles d’une autre forme. Il
s’en suit que la forme en déplacement perd sa valeur initiale pour prendre la valeur conditionnée
par les références adoptives. Par sa portée cette transposition est formelle (on transpose une
forme), mais par son effet elle est sémantique (on fait prendre à cette forme une valeur qui
n’entre pas dans son domaine définitionnel). Servons-nous, à titre d’exemple, toujours de
l’imparfait qui est une forme très exploitée en matière de transposition. Quand il est employé
pour le passé simple, la transposition est d’orientation rétrospective et se réalise dans le cadre des
temps simples de l’indicatif. Quand il est employé à la place du futur (après la conjonction
conditionnelle si: Si elle venait ce soir je lui offrirais un beau cadeau.) on a déjà une orientation
prospective toujours dans le cadre de l’indicatif. C’est le translateur si qui transpose dans le cadre
de la phrase hypothétique. Il est important de souligner le jeu combiné des deux facteurs - de la
conjonction et de la phrase hypothétique car, dans d’autres conditions, Si elle venait ce soir!
(comme phrase indépendante avec une intonation appropriée) présentera une transposition
modale de l’imparfait, c’est-à-dire une transposition à un autre niveau hiérarchique. Notons, ici
encore, une transposition - à peine perceptible pour un Français et qui ne devrait pas rester
inaperçue pour un Bulgare: il s’agit de la transposition aspectuelle. La forme de départl’imparfait - implique l’imperfectif, alors que tous les cas de transposition situent la forme dans le
cadre perfectif. En bulgare cette opposition est rendue par des verbes différents: идвàм et дойдà.
On peut parler de transposition fonctionnelle quand c’est la fonction du mot qui est
affectée. Dans ce cas la transposition consiste, pour reprendre le terme guillaumien, dans un
changement d’incidence. Ce changement, de son côté, entraîne un changement référentiel qui est
d’ordre catégoriel mais qui n’est valable que pour un cas d’emploi bien concret. Dans un
syntagme tel que les cours d’été le substantif été n’a plus l’incidence qui lui est propre (par
définition et par position le substantif est incident à lui-même). Sous la puissance translative de la
préposition de, le substantif été devient incident, tel un adjectif, à un autre substantif - en
l’occasion, au substantif les cours. Et, de la sorte, été se voit privé de la possibilité de prendre
l’article qui est la marque catégorielle du substantif. Il se trouve, donc, transposé dans la
catégorie des adjectifs. Nos réflexions sur le caractère de la transposition au niveau
syntagmatique confirment le caractère transitoire du syntagme entre le mot et la phrase. Le
syntagme conditionne une transposition qui est fonctionnelle grâce à l’orientation du syntagme
vers la phrase, mais qui entraîne des changements référentiels catégoriels grâce à l’orientation
rétrospective des parties de langue qui entrent dans la constitution du syntagme.
c) La transposition au niveau phrastique est nettement fonctionnelle. Elle consiste dans la
réduction d’une phrase (par le recours à une construction infinitive ou à la proposition
subordonnée)24 au statut d’un terme de la proposition simple, ou bien dans l’élargissement d’un
syntagme au statut d’une phrase. Nous adoptons ici le critère fonctionnel de présentation de la
matière, car il a l’avantage de rendre compte de la transposition fonctionnelle qui fait précisément
l’objet de notre étude.
Quand la transposition se réalise par réduction, il y a deux cas à prendre en considération:
la transposition qui a pour résultat l’expansion infinitive de la phrase simple, et la transposition
qui, par la voie de la subordination, porte sur la proposition simple et la réduit au statut
fonctionnel d’un nom, d’un adjectif ou d’un adverbe - respectivement de complément, de
déterminant et de circonstant. Nous ne voyons pas d’inconvénient de nous servir ici de la
terminologie traditionnelle, tout en rendant hommage au regretté professeur K. Mantchev qui a
soumis la matière en question à une étude minutieuse- de grande importance théorique et
pratique. Nous appellerons tout simplement construction infinitive (ou syntagme basé sur un
verbe à l’infinitif) ce que Mantchev considère comme expansion, parce que nous adoptons une
démarche à l’opposé de la sienne. Il étudie la phrase déjà constituée et situe l’expansion dans le
cadre de l’unité phrastique entière, alors que nous nous proposons de rendre compte du
mécanisme transpositionnel qui réalise ladite expansion - comment une phrase est mise en
position de terme d’une autre phrase. C’est pour la même raison que nous abandonnons le terme
de connecteur et nous servirons du terme translateur: des éléménts tels que pour, afin de, de
manière à, tout en assumant la fonction de connecteurs (ou peut-être même avant de l’être),
réalisent leur fonction translative. Nous tenons à préciser que le terme translateur n’est pas
classificateur, il ne reflète pas un statut catégoriel. Translateur, comme terme, désigne le moyen
par lequel se réalise un phénomène linguistique dont les manifestations sont observées à tous les
niveaux d’analyse. Ainsi, par exemple, l’article, la préposition simple, la locution prépositive, la
conjonction de subordination et, pourquoi pas, la versification, ont ceci de commun qu’elles
réalisent des transpositions - évidemment à des niveaux différents et de nature différente, mais
toujours des transpositions.
D’un autre côté, certains translateurs résultent, eux-mêmes, d’une transposition. C’est le cas
des locutions prépositionnelles et conjonctives telles que avant de, de manière à, afin de, d’un
côté, et avant que, de manière que, afin que, de l’autre. Nous sommes là en présence d’une
double transposition. Examinons d’abord avant de et avant que où l’adverbe avant, au moyen
des translateurs de et que, est transposé dans d’autres catégories grammaticales - respectivement
dans celle des prépositions et dans celle des conjonctions. Il en va de même pour les autres unités
signalées ci-dessus où les substantifs manière et fin, grâce au jeu combiné des éléments qui les
précèdent (les prépositions de et à) et de ceux qui les suivent (respectivement à et de pour les
locutions prépositives et que pour les locutions conjonctives) sont privés de leur statut
indépendant et transposés dans le domaine des mots outils. Et dans ce cas le terme outil est
parfaitement justifié. Les translateurs sont des outils, des moyens à l’aide desquels se réalise un
phénomène grammatical de grande envergure.
La transposition aux niveaux déjà étudiés touche à des éléments matériels - phonèmes,
formes grammaticales, parties de langue. Et c’est tout à fait naturel car ce sont justement ces
éléments qui sont étudiés à ces niveaux-là. Ce qui est transposé au niveau lexico-sémantique
devrait avoir un caractère bien différent - un caractère sémantique. Il faudrait s’attendre à une
transposition de valeurs, de qualifications, de désignations qui sont d’ordre intellectif. Dans le
premier cas la transposition peut être considérée comme formelle dans la mesure où elle concerne
des éléments constitutifs des systèmes formels, alors que la transposition au niveau lexicosémantique est non matérielle, non formelle. Prenons à témoin l’étymologie des mots grecs
métaphore et métonymie - il s’agit, pour le premier trope, de transposition de signification, et
pour le deuxième - de transposition d’une nomination, d’une désignation. Mais l’une et l’autre
sont motivées par le même souci d’expressivité et visent à atteindre des buts stylistiques
semblables.
Au niveau du texte poétique on peut faire des observations sur deux types différents de
transposition. Tous les cas de transposition déjà présentés peuvent être saisis et analysés à ce
niveau-là. Est-ce que, dans le cas d’un texte poétique, entendu au sens générique, on peut parler
d’un autre genre de transposition?
Loin de vouloir simplifier les choses, nous pouvons
considérer comme exemple de transposition la présentation en prose d’un texte original versifié.
C’est ce que font aujourd’hui les maisons d’édition pour rendre accessibles au public les oeuvres
poétiques médiévales. Le cas inverse est pratiqué aussi : on fait une traduction “littérale” (en
prose) d’un poème laquelle est versée (transposée) dans le moule formel de l’original par un
versificateur très habile. Tout autres sont cette fois-ci les références: longueur du vers, caractère
de la rime, place de la césure, métrique, etc.
C’est toujours le même problème qui se pose quand on doit traduire un poème dans une
autre langue. Cette fois encore les références changent selon le caractère de la versification. Et on
a affaire à une double transposition du texte - d’abord dans un autre système linguistique et puis
(et parallèlement) dans un autre système de versification.
Il est bien évident que dans le cas d’un poème ou de sa traduction dans une autre langue il
s’agit bien de transposer un texte, et, inévitablement, de reproduire, au besoin, les transpositions
qui se manifestent aux niveaux inférieurs: lexico-sémantique, syntaxique, syntagmatique, etc. Les
changements fonctionnels qui en résultent sont dans ce cas les outils au moyen desquels se réalise
la “grande” transposition - celle du texte en tant que macro-unité discursive.
3. Les translateurs. Le mécanisme de la transposition sera bien élucidé quand on aura
identifié les moyens par lesquels elle se réalise. Il s’agit donc de montrer ce qui sert de translateur
dans chacun des cas de transposition. Insistons encore une fois que le translateur n’est pas une
catégorie linguistique. Pour être telle, il devrait avoir son domaine bien délimité. Or, il n’en est
rien. Le translateur a un champ d’application illimité et à chacun de ses niveaux de manifestation
il s’incarne dans des éléments linguistiques différents. Il serait plus juste de dire que selon le
caractère de la transposition on utilise comme translateurs des éléments différents - appartenant
au niveau d’analyse en question.
La transposition phonologique est provoquée par l’interaction des phonèmes, par les
propriétés du phonème qui suit ou qui précède. Il faut préciser que ce phénomène est déclenché
par la force motrice d’un seul des traits distinctifs du phonème et c’est justement ce trait distinctif
qu’il faut considérer comme translateur. Tel est le cas de l’assimilation des consonnes sourdes
devant une sonore (réalisme - prononcé: /zm/) et de l’assimilation des consonnes sonores devant
une sourde (absorber - prononcé: /aps/). Tels sont encore les cas d’harmonisation vocalique où,
le plus souvent, la voyelle qui suit agit sur celle qui précède (la première voyelle dans aimé est
prononcée fermée - comme la deuxième). Les phonèmes peuvent changer de position
référentielle selon la place qu’ils ont dans le mot. En bulgare, par exemple, à la fin du mot, les
consonnes sonores s’assourdissent toujours. La position finale est, dans ce cas, une espèce de
translateur qui n’a de force que dans une langue donnée - en bulgare on prononce /grat/ (грàд) et
en français /grad/ (grade). D’une façon générale, on peut accorder un rôle translateur à la place
que le phonème occupe dans le mot et ce rôle se matérialise par tel ou tel trait distinctif quand on
a affaire à une assimilation ou à une harmonisation vocalique.
La dérivation est un des domaines les plus favorables pour la manifestation de la
transposition. Ce disant, nous nous apercevons d’une tautologie significative. Dérivation veut
dire, à bien y réfléchir, transposition. La motivation étymologique des deux mots est différente,
mais leur sens évoque le même effet: la dérivation insiste sur le point de départ (le rôle du préfixe
dé-) et la transposition - sur le dynamisme et sur l’orientation terminale, résultative (le rôle du
préfixe trans-) d’un même phénomène. Si nous gardons, toutefois, le terme de transposition
dérivationnelle c’est que nous pensons à la dérivation comme à un des domaines de réalisation
de la transposition. D’un autre côté, cela veut dire que l’étude de la transposition à ce niveau est
parfaitement justifiée.
La transposition dérivationnelle se réalise au moyen des translateurs suivants:
a) Les préfixes. Par principe, la force translative des préfixes est réduite puisqu’ils
n’affectent pas la catégorie grammaticale du mot de départ. Les changements qu’ils provoquent
(fonction circonstancielle, fonction de détermination notionnelle et fonction grammaticale)25
n’imposent pas à celui-ci un changement de références positionnelles. Notons toutefois que les
changements que provoquent les suffixes au niveau grammatical peuvent être considérés comme
des transpositions. Ainsi, par exemple, les préfixes en- et é- font passer un verbe imperfectif au
groupe des verbes perfectifs: dormir - s’endormir, crier - s’écrier; le préfixe a- provoque des
changements diathétiques: maigrir et grandir sont diathétiquement neutres tandis que amaigrir
et agrandir sont transitifs directs.26
b) Les suffixes sont des translateurs par excellence. Ce sont eux qui assurent les quatre
types de transposition dérivationnelle - la verbalisation, la nominalisation (ou substantivation),
l’adjectivation et l’adverbialisation. Ce sont des éléments à double effet - ils font passer (ils
transposent) le mot de départ dans une autre catégorie, tout en lui communiquant une valeur
sémantique complémentaire. Dans les cas de substantivation leur force agissante est conjuguée
avec celle de l’article, lequel, en tant que translateur, a attiré l’attention d’un grand nombre de
linguistes27.
Le dérivé nominal, déjà obtenu par substantivation, pour entrer de plein droit dans la
catégorie à laquelle il se destine, a besoin de s’appuyer, en discours, sur un actualisateur - sur
l’article. G. Guillaume accorde à l’article une importance formelle semblable à celle du
substantif. “La substance formelle du nom est dans le nom-substantif la sémiologie de deux
choses: a) la complémentarité de la substance-matière, déclarée singulière ou plurielle, masculine
ou féminine, b) la conduite du mot à la catégorie nominale (ce par quoi il est nom). Dans le nomarticle la substance formelle du nom, conservée, n’y est plus que la sémiologie d’une chose: celle
du mouvement du mot à la catégorie nominale”28. Et Gérard Moignet continue à la suite de son
maître: “L’article constitue un véritable substantif formel, sans autre matière notionnelle que les
opérations de particularisation et de généralisation, purs mécanismes de pensée, fondamentaux,
puissamment efficaces dans l’intellection”29.
Le jeu combiné des préfixes et des suffixes assure un type particulier de dérivation appelée
dérivation parasynthétique. Elle est particulièrement productive dans certains cas de verbalisation
comme enlaidir, raccourcir, écourter, déborder. Ici encore on peut se demander si la dérivation
parasynthétique est un phénomène dérivationnel à part entière ou si c’est une combinaison
mécanique de la suffixation et de la préfixation. Les trois premiers verbes, cités ci-dessus, nous
laissent croire qu’il s’agit d’un phénomène autonome- on ne peut accorder une primauté ni au
préfixe, ni au suffixe. Qu’en est-il dans le cas de déborder? Est-ce qu’il vient de border par
l’adjonction du préfixe dé- ou il faut le considérer comme une formation pareille aux
précédentes? Seul le critère sémantique est à prendre en considération. Déborder ne saurait être
expliqué à partir de border. Il est donc, lui aussi, un dérivé parasynthétique.
c) L’article a été à plusieurs reprises signalé comme traslateur de grande portée. Son rôle
est particulièrement efficace dans les cas de conversion. Signalons, ici encore, un certain degré de
proximité sémantique entre transposition et conversion: la conversion est une espèce de
transformation, une transposition. Tels sont les cas de passage des adjectifs ou de certaines
formes verbales dans la catégorie des substantifs. G. Guillaume explique le passage de l’adjectif
au substantif à la base de la théorie de l’incidence: “Il suffit du reste de faire que beau, qui est un
adjectif, ait son incidence à ce qu’il signifie et soit conçu dans les seules limites de cette
incidence, pour que, du même coup, on se trouve en présence d’un substantif”30. G. Moignet, de
sa part, se réfère à la force actualisatrice et, dans notre cas, translative de l’article: “En raison de
la virtualité du support auquel se destine l’adjectif, il est possible en discours de maintenir ce
support dans sa virtualité de langue en référant l’adjectif au substantif formel qu’est l’article. On
obtient ainsi l’idée abstraite de l’adjectif, le concept adjectival dans toute sa généralité: le beau, le
vrai… L’opération peut aller au point de transcender le discours et de s’instituer en langue:
l’adjectif devient substantif: l’idéal, un idéal…Le beau c’est la totalité des objets pouvant être dits
“beaux”… La beauté c’est la notion considérée en soi, indépendamment de tout support”31. C’est
toujours au support virtuel que pense G. Moignet quand il explique la substantivation d’une
forme verbale: “Toute forme verbale, quelle qu’elle soit, emporte avec elle l’image d’un support
nominal. Le verbe courir à toutes ses formes implique un coureur, virtuel ou actualisé. Si l’on
transcende cette vision synthétisante et si l’on imagine ce comportement en soi, c’est le substantif
course que l’on forme”32. A titre d’illustration de cette thèse on peut citer des exemples de
conversion tels que: il marche - la marche, il demande - la demande ou des exemples de
dérivation régressive - quand on supprime la finale du mot: il donne - le don, il porte - le port
(d’une arme, par exemple).
Il n’y a pas que l’article défini qui transpose. Son cas est le plus évident et c’est pour cette
raison que les linguistes s’y sont arrêtés. Les autres espèces d’articles possèdent aussi cette
propriété, seulement l’effet obtenu n’a pas le même caractère. Ainsi, par exemple, l’article
indéfini sert à faire passer un nom propre dans la catégorie des noms communs: C’est un Tartuffe
(=un hypocrite); C’est un Harpagon (= un avare). L’article partitif a aussi un rôle translatif - il
fait passer les noms concrets dans la catégorie des noms abstraits (Jean a du nez. Marie a de
l’oreille) ou transpose les notions nombrables dans le groupe des notions continues (Il y a de la
voiture dans les rues.).
L’article en français est un fait de discours - il apparaît au niveau du syntagme comme
actualisateur du nom. L’étude de la transposition impose les précisions suivantes:
1.L’article, comme translateur, doit être considéré comme un fait de langue (systématique)
quand il se manifeste au niveau dérivationnel, surtout pour la réalisation de la conversion où les
suffixes, en tant que marques catégorielles, manquent.
2. L’article est un translateur au niveau du discours quand il provoque un changement
formel et, résultativement, un changement sémantique du mot: un nez - avoir du nez.
La transposition syntagmatique a un champ d’application très large et ses réalisations sont
multiples. Dans le cadre des syntagmes nominal et verbal elle se réalise le plus souvent au moyen
d’une préposition (quand on fait porter un substantif ou un infinitif au statut d’un déterminant
adjectival ou circonstanciel) ou au moyen d’un verbe auxiliaire ou semi-auxiliaire (quand on
assure au participe passé ou à l’infinitif les conditions nécessaires pour revenir dans le système
verbal).
C’est toujours au niveau du syntagme verbal que se manifestent les transpositions qui ont
pour objet les catégories grammaticales du verbe. Il est tout aussi intéressant de se demander
quels sont les outils de la transposition des formes temporelles et modales. On n’épuise pas le
problème quand on dit que si est un translateur lorsqu’un verbe à l’imparfait exprime une
condition au futur, car il faut préciser par quel moyen la conjonction si transpose. Et que dire des
cas où il n’y a pas de conjonction?Qu’est-ce qui transpose au présent la forme de l’imparfait dans
Je voulais vous demander un service? Qu’est-ce qui transpose au futur la forme du passé
composé dans Attendez-moi! J’ai bientôt fini? N’y aurait-il pas quelque chose de commun entre
la conjonction si et l’adverbe bientôt; n’auraient-ils pas, tous les deux, un rôle translatif?
Les questions peuvent être multipliées. Au lieu de chercher la réponse dans les exemples
dont la variété semble déroutante, il vaut mieux revenir sur le plan théorique. Il y a donc un
déplacement sur l’axe temporel. Ce déplacement, avant de devenir une réalité linguitique, est un
fait psychique. Le sujet parlant veut obtenir un certain effet en présentant les rapports temporels
autrement qu’ils ne sont. Et il l’obtient soit en augmentant la distance entre le fait en question et
le moment de la parole, soit en la réduisant. On sait que l’imparfait et le conditionnel peuvent
exprimer la politesse. Au lieu de chercher ce qu’il y a de poli dans la forme de l’imparfait ou dans
celle du conditionnel, il faut penser plutôt à la prise de distance pour expliquer l’effet
d’atténuation. Dans Je voulais vous demander un service et dans Je voudrais vous demander un
service sont employées deux formes qui ont une disposition symétrique par rapport au présent. Le
sujet parlant procède donc à une distanciation formelle - le procès de demander un service
constitue l’actualité même du sujet, mais celui-ci le traduit par des formes qui s’en éloignent.
Inversement, on a affaire à une réduction de la distance quand on emploie le présent pour relater
des faits passés (le présent historique) ou pour exprimer une action proche dans le passé ou dans
l’avenir. La prise de distance se fait donc dans les deux sens - par réduction ou par augmentation.
Elle peut être implicite (sous-entendue par le contexte) ou explicite (marquée par une conjonction
- comme c’est le cas de si - ou par un adverbe - comme dans le cas de bientôt).
C’est toujours par la prise de distance que s’explique la transposition personnelle - le
recours à la deuxième personne du pluriel (Vous de politesse), à la première personne du pluriel
(Nous de majesté ou d’auteur), etc.
Le translateur dans les cas ci-dessus n’est pas formel parce qu’il s’agit de transposer des
valeurs et non pas des formes. Et quand la prise de distance est explicitée, ce n’est pas la forme
du translateur qui compte, mais son sens.
Dans le cadre d’un syntagme nominal formé sur le modèle Substantif + Adjectif, c’est
l’inversion qui peut jouer un rôle de translateur et on peut obtenir trois types de transposition
dont le caractère dépend de la nature de l’adjectif qu’on fait changer de place.
1.Si c’est un adjectif indéfini en antéposition, la transposition est catégorielle (postposé,
l’adjectif devient qualitatif: un certain espoir - un espoir certain), et, résultativement,
sémantique.
2. Si c’est un adjectif qualitatif, normalement postposé, comme grand, pauvre, brave,
simple, etc., la transposition est sémantique - en changeant de place l’adjectif change de sens: un
homme pauvre - un pauvre homme. Notons que la valeur transposée est souvent stylistiquement
marquée.
3.Si c’est un adjectif exprimant une qualité non inhérente (résultat d’un jugement subjectif),
la transposition est stylistique. Antéposé, l’adjectif réalise une plus grande expressivité présentant
la qualité plutôt comme inhérente: une femme charmante - une charmante femme.
On a toujours affaire à une transposition syntagmatique quand le syntagme change de
nature. Il s’agit des cas de transformation (nous dirons de transposition) d’un type de syntagme
en un autre - du syntagme verbal en syntagme nominal ou du syntagme nominal en syntagme
verbal, ce qui provoque une deuxième transposition, respectivement de l’adverbe en adjectif et de
l’adjectif en adverbe. On a ici comme translateurs les actualisateurs correspondant au type de
syntagme qu’on veut obtenir. La nominalisation s’appuie sur l’article ou sur un autre
prédéterminant nominal (possessif, démonstratif, etc.) dont l’activité translative se combine
souvent avec celle d’un suffixe, par exemple, lire un roman - la lecture d’un roman. La
verbalisation repose sur les marques catégorielles du verbe - personnelles, temporelles, modales,
etc.: Après la lecture du roman, j’en ferai un résumé. - Quand j’aurai lu le roman, j’en ferai un
résumé.
Les transpositions phrastiques sont réalisées, comme nous l’avons signalé plus haut, par
des prépositions (simples ou composées) et par des conjonctions de subordinations, les premières
- pour introduire une expansion infinitive, les deuxièmes - pour introduire une forme verbale
personnelle. Ici se posent les problèmes de la nature des translateurs (selon l’objet de la
transposition) et des effets que celle-ci produit sur les catégories grammaticales des éléments
concernés.
La transposition lexico-sémantique ne se prête pas à une analyse formelle. Est-ce que cela
veut dire qu’il soit impossible d’isoler des éléments matériels qui puissent être considérés comme
translateurs. Comment résoudre ce problème pour un domaine qui semble le plus propice à la
réalisation de la transposition - c’est au niveau lexico-sémantique qu’on parle le plus souvent de
valeurs transposées. Le recours aux définitions des différents tropes pourrait nous être d’une
grande utilité. La métaphore est un procédé par lequel on transporte (c’est nous qui soulignons) la
signification propre d’un mot à une autre signification qui ne lui convient qu’en vertu d’une
comparaison sous-entendue33. La métonymie est, étymologiquement, un changement de nom,
autrement dit, elle consiste dans la transposition d’une désignation d’une chose sur une autre
s’appuyant sur un rapport constant (de la cause à l’effet, du contenant au contenu, de la partie au
tout, etc.). Dans le premier cas on transpose une valeur, dans le deuxième - une désignation. Le
translateur - c’est le contexte. C’est du voisinage dans lequel se trouvent les mots que découlent
leurs valeurs transposées.
La transposition au niveau du texte poétique . Pour être plus précis dans la présentation des
problèmes, nous nous servirons du terme transposition versificatrice parce que nous nous
proposons de réfléchir sur la forme versifiée d’un poème en privilégiant comme centre de notre
intérêt le vers classique. La précision terminologique s’impose pour éviter des reproches
éventuels concernant la motivation des termes. Quand nous avons défini la transposition aux
niveaux précédents comme phonologique, dérivationnelle, syntagmatique, phrastique et lexicosémantique nous avons voulu rendre compte du fait qu’elle se produit à ces niveaux-là. L’adjectif
poétique s’emploie plutôt avec son acception qualitative, valorisante (sa valeur relative est
affaiblie). D’un autre côté, il faut bien insister sur le but qu’on poursuit en procédant à ces
transpositions, sur l’effet qu’elles visent. La transposition versificatrice contient, de par sa
désignation, le but qu’elle se fixe, à savoir: transposer la matière langagière dans une forme
versifiée.
C’est au niveau du texte poétique que se manifestent toutes les espèces de transpositions,
mais, cette fois, dans des conditions bien différentes de celles que nous avons fait ressortir plus
haut. Le texte versifié est le point de rencontre de deux types de transposition ayant, chacun, sa
nature particulière et son but à atteindre. Le premier type- ce sont celles que nous avons déjà
présentées d’une façon sommaire - comme changements qui se produisent au niveau respectif
pour répondre aux besoins de l’expression et de l’expressivité, mais dans le cadre qui leur est
propre. Au niveau du texte poétique ces mêmes transpositions dépassent les limites de leur
domaine de réalisation pour se transformer en outils indispensables à la réalisation d’une
transposition d’un autre rang. Aux niveaux précédents les transpositions étaient un produit, un
résultat - l’objet de notre analyse. Au niveau du texte poétique elles sont un moyen par lequel est
réalisée la mise en vers. Elles sont donc des translateurs.
Il y a une différence essentielle entre les transpositions qui ont lieu aux différents niveaux
linguistiques et celles qu’on réalise au niveau du texte. Les transpositions aux niveaux
syntagmatique et phrastique suivent certains modèles et sont prévisibles. Les mêmes
transpositions au niveau du texte poétique sont le produit d’une invention créatrice et sont donc
imprévisibles.
Dans le texte poétique on observe un phénomène phonétique (non pas phonologique) qui
n’a pas d’équivalent au niveau du système. Il s’agit de la rencontre de certaines voyelles ou
consonnes par laquelle on obtient des rimes, des assonances, des allitérations - phénomène étudié
par la phonétique poétique. Peut-on parler de transposition dans ce cas? Nous le croyons bien. La
disposition intentionnelle des sons en vue d’obtenir des rimes résulte d’une transposition
syntagmatique. Prenons au hasard deux exemples pour nous en convaincre:
1….Et des femmes dont l’oeil par sa franchise étonne.
C’est le dernier vers de la deuxième strophe du poème de Beaudelaire Parfum exotique.
L’ordre normal des mots aurait été:
Et des femmes dont l’oeil étonne par sa franchise.
Nous sommes en présence d’une transposition bien simple, d’une inversion: le verbe étonne
au lieu de précéder le complément sa franchise, le suit pour qu’il rime avec donne du premier
vers.
2.Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve.
L’inversion sur laquelle repose le syntagme un éblouissant rêve du poème La Chevelure de
Baudelaire peut avoir des justifications différentes selon le niveau d’analyse. Prise en dehors
d’une oeuvre poétique, cette inversion sera stylistiquement marquée. L’antéposition de l’adjectif
aura pour effet sa mise en valeur. Mais dans un poème cette inversion s’avère obligatoire et pour
cette raison son expressivité diminue. Elle a une autre motivation - la rime avec enlève et sève.
On a toujours le même translateur - l’inversion. Dans le cadre du syntagme on y recourt pour
des raisons sémantiques ou stylistiques, alors que dans le cadre d’un poème ces raisons, sans être
annulées, cèdent devant les critères formels - la rime, la métrique, etc.
Nous avons à préciser ici encore un problème. L’inversion est, par elle-même, une
transposition. Pourquoi la considérer comme un translateur? N’y aurait-il pas une erreur? Nous
nous intéressons à l’inversion non pas en tant que changement dans l’ordre syntaxique, mais en
tant que moyen par lequel on provoque un autre changement. C’est elle qui fait passer les
adjectifs indéfinis tels que certain, divers, différent ou les ordinaux premier, dernier dans le
groupe des adjectifs qualitatifs: une nouvelle certaine, le jugement dernier. C’est elle qui fait
changer de sens, par antéposition, des adjectifs tels que grand, pauvre, brave, ancien, etc.
Ce genre d’observations concernant l’inversion sont valables et pour le niveau du texte
poétique. Là encore l’inversion, en coordination inévitable avec les autres types de transposition,
avec la réduction et avec l’élargissement du texte sont les moyens auxiliaires les plus importants
qui contribuent à l’organisation versifiée de la matière langagière. Et l’on peut à juste titre les
considérer comme translateurs.
On peut dire, d’une façon générale, que la transposition au niveau de la traduction versifiée
se réalise grâce aux translateurs dont on vient de parler. Ce sont, cette fois, les coordonnées qui
changent, les références positionnelles ne peuvent pas rester les mêmes du moment qu’on passe
dans un autre système linguistique, dans un autre système de versification. Ce passage peut
prendre des dénominations plus techniques (traduction, translation, transposition); il n’en reste
pas moins qu’il s’agit de transposer un contenu (le contenu original) sous une forme adéquate
(dans la mesure du possible) à celle de l’original. A ce niveau de transposition (et d’analyse) on
peut considérer comme disponible tout le matériel langagier de la langue d’arrivée. Le contenu et
la forme de l’original sont donnés à l’avance, mais rien encore ne fait prévoir quel sera le
matériel à utiliser, quels seront les mécanismes à appliquer, de quelle manière sera reproduite au
maximum la forme de l’original. Ici on a comme objet de transposition le contenu de l’original
aussi bien que sa forme. Quand on les présente dans leur unité indissoluble, on a en vue le
résultat en tant que fait littéraire. Les choses se passent autrement quand il s’agit de la réalisation
de l’activité transpositionnelle. La forme de l’original ne peut pas être copiée, elle n’est pas un
moule tout fait dans lequel sera versé le matériel de la langue d’arrivée. Quand les systèmes de
versification sont différents on a toujours un choix à faire, c’est-à-dire une transposition formelle
à réaliser. Lors de la traduction, le vers syllabique français, en tant que forme, est transposé dans
le système syllabo-tonique bulgare, il est accommodé à un pied convenable, à une configuration
accentuelle qui ne reproduit pas (et ne peut reproduire) celle de l’original. On sait, de la pratique
des traducteurs, que le commencement est d’une importance capitale (Il n’y a que le premier pas
qui coыte, dirait-on). Et ce commencement n’est pas nécessairement consacré aux premiers vers
de l’original. Pour choisir la forme de sa version, le traducteur tient compte de la forme de
l’original, du système de versification adoptif, et, très souvent, de certains éléments lexicosémantiques de l’original et de leurs équivalents dans l’autre langue qui peuvent s’avérer décisifs
pour le choix de la forme. Tenant compte de tout cela, le traducteur réalise d’abord une
transposition formelle. Le cadre formel une fois établi, il continue son travail qui consiste surtout
dans la transposition du contenu poétique, sans négliger, évidemment, les particularités de la
forme qui peuvent se manifester à tout endroit du texte. On doit donc considérer comme
translateurs la versification et le système de la langue d’arrivée et c’est sur le potentiel de ces
translateurs généraux que pourra compter l’activité du traducteur pour réaliser des procédés
identiques à ceux de l’auteur de l’oeuvre originale - toutes sortes de manipulations de la matière
langagière, lesquelles constitueront des tranlateurs particuliers. Cette façon de poser les
problèmes est assez sommaire et ne tient pas compte d’un trait particulièrement significatif qui
distingue l’activité du poète et du traducteur de l’activité langagière aux niveaux morphosyntaxique et lexico-sémantique. Un poème (l’original ou sa traduction) est une oeuvre d’art qui
résulte d’une activité créatrice plutôt que d’une activité transpositionnelle. C’est pour cette raison
que nous n’étudierons pas les transpositions au niveau du texte poétique à part. Nous leur
accorderons l’attention qu’elles méritent là où elles trouvent leur fondement linguistique, en les
présentant comme un cas marqué par les besoins de la création artistique.
Résumons ce qui vient d’être dit en vue d’une présentation systématique de la transposition.
Chaque élément linguistique a ses positions référentielles au niveau de sa manifestation: les traits
distinctifs des phonèmes (au niveau phonologique), le statut des parties de langue prédicatives
ou non-prédicatives (au niveau dérivationnel), les catégories grammaticales (au niveau
syntagmatique), les fonctions syntaxiques (au niveau phrastique), le sens de départ (au niveau
lexico-sémantique). A chaque niveau de manifestation la transposition a son propre objet et des
translateurs appropriés qui la réalisent.
Etant donné l’intention que nous avons d’étudier la transposition dans les domaines
indiqués ci-dessus où elle a des manifestations de nature si différente, nous sommes loin de
prétendre à une présentation exhaustive des problèmes. Les différents cas dont il sera question ne
serviront qu’à illustrer nos thèses. Si l’on entre parfois dans certains détails, c’est pour mieux
pénétrer dans les mécanismes de la transposition.
La distinction entre les transpositions formelles et les transpositions sémantiques n’a rien
d’absolu. Le changement formel ne va presque jamais sans un changement de valeur qu’elle soit
sémantique ou grammaticale. Les problèmes concernant les transpositions purements formelles
sont des plus faciles à saisir et à interpréter. Ce qui est plus difficile à établir, c’est la motivation
des transpositions sémantiques aux différents niveaux de leur analyse. Au niveau dérivationnel,
par exemple, le dérivé n’est pas uniquement une autre partie de langue, c’est un autre lexème. Il a
un sens différent du sens du mot de départ, quoiqu’en rapport très étroit avec lui. Dans les cas de
transposition formelle au niveau syntagmatique, une forme est transposée dans des références qui
lui sont impropres pour la faire changer de valeur.
Suivant que les transpositions provoquent ou ne provoquent pas un changement sémantique
elles peuvent être rangées dans deux groupes:
a) Transpositions qui ne portent pas sur le sens de l’élément de départ: les transpositions
phonologiques, les transpositions fonctionnelles au niveau syntagmatique et les transpositions
phrastiques.
b) Transpositions qui portent sur le sens de l’unité de départ: les transpositions
dérivationnelles, les transpositions formelles et sémantiques au niveau syntagmatique et les
transpositions lexico-sémantiques.
Sans négliger le côté formel de la transposition auquel sont consacrées un grand nombre
de recherches linguistiques, nous allons accorder une attention particulière à son côté sémantique
dans l’optique qui nous intéresse - étudier l’objet de la transposition et les translateurs qui la
réalisent pour mieux rendre compte de ses mécanismes linguistiques.
NOTES:
1
G. Guillaume. Principes de linguistique théorique. Laval - Paris, 1973, p. 98-99.
D. François-Geiger. Etre linguiste aujourd’hui, in La Linguistique, Paris, 1988, vol. 24,
fasc. 2, p. 56.
2
L. Tesnière. Eléments de syntaxe structurale. Paris, 1976 p. 364. Pour Tesnière la
translation, selon son objet, peut être désubstantivale, déadjectivale, déadverbiale et déverbale.
Selon son résultat elle peut être substantivale, adjectivale, adverbiale et verbale. L’auteur
distingue des translatifs (marquants de la translation) de premier degré (les prépositions) et de
deuxième degré (les conjonctions de subordination). Dans le groupe des premiers sont rangés les
verbes semi-auxiliaires qui permettent au verbe de passer d’une sous-catégorie en une autre. (p.
365 et suiv.).
3
4
Ch. Bally. Le langage et la vie. Paris, 1926, p. 160.
R. Martin. A propos de la dérivation adjectivale . Travaux de linguistique et de
littérature, Strasbourg, 1970. p. 157.
5
Voir: M. Gross. Grammaire transformationnelle du français. Syntaxe du verbe.Paris,
6
1968.
J. Dubois. Grammaire structurale du français : la phrase et les transformations. Paris,
1969.
7
M. Wilmet. Gustave Guillaume et son école. Paris - Bruxelles, 1978, p.22.
8
G. Guillaume. Principes de linguistique théorique, p.93.
9
G. Guillaume. Ibid., p. 224.
10
Cité d’après G. Guillaume, Principes de linguistique théorique, p. 17.
11
G. Guillaume. Principes de linguistique théorique, p. 112.
12
Ibid., p. 141.
13
Ibid., p. 129.
14
Ibid., p. 223.
15
Ibid., pp. 150-151.
16
Ibid.,p. 106.
17
Ibid., p. 109.
18
M. Wilmet. Op. cit.
K. Mantchev, A. Tchaouchev, A. Vassileva. Traité de morpho-syntaxe française,
Sofia, 1986, p. 8.
19
20
G. Moignet. Systématique de la langue française. Paris, 1981, p. 55.
21
Ibid., p. 56.
22
G. Guillaume. Principes de linguistique théorique, p. 191.
E. Talmy. Les relations entre grammaire et cognition. Cahier de praxématique, N° 18,
1992, p. 27.
23
24
K. Mantchev, A. Tchaouchev, A. Vassiléva. Op. cit., p. 349 et 394.
25
Ibid., p. 49 et suiv.
26
Ibid., p. 63.
27
L. Tesnière, op. cit., p. 396. G. Moignet. Systématique de la langue française. p. 13 et
28
G. Guillaume. Principes de linguistique théorique, p. 215.
29
G. Moignet. Systématique de la langue française, p. 21.
30
G. Guillaume. Principes de linguistique théorique, p. 206.
31
G. Moignet. Systématique de la langue française, 43.
32
Ibid., p. 56.
33
Le Petit Larousse, 1975.
suiv.
CHAPITRE I
TRANSPOSITIONS AU NIVEAU PHONETIQUE ET
PHONOLOGIQUE
Les phénomènes phonétiques et les transpositions dont ils sont l’objet peuvent être étudiés
sur un plan étroit (dans le cadre même de la phonétique) et sur un plan hiérarchique plus large (au
niveau transphrastique où la syllabe et l’accent se présentent comme facteurs dont dépendent les
différents types de versification).
I. Peut-on parler de transposition sur le plan phonétique (et phonologique)? Peut-on
expliquer par des mécanismes de transposition les phénomènes combinatoires à l’intérieur du
groupe rythmique dont parle M. Nikov dans sa Phonétique générale et française1, les différents
cas d’assimilation dont il est question dans l’ouvrage de À.Н.Рàпàнîâèч Ôîнетèêà ôрàнцуçсêîгî
яçыêà2, les cas d’harmonisation vocalique3 ou l’assourdissement des consonnes finales qui a lieu
en bulgare4? Rappelons que, le plus souvent, ces changements se produisent “à la limite de deux
sons ou modifient l’ensemble de la substance d’un son”5. Ils sont conditionnés par “certaines
particularités dans la coordination des mouvements articulatoires et phonatoires propres à la base
articulatoire”6 du français. Pour M. Nikov “ils ont pour raison la fusion des éléments successifs
dans la parole”7, et pour F. Carton - “la cohésion des sons” dans la chaîne parlée. Il s’agit de
l’assimilation régressive - assourdissement ou sonorisation d’une consonne sous l’influence de la
consonne qui suit : absent (le b est prononcé p), médecin (le d est prononcé t), une route droite
(le t de route est prononcé d); de l’assimilation progressive - sonorisation d’une consonne sous
l’influence de la consonne qui précède : subsister (le s après le b est prononcé z); de
l’harmonisation vocalique qui est toujours régressive et “affecte le timbre des voyelles françaises
“e” ouvert, “e” fermé et “oe” ouvert qui entrent dans des oppositions phonologiques relativement
instables”8: aimé(le e, transcrit par ai se prononce fermé sous l’Influence du é). Ces phénomènes
sont bien étudiés et nous ne les abordons que pour mettre en vue les mécanismes
transpositionnels par lesquels ils pourraient être expliqués. Dans ce cas nous pouvons considérer
comme positions référentielles l’ensemble des traits distinctifs qui définissent chaque phonème.
La perte d’un de ces traits et l’acquisition d’un autre (ceux-ci étant le plus souvent en opposition
binaire: consonne sonore - consonne sourde, voyelle ouverte - voyelle fermée) peut être présentée
comme un abandon de la position initiale et un passage dans une nouvelle position, autrement dit,
comme une transposition. Et il faut bien se rendre compte que c’est le contact plus ou moins
étroit entre les sons qui joue le rôle de translateur. Prenons, à titre d’exemple illustratif, le cas du
syntagme une cape blanche dans lequel le p de cape est prononcé comme b. Dans le sentiment
linguistique des usagers de la langue française le mot cape se termine par un p et ce sentiment
persiste même dans les cas d’assimilation. L’effet que celle-ci produit est d’ordre plutôt
phonétique que phonologique car le trait distinctif (absence ou présence de sonorité) n’est plus
pertinent. Le proche voisinage des deux consonnes (leur cohésion ou fusion) empêche l’appareil
articulatoire de les distinguer l’une de l’autre. La consonne initiale du deuxième mot est en
position forte, la consonne finale du premier mot est en position faible. La fusion entre les deux
supprime l’opposition sourde/sonore et la consonne sonore (celle qui est en position forte)
prend le dessus si bien qu’au son final du premier mot est communiqué un autre trait distinctif, ce
n’est plus le même son, on le fait passer dans d’autres références positionnelles, il change de
position. Il est bien significatif que c’est la présence ou l’absence de voix (consonnes voisées ou
non voisées) qui est le trait distinctif qui se prête le plus à un changement transpositionnel et c’est
surtout parce que les transpositions déjà mentionnées n’affectent pas le lieu d’articulation. Mais
“l’assimilation consonantique ne se limite pas à la sonorisation et à l’assourdissement - elle peut
faire apparaître, dans la consonne qui subit le changement, de nouvelles propriétés phonétiques
comme la nasalisation (par exemple, mademoiselle, prononcé manmouazel); elle peut également
conduire à une modification du lieu d’articulation (quinze juin, prononcé kenjjuen)”9. Le
changement de lieu d’articulation est une manifestation incontestable de la transposition au
niveau phonétique. Il en va de même pour l’harmonisation vocalique - le trait distinctif qui se
prête à ce changement (le caractère ouvert ou fermé de la voyelle) est d’ordre qualitatif. C’est une
opposition instable - “les différents usagers de la langue ne la respectent pas avec la même
régularité”10.
En bulgare l’assourdissement des consonnes sonores à la fin du mot est un phénomène de
portée générale qui ne connaît aucune exception. C’est sur ce point qu’on est enclin d’opposer le
bulgare au français puisqu’en français la sonorité des consonnes finales ne se perd pas. A vrai
dire, la tendance à l’affaiblissement et à l’assourdissement des consonnes finales peut être
considérée comme valable pour les deux langues. Rappelons-nous que dans l’évolution du
français la position finale des consonnes était instable et qu’en cette position elles s’amuissaient
et se perdaient si elles n’étaient pas protégées par un «e muet» qui constituait, avec la consonne,
une syllabe. Cet «e muet» continue à être compté dans la versification. On peut donc affirmer
qu’en position finale absolue les consonnes sonores du français non seulement s’assourdissent,
mais se perdent complètement dans la prononciation. C’est ainsi qu’on obtient de calidum chaud alors que calida fournit chaude. L’assourdissement des sonores finales en bulgare est un
cas de transposition dont la cause est la place que la consonne occupe dans le mot. En position
finale absolue les sonores sont transposées dans le groupe des sourdes respectives. En français
cette tendance est encore plus poussée et finit par l’amuissement de toute consonne.
Ce genre de transposition soulève un problème d’ordre théorique : s’agit-il d’une
transposition phonologique ou phonétique? Il est bien évident qu’elle a pour objet le phonème
dont l’assiette est constituée par ses traits distictifs. Mais les sujets engagés dans l’acte du
langage continuent à sentir le phonème comme tel même après la perte d’un de ces traits. Il se
produit donc une espèce de neutralisation phonologique étant donné que le trait en question cesse
d’être pertinent. C’est ainsi que la position d’un phonème dans le cadre du mot ou du groupe
rythmique, en tant que translateur, annule, par la neutralisation phonologique, l’opposition son phonème.
II. Les transpositions au niveau de la poétique formelle où l’accent et la syllabe sont des
éléments constitutifs du vers.
Si R. Jakobson intitule un de ses essais Linguistique et poétique, c’est pour souligner que
la linguistique est la science globale et que “la poétique peut être considérée comme faisant
partie intégrante de la linguistique”11. La forme poétique constitue l’objet d’étude de la métrique
en tant que science qui s’occupe de la constitution des vers et, en particulier, de leur mesure. “La
mesure des séquences est un procédé qui, en dehors de la fonction poétique, ne trouve pas
d’application dans le langage. C’est seulement en poésie, par la réitération régulière d’unités
équivalentes, qu’est donnée, du temps de la chaîne parlée, une expérience comparable à celle du
temps musical”12. Mis à part le vers libre qui est basé sur la combinaison des intonations et des
pauses, tous les systèmes de versification métrique utilisent la syllabe comme unité de mesure.
“Chaque langue ou famille de langues a sa façon de marquer le rythme. Les vers sont quantitatifs
en latin et en grec, accentuels dans les langues germaniques modernes, syllabiques en français,
cette langue n’ayant pas de contraste assez marqué entre longues et brèves, entre fortes et faibles.
Ainsi un vers latin se définit par le nombre de pieds, composés d’un certain nombre de longues
ou de brèves; un vers anglais par le nombre de pieds, composés d’une forte exceptionnellement
seule, le plus souvent accompagnée d’une ou plusieurs faibles; un vers français enfin par le
nombre de syllabes”13. Dans les versifications grecque et latine, dont le mètre repose sur la
quantité des voyelles, on prend pour unité minimale la syllabe courte (la more) et la syllabe
longue est considérée égale à deux syllabes courtes (à deux mores). C’est à la base de l’alternance
de ces deux types de syllabes que sont obtenus les principaux pieds bisyllabiques et
trisyllabiques14. Dans ce cas la syllabe longue se présente comme proéminente et la syllabe courte
- comme non-proéminente. “Dans toute forme de vers accentuel, le contraste entre proéminence
et non proéminence est obtenu en recourant à la distinction entre syllabes accentuées et
inaccentuées”15. A la base de l’analogie entre la proéminence quantitative et la proéminence
accentuelle sont établies les correspondances entre les versifications quantitatives et les
versifications accentuelles. Parmi les pieds bisyllabiques, le trochée est celui dont la première
syllabe est longue ou accentuée et la deuxième - courte ou non accentuée, et l’iambe - le pied
dont la première syllabe est courte ou inaccentuée et la deuxième - longue ou accentuée. Une
correspondance pareille s’établit aussi entre les pieds trisyllabiques - le dactyle, l’amphibraque et
l’anapeste. Cette analogie a servi à la codification de la métrique des versifications accentuelles
modernes. C’est à la base de cette analogie qu’il est possible de réaliser, au niveau purement
formel, des transpositions métriques lors de la traduction versifiée, par exemple, du latin en
bulgare. Nous avons essayé de citer, ci-dessous, quelques vers dont la configuration métrique
correspond aux pieds où l’alternance longue / brève (ou accentuée / non accentuée) est observée
régulièrement. Nous empruntons les vers originaux à l’ouvrage de Г. Бàтàêлèеâ Àнтèчнè
êрèлàтè думè, Сîôèя,1994, et les versions bulgares de Batacliev quand elles reproduisent le pied
en question. Dans les autres cas nous proposons des changements dans la traduction de Batacliev.
Les voyelles longues de l’original sont soulignées:
Le trochée:
Felix ille tamen corvo quoque rarior albo. (Juvénal)
È îт гàрâàн бял пî-рядêî среùà се тàêъâ ùàстлèâец…(P. Chr.)
La version de Batacliev est dactylique: Дàже îт белèя гàрâàн îня ùàстлèâец пî-рядêî се
среùà.
L’iambe:
Beatus ille qui procul negotiis. (Horace)
Ùàстлèâ е, êîéтî е îт сделêèте дàлеч. (P.Chr.)
Dans la traduction de Batacliev on peut lire: Ùàстлèâ е, êîéтî е дàлеч îт делàтà.
Le dactyle:
Felix qui potuit rerum cognoscere causas. (Virgile)
Êîлêî ùàстлèâ е чîâеêът, успял дà пîçнàе неùàтà. (Batacliev)
L’amphibraque:
Et genus et formam regina pecunia donat. (Ovide)
È тèтлè, è хубîст цàpèцà Пàрà пîдàряâà (P. Chr.). (Chez Batacliev on a Блàгîрîдстâî
è хубîст…).
L’anapeste:
Hic quiescit qui numquam quievit. (inscription tombale)
Туê пîчèâà неçнеù пîчèâêà (P. Chr.). Batacliev propose Туê пîчèâà, êîéтî нèêîгà не е
пîчèâàл.
Remarquons à ce sujet que les auteurs de l’antiquité utilisaient une métrique bien plus
riche et variée et qu’une version moderne en métrique accentuelle ne cherche qu’à obtenir un
effet semblable, sans prétendre à une fidélité rythmo-métrique. Il n’est donc pas possible dans ce
cas de parler de transposition au sens littéral du mot. Il est facile de s’en convaincre si l’on
compare un extrait un peu plus grand (nous proposons quelques vers d’Ovide, empruntés à l’Ars
amandi) et la version bulgare de G. Batacliev:
Ut redit itque frequens longum formica per agmen,
Granifero solitum cum vehit ore cibum,
Aut ut apes saltusque suos et olentia nactae
Pascua per flores et thyma summa volant,
sic ruit in celebres cultissima femina ludos.
Copia iudicium saepe morata meum (e)st.
Spectatum veniunt, veniunt spectentur ut ipsae.
Êàêтî нàсàм è нàтàм âърâîляêът îт мрàâêèте шетà,
âсяêà â устàтà държè çрънцетî - сâîéтà хрàнà,
êàêтî пчелèте летят пî лèâàдè è дъхàâè пàшè,
спèрàт се îт цâят нà цâят è пî лèâàнà âèсîê,
стèчàт се тъé çà èгрè è çà çрелèùà мîднè женèте.
Честî се âèждàм è àç â èçбîрà сâîé çàтруднен.
Èдàт те тàм, çà дà гледàт, нî èдàт è тях çà дà гледàт.
Il faut pourtant rappeler que certaines mesures classiques étaient d’un usage assez
fréquent et leurs modèles se sont vus repris dans des versifications accentuelles modernes. Tel
est, par exemple, le cas du vers logaédique, une mesure constituée de la combinaison de pieds à
quatre mores (trisyllabiques - dactyle ou anapeste) et de pieds à trois mores (bisyllabiques trochée ou iambe). Transposée dans une versification accentuelle, par exemple dans la
versification russe, cette mesure se caractérise par la reprise exacte du modèle d’un vers à l’autre.
C’est au début du XX s. que s’affirme en Russie la tradition de traduire “les syllabes longues (qui
manquent en russe) par des syllabes accentuées, et les brèves - par des non-accentuées… Au
début ces mesures n’étaient pas divisées en pieds, c’est le vers entier qu’on considérait comme
unité métrique et les strophes respectives portaient le nom des poètes qui étaient les premiers à
s’en servir ou qui les utilisaient le plus: strophe alcaпque, strophe sapphique…”16 M. Gasparov
fournit en bel exemple de transposition du logaède classique (une strophe du poème Le moineau
de Catulle) en logaède accentuel en russe, d’après le schéma:
x x  x
où par x on marque une syllabe longue ou brève (respectivement accentuée ou non accentuée),
par  une syllabe brève (ou non accentuée), et par  une syllabe longue (ou accentuée):
Lugete o Veneres / Cupidinisque,
Et quantum est hominum / venustiorum:
Passer mortuus est / meae puellae,
Passer, deliciae / meae puellae…
Плàчьте, Âенеры âсе / è âсе Эрîты,
Плàчьте сêîльêî нè есть / людеé дîстîéных!
Àх, âîрîбушêà нет / мîеé любеçнîé,
Птèчêè рàдîстè нет / мîеé любеçнîé…
Trad. V. Brioussov17
En dehors de la traduction, on peut donc considérer l’utilisation de cette mesure dans la
poésie russe comme une transposition de la mesure antique. Citons à titre d’exemple une strophe
de M. Tsvetaпeva où le logaède résulte de la combinaison de deux pieds anapestiques et d’un
pied iambique (les voyelles accentuées sont soulignées):
Coбèрàя любèмыx â путь,
Я èм песнè пîю нà пàмять Чтîбы прèнялè êàê-нèбудь,
Чтî êîгдà-тî дàрèлè сàмè.
(Сîбèрàя любèмых â путь)
Le problème des transpositions métriques se pose autrement dans les cas de passage d’une
versification à l’autre, quand elles ne reposent pas sur des principes analogiques, par exemple de
la versification française à la versification bulgare, la première étant syllabique et la deuxième syllabo-tonique. D’un point de vue purement linguistique on pourrait faire les observations
suivantes:
Dans la versification française le mètre repose sur “le nombre de syllabes que comporte le
vers…Ce qui compte ce n’est pas ce nombre en lui-même, mais le fait qu’il se répète, identique,
de vers à vers”18. Le deuxième facteur, l’accent, sans avoir l’importance qu’il a pour le vers
accentuel, n’est pas négligeable dans la versification française. Sa place normale étant sur la
dernière syllabe du groupe rythmique, il affecte la dernière syllabe du vers ou de l’hémistiche.
Ainsi, l’alexandrin, selon sa division interne, peut être coupé à l’hémistiche (6 + 6), se présenter
comme trimètre (4 + 4 + 4) ou comme tétramètre (3 + 3 + 3 + 3). Dans tous ces cas il y aura des
syllabes marquées par l’accent et leur distribution pourrait être comparée à la disposition des
syllabes accentuées dans le vers syllabo-tonique. S’il faut établir des modèles transpositionnels
entre la versification française et la versification bulgare, il faut d’abord écarter le trochée et le
dactyle comme pieds ayant l’accent sur la première syllabe. Il serait difficile de considérer
l’amphibraque comme correspondant à la métrique française, étant donné que ce pied
trisyllabique a l’accent sur la deuxième syllabe - au début il est ascendant, comme l’est
l’intonation française, mais ensuite il est descendant. Il s’avère donc que, compte tenu de la
longueur du vers, l’iambe et l’anapeste, en tant que pieds ascendants, devraient répondre le mieux
aux caractéristiques quantitatives et accentuelles du vers français. Il s’en suit que l’alexandrin
aura pour modèles transpositionnels soit l’iambe à six pieds, soit l’anapeste à quatre pieds. Le
décasyllabe qui a la césure après la quatrième syllabe s’adapte à l’iambe, alors que le vers de neuf
syllabes, ayant la césure après la troisième, pourra être transposé en bulgare par l’anapeste. La
conlusion à laquelle on aboutit, d’un point de vue théorique, est confirmée par la pratique des
traducteurs. L’iambe est le pied le plus employé (dans plus de 80 % des traductions)19 par les
traducteurs bulgares. Citons, à titre d’exemple, une strophe de Recueillement de Baudelaire:
Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir; il descend; le voici:
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.
et sa version iambique proposée par G. Michaпlov:
Смèрè, î мîя сêръб, тè сâîя бîлен плàч!
Тè чàêàш âечертà è етî - нàé-пîдèр
тя èде - è грàдà îбâèâà хлàден çдрàч,
дîнесъл нà еднè печàл, нà другè - мèр
Précisons que si les tendances énoncées à la base des observations linguistiques se
confirment parfaitement dans le cas de l’iambe, il n’en va pas de même pour l’anapeste - un pied
dont la fréquence ne dépasse pas 10 %, et cela s’explique par d’autres facteurs, tels que la
tradition littéraire, le choix personnel du traducteur, etc. Un des meilleurs exemples de version
anapestique nous est fourni par G. Michaпlov dans sa traduction du poème de Baudelaire
Harmonie du soir:
Un coeur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige!
Le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige;
Tout souvenir en moi luit comme un ostensoir!
Сêрèтè âîплè сред пустîш îбшèрнà è çлà
спîмнят рàдîст, ùî няâгà преç сън е бèлà!..
 êръâ съсèренà слънцетî мре сред мъглà…
Тâîят спîмен çàпàлâà нàд мен êàндèлà…
Ajoutons qu’il est impossible et inutile de chercher partout des correspondances entre
deux systèmes de nature différentes. Le premier vers de l’Harmonie du soir a une “résonance “
iambique dans le premier hémistiche de l’original (Voici venir le temps…) et anapestique - dans
le deuxième hémistiche (où vibrant sur sa tige), ce que G. Michaпlov traduit par l’anapeste: Èдâà
чàс è тîгàç с рàçлюленè стеблà…).
Il n’y a aucun doute que le passage de la versification française à la versification bulgare
consiste dans la transposition du vers syllabique en vers syllabo-tonique, compte tenu des
particularités quantitatives et accentuelles des deux systèmes - le nombre des syllabes dans un
vers et la disposition des accents. Si les modèles prévus ne sont pas toujours réalisés, c’est que,
tout d’abord, l’accent et la syllabe sont transposés, comme facteurs distinctifs, du niveau
phonétique au niveau du texte littéraire, et cela - dans deux sytèmes linguistiques différents, et ce
décalage ne permet pas aux modèles en question de fonctionner sans défaillance. D’un autre côté,
la tradition littéraire et le choix plus ou moins subjectif du traducteur se répercutent sur ce type de
transposition, car l’activité créatrice, par principe, se prête difficilement à des modèles préétablis.
Etant donné que les chants folkloriques bulgares et les poèmes de certains auteurs
bulgares du XIX s. se caractérisent par une versification syllabique, on peut se demander s’il
n’est possible de transposer le vers syllabique français dans une traduction bulgare.
Théoriquement, cette possibilité existe, mais un tel choix ne pourrait être justifié, car on aurait
obtenu une imitation du folklore, quelque chose d’archaпque, en décalage flagrant avec la
versification bulgare déjà établie, avec la poésie bulgare moderne.
Comment réaliser le passage d’une versification syllabo-tonique à une versification
syllabique? On ne peut parler, cette fois non plus, d’une transposition métrique - on tomberait
dans une littéralité formelle que le système du français moderne refuse. Des expériences dans ce
sens ont été déjà faites surtout par des traducteurs du russe, et il faut avouer qu’ils ont proposé de
très bonnes versions françaises. Ainsi, par exemple, la strophe de M. Tsvetaeva:
Уж сêîльêî èх упàлî â эту беçдну,
Рàçâерçтую âдàлè!
Нàстàнет день, êîгдà è я èçчеçну
С пîâерхнîстè çемлè.
qui repose sur un pied iambique a trouvé dans la version française d’ Eve Malleret une
équivalence métrique presque identique:
Il en tomba combien dans cet abîme
Béant dans le lointain!
Et je disparaîtrai un jour sans rimes
Du globe, c’est certain20.
Cette traduction est une réussite incontestable. Mais ce n’est pas par cette voie que
gagnerait une traduction en français. Imposer et transposer sont deux. Par conséquent, lors du
passage du syllabo-tonisme au syllabisme, il ne faut prendre en compte que le nombre des
syllabes et les pauses et conformer la traduction aux caractéristiques de la versification d’arrivée.
Et ce n’est que dans ces cadres qu’on peut parler de transposition. Référons-nous à une strophe de
Pouchkine de son poème Тучà organisée sur l’amphibraque et avec une pause après la sixième
syllabe non accentuée:
Пîследняя тучà рàссеянîé бурè!
Îднà ты несешься пî яснîé лàçурè,
Îднà ты нàâîдèшь унылую тень,
Îднà ты печàлèшь лèêуюùèé день.
La version de Jean-Luc Moreau est loin d’être une imitation métrique (la pause se trouve
après la cinquième syllabe accentuée, le parallélisme des vers est strictement reproduit sans que
les normes de la prosodie française soient violées), et pourtant on y retrouve le rythme de
l’original - comme une recréation et non comme une transposition:
Ultime nuage en ce ciel sans nuage,
Toi seul est resté des fureurs de l’orage,
Toi seul assombris la campagne alentour,
Toi seul obscurcis la clarté de ce jour.21
Il est bien évident que les transpositions d’un système de versification à un autre ne se
réalisent pas au niveau phonétique. Si nous les étudions sous ce chapitre, c’est parce que les
facteurs qui définissent un type de versification sont de caractère phonétique. L’important c’est
que pour obtenir ce genre de transposition il faut effectuer des transformations dont le caractère
n’est pas prévisible. Autrement dit, le traducteur ne transpose pas, son activité consiste dans la
recréation.
NOTES:
M. Nikov. Phonétique générale et française. Presses Universitaires “Saint Kliment
Ohridski”, Sofia, 1992, p. 260.
2
À.Н.Рàпàнîâèч. Ôîнетèêà ôрàнцуçсêîгî яçыêà. Мîсêâà, 1973, с. 94-97.
3
I. Kroumova. Phonétique et prononciation française. Traité pratique. V. Tirnovo, 1976,
p. 25.
4
Л. Àндреéчèн. Îснîâнà бългàрсêà грàмàтèêà. Сîôèя, 1978, с. 48-49.
5
M. Nikov. Op. cit. p. 262.
6
Ibid. p. 262-263.
7
Ibid. p. 262.
8
F. Carton. Introduction à la phonétique du français. Paris, Bordas, 1974, p. 75-76.
9
M. Nikov., op. cit., p. 263.
10
Ibid., p. 185.
11
. R. Jakobson. Essais de linguistique générale, Paris, 1963, p. 210.
12. Ibid. p. 221.
13. Voir Bordas, Encyclopédie, Paris. 1989.
14. Р.Гàндеâà, À. Мèлеâ, É. Брàтêîâ, М. Пîртàлсêè. Лàтèнсêà грàмàтèêà. Сîôèя,
1961, с. 378-383. Voir encore М. Гàспàрîâ. Îчерê èстîрèè еâрîпеéсêîгî стèхà. М. 1989, с.66.
15
R. Jakobson. Op. cit., p. 223.
16
М. Гàспàрîâ. Цèт. съч., М, 1989, с. 55.
17
Ibid, p. 61.
18
J. Cohen. Structure du langage poétique. Paris, 1966,
p. 83.
19
П. Хрèстîâ. Рèтъмът прè стèхîтâîрнèя преâîд. Â. Търнîâî, 1995, с. 230.
20
M. Tsvetaпeva.Poèmes. Paris, 1993, pp. 20-21.
21
Poèmes de Russie. Choisis, traduits et présentés par Jean-Luc Moreau, Paris, 1985, pp.
22-23.
1
CHAPITRE I I
TRANSPOSITIONS DERIVATIONNELLES
Pour une présentation systématique et exhaustive de la dérivation nous renvoyons le
lecteur au Traité de morpho-syntaxe française où il trouvera un exposé détaillé sur les
mécanismes dérivationnels réalisés au moyen des affixes qui sont “des éléments formateurs et
modificateurs à effet multiple” et qui “permettent de transposer le contenu prédicatif d’une
classe dans une autre classe et apportent une détermination d’ordre modal, quantitatif, spatiotemporel et logique au contenu, en explicitant les caractéristiques grammaticales des mots de
telle sorte que les dérivés apparaissent comme sémantiquement plus chargés et formellement
mieux motivés que les termes de base”1. Précisons que la transposition du contenu va de paire
avec une transposition formelle surtout dans les cas de dérivation suffixale et de conversion. Il
n’est pas difficile, au point de vue formel, d’isoler, chaque fois, l’objet de la transposition et les
translateurs au moyen desquels on y arrive. Mais puisque dans la plupart des cas la transposition
formelle est doublée d’une transposition sémantique, nous accorderons à celle-ci un intérêt
particulier. Il sera question des principaux mécanismes de transposition qui sont d’une portée
universelle. Ils sont valables non seulement pour l’état actuel du français mais aussi pour ses états
antérieurs ainsi que pour d’autres systèmes linguistiques.
A. La conversion (ou dérivation impropre) comme transposition.
La conversion est un phénomène d’ordre formel. Elle consiste dans la transposition d’un
mot d’une catégorie lexico-grammaticale dans une autre. Les cas de conversion les plus fréquents
sont:
- la substantivation des adjectifs qualificatifs (un aveugle, un complet, une circulaire, le
blanc, le bleu), des infinitifs (le déjeuner, le repentir, le rire), du participe présent ou du participe
passé (un habitant, un passant, une variante, un écrit, un aperçu, une issue), des adverbes (le
mal, le dedans, le dehors), des conjonctions et des pépositions (le pour, le contre, le mais);
- l’adjectivation de certains substantifs pour désigner des couleurs (rose, lilas, orange,
paille, framboise);
- l’adverbialisation des adjectifs (tirer juste, parler haut, chanter faux)2.
On pourrait prétendre, sous certaines réserves, qu’il y a des cas de conversion où le mot de
départ et le dérivé ont le même sens. Nous avons en vue surtout les cas de conversion d’un verbe
en un substantif:
a) La substantivation d’un infinitif quand le nom obtenu désigne le procès même: le
manger (c’est l’action de manger), le boire (c’est l’action de boire). Ces cas ne sont pas si
fréquents qu’on pourrait le croire. Le pouvoir, le devoir, le rire, le sourire désignent autre chose
que l’action même. Et cela s’explique facilement. Il y a trois éléments différents qui sont mis en
jeu dans le cas où il faut nommer un procès: une forme verbale personnelle pour situer le procès
dans le temps, une forme verbale non personnelle et non temporelle (l’infinitif) pour nommer le
procès hors du temps et sans un engagement personnel explicite, et, enfin, l’infinitif substantivé
pour exprimer une certaine matérialisation du procès, laquelle peut être nuancée: le manger c’est ce qu’on mange, le rire - ce qu’on entend quand un autre rit, le sourire - ce qu’on voit se
dessiner sur le visage, le pouvoir - une institutionalisation de la modalité; le devoir - transposition
de la modalité dans le domaine moral, etc. La matérialisation est nettement soulignée par la forme
du pluriel dans un cas comme les vivres.
L’objet notionnel de la transposition ici est un procès saisi dans sa potentialité, mais on a
comme résultat une neutralisation de cette potentialité. Et, selon le cas, on désigne l’objet du
procès (le manger, le boire), l’effet extérieur audible ou visible (le rire, le sourire), l’attitude
personnelle ou institutionnelle à l’égard de ce procès (le devoir, le pouvoir).
b) la substantivation d’une forme verbale personnelle: il marche - la marche, il rencontre
- la rencontre, il change - le change. C’est dans ces cas qu’on pourrait parler d’identité
sémantique entre le mot de départ et le dérivé. Référons-nous à l’exemple suivant :
M. X. écrit la lettre avant qu’il rencontre son fils.
M. X. écrit la lettre avant la rencontre avec son fils.
A l’identité sémantique correspond une identité distributionnelle - la construction
prépositionnelle et la proposition subordonnée peuvent commuter.
Mais le sens du dérivé nominal ne couvre pas toujours le champ sémantique du mot de
base. Le change se dit surtout quand on change de devises, alors que pour désigner le procès en
général on a recours au dérivé suffixal le changement. Cela veut dire que la conversion vient
répondre à des besoins concrets et, si formelle qu’elle semble, elle repose sur une base
sémantique.
c) La substantivation d’un participe dans des cas comme la sortie, l’entrée (qui désigne
l’action et l’endroit par où elle se réalise), la rentrée (qui désigne l’action et le moment de sa
réalisation) illustre aussi bien la reproduction du procès même que sa matérialisation. Que le
substantif dérivé soit au féminin n’a rien d’étonnant - le participe est un adjectif verbal et ses
deux formes de genre peuvent bien servir de base à la dérivation. Mais ces quelques exemples
sont loin d’être représentatifs. Si l’on tient compte de la nature de ces formes verbales, on
pourrait s’attendre à une matérialisation qui pour le participe présent porte du côté du sujet de
l’action, et pour le participe passé - du côté de l’objet. On prévoit une valeur active pour les
dérivés à base de participe présent et une valeur passive si les dérivés reposent sur un participe
passé. Un restaurant serait “ce qui restaure”, un battant - “ce qui s’abat, se rabat”, un reçu - “ce
qui est reçu”. Et c’est vrai si l’on pense au sens premier de ces mots. On peut facilement constater
le glissement qui s’est produit pour arriver aux acceptions actuelles des substantifs ci-dessus. Et
le passé est déjà «l’époque» ou «la catégorie grammaticale», le défilé - «la marche de personnes
disposées à la file» ou «le passage étroit entre deux hauteurs»; le versant - «une pente de
montagne».
Le fait que le reçu désigne l’objet de l’action (ce qui est reçu) et la sortie, l’arrivée, la
montée, la tombée, la venue - l’action même est facile à expliquer. Le participe passé des verbes
français est passif, sauf dans le cas des verbes intransitifs. Il s’en suit que le dérivé nominal du
participe passé d’un verbe transitif privilégie la désignation de l’objet tandis que le dérivé du
participe passé d’un verbe intransitif, étant donné son caractère actif, peut servir à désigner
l’action même. Loin d’être purement formelle, la conversion tient compte non seulement du sens
du mot de départ et du dérivé, mais aussi de certaines catégories grammaticales de la forme
verbale qui a servi de base à la conversion.
Dans certains cas l’objet matériel et le participe passé sont employés ensemble comme un
nom composé qui, plus tard, par ellipse, se réduit à la seule composante verbale: corvée (de opera
corrogata - coorogare signifiait “convoquer plusieurs personnes”), date (de littera data - “lettre
donnée”). En latin le participe futur passif de certains verbes a servi à la transposition nominale.
Dans ces cas-là, l’idée future a doublé l’idée d’action d’une modalité - de l’idée modale de
nécessité: légende (de legenda - “ce qui doit être lu”), offrande ( de offerenda - “ce qui doit être
offert”), viande (de vivenda - “ce qui est nécessire à la vie”).
La transposition par conversion peut avoir comme base un adjectif. Cette fois encore la
transposition ne peut pas être uniquement formelle. “Il suffit …de faire que beau qui est un
adjectif ait son incidence à ce qu’il signifie et soit conçu dans les seules limites de cette incidence
pour que, du même coup, on se trouve en présence d’un substantif”3. On peut prévoir deux
résultats de la transposition sémantique qui s’en suit:
a) la qualité, conçue en elle-même, est portée à une généralisation extrême comme dans le
beau, le vrai, le ridicule. Les conditions socio-culturelles nous offrent des cas très intéressants de
motivation de ce genre de transposition. Quand l’extension maximale de la qualité ne reste pas
dans le domaine qualitatif, elle se voit transposée dans le domaine matériel et trouve des
incarnations qui peuvent être justifiées chaque fois différemment. C’est le cas de large- le large
(“la haute mer”), Le Rouge et le Noir (dans l’acception de Stendhal). Des cas curieux de
transpostion offrent les adjectifs ethniques: persien - la persienne, slavus - l’esclave. Dans
d’autres cas la motivation repose sur une ellipse du substantif - la qualité exprimée par l’adjectif
au lieu d’être substantivée en elle-même, trouve un appui nominal et, quand la transposition est
déjà obtenue, s’en défait: fontana (aqua) - la fontaine; singularis (porcus) - le sanglier; vaccinus
(virus) - le vaccin. Quand l’adjectif repose sur une idée verbale, il peut désigner la qualité de ce
qui provoque l’action (comme dans motivus) ou de ce qui la subit (comme dans mobilis). Après la
transposition par conversion le dérivé nominal désigne déjà ce qui provoque ou subit l’action
(respectivement : le motif et le meuble).
b) le nom, par lequel est désignée la qualité, est transposé pour désigner le porteur de cette
qualité: alba (“blanche”) - l’aube; acidula (“aigre”) - l’oseille; rapide - le rapide; moyen - le
moyen - “quelque chose d’intermédiaire entre le sujet et l’objet”.
Le procédé en question peut être largement exploité dans certains textes tels les poèmes
des surréalistes où l’on utilise comme objet de transposition des éléments de nature différente.
Dans l’extrait du poème Le Triple de Chérasim Luca, cité ci-dessous, nous soulignons des cas de
transposition qui ne sont pas consacrés par l’usage:
Le viol viole violemment le on du violon
on du violon étant violé par le viol
le violon c’est le viol…
et le et du violon violé…
est violé par le e de la viole
mais c’est la ine de la violine
qui violète le viol violé…
car l’oniste fait d’un viol un violoniste…
La violette joue violemment du violon
elle joue avec le celliste
de la violente violoncelliste…
heureusement à cette heure
eur du violeur et euse de la violeuse
sont violemment violés par l’acteur et l’actrice…
A. Breton nominalise le participe présent de survenir (un survenant) et la forme
personnelle de pardonner : La balance des blessures qui s’appelle Pardonne. René Daumal
personnifie des choses: Dévorées mes filles maigres// Herbe, Pluie et Chevelure// en moi vous
mourrez lumineuses.
B. La suffixation comme transposition
La suffixation est une des sources les plus riches de transpositions catégorielles. “La
partie de discours obtenue, le mot est clos, et, du côté de la fin, on ne peut plus rien y ajouter.
Pour ajouter au mot, du côté de la fin, il faut pouvoir retarder la survenance de la partie de
discours. Et c’est là un effet mécanique de glissement des mots par introduction de certains
suffixes de caractère sémantique qui se présentent donc comme des morphèmes non pas à simple
effet, mais à double effet, le premier effet étant de signifier ce qui leur appartient en propre, par
sémantèse, et le second effet, mécanique, étant de participer au mouvement qui porte le mot
jusqu’à la partie de discours terminale”4 (c’est nous qui soulignons - P. Chr.). C’est en ce
mouvement que consistent les différents types de transposition dérivationnelle dont il sera
question plus loin.
I. La substantivation suffixale.
1. L’idée de substance comme objet de la transposition.
La transposition qui a pour objet une substance et comme point d’arrivée une autre
substance peut se réaliser sur deux axes différents qui sont prévus par la position de la substance
dans deux domaines différents: le domaine notionnel et le domaine actantiel. Le domaine
notionnel a pour limites extrêmes le général et le particulier. Le domaine actantiel a pour limites
extrêmes le sujet et l’objet.
a) La transposition dans le domaine notionnel peut être présentée sur un axe horizontal
limité des deux côtés par le général et le particulier.
Transposition du sens à partir du général en direction du particulier (rétrécissement du
sens): pomo désignait un fruit en général et pomme - le fruit du pommier; sinus était un pli en
général et sein- le pli de la gorge.
Remarques:
- La transposition diminutive est un des cas particuliers du rétrécissement du sens: solis soliculum - soleil; auris - auricula - aureille; rotula - rotule.
- On peut considérer la transposition métonymique comme une des manifestations de la
transposition particularisante, le lien entre la base et le dérivé pouvant être direct (rusca “écorce”
- ruche; tabula “planche” - table; argent “le métal” - l’argent “les devises”, etc.) ou accidentel
(bure “étoffe” - bureau (“meuble couvert de cette étoffe”).
- On a toujours une transposition particularisante quand le dérivé est obtenu par
métaphorisation à la base d’une qualité implicite: testa “vase de terre cuite” - tête; plumbum “le
metal” - plumbionem- plongeon.
Transposition du sens à partir du particulier en direction du général: la boucherie - on
avait dы y vendre au début de la viande de bouc; maintenant - toute sorte de viande; secretarius
“confident” - le mot qui désignait celui en qui on a confiance a servi à désigner une profession.
b) La transposition dans le domaine actantiel (nous empruntons le terme à Lucien
Tesnière qui a élaboré la théorie des actants)5 prend en considération l’engagement de la notion
de départ et de la notion d’arrivée dans un procès, implicite, qui a pour limite initiale le sujet et
pour limite finale l’objet sous toutes ses manifestations: de matérialisation, de destination, de
localisation dans l’espace et dans le temps. On constate, cependant, que la transposition dans ce
cas repose surtout sur l’idée de localisation, puisqu’il est difficile d’imaginer la matérialisation de
tous les actants d’un procès très général, lequel reste, pour cette même raison, implicite:
- Le mot de départ se trouve en position de premier actant (en position de sujet). Son sens
est transposé comme base sémantique d’un circonstant, autrement dit, le dérivé indique où se
produit l’activité qui est propre au sujet désigné par le mot de départ: faber “l’artisan” - fabrica/
forge - là où il travaille.
- Le mot de base indique l’endroit où se met (se trouve, se porte) l’objet désigné par le
dérivé: caput “tête” - le chapea;, col - collier; pot - potin (“ce qu’on dit autour du pot”).
On peut facilement constater que dans le premier cas c’est le dérivé qui se voit en position
de circonstant (comme point d’arrivée), tandis que dans le deuxième cas c’est le mot de base qui
exprime la localisation (comme point de départ).
2.L’idée de qualité comme objet de la transposition. Avant d’entrer dans les détails, il y a
lieu de rappeler, avec G. Moignet, la différence entre la substantivation par conversion et la
substantivation par dérivation suffixale. “En raison de la virtualité du support auquel se destine
l’adjectif, il est possible en discours de maintenir ce support dans sa virtualité de langue en
référant l’adjectif au substantif purement formel qu’est l’article: on obtient ainsi, au résultat,
l’idée abstraite de l’adjectif, le concept adjectival dans toute sa généralité : le beau, le vrai, le
sublime, le grotesque… Il peut exister une synonymie approchée entre l’adjectif substantivé et le
substantif dérivé par suffixation: le beau = “la totalité des objets pouvant être dits beaux”; la
beauté, notion considérée en soi indépendamment de tout support, est un substantif”6. La
transposition par suffixation a toujours pour effet une matérialisation plus ou moins poussée de la
qualité - grâce surtout à l’apport sémantique du suffixe.
Il peut être question de matérialisation précoce quand le dérivé présente la qualité en
extension comme une dimension: la grandeur, la petitesse, la largeur, la longueur. La jeunesse
et la vieillesse peuvent être rangées dans le même groupe puisque ces substantifs désignent des
périodes de la vie. Triste par l’intermédiaire de tristesse s’incarne dans un sentiment, noble par
l’intermédiaire de noblesse - dans une catégorie morale ou sociale.
Il est à noter des transpositions ultérieures pour les dérivés obtenus par conversion ou par
suffixation. Le Roux provient d’une ellipse (l’homme roux) pour devenir un nom de famille
(Leroux) où l’article est agglutiné. La Vieille (obtenu par conversion) peut être un personnage
dans un conte de fées, alors que La Vieillesse sera un personnage allégorique. Dans le dernier cas
la transposition va jusqu’à prendre le rang d’un nom propre sans article - Vieillesse.
On parlera de matérialisation tardive quand la transposition prend appui sur un objet
concret: long - longeron, vert - verdure.
3. L’idée de procès comme objet d’une transposition substantivale.
La transposition qui a pour base un verbe et qui par suffixation conduit à une
matérialisation plus ou moins avancée du procès peut être présentée sur l’échelle actantielle.
a) Quand l’idée de procès sort de son assiette verbale et passe dans le domaine nominal,
tout en gardant sa place centrale sur l’axe actantiel, on observe une matérialisation précoce qui
est cantonnée dans les limites formelles du substantif. Le dérivé continue à désigner un procès
sans rapport avec aucun de ses actants: se promener- la promenade; former - la formation; se
moquer - la moquerie; evolvere - l’évolution; traducere -la traduction (c’est l’action ou son
produit).
b) Le procès se matérialise dans son premier actant. Le dérivé désigne le nom qui prend la
position du sujet: se promener- le promeneur, mentir - le menteur, garder - le gardien, professer le professeur, orare - l’orateur, conducere - le conducteur, etc.
c) Le procès s’incarne dans le moyen par lequel il peut être réalisé: tenir - les tenailles,
retinere - retina - la rêne, allumer - l’allumette, effacer - l’effaceur (substance ou objet par
lequel on efface). Ce cas est assez proche du précédent. La différence consiste dans le fait que les
dérivés qui matérialisent le sujet désignent des êtres vivants, et ceux qui matérialisent le moyen
désignent des choses: document (docere - “ce qui sert à instruire”), argument (argere - “ce qui
sert à prouver”). Il se peut que le même dérivé possède une double distribution comme dans le
cas de conducteur qui peut désigner “celui qui conduit une voiture” ou “le fil conducteur”.
d) Le procès se prolonge dans son résultat. Il y a ici au moins deux cas à distinguer. (1) Le
dérivé peut servir à désigner l’être ou la chose qui est objet du procès de départ: nourrir - le
nourrisson (le bébé qui est nourri); bibere - bibitione - la boisson (le liquide qui est bu). (2)
Quand la transposition ne porte pas sur un être ou une chose elle peut s’extérioriser dans son
résultat matériel: donner - donnation, exposer - exposition.
e) Quand le procès a pour objet l’endroit où il s’arrête, c’est cet endroit qui est nommé par
le dérivé. Et puisque le rapport entre le procès et sa limite spatiale est très étroit, il s’ensuit que
cette limite devient l’endroit privilégié de réalisation du procès: résider - résidence, mansionem
(manere) - la maison, station (stare), etc.
4. L’adverbe comme objet de transposition
Quand on a comme objet de transposition un adverbe, le dérivé désigne un être ou une
chose dont la disposition spatiale est indiquée par l’adverbe de départ. Il s’agit des positions
qu’occupe l’objet par rapport à une position de base: entre - les entrailles; sotto (sous)- la
soutane; infer (d’en bas) - infernus - l’enfer; super - superanus - le souverain; avant - avantage.
5. Le numéral comme objet de transposition.
Les caractéristiques numériques (quantitatives) de l’objet se présentent comme une
qualité essentielle de la substance. L’indication du nombre ou de la quantité est transposée
comme noyau sémantique du dérivé à obtenir: la semaine (septimana - ”qui comprend sept
jours”) , le cahier (quaterni - “qui a quatre feuilles”), doyen (decanus - “qui est responsable de
dix personnes”), la sieste (sexta hora - “qui se fait à six heures”).
II. La verbalisation suffixale
Les éléments qui sont engagés dans un procès trouvent des réalisations différentes. Selon
la théorie de l’idéogénèse7 il y a une parenté génétique entre le procès et ses deux limites - le sujet
et l’objet. Selon la nature du procès le sujet s’incarne dans le substantif ou dans ses équivalents
fonctionnels. La limite finale des verbes attributifs désigne la caractéristique qualitative du sujet.
Les verbes de mouvement demandent une délimitation spatiale. La limite finale des verbes de
possession, de perception ou d’action prend de plus en plus de la consisitance.
La différence de base entre la théorie de l’idéogénèse de K. Mantchev et la théorie
actantielle de L. Tesnière consiste dans l’orientation différente de l’analyse. L’idéogénèse prend
pour point de départ le procès et poursuit son développement pour atteindre ses limites. La
théorie actantielle va dans le sens opposé. Elle prend pour point de départ les actants (la
justification du terme actant est évidente) pour aller au procès qu’ils produisent. Par conséquent,
la substantivation par transposition suit le sens de l’idéogénèse, tandis que la verbalisation suit le
sens de la théorie actantielle. Ce sont deux démarches complémentaires qui attestent le caractère
primitivement psychique des mécanismes de la ransposition. Allant du procès à ses limites,
l’esprit fait naître des noms de substance. Allant dans le sens inverse, des actants au procès,
l’esprit crée des verbes. Un procès ne découle pas ex nihilo, il a une source matérielle. Dans les
cas de transposition qui aboutissent à la verbalisation, les noms des différents actants peuvent
servir de noyau sémantique du verbe.
1. La transposition a pour objet un substantif.
a) L’objet de la transposition se trouve dans la position de sujet virtuel. C’est le nom de
celui-ci qui sert à désigner le procès même. Le nom de départ désigne le promoteur de l’action
résultative. Sur le plan pratique, ce promoteur peut être un artisan (faber - fabricare - fabriquer),
un animal ( pullulus “jeune animal” - pulluler), un phénomène de la nature (fulmen - fulminer),
un objet (fomentum - fomenter), une notion abstraite (augurium - augurer), etc.
b) Quand l’objet de la transposition se présente comme limite finale du procès, il peut être
considéré comme complément d’un verbe d’action, d’un verbe de possession ou d’un verbe
locatif. Puisqu’il s’agit de communiquer un dynamisme à l’idée nominale de départ, la
transposition pourrait être rendue par une périphrase avec le verbe faire. Ainsi, la transposition
qui a pour point de départ un circonstant,aura comme périphrase Faire + Être + l’objet de la
transposition; la transposition qui a pour point de départ sémantique un objet possédé aura
comme périphrase Faire + Avoir + l’objet de la possession; la transposition qui a pour point de
départ sémantique l’objet d’un verbe d’action aura comme périphrase Faire + l’objet de la
transposition (ici le verbe Faire n’est pas répété pour ne pas obtenir une valeur factitive).
La formule Faire + Être peut être appliquée dans des cas de localisation spatiale (locum
- locarer - louer, mons - montare - monter, nidus - nidicare - nicher) et dans des cas de
localisation temporelle (séjour - séjourner, hiver - hiverner; hiberner est un dérivé savant de
hibernum). Il s’avère que la transposition qui a pour objet un circonstant peut être productive et
de nos jours. Il est curieux de signaler l’exemple du verbe limoger. En 1914 les généraux qui
avaient été destitués étaient envoyés à Limoges. De là limoger signifie “destituer, priver de son
poste”.
La formule Faire +Avoir peut être appliquée sous une visée positive quand il s’agit
d’attribuer quelque chose à quelqu’un (influence - influencer, respect - respecter, estime estimer) ou sous une visée négative quand il s’agit d’enlever quelque chose (pilum - peler
“enlever le poil”, brost “pousses de taillis” - brouter “enlever les jeunes pousses”.
La formule Faire + objet de la transposition sert à présenter des verbes d’action qui
reposent, sémantiquement, sur le résultat auquel aboutit leur procès: trace - tracer (=”faire une
trace”), frustum - frustiare - froisser, bellum - rebellare -se rebeller (au propre “faire la guerre”).
L’objet de la transposition peut se présenter comme le moyen par le quel le procès est
réalisé: bâcler (baculare de baculum - “bâton”), braconner (proprement “chasser avec des
braques”, braque - “sorte de chien de chasse”), flageller (flagellare de flagellum - “fouet”),
faucher (falcare de falx - “faux”), fustiger (fustigare de fustis - “bâton”), stimuler (stimulare de
stimulus - “aiguillon”).
Mais il est bien évident que tous les cas de transposition de ce genre ne peuvent pas étre
épuisés par les formules ci-dessus. Ainsi par exemple, dans payer ( pagare de pax) le point de
départ sémantique se présente comme but du procès - payer signifie proprement “ramener à la
paix”; dans bredouiller (qui signifie au début “parler comme un Breton”) breton renvoie à une
comparaison implicite tout comme fil dans filer: “se dérouler comme un fil”.
2. La transposition a pour objet un adjectif.
Génétiquement l’adjectif est lié à la construction attributive du verbe être. Employé comme
épithète ou comme attribut, l’adjectif assure une qualification plutôt statique du sujet ou de
l’objet. Par la voie de la transposition en question, la caractérisation qualitative se présente
comme un procès par lequel on obtient ou on attribue une qualité.
Quand la transposition de la qualité se fait en direction du sujet, le verbe dérivé est
intransitif: noircir “devenir noir”, durer - initialement “rester dur”. Quand la transposition se fait
en direction du complément d’objet, le verbe est transitif: fermer - “rendre ferme”, hausser
(altiare) - “rendre haut”. Il faut rappeler que les verbes dérivés d’un adjectifs ont le plus souvent
une double rection et c’est pour cette raison qu’ils sont appelés symétriques: blanchir - “devenir
ou rendre blanc”, jaunir - “devenir ou rendre jaune”.
Suivant le sens de l’adjectif, le verbe peut se spécialiser pour répondre à des besoins
concrets. Le verbe longer ne signifie pas “rendre long”, mais implique un mouvement le long
d’un objet; similis a fourni le verbe sembler, solidus - souder, etc.
Remarque: On peut obtenir une verbalisation suffixale quand l’objet de la transposition est
une partie de langue autre qu’un substantif ou un adjectif. Ces cas sont rares et nous ne les
signalons que pour faire voir la portée théoriquement illimitée de la transposition. Décimer
(decem) signifiait “punir de mort une personne sur dix”, biner (binis “double”) signifiait “faire
quelque chose pour la deuxième fois”.
III. L’adjectivation suffixale.
La grammaire accorde à l’adjectif le statut d’un nom - il sert à nommer une qualité. Et
puisque la qualité se présente comme une des façons d’être de la substance ou du procès, on peut
prévoir que lors de l’adjectivation suffixale la transposition peut avoir comme objet un substantif
ou un verbe. Dans les cas de substantivation et de verbalisation, l’objet de la transposition (le mot
de départ) et le dérivé se trouvent dans un rapport de présupposition actantielle - si le dérivé
prend la position de sujet, c’est en vue de réaliser un procès; inversement, si le dérivé est un
procès, il doit avoir une source et un point d’aboutissement. L’adjectivation par transposition est
motivée par le besoin d’établir une relation entre deux substances et, dans ce cas, ce qui est le
propre de la première substance se présente comme caractéristique de la deuxième. Les qualités
de la première substance ne sont pas présentées explicitement. Analogiquement au procédé de
prise en extension de la qualité lors du passage de l’adjectif beau au substahtif le beau, on
observe ici un procédé semblable: le nom de la substance se charge de l’expression des qualités
dont elle est porteuse. On pourrait parler ici d’extension qualitative de l’idée de substance. Et
cette extension se fait en vue d’attribuer la qualité résultative à une autre substance, étant donnée
que par définition l’adjectif est incident à un substantif. C’est le mécanisme psycho-linguistique
de la formation de ce qu’on appelle traditionnellement adjectif relatif. Et quand dans ce cas on
parle de qualité implicite, on a en vue les qualités de la première substance. L’objet de
transposition peut se présenter dans l’ensemble de ses qualités ou par un (ou par certains) de ses
côtés qualitatifs.
1. La transposition a pour objet un substantif.
Le rapport entre les deux substances peut être vu dans les deux sens - de la première
substance vers la deuxième, et de la deuxième substance vers la première. Dans le premier cas la
substance de départ (celle qui sert à la formation de l’adjectif) se présente comme propriété de la
deuxième substance: un chemin pierreux (les pierres sont partie constitutive du chemin, elles
appartiennet au chemin - les pierres du chemin). Dans le deuxième cas, le rapport est inversé l’objet de la transposition est en position de possesseur: une maison paternelle (la maison du
père). Nous sommes loin de l’idée de présenter ce schéma comme universel. Les rapports entre
les deux substances peuvent être si variés que nous nous abstenons d’essayer de proposer des
critères pour leur classement. Notons seulement, à l’appuie de cette thèse, qu’un adjectif dérivé
peut prendre des valeurs différentes. Dans la maison paternelle le dérivé exprime la possession;
dans l’amour paternel le dérivé représente une adjectivation du sujet - “le père aime”; dans une
étreinte paternelle le dérivé établit une comparaison implicite - “une étreinte semblable à celle
d’un père”. Ajoutons, d’un autre coté, que selon la nature de la deuxième substance le rapport
change de caractère et peut s’appuyer sur des suffixes différents: une vache laitière, la voie
lactée, un blanc laiteux, un acide lactique; une ville maritime, un monstre marin; une poire
aqueuse, des animaux aquatiques, des plantes aquatiles.
Ce genre de transposition en français, en comparaison avec le bulgare, ne se distingue pas
par une grande productivité puisqu’il est en concurrence avec la transposition syntagmatique
(fonctionnelle) du substantif en adjectif au moyen d’une préposition.
2. La transposition a pour objet une idée verbale.
Le passage de l’idée verbale à l’adjectif a sa réalisation au niveau du système, puisque le
participe passé est, pour ainsi dire, le représentant du verbe dans la famille nominale. C’est ce qui
explique le fait que ce passage se fait surtout par conversion.
Il y a pourtant des cas de transposition fondés sur la suffixation et qui sont d’un plus
grand intérêt pour nous. Tandis que l’adjectif obtenu d’un participe par conversion présente la
qualité simplement comme résultat d’un procès, dans les cas de suffixation la valeur change. La
qualité résultative peut s’appliquer au sujet et alors il sera question de la prédisposition du sujet à
réaliser le procès en question: voleur, trompeur, menteur (pris comme adjectifs), timide “qui a
peur”, tenace “qui tient ferme”. Quand la qualité dérivée concerne l’objet, elle ne se présente
plus comme simple résultativité (comme dans le cas des participes passés adjectivés), mais
comme prédisposition de l’objet de l’action en tant que patient: fragile “qui peut être cassé”,
pensable “qui peut être pensé”, concevable “qui peut être conçu”, etc. Puisque ce sont des
adjectifs déverbaux, ils se chargent de l’expression d’un rapport essentiellement verbal - le
rapport diathétique. D’un autre côté, puisque la réalisation d’un procès peut être sujette à des
modalités différentes, l’adjectif déverbal peut s’en ressentir. Tel est le cas des dérivés notable,
plausible qui impliquent l’idée de devoir et signifient respectivement “ce qui doit être noté”, “ce
qui doit être applaudi”. Ridicule fait penser à la construction factitive - “ce qui fait rire”. Buvable,
lisible, altérable impliquent l’idée de possibilité sous une diathèse passive (“ce qui peut être bu,
lu, altéré”). Ainsi obtenus, les dérivés peuvent être négativés: imbuvable, illisible, inaltérable.
On peut considérer certains adjectifs de ce genre comme résultant d’une dérivation
parasynthétique puisque seul le négatif est en usage: indicible, insondable n’ont pas de
correspondants positifs.
IV. L’adverbialisation suffixale.
Ce genre de transposition se ramène le plus souvent à l’adverbialisation des adjectifs
qualitatifs, étant donné que l’adverbe est par rapport au verbe ce qu’est l’adjectif par rapport au
substantif. “Afin de pouvoir s’accoler au verbe, l’adjectif doit quitter le domaine nominal et
accéder à la classe de l’adverbe ou, en d’autres termes, il lui faut intégrer le signe de la
subordination au verbe. Le signe en question est le suffixe adverbial -ment, le passage qu’il opère
est nommé adverbialisation”8. L’analyse de cette transposition en diachronie nous permet de
pénétrer dans son caractère complexe qui démontre que les rapports entre les éléments
constitutifs au niveau dérivationnel sont en quelque sorte une réduction de certains rapports
syntagmatiques. Pour exprimer le mode d’action, on a, dans ce cas, pour point de départ une
construction ablative constituée du substantif mente et d’un adjectif de qualité. L’union entre les
deux est si étroite qu’ils sont sentis comme faisant une seule unité lexicale. En se vidant de son
sens propre, le mot mens (mentis, mente) a pris une valeur abstraite qui le disposait à
l’expression d’une catégorie morphologique9. La fusion d’un syntagme en une unité lexicale
constitue une première transposition et elle est doublée du passage d’un mot prédicatif (mente) au
groupe des morphèmes (-ment), ce qui est la deuxième transposition. Le modèle qu’elles finissent
par fournir est appliquée aujourd’hui dans les cas d’adverbialisation des adjectifs. L’adverbe
dans ce cas s’analyse comme “la relation syntaxique entre le déterminé -ment et le déterminant
(l’adjectif), l’analogie avec le syntagme originel apparaissant alors avec netteté”10 (prudenti
mente - prudemment). Il est bien évident que seuls se prêtent à l’adverbialisation les adjectifs
pouvant fournir des adverbes de manière, d’où le caractère sélectif de ce modèle. Cela veut dire,
d’un autre côté, que l’adverbe déjà obtenu ne recouvre pas, sémantiquement, toutes les acceptions
de l’adjectif. “L’addition de l’affixe se fait dans le cadre de certaines distributions de l’adjectif.
On pourrait valablement conclure à l’existence de deux invariants vert dont un seul permet la
dériavtion d’un adverbe de manière”11.
Comparée avec le bulgare, en français l’adverbialisation des adjectifs a un caractère plus
limité. Les adjectifs de sens spatial (vaste, court, droit), les adjectifs de couleur (noir, bleu), les
adjectifs appartenant à la terminologie technique (convexe, étanche, lacustre), les adjectifs se
rapportant à des êtres humains (économe, démocrate, conservateur, content, corpulent), les
adjectifs en -iste ne fournissent pas de dérivés adverbiaux avec le suffixe -ment. Il est tout aussi
difficile d’adverbialiser les adjectifs en -ible, -able, -uble, ainsi que les participes présents et
passés même lorsqu’ils sont adjectivés12.
La transposition suffixale adverbialisante peut avoir pour objet un substantif qui
participe au dérivé par son côté qualitatif (et donc expressif) plutôt que par son côté substanciel.
Les dérivés tels que vachement, bougrement, diablement appartiennent au langage familier.
C.
La préfixation comme transposition.
Ce qui distingue la dérivation préfixale de la suffixation c’est que celle-là n’entraîne pas
de changements formels. A. Tchaouchev distingue les fonctions suivantes des préfixes: “fonction
circonstancielle concernant la localisation spatiale et temporelle des dérivés, fonction de
détermination notionnelle exprimant des relations logiques variées, fonction grammaticale qui
rend compte des changements survenus dans la forme grammaticale des termes préfixés”13. C’est
uniquement la préfixation verbale qui prête à des changements formels sans demander
nécessairement des variations dans la flexion. “En raison de la dominance du contenu lexical et
du caractère implicite de la forme grammaticale au niveau prédicatif, ce sont les catégories
grammaticales les plus proches du contenu, la voix et l’aspect, qui sont concernées par le jeu des
préfixes14. La voix n’est pas une catégorie strictement verbale - elle traduit le rapport du procès à
ses deux limites et se reflète sur la structure de la phrase entière. Le rapport Sujet - Objet est
impliqué dans la sémantique du verbe et c’est pour cette raison que le changement de sens peut
entraîner un changement diathétique. “L’incorporation d’un élément relationnel - le préfixe confère un caractère immédiat au rapport entre le verbe et son complément nominal…Le préfixe
verbal est un élément dont la causativité propre s’ajoute à celle du verbe et conduit à la formation
de verbes à propriétés transitives accusées”15. C’est grâce aux préfixes que des verbes
diathétiquement neutres (maigrir, grandir) deviennent transitifs (amaigrir, agrandir), que le
procès de certains verbes locatifs débouche sur un objet extérieur (endommager, enterrer,
enfourner), que le préfixe e- communique au dérivé une valeur résultative en indiquant l’état
consécutif à une activité qui trouve sa matérialisation dans un complément d’objet direct
(éborgner, émietter, épuiser, échauffer)16. Les deux premiers verbes suivent un modèle
dérivationnel parasynthétique et la valeur diathétique du dérivé résulte du jeu combiné du préfixe
et du suffixe. D’un autre côté, ce sont les préfixes é- et en- qui font passer les verbes imperfectifs
crier et dormir au groupe des verbes perfectifs: s’écrier, s’endormir.
D. La dérivation parasynthétique comme transposition.
La transposition qui est basée sur la dérivation parasynthétique a pour objet le plus souvent
un substantif ou un adjectif, et comme translateurs - un préfixe et un suffixe qui opèrent
conjointement - le premier réalisant un apport sémantique et le deuxième - la transposition du
mot de départ dans la catégorie des verbes.
I. Transposition parasynthétique ayant pour objet un substantif.
Au niveau de la langue les préfixes expriment un procès condensé d’orientation spatiale.
Cette valeur se fait remarquer le mieux justement dans les formations parasynthétiques où le
dynamisme du dérivé est assumé par le préfixe. La composante nominale sert à désigner la limite
matérielle à laquelle aboutit le procès exprimé par le préfixe. Il va sans dire qu’en l’occasion la
substance ne peut occuper la position de sujet, puisqu’elle se présente comme limite finale du
procès. En nous basant sur la théorie de la genèse de l’idée verbale et ayant en vue que les
préfixes condensent l’idée de mouvement dans l’espace, nous pouvons conclure que les verbes
parasynthétiques qui ont pour noyau sémantique l’idée de substance se ramènent à la
construction locative de être. La substance désignée par la composante nominale ne peut être
objet ni d’une possession (comme dans le cas des verbes possessifs), ni d’une perception (comme
dans le cas des verbes perceptifs), ni d’un procès développé (comme dans le cas des verbes
réductibles au verbe faire). Par sa nature le procès que le préfixe implique ne se caractérise que
par son orientation locative. Nous devons, par conséquent, étudier la place que peut prendre la
substance vis-à-vis du procès que le dérivé exprime.
1. La substance désignée par l’objet de la transposition sert de limitation locale du procès.
Dans ce cas la dérivation parasynthétique qui se réalise d’après la formule bien simple préfixe+
S-f + suffixe = verbe peut être présentée dans l’optique transpositionnelle de la façon suivante:
Le préfixe et le suffixe opèrent conjointement. Le rôle du suffixe qui assure la transposition
catégorielle est double: tout en assurant une verbalisation formelle, il déclenche le dynamisme
verbal qui provoque l’orientation spatiale du préfixe. On peut distinguer, suivant l’orientation du
mouvement, deux sortes de rapports.
Le rapport est allatif dans le cas où le procès est dirigé vers la substance qui est le point
d’aboutissement du mouvement. Le sens de ces verbes peut être réduit à la formule Faire + Etre
quelque part. Ce qui nous intéresse ici c’est le rapport entre le procès symbolisé par Faire + Être
et la substance qui est le noyau sémantique du verbe dérivé. La substance désigne le plus souvent
l’endroit où se réalise le mouvement dans des cas comme envoyer (inviare = in + via -“faire
route”), installer (installare - “établir dans une stalle”), inhumer (inhumare - “mettre en terre”).
L’idée substantivale peut être plus ou moins abstraite: infamer (infamare, de fama “deshonneur”), incriminer (incriminare de crimen - “crime”). Le préfixe peut nuancer le
mouvement en le précisant suivant le caractère du phénomène qui se produit. Convoyer
pareillement à envoyer a pour base l’idée de via, mais le préfixe con communique au dérivé une
valeur sociative - “se mettre en route avec”. Un sens spatial bien concret se fait sentir dans les
acceptions primitives des verbes transborder (trans- + bord), subjuguer (sub+ jugum), appuyer
(latin populaire appodicare - formé sur le substantif podium).
Le rapport est délatif quand la substance désigne le point de départ du mouvement, ou en
formule:
Faire + Ne plus Être (Sortir de) quelque part. Cette formule peut servir à expliquer le
mécanisme de la transposition qui s’est produite dans des cas comme émerger (emergere - “sortir
de la mer”), dérocher (de + roche - “lâcher prise et tomber d’une paroi rocheuse”), dévier
(deviare - “sortir de la voie”), déborder (“sortir des bords”). Les verbes ci-dessus ne prévoient
pas un complément d’objet direct- ils sont intransitifs. Mas la rection du verbe dérivé ne dépend
pas du mécanisme initial de la transposition. C’est l’évolution ultérieure et les besoins de
l’expression qui ont décidé que les verbes éliminer (eliminare - “faire sortir du seuil”; limes “seuil”), exonérer (exonerare; de onus, oneris - “charge”, c’est-à-dire “décharger”), effrayer
(exfridare, de frida - “paix”, c’est-à-dire “faire sortir de la paix”) deviennent transitifs.
Si l’objet de la transposition est un nom abstrait, celui-ci provoque une neutralisation de la
valeur privative, les différences entre les préfixes s’effacent et ceux-ci arrivent tous à exprimer
d’une façon générale la négation. C’est ce qui explique la parenté sémantique des verbes Excuser
(Excausare, proprement “mettre hors de cause”) et disculper (de culpa) qui reposent sur le même
mécanisme transpositionnel.
La valeur délative peut être ramenée à l’idée existentielle de Être - la substance n’est plus
le point de départ d’un mouvement, elle devient objet d’un anéantissement: décapiter
(decapitare, de caput - “enlever la tête”), déblayer (de blé - “enlever la moisson”), décorner
(“enlever les cornes”), écorcher (excorticare de cortex - “enlever l’écorce”), épiler (“enlever le
poil”), écrémer (“enlever la crème”). Cette fois encore on s’éloigne de la valeur spatiale ce qui
conduit à la neutralisation des différences entre les préfixes.
L’analyse psychomécanique de certains dérivés parasynthétiques nous permet de mettre en
vue la différence entre la transposition formelle et la transposition sémantique. La transposition
formelle suit un schéma illustrant la transformation d’un substantif en un verbe grâce à
l’influence conjointe du préfixe et du suffixe. La transposition sémantique rend compte du rôle
qui incombe à chacun de ces éléments dans la constitution notionnelle du dérivé, de leur
disposition sur l’axe actantiel (ou idéogénétique). Le même préfixe peut avoir un comportement
différent vis-à-vis de l’objet de la transpostion. Prenons les verbes essorer (exaurare - “exposer à
l’air” de aura - “air”) et éventer (eventare, de ventus - “vent”), d’un côté, et expatrier
(expatriare) de l’autre. Si l’on présente par un vecteur le sens du verbe expatrier, on constate que
son sémantisme s’élabore au début du mouvement:
L’éloignement se fait au départ de PATRIA.
Le sémantisme des verbes essorer et éventer s’élabore vers la fin du vecteur. Le
mouvement se fait en direction de la substance:
Dans le cas d’expatrier l’accent tombe sur la matière qui sert de point de départ du
mouvement, tandis que dans essorer et éventer le procès arrive à sa limite finale (incarnée dans la
substance respective) et le préfixe n’est qu’un rappel du mouvement d’éloignement qui a précédé.
Il est intéressant de faire voir comment est constitué le sens du verbe arracher. Le préfixe
délatif ex- (exradicare) a été remplacé en latin populaire par le préfixe allatif ad- (adradicare),
sans que le sens du verbe dérivé en soit atteint. Cela s’explique par la spécificité des rapports qui
s’établissent entre les préfixes et l’objet de la transposition dans le cadre actantiel - entre le Sujet
et l’Objet du procès. Ce qui est délatif par rapport à l’Objet et se traduit par le préfixe ex(exradicare) apparaît comme allatif par rapport au Sujet et peut être rendu par le préfixe ad(adradicare). Schématiquement ce rapport peut être présenté de la façon suivante:
En d’autres mots, si exradicare met l’accent sur le point de départ, adradicare indique
l’orientation résultative du mouvement.
L’analyse des exemples ci-dessus démontre que le sens du verbe parasynthétique résulte
de l’action transpositionnelle qu’exerce le préfixe comme porteur d’une idée condensée de
mouvement sur la détermination spatio-temporelle. Si l’on sort des dimensions spatiotemporelles, le procès n’est plus un mouvement et la transposition se présente comme une
transformation (incinere, de cinis - “cendres” - “transformer en cendres”) ou comme une
comparaison explicite - lorsque l’objet de la transposition est perçu de son côté qualitatif. Tel est
le cas de étourdir qui vient de exturdire (dérivé de turdus - “grive”, proprement: “avoir le cerveau
étourdi comme une grive ivre de raisin”).
II.Transposition parasynthétique ayant pour objet un adjectif.
Les dérivés qu’on obtient en résultat de cette transpostion ont une valeur attributive. Mais à
la différence de la construction attributive basée sur le verbe être où l’attribut est externe, nous
avons ici affaire à un attribut interne - il est compris dans le verbe même, parce que celui-ci a
comme constituant notionnel un adjectif. On constate que ce genre de transposition est assuré par
un grand nombre de préfixes qui, au niveau de la langue, ont des valeurs différentes. On peut
citer des modèles transpositionnels tels que:
A+ adjectif + suffixe: assagir;
E- + adjectif + suffixe: écourter;
EN- + adjectif + suffixe: enlaidir;
RE- + adjectif + suffixe: reverdir;
PRO- + adjectif + suffixe: prolonger.
Est-ce qu’il est possible que des préfixes de nature si différente possèdent au même degré
la valeur attributive? Cette valeur ne doit-elle pas être considérée comme résultat de l’interaction
du préfixe et de l’adjectif de base? Ne dérive-t-elle pas des valeurs concrètes des préfixes?
Le verbe reverdir ne présente pas de difficultés. Il indique la reprise de la qualité qui a
existé avant, seulement le sens itératif est affaibli. Les autres préfixes ont une valeur spatiale. A(Ad-) marque l’orientation du procès vers un point d’arrivée constitué par une substance quand
l’objet de la transposition est un substantif (cf. Ad- + ripa + -re = arriver). Et quand l’objet de la
transpostion est un adjectif, cette orientation se présente comme attribution d’une qualité comme
dans le cas d’assagir = “attribuer à quelqu’un la qualité d’être sage”. E- (ex-) exprime l’idée
d’élargissement spatial - la qualité posée par un adjectif est “élargie” et portée à un degré plus
élevé: large - élargir, court - écourter. En- indique la pénétration à l’intérieur de quelque chose.
Le sens attributif des verbes tels que empirer, enlaidir, embellir, encourager découle de l’idée de
pénétration dans la qualité, ce qui n’est autre chose que l’obtention de cette qualité. Le préfixe
pro- se combine uniquement avec l’adjecif long (prolonger) et cela s’explique par l’affinité entre
les deux éléments: long indique une dimension spatiale et pro- un mouvement en avant.
L’analyse que nous venons de faire démontre qu’il n’y a pas de préfixe dont le sens de
base soit attributif. La valeur attributive doit être considérée comme une réduction de la valeur
spatiale. C’est ce glissement sémantique du préfixe qui assure la transposition parasynthétique.
La présentation des traits particuliers de la transposition dérivationnelle et de ses
mécanismes démontre qu’il s’agit de phénomènes établis dans le système même de la langue et
consacrés par le jeu de la lexicalisation. C’est en cela qu’ils se distinguent de la transposition
syntagmatique qui est discursive, c’est-à-dire qui résulte directement de l’acte du langage. Mais
la transposition affixale peut soulever des poblèmes qui ne portent pas sur le seul niveau
dérivationnel. On peut étudier encore l’intégration des dérivés obtenus à la catégorie respective
au niveau de l’énoncé aussi bien qu’au niveau du système (par exemple des adjectifs substantivés
à la catégorie nominale, ainsi que leur comportement sur l’axe syntagmatique - leur aptitude à
prendre des déterminants, d’être objet d’une substitution, d’entrer dans des oppositions (continu /
discontinu, animé / non animé, concret / abstrait, etc.)17. Ces poblèmes présentent un intérêt
incontestable, mais ils dépassent le cadre de notre étude qui se contente de proposer un aperçu
général sur le caractère de la transposition dérivationnelle et sur ses mécanismes.
N O T E S:
Voir K. Mantchev, A. Tchaouchev, A. Vassileva. Op. cit., p. 19-78.
2
Б. Нèêîлîâ. Ôренсêà леêсèêîлîгèя. Сîôèя, 1959. с. 122-123.
3
G. Guillaume. Principes de linguistique théorique. P. 306.
4
G. Guillaume. Leçons de linguistique, publiées par Roch Valin, Série B, Paris Québec, 1971, p. 134.
5
L. Tesnière. Op. cit., p. 106.
6
G. Moignet. Op. cit., p. 43.
7
K. Mantchev. Morphologie française, Sofia, 1976, pp. 17-20.
8
K. Mantchev, A. Tchaouchev, A. Vassileva. Op. cit., p. 35.
9
J. Vendryes. Le langage. Introduction linguistique de l’histoire. Paris, 1968, p. 190.
10
J. Dubois. La dérivation en linguistique descriptive et en linguistique
transformationnelle. Travaux de linguistique et de littérature, Strasbourg, 1968, 1, p. 30.
11
Ibid., p. 32.
12
Voir G. Moignet. L’incidence de l’adverbe et l’adverbialisation de l’adjectif. Travaux
de linguistique et de littérature, Strasbourg, 1963, p.183-190.
13
K. Mantchev, A. Tchaouchev, A. Vassiléva. Op. cit.,
p. 47.
14
Ibid. p. 63.
15
Ibid., p. 63.
16
Ibid., p. 64.
17
Г. Сîêîлîâà. Трàнспîçèцèя прèлàгàтельных è суùестâèтельных. М. 1973, c. 28 et
suiv.
1
CHAPITRE III
TRANSPOSITIONS SYNTAGMATIQUES
Dans ce chapitre il y a, au départ, deux cas à distinguer. Le premier - quand l’objet de la
transposition garde sa place dans la catégorie respective (nominale, verbale, adjectivale,
adverbiale, etc.), mais change de sous-catégorie et respectivement de valeur (par exemple, en
changeant de nombre le substantif la bonté, qui désigne une notion abstraite, se transpose dans la
catégorie des noms concrets et les bontés d’une personne sont déjà les bonnes actions qu’elle a
faites). Le deuxième - quand l’objet de la transposition quitte son domaine fonctionnel et assume
la fonction d’une autre partie de langue. Les transpositions de ce type seront appelées
intracatégorielles, et le deuxième - intercatégorielles.
La différence entre les transpositions au niveau dérivationnel et les transpositions au niveau
syntagmatique du deuxième type consiste dans le fait qu’au niveau dérivationnel, par principe,
elles sont catégorielles - l’objet de la transposition devient une autre partie de langue, tandis
qu’au niveau syntagmatique elles sont fonctionnelles- l’objet de la transposition garde son statut
d’origine mais n’a plus la fonction qui lui est prévue au niveau systématique. Il faut prendre, dans
le dernier cas, le régime d’incidence, prévu par le système, comme position référentielle de
l’élément en question. Le contexte conditionne les références fonctionnelles tout comme le
système conditionne les références catégorielles. Quand le contexte provoque un changement de
régime d’incidence, la partie de langue se voit remplir une fonction autre que celle qui lui est
propre. Le vrai translateur dans ce cas c’est le contexte; l’élément linguistique respectif
(préposition, article, verbe auxiliaire, etc.) n’est qu’un translateur formel. Le problème auquel il
faut répondre, c’est de montrer quels sont les mécanismes par lesquels on enlève à telle ou telle
forme la possibilité de réaliser son incidence prévue par le système.
A.
Le substantif comme objet de transposition.
I. Transpositions intracatégorielles.
Les transpositions de ce genre se réalisent quand le substantif change de forme
grammaticale et ce changement provoque un changement d’espèce, par exemple les
transpositions des noms propres en noms communs, des noms nombrables en noms non
nombrables, et inversement. Dans tous ces cas on a affaire à une transposition
métonymique - un nom qui appartient à une espèce est utilisé (transposé) pour désigner
une autre espèce. Ce sont des transpositions dans le cadre des oppositions binaires. On
peut distinguer des cas comme:
1.Transposition de la catégorie des noms communs à la catégorie des noms propres et
inversement.
Un nom commun peut être transposé dans la catégorie des noms propres par la voie de la
personnification. Tel est, par exemple, le cas des personnages allégoriques dans Le Roman de la
Rose qui sont obtenus par transposition avec article (la Vieille), sans article (Raison, Danger,
Jeunesse, Fortune, Richesse, Méchanceté, Nature) ou par un syntagme nominal personnifié (Bel
Accueil, Trop Donner, Faux Semblant).1
La transposition d’un nom propre dans la catégorie des noms communs peut avoir des
motivations et des réalisations différentes. Le plus souvent il s’agit dans ce cas d’une extension
qualitative maximale - le nom propre n’est employé que pour désigner les caractéristiques dont il
est porteur. Cela peut être obtenu, le plus souvent, par l’intermédiaire de l’article indéfini quand
il s’agit d’incarnation individuelle de ces caractéristiques comme dans C’est un Tartuffe. La
tradition linguistique attribue à ce changement de catégorie le nom d’antonomase. Ce genre de
transposition exige que “le nom propre soit précédé d’un déterminant qui lui donne un statut
comparable à celui d’un nom commun. Mais le déterminant n’est pas nécessairement l’article
indéfini. On peut dire Pierre est l’Harpagon de la famille, comme on dit Pierre est le chef de la
famille, ou Pierre et le goret de la famille.2 Le nom propre peut être précédé de l’article partitif
quand ses cactéristiques se présentent dans leur extension purement qualitative: Il y a du
Montaigne en lui. Si un tel énoncé, “stylistiquement très marqué, est parfaitement acceptable,
c’est, semble-t-il, parce que l’antonomase du nom propre neutralise l’opposition comptable / non
comptable. Cette opposition n’a en effet plus de pertinence, en raison du lien qui rattache le nom
propre à son référent initial, lequel est un objet unique. En tant qu’objet, ce référent peut être
compté, mais puisqu’il est unique, le dénombrement est inutile. Le partitif opère donc un
prélèvement sur le continuum constitué par la qualité - ou le faisceau de qualités - que récapitule
ou que résume le nom propre en antonomase. La quantification opérée par le partitif porte bien
sur cette qualité, mais celle-ci n’est pas détachée de son support, qui est le référent originel3.
Dans le cas où la transposition reste dans le domaine concret on peut, par un mécanisme
métonymique, se servir du nom d’un auteur pour désigner ses oeuvres: lire du Balzac, écouter du
Chopin.
2. Transposition de la catégorie des noms discontinus (nombrables) à la catégorie des
noms continus (non nombrables) et inversement. Elle devient possible grâce au recours à l’artcle
dit “partitif”. Nous mettons le terme entre guillemets parce qu’il ne trouve une justification,
uniquement historique, que quand il est employé devant un nom de matière: manger du fromage.
Le cas de manger du porc est déjà différent parce qu’il s’agit, cette fois, d’une transposition du
discontinu au continu. Ce passage peut avoir pour effet une extension quantitative maximale: Il y
a de la voiture dans les rues. La transposition se fait sentir encore plus fort quand on abandonne
la sphère matérielle - la continuité atteint le niveau qualitatif. Dans ce cas des substantifs tels que
courage, patience, bonté prennent une extension nettement qualitative: Il a du courage ne
répond pas à la question Qu’est-ce qu’il a? mais plutôt à la question Comment est-il? Ce type
d’extension qualitative est observée dans avoir du nez, avoir de l’oreille, mais l’objet de
transposition est un nom concret et la qualité est implicite.
La transposition du continu au discontinu peut être obtenue au moyen de l’article indéfini
quand la matière se présente sous des portions quantitativement limitées: un sucre (= “un
morceau de sucre”), un beurre (=”un paquet de beurre”). Le recours à la pluralisation des noms
abstraits a pour effet, d’un côté, de les ranger dans le groupe des discontinus et, d’un autre, de les
“matérialiser”. Merci de vos bontés signifie “Merci de ce que vous avez fait de bon pour moi!”.
II.
Transpositions intercatégorielles.
1. La transposition aboutit à la “morphologie négative”.
Il a été souligné plus haut que la transposition syntagmatique se réalise quand il y a, pour
une partie de langue, une absence de possibilité de se réaliser par son incidence propre. Dans le
cas qui nous intéresse il s’agit, pour le substantif, d’absence de nécessité de se réaliser comme
tel. Dans les deux cas on constate l’omission de l’article, phénomène que G. Guillaume appelle
morphologie négative. “L’article zéro se substitue aux autres articles moins pour dire ce qu’il a à
dire que pour éviter que soit dit ce que les autres articles diraient indыment” 4. Prenons les
exemples: Charbonnier est maître chez soi. Chien qui aboie ne mord pas. Pierre qui roule
n’amasse pas mousse. Ventre affamé n’a point d’oreilles. Les substantifs par lesquels
commencent les proverbes ci-dessus ont pour toute référence l’homme en général. Ils sont
réductibles soit au pronom indéfini on (“On est maître chez soi”), soit au relatif qui dont la
référence peut être l’homme ou celui. Rappelons le cas le plus évocateur de transposition de ce
genre dans le passage du substantif homo au pronom indéfini on. Il s’établit une corrélation
implicite entre les deux parties des proverbes de ce type qui peut être explicitée par la formule
pronominale Celui qui…….il…. Les substantifs qui sont ici objet de transposition connaissent
une extension maximale, traduisible par on, chacun, celui-ci. C’est pour cette raison que nous
considérons qu’elle aboutit à leur pronominalisation fonctionnelle.
Il s’agira toujours d’absence de nécessité pour un substantif de réaliser son incidence
dans des cas comme Y a-t-il homme plus instruit que M. X.? Y a-t-il science plus attrayante que
la linguistique? Ce sont des questions rhétoriques dont la portée est nettement négative. Et
puisque l’objet de la transposition est vu négativement, son actualisation est inutile - comment
actualiser quelque chose qui n’existe pas? On a affaire à une réduction maximale de l’idée
nominale. C’est par ce mécanisme qu’on peut expliquer le passage du substantif la (une)
personne au négatif personne. Dans une construction identique aux précédentes (Y a-t-il
personne de plus instruit?) on peut considérer personne comme équivalent de quelqu’un. Mais
cette impression est trompeuse - elle est due au fait que l’interrogation neutralise la négation. En
réalité, le sens profond témoigne d’une valeur négative. “Une personne , c’est la puissance
désignative du mot étant faible - n’importe qui sous la réalisation qu’en produit l’article.
L’article retiré, c’est n’importe qui en irréalité, c’est-à-dire personne”.5
C’est toujours par cette absence de nécessité que l’on peut expliquer l’omission de
l’article devant pas, point, rien, goutte, etc. C’est le contexte négatif qui rend inutile
l’actualisation, et la conséquence logique consiste dans l’omission de l’article. C’est parce que
“pas et point sont de très petites choses, des mots collecteurs d’une impression de petitesse”6
qu’ils se voient employés dans un contexte négatif. G.Guillaume parle de la réalité précaire de
ces substantifs et ajoute: “Si je retire l’article réalisateur, cette réalité précaire dont il assure la
conservation s’évanouit. Du même coup, le nom-substantif pas devient, par mutation mentale
systématique, une négation”.7
Il s’impose la conclusion que le maximum d’extension et le maximum de réduction
conduisent tous les deux à l’annulation du statut nominal.
2. La transposition aboutit à l’adjectivation.
Quand le rapport entre deux substances est très étroit, à la suite de leur juxtaposition le
deuxième ne garde plus son propre statut nominal, il n’est plus incident à lui-même et, à la
manière des adjectifs, devient incident au substantif qui le précède. Mais puisqu’au niveau
grammatical l’incidence se traduit par un accord formel, et qu’en l’occasion c’est impossible, on
a recours à une préposition qui établit une incidence médiate. Autrement dit, le voisinage avec le
premier nom s’avère un support formel et sémantique pour le deuxième. L’incidence formelle
n’est pas pleinement réalisée parce que le deuxième nom perd ses caractéristiques substantivales
sans emprunter celle de l’adjectif. L’inconvénient est levé par le recours à la préposition. D’un
autre côté, le premier substantif sert de support sémantique au deuxième puisque celui-ci est porté
à une telle extension qu’il se présente comme un ensemble qualitatif et, en tant que tel, il a
besoin de s’appliquer à une matière: un maître d’école, des produits de mer, un chef-d’oeuvre,
etc. Il serait curieux de faire voir comment ce type de transposition adjectivale était exploité par
les poètes modernes en vue d’obtenir un effet de détermination enchaînée et multilatérale. Dans
son poème L’Union libre, A. Breton fait le portrait de sa femme en utilisant des constructions
telles que:
Ma femme à la chevelure de feu de bois…
Ma femme aux tempes d’ardoise de toit de serre…
Ma femme aux cils de bâtons d’écriture d’enfant…
Ma femme aux épaules de champagne et de fontaine à têtes
de dauphins sous la glace…
en subordonnant les constructions prépositives l’une à l’autre, tandis que dans un poème de
Tristan Tzara elles sont coordonnées par juxtaposition:
Le départ sans cause sans amertume sans dette sans regret sans
Dans le dernier cas la force translatrice de la préposition sans est si grande qu’employée
seule, elle devient adverbe.(Les exemples sont empruntés au tome 12 de La Bibliothèque de
poésie. France Loisirs. La poésie surréaliste, Paris, 1991)
Dans le cas où le rapport entre les deux substantifs est encore plus étroit, on se passe de
préposition - c’est la juxtaposition qui s’avère un translateur suffisant: un timbre poste, une robe
coton, un chandail pure laine, etc. Qu’il soit question d’ellipse de la préposition ou non est sans
importance. L’essentiel c’est qu’il y a une transposition fonctionnelle motivée par le contexte.
“L’opération consiste à interdire à la sémantèse du substantif d’atteindre sa personne propre
…pour l’appliquer à une sémantèse substantivale externe”.8 Ainsi le deuxième substantif devient
adjectif dans un rabais monstre, une tarte maison. Le deuxième élément substantival peut même
être développé comme dans assurance tous risques. La présence d’un translateur formel s’avère,
dans certains cas, facultative.
D’un autre côté, il faut souligner l’importance de la juxtaposition comme translateur au
niveau syntagmatique (Un homme tout feu, tout flamme; une fille bien) aussi bien qu’au niveau
phrastique (Le chat parti, les souris dansent; Il fait froid, je ne sortirai pas). Il ne faut pas la
présenter uniquement comme variante des translateurs explicites. Elle n’est pas une simple
absence de quelque chose. Elle signifie quelque chose - tout comme l’article zéro n’est pas une
simple omission de l’article. L’implicite parfois dit plus que ce qui est explicité. On ne saurait
introduire une préposition devant monstre pour expliciter le rapport et obtenir l’effet que produit
rabais monstre. Rabais monstre dit plus que rabais monstrueux, parce que l’implicite élargit les
possibilités d’interpréter le rapport tandis que la préposition les réduit. La juxtaposition agit par
son caractère inattendu et pour cette raison la publicité lui accorde une place privilégiée.
On aura toujours affaire à une transposition adjectivale quand le substantif est employé
comme attribut ou comme apposition. Dans des constructions comme M. X. est professeur. M. X.,
professeur depuis 10 ans,…, M. X., comme professeur,…, M. X., en tant que professeur,…le
substantif professeur connaît, du côté qualitatif, une extension maximale et du côté substanciel
- une réduction maximale et se présente comme adjectif fonctionnel. Pour souligner encore mieux
la différence entre l’emploi d’un substantif comme attribut avec article et sans article rappelons
que la phrase M. X. est le professeur de mes enfants répond à la question Qui est M. X.?, tandis
que M. X. est professeur répond plutôt à la question Comment est M. X.? Cela veut dire que
l’emploi d’un substantif comme attribut ou comme apposition se ramène à sa transposition
fonctionnelle.
Dans les cas de transposition attributive le rôle de translateur est assumé par le verbe
copule - être ou les verbes qui lui sont réductibles. Certains verbes réalisent leur emploi copulatif
à l’aide d’une préposition: considérer comme, prendre pour, traiter de, etc. Parfois la préposition
peut nuancer l’attribution: Il est passé brigadier (“il est devenu”), Il passait pour brigadier (“on
le croyait tel”). Quand la transposition aboutit à une apposition, la juxtaposition suffit pour
empêcher le deuxième substantif de réaliser son incidence; on a recours à un tiret ou à une virgule
pour présenter l’apposition comme terme détaché: Paris - capitale de France depuis Clovis I ;
Sofia, capitale de Bulgarie. Mais dans certains cas de dénominations appositives la transpostion
se réalise par le translateur de: ce coquin de valet, ce monstre de père, mon imbécile de voisin.
Notons d’abord que ces constructions présentent l’attribution à l’envers - les syntagmes ci-dessus
semblent dériver des constructions attributives respectives: ce valet est un coquin, ce père est un
monstre. Le rôle qu’a le verbe copule dans les transpositions attributives est assumé, dans les cas
d’apposition de ce type, par la préposition de. C’est un procédé “dont l’emploi semble trahir le
souci de placer la caractérisation avant la chose, d’accorder à la qualité une certaine supériorité
par rapport à l’être ou à l’objet où elle apparaît”.9, autrement dit, c’est “un groupe régressif - le
déterminant précède le déterminé”.10 Dans ce cas l’inversion a pour effet “de permettre au
déterminant de n’être pas décatégorisé et de rester substantif. En effet, sans l’opération
d’inversion, le substantif s’adjective et ne fait plus allusion qu’à une qualité du déterminé. En
restant substantif, au contraire, par refus d’adjectivation, le déterminant signifie qu’il s’identifie
au déterminé, qu’il y a équation entre eux”.11
3. La transposition aboutit à une prédicativation.
Il s’agit des emplois du substantif marqué par l’article zéro dans le cadre des locutions
verbales12. Précisons, dans l’optique transpositionnelle, que dans une locution comme faire école
le substantif est mis dans les références positionnelles formelles du verbe faire et, de ce fait, il
perd son autonomie fonctionnelle. Il y a lieu de faire un parallèle entre le statut de l’élément
nominal dans faire école et dans maître d’école où l’omission de l’article est déjà une marque
de transposition et à la fois un translateur. L’élément transposé trouve un appui notionnel et
formel, dans le premier cas - dans un verbe de sens général, et dans le deuxième - dans un
substantif. Dans la locution avoir raison le nom constitue le côté notionnel et le verbe - le côté
formel, si bien que l’ensemble forme le prédicat avoir raison. Nous parlons ici de prédicativation,
et non pas de verbalisation, parce que la transposition ne fait pas du substantif un verbe
fonctionnel, mais lui trouve un support formel et l’ensemble, obtenu au niveau syntagmatique,
aura sa pleine réalisation au niveau de la phrase comme prédicat.
Etant transposé dans une autre “assiette”, l’élément nominal cesse de se comporter
comme tel, ce qui est confirmé par certaines restrictions d’ordre syntagmatique:
- impossibilité d’adjonction d’une épithète: plier bagage et non plier petit bagage;
- si une addition est possible, elle est généralement figée: avoir beau jeu, faire bon
marché.
- invariabilité de l’élément nominal en nombre: faire époque, porter plainte, lâcher prise.
- impossibilité de former le passif: époque est faite, plainte est portée, prise est lâchée
sont impossibles.13
Le sens de la locution verbale dépend de la fusion sémantique des deux éléments. Le
verbe, tout en représentant le côté formel, peut communiquer au dérivé des valeurs aspectuelles
comme dans prendre patience et perdre patience - le début et la fin de la manifestion d’un procès
qui peut se ramener à la valeur attributive.
Comparons les locutions j’ai faim, j’ai tort et j’ai froid pour essayer de voir comment est
obtenue la valeur résultative du dérivé à la suite de la transposition fonctionnelle des substantifs.
Qu’est-ce que chacun de ces états signifie? La faim qui naît dans le sujet et n’en sort pas indique
plutôt un état qu’un procès. Le froid vient du dehors et pénètre dans le sujet. C’est une force
agissante. Le tort consiste dans un sentiment complexe - l’activité du sujet se heurte à une
désapprobation (intérieure ou extérieure) et cette dernière fait naître le tort. Le dernier cas peut
être considéré comme intermédiaire entre les deux autres dans la mesure où le sujet est à la fois
source du procès (puisqu’il s’agit d’une disposition intérieure) et point d’aboutissement du procès
puisque ce sentiment, étant le reflet d’une prise de position critique, revient sur le sujet. Si l’on
essaie de ramener les valeurs de ces locutions aux valeurs verbales fondamentales, on se rendra
compte que avoir faim est réductible à la valeur attributive d’ être (cela se confirme
indirectement par l’analogie avec Je suis affamé où est marquée l’intensité); avoir froid est
assimilable à la valeur perceptive de sentir qui prévoit un sujet passif étant donné que le vrai
agent est extérieur; le sujet dans avoir tort se voit attribuer une qualité: si cela résulte de son
propre jugement, le procès se présente plutôt comme attributif (cf. Je suis coupable), et si ce
jugement vient de dehors, on voit s’y mêler une modalité et une perception. Ces réflexions nous
permettent de conclure que le sens de ces locutions n’est point la somme des contenus des deux
éléments - nominal et verbal. En réalité la forme et le contenu des locutions verbales figées
résultent, tous les deux, d’une double transposition - la subduction de l’élément verbal (qui se
traduit par la perte notionnelle) et la perte des catégories grammaticales du nom (qui se réalise au
niveau formel).14
4. La transposition aboutit à une adverbialisation.
L’adverbialisation fonctionnelle ressemble, par son côté formel, à l’adjectivation. Dans
les deux cas on a comme translateur une préposition, celle-ci étant “dans le système de la langue
un au-delà de l’adverbe, une transcendance formelle qui ne retient de l’adverbe que le rapport
qu’il établit par son type d’incidence”15. D’un autre côté, par sa valeur sémantique
l’adverbialisation avoisine la prédicativation. Dans des exemples comme être en classe, être en
congé, être en vacances elle fait penser, génétiquement, à la construction locative du verbe être.
Le groupe préposition + nom témoigne d’une analogie formelle avec l’adjectivation: salle de
classe en face de être en classe. Mais l’apport de signification dans le premier cas est statique,
alors que dans le deuxième il est dynamique. De classe porte sur la qualité, en classe porte sur
l’activité. Le fait que l’adverbialisation a une double nature (formellement - adjective et
sémantiquement - prédicative) nous rappelle la destination de l’adverbe de qualifier, à travers le
verbe, le sujet. Il est significatif qu’à la construction prépositive avec être peut correspod nre une
locution verbale avec avoir: être en réunion = avoir réunion.
Un cas particulier d’adverbialisation du substantif nous est fourni par la construction
comparative formée d’après le modèle Adjectif + comme + Substantif (avec ou sans article). Ces
“syntagmes adjectifs de comparaison ne sont pas transférés sémantiquement, l’adjectif y
fonctionne normalement; mais le substantif amené par comme perd ses traits sémantiques et la
forme comme + nom équivaut fréquemment à un adverbe intensif”16. Ici la préposition comme,
en tant que translateur, exprime l’idée générale de correspondance, et puisque le support de la
comparaison est porteur d’une qualité intensive, l’ensemble se réduit à un adverbe intensif: blanc
comme la neige = très blanc.
B. Le verbe comme objet de transposition
I. Transpositions intracatégorielles
1. Transpositions diathétiques.
La diathèse (ou voix) du verbe c’est la catégorie qui rend compte des rapports entre le
procès et ses actants et, plus particulièrement, de la valence fonctionnnelle du verbe, c’est-à-dire
des possibilités qu’il a de se construire avec son sujet et avec les compléments éventuels.
Rappelons que les changements diathétiques n’ont pas un caractère systématique. Le cas du verbe
avoir est un exemple significatif et G. Moignet le fait remarquer en ces termes: “Le critère de la
transformation passive est …encore moins fondé à constituer une forme du système, si l’on
considère qu’un verbe aussi fondamental que le verbe avoir, qui ne saurait se passer d’un objet,
ne connaît pas (sauf dans un emploi très marginal) de forme passive”17. La grammaire
traditionnelle parle de rection (comment le verbe régit ses compléments) et nous pouvons
considérer la rection d’un verbe donné (l’ensemble de ses possibilités combinatoires) comme
représentant ses références positionnelles diathétiques. Le changement de rection (ce qui veut
dire de références positionnelles) sera considéré comme transposition diathétique.
La grammaire historique fait ressortir des cas nombreux de changements diathétiques: le
passage des verbes transitifs directs au groupe des verbes transitifs indirects (consentir qch consentir à qch; jouir la vie - jouir de la vie; moquer qch. - se moquer de qch) ou inversement
(aidez-leur - aidez-les; contredire à qn - contredire qn, qch.), le passage des verbes non
pronominaux au groupe des verbes pronominaux (repentir, taire, convertir n’étaient pas
pronominaux en ancien français et le sont aujourd’hui) ou inversement (se combattre, se
craindre, se dormir, se penser étaient bien fréquents en ancien français)18.
Les réalisations diathétiques des verbes en rapport très étroit avec le contexte constituent
un problème fort vaste, mais il ne nous intéresse pas parce que nous ne pouvons pas considérer
ces variations comme des transpositions. Il sera plus intéressant pour nous de voir si au niveau
syntagmatique il y a quelque procédé par lequel on peut apporter des changements dans la rection
d’un verbe donné, et encore, s’il y a des cas où la forme diathétique ne correspond pas au
contenu.
C’est l’emploi factitif du verbe faire qui devrait être considéré comme le cas le plus
fréquent de transposition diathétique. “Le dépassement obligatoire de la voix active et, à
l’intérieur de la voix active, de la transitivité atteinte amène à l’existence une forme spéciale
signifiant un maximum indépassable d’activité du sujet. Cette forme fait apparaître un sujet qui
s’exerce non pas à l’endroit du procès lui-même, mais à l’égard d’un autre sujet (l’agent
véritable) qui accomplit effectivement le procès. Cette maximation de l’activité du sujet est
obtenue au bout du développement de la transitivité au moyen du verbe faire19. Au point de vue
transpositionnel le factitif enlève au verbe de départ ses caractéristiques diathétiques et la
construction qui en résulte (Faire + Verbe de base) est toujours transitive. Mais cette
construction comprend normalement trois actants (Le premier sujet, comme instigateur du procès,
déclenche l’activité du deuxième sujet afin que celui-ci fasse quelque chose;le troisième actant
se présente comme objet). Ou en formule:
S1 + faire S2 + Verbe de base + Objet
Ainsi par exemple les verbes parvenir, voir, écrire , qui ont des caractéristiques
diathétiques différentes (le premier est intransitif de mouvement, le deuxième est transitif
d’action, et le troisième - transitif de perception) forment tous avec faire des constructions
transitives qu’on dirait tout à fait identiques:
1. Je vous ferai parvenir une lettre.
2. Je vous ferai voir une lettre.
3. Je vous ferai écrire une lettre.
Leur identité découle surtout du fait qu’elles ont toutes le même complément d’objet,
elles sont donc transitives. On peut dire que c’est en cela que consiste le rôle transpositionnel de
faire qui forme avec n’importe quel verbe une construction transitive.
Mais il est encore plus intéressant de voir quelle est la place de l’actant intermédiaire
vous lequel, à la surface, semble occuper la même position. S’agit-t-il vraiment de constructions
identiques ou, si différences il y a, à quoi sont-elles dues?
On sait que les constructions factitives sont, dans certains cas, réductibles à un verbe
simple: faire parvenir = envoyer, faire voir = montrer, alors que faire écrire n’est pas réductible
à un verbe simple. Pourquoi?
Procédons à la mise en relief du pronom vous pour essayer de préciser le comportement
de cet actant:
1. C’est à vous que je ferai parvenir une lettre.
2. C’est à vous que je ferai voir une lettre.
3. C’est vous que je ferai écrire une lettre.
La réécriture emphatique des phrases nous laisse supposer que dans les deux premiers cas
vous est en quelque sorte le destinataire du procès (la préposition à en serait la marque), tandis
que dans le dernier cas vous est le sujet du verbe écrire. Si le dernier cas est incontestable, en
est-il ainsi dans les deux premiers?
On peut avoir recours à un troisième procédé - rétablir le sujet du verbe de départ: pour
parvenir c’est la lettre; pour voir et écrire - c’est vous.
On n’a pas beaucoup avancé dans la solution du problème puisque la mise en valeur
rapproche 1 et 2, tandis que la construction primitive du verbe de départ rapproche 2 et 3. On
peut en conclure que chacun de ces cas diffère de l’autre et l’explication est dans la différente
nature des trois procès de départ, différence que le verbe factitif a effacée. Parvenir est un verbe
de mouvement et le destinataire du procès s’incarne dans sa localisation, ce qui est traduit par la
construction prépositive à vous. Ecrire est un verbe transitif direct, un verbe d’action qui a son
sujet (le pronom vous) qui ne peut pas être évincé par le factitif faire. Dans le deuxième cas vous
est le sujet du verbe de départ voir, mais celui-ci est un verbe de perception qui présuppose un
sujet passif - il ne fait que percevoir ce qui s’exerce à son égard. C’est la passivité du sujet qui en
fait un destinataire du procès exprimé par la construction factitive. Enfin, écrire est un verbe
transitif direct, un verbe d’action qui a son sujet (le pronom vous) qui ne peut pas être évincé par
le factitif faire.
Rappelons que le verbe factitif laisser permet d’obtenir des constructions semblables
explicables par les mêmes mécanismes.
C’est toujours par le mécanisme de la transposition factitive que l’on peut expliquer le fait
que des verbes comme sortir, monter, descendre, rentrer qui sont intransitifs et pour cette raison
se conjuguent aux temps composés avec être, peuvent avoir des emplois transitifs.
Est-ce qu’il s’agit chaque fois d’un verbe différent- un sortir intransitif et un sortir
transitif? La comparaison avec le bulgare nous le ferait croire puisqu’en bulgare on a des
lexèmes différents - respectivement èçлèçàм et èçâàждàм. Mais comparaison n’est pas raison.
Pour le bulgare ce fait signifie simplement que les oppositions diathétiques peuvent avoir une
expression lexicale. Il faut chercher des critères plus fiables. Le fait qu’ils se conjuguent avec des
auxiliaires différents en serait-il un? Nous croyons y voir une conséquence plutôt qu’une cause.
Réflechissons sur la nature du procès dans les deux cas. Prenons les exemples La voiture sort du
garage et Mon frère sort la voiture du garage. Il est bien évident que le procès est le même. Seul
le rapport diathétique change - le deuxième cas (sortir 2) peut être présenté comme la
transposition factitive du premier (sortir 1): Mon frère sort la voituire = Mon frère fait sortir la
voiture. Cela signifie que le factitif n’a pas nécessairement une expression explicite. Si en
bulgare l’opposition non factitif - factitif est traduite par deux lexèmes différents, en français
dans certains cas comme parvenir et voir on a recours au verbe faire, et dans d’autres - la forme
verbale synthétise les deux valeurs. C’est une question de transposition diathétique contextuelle le changement de contexte transpose le verbe intransitif sortir en verbe transitif, d’où la
différence dans la formation des temps composés.
Les verbes dits symétriques (ou diathétiquement neutres20) présentent un cas tout à fait
analogue: Le papier a jauni au soleil. - Le soleil a jauni le papier = La soleil a fait jaunir le
papier.
Signalons, à titre d’exemple, quelques cas de transposition diathétique où l’on constate un
décalage entre la valeur de la forme et la valeur contextuelle. Il s’agit précisément de la
transposition d’une forme active dans un contexte passif: un texte facile à lire (= à être lu); un
travail difficile à faire (= à être fait). On a toujours affaire à une transposition diathétique dans
soirée dansante, rue passante où les adjectifs obtenus reposent sur des participes présents qui par
principe sont actifs, mais sont employés dans un contexte particulier- ils s’appuient sur des
substantifs (par la voie de l’accord) qui ne correspondent pas à leur incidence.
2.Transpositions aspectuelles.
L’aspect présente le procès en lui même - comme accompli ou comme non accompli.
C’est une catégorie objective puisqu’il ne s’agit pas d’établir un rapport entre le procès et quelque
facteur extérieur (comme, par exemple, les actants - pour la voix; la visée objective ou subjective
- pour le mode ), ni de le situer dans des coordonnées objectives (disons temporelles). G.
Guillaume distingue le temps impliqué - “celui qui est destiné à porter la réalisation de l’action”,
le temps dans le procès, du temps expliqué - celui qui se présente par rapport au moment de la
parole21. Il s’avère donc que le psychique, qui sous-tend les transpositions, n’est pas en mesure
d’apporter des bouleversements (des transpositions) dans un domaine objectif.
L’aspect en français est considéré comme une catégorie systématique quand il est exprimé
par l’opposition entre les formes simples et les formes composées. Selon G. Guillaume il faut
distinguer trois aspects en français:
1) L’aspect immanent dont le propre est d’assujettir la pensée à ne pas sortir de l’image
verbale: marcher. (Entendre: de l’image de l’événement perçu en cours de durée, entre sa limite
de commencement et sa limite de fin).
2) L’aspect transcendant dont le propre est d’assujettir la pensée à sortir, au contraire, de
l’image verbale, outrepassée peu ou beaucoup: avoir marché outrepasse marcher et il en est la
subséquence.
3) L’aspect bi-transcendant - avoir eu marché22.
Ainsi, l’infinitif composé, dit “passé”, est considéré comme la variante aspectuelle
accomplie de l’infinitif simple, dit “présent”. A chaque forme verbale simple correspond une
forme verbale composée laquelle est la réplique accomplie de la première. Les références
positionnelles des formes simples et celles des formes composées sont nettement délimitées, ce
qui empêche les transpositions dans ce cas.
L’opposition aspectuelle peut être traduite au niveau lexical par des verbes différents
(trembler - tressaillir)23, au niveau de la phrase par le même verbe, mais dans des contextes
différents (battre aux échecs - battre le tapis) ou au moyen de formes temporelles différentes.
L’aspect est étroitement lié au temps. Dans une langue comme le bulgare le passage d’une forme
temporelle perfective à une forme temporelle imperfective entraîne nécessairement un
changement aspectuel dans le verbe: Дîêàтî пèшеше êнèгàтà - Нàпèсà êнèгàтà. En français
cette opposition n’existe qu’au niveau du contexte - la forme du verbe ne change pas, mais la
valeur aspectuelle varie selon la nature du temps: Pendant qu’il écrivait le livre (à l’imparfait,
temps d’époque, correspond une valeur imperfective); Il écrivit le livre (au passé simple, temps
d’événement, correspond une valeur perfective).
Encore un cas mérite d’être mentionné ici, à savoir le recours aux verbes semi-auxiliaires
aspectuels qui servent à l’expession des différentes phases du procès. K. Mantchev souligne que
“le verbe actualisateur, lorsqu’il atteint le procès à l’infinitif, permet sa division intérieure. C’est
le moyen le plus adéquat en français de traduire la fragmentation du procès qui n’est pas
intervenue au niveau de la langue proprement dite (sur le plan lexical, au moyen d’affixes; sur le
plan grammatical on n’a obtenu qu’une partie infime de ce que peut renfermer l’aspect:
l’expression de l’accompli). C’est donc à un niveau tardif du langage, le niveau syntagmatique,
que se manifeste pleinement la forme de l’aspect”24. Les aspects principaux que peuvent traduire
les verbes semi-auxiliaires sont: inchoatif, réitératif, pogressif, duratif, suspensif et terminatif25.
Les verbes semi-auxiliaires forment avec les verbes de base des unités analytiques dont les
constituants gardent aussi bien leur autonomie de mots que leur sémantisme. On pourrait
considérer les verbes semi-auxiliaires comme une espèce de translateurs dans la mesure où ils
traduisent des oppositions aspectuelles. Reste à retenir encore que dans ces constructions
l’infinitif, en tant que réplique nominale du verbe, réintègre le système verbal.
3.Transpositions modales.
Qui dit mode, dit visée plus ou moins subjective. Le mode avec ses subdivisions
temporelles et personnelles est donc le domaine privilégié des transpositions syntagmatiques
parce que c’est là que le psychique trouve un champ ouvert pour obtenir l’expressivité qu’il se
propose d’atteindre. Si les transpositions dans le domaine nominal avaient pour limites extrêmes
le général et le particulier, le concret et l’abstrait, dans le cas du verbe, et surtout quand il s’agit
des transpositions modales, l’objectif et le subjectif constituent les deux limites extrêmes des
changements qui se produisent. Plus on est près des références positionnelles d’une forme, plus
on peut prétendre à l’objectivité. Plus on s’en éloigne - plus on tombe dans le subjectif. Voilà
pourquoi dans ce domaine le vrai translateur c’est la prise de distance.
a) Transpositions modales ayant pour objet une forme non personnelle et non temporelle
du verbe.
Les constituants du mode nominal en français (l’infinitif, le participe présent et le
participe passé) peuvent être considérés comme résultant d’une première transposition qui
consiste dans le passage de ces formes, par définition verbales, dans le domaine nominal. Ce
passage trouve deux réalisations parallèles - au niveau dérivationnel (dont on a déjà parlé) et au
niveau syntagmatique (transpositions qui sont d’ordre intersyntagmatique). Si l’on admet que
l’infinitif, le participe présent et le participe passé se sont déjà installés dans le domaine nominal,
cela veut dire que tous leurs emplois comme verbe sont des emplois transposés. Cela ne peut pas
être autrement et se confirme par l’analyse des emplois verbaux de ces éléments.
L’infinitif comme objet de transpositions modales.
Enumérons d’abord les valeurs de l’infinitf qui sont mentionnées dans les grammaires infinitif de prescription, infinitif d’exclamation, infinitif de supposition qu’on rejette, infinitif de
condition, infinitif de narration. Pourquoi a-t-on eu recours à l’infinitif pour l’expression de ces
valeurs? Rappelons qu’elles reposent sur le caractère potentiel du procès que l’infinitif exprime.
Ne pouvait-on pas se servir de l’impératif - pour la prescription, du subjonctif - pour traduire la
subjectivité d’une exclamation ou d’une supposition, de l’indicatif - pour rendre une condition ou
pour la narration. On sait que les modes énumérés peuvent bien rendre ces valeurs. La différence
est, on ne cessera de le répéter, dans la prise de distance. Il y a d’abord une distanciation
personnelle - dans les prescriptions, dans les modes d’emploi, dans les recettes de toutes sortes le
destinataire est anonyme. Ce n’est pas la deuxième personne, parce que le destinataire est absent
de l’acte de langage. Le recours aux périphrases telles que il faut qu’on prenne le médicament
trois fois par jour, il ne faut pas qu’on fume, etc., aurait été une issue mais trop coыteuse. La
distanciation personnelle maximale se réalise par le non personnel de l’infinitif qui implique une
potentialité: Prendre le médicament trois fois par jour. Ne pas fumer!
Dans les emplois exclamatifs du type Que faire? Où aller? ce n’est pas une personne
humaine qui est engagée, mais la situation. Celui qui s’exclame prend à témoin les autres et les
engage en quelque sorte dans la situation. L’ordre personnel qu’implique le verbe ne nous rend
pas service dans ce cas. Le non personnel s’y adapte mieux.
La tournure à+ infinitif a une valeur conditionnelle et s’applique à des situations neutres,
généralisantes, par lesquelles on veut dire que tout sujet aura le même comportement dans la
situation en question. C’est pour cela que cette construction se rencontre surtout dans les énoncés
à valeur générale: A laver la tête d’un âne on perd sa lessive. A le voir on dirait que…Une
référence personnelle précise n’est pas exclue (A le voir tu dirais que…), mais cela ne change rien
à la motivation de cet emploi de l’infinitif.
Le rejet d’une supposition se ramène aussi à une sorte de “non-personnalisation”. Par la
prise de distance personnelle le sujet parlant souligne l’absurdité de la supposition: Moi mentir!
Dans ce cas une périphrase (une transposition) à base spatiale pourrait être très significative: Je
suis loin d’avoir menti!.
L’infinitif de narration est aussi un emploi très curieux. Selon P. Imbs il “ne représente
qu’une transposition stylistique en marge de l’usage courant et grammaticalisé”26. N’y aurait-t-il
pas une contradiction entre la potentialité de l’infinitif et la réalité du fait passé. Un autre terme
conviendrait mieux à cet emploi, car il s’agit d’exprimer une conséquence logique qui s’impose
d’elle-même - n’importe qui, à la place du sujet, aurait agi de cette façon. C’est ce qui justifie le
recours justement à la potentialité de l’infinitif. La charge de potentialité vient du contexte
préalable. Et quand on cite toujours La Fontaine pour illustrer cet emploi (Ainsi dit le renard et
flatteurs d’applaudir), il faut se rendre à l’évidence que les flatteurs n’auraient pu faire
autrement. L’omission de l’article devant flatteurs conduit au même effet et s’explique toujours
par une transposition formelle - le sujet et le verbe sont portés à un degré de généralisation.
Après tout ce qu’on vient de dire, soulignons que c’est la préposition de qui joue dans ce cas le
rôle de translateur formel. Cela n’a rien d’étonnant. L’incidence n’aurait pu être obtenue
autrement. L’analogie avec ce fripon de valet semble s’imposer d’elle-même. G. Moignet à ce
sujet, propose une autre explication: “La particule de, qui n’est pas une préposition (elle en est
une transcendance comparable à celle qui fournit l’article partitif) joue ici le rôle d’un inverseur.
Il inverse la virtualité du mode infinitif et l’oriente en direction de l’actuel: l’infinitif peut alors
devenir le substitut d’un temps narratif” 27.
Le participe passé comme objet de transposition modale.
Le participe passé est “pensé en pure détension et n’ayant de ce fait plus rien de verbe (le
verbe étant fonctionnellement le signe d’une tension), il n’existe comme mot que dans le plan de
la langue”28. Il peut toutefois revenir dans le domaine verbal comme élément constitutif des
temps composés. Ce problème au point de vue transpositionnel, ne mérite pas une attention
particulière, d’autant plus qu’il est largement étudié par les linguistes. Précisons seulement que la
transposition ici consiste dans le passage du participe du mode nominal à tous les autres modes
(qui disposent de formes composées) et que le rôle de translateur est assumé par les verbes
auxiliaires.
Le participe présent comme objet de transposition modale
Il y a un seul cas d’emploi du participe présent qui pourrait être présenté dans l’optique
transpositionnelle - c’est la construction aller + participe présent qui communique au prédicat
une visée aspectuelle durative. Le parallèle avec le futur proche est tout à fait logique et
significatif. Comparons La guerre va s’aggraver et La guerre va s’aggravant. La différence
entre les deux constructions consiste uniquement dans la différence entre le procès exprimé par
l’infinitif et le procès exprimé par le participe présent. Dans sa combinaison avec l’infinitif, le
verbe aller manifeste son orientaion prospective - un mouvement en avant dans l’espace et dans
le temps, un mouvement qui doit atteindre la potentialité de l’infinitif. Avec le perticipe présent
dont le procès est déjà engagé, le verbe aller exprime toujours un mouvement, mais dans sa
durée, celle-ci étant soulignée par la forme du présent de l’indicatif. Dans les deux cas le verbe
aller est auxiliaire, donc translateur, et le mécanisme de la transposition est le même. Le passage
dans le passé est aussi identique: La guerre allait s’aggraver et La guerre allait s’aggravant.
Seul le degré de grammaticalisation est différent, mais cette différence n’est pas d’ordre
transpositionnel.
b) Transpositions modales ayant pour objet une forme temporelle et personnelle.
Nous avons souligné plus haut que les transpositions dans le syntagme verbal sont
provoquées le plus souvent par une prise de distance. Plus une motivation est subjective, plus la
distance doit être grande. Et inversement - plus on veut “objectiver”, plus la distance doit
diminuer. Le repère par rapport auquel on se situe, c’est le moment de la parole. La réduction de
la distance comme cause de la transposition trouve sa réalisation dans l’emploi de l’indicatif à la
place de l’impératif quand il s’agit d’un conseil, d’une recommandation à donner. Au lieu de
recourir à la forme spéciale de l’impératif, laquelle par sa vocation situe le procès dans le futur
plus ou moins proche, on procède à une objectivation en recourant à la forme de l’indicatif
présent par lequel le procès se présente comme s’il avait lieu au moment de la parole: Vous
prenez la deuxième rue à droite (au lieu de Prenez…). C’est à la base de cet emploi transposé du
présent de l’indicatif que sont obtenus certaines formes de l’impératif. Cela a dы être d’abord un
cas de transposition syntagmatique, maintenant c’est déjà un fait appartenant au système verbal
qui peut être interprété dans l’optique transpositionnelle.
Il est normal que l’impératif, comme mode à part, possède ses propres formes - comme
c’est le cas en latin et en bulgare. Mais dans l’évolution du système verbal français, seule s’est
conservée la forme impérative pour la deuxième personne du singulier. Les formes initiales
latines pour l’infinitif futur à la deuxième personne du pluriel étaient délaissées29.
On peut affirmer que les formes de l’impératif français résultent, dans la plupart des cas,
de la transposition des formes du présent de l’indicatif (à la base de leur constituant ascendant 30)
et dans le cas des verbes dits “non commandables” - de la transposition de leur forme du
subjonctif (étant donné que le subjonctif présent engage et l’époque future). Le mécanisme de la
transposition peut s’expliquer par la morphologie négative - analogiquement à l’omission de
l’article. La marque de personne est omise par absence de nécessité. Il y a pour cela deux raisons
importantes. La première - c’est la motivation situationnelle: le destinataire est compris dans
l’acte de parole. La deuxième - pour les formes du pluriel - est d’ordre formel: les désinances
personnelles sont suffisantes. L’obtention de l’impératif à partir de la base du subjonctif était plus
compliquée. Le singulier emprunte ses formes telles quelles avec la suppression de s dans sache,
veuille, aie. Les formes du pluriel résultent d’une contamination - la base du subjonctif et les
désinences du présent.
C’est toujours par la réduction de la distance qu’on peut expliquer l’emploi transposé de
l’imparfait (ce qu’on appelle imparfait d’imminence) à la place du conditionnel passé. L’irréel
dans le passé s’exprime par la formule si + plus-que-parfait + conditionnel passé. Si l’on veut
communiquer à l’énoncé une dose d’objectivité, la transposition doit affecter la forme qui
exprime la conséquence (la condition étant à l’origine subjective). Cela ne peut être obtenu que
par l’imparfait - une forme passée d’époque constituée d’une parcelle de temps en décadence et
d’une parcelle de temps en ascendance. Puisqu’on insiste sur l’imminence, “la partie accomplie
est nulle, la perspective est seule en cause”31. Etant une forme d’époque, l’imparfait rapproche au
maximum le procès de l’actualité du locuteur.
On peut citer comme troisième cas de transposition conditionnée par la réduction de la
distance le recours à l’impératif pour l’expression d’une condition. Il ne fait aucun doute que,
pour le sujet parlant, l’expression d’un ordre est beaucoup plus catégorique que l’expression
d’une condition. La condition éloigne ne serait-ce que par son caractère incertain même dans le
cas d’une hypothèse objectivée. Au lieu de se servir de Si + présent dans un énoncé comme Si tu
regardes par la fenêtre tu verras que le pommier est en fleurs on peut recourir à la transposition
modale de l’impératif: Regarde par la fenêtre et tu verras que le pommier est en fleurs.
La prise de distance comme motivation de la transposition modale trouve une réalisation
intéressante dans l’emploi de la formule si + imparfait pour l’expression de la politesse. Si +
imparfait sert à mettre en cause la réalité. Si cette formule est énoncée dans l’attente d’une
conséquence, on se voit dans le cadre hypothétique. Si la correspondance condition conséquence est entravée par la suppression du deuxième élément (la conséquence), la condition
n’en est plus une. Elle reste comme un élan sans s’attendre à une suite. Cet élan est d’ordre
désidératif. C’est ce qui explique “l’imparfait d’insinuation”: Si tu venais ce soir! C’est le même
mécanisme qui motive l’emploi du plus-que-parfait pour l’expression du regret. La conséquence
dans le passé étant supprimée (dans un cas comme S’il était venu…), seul reste l’élan qui dans la
réalité du passé s’avère un désir inaccompli. Ce désir inaccompli - c’est le regret. Nous
considérons l’imparfait d’imminence, l’imparfait d’insinuation et le plus-que-parfait de regert
comme des transpositions modales parce que l’imminence c’est ce qui a dы se faire (l’idée de
devoir), l’insinuation c’est ce qu’on voudrait faire et le regret - ce qu’on aurait voulu (les deux
derniers s’interprètent par l’idée de vouloir).
Dans l’époque passée la prise de distance provoquée par la conjonction si peut être encore
plus poussée. Celle-ci peut se construire, dans le cadre de l’indicatif qui est son champ de
manifestation, avec le plus-que-parfait du subjonctif. Cette transposition a lieu dans le style
littéraire et elle est motivée par le haut degré de subjectivité qui est, en l’occasion, le vrai
translateur et sa marque formelle c’est la conjonction si. L’extension (formelle et fonctionnelle)
du subjonctif ne s’arrête pas là. L’expression de la conséquence (comme deuxième élément de
l’hypothèse) en est aussi atteinte. Le conditionnel passé est remplacé par la forme du subjonctif
plus-que-parfait qu’on appelle encore conditionnel passé deuxième forme. On est en présence
d’une grammaticalisation définitive de la transposition. “Le tour archaпque y semble parfois
devenu une sorte de super-éventuel du passé, dans lequel l’idée de l’irréel ou du regret semble
encore plus nettement indiquée que par le tour usuel”32.
Toujours dans le cadre hypothétique à la place de si + le présent de l’indicatif on peut
employer, par transposition, que + le présent du subjonctif: S’il revient il sera arrêté = Qu’il
revienne et il sera arrêté. Le subjonctif est transposé pour l’expression de la condition et dans les
cas où l’on veut éviter la répétion de la conjoinction si: S’il venait ce soir et que je sois en retard,
demande-lui de m’attendre.
4.Les transpositions temporelles
L’indicatif en français a un système de temps bien équilibré, disposé à deux niveaux - le
niveaux des temps simples et le niveaux des temps composés. Il y a aussi un troisième niveau celui des formes surcomposées qui appartiennent au style parlé et dont l’emploi mérite une
attention particulière.
a) Les transpositions dans les temps simples de l’indicatif.
Au centre des temps simples se trouve le présent qui s’emploie comme temps
d’événement et comme temps d’époque. Les époques passée et future disposent, chacune, d’une
forme temporelle d’époque (respectivement l’imparfait et le futur hypothétique) et d’une forme
temporelle d’événement (respectivement le passé simple et le futur simple dit catégorique)33.
Les formes des temps d’époque comme objet de transposition.
Parmi les temps d’époque, les formes du présent et de l’imparfait sont considérées comme
symétriques à cause de leur double constitution34 et à cause de leurs emplois semblables. La
double constitution de ces formes motive certains de leurs emplois temporels transposés. Ces
emplois sont dus à un “déplacement”, à un “recul de l’interception en discours” et il faut y voir
“la cause profonde des effets de sens de plus en plus nombreux et variés”35. La transposition du
présent à la place du futur (Je descends /= “je vais descendre”/ à la prochaine) et de l’imparfait à
la place du futur proche dans le passé (Je partais /= “j’allais partir”/ quand il m’a téléphoné)
s’explique par l’engagement de la parcelle en ascendance (en perspective). La transposition du
présent à la place du passé récent (Je descends /= “je viens de descendre”/ de l’avion) et de
l’imparfait à la place du plus-que-parfait (L’avion s’envolait /=”s’était envolé”/ déjà) s’explique
par l’engagement de la parcelle en décadence (la partie accomplie). Ces transpositions sont
motivées par la réduction de la distance: pour les formes au présent - par rapport au moment de la
parole; pour les formes à l’imparfait - par rapport au moment passé dont on parle. Ou en schéma:
l
Les schémas ci-dessus demandent une précision. Puisqu’il s’agit toujours de la
transposition d’une forme, pour être plus succinct, au lieu de dire transposition de la forme du
présent (par exemple) nous disons transposition du présent tout court. Selon les Le Bidois
“dans Je partais quand vous êtes arrivé la forme partais marquerait un futur, un successif par
rapport au passé - être arrivé. Je partais donne à entendre non qu’on partait réellement, mais
qu’on était sur le point de partir”36.
Il faut bien distinguer la nature de la transposition du présent à la palce du futur proche
dans le cas que nous venons d’expliquer de la transposition du présent dans la construction
hypothétique si + le présent + le futur simple où le présent porte toujours sur le futur. Puisque
dans le dernier cas il s’agit de traduire le rapport condition - conséquence, étant donné que la
conséquence est rendue par le futur simple (catégorique), la condition, qui est antérieure à la
conséquence, doit étre rendue par la forme antérieure respective, à savoir par le présent de
l’indicatif. Il y a lieu de faire ici un parallèle entre le champ d’emploi de si + le présent et celui
du présent du subjonctif. “Sous l’effet de l’indice modal si (…) l’indicatif perd sa troisième
dimension temporelle et, par conséquent, le futur est remplacé par le présent, lequel redevient,
comme au subjonctif, un temps indivis où présent et futur restent confondus”37. G. Moignet
appelle le rapport qui s’établit “antériorité de raison” et il précise encore que “l’imparfait, de par
sa position en système, est le passé logique du futur hypothétique tout comme le présent est le
passé logique du futur catégorique”38. Donc dans le cas où la réalisation de la conséquence est
moins certaine, on a recours, pour son expression, au futur hypothétique et pour l’expression de
la condition - à l’imparfait. On peut en conclure que les emplois du présent et de l’imparfait de
l’indicatif après la conjonction si résultent aussi d’une transposition, mais elle est de caractère
logique.
Nous tenons à distinguer, d’un autre côté, l’emploi transposé de l’imparfait à la place
d’un passé antérieur de son emploi à la place du passé simple du type En 1914 éclatait la
Première guerre mondiale. Le dernier emploi ne devrait pas être considéré comme transposé au
sens propre du terme. Pour rendre compte de la différence entre ces deux emplois de l’imparfait,
essayons de les présenter en schémas en prenant en considération la disposition du moment de
l’événement et du moment dont on parle dans l’époque passée:
Dans le premier cas le moment de l’événement précède le moment dont on parle et
l’imparfait sert à rapprocher l’événement au moment dont on parle. Dans le deuxième cas les
deux moments coпncident, donc il n’y a pas de prise de distance sur l’axe temporel. Il est
pourtant vrai que l’imparfait est employé à la place du passé simple. L’effet stylistique découle
du fait qu’à un événement ponctuel est communiquée la perspective qui est propre à l’imparfait.
C’est en cela que consiste la mise en relief de cet événement à cause de son imporatance. A la
base de l’exemple Le lendemain, je recevais une lettre de mon frère, G. Moignet signale que “la
partie accomplie est très réduite, la partie perspective est prépondérante. L’imparfait a
approximativement la valeur d’un aoriste (ou d’un prétérit défini). C’est l’imparfait dit
“pittoresque” , souvent employé dans le récit, où il remplace les temps narratifs avec un effet
expressif.”39.
Si certains emplois des formes du présent et de l’imparfait de l’indicatif s’expliquent par
la réduction de la distance, il est bien naturel de se poser la question de savoir si les mêmes
formes peuvent être objet de transposition provoquée par une prise de distance. Pour la forme du
présent la réponse négative s’impose d’elle-même - on ne peut pas s’éloigner de soi-même. Il en
va autrement pour l’imparfait. Il peut être employé pour une distanciation par rapport au présent.
C’est dans cette distanciation que consiste le mécanisme de l’imparfait de politesse: Je voulais
vous demander un service. “Interprété non en chronologie strictement temporelle, mais en tant
que signifiant d’un mouvement d’éloignement, l’imparfait se rencontre, traduisant des
phénomènes se situant dans le présent du locuteur, chaque fois qu’il y a lieu de suggérer une prise
de distance dans divers ordres d’idées…” 40.
A cette prise de distance à gauche correspond une prise de distance à droite et, comme on
devrait s’y attendre, elle est rendue par la forme temporelle d’époque à droite du présent - par le
futur hypothétique: Je voudrais vous demander un service. Ou en schéma:
Il est bien normal de voir le translateur agir dans le sens opposé de la transposition. On va
emprunter la forme de l’imparfait (= on prend de la distance) pour la ramener à la place du
présent (on réalise la transposition en sens inverse). C’est toujours par la prise de distance à droite
(par le recours au futur hypothétique) que s’explique l’emploi de cette forme pour exprimer une
supposition au présent (Ce serait Jean) ou dans la phrase exclamative “qui rejette sous l’effet du
mouvement expressif l’hypothèse posée; le conditionnel transposé s’installe dans le présent, car
l’exclamation est une attitude propre au présent de la parole et fait donc suite, sans discontinuité,
aux valeurs propres du conditionnel. Ex. …Pourquoi seraient-ils blessés!…” 41. L’éloignement
dans le futur qui est par position incertain permet d’obtenir un effet de supposition. “Il est de la
nature du futur d’être constitutivement hypothèse… Dans le futur, l’incidence apportera avec
elle une charge d’hypothèse et la décadence - une surcharge d’hypothèse”42.
Il y a lieu de distinguer le rapport entre la transposition et la distanciation dans les cas de
rapprochement et dans les cas d’éloignement. Quand il s’agit de l’emploi de l’imparfait et du
futur hypothétique à la place du présent pour l’expression de la politesse, il y a d’abord une prise
de distance qui provoque la transposition et, résultativement, l’effet de politesse - la prise de
distance est la cause, la transposition c’est l’effet. L’ordre est normal: translateur – transposition.
Quand il s’agit des emplois du présent à la place du passé récent et du futur proche, on pratique
d’abord la transposition et c’est elle qui a pour effet la réduction de la distance comme but à
atteindre. Ici l’ordre est inversé: transposition (le déplacement du présent en direction du passé et
du futur) – translateur (la réduction de la distance). Cette fois-ci c’est la transposition qui
provoque l’effet. Mais puisque le but est une cause en perspective (l’effet à atteindre est un
motif), la réduction de la distance doit être considérée comme translateur.
Le futur hypothétique connaît encore une transposition - quand il est employé comme
futur dans le passé dans le cadre de la concordance des temps. Il est bien évident que dans un cas
comme Je sais qu’il viendra et Je savais qu’il viendrait sur le plan des valeurs et sur le plan
sémiologique le futur catégorique est par rapport au présent ce qu’est le futur hypothétique par
rapport à l’imparfait. Le recul dans le temps, marqué par l’imparfait (c’est une prise de distance
réelle et explicite), sert de translateur - c’est lui qui provoque (conditionne et motive) l’emploi du
futur hypothétique comme futur dans le passé. On peut parler ici de postériorité de raison
(analogiquement à l’antériorité de raison dont parle G. Moignet). Ici “il n’y a pas d’hypothèse en
surcharge. Ce qu’on pense sous la forme viendrait, c’est viendra…”43. La forme du conditionnel
présent exprime “un simple futur transposé (c’est nous qui soulignons - P. Ch.) dans le passé”44.
“De même aussi que le conditionnel ultérieur (le conditionnel présent - c’est nous qui expliquons,
P. Ch.) est surtout la transposition du futur simple à partir du passé (sans quitter, pour autant, sa
valeur d’éventualité), le conditionnel antérieur (le conditionnel passé - c’est nous qui expliquons P. Ch.) est la transposition du futur antérieur (avec sa valeur de probabilité également): Il promit
qu’il viendrait dès qu’il aurait reçu sa lettre”45.
La mise en revue des emplois transposés des formes simples d’époque de l’indicatif (mis
à part les cas d’antériorité et de postériorité de raison), nous amène à la constation suivante: la
forme de l’imparfait connaît des transpositions par prise de distance et par réduction de la
distance; la forme du présent - uniquement par réduction de la distance; la forme du futur
hypothétique - uniquement par prise de distance. Cette constataion est tout à fait logique. Cela est
dы au caractère des formes respectives et à leur place sur l’axe temporel. Le présent d’époque est
situé de part et d’autre du moment de la parole. Il peut servir à réduire la distance avec ce qui se
trouve à droite et à gauche. Il ne peut pas s’éloigner de lui-même. L’imparfait se situe à gauche
du présent et cette position lui permet d’avoir un emploi transposé à la place du présent par prise
de distance. D’un autre côté, la double constitution de l’imparfait a pour repère le moment passé
dont on parle. La forme de l’imparfait est donc capable, par réduction de la distance, d’exprimer
un passé antérieur ou un futur proche dans le passé. La forme du futur hypothétique est
uniquement en ascendance. Elle ne peut servir qu’à une prise de distance.
Les formes des temps d’événement comme objet de transposition.
Les temps d’événement (le présent étroit, le passé simple et le futur simple) expriment des
procès dans leur réalisation intégrale. C’est pour cette raison qu’ils laissent prévoir les
événements qui peuvent suivre. Et ils sont définis comme temps narratifs à cause de leur aptitude
à exprimer la succession des événements. Mais chacune de ces formes a ses caractéristiques
propres.
Le présent étroit convient surtout aux verbes dits performatifs parce qu’ils font coпncider
le moment de l’action et le moment de la parole, autrement dit, parce que l’action c’est la parole.
Je promets que…, Je nie que…, Je vous assure que. Aucune transposition à droite et à gauche
n’est possible. Il y a pourtant un emploi du présent qui peut être considéré comme résultant de la
transposition du présent étroit - c’est ce qu’on appelle présent historique. Nous avons à distinguer
la transposition du présent pour exprimer un fait récent de celle du présent pour relater des faits
historiques. Dans le premier cas, l’objet de la transposition est le présent d’époque (dont il a déjà
été question), dans le deuxième - l’objet de la transposition est le présent d’événement par son
caractère narratif.
Le passé simple mérite bien son nom - non seulement à cause de sa forme, mais aussi
pour son contenu. C’est un temps renfermé en lui-même. Il ne peut pas être employé à la place du
présent parce qu’il en est coupé, ni à la place de l’imparfait à cause de leur incompatibilité
aspectuelle - l’imparfait prévoit le non accompli, le passé simple - l’accompli. Les différences
contextuelles du type Il marcha vers la fenêtre (=il partit) et Il marcha à la fenêtre (=il y arriva)
restent toujours dans sa propre sphère. Ce ne sont pas des emplois transposés. On peut parler
plutôt d’emploi transposé d’un verbe imperfectif à la place d’un verbe perfectif (marcher à la
place de partir et arriver), mais la forme reste la même.
Le futur simple catégorique est considéré comme la réplique du passé simple dans le
futur. Et c’est vrai dans la mesure où les deux sont narratifs. Mais le futur simple a des
caractéristiques qui le distinguent du passé simple et lui assure la possibilité d’être transposé. Le
présent est en sub-position par rapport au futur simple. Cela signifie qu’un fait énoncé au présent
par une forme future est un fait “sub-posé“ - supposé au départ du présent. Quand cette même
forme se dit d’un procès qui se situe au moment de la parole, elle prend une valeur de
supposition. C’est ce qui motive l’emploi du futur simple à la place du présent pour l’expression
de la supposition. Cette transposition par prise de distance est analogique à celle du futur
hypothétique: Ce sera Jean = Ce serait Jean (= “C’est peut-être Jean”). Le futur simple exprime
encore une modalité à l’intérieur de l’indicatif - “celle de la volonté catégorique…(Un seul Dieu
tu adoreras), ce qui l’apparente à l’impératif simple, dont la temporalité est celle d’un présentfutur indivis”46.
D’un autre côté, à cause de sa disposition sur l’axe temporel dans la perspective du
présent, le futur simple connaît une transposition dans le passé. Ce qu’on appelle “futur de
perspective historique” trouve une double justification. Il s’emploie à la suite du passé simple,
d’abord, à cause de leur homogénéité narrative, et puis, parce qu’il vient comme la conséquence
logique de la perspective ouverte par la succession des événements rendus par le passé simple.
La transposition ici a un caractère assez complexe. La transposition de la forme du futur simple
est sous-tendue par la transposition fictive du sujet parlant dans le passé. Il se fait contemporain
des événements qui avaient précédé pour rendre ce qui a suivi par une forme future: Il se leva(1)
tôt le matin, se prépara(2) vite et sortit (3). Une minute après viendra(4) une voiture pour
l’emmener pour longtemps loin de sa maison. Ou en schéma:
Les transpositions dans les temps composés de l’indicatif.
La position et le caractère de chacune des formes composées de l’indicatif se définissent
en rapport étroit avec la forme simple: le passé composé par rapport au présent, le plus-queparfait par rapport à l’imparfait, le passé antérieur par rapport au passé simple et le futur antérieur
par rapport au futur simple. Le cas du conditionnel passé mérite une attention particulière. Il est
donc impossible de prévoir leurs emplois transposés. Chaque cas particulier a sa propre
motivation.
Le passé composé peut exprimer une action future dont la réalisation est immédiate dans
un cas comme Attendez-moi, j’ai bientôt fini.La transposition ici repose sur le caractère accompli
de la forme composée. Mais cette fois elle ne consiste ni dans un éloignement ni dans un
rapprochement. Elle consiste plutôt dans une substitution: au lieu de se servir d’une forme qui se
situe à droite du moment de la parole (le futur proche), on se sert de la forme symétrique située à
gauche (le passé composé). On peut toutefois expliquer cette transposition par une prise de
distance. Au lieu du futur proche on se sert d’une forme qui en est éloignée (prise de distance) à
cause de son caractère accompli.
Les différents emplois du plus-que-parfait dont font état les grammaires sont explicables à
partir de sa position sur l’axe temporel. Seule l’expression du regret, dont il a été question, doit
être considérée comme une transposition de caractère modal.
Le passé antérieur, tout comme son corrélat simple - le passé simple, a son aire d’emploi
bien délimitée et ne se prête pas à des transpositions. L’effet de rapidité de réalisation du procès
que provoque dans certaines conditions l’emploi du passé antérieur nous ramène à sa valeur de
base - l’antériorité. Mais à la différence de son emploi conjoint avec le passé simple où le procès
antérieur se situe par rapport à un repère explicite, ici ce repère est implicite. Il est prévu par un
adverbe et correspond à la limite finale de la période fixée par l’adverbe: En une minute il eut
tout avalé pourrait être réécrit pour rendre compte de ce mécanisme de la façon suivante: Dès
qu’il eut tout avalé, la minute s’écoula.
Le futur antérieur offre deux emplois transposés qui peuvent être motivés par la “subposition” dans le passé par rapport à la forme future. (Voir plus haut la motivation de l’emploi du
futur simple à la place du présent pour l’expression de la supposition). Et puisque le futur simple
s’emploie pour l’expression de la supposition qui porte sur le présent, la supposition qui porte sur
le passé (l’époque antérieure) doit pouvoir s’exprimer par une forme antérieure au futur simple donc par le futur antérieur. La transposition ici consiste dans un déplacement fictif du moment de
la parole. Le sujet parlant se transpose dans le passé pour présenter le procès comme futur par
rapport à sa nouvelle position, mais, en réalité, antérieur au présent: Il aura manqué le train. Ou
en schéma:
Ainsi situé dans le passé, le procès porte sa charge de supposition.
C’est toujours par le mécanisme de la transposition fictive du moment de la parole dans le
passé que s’explique la valeur de rétrospection du futur antérieur. C’est une rétrospection dans la
mesure où l’on considère un fait qui a réellement eu lieu dans le passé. Mais pour obtenir l’effet
qu’on veut atteindre, cette rétrospection demande un déplacement fictif du moment de la parole
dans le passé pour voir le même procès en prospection: Il aura construit sa maison pour la voir
détruite deux ans après. Le mécanisme de la transposition est semblable à celui de l’emploi du
futur antérieur de supposition. Seulement, ici il y a encore un moment à prendre en considération
- le moment d’un procès inattendu qui survient à l’encontre du premier et qui met en doute le
bien-fondé de la réalisation du premier. C’est par rapport à ce moment que le premier se présente
comme antérieur. Ou en schéma:
Au point de vue sémiologique le cas du conditionnel passé et du conditionnel présent est
semblable à celui des autres paires formelles (forme simple - forme composée) examinées cidessus. Le modèle de formation du futur antérieur par rapport au futur catégorique est en tout
point identique à la formation du conditionnel passé par rapport au futur hypothétique. On
pourrait donc appeler le conditionnel passé “futur antérieur hypothétique” et ce terme peut bien
être justifié. (Nous n’avons pas l’intention d’imposer une nouvelle terminologie - ce n’est qu’une
suggestion. Dans la suite de notre exposé on se servira du terme conditionnel passé qui est
consacré par l’usage).
Puisque le futur hypothétique couvre, pour l’expression de l’hypothèse, l’époque future
au départ du présent, “le futur antérieur hypothétique”, à cause justement de son antériorité, doit
couvrir l’époque qui précède - c’est-à-dire l’époque passée. Le mécanisme psycho-linguistique
qui sous-tend la réalisation de cette valeur consiste dans le dédoublement du moment de la parole
(et respectivement du sujet parlant). Celui-ci parle au présent (il a donc son moment de parole
propre) quand il énonce la condition: Si + plus-que-parfait (S’il l’avait fait…). Mais pour
énoncer la conséquence, il se place fictivement dans le passé pour voir la réalisation supposée de
ce qui n’a pas eu lieu. C’est ce qui motive les emplois de cette forme pour l’expression d’une
conséquence hypothétique (dans le cadre de la phrase hypothétique) et d’une supposition dans le
passé. Ce sont ses valeurs propres. Mais la mise en parallèle du conditionnel présent et du
conditionnel passé permet d’expliquer des emplois qui résultent d’une transposition. Le futur
hypothétique engage le présent et le futur (son champ temporel) pour exprimer une éventualité
(sa valeur modale). Le conditionnel passé engage le passé (son champ temporel) pour
l’expression de l’irréel (sa valeur modale). Quand on sait à l’avance qu’un procès n’a aucune
chance de réalisation au présent ou dans l’avenir puisque les conditions indispensables
manquent, on a recours à l’emploi transposé du conditionnel passé pour l’expression de l’irréel,
faisant abstraction de son côté temporel. La transposition est fondée sur une prise de distance: Si
j’avais de l’argent je vous aurais payé les frais de voyage, mais je n’en ai pas. Si, d’un autre
côté, on se place dans le passé et si l’on veut insister sur les chances de réalisation d’un procès vu
en perspective à partir du passé, on a recours au futur hypothétique: Tout le monde savait que si
l’on y jetait une allumette l’incendie éclaterait. Dans cet exemple la transposition consiste dans le
déplacement fictif du moment de la parole. Ici ce moment est explicite (il est rendu par Tout le
monde savait), tandis que dans les autres cas (le futur de perspective historique, le futur antéruer
de supposition, le futur antérieur de rétrospection) la transposition fictive du moment de la parole
est implicite. On a pu constater que les formes qui par définition portent sur le futur, demandent,
pour être transposées, un déplacement fictif du moment de la parole dans le passé.
Les temps du subjonctif comme objet de transposition.
Le subjonctif se réduit à quatre formes temporelles: le présent couvre les époques présente
et future; le passé, à part l’antériorité par rapport au présent, exprime l’accompli; l’imparfait est
réservé à l’expression de la simultanéité dans le passé; le plus-que-parfait - à l’expression de
l’antériorité dans le passé. Les transpositions dans le cadre de ce mode sont plus réduites, étant
donné sa pauvreté formelle. Toutefois on peut considérer comme des transpositions temporelles
certains emplois des formes du subjonctif.
Le subjonctif présent par le fait qu’il ouvre la perspective du futur à partir du présent peut
s’employer dans le passé pour l’expression de la postériorité. Dans le style littéraire on emploie à
cette fin l’imparfait du subjonctif puisqu’il est censé pouvoir ouvrir une perspective à partir du
passé. Mais l’usage courant pratique la transposition par substitution à cause de la plus grande
fréquence d’emploi du subjonctif présent: Je voulais qu’il vienne au lieu de Je voulais qu’il vînt.
Le subjonctif passé peut être transposé dans le futur pour insister sur l’antériorité. Dans ce
cas c’est le point de référence qui change. Le subjonctif passé, par sa position sur l’axe temporel,
exprime l’accompli (et l’antériorité) par rapport au moment de la parole lequel est son point de
référence. Quand on prend un point de référence dans l’avenir, on se sert toujours du subjonctif
passé mais cet emploi est déjà transposé: Il faut qu’il ait fini avant une heure. Cette valeur est si
fréquente qu’on ne considère même pas l’emploi du subjonctif passé comme transposé.
Le subjonctif imparfait “peut s’associer dans la langue littéraire à la forme de conditionnel
présent, dont les conditions de réalisation sont antérieures à la discussion présente du procès : cf.
Je voudrais qu’il vînt”47. Il se produit une sorte d’attraction formelle sous-tendue par la
chronologie que ces formes impliquent. On se rappelle que le conditionnel présent s’appuie sur
trois moments: le moment de la discussion des chances de réalisation du procès (qui est au
présent), le moment de la condition qui logiquement précède (qui est au passé) et le moment de
l’action éventuelle ( qui est au futur). C’est le moment (implicite) de la condition (le passé) qui
attire la forme de l’imparfait. Cf. encore: Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te
fît.
Le plus-que-parfait du subjonctif connaît aussi des emplois transposés (dont il a été
question) à la place du plus-que-parfait de l’indicatif et à la place du conditionnel passé.
A la suite de ce qui vient d’être dit des emplois transposés des formes temporelles, on
arrive à la constatation que la nature de la transposition change selon la place de la forme (objet
de transposition) sur l’axe temporel. Il s’agit toujours d’un déplacement, mais il a des réalisations
diverses. Cela dépend aussi de la nature du translateur qui est une réduction de la distance dans
les emplois transposés du présent, une prise de distance - dans certains emplois de l’imparfait de
l’indicatif et du futur hypothétique, un déplacement fictif du moment de la parole dans les
emplois transposés des formes futures, etc. Et on a pu constater que le caractère des
transpositions peut être motivé à la base de la théorie transpositionnelle.
5. Transpositions qui ont pour objet la personne grammaticale.
L’importance de la personne comme catégorie linguistique a attiré l’attention d’un grand
nombre de linguistes. Contentons-nous des définitions succinctes qu’en donnent G. Guillaume et
G. Moignet dans les ouvrages que nous avons cités à plusieurs reprises. “La personne c’est au
fond, partout et toujours le support auquel est référé la signification apportée par le mot”48. “Le
temps et la personne sont les deux conditions conjointement nécessaires à l’existence de la
catégorie verbale”49. “La personne verbale est une personne ordinale… Sa déclinaison commence
par la personne de l’auteur de l’acte du langage; elle continue par la personne du vis-à-vis de
celui-ci, l’allocutaire, elle s’achève par la personne qui est objet de la parole, le délocuté…La
personne unique, cardinale, du substantif est identifiée à la personne ordinale troisième du
verbe”50. Les grammairiens rendent depuis longtemps compte des transpositions qui ont pour
objet la personne grammaticale. Et s’ils en parlent aux chapitres consacrés aux pronoms, c’est
que ceux-ci sont les supports personnels du procès verbal. Nous trouvons qu’il faut parler de
transpositions personnelles aux niveaux du syntagme verbal car les pronoms personnels ne sont
pas les seuls à être concernés. Dans cetraines langues (comme le bulgare) l’emploi du pronom
personnel n’est pas obligatoire. L’impératif se construit sans pronom sujet. “Les personnes
doubles nous et vous qui marquent des rapports interpersonnels, par saisie précoce ou tardive de
la personne dominante (moi ou toi), peuvent signifier une seule personne: nous de majesté, nous
de modestie, vous de politesse.”51. “Un emploi stylistique appelé datif éthique consiste à
employer, sans référence à une personne réelle les pronoms de deuxième personne pour suggérer
la présence d’un interlocuteur qu’on prendrait à témoin: Fraises de Mai… ça t’a l’air d’un titre
de romance (Aragon)”52. Le pronom généralisé on par ses transpositions à toutes les personnes
sert, en quelque sorte, à la neutralisatioin de l’opposition personnelle53. Les valeurs résultant des
différentes réalisations du verbe peuvent varier selon le contexte. E. Bordas parle de “vous
restrictif” et de “vous extensif”, de “ nous de généralité moraliste” et de “nous de complicité”. G.
Moignet recourt à la psycho-mécanique du langage pour expliquer les emplois transposés de
nous et vous: “Nous permet de parcourir une certaine distance en éloignement du moi et de
suggérer par là, ou bien que ma personnalité déborde les limites de ma personne (nous de
majesté), ou bien que ma personne a collaboré, dans mon oeuvre, avec une autre force créatrice
qui m’est quelque peu étrangère (nous d’auteur, dit de modestie). Vous, en esquissant un
mouvement d’éloignement du toi, accrroît du même coup la distance qu’il y a de moi à toi et
vient, élégamment, là où toi, trop proche de moi, ne serait pas assez déférent”54.
Les transpositions personnelles varient d’une langue à l’auttre. Si en français on a recours
à la deuxième personne du pluriel pour l’expression de la politesse, l’italien et l’espagnol
exploitent à cette fin la troisième personne qui “peut servir de forme d’allocution vis-à-vis de
quelqu’un qui est présent quand on veut le soustraire à la sphère personnelle du “tu” (“vous”).
D’une part, en manière de révérence: c’est la forme de politesse (employée en italien, en
allemand ou dans les formes de “majesté”) qui élève l’interlocuteur au-dessus (c’est nous qui
soulignons - P.Chr.) de la condition de personne et de la relation d’homme à homme. D’autre
part, on l’emploie, en témoignage de mépris, pour ravaler celui qui ne mérite même pas qu’on
s’adresse personnellement à lui. De sa fonction de forme non personnelle, la 3e personne tire cette
aptitude à devenir aussi bien une forme de respect qui fait d’un être bien plus qu’une personne,
qu’une forme d’outrage qui peut le néantiser en tant que personne”55.
Rappelons que le pronom indéfini on sert, dans certains de ses emplois, à neutraliser
l’opposition en personne, ce qui est aussi une sorte de transposition. On va bien? peut vouloir
dire Est-ce que vous allez bien? ou Est-ce que tu vas bien? et la réponse Oui, on va bien peut
signifier Je vais bien.
Les transpositions qui ont pour objet la personne grammaticale peuvent être largement
exploitées dans les oeuvres littéraires et particulièrement dans la poésie qui est le genre le plus
subjectif. Nous présentons ci-dessous quelques réflexions sur les mécanismes des transpositions
personnelles et sur les effets obtenus dans les Fleurs du mal de Baudelaire. La plupart des
poèmes dans ce recueil sont des sonnets - une forme où le personnage lyrique a une importance
de premier ordre dans la mesure où il a la possibilité non seulement de parler à son propre nom,
mais aussi de s’incarner dans les deux autres personnes grammaticales - la deuxième et la
troisième.
1.Même dans le cas où le personnage lyrique parle à la première personne, une
transposition est toujours possible, puisque, à la base d’un mouvement de l’étroit au large, il peut
s’identifier avec le poète en général. Tel est le cas dans Le Guignon où les deux quatrains sont
portés à un degré très haut de généralisation et la seule indication temporelle (mon coeur)
s’affaiblit au point d’indiquer le coeur de tout poète:
Pour soulever un poids si lourd,
Sisyphe, il faudrait ton courage.
Bien qu’on ait du coeur à l’ouvrage
l’Art est long et le temps est court.
Loin des sépultures célèbres,
Vers un cimetière isolé,
Mon coeur comme un tambour voilé
Va battant des marches funèbres.
2. Dans les sonnets La Beauté et La Pipe la première personne n’est plus celle du sujet
lyrique, mais de quelque chose qui est personnifié. Et comme pour souligner le rôle du “je”, on le
répète plus souvent que si c’était le vrai sujet lyrique qui parlait:
Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris;
J’unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
(La Beauté)
La Pipe, du sonnet qui porte le même titre, n’est pas seulement un témoin muet des
douleurs du poète qui fume. Dans son monologue elle nous dit comment s’exerce son influence
sur l’âme du poète:
J’enlace et je berce son âme…
3. La transposition est encore plus évidente dans les cas de dédoublement du personnage
lyrique: le poète s’incarne dans son double ou bien dans un de ses attributs (le coeur, l’âme,etc.).
Dans La vie antérieure le poète s’incarne dans son double et s’imagine avoir vécu il y a
longtemps sous de vastes portiques, dans des voluptés calmes.Dans ce cas le sujet actuel est
absent, c’est le souvenir de la vie antérieure qui est ranimé:
J’ai longtemps habité sous de vastes portiques
Que les soleils marins teignaient de mille feux…
C’est là que j’ai vécu dans les voluptés calmes…
Le dédoublement peut se présenter et comme un passage de la première à la deuxième
personne - le poète s’adresse à son âme, à son coeur:
Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire,
Que diras-tu, mon coeur, coeur autrefois flétri?
(Les Aveugles)
On observe des cas particuliers de dédoublement de la personne quand le poète s’adresse
à sa douleur:
Sois sage, ô ma Douleur, et tiens -toi plus tranquille…
(Recueillement)
ou à sa muse:
Ma pauvre Muse, hélas? Qu’as-tu donc ce matin?
Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes.
Le sonnet Causerie offre un jeu assez curieux sur la deuxième personne. Dans la première
strophe le poète s’adresse à sa bien-aimée en la vouvoyant. Le pluriel (Vous êtes un beau ciel
d’automne, clair et rose) dénote un ton majestueux dans la tradition romantique. Après une phase
d’intimité au singulier (Ta main se glisse en vain sur mon sein qui se pâme), le poète revient au
pluriel pour traduire l’opposition entre le réel et le rêve, laquelle est au fond du drame
sentimental: Ne cherchez plus mon coeur, les bêtes l’ont mangé. Et puis un nouveau changement
de personne: de la bien-aimée, le poète est transporté par son élan vers la Beauté en général:
Beauté, dur fléau des âmes, tu le veux!
Avec tes yeux de feu, brillants comme des fêtes…
4. Le passage de la première à la troisième personne a lieu surtout dans les cas où le
poète parle de lui-même en s’incarnant dans son coeur qui est à la troisième personne:
Ce qu’il faut à ce coeur, profond comme un abîme,
C’est Vous, Lady Macbeth, âme puissante au crime.
(L’Idéal)
On observe un curieux exemple d’un tel passage dans le sonnet Correspondances. La
complexité des sensations se traduit sur la complexité des rapports qui s’établissent dans le
poème. Le sujet lyrique s’identifie à l’homme en général - il parle donc de lui-même en se
considérant comme une troisième personne. C’est de ce procédé que découlent les
personnifications:
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.
La synthèse ici passe par trois étapes successives - à partir des sensations, en passant par
l’homme en général dont elles sont l’incarnation, pour aboutir au poète qui seul peut se rendre
compte de ces étranges correspondances.
Dans d’autres sonnets, toujours à la troisième personne, le sujet lyrique manifeste sa
présence par un détail qui prend une valeur très importante. Ainsi, la cloche fêlée n’est-elle que le
prétexte, la métaphore introductive, pour que le poète avoue: Mon âme est fêlée (La Cloche
fêlée).
5. Par le passage de la troisième à la deuxième personne on communique plus d’actualité
à la situation. Précisons qu’il s’agit des mêmes objets ou êtres qui au début sont à la troisième
personne et après sont mis en apostrophe, à la deuxième personne, pour réaliser un
rapprochement, une immixtion dans la vie sentimentale du poète. Citons à titre d’exemple le
sonnet Le vin du solitaire. Les quatrains énumèrent des choses qui, par leur beauté, par leur
douceur, par leur action sur l’homme, cèdent devant le vin, présenté comme une boisson
magique. Le premier tercet tranche la comparaison au profit de la bouteille profonde:
Tout cela ne vaut pas, ô bouteille profonde,
Les baumes pénétrants que ta panse féconde
Garde au coeur altéré du poète pieux.
Dans le deuxième tercet le tutoiement continue. Le poète se familiarise avec la bouteille,
elle est devant lui, il lui parle de ce que le vin apporte au poète: l’espoir, la jeunesse, la vie,
l’orgueil. Mais le ton change. Dans Et l’orgueil, ce trésor de toute gueuserie perce une ironie qui
s’amplifie par l’exagération du vers final: Qui nous rend triomphants et semblables aux Dieux.
Le passage de la troisième à la deuxième personne peut se réaliser par le procédé
d’extériorisation. Ainsi, dans Sur “Le tasse en Prison” le poète, dont il est question à la troisième
personne, se dédouble dans son âme aux songes obscurs, à laquelle Baudelaire s’adresse. L’unité
des strophes est due à l’omniprésence du Réel qui étouffe le poète. Le dernier tercet est une
excellente synthèse de tout ce qui est dit dans les strophes précédentes:
Ce rêveur que l’horreur de son logis réveille:
Voilà bien ton emblème, Âme aux songes obscurs,
Que le Réel étouffe entre ses quatre murs.
On arrive à la constatation que sur 41 poèmes 24 sont à la première personne. Six autres
poèmes sont construits sur le passage de la deuxième ou de la troisième personne à la première.
Donc, dans les deux tiers des sonnets on est en présence d’un haut degré de subjectivisme. C’est
un témoignage du rôle du Je de l’énonciation, du personnage lyrique qui cherche à s’affirmer
directement - par ses perceptions, par ses sentiments, par ses jugements. Cette conclusion nous
permet de dire, avec Christo Todorov, que dans les sonnets de Baudelaire la cohérence du rapport
qui s’établit entre le sujet parlant (le poète) et l’objet de la parole atteint un point très élevé de
réalisation.
6. La subduction comme transposition.
G.Guillaume, qui est le premier à parler de subduction, présente ce phénomène de la façon
suivante: “Au début la subduction du verbe n’est sensible que par rapport aux autres verbes.
Ainsi être qui ne peut avoir alors que le sens plein d’exister apparaît comme subductif,
idéellement antécédent par rapport au reste de la matière. Ne faut-il pas d’abord être pour
pouvoir ensuite se mouvoir, aller, venir, marcher, manger, boire, dormir, etc. Plus avant, dans sa
propre marche, la subduction a d’autres conséquences. Elle conduit le verbe non seulement audessous des autres verbes mais au-dessous des sens moins subductifs qu’il a dans le procès
même de sa subduction. Autrement dit, elle le fait subductif intérieurement: par rapport à luimême”56. G. Moignet explique certaines transpositions dans le système des parties de langue
prédicatives par la subduction: “Il existe des mécanismes linguistiques par lesquels des parties de
langue prédicatives peuvent être portées à des états qu’on pourrait dire sublimés d’elles-mêmes,
ce qui les fait fonctionner comme des mots grammaticaux. Le cas le plus manifeste est celui de
l’auxiliarisation: prédicatif dans Je pense donc je suis, le verbe être ne l’est plus quand il devient
auxiliaire de l’aspect: je suis arrivé ou de la voix passive: je suis puni. Inversement, des parties de
langue non prédicatives pourront parfois être prédicativées: avec la préposition pour on peut faire
un substantif: le pour et le contre.”57.
Dans l’optique transpositionnelle la subduction se présente comme un mouvement du
haut vers le bas sur l’axe vertical de la genèse de l’idée verbale. Au fond de cet axe se trouvent
les verbes fondamentaux (le terme “fondamentaux” a donc et sa justification idéogénétique). La
subduction devient possible grâce à un dédoublement du verbe consistant dans la séparation du
côté notionnel et du côté formel. Ce qui est transposé c’est la forme. Plus elle descend, plus la
valeur qu’elle prend devient générale. Plus elle monte et plus sa valeur se précise, devient
particulière. La subduction consiste donc dans l’emploi d’une forme à un niveau inférieur; cela
signifie qu’on la fait descendre, on la conduit au-dessous d’un niveau, on la sub-duit. La perte de
la matière lexicale est compensée par l’accroissement de l’importance formelle.
Les verbes fondamentaux (être, avoir et faire), tout en gardant leur statut de mots
prédicatifs, dans un contexte spécifique qui agit sur eux comme un translateur, abandonnent une
partie de leur matière lexicale et connaissent des emplois subduits.
On peut considérer comme “subduit” l’emploi attributif du verbe être. “Verbe d’existence,
le verbe être se fait aussi copule et constitue ce qui semble être le centre de la phrase dite
nominale (Pater bonus est). Or, cette copule peut à son tour se faire superflue; elle se réduit à
zéro en donnant existence ainsi à la phrase nominale pure (Omnia praeclara rara; Vox populi vox
dei). Ici l’abstraction et l’effacement du contenu essentiel du verbe dépasse ses limites et finit par
abolir l’idée verbale même”58.
Prenons quelques constructions avec les verbe avoir (avoir quelqu’un, avoir une maison,
avoir un stylo, avoir à faire un rapport, avoir l’esprit ailleurs, avoir les yeux noirs, il y a du
monde dans la rue) pour montrer comment fonctionne le mécanisme de la transposition. Si l’on
présente ces emplois sur l’échelle hiérarchique des valeurs on obtiendra:
Il faut bien souligner l’importance des éléments nominaux pour la réalisation de la
transposition. Ces éléments prennent eux aussi une position hiérarchique vu l’éventualité de se
combiner avec avoir. Ainsi par exemple, un nom comme stylo prendra le rang qui correspond à
la valeur d’appartenance - la réalisation neutre du verbe avoir. Maison prendra une position
supérieure - la valeur se concrétise. (Celui qui a une maison est un possesseur à la différence de
celui qui a un stylo; ce dernier n’est pas un vrai possesseur). Et le mouvement en sens inverse de
la subduction (du général au particulier) peut continuer. Quand l’objet de avoir est une personne
(avoir une femme - “obtenir ses faveurs”, avoir qqn - “le duper”59) le verbe aboutit à l’expression
d’un vrai procès. La transposition du verbe avoir vers le bas de l’échelle des valeurs le met en
combinaison avec le groupe à + infinitif. L’orientation prospective de la préposition à et la
valeur potentielle de l’infinitif déclenchent une valeur modale: avoir à faire quelque chose =
devoir faire quelque chose. Dans avoir l’esprit ailleurs la dématérialisation de avoir continue.
Dans sa combinaison avec esprit il n’exprime plus la possession parce que l’esprit est partie
constitutive de la personne - on a pour marque référentielle l’article défini. Ici la valeur de avoir
se réduit à celle de être circonstanciel: Votre esprit est ailleurs. On peut considérer toujours
comme circonstancielles les locutions avec avoir pour l’indication de l’âge. Elles correspondent à
des locutions circonstancielles avec être: Il a trente ans = il est à l’âge de trente ans. La
préposition à dans la construction avec être sert à marquer le dernier point auquel aboutit
l’existence. Dans les locutions avec avoir au lieu de présenter l’âge comme un moment auquel
aboutit le processus de la vie, on a recours à l’idée de possession - l’objet de la possession (une
période donnée de temps) est la forme même de l’existence du sujet.
Le mécanisme de réalisation de la valeur circonstancielle (avoir l’esprit ailleurs) et de la
valeur attributive (avoir les yeux noirs) est identique. L’esprit et les yeux sont des parties
constitutives du sujet ce qui veut dire que la différence entre les valeurs de ces deux locutions
sera due au troisième membre. On s’en persuade facilement si l’on procède à la substitution de
l’un à l’autre: Vous avez les yeux ailleurs (circonstanciel) et Vous avez l’esprit noir (attributif).
La valeur attributive est discernable encore dans des locutions avec avoir dont l’élément
notionnel n’est pas suivi d’un adjectif. Lorsque le nom est accompagné de l’article défini se
manifeste l’orientation du particulier au général: avoir le filon = “être chanceux”; avoir la flemme
= “être paresseux”; avoir la fièvre - “être fiévreux”, etc. L’adjectivation est encore plus avancée
quand le nom est précédé de l’article partitif: avoir du courage = “être courageux”, avoir de la
patience = “être patient”.
Par la locution impersonnelle il y a on descend au niveau le plus bas de l’échelle des
valeurs sémantiques - à l’idée d’existence. La dématérialisation sémantique est doublée d’un
changement de support personnel - le verbe devient unipersonnel. “Si donc on élimine la
personne humaine en tant que possesseur et qu’on déclare ainsi possesseur l’univers, l’intérêt
apparaît de signifier qu’il est possesseur au titre de contenant, ce que l’on fait en français avec
l’adverbe y. L’univers est représenté, en l’occurrence, à double titre, par il, comme causation,
c’est-à-dire comme possesseur, puis par y comme contenant. Il y a: “l’univers possède en lui”,
d’où “il existe dans l’univers”60. La différence entre être existentiel et il y a consiste dans le fait
que “la chose existante est point d’arrivée, support d’effection avec y avoir, tandis qu’elle est
point de départ, support de causation, avec être.”61.
Les emplois transposés du verbe faire provoquent des observations semblables. On peut
prendre comme point de départ la valeur de procès en général que le verbe faire réalise avec des
substantifs déverbaux: faire une promenade, faire une dictée. Ici le verbe faire conduit, si l’on
peut dire, à la verbalisation du procès. La montée en haut conduit à une plus grande
particularisation. Le sens ne découle plus directement de l’élément nominal: faire une machine=
“construire”, faire une omelette = “préparer”, faire un jardin = “aménager”. La descente en bas
permettra au verbe faire de réaliser des valeurs plus générales qui sont propres aux verbes
idéellement préexistants. Dans des locutions du type il fait beau, il fait chaud (avec comme objet
un adjectif), il fait nuit, il fait jour (avec comme objet un substantif sans article), il fait du vent
(avec un substantif précédé de l’article partitif), le verbe faire a pour référent un phénomène
naturel. Ces locutions répondent à la question Il fait comment? laquelle renvoie à certaines
circonstances. C’est la raison pour laquelle on peut assimiler cette valeur du verbe faire à la
valeur circonstancielle du verbe être.
Dans des locutions du type faire son fils avocat (=”rendre”), on l’a fait directeur (=
“nommer”), le verbe faire se réduit à l’expression de l’attribution d’une qualité qui est le propre
du verbe être attributif: Il fera un bon avaocat peut être interprété par Il sera bon comme avocat.
Dans faire le naпf, faire le sourd, faire le mort, il s’agit d’une qualité fictive que le sujet
s’attribue. Dans toutes ces locutions, la qualité, qui normalement est attribuée au sujet au moyen
du verbe être, se présente comme objet d’un procès exprimé par faire. La transposition
subductive du verbe faire peut se présentée par le schéma suivant:
Valeur de procès particulier
—
faire une machine
Valeur de procès général
—
faire une promenade
—
Valeur circonstancielle
Valeur attributive
—
il fait jour
il fait le naпf
Une des réalisations subductives du verbe faire c’est son emploi comme pro-verbe. “Il
faut bien qu’il existe des “proverbes”, ou puisque cet expédient terminologique nous est fermé,
disons des pronoms verbaux au même titre que les pronoms nominaux… C’est dans beaucoup de
langues le verbe faire qui renferme en un syncrétisme total toutes les significations verbales
possibles”62. G. Moignet précise qu’en français moderne le suppléant ce n’est pas faire mais le
syntagme le faire… Le verbe à suppléer est analysé en deux éléments constitutifs: la notion dont
il est porteur et la forme verbale qui est la sienne”63.
A part les verbes fondamentaux, les autres verbes peuvent eux aussi connaître des emplois
subductifs. Signalons à titre d’exemple l’emploi attributif de certains verbes de mouvement tels
que tomber (tomber malade, tomber amoureux) et passer (passer pour jeune) et l’emploi des
verbes à sens plein comme verbes supports dans les locutions verbales: donner un conseil,
prendre la fuite, perdre patience 64.
L’auxiliarisation est la réalisation extrême de la subduction des verbes. L. Tesnière qui
consacre à la translation une attention particulière range les verbes auxiliaires parmi les
translatifs65. L’auxiliarisation suppose deux mécanismes de transposition. D’un côté, les verbes
auxiliaires “descendent dans la pensée au-dessous des autres verbes auxquels ils apparaissent
idéellement préexistants. Être, par exemple, préexiste dans la filiation idéelle des mots à pouvoir
qui préexiste à faire, etc.”66. E. Benveniste justifie le recours aux idées d’existence et de
possession pour la réalisation de l’auxiliarisation et établit un parallèle entre leurs emplois
comme auxiliaires, qui sont en distribution complémentaire, et leurs valeurs lexicales - être et
avoir “indiquent bien l’un et l’autre l’état, mais non le même état. Être est l’état de l’étant, de ce
qui est quelque chose, avoir est l’état de l’ayant, de celui à qui quelque chose est” 67. Selon
G.Guillaume “il arrive que la genèse formelle, hâtivement conduite et en quelque sorte précipitée,
accélérée, n’attende pas pour imposer sa conclusion que la genèse matérielle soit achevée… Il
s’en suit alors, sous une genèse formelle conclusive, mettant fin au mot, une genèse matérielle
inachevée, incomplète… C’est de la sorte que se constituent psychiquement les auxiliaires.”68.
Tenant compte des fondements théoriques de l’auxiliarisation, nous nous proposons
d’examiner, au point de vue transpositionnel, les particularités des auxiliaires et des semiauxiliaires en français.
Prenons la construction de départ Habeo epistulam scriptam et la construction moderne
J’ai écrit une lettre. Elles se distinguent avant tout par le statut des éléments qui les composent.
En latin la forme personnelle du verbe et le participe passé (employé comme adjectif à part
entière) gardent leur statut d’indépendance alors qu’en français leurs descendants respectifs ont
complètement perdu leur autonomie et ne peuvent se passer l’un de l’autre. Nous sommes en
présence d’une double transformation - l’une affecte le verbe avoir, l’autre le participe. La
première est sémantique, notionnelle, la deuxième est formelle. Toutes les deux se conditionnent
mutuellement et sont complémentaires. Pour devenir auxiliaire, le verbe avoir a subi une perte
sémantique, une subduction. Nous soulignons ce terme parce qu’il recèle une signification
particulièrement intéressante pour nous. Il repose (tout comme les termes traduction,
dérivation, translation) sur l’idée de déplacement, mais un déplacement sur l’axe vertical - du
haut vers le bas: subduire c’est conduire au-dessous. Quand on appelle les verbes être, avoir et
faire fondamentaux, on prend en considération la position hiérarchique de ces verbes par rapport
aux autres verbes français, c’est-à-dire le fait que les procès qu’ils expriment sont à la base des
procès exprimés par les autres verbes. Le dépassement de cette base, la descente au-dessous de
son niveau conduit à une perte sensible de matière lexicale. La forme persiste, mais elle passe
dans une autre catégorie - celle des morphèmes. Et elle entraîne, dans son passage, une autre
transposition: celle du participe-adjectif au sein du verbe - dans son domaine originaire.
Les verbes semi-auxiliaires de temps (aller et venir) subissent une évolution semblable - la
subduction les conduit à l’auxiliarité. Nous proposons ci-dessous une présentation détaillée du
processus d’auxiliarisation de ces verbes.
L’idée de mouvement est une des principales valeurs verbales. Le mouvement se
caractérise, entre autre, au point de vue de la position du sujet parlant dans l’espace et dans le
temps. Le sens premier des verbes de mouvement venir et aller peut être présenté comme le
résultat de l’action de faire sur être locatif: venir =”j’ai fait que je sois ici”; aller = “je ferai que
je sois ailleurs”. Le temps du verbe faire dans ces paraphrases indique l’orientation du verbe
venir du passé vers le présent et du verbe aller du présent vers l’avenir.
L’infinitif, comparé aux participes présent et passé exprime un procès potentiel, mais la
disposition définitive de l’action sur l’axe temporel dépend du verbe actualisateur: Vouloir partir
renvoie au futur, S’amuser à jouer - au présent, et Finir d’écrire, Achever de raconter - au passé.
La construction Venir + de + infinitif exprime l’éloignement du sujet par rapport au procès qui
reste en arrière dans le temps. La préposition de est, initialement, porteur d’un sens
d’éloignement. C’est par ce mécanisme que le verbe venir situe au passé le procès exprimé par
l’infinitif. Et on obtient le passé récent.
Le futur proche est un temps symétrique au passé récent. Le verbe aller exprime un
mouvement prospectif dans l’espace et c’est de là que vient son orientation vers l’avenir. Cette
orientation, combinée avec l’infinitif, permet de situer le procès dans un avenir proche. Le
passage du verbe aller à sens plein (Je vais ouvrir la porte) au verbe semi-auxiliaire (Je vais
ouvrir la porte) est facile à expliquer. K. Mantchev appelle cette forme futur proche
catégorique et présente le rapport entre aller et l’infinitif de la façon suivante: “Sous une
dématérialisation forte qui annule le sens physique de marche, le verbe aller ne garde qu’un
quantum positif de sens: l’accomplissement progressif du procès; c’est un sens de caractère
formel dont le déficit lexical est restitué par le verbe à l’infinitif” 69.
Cette analyse démontre que le français a recours à l’idée de mouvement du passé vers le
présent et du présent vers l’avenir pour situer le procès sur l’axe temporel respectivement à
gauche et à droite du moment de la parole, en lien très étroit avec ce moment. Celui-ci s’avère le
point d’arrivée du procès du verbe au passé récent et le point de départ du procès du verbe au
futur proche.
L’évolution des verbes venir et aller de leur sens plein à leur statut de verbes semiauxiliaires illustre la transposition qu’ils ont subie - le passage de la catégorie des verbes à la
catégories des morphèmes. En rapport très étroit avec ce changement se réalise la transposition de
l’infinitif parce que dans le cadre d’un temps périphrastique l’infinitif n’a plus le comportement
qui lui est propre. On peut dire qu’il cesse d’être une forme nominale du verbe (non personnelle
et non temporelle). Adossé à un morphème (tel est déjà le statut des verbes aller et venir),
l’infinitif réintègre le système verbal. Le parallèle avec le futur simple est très significatif. Le
mécanisme de formation des deux temps est identique: à l’infinitif (qui exprime un procès
potentiel) est ajouté un morphème actualisateur: -ai, -as, -a, etc., pour le futur simple, et vais,
vas, va, etc., pour le futur proche. La seule différence c’est que dans le premier cas le morphème
est postposé et agglutiné, et dans le deuxième - antéposé et séparé. Mais cette différence est
purement formelle. Il est inconcevable de prétendre que venir et aller aient sauvegardé une
certaine matière lexicale. Dans Je vais vous raconter une histoire intéressante ne persiste aucun
souvenir du verbe de mouvement aller. Ce qui vient d’être dit nous amène au problème de la
prétendue différence entre les verbes auxiliaires et les verbes semi-auxiliaires de temps. Pour
nous, leur statut est identique. Les uns et les autres s’emploient comme morphèmes et la forme
qu’ils ont gardée est devenue une marque conventionnelle du temps respectif: ai, suis
(antéposés) - pour le passé composé; -ai (postposé) - pour le futur simple; vais (antéposé) - pour
le futur proche; viens (de) (antéposé) - pour le passé récent. Nous avons proposé plus haut une
motivation psychomécanique du rôle de la préposition de dans la constitution du passé récent.
Changeant de point de vue, nous proposons ci-dessous deux autres justifications. La première
sera différentielle, sémantique. La préposition de est introduite entre venir et l’infinitif pour
distinguer une construction libre telle que Je viens vous raconter une histoire intéressante
(d’orientation prospective) de la construction grammaticalisée Je viens de vous raconter une
histoire intéressante (d’orientation rétrospective). La deuxième justification est formelle,
“transpositionnelle”. Sans de le verbe personnel et l’infinitif gardent leur statut initial.
L’interposition de de conduit à leur transposition - n’étant plus des éléments indépendants, ils
ont besoin, chacun, de s’appuyer sur l’autre, le premier offrant sa forme, le deuxième - son sens
lexical - pour ne former qu’une seule unité70.
Résumons, en reprenant les réflexions de J. Vendryes: “Pour qu’un verbe devienne
auxiliaire il faut qu’il se dématérialise à tel point qu’il lui reste seules les marques
morphologiques et l’expression très générale de la catégorie temporelle. C’est la condition sine
qua non pour qu’un verbe puisse se combiner avec des formes non personnelles et non
temporelles en vue de les actualiser. Ce sont justement les verbes fondamentaux (qui se trouvent
au début de la suite généalogique) qu’on peut utiliser comme auxiliaires. Ayant subi un
effacement sémantique total, ils peuvent se combiner avec le participe ou avec l’infinitif pour
former une unité grammaticale composée. C’est ainsi que le français put répondre au “besoin de
posséder un temps qui indique le but ou l’état auquel on arrive, en s’opposant au passé simple
qui n’indique qu’un procès achevé”71. L’auxiliarisation repose donc sur deux types de
transpositions complémentaires. Il y a d’abord la subduction du verbe fondamental laquelle
transgresse la sphère sémantique pour descendre dans une sphère nettement formelle morphématique. Là encore il y a deux étapes à signaler. Lors de la première, ayant perdu
complètement son sens, l’auxiliaire garde son autonomie formelle - il prend le statut de verbe
auxiliaire. Lors de la deuxième étape l’autonomie formelle se perd à son tour et le mot se
transforme en morphème. C’est ainsi que sont obtenus, à partir du verbe avoir les désinences
verbales pour le futur catégorique et le passé simple -ais, -as, -a, etc. Mais l’autonomie formelle
des verbes être et avoir aux temps composés et aller et venir aux temps périphrastiques ne
nous empêche pas de leur accorder le statut de morphèmes - morphèmes disjoints et antéposés.
Cette première transposition - le passage des verbes fondamentaux du statut de verbes à
sens plein, quoique général, au statut de morphèmes - n’aurait pas eu lieu si au niveau
syntagmatique ne s’était réalisée une autre transposition - la réintégration des formes non
personnelles et non temporelles dans le domaine verbal. Puisqu’elles n’ont pas un statut formel
verbal, elles trouvent dans les auxiliaires respectifs les actualisateurs qui leur sont nécessaires. Le
statut actuel des temps composés et des temps périphrastiques est le résultat d’une
grammaticalisation très poussée, basée sur les transpositions mentionnées, des constructions
analytiques au niveau du syntagme lesquelles avaient leur motivation sémantique profonde. Elles
ne pouvaient avoir pour base que les valeurs verbales fondamentales - les idées des verbes
fondamentaux être, avoir et faire, les idées modales, etc. Le problème consiste dans le choix
des auxiliaires que chaque langue avait dы faire pour la constitution des temps composés. Les
langues indoeuropéennes (y compris le bulgare et le français) exploitent la construction
attributive de être pour former les temps composés, étant donné que le participe passé est la
forme adjective du verbe. Mais puisqu’en français le participe des verbes transitifs et d’un grand
nombre de verbe intransitifs n’a pas une valeur active, le résultat du procès, au lieu d’être
présenté comme une attribution, se présente comme une possession du sujet - avec l’auxiliaire
avoir. La valeur locative du verbe être et plus précisément les idées de mouvement qui en
dérivent (le mouvement en avant qu’exprime le verbe aller et le mouvement orienté vers
l’endroit où se trouve le locuteur qu’exprime le verbe venir ) sont à la base de la formation du
futur proche et du passé récent. C’est là que s’est opérée encore une transposition - le mouvement
est transposé de l’espace dans le temps. Ainsi, à la base de l’orientation vers le futur est obtenu le
futur proche; à la base de l’orientation du passé vers le présent, qui est le moment du locuteur, est
obtenu le passé récent. Pour l’expression de la progression d’un procès le français a recours à la
construction aller + le participe présent laquelle repose aussi sur l’auxiliarisation du verbe
aller. Ce qu’on a retenu de ce verbe c’est l’idée de mouvement progressif - tout juste pour rétablir
le dynamisme que le verbe a perdu en devenant participe présent. La guerre va s’aggravant
présente d’une façon analytique la guerre s’aggrave. Il est vrai pourtant qu’ici le verbe aller
conserve une plus grande autonomie, mais cela est dы, sans doute, au fait que le degré de
grammaticalisation est moindre.
Il serait curieux de faire un parallèle avec une autre langue, par exemple avec le bulgare,
pour voir quelles sont les idées fondamentales sur lesquelles repose la transposition
auxiliarisante. A part le verbe съм (être) dont le rôle est privilégié dans la formation des temps
composés, on peut constater que les autres idées fondamentales sont, elles aussi, exploitées à
cette fin.
L’idée de possession. Le bulgare offre deux formes négatives pour le futur: не ùе прàâя нямà дà прàâя. La deuxième construction repose sur la forme négative du verbe bulgare èмàм
(avoir). On peut proposer deux explications idéogénétiques de la formation de ce futur négatif en
bulgare.
a) Le futur négatif repose sur l’idée modale de devoir. La construction bulgare èмàм дà
прàâя est la correspondance exacte de avoir à faire en français: elles reposent toutes les deux sur
l’idée de devoir. A la suite de la transformation négative et du passage de la forme personnelle à
la forme impersonnelle la modalité s’affaiblit au point de se perdre et on a aujourd’hui нямà дa
прàâя = je ne ferai pas. Les modèles de formations du futur dans les deux langues sont assez
proches.
b) Le futur négatif repose sur l’idée d’existence. Нямà (il n’y a pas) sert à nier
l’existence. En niant l’existence d’un procès à faire dans l’avenir, on obtient le futur négatif:
нямà дà прàâя.
c) L’idée modale de vouloir 72.
La construction analytique en ancien bulgare хîùеш пèтè (=”tu veux boire”) a fourni la
forme actuelle du futur bulgare ùе пèеш à la base de deux transpositions très importantes. La
première consiste d’abord dans l’auxiliarisation du verbe modal (ùеш дà пèеш) et puis dans sa
transformation en morphème (ùе пèеш). La deuxième consiste dans le passage de la forme non
personnelle de l’infinitif à la construction дà + forme personnelle où la conjonction дà exprime
le potentiel. Mais puisque le morphème ùе (l’ancien auxiliaire ùa) implique le potentiel, la
conjonction дà fut de trop et on obtint la forme moderne ùе пèеш. On constate donc que pour la
formation du futur le bulgare eut recours à l’idée d’orientation prospective, tout comme le
français pour la formation du futur proche. Seulement, le français exploite l’idée de mouvement
dans l’espace (aller) tandis que le bulgare exploite l’orientation subjective, le mouvement
psychique que l’idée volitive implique.
L’idée factitive de faire.
Si le verbe faire en français est considéré comme semi-auxiliaire dans les constructions
factitives, le verbe correspondant en ancien bulgare деятè73 a connu une auxiliarisation presque
complète dans la formation de l’impératif négatif: недеé дà прàâèш - недеé прàâè - не прàâè =
“ne fais pas”. Il y a donc une parenté profonde entre la construction factitive en français et la
forme négative de l’impératif bulgare.
Les verbes semi-auxiliaires résultent, eux aussi, d’une transposition subductive
quoiqu’elle ne soit pas si poussée que celle des auxiliaires proprement dits. L’action des verbes
semi-auxiliaires sur l’infinitif a pour résultat les subdivisions aspéctuelles du procès. “Le verbe
actualisateur, lorsqu’il atteint le procès à l’infinitif, permet sa division intérieure. C’est le moyen
le plus adéquat en français de traduire la fragmentation du procès...Les verbes modaux marquent
l’orientation du sujet vers le procès en vue de l’accomplir, les verbes aspectuels indiquent
l’accomplissement du procès à un de ses moments consécutifs”74.
Les observations qu’on vient de faire confirment la thèse que le choix des verbes
auxiliaires dans une langue n’est pas arbitraire. Les transpositions auxiliarisantes s’appuient sur
les idées fondamentales d’existence, d’attribution, de possession, de mouvement ou d’action. Ces
idées sont exploitées de façon différente selon les particularités de la langue en question (le
caractère du participe passé, l’évolution de l’infinitif; etc. Les deux types de transposition
(formelle et notionnelle) vont de paire, mais l’une dans le sens opposé de l’autre: la forme prend
toujours plus d’importance aux dépens du contenu qui s’estompe complètement.
II. Les transpositions intercatégorielles.
Etant donné que les formes non personnelles et non temporelles (l’infinitif, le participe
présent et le participe passé) ont une double nature - verbale et nominale - les transpositions
qu’elles subissent peuvent être présentées dans les deux sens:
1. Si l’on tient compte de leur origine verbale, les emplois de l’infinitif comme nom, du
participe passé comme adjectif et du participe présent comme adverbe peuvent être considérés
comme des transpositions fonctionnelles. En tant que formes verbales, ils supposent la référence
à une personne. «Cette incidence à une personne toute virtuelle, en puissance de différenciation à
l’égard d’une opération sans en être encore différenciée, distingue l’infinitif du substantif verbal.
Courir implique l’idée de coureurs virtuels, que n’implique pas le substantif course»75.
2. Si l’on tient compte de leur appartenance aux catégories nominales (elles sont privées
des catégories verbales de temps, de personne et de mode), on peut considérer comme
transposition leur réintégration au domaine verbal. Il s’agit des emplois de l’infinitif avec un
verbe semi-auxiliaire, du participe passé dans les temps composés et du participe présent dans la
construction aller + participe présent.
Dans le cadre d’un syntagme une forme verbale temporelle peut être substantivée tout à
fait accidentellement. La substantivation peut porter sur la seule forme verbale comme dans la
première partie du proverbe Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ou sur le syntagme verbal,
comme dans la deuxième partie (tu l’auras) ou dans les on-dit, les qu’en-dira-t-on, le décrochezmoi-ça, etc. Théoriquement, au niveau du syntagme, toute forme verbale peut être substantivée.
Dans ce cas l’éventail des translateurs s’élargit sensiblement: à part l’article, tous les adjectifs
déterminatifs et les numéraux peuvent servir de translateurs: Quelqu’un te prendra un “je
t’aime”, avec ce “je t’aime”- je le sais déjà…(Ch. Aznavour).
C. L’adjectif comme objet de transposition.
I. Transposition intracatégorielles.
Les transpositions qui ont pour objet un adjectif ne peuvent avoir pour base les variations
en genre et en nombre puisque ce sont des catégories nominales.
Le classement des adjectifs en adjectifs qualitatifs, adjectifs de relation et adjectifs
déterminatifs repose avant tout sur un critère sémantique, sans sous-estimer leur origine et leur
forme. C’est pour cette raison que les transpositions dans le domaine de l’adjectif concernent
surtout le côté sémantique. C’est à la suite des transpositions dans le contenu que peuvent
survenir des changements formels. L’adjectif peut être objet de transposition soit dans le cadre du
syntagme nominal où il a son rôle de déterminant, soit lors des transformations d’un type de
syntagme en un autre (le passage du syntagme nominal au syntagme verbal). En tant que terme
subordonné, l’adjectif dépend étroitement de la place qu’il occupe par rapport à son support et de
la nature de celui-ci. Il y a donc deux causes (deux translateurs) qui peuvent provoquer des
transpositions: le changement de place (l’inversion) et le changement de support.
1. L’inversion comme translateur dans le cadre du syntagme nominal.
L’inversion peut provoquer des transpositions de caractère grammatical, sémantique et
stylistique. Il y a des adjectifs qui sont indifférents à leur place par rapport au déterminé et le
changement d’ordre n’est pas pertinent. Il est question d’”alternances commutatives” du type une
épaisse brume rousse - une brume épaisse; sa fine moustache - une pluie fine. Il y en a d’autres
qui ont une place privilégiée - soit la postposition, soit l’antéposition. Dans ce cas le changement
d’ordre doit être considéré comme “cas marqué”. L’effet de l’inversion peut être considéré plutôt
comme positif quand le changement d’ordre vient répondre aux besoins d’une plus grande
expressivité. L’effet de l’inversion pourrait être considéré comme négatif, quand le changement
d’ordre neutralise la détermination qualitative et celle-ci cède la place à une détermination
ordinale ou indéfinie.
a) La transposition a pour effet un changement de catégorie grammaticale. Il s’agit
précisément du passage, provoqué par l’antéposition, de quelques adjectifs qualitatifs (certains,
divers, différents) au groupe des adjectifs indéfinis. Cette transposition est à la fois catégorielle et
sémantique. Puisque ces adjectifs se prêtent difficilement à un changement intérieur
d’expressivité, l’antéposition conduit à une neutralisation qualitative et ils prennent une valeur
indéfinie. Ainsi, un certain espoir signifie “quelque espoir”, divers et différents réduisent leur
valeur à celle de l’article indéfini des et c’est pour cette raison qu’ils refusent l’article. Notons
que différents et divers ne sont indéfinis qu’au pluriel; au singulier ils ne peuvent pas être
antéposés. Le degré de grammaticalisation de ces adjectifs est très avancé et ils ont leur place
accordée dans le groupe des adjectifs indéfinis. Mais ils ne sont pas les seuls à subir l’effet
“négatif” de la transposition. Il en va de même et pour des adjectifs tels que nouveau, vieux,
ancien, jeune, qui cessent d’assurer une détermination qualitative et prennent une valeur
ordinale. Un nouveau vin signifie “un autre vin” (ordre de présentation); un jeune soldat est
“soldat depuis peu de temps” (ordre chronologique); un ancien moulin oppose l’état ancien à
l’état actuel; une vieille amitié insiste sur la durée (=”longue”) et non pas sur l’âge. La différence
entre la transposition que subit certain et celle que subit nouveau est une différence de degré de
grammaticalisation et non pas de nature.
b) La transposition a pour effet un changement dans l’intensité de la qualité. Le problème
a été étudié par un grand nombre de linguistes76. L. Tesnière fait remarquer que “si l’adjectif suit
le substantif le sens du groupe est la somme des sens de ses éléments composants. Si au contraire
l’adjectif précède le substantif, le groupe formé par les deux prend un sens nouveau qui n’a plus
qu’un rapport plus ou moins vague avec la somme des sens de ses éléments composants”77. G.
Guillaume oppose une femme vraie où vraie signifie “véridique” à une vraie femme et souligne
que l’adjectif vraie “atteignant le procès même de substantivation, agit à l’endroit de ce procès
d’une manière qui se rapproche de celle de l’adverbe. Une vraie femme c’est une femme
vraiment femme. A la suite de G. Guillaume, G. Moignet précise que l’adjectif antéposé qualifie
une opération de substantivation au cours de son déroulement… C’est l’ensemble sémantique de
l’adjectif et du substantif qui produit le substantif de discours, un entier de signification et un
seul. Cf. Un grand garçon qui dit “la façon grande d’être un garçon”78. Il faut pourtant bien
distinguer le cas d’un grand garçon de celui d’un grand fumeur. Le premier résulte de
l’inversion de l’adjectif alors que le deuxième résulte d’une transformation syntagmatique - le
passage du syntagme verbal Il fume beaucoup au syntagme nominal C’est un grand fumeur.
D’ailleurs G. Moignet fait remarquer à juste titre que “grand devant un substantif correspond à
l’adverbe intensif devant un adjectif et à l’adverbe quantitatif devant le verbe”79. Il est
indispensable de préciser que dans le deuxième cas le substantif est déverbal. Encore E.
Benveniste, étudiant la transposition de Pierre marche bien en Pierre est un bon marcheur
souligne que “l’adjectif bon est un adverbe transposé et non pas un adjectif primaire: marcheur
est un prédicat verbal transposé et non pas un substantif à fonction primaire; bon ne qualifie pas
un substantif mais détermine sous une forme nominale l’accomplissement du procès”80. Nous
venons de reproduire cette remarque judicieuse de Benveniste pour bien mettre en vue la
différence entre ce type de transpositions qui sont étudiées par la grammaire transformationnelle,
de celui qui nous intéresse. Dans notre cas il ne s’agit pas d’une transformation syntagmatique,
mais d’une transposition, provoquée par l’inversion de l’adjectif et qui a pour effet l’expression
d’un degré plus élevé de l’intensité.
Le changement d’intensité peut aller très loin et provoquer un glissement de sens, une
transposition qui peut être considérée comme sémantique. Tels sont les cas d’antéposition des
adjectifs pauvre, brave, rare, curieux, maigre, proche, triste, méchant, etc. Il serait exagéré de
prétendre dans ce cas que le lien sémantique avec l’adjectif en postposition soit rompu. Un
homme pauvre dans certaines conditions “est à plaindre” et devient un pauvre homme, et un
homme brave est vu comme un brave homme. Si l’on considère ici l’inversion comme translateur,
le jugement subjectif est le motif de la translation.
c) L’inversion peut se ramener à une transposition nettement formelle dans le cadre d’une
oeuvre poétique (originale ou en version étrangère). Il s’agit des cas où l’auteur (ou le
traducteur), pour recourir à l’inversion, n’a eu aucune autre raison d’ordre stylistique ou
sémantique. Ce genre d’inversion est imposé par les règles de la versification et le rétablissement
de l’ordre normal pourrait rompre l’unité formelle de l’oeuvre. Pour le français, dont la
versification est syllabique, ces transpositions peuvent se faire pour les besoins de la rime ou de
la métrique, tandis que la versification syllabo-tonique bulgare y recourt et pour la régularité des
pieds. A titre d’exemple signalons que dans la strophe de Baudelaire:
Etonnants voyageurs! Quelles nobles histoires
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers.
Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,
Ces bijoux merveilleux, faits d’astres et d’éthers.
(Le Voyage)
nous avons souligné trois cas d’inversion dont le premier seul peut être considéré comme
facultatif, c’est-à-dire stylistiquement marqué. Les autres inversions sont obligatoires: nobles et
riches précèdent respectivement histoires et mémoires à cause de la rime. Dans ces bijoux
merveilleux l’ordre est normal; même si l’auteur avait voulu antéposer l’adjectif, il n’aurait pu le
faire à cause de la métrique: c’est un tétramètre - les pauses sont après la troisième, la sixième et
la neuvième syllabes. Un éventuel ces merveilleux bijoux aurait troublé la régularité des pauses.
Jean Cohen compare les cas d’inversion de l’adjectif épithète chez les poètes du
classicisme, du romantisme et du symbolisme et obtient les résultats suivants: les classiques
(Corneille, Racine, Molière) pratiquent l’inversion dans les 54,3 % des cas, les romantiques
(Lamartine, Hugo, Vigny) - dans les 33,6 %, et les symbolistes - dans les 30,3 %. Selon J. Cohen
“la fréquence de l’écart, en effet, diminue des classiques aux modernes… Pour interpréter ces
résultats, il faut tenir compte en fait de deux facteurs. Le premier est d’ordre historique.
L’antéposition était plus couramment pratiquée au XVII s. qu’aux temps modernes… Le second
facteur est plus important - Il nous montre quel lien étroit existe entre syntaxe et sémantique”81.
Et l’auteur se réfère à A. Blinkenberg pour souligner que “plus le sens de l’adjectif se rapproche
des sens de bon-mauvais, grand-petit (qualité, nombre, degré), plus ordinaire et partant plus
naturelle sera l’antéposition; plus le sens de l’adjectif s’écarte de ces sens, plus exceptionnelle
sera l’antéposition, et plus grand mais plus risqué sera l’effet stylistique obtenu”82.
Nous sommes loin de sous-estimer le rôle stylistique de l’inversion dans une oeuvre
poétique, mais nous tenons à souligner que les auteurs (ou les traducteurs) sont le plus souvent
dans l’impossibilité de choisir. Ainsi, par exemple, on rencontre chez Baudelaire de vivants
piliers pour la rime avec des regards familiers; une ténébreuse et profonde unité à cause de la
rime avec clarté; parmi ces pâles roses qui rime avec chloroses; mon rouge idéal qui rime avec
hôpital, etc. V. Hugo fait rimer royal appétit avec se vêtit, l’âpre cime avec sublime, un lointain
crépuscule avec recule, immondes repères avec prospères. Presque tous les poèmes de Verlaine
offrent de tels exemples: les calmes eaux rime avec les roseaux, l’épais linceul avec seul, de
funestes pensées avec des lèvres pincées, etc. Dans certains cas il semble que le contexte tolère
plus d’une possibilité, mais une analyse plus approfondie démontre que des raisons formelles ou
sémantiques servent à bien motiver le choix de l’auteur. Si Baudelaire a préféré vastes oiseaux
des mers (“l’Albatros”) à oiseaux vastes des mers ou indolents compagnons de voyage à
compagnons indolents de voyage, c’est pour que le complément prépositionnel suive
immédiatement le nom. Le mystique aliment (L’Ennemi”) ne peut se présenter comme l’aliment
mystique parce que le nombre des syllabes diminuerait. Mais le calme héros courbé sur sa
rapière (“Don Juan”) ne peut avoir comme variante le héros calme, parce que, selon le mètre
choisi, la sixième syllabe doit être accentuée. Ces exemples prouvent que les possibilités de faire
varier l’ordre des mots, une fois le mètre et le matériel lexical choisis, sont sensiblement
restreintes83.
2/ Le changement de support comme translateur.
Cette transposition consiste dans le passage des adjectifs de relation aux adjectifs
qualitatifs. La qualité exprimée par un adjectif de relation se présente comme résultant de la mise
en rapport de deux substances, tandis qu’après la transposition il se produit un glissement vers le
qualitatif. Pour G.Moignet dans le premier cas l’adjectif a une fonction de spécification du
substantif, et dans le deuxième - une fonction de qualification appréciative. “Certains adjectifs
peuvent assumer l’une et l’autre fonction, la limite étant assez floue entre elles. On a la fonction
spécifiante dans le palais royal (“le palais du roi”) et la fonction de qualification appréciative
dans un festin royal (“un festin digne d’un roi”)84. Le nouveau support prédispose l’adjectif à
varier en intensité (une atmosphère plus académique) ou à se prêter à l’adverbialisation (être
royalement reçu).
II. Transposition intercatégorielle
Cette transposition est de caractère fonctionnel et consiste dans l’adverbialisation de
l’adjectif. Par principe le contexte demande une qualification du procès soit du côté de son
réalisateur - le sujet, soit du côté de son résultat - l’objet85. Dans le premier cas la détermination
se présente comme qualification adjectivale du sujet (Pierre écoute attentif) ou comme
qualification adverbiale - avec un adverbe en -ment (Pierre écoute attentivement). Les deux
constructions sont interchangeables parce que, par le recours à l’adverbe, c’est toujours le sujet
qui est déterminé, seulement à travers le verbe. Quand le procès est déterminé du côté de son
résultat, il se présente toujours deux cas - détermination par un adverbe (Pierre attend vainement)
et détermination par un adjectif (Pierre chante faux), mais ils ne sont pas interchangeable.
Le problème peut être étudié au niveau stylistique dans la mesure où certains emplois
adverbiaux des adjectifs sont consacrés par l’usage (voir clair, parler bas, sentir bon, etc., alors
que d’autres ne le sont pas (Je vous amuse plus expressif, Une fille s’approche…maquillée plus
outrageux)86 ou encore au niveau de la linguistique comparée, quand à un adverbe dans la langue
de départ correspond un adjectif dans la langue d’arrivée (dans notre cas le français)87.
Le problème de l’adverbialisation syntagmatique de l’adjectif fait surgir au moins quatre
questions auxquelles il faut répondre pour bien saisir la nature de la transposition et les conditions
de sa réalisation:
a) Qu’est-ce qui motive la possibilité de se servir d’un adjectif pour la détermination du
procès dans Pierre écoute attentif?
b) Pourquoi dans ce cas l’adjectif et l’adverbe sont-ils interchangeables?
c) Qu’est-ce qui motive l’emploi de l’adjectif dans Pierre chante faux et qu’est-ce qui
empêche son remplacement par un adverbe en -ment?
d) Qu’est-ce qui nous autorise à considérer l’emploi de l’adjectif dans le cas de Pierre
écoute attentif comme adjectival et dans le cas de Pierre chante faux comme adverbial?
Nous proposons les réponses suivantes:
a) Par principe, au niveau du système, pour qu’un adjectif puisse être employé dans une
phrase, il doit avoir un support nominal et alors il se présente soit comme épithète (directement
rattaché au substantif) soit comme attribut (rattaché au substantif par l’intermediaire d’un verbe).
Dans Pierre écoute attentif on a un emploi attributif de l’adjectif.
b) Les constructions Pierre écoute attentivement et Pierre écoute attentif sont
complémentaires dans ce sens que par l’adverbe attentivement on détermine indirectement le
sujet, tandis que par l’adjectif attentif on détermine indirectement le verbe. La nature de la
détermination est la même.
c) Dans Pierre chante faux le verbe implique son complément interne - le chant (Le chant
de Pierre est faux). Cela signifie qu’au niveau de la phrase il suffit qu’il y ait un support nominal
implicite pour qu’un adjectif y trouve place. G. Moignet explique cette construction par le fait
que le résultat du procès a un caractère nominal et pour cette raison l’adverbe prend la forme d’un
adjectif et refuse la combinaison avec -ment. Il y a donc une caractérisation du complément
interne qui est inclus dans le verbe88.
d) Mais dans le cas de Pierre attend vainement (L’attente de Pierre est vaine) on a aussi
un support nominal implicite - attente. Pourquoi ne peut-on pas dire dans ce cas Pierre attend
vain? Il faut chercher un autre critère à prendre en considération et il ne peut être que dans la
nature du procès (de son objet implicite) et de sa détermination. L’adverbe vainement réalise une
détermination plutôt subjective et elle porte sur le résultat définitif du procès, elle ne définit pas
l’attente en tant que telle mais vise son résultat. On peut très bien imaginer un contexte comme
Vous avez cru que Pierre attendait vainement, mais la personne est venue. Dans Pierre chante
faux il ne s’agit ni de jugement subjectif ni d’appréciation résultative. Il faut en conclure que la
détermination par un adjectif se fait dans les cas d’une détermination objective. Cela nous fait
penser à la motivation étymologique des adverbes en -ment. Mens, mente signifiait “la manière,
la façon de faire un procès”; il apportait une qualification modale et non pas objective. C’est pour
cette raison que dans les contextes ci-dessus faux ne peut être remplacé par faussement, ni
vainement par vain.
Quand dans la phrase il y a un support nominal explicite, l’adjectif garde son statut formel
(sa variabilité) et fonctionnel (épithète ou attribut). Quand il n’ y a pas de support explicite, le
statut de l’adjectif change - il devient invariable (l’accord est impossible) et ne peut être incident
qu’au verbe - donc s’employer comme adverbe. C’est en cela que consiste la transposition de
l’adjectif en adverbe - le contexte, en tant que translateur, enlève à l’adjectif la possibilité de
réaliser sa propre incidence et, de ce fait, lui impose la fonction adverbiale et l’invariabilité.
Notre thèse trouve un appui dans les vues de G. Moignet, lequel, dans l’optique guillaumienne,
présente l’adjectif comme réservé à la “qualification du procès, soit conjointement à son agent,
soit coinjointement à son terme résultatif. En deçà, la qualification ne concerne que l’agent et se
fait par l’adjectif soumis à l’accord, en épithète ou en apposition. Au-delà, la qualification se fait
par l’adverbe-adjectif neutre, sans accord avec le sujet qu’il ne qualifie en rien, mais en accord
avec la notion neutre (c’est-à-dire non engagée dans la catégorie du genre) qui fait la substance
sémantique du verbe”89.
D. L’adverbe comme objet de transposition
I. Transposition intracatégorielle
a) Ce genre de transposition peut être provoqué par un changement dans le régime
d’incidence, autrement dit, au lieu de se rapporter à un verbe (fonction à laquelle il est destiné),
l’adverbe se rapporte à un adjectif ou à un autre adverbe. C’est le changement de régime
d’incidence qu’il faut considérer comme translateur. Les formes obtenues entrent, comme des
intensifs, dans la constitution des syntagmes adjectival ou adverbial; elles cessent de se
comporter comme de vrais adverbes. Cette transposition peut avoir pour objet:
- des adverbes de quantité tels que beaucoup, peu, trop: beaucoup sert à intensifier un
comparatif (beaucoup mieux, beaucoup plus, beaucoup moins); peu se fait suivre d’un adjectif
(peu aimable) et pour intensifier un adverbe de manière il prend l’article un (un peu mieux, un
peu plus); trop se combine aussi bien avec un adjectif (trop bavard) qu’avec un adverbe (trop
tôt).
- des adverbes de manière formés avec le suffixe -ment. “Cette variété d’adverbes peut se
rapporter à l’adjectif et à soi-même également, auxquels cas il acquiert le rôle de mot intensif, cf.
amplement suffisant, parfaitement correct, merveilleusement bien”90.
Remarque: L’adverbe bien, pour prendre une valeur intensive (bien aimable, bien vite)
doit subir une première transposition - le passage de l’idée de manière à l’idée de quantité, celleci étant la base pour une deuxième transposition - de la quantité à l’intensité: comprendre bien,
bien des gens, bien gentil. Pas mal qui est une variante sémantique de bien peut prendre une
valeur quantitative (pas mal de gens), mais ne peut devenir intensif.
b) La transposition intracatégorielle peut se limiter au seul changement sémantique sans
qu’il y ait un changement dans le régime d’incidence. Dans ce cas le glissement sémantique est
provoqué par le contexte - celui-ci se présente comme translateur. Un cas intéressant nous est
fourni par l’adverbe certes dont les valeurs font objet de l’article de Jean-Michel Adam Du
renfotcement de l’assertion à la concession: variations d’emploi de certes91. Selon l’auteur “une
contrainte de complétude s’exercerait sur les suites de propositions comportant un certes et sa
seule présence manifesterait l’existence de certaines réserves dans l’esprit du locuteur”92. “Certes
dériverait un acte de concession d’un renforcement de l’assertion…Ce n’est rien d’autre que le
simple fait que renforcer une assertion, c’est par là même signaler que cette assertion avait besoin
de l’être et qu’elle pouvait donc être combattue. C’est de cette façon qu’une marque de
renforcement devient une marque de concession”93.
II. Transposition intercatégorielle.
L’adverbe, comme tout autre mot, peut être substantivé dans le cadre du syntagme. Le
mécanisme est le même que pour la substantivation des autres parties de langue - prédicatives ou
non prédicatives: avant - l’avant; devant - le devant; derrière - le derrière.
L’adjectivation des adverbes peut être obtenue de deux façons:
- par simple juxtaposition - comme objet de transposition on peut avoir des adverbes de
manière (Une femme bien, un garçon pas mal) ou des adverbes de lieu: les roues avant, la
portière arrière, les spectateurs debout. Très souvent la juxtaposition de l’adverbe dit plus
qu’une détermination adjectivale ou une construction prépositive. Dans une femme bien l’adverbe
n’exprime pas une simple qualité, mais à la fois la façon d’être et la façon d’être vu. Bien n’est
pas le correspondant adverbial de bon, ni de beau, il équivaut plutôt à la construction modale
comme il faut qui a sa part de subjectivité.
- par le recours à une préposition - ce n’est possible qu’avec les adverbes de lieu et de
temps parce qu’ils permettent une détermination référentielle. On emploie le plus souvent la
préposition de qui se présente comme simple translateur dans les cas de localisation spatiale: de
nulle part, de partout, aussi bien que dans les cas de localisation temporelle: les filles
d’aujourd’hui, les femmes de demain , les amis d’autrefois. Les exemples ci-dessus et les autres
cas déjà mentionnés où la préposition de est un translateur nous amènent à la constation que de
sert à établir un rapport plutôt formel. C’est de la nature des éléments mis en relation que ressort
le caractère concret du rapport. La préposition de n’a pas la portée générale de la juxtaposition,
mais en tant que translateur au niveau du syntagme, elle a la fréquence la plus élevée, comparable
à la fréquence de la conjonction que au niveau de la phrase. La détermination temporelle
demande parfois une plus grande précision et on peut recourir à d’autres prépositions telles que à
(une séparation à jamais) et pour (un ami pour toujours).
Il est curieux de se demander pourquoi dans les deux derniers exemples les translateurs
(les prépositions) sont différents. Il est bien évident que jamais est, dans ce cas, synonyme de
toujours. En effet, on peut les considérer comme synonymes mais en distribution
complémentaire: toujours - pour l’énoncé positif, jamais - pour la négativation. Dans ses
applications temporelles pour envisage la période en question dans toute son étendue, cf. Pour
une heure, pour deux ans, pour la vie, pour toujours. A implique une visée ponctuelle- le moment
de l’accomplissement du procès ou son terme. Dans une lutte à la vie ou à la mort “la vie” et “la
mort” sont présentées comme termes de la lutte, un des buts à atteindre. Dans séparation à
jamais l’adverbe ne marque pas une période, l’infini dans le temps est négativé, la négation du
terme de la séparation se présente comme ponctuelle et pour cette raison se fait précéder de la
préposition à.
L’adverbe connaît d’autres transpositions qu’on oserait appeler subductives parce
qu’elles le font descendre au-dessous de son statut de partie de langue prédicative pour se
réaliser soit au niveau syntagmatique, comme préposition, soit au niveau phrastique, comme
conjonction. (Le dernier cas sera étudié au chapitre consacré aux transpositions phrastiques).
Quand, à cause de l’insuffisance sémantique du contexte, l’adverbe ne peut pas se
réaliser seul comme partie de langue prédicative, il lui faut un support, un élargissement à droite,
et il le trouve dans un substantif ou dans un infinitif. De ce fait, sa position fonctionnelle change.
Il perd sa propre fonction et sert à établir l’incidence de son support sémantique. Quand l’adverbe
réalise sa fonction de partie de langue prédicative, il entre dans une construction qu’on peut
considérer comme asymétrique - il a un appui fonctionnel à gauche (dans le verbe le plus
souvent) alors qu’à droite il s’avère en position finale: Le garçon est arrivé tard. Quand le
support sémantique à droite fait pendant au support fonctionnel à gauche, la construction devient
symétrique - le mot prend des supports de part et d’autre sans que ceux-ci soient de même nature.
C’est le contexte qui sert de translateur et la transposition qui s’en suit consiste dans le passage de
l’adverbe du statut de mot prédicatif au statut de mot outil - de préposition. Il devient à son tour
un translateur. La transposition passe par deux étapes: elle est d’abord catégorielle - l’adverbe
cesse d’être ce qu’il est parce que le contexte empêche sa réalisation; devenant translateur à son
tour, il forme avec le nom un syntagme adverbial: Le garçon est arrivé après ses compagnons de
classe.
Dans le cas de certains adverbes de lieu tels que loin, près, au-dessus, au-dessous, ce
genre de transposition (le passage à une locution prépositive) s’effectue au moyen du translateur
de: loin de, près de, au-dessus de, au-dessous de.
On peut se demander pourquoi lors de la transposition des adverbes avant et après en
prépositions (pour introduire une construction infinitive), avant se construit avec de, tandis que
après n’a pas besoin de préposition. De est un translateur assez général qui introduit une matière
nominale aussi bien qu’une matière verbale: l’heure du départ = l’heure de partir. C’est aussi un
rappel de la potentialité du procès à l’infinitif, cf. De parler trop nuit où la préposition n’a
d’autre motivation que de faire double jeu avec l’infinitif - d’insister sur la potentialité du procès.
Devenu préposition, après, qui vise un procès déjà réalisé, non seulement refuse de, mais
demande, pour bien réaliser sa valeur, la forme composée de l’infinitif. On pourrait dire que la
forme composée (exprimant l’accompli) est pour après ce qu’est de (exprimant le potentiel) pour
avant.
Il est bien évident que les transpositions, à un niveau donné, ne suivent pas un modèle
préétabli. Il s’agit chaque fois de concilier le côté formel et le côté notionnel et seule une vue
pénétrante sur le mécanisme de ces transpositions peut rendre compte de la diversité des
constructions linguistiques.
Du point de vue de leur complétude sémantique les adverbes peuvent se diviser en deux
groupes: adverbes sémantiquement autonomes (vite, bien, tôt, tard, beaucoup, etc.) et adverbes
référentiels qui s’appuient sur le contexte et ont une valeur représentative comme celle des
substituts (ainsi, avant, après, dedans, derrière, au-dessous). C’est à la base du pouvoir
représentatif des anciens adverbes en et y que s’est produite leur transposition en pronoms. Tous
les deux ont à l’origine une valeur locative: en signifiait de là, y signifiait là.
L’évolution de en est passée par quelques étapes. La valeur locative de en se ramène à
l’expression de l’éloignement lequel est traduit au niveau du syntagme adverbial par la
préposition translateur de. Il s’agit d’un simple mécanisme de transposition pronominalisante qui
peut être rendu par la formule:
Verbe d’éloignement + de + subst. = En + Verbe d’éloignement
On peut émettre l’hypothèse qu’à la base de cette formule se sont réalisées deux
transpositions différentes. La première a pour fondement sémantique l’idée de prélèvement qui
est considérée comme une des réalisations de l’éloignement. C’est ainsi qu’on est arrivé à la
valeur partitive de en: j’ai pris de vos fruits - j’en ai pris. Cette transposition est suivie d’une
autre qui est de caractère formel. En qui a la fonction d’un complément devient indifférent à la
construction du verbe (transitive ou intransitive) et se voit capable de reprendre non seulement un
complément introduit par de, mais aussi les compléments d’objet directs pour s’opposer, dans le
dernier cas, à la représentation totale exprimée par les pronoms personnels le, la, les. C’est ainsi
qu’on est arrivé à la corrélation le, la, les (article défini) - le, la, les (pronoms personnels) pour la
représentation totale et du, de la, des (article indéfini ou partitif) - en pour la représentation
partielle.
La formule de départ V + de + S-f = en + V a servi de base à une autre transposition
formelle. Non seulement l’idée d’éloignement, mais aussi tout syntagme verbal construit sur le
modèle V + de + S-f peut être transposé en en + Verbe.
En peut se substituer non seulement à un complément de verbe mais aussi à un
complément de nom à condition de ne pas sortir des limites du syntagme verbal qui est son
champ de réalisation. C’est par cette voie qu’on est arrivé à la valeur possessive de en: J’admire
les beautés du paysage - j’en admire les beautés. J’ai lu les romans de Flaubert - J’en ai lu les
romans.
Le schéma que nous proposons ci-dessous (159) nous permet de constater que de,
comme translateur de départ qui motive la première transposition par substitution, est présent à
tous les niveaux. Seulement, dans les cas où en se substitue à un complément d’objet direct, de
s’incarne dans l’article indéfini (au pluriel) ou dans l’article partitif.
Il faut souligner encore que les transpositions formelles ci-dessous consistent dans la
reprise de la forme (de la formule) sous laquelle se présente le résultat de la substitution au
niveau précédent. Cette formule, appliquée au niveau suivant, apporte des changements dans les
références - ses capacités représentatives s’ouvrent pour recevoir des constructions qui ne
ressemblent que par leur forme aux précédentes.
Y a suivi une évolution semblable. L’adverbe latin ibi qui reposait sur une référence
contextuelle avait le comportement d’un pronom mais se limitait dans le seul domaine spatial. La
localisation spatiale peut être exprimée par des prépositions différentes (dans, sous, sur, devant,
derrière) mais on a recours surtout à la préposition à qui exprime une orientation dans l’espace.
A la base de cette orientation spatiale s’est produit un élargissemment de la zone d’application du
pronom y qui se charge d’exprimer l’idée d’orientation du sujet au sens psychique penser à,
s’habituer à, se résigner à. Ce qui caractérise l’évolution du pronom y c’est qu’il n’a pas
abandonné le domaine non animé et qu’il est en distribution complémentaire avec les ponoms
personnels selon que la nature de l’objet du verbe change: penser à quelque chose - y penser;
penser à quelqu’un - penser à lui.
NOTES:
1
G. de Lorris et J. de Meung. Le Roman de la Rose. Paris, 1974.
2
N. Flaux. L’antonomase du nom propre ou la mémoire du référent. Langue française; N°
92., p. 30.
3
Ibid., p. 37-38.
4
G. Guillaume. Principes de linguistique théorique, p. 132.
5
Ibid., p. 212.
6
Ibid., p. 211.
7
Ibid., p. 212
8
G. Moignet. Systématique de la langue française, p. 44.
9
A. Lombard. Les constructions nominales dans le français moderne.UPSALA, 1930, p.
172.
10
L. Carlson. Le degré de cohésion des groupes substantif + de + substantif en français
contemporain. UPSALA, 1966, p. 125.
11
G. Moignet. Etudes de psycho-systématique française. Paris, 1974, p. 28.
12
Voir G. Guillaume. Logique constructive interne du système des articles français. Le
Français moderne, 1945. ; G. Bernard. Les locutions verbales françaises. La Linguistique, 1974,
2, p. 5 - 17.
13
G. Bernard. Op. cit., p. 8 - 10.
14
P. Christov. Distribution des verbes fondamentaux en bulgare et en français, in Etudes
de linguistique comparée, V. Tirnovo, 1982, p. 7 - 8.
15
G. Moignet. Systématique de la langue française. p. 22.
16
A. Rey. Le lexique: images et modèles. Du dictionnaire à la lexicologie. Paris, Armand
Colin, 1977, p. 192.
G. Moignet. Diathèse verbale et verbes fondamentaux en français, in Langage et
psychomécanique du langage, Lille - Laval,, p. 270.
18
L. Vankov. Grammaire historique de la langue françasie. Sofia, 1987, p. 262 et suiv.
19
K. Mantchev. Morphologie française. Sofia, 1976, p. 65.
20
Ibid. p. 41-43.
21
G. Guillaume. Immanence et transcendance dans la catégorie du verbe. Journal de
psychologie, 1933.
22
G.Guillaume, Leçons de linguistique. Structure sémiologique et structure psychique de
la langue française, 1971, Québec, Paris, p.176-177.
23
L. Talmy, dans son article Les relations entre grammaire et cognition (in Cahiers de
praxématique, Montpellier, 1992, N° 1, p. 43) étudie les cas où un verbe, par exemple die
(anglais) mourir (fr.) correspondant à un type de distribution apparaît accompagné de formes
grammaticales d’un autre type et souligne que ce verbe est utilisé avec ses spécifications
habituelles dans une phrase comme He died as she looked on - Il mourut alors qu’elle regardait.
Mais dans une phrase comme He was (slowly) dying as she looked on - Il mourait (lentement)
pendant qu’elle le regardait la forme grammaticale be + -ing induit un glissement. En fait,
l’intervalle infinitésimal entre les deux états impliqués par die (mourir) - c’est-à-dire “état de
vie” et “état de mort” - se trouve étiré, ce qui aboutit à la création d’un gradient d’étendue dans la
durée. Cela, c’est le glissement du schéma de distribution d’un type structurel à un autre. Mais en
même temps, un glissement dans le contenu originel du référent se trouve généré. Le nouveau
gradient ne se réfère plus à “mourir” mais à “être mourant”… On peut “avoir été mourant” sans
être mort, et, corrélativement, il est possible de mourir sans avoir été mourant.
24
K. Mantchev. Morphologie française, p. 289-290.
25
Ibid., p. 292.
26
P. Imbs. L’emploi des temps verbaux en français moderne. Paris, 1960, p. 191
27
G. Moignet. Systématique de la langue française. p. 66.
28
Ibid., p. 69.
29
Р. Гàндеâà, Àл. Мèлèâ, É. Брàтêîâ, М. Пîртàлсêè. Лàтèнсêà грàмàтèêà, Сîôèя,
1961, с. 112-116.
30
G. Guillaume. Leçons de linguistique. Série A. Conf. du 9 sept.
31
G. Moignet, Systématique de la langue française, p. 79.
32
P. Imbs. Op. cit., p. 199.
33
K. Mantchev, A. Tchaouchev, A. Vassileva. Op. cit., pp. 86-88.
34
G. Guillaume. Leçons de ling. Série A, Système psychique et système sémiologique,
Conférence du 9 déc.
35
Ibid., p. 128.
36
Cité d’après L.Warnant. Contexte et valeurs de l’imparfait, in Mélanges offerts à M.
Delbouille, Gembloux, 1964., p.
37
P. Imbs. Op. cit., p. 195.
38
G. Moignet, Systématique, p. 81.
39
G. Moignet, Ibid., p. 69. Voir encore G. Guillaume, Principes de linguistique
théorique, p. 169.
40
G. Moignet, Systématique de la langue française. p. 80.
41
K. Mantchev. Morphologie, p. 152.
42
G. Guillaume, Leçons de linguistique, Série A, p. 100.
43
Ibid, p. 119.
44
G. Moignet, Systématique de la langue française, p. 62.
17
K. Mantchev, A. Tchaouchev, A. Vassileva. Op. cit.,
p. 104
46
P. Imbs. Op. cit., p. 194.
47
K. Mantchev. Morphologie française, p. 116.
48
G. Guillaume. Principes de linguistique théorique. p. 207.
49
G. Moignet. Systématique de la langue française, p. 57.
50
Ibid., p. 15-16.
51
K. Mantchev, Morphologie française, p. 404.
52
K. Mantchev, A. Tchaouchev, A. Vassiléva. Op. cit., p. 314. Voir encore E.
Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris, 1966 où l’auteur rappelle qu’on peut
utiliser la 2e personne hors de l’allocution et la faire entrer dans une variété d’impersonnel (On
ne peut se promener sans que quelqu’un vous aborde)… En mainte langue tu (vous) sert de
substitut à on: Memoria minuitur nisi eam exerceas (lat.). p. 232.
53
K. Mantchev, A. Tchaouchev, A. Vassiléva, op. cit. p. 314.
54
E. Bordas. L’inscription du narrataire dans Le lys dans la vallée, in L’Information
grammaticale, N° 59, Paris, 1993, p.47.
G. Moignet. Le pronom personnel français. Paris, 1965, pp. 25-26.
55
E. Benveniste. Problèmes de linguistique générale, p. 231.
56
G. Guillaume. Langage et science du langage, p. 74-75.
57
G. Moignet. Systématique de la langue française, p.14. Voir encore J. Picoche,
Polysémie n’est pas ambiguпté, in Cahiers de praxématique, N° 12, Montpellier, 1989, p.75-90.
58
L. Hjelmslev, Essais linguistiques, Les Editions de Minuit, 1971, p. 174.
59
Grand Larousse Encyclopédique, 1960.
60
G. Moignet, Verbe unipersonnel et voix verbale, Travaux de linguistique et de
littérature, 1971, p. 274-275.
61
G. Moignet, Incidence et attribut du complément d’objet. Travaux de linguistique et de
littérature, Strasbourg, 1975, p. 259.
62
L. Hjelmslev, Essais de linguistique, p. 206.
63
G. Moignet, La suppléance du verbe en français, in Etudes de psycho-systématique
française, Paris, 1974, p. 19. Voir encore G. Moignet, La suppléance du verbe en français. Le
Français moderne, janvier, 1960, p. 13-24.
64
Voir à ce sujet: G. Gross, Trois applications de la notion de verbe support.
L’Information grammaticale, N° 59, Paris, 1993, pp. 16-22. R. Vivès, La prédication nominale et
l’analyse par verbe support. L’Information grammaticale, N° 59, p. 8-15.
65
L. Tesnière, Eléments de syntaxe structurale, p. 397.
66
G. Guillaume. Théorie des auxiliaires et examen des faits connexes, in Langage et
science du langage; p.
67
E. Benveniste. Problèmes de linguistique générale, p. 198. Voir encore H. G. Sghogt.
Les auxiliaires en français. La linguistique, PUF, Paris, 1968, 2, p. 5-19.
68
G. Guillaume. Leçons de linguistique. Structure sémiologique et structure psychique de
la langue française, p. 146.
69
K. Mantchev. Morphologie française. p. 163.
70
Pour plus de détails voir D. Bouchard, Primitifs, métaphore et grammaire: les divers
emplois de venir et aller. Langue française, N° 100, déc. 1993, p. 49-66.
71
J. Vendryes. Choix d’études linguistiques et celtiques. Paris, 1952, p.106.
72
Стîянîâ, Грàмàтèêà нà бългàрсêèя êнèжîâен еçèê. Сîôèя, 1964. с. 365-366.
73
Ibid., p. 376.
45
K. Mantchev, Morphologie française, p. 289-290.
G. Moignet, Existe-t-il en français une proposition infinitive, in Grammaire générative,
transformationnelle et psychomécanique du langage. Université de Lille, 1973, p. 125.
76
G. Guillaume, Immanence et transcendance dans la catégorie du vebre, Journal de
psychologie, 1933, p. 48.
76
L. Bougault dans son article “Place de l’épithète en emploi poétique”, L’Information
garmmaticale, N°70, p. 43-47, présente une synthèse des valeurs de la postposition et de
l’antéposition des adjectifs selon les linguistes français les plus connus tels que Damourette et
Pichon, J. Marouzeau, Ch.Bally, F. Brunot, L. Tesnière, G. Guillaume, G. Moignet, etc.
77
L. Tesnière, Eléments de syntaxe structurale, p. 149.
78
G. Moignet, Systématique de la langue française, p. 46.
79
Ibid., p. 47.
80
E. Benveniste, Mécanisme de transposition, Cahiers de Ferdinand de Saussure, Genève,
1969, N 25, p. 52.
81
J. Cohen. Structure du langage poétique. Paris, 1966, pp. 178-180.
82
A. Blinkenberg. L’ordre des mots en français moderne. Copenhague, 1928, t. 2, p. 100101.
83
Âж. П.Хрèстîâ. Рèтъмът прè стèхîтâîрнèя преâîд. Â.Търнîâî, 1995, с. 132-137.
84
G. Moignet, Systématique de la langue française, p. 45.
85
Voir à ce sujet l’article de G. Moignet L’incidence de l’adverbe et l’adverbialisation de
l’adjectif. Travaux de linguistique et de littérature, Strasbourg, 1963, p. 175-194, auquel nous
empruntons les exemples qui servent de base à notre commentaire.
86
K. Mantchev, A. Tchaouchev, A. Vassiléva, op. cit., pp. 289. Les exemples d’A.
Boudard sont empruntés au Traité de morpho-syntaxe française.
87
P. Christov, Etudes de linguistique comparée, V. Tirnovo, 1982, p. 42-43.
88
G. Moignet, Incidence de l’adverbe et l’adverbialisation de l’adjectif, p.177.
89
Ibid.b p. 178-179.
90
K. Mantchev, A. Tchaouchev, A. Vassiléva. Op. cit., p. 35.
91
J.-M. Adam. Du renforcement de l’assertion à la concession: Variations d’emploi de
certes. L’Information grammaticale, N° 73, p. 3-10.
92
Ibid., p. 3.
93
Ibid. p. 4.
74
75
CHAPITRE IV
LES TRANSPOSITIONS AU NIVEAU DE LA PHRASE
Les transpositions syntagmatiques examinées au chapitre précédent se situent à un stade
intermédiaire entre la dérivation (au niveau de la langue comme système) et la phrase (qui se
réalise au niveau du discours). Elles consistent, comme il a déjà été souligné, dans le passage
d’un mot (prédicatif ou non) en un autre en vue de son inclusion à un niveau plus avancé - dans
la phrase simple. Les transpositions au niveau de la phrase ont pour objet, le plus souvent, une
phrase simple. On peut en distinguer quatre sortes selon le résultat auquel elles aboutissent.
1. Quand la transposition a lieu dans le cadre du syntagme verbal et vise la
complexification de l’expression du prédicat, la phrase simple conserve son statut. Il s’agit de cas
comme Pierre danse bien- Pierre est un bon danseur ou Jean examine les problèmes en détailsJean fait un examen détaillé des problèmes qui posent au moins trois questions de base: a) Quel
est le verbe fondamental qui sert de noyau formel de la locution verbale et avec laquelle de ses
valeurs se réalise la transposition? b) Comment est obtenu le dérivé nominal qui est porteur du
contenu sémantique? c) Comment se réalise la détermination du procès?
2. Quand la transposition aboutit à un syntagme, elle s’appuie sur les transpositions
syntagmatiques nominalisantes qui visent d’éliminer le verbe en vue de transformer la phrase
simple en terme d’une autre phrase. C’est, par exemple, le cas de Marie est absente. J’en suis
désolé. - L’absence de Marie me désole.
3. La transposition a pour objet un syntagme nominal et aboutit à une proposition simple:
l’absence de Marie - Marie est absente.
4. Quand la transposition a pour résultat la soumission d’une phrase à une autre (la dernière
prend le statut de principale), le changement se réalise au moyen des translateurs phrastiques
appelés traditionnellement conjonctions. Ainsi, de Marie est absente. J’en suis désolé on
obtiendra: Je suis désolé que Marie soit absente.
Les deux premiers types de transposition passent par des étapes transpositionnelles qui se
réalisent aux niveaux précédents:
- dérivationnel (danser - danseur, examiner - examen, bien - bon, en détails - détaillé,
absent - absence);
- fonctionnel (le substantif Marie de sujet devient complément de nom);
- personnel (le pronom sujet je devient complément d’objet me);
- diathétique (le passif je suis désolé est remplacé par l’actif l’absence me désole).
Ces changements se réalisent dans le cadre du syntagme et sont motivés par le besoin de
donner une nouvelle expression du contenu.
Le dernier type de transposition conserve les propositions en tant que telles, mais, par le
recours à une conjonction de subordination, apporte des changements dans leur statut en
établissant un rapport hiérarchique, ce qui provoque, en outre, des variations formelles dans le
verbe qui peuvent affecter le temps, le mode, la personne, etc. Puisque dans ce cas les
conjonctions de subordination jouent le rôle de translateurs, elles méritent une attention
particulière. Nous partageons les réserves de G. Moignet “qu’on peut penser… que le terme de
conjonction est surtout approprié aux faits de coordination et qu’un terme meilleur pourrait
s’appliquer aux éléments linguistiques censés subordonner”1 . Dans l’optique transpositionnelle le
problème ne se pose pas, puisque nous avons adopté le terme de translateur qui convient aux
seules conjonctions de subordination et n’est pas applicable dans les cas de coordination. Les
translateurs au niveau de la phrase complexe (les conjonctions de subordination) sont des ”mots
ayant la propriété d’incorporer en eux une matière notionnelle déjà élaborée en discours sous la
forme d’une phrase, la propriété nominalisatrice”2 . Le mécansime de la subordination consiste
dans une transposition fonctionnelle d’une indépendante, qui conserve son statut de phrase, en
terme d’une autre phrase. “La transposition est un arrangement de discours par lequel une phrase
peut être intégrée à une autre phrase; le fait de langue consiste dans la capacité que possèdent
certains mots grammaticaux d’incorporer à leur sémantèse propre la matière sémantique d’un
énoncé phrastique”3 . Les conjonctions de subordination ne sont pas les seules à posséder cette
capacité. “Elle existe dans certains pronoms, comme qui, que, quoi, dont, et dans certains
adverbes: où, comment, combien, comme, quand. Elle appartient également au mot si, au moins à
un certain stade de ses possibilités sémantiques. Ces mots ont la popriété de pouvoir incorporer
dans leur sémantèse la substance sémantique d’une phrase nominalisée, qui peut être gardée
comme telle et constituer un énoncé indépendant (c’est le cas, par exemple, des phrases
interrogatives directes que la plupart de ces termes peuvent introduire), ou qui peut être mise dans
une phrase d’accueil et devenir ainsi une subordonnée: interrogative indirecte, relative,
complétive ou circonstancielle”4 . La subordination dont il est question est de caractère formel et
n’implique pas nécessairement une hiérarchie sémantique. Très souvent le fait exprimé dans la
subordonnée a une plus grande charge sémantique que celui de la principale.
Il y a lieu de faire un parallèle entre les prépositions et les conjonctions de subordination en
tant que translateurs qui interviennent à des niveaux différents. Les transpositions au moyen
d’une préposition réalisent une adjectivation ou une adverbialisation de l’objet qu’elles visent.
Les conjonctions de subordination, y compris les relatifs, conduisent à une nominalisation de la
phrase et la subordonnée qu’on obtient se comporte comme un nom au sens large. “La
conjonction opère au niveau du discours organisé en phrases. Ce sont des énoncés phrastiques
que la conjonction met en rapport. Comme le système de l’incidence opérant en langue ne
fonctionne pas au niveau de la phrase, la conjonction établit une sorte d’incidence de discours,
d’énoncé à énoncé, grâce à la faculté nominalisatrice qu’elle possède, qui permet la création de
noms de discours”5 . Nous aimerions revenir sur le rôle translateur des prépositions et des
conjonctions pour établir des similitudes là où d’autres chercheurs, et pour cause, cherchent des
différences. Prenons les deux séries d’exemples suivantes:
M. X. écrit la lettre après avoir rencontré son fils.
M.X. écrit la lettre après qu’il a rencontré son fils.
M. X. écrit la lettre après la rencontre avec son fils.
M. X. écrit la lettre après.
M. X. écrit la lettre avant de rencontrer son fils.
M. X. écrit la lettre avant qu’il rencontre son fils.
M. X. écrit la lettre avant la rencontre avec son fils.
M. X. écrit la lettre avant.
Les deux éléments de jonction avant (de, que) et après (que) se réalisent différemment
selon le contexte. Avant et après s’emploient absolument, comme adverbes, quand le support à
droite est supprimé, mais ce n’est possible que si ce support est déjà mentionné (il s’agit donc
d’une ellipse). C’est le contexte qui empêche avant et après de se réaliser comme prépositions ils perdent leur rôle relationnel et ne gardent que leur matière lexicale - suffisante pour en faire
des adverbes. Ipso facto se voit interdit leur rôle translateur, l’objet de la transposition étant
absent.
La présence d’un tel objet rétablit la fonction translative de ces mots, mais selon la nature
de l’objet de la transposition le translateur présente des variantes. Quand elle a comme objet un
substantif la construction est immédiate: Avant / après la rencontre. Quand l’objet de la
transposition est un infinitif (avec ou sans expansion) il se présente deux cas:
a) La construction reste immédiate comme avec un substantif: après avoir rencontré (le fait
qu’on emploie un infinitif composé ne change rien). Citons encore d’autres constructions
parallèles du même type: Il est venu pour rencontrer son frère (pour la rencontre avec son frère);
Il tient beaucoup à renconter son frère (à la rencontre avec son frère). Il s’en suit donc que seul
l’objet de la transposition change; le translateur reste le même et réalise tout naturellement sa
fonction. Ce fait prouve, une fois de plus, quoique indirectement, que l’infinitif est assimilable à
un substantif.
b) Dans d’autres cas la préposition qui régit un substantif s’avère inapte à assurer une
rection directe avec l’infinitif. C’est alors qu’apparaît de qui a pour rôle d’établir une incidence:
avant de. Il y a, par conséquent, des mots de jonction qui n’arrivent pas toujours à réaliser leur
fonction relationnelle. Au besoin, ils ont recours à un élément relationnel supplementaire (de
contenu infiniment réduit, tels de ou à) pour former avec lui un translateur composé. Précisons
que de n’apporte au premier élément qu’un supplément relationnel, nécessaire à la construction
avec un infinitif, tout comme que apporte un supplément relationnel pour la construction avec
un verbe personnel dans le cadre d’une subordonnée.
Il en va de même quand le translateur repose sur un élément nominal: de peur de, de peur
que; afin de, afin que; de manière à, de manière que, etc. Il est plus qu’évident que l’élément
nominal est complètement dépourvu de son statut formel - le cas de afin le prouve
incontestablement. Nous sommes, là encore, en présence d’une double transposition. La première
préposition a pour but de sortir l’élément nominal de son assiette formelle et d’en faire un
élément relationnel dont le contenu est assez concret et repose sur le contenu du substantif de
départ - c’est donc la première transposition. Le deuxième relateur (de ou que) accommode en
quelque sorte le translateur partiellement obtenu à l’objet qui va suivre. C’est ainsi que s’achève
la construction définitive de ce type de translateurs qui peuvent déjà exercer leur activité sur la
construction infinitive ou sur la phrase simple pour leur faire prendre la position de terme de
phrase.
Comme on vient de le voir, quoique d’une façon sommaire, les transpositions au niveau de
la phrase s’appuient sur des mécanismes de pensée assez complexes et c’est pour cette raison
qu’elles sont pratiquées surtout dans la langue écrite. “Autant le langage écrit se sert de la
subordination, autant la langue parlée pratique la juxtaposition. On n’use pas, en parlant, des liens
grammaticaux qui enserrent la pensée et donnent à la phrase l’allure d’un syllogisme. La langue
parlée est souple et agile; elle marque le lien des propositions entre elles par des indications
brèves et simples; en français des conjonctions comme et ou mais suffisent en général à cet
emploi”6 . Et puisque dans l’expression orale tout ne peut pas être dit en phrases simples, le
langage parlé recourt à une simplification extrême au moyen de la conjonction que qui assume
l’expression d’un grand nombre de rapports: “Au lieu de L’homme dont je connais la fille, Le
pauvre à qui je fais l’aumone, Le patron pour lequel je travaille, on dira L’homme que je
connais sa fille, Le pauvre que je lui fais l’aumone, Le patron que je travaille pour lui”7 .
Le fait que certaines transpositions se réalisent par l’intermédiaire d’une substitution
nécessite une démarcation bien nette entre les deux phénomènes, tout en soulignant ce qu’ils ont
de commun. Dans un exemple comme Jean est arrivé. Je le sais., comparé à Je sais que Jean est
arrivé., on est en présence de deux faits de nominalisation - par le pronom le et par la
conjonction que. Mais le réalise une nominalisation intégrale, une substitution parfaite, il
englobe toute la matière notionnelle, occasionnellement - dans le seul fait de discours. “Substituer
une forme de pensée à la dénomination d’une sémantèse, c’est quitter la prédication, c’est faire
un pronom, qui ne mentionne les êtres qu’allusivement”8 . Le substitut est donc une forme ayant
son rang personnel ou fonctionnel qui condense la prédication et a le même régime d’incidence
que le nom9 . La nominalisation effectuée par que est d’un autre caractère. Il serait plus juste de
dire que que est un nominalisateur fonctionnel, ou, dans la perspective transpositionnelle - un
translateur fonctionnel. Il n’est pas exagéré de comparer le nominalisateur que au niveau de la
phrase avec le nominalisateur le au niveau du mot : que nominalise une phrase simple et la
transpose en terme d’une autre phrase (Qu’il ait réussi me remplit de joie.) tout comme le
nominalise un adjectif et lui communique une fonction nominale (Le beau me remplit de joie).
D’un autre côté, s’il est vrai qu’une subordonnée relative joue le rôle de complément de nom
(L’annonce qu’il m’a transmise), on peut faire un parallèle entre celui-ci et un complément de
verbe (J’annonce qu’il doit partir). Ne peut-on affirmer que le translateur est le même, seulement
ses réalisations sont différentes à cause de la différence dans le contexte10 .
Les quatre types de transpositions au niveau de la phrase reposent sur des mécanismes
différents et l’examen de ceux-ci peut nous permettre de pénétrer dans les modèles respectifs au
niveau formel ainsi qu’au niveau sémantique. C’est ce qui fera l’objet des pages qui suivent.
A. Transpositions dans le cadre du syntagme verbal. Ces transpositions conservent le
statut de la phrase simple. Elles ont pour objet le prédicat de la phrase et consistent dans
l’introduction d’un verbe fondamental qui sert de support formel au substantif obtenu par
dérivation dont le contenu est soustrait à la matière verbale de départ. C’est à ce problème qu’E.
Benveniste consacre son article Mécanismes de transposition11 et encore au commencement, pour
bien mettrre en vue la spécificité d’une phrase obtenue par transposition, il compare Pierre est un
bon marcheur, qui est la transposition de Pierre marche bien, avec Pierre est un célèbre écrivain
et souligne qu“un célèbre écrivain conjugue deux qualités: il est célèbre et il est écrivain. Mais
on ne peut dire d’un bon marcheur qu’il est bon et qu’il est marcheur…Un célèbre écrivain est
un écrivain, tandis qu’un bon marcheur n’est pas un marcheur; ce terme ne peut s’employer seul.
Un bon marcheur c’est la transposition de qui marche bien. L’adjectif bon est ici un adverbe
transposé, non un adjectif de fonction primaire, et, marcheur est ici un prédicat verbal transposé,
non un substantif de fonction primaire…Bon qualifie, sous le déguisement nominal,
l’accomplissement d’un acte”12 .
Les mécanismes des transpositions qui nous intéressent dépendent, d’abord, du contenu du
verbe de départ, et puis, des autres constituants du syntagme verbal. Signalons quelques modèles
des plus fréquents:
1. La construction possessive est transposée en construction attributive. On y observe
deux types de transformations. Le premier présente le procès du verbe avoir comme inversion du
procès du verbe être. La transposition est obtenue par le recours à la construction attributive qui
inverse l’ordre Sujet - Objet: Elle a les yeux noirs - Ses yeux sont noirs. On constate, à la suite de
cette transposition, un changement actantiel, une transposition fonctionnelle. Notons qu’ici la
transposition affecte les limites d’un procès très général qui consiste dans le rapport entre les
deux actants - le sujet et l’objet. Le verbe employé explicite ce rapport d’une façon plutôt
formelle. Le cas du russe où dans ces deux types de constructions le verbe est omis (Егî глàçà
черные - У негî черные глàçà) est bien significatif.
La transposition de la construction possessive en construction attributive peut avoir lieu
sans inversion des deux limites du procès. La neutralisation de l’idée possessive conduit à l’idée
attributive dans des cas comme avoir faim - être affamé; avoir soif - être assoiffé, où les
constituants faim et soif se présentent comme objet d’une adjectivation. C’est aussi possible
quand l’objet du verbe avoir est un nom déverbal dont le contenu est orienté vers le sujet.
Devenant objet d’un procès, le sujet est vu comme passif et sa passivité peut être traduite par la
construction attributive fondée sur le participe passé passif:
Michel a une assurance - Michel est assuré.
Il eut une consolation - Il fut consolé.
Le mécanisme est identique quand l’objet de la possession est un substantif désignant le
moyen dont on se sert pour réaliser le procès. Le même substantif peut servir de base à un dérivé
verbal dont le participe passé entre, à la suite de la transposition, dans une construction attributive
: il a une arme - il est armé; la porte a un cadenas - la porte est cadenassée; la lettre porte un
cachet - la lettre est cachetée (ici la subduction du verbe porter (= avoir) est à prendre en
considération.
2. Transposition d’une idée d’action en une idée fondamentale rendue par être, avoir ou
faire.
a) La transposition se réalise par le recours à la construction attributive. Rappelons que “le
complément notionnel de la copule est un élément nominal ressortissant à l’espace (substantif,
adjectif, adverbe). Celui de l’auxiliaire est un élément verbal ressortissant au temps”13 . Le verbe
copule prend pour attribut un nom d’agent qui dérive du sens du verbe de base ou un adjectif du
même sens: Il travaille beaucoup - C’est un rude travailleur; M. X. se tut - M. X. demeura
silencieux. Le mécanisme de ce genre de transposition a été élucidé plus haut. Ajoutons encore
qu’elle se réalise quand la détermination est positive (en bonne part) et qu’elle s’avère plutôt
impossible quand on qualifie en mauvaise part. Il mange peu ne peut fournir c’est un petit
mangeur. Mais, en face de Il cause mal on peut avoir C’est un pauvre causeur14 . Il y a,
cependant, une autre voie pour obtenir une transposition - c’est la transformation négative: Je m’y
connais peu - Je ne suis pas un grand connaisseur15 .
La transposition du verbe en substantif entraîne la transposition du complément du verbe
en complément de nom: Servir Dieu - Être un serviteur de Dieu.
Un cas intéressant de transposition attributive nous est fourni quand le prédicat est
construit selon la formule pouvoir + infinitif à la forme pronominale et à valeur passive du type:
Cela peut se faire qui a comme variante la réécriture passive Cela peut être fait. La transposition
n’est possiblle que si le verbe fournit un adjectif en -able, -ible impliquant la modalité
puissantielle passive: buvable, mangeable, lisible: Le vin peut se boire - Le vin est buvable.
b) La transposition se réalise par le recours à la construction locative du verbe être:
Chercher une solution - Être à la recherche d’une solution; Prier - Être en prière. L’emploi des
prépositions (translateurs) dans les cas ci-dessus est significatif: à marque l’orientation vers
quelque chose, l’extériorisation, tandis que en intériorise et le dérivé passe pour subjectif. Le
substantif déverbal désigne une action et c’est dans celle-ci que le sujet se manifeste.
c)La transposition se réalise par le recours à l’idée possessive- le procès se présente
comme objet d’une possession. Il est bien évident que ces transpositions dépendent des capacités
dérivationnelles du verbe de base. Au verbe aimer, par exemple, correspondent amateur et
amour, le premier pouvant se construire comme attribut du verbe être, le deuxième - comme
complément d’objet du verbe avoir. Ainsi, une phrase de départ comme Aimer beaucoup la
musique peut souffrir deux transpositions: Être un grand amateur de la musique et Avoir un
grand amour pour la musique.
d) La transposition se réalise à la base de l’idée de faire.
Le mécanisme de la transposition dépend du rapport actantiel que le procès établit entre
ses limites, et de l’orientation de ce rapport- du sujet vers l’objet ou de l’objet vers le sujet.
Quand le rapport est vu sous diathèse active, l’accent est mis sur l’idée factitive - le sujet
provoque quelque chose à destination du complément d’attribution. Le verbe fondamental auquel
on a recours c’est faire. Quand, au contraire, le rapport est vu en sens inverse, sous diathèse
passive, l’objet, en tant que patient, reçoit le procès et on utilise le verbe avoir. L’automne
chagrine Marie peut fournir deux lectures transpositionnelles: L’automne fait (cause) du chagrin
à Marie et Marie a (éprouve) du chagrin à cause de l’automne. Comme on vient de le voir, le
verbe fondamental peut être remplacé par un verbe de perception à charge sémantique plus
grande. Cf. encore: se réjouir- éprouver de la joie.
La transposition peut dépendre encore de la structure sémantique du verbe parce que, très
souvent, la transposition se présente comme explicitation de cette structure. Le verbe enterrer,
par exemple, qui est un dérivé parasynthétique, se laisse décomposer en porter (mettre) en terre.
Le verbe regarder dont le procès se nominalise par une dérivation régressive se prête à une
transposition au moyen de verbes tels que jeter, promener: Il regarda autour de lui- Il jeta un
regard (il promena son regard) autour de lui.
B. La transposition consiste dans la réduction d’une phrase simple par élimination du
prédicat. Ce type de transposition vise d’inclure la phrase ainsi réduite dans le cadre d’une autre
phrase. Les modèles selon lesquels se réalise cette réduction dépendent de la nature du procès
dans la phrase de départ. A la base de l’idéogénèse, on peut prendre comme base les trois
constructions fondamentales: la construction du verbe être avec un adjectif comme attribut, la
construction du verbe avoir avec un substantif comme objet de possession et la construction
transitive du verbe faire.
1. La phrase de départ se ramène à une construction attributive. La transposition passe par
quatre étapes: a) nominalisation (dérivationnelle) de l’adjectif; b) suppression du verbe copule;
c) adjectivation du substantif sujet; d) inversion de l’incidence. Dans ce cas on peut considérer
comme objet de transposition la phrase minimale attributive, et comme translateur - l’élimination
de la prédication qui entraîne les changements ci-dessus. Cette transposition a son fondement
sémantique qui consiste dans la mise en valeur de la qualité, dans sa “chosification”. C’est par sa
qualité que la matière nominale obtient son droit de cité dans la phrase. Il s’agit de cas comme Le
problème est important. C’est évident. - L’importance du problème est évidente; Jean est
intelligent. Cela me console. - L’intelligence de Jean me console. L’inversion de l’incidence
(l’adjectif important qui, dans la phrase de départ, est incident au substantif problèmes par
l’intermédiaire de la copule, fournit le substantif importance lequel devient à son tour un
déterminé dont le déterminant - du problème - est obtenu par transposition syntagmatique) est
appelée par L. Tesnière “renversement sémantique des noeuds en connexion verticale”16 . La
construction de + substantif peut être remplacée par un adjectif possessif: l’intelligence de Jean son intelligence.
Dans sa Grammaire structurale du français. La phrase et les transformations J. Dubois
prend la phrase Je crois que Pierre est malade et présente sa transposition Je crois Pierre
malade comme une transformation complétive avec effacement du verbe être. Les changements
qui se produisent sont plus compliqués qu’ils ne paraissent. D’abord, il est inexact de considérer
cette transformation comme complétive. Si la subordonnée que Pierre est malade est une
complétive, elle constitue, en tant que telle, l’objet de la transposition, et la qualification
complétive ne devrait pas s’appliquer à la transposition qui s’en suit. L’effacement de la copule
s’explique par le fait que le verbe croire change de construction : de transitif direct il devient
attributif - pour introduire un attribut se rapportant au complément d’objet Pierre. Ce type de
transposition est possible encore quand on a comme attribut le participe passé d’un verbe
intransitif sous diathèse active (Je crois qu’il est parti - Je le crois parti) ou le participe passé
d’un verbe transitif direct sous diathèse passive (Je crois qu’il est puni - Je le crois puni).
2. Quand la transposition a pour objet la construction possessive du verbe avoir, l’inversion
dans le régime d’incidence entraîne la chute du verbe de possession et son remplacement par la
préposition de: Jean a une voiture - La voiture de Jean. S’il est vrai que la préposition est un
verbe condensé17 , le parallèle entre le verbe avoir et la préposition de fait ressortir la différrence
dans l’orientation du procès: pour le verbe avoir - du possesseur à l’objet possédé, et pour la
préposition de - de l’objet possédé au possesseur. Cette transposition peut avoir lieu dans le cas
où l’on veut réduire la phrase complexe à subordonnée relative au statut de phrase simple: Paul a
un chapeau qui me plaît beaucoup - Le chapeau de Paul me plaît beaucoup.
3. Quand la transposition a pour objet une phrase dont le contenu verbal est assimilable à
l’idée de faire, elle commence par la nominalisation du verbe. Deux sont dans ce cas les voies à
suivre: soit le recours à l’infinitif (On rédige une lettre. C’est une chose bien simple. - Rédiger
une lettre est une chose bien simple.), soit le recours à un substantif déverbal obtenu par
dérivation (La rédaction d’une lettre est une chose bien simple).
Le recourt à un infinitif, qui n’apporte pas de changements dans la rection, consiste dans
la substitution d’une forme nominale à une forme personnelle et temporelle. L’objet du verbe
personnel se conserve comme objet de l’infinitif. L’essentiel c’est la suppression de la
prédicativité en vue d’insérer le syntagme nominal dans un autre énoncé comme sujet (On a
conclu un traité. C’était indispensable. - Conclure un traité était indispensable) ou comme objet
(On a conclu un traité. Je l’avais bien prévu. - J’avais bien prévu de conclure un traité).
Un cas particulier de nominalisation du prédicat par le recours à l’infinitif présente la
proposition dite infinitive: Je vois que Pierre vient - Je le vois venir.
Le recours à un substantif déverbal apporte des changements dans le régime d’incidence.
Si le contenu verbal se ramène à un procès ayant ses deux limites (sujet et objet) bien distinctes,
selon que le procès implique ou non une résultativité, la transposition peut suivre deux modèles.
Si le procès est résultatif, c’est-à-dire si son objet se présente comme résultant de l’activité
respective, la nominalisation de l’idée verbale fournit un syntagme où l’on a comme déterminé le
substantif déverbal et comme déterminant - le nom désignant le résultat du procès: On construit
un immeuble - La construction d’un immeuble. On refera les routes - La réfection des routes. Si,
au contraire, le procès n’est pas résultatif, il ne peut avoir pour appui que sa source, le déterminé
(le substantif déverbal) trouvera sa détermination dans le sujet d’où il découle. Michel aime le
théâtre - L’amour de Michel pour le théâtr; Jacqueline hait la vantardise - La haine de
Jacqueline pour la vantardise.
C. Transposition d’un syntagme nominal en une phrase
La transposition d’un syntagme en une phrase se fait, comme on l’a déjà dit, en sens inverse
de la réduction de la phrase simple. Il est important de préciser de quel type de syntagme il est
question, quels sont les mécanismes de la transposition et quel est le contenu prédicatif des
phrases obtenues. Il est normal de prévoir que le syntagme de départ doit être nominal car il est le
seul à prévoir le rapport Sujet - objet. D’un autre côté, ce syntagme doit impliquer une idée
verbale condensée pour être développé en une unité prédicative. On se rappelle que c’est la
préposition de qui est en mesure de condenser des contenus prédicatifs réductibles aux idées
verbales fondamentales - d’attribution, de possession et d’action.
Pour qu’un syntagme nominal se prête à une transposition aboutissant à une phrase
attributive, il doit exprimer une qualité sous forme nominale ( par exemple: la gentillesse du
garçon) ou sous forme adjectivale (Un garçon gentil). Dans le premier cas (la gentillesse du
garçon) il y a une différence évidente entre déterminé et déterminant formel, d’un côté, et
déterminé et déterminant notionnel, de l’autre. Gentillesse est le déterminé formel, mais en
réalité c’est un déterminant notionnel; inversement, garçon est le terme syntaxiquement
subordonné, mais au niveau sémantique c’est un déterminé. Si, en français, on considère comme
normal (sémantiquement et syntaxiquement) l’ordre déterminé - déterminant que l’on retrouve
dans un garçon gentil, il faut attribuer au translateur de dans la gentillesse du garçon le rôle
d’inverseur de détermination par la thématisation de la qualité. Ce n’est qu’après la transposition
du syntagme en phrase que l’ordre dit normal se verra rétabli: Le garçon est gentil.
Quand le syntagme nominal implique l’idée de possession condensée dans la préposition de
(la maison de Paul), cette idée se retrouve développée dans la phrase simple par le recours au
verbe avoir: Paul a une maison.
La thématisation de l’idée d’action aboutit (comme on l’a vu plus haut) à un syntagme
nominal construit sur la préposition de. Quand le déterminant se présente comme objet du
procès, la transposition, en sens inverse, peut se réaliser suivant trois modèles diathétiques de
verbalisation: on + verbe + complément; nom + forme réfléchie du verbe; nom + forme
passive du verbe. Ainsi, la construction des immeubles fournira: On construit des immeubles;
Les immeubles se construisent; Les immeubles sont construits. Quand le déterminant se présente,
par rapport au procès implicite, comme un sujet logique, celui-ci se voit thématisé: L’amour de
Michel pour Hélène - Michel aime Hélène.
Les idées d’attribution, de possession et d’action ne sont pas les seules qui se dégagent
d’un syntagme nominal et qui peuvent se prêter à un développement phrastique. L’idée
circonstanciellle (de provenance) dans le train de Paris peut être rendue, à la suite d’une
transposition phrastique, par une subordonnée relative où la prédicativité s’explicite par un verbe
de mouvement: le train qui vient (qui est parti) de Paris. La valeur de la préposition à qui peut,
elle aussi, établir une relation internominale de détermination (la jeune fille au parapluie), se voit
prédicativée au moyen de verbes tels que porter ou tenir: La jeune fille qui porte (qui tient) un
parapluie.
D.Les transpositions au niveau de la phrase complexe.
L’analyse de ce type de transpositions doit prendre en considération les trois éléments
concernés, à savoir : l’objet de la transposition, le translateur et le résultat auquel la transposition
aboutit. On peut poser, d’une façon générale, que les différents types de transposition ont toujours
pour objet une proposition simple, mais le point de vue varie selon le but qui est visé, c’est-à-dire
selon le type de subordonnée qu’on veut obtenir. C’est de cela que dépend aussi la nature du
translateur - le mot conjonctif auquel on a recours. Il importe donc de bien fixer le point de vue à
partir duquel seront examinées les propositions subordonnées afin de mieux cerner les
transpositions respectives.
Le classement des propositions subordonnées est fondé sur leur assimilation soit aux
classes de mots prédicatives, soit à leur fonction, ce qui entraîne une confusion terminologique.
K. Mantchev qui se rend bien compte de la contradiction inhérente à cette assimilation, propose
d’appeler la proposition complétive proposition-mot, la proposition relative - proposition
syntagme et la proposition circonstancielle - proposition-phrase. “On peut considérer que les
propositions subordonnées reproduisent de façon spécifique les trois principales unités
linguistiques relevant du niveau des ensembles - le mot, le syntagme et la phrase. La propositionmot se comporte comme un substantif, celui-ci étant à son niveau propre le mot véritable, à la
différence du verbe qui est une phrase en puissance et des mots prédicatifs subordonnés l’adjectif et l’adverbe. La proposition relative renvoie à une phrase implicite, c’est-à-dire à un
syntagme. (…) La proposition-phrase procède, au contraire, d’une phrase réelle. On peut
conclure de ce qui vient d’être dit que le lien des trois espèces de propositions subordonnées à la
principale est différent. Il est le plus fort dans le premier cas, où la proposition-mot est impliquée
par le sens du verbe de la proposition principale, il est le plus lâche dans le troisième cas où il
s’agit d’une détermination extérieure. Dans le deuxième cas il s’agit d’un degré moyen, la
proposition subordonnée pouvant être facultative ou obligatoire suivant le sens”18 . Ce qui est
important pour nous, c’est que dans les trois cas nous avons affaire à des transpositions qui se
réalisent par des translateurs respectifs, capables “d’incorporer à leur sémantèse propre la matière
sémantique d’un énoncé phrastique”19 .
1.Transposition qui aboutit à une proposition-mot20 (proposition substantive)
Le contenu d’une proposition simple peut être présenté comme objet d’une énonciation.
Dans ce cas la transposition aura deux voies à suivre selon la nature de l’énonciation dans la
proposition qui prendra le rang de principale et dans celle qui aura le statut de subordonnée. Entre
les deux s’établit une homogénéité tout à fait logique, à savoir qu’à une assertion dans la
principale correspond une assertion dans la subordonnée et, respectivement, à une interrogation
(directe) dans la principale - une interrogation indirecte dans la subordonnée. Les transpositions
qui peuvent avoir lieu dans le premier cas peuvent être appelées assertives, et les autres
transpositions - interrogatives. Il y a deux questions qui se posent dès le dèbut: 1. Quelle est la
motivation des deux types de transpositions? 2. Quel est le schéma selon lequel elles se réalisent?
La réponse à la première question peut être donnée encore au commencement. La
transposition assertive a pour motif la mise en relief du fait qui est posé, celui-ci étant objet d’une
perception ou d’une intellection. L’accent d’insistance peut tomber sur le verbe de la principale
ou sur un des éléments de la subordonnée. Je sais que Pierre a écrit une lettre peut vouloir dire:
Je sais, moi aussi, que Pierre a écrit une lettre ou encore Que Pierre ait écrit une lettre, je le
sais bien. La mise en relief se fait sentir encore mieux quand elle affecte un terme autre que le
prédicat: Je sais que Pierre (et non pas un autre) a écrit une lettre. Je sais que Pierre a écrit une
lettre (et non pas une carte postale). La mise en relief demande une intonation appropriée, un
accent d’insistance. On peut l’expliciter par la formule présentative c’est: Je sais que c’est Pierre
qui a écrit une lettre. Cette construction est assez lourde. Elle engage deux translateurs que et qui
plus la formule présentative c’est. La langue dispose d’un autre moyen, plus économique, et
obtient le même effet - par le recours à une simple pronominalisation, sans même nommer le
sujet: Je sais qui a écrit la lettre.
La transposition interrogative vise la complexification de l’énoncé par la mise en rapport
formel de deux unités phrastiques simples: Il demanda: “Est-ce que Pierre a écrit une lettre à sa
soeur?” - Il demanda si Pierre avait écrit une lettre à sa soeur.
Ayant en vue la différence entre les deux démarches, nous allons établir les modèles des
transpositions respectives.
Quand l’énonciation assertive porte sur le prédicat le contenu de la proposition de départ
se voit d’abord condensé dans que pour se développer ensuite dans une subordonnée. “Que,
pronom interrogatif ou relatif ou adverbe exclamatif ou comparatif, s’il est allégé de la
représentation d’un être ou de l’idée de degré, devient le signe d’une pure et simple position, la
conjonction que, capable de nominaliser une phrase et de la mettre sous le regard d’un verbe
régissant”21 . Dans ce cas de transposition J. Dubois parle de “nominalisation par que ou
nominalisation complétive”22 . Le nominalisateur “que est donc le résultat final d’une
désémantisation lexicale, parallèle à sa grammaticalisation de plus en plus avancée. Au point de
vue formel, fonctionnel, que nominalise l’énoncé suivant, en fait un substantif de discours qui,
suivant les cas d’emploi peut être sujet (thème), attribut, complément d’objet, etc.”23 . Nous
tenons à préciser que la transposition dans ce cas est purement fonctionnelle et que le terme de
nominalisation repose sur l’analogie qu’on fait, habituellement, entre les fonctions du substantif
par rapport au verbe de la phrase simple et celles de la subordonnée par rapport à la principale.
Si l’énonciation est interrogative, le contenu de la proposition se voit condensé dans si
pour se développer ensuite dans une subordonnée. “Si, adverbe de manière, puis adverbe
interrogatif (de l’interrogation indirecte), s’allège en conjonction porteuse de sens d’hypothèse,
capable de nominaliser en elle une phrase, qui devient protase de système hypothétique”24 .
Il y a lieu de faire un parallèle entre que et si qui ne servent qu’à traduire sous forme de
conjonctions ce qui est annoncé dès le verbe; que résume l’objet de l’assertion, si résume l’objet
de l’interrogation. G. Moignet considère comme fondamentale l’opposition entre que et si, car
“elle met en cause non seulement les points terminaux des systèmes génétiques de chacun des
deux termes, mais bien l’ensemble des deux cinèses qui forment proprement le sens de ces
mots”25 . “On est bien, ici, en présence d’un véritable système de langue, complet et clos, puisque
intégrant deux termes antagonistes aussi bien dans le plan formel que dans le plan notionnel:
identité formelle et opposition notionnelle”26 . Les deux conjonctions sont complémentaires dans
le cadre de la phrase complexe à subordonnée complétive. La parenté étroite entre que et si peut
être prouvée et par le fait que dans certains contextes une proposition interrogative introduite par
si peut prendre la place d’une complétive introduite par que: Et pensez s’ils doivent les connaître
(=qu’ils doivent les connaître)27 . En tant que translateurs, toutes les deux ont le même
comportement vis-à-vis de la subordonnée. Elles conservent l’ordre des termes tel quel. Mais
elles soumettent le verbe de la subordonnée aux règles de la concordance des temps et aux
changements de personne: Il m’a demandé: “Est-ce que tu as fait ton devoir? - Il m’a démandé
si j’avais fait mon devoir.
Si l’énonciation porte sur un terme autre que le prédicat, la transposition se réalise
différemment selon que ce terme est un nom animé ou non animé. Rappelons que les interrogatifs
traduisent justement l’opposition animé - non-animé parce que c’est par là que commence
l’identification (la fonction syntaxique ressort du contexte) et que les relatifs, au contraire,
portent leur fonction tandis que l’opposition animé - non-animé est traduite par le référent.
Si l’énonciation assertive porte l’accent sur un animé (sujet ou complément), la
transposition se réalise par la réduction de la construction emphatique et par la pronominalisation
du terme affecté au moyen du substitut qui:
Je vous dis que c’est Pierre qui a écrit la lettre - Je vous dis qui a écrit la lettre.
Je vous dis que c’est à sa soeur que Pierre a écrit la lettre - Je vous dis à qui Pierre a
écrit la lettre.
Si l’énonciation est interrogative et qu’elle porte sur un animé la langue a décidé que le
meilleur lien consiste dans la juxtaposition- il n’y a pas besoin d’intermédiaire quand
l’énonciation interrogative porte directement sur le mot interrogatif par lequel commence la
subordonnée. Rappelons, toutefois, que l’inversion qui est obligatoire quand la question directe
porte sur un terme autre que le sujet, est supprimée à la suite de la transposition: Je vous demande
qui a écrit la lettre. Je vous demande à qui Pierre a écrit une lettre. Je veux savoir en quoi
consistent les difficultés. Je vous demande quelle heure il est.
Si l’interrogation porte sur le complément d’objet la transposition suit un tout autre
modèle. La phrase interrogative (directe) se voit condensée dans le pronom démonstratif neutre
ce et, sous la forme d’une relative, sert de support à ce pronom: Je vous demande: “Qu’est-ce que
vous faites?” - Je vous demande ce que vous faites. Le groupe ce que doit être considéré comme
translateur disjoint des interrogatives de ce type. Sa grammaticalisation est encore plus poussée
dans les variantes prépositionnelles à ce que ou de ce que: Je tiens à ce qu’il parte (=qu’il
parte). Je me réjouis de ce qu’il a réussi (=qu’il ait réussi).
A part les translateurs (mots interrogatifs) qui portent sur le sujet ou sur les compléments
du verbe (direct ou indirect), il faut signaler aussi les translateurs qui portent sur la détermination
circonstancielle, à savoir où, quand, comment, combien, comme. Ce qui rapproche les cinq mots,
c’est qu’ils peuvent introduire une complétive. Les quatre premiers s’emploient aussi bien à la
suite d’une assertion (pour introduire une subordonnée d’identification: Je sais où /comment,
quand/ il est arrivé) qu’à la suite d’une interrogation (pour introduire une interrogative indirecte:
Je vous demande où /comment, quand/ il est arrivé). Comme ne peut introduire qu’une
subordonnée d’identification et “apparaît comme étant une forme tenue, phonétiquement allégée
de combien et de comment”28 . Cf.: Tu sais comme il a répondu (=comment); Vois comme il est
adroit (=combien). “Comment, combien et comme sont étroitement associés, au point qu’on peut
y voir trois formes d’un même mot, qui n’est lui-même qu’un cas adverbial de la flexion de qui.
Comment signifie la manière comme les adverbes en -ment et définit qualitativement; combien
signifie la quantité (que peut signifier le mot bien qu’il contient). Comme s’interprète en
sémantèse qualitative ou quantitative selon le cas”29 .
Nous venons de voir que des translateurs de nature différente (les conjonctions que et si,
les pronoms interrogatifs qui, que, quoi, l’adjectif interrogatif quel, les adverbes comment,
combien et comme, les constructions relatives ce qui, ce que) assurent la transposition d’une
phrase simple en proposition-mot. Ce qu’ils ont de commun, c’est qu’ils servent à matérialiser un
des actants du procès (sujet, complément d’objet, attribut, etc.). Mais le rôle translateur ne devrait
pas être attribué entièrement à ces mots, car la fonction de la subordonnée se définit par rapport
au verbe de la principale. Ces mots manifestent leur valeur propre à l’endroit de la subordonnée
où ils se présentent comme termes d’une phrase, alors qu’à l’endroit de la principale ils ont le
même statut formel - d’introduire, par nominalisation syntaxique, une subordonnée dont les
fonctions sont assimilables à celles du substantif.
2.Transposition qui aboutit à une proposition-syntagme (proposition relative)
Ce type de transposition consiste dans l’adjectivation fonctionnelle d’un élément
phrastique. Elle peut avoir pour objet soit un syntagme nominal, soit une phrase simple, et
comme translateur - un pronom relatif.
a) Quand l’objet de la transposition est un syntagme nominal, elle se réalise par la reprise
du nom au moyen d’un pronom relatif et par la verbalisation du syntagme. Le pronom relatif est
le plus souvent qui puisque le nom se présente comme sujet auquel est attribuée une
détermination reposant sur une des idées verbales fondamantales: d’attribution (un jeune homme
intelligent - un jeune homme qui est intelligent), de localisation (une maison de campagne - une
maison qui se trouve à la campagne), de possession (la dame au parapluie- la dame qui a un
parapluie). Quand le syntagme nominal est constitué d’un déterminé représentant un substantif
déverbal et d’un déterminant représentant le sujet ou l’objet du procès impliqué, la transposition
se réalise par la verbalisation du déterminé et on a comme translateur qui ou que selon que le
substantif est sujet ou objet du procès: un jaillissement d’étincelles - des étincelles qui jaillissent;
la vente des marchandises - les marchandises qu’on vend (=qui sont vendues).
b) Quand la transposition a pour objet une phrase simple, celle-ci est transformée en
adjectif de discours ayant pour terme un pronom relatif qui reprend un substantif employé en tant
que terme d’une autre phrase. “L’existence même du pronom relatif, en français, ne s’explique
que par l’incapacité du substantif d’assumer une double fonction grammaticale. Ce n’est que par
la médiation du relatif que le substantif d’une proposition peut être introduit dans une autre”30 . Si
le relatif est en mesure de réaliser la transposition adjectivale, c’est qu’il synthétise trois
caractères: “un caractère subordonnant, un caractère représentatif et un caractère proprement
fonctionnel”31 . Selon G. Moignet les pronoms relatifs que et quoi appartiennent au paradigme
d’un pronom unique - celui de l’être virtuel dont ils constituent, ensemble, la position de patient
(en tension seconde), par opposition à qui, position d’agent (en tension première)32 . L’ensemble
des relatifs invariables (on y range encore où et dont) ne comporte pas de marque formelle
référentielle (la référence fournie par le contexte est suffisante), à la différence du pronom
variable lequel qui s’appuie, en plus, sur la force actualisatrice de l’article. Il est important de
souligner la tendance du pronom que d’élargir sa fonction subordonnante et de remplacer les
autres pronoms relatifs en tant que mots conjonctifs, sans pouvoir assumer l’expression de ce
qu’ils ont de spécifique. Au lieu de l’homme dont je connais la fille, le patron pour lequel je
travaille, le pauvre à qui je fais l’aumone on peut dire: l’homme que je connais sa fille, le patron
que je travaille pour lui, le pauvre que je lui fais l’aumone33 .
On rencontre chez certains auteurs des subordonnées relatives enchaînées qui sont le résultat
d’une recherche préméditée et qui contribuent à une détermination beaucoup plus détaillée et
intérieurement mieux motivée du référent:
Les soucis que nous portons avec nous
qui sont nos vêtements intérieurs
que nous mettons tous les matins
que la nuit défait avec des mains de rêve… (Tristan Tsara)
3. Transposition qui aboutit à une proposition-phrase (subordonnée circonstancielle)
Ce type de transposition peut avoir pour objet soit un syntagme nominal (Je me promène
chaque matin malgré le froid - Je me promène chaque matin quoiqu’il fasse froid), soit une
construction infinitive (expansion d’une phrase simple: Je dois boire quelque chose pour pouvoir
me rétablir - Je dois boire quelque chose pour que je puisse me rétablir), soit surtout une phrase
simple indépendante (Il fait froid. Je me promène. - Je me pomène bien qu’il fasse froid).
K. Mantchev fait remarquer que dans la phrase complexe à subordonnée circonstancielle
la disposition sémantique fait traitant- fait traité “s’inverse et s’oriente du fait traité au fait
traitant. Le fait traité est localisé dans la proposition principale et le fait traitant - dans la
proposition subordonnée”34 .
Les translateurs auxquels on a recours peuvent être simples (que, si, comme et quand) ou
composés - les différentes sortes de locutions conjonctives. Nous trouvons qu’à juste titre G.
Moignet appelle les conjonctions de subordination nominalisateurs, puisqu’elles font de l’objet
de transposition un nom de discours (substantif, adjectif ou adverbe) et nous tenons à préciser que
dans le cas de la proposition-phrase il faut leur reconnaître un rôle adverbialisateur (bien qu’on ne
puisse réduire toutes les valeurs des subordonnées circonstancielles à celles d’un adverbe). Il a
été déjà question des translateurs simples lors de l’analyse de la proposition-mot où que connaît
un large champ d’emploi et les trois autres se présentent comme identificateurs (introduisants une
subordonnée interrogative indirecte). Ici que se manifeste dans des cas rares tels que pour
l’expression de la finalité après un impératif (Viens que je te dise une nouvelle!), pour
l’expression de la cause dans une subordonnée complétive (Il était surpris qu’on lui refusât cette
faveur) ou pour servir de substitut à une autre conjoinction dont on veut éviter la répétition (S’il
vient dans l’après-midi et que je ne sois pas chez moi, dis-lui d’attendre!). Quand est un
nominalisateur “incorporant dans sa sémantèse la substance d’une phrase où il est adverbe
complément circonstanciel de temps”35 . Rappelons que les rapports chronologiques que le
translateur quand établit peuvent être à la base d’autres rapports logiques: de cause (Quand un
chat est échaudé, il craint l’eau froide), de condition (Quand on s’est bien reposé, on travaille
avec plus de zèle) ou d’opposition (Quand tout le monde dirait “oui”, je dirais “non”).
Le mot si en tant que nominalisateur de phrase connaît “une subduction plus poussée, le
saisissant plus avant dans son idéogénèse, qui nous en donne un état plus subtilisé, son état de
conjonction, et, plus précisément, de signifiant de l’hypothèse…Subduire une thèse (la réduire au
degré inférieur), c’est proprement produire une hypothèse”36 .
Le translateur comme exprime, au niveau de la langue, l’idée de correspondance.Cette
idée trouve sa réalisation la plus naturelle dans la subordonnée comparative où elle traduit la
correspondance entre un procès actuel et un procès virtuel dans un mouvement du particulier au
général. La virtualité du procès est traduite le plus souvent par le présent de généralisation et par
l’emploi, comme sujet, du pronom indéfini on. Ainsi, après avoir énoncé un procès concret,
cherche-t-on à le qualifier par rapport à une de ses réalisations générales, et une fois la
correspondance établie, dans un mouvement en sens inverse, on précise les modalités
d’accomplissement du premier procès. Ou en schéma:
La proposition principale interroge indirectement sur le mode d’accomplissement du
procès et contient implicitement la question comment dont la réponse se trouve dans la
subordonnée. La comparaison s’avère donc un moyen indirect de détermination: Elle chantait
co,,e on chante sur la scène. Comme s’emploie aussi dans une phrase complexe pour insister sur
le mode d’action en correspondance avec certaines prédispositions du sujet. Dans ce cas la
comparaison se voit interdite par l’emploi, dans la subordonnée, d’un verbe modal, d’un verbe
d’opinion ou d’un verbe déclaratif: Ce sera comme il voudra. Faites comme il vous plaira. La
conjonction si, combinée avec comme sert à communiquer à la comparaison une valeur
hypothétique: Il parle comme s’il connaissait tout.
Le rapport de cause à effet est un rapport de correspondance directe et il n’est pas
étonnant que comme assume la fonction de translateur pour introduire une proposition causale. Si
dans la comparative la correspondance traduit les traits communs de deux procès indépendants
dont le moment d’accomplissement est sans importance pour le rapport de comparaison, la valeur
causale de comme résulte de la juxtaposition de deux procès qui se suivent dans le temps et dont
le premier impose la réalisation du deuxième. Comme elle était contente de sa cuisinière, elle
désirait lui donner une robe (Zola).
Quand entre les procès de la principale et de la subordonnée ne s’établit ni un rapport de
ressemblance pour traduire la comparaison, ni un rapport de dépendance pour exprimer la cause,
le translateur comme peut se trouver dans une phrase à subordonnée temporalle pour traduire la
correspondance entre les moments de l’accomplissement des deux procès et ce rapport ne peut
être que celui de la simultanéité. Le procès dans la subordonnée marque l’époque pendant
laquelle intervient le procès de la principale. Le premier s’exprime par un temps d’époque
(l’imparfait, par exemple), alors que le deuxième est traduit par un temps d’événement (le passé
simple, le passé composé): Comme je commençais à m’endormir, j’entendis du bruit dans la
maison.
Les translateurs composés37 résultent d’une opération de transposition où l’objet de la
transposition se présente sous des formes très variées et où le rôle de translateur est assumé par
que. On peut avoir comme objet de transposition un substantif avec l’article (le fait que), une
construction prépositionnelle (préposition + substantif: de sorte, du moment que), un adverbe ou
une locution adverbiale (ainsi que, plutôt que), une forme quasi-nominale du verbe, introduite ou
non par une préposition (à supposer que, en admettant que, vu que), un syntagme verbal (soit
que, si ce n’est que, si tant est que), une préposition (dès que, pour que, sans que), “et quand
sont en cause les prépositions les plus extensives, la particule anaphorique ce s’interpose (à ce
que, de ce que, jusqu’à ce que)”38 . L’analogie entre les constructions prépositionnelles et les
constructions conjonctionnelles est évidente. G. Moignet compare Il travaille pour la prospérité
de son entreprise et Il travaille pour que son entreprise prospère et souligne que la différence
entre les deux consiste “dans le mode de nominalisation: elle est de langue avec le substantif
prospérité, de discours avec que+ phrase à verbe prospérer”39 . Il y a lieu de distinguer ce type de
locutions conjonctives de celles qui sont obtenues à l’aide du translateur où: au cas où, au
moment où, jusqu’au moment où. Les premières résultent d’une transposition conjonctionnelle
(que garde son statut de conjonction), alors que les deuxièmes reposent sur une construction
relative. Le translateur que “est une sorte de relatif minimal, qui établit, par identification, le lien
sémantique entre ce qui le précède et ce qu’il nominalise”40 . La nominalisation en question a pour
effet une certaine désémantisation du substantif, phénomène qui ne se produit pas dans le cas des
constructions relatives. Au moment où se décompose sémantiquement en ses éléments
constitutifs, tandis que du moment que subit en plus une transposition sémantique pour traduire
un rapport logique - l’idée de cause.
Les problèmes concernant le côté formel des transpositions au niveau de la phrase
complexe sont traités aussi bien dans les grammaires traditionnelles41 que dans les traités de
linguistique moderne42 . Les mêmes poblèmes sont exposés sous un aspect sémantique dans
l’ouvrage tout récent de K. Mantchev Linguistique et Sémiotique43 . Aussi, nous contenteronsnous de certaines observations concernant les transpositions fondamentales sur lesquelles
reposent les différents types de translateurs et sur la motivation de leur valeurs résultatives44 .
La relation de causalité peut être traduite par trois types de conjonctions, compte tenu du
mécanisme sur lequel repose leur construction.
a) Le rapport de cause à effet est un rapport qui se situe dans le temps, car à la succession
logique correspond une succession chronologique. C’est grâce à l’analogie évidente entre la
temporalité et la causalité que la langue a eu recours à des constructions d’origine temporelle (dès
que, du moment que, puisque = puis+que, dès lors que) pour traduire la cause. Ces conjonctions
qui explicitaient l’antériorité du procès dans la subordonnée par rapport à celui de la principale,
arrivent à traduire l’antériorité de la cause par rapport à l’effet.
b) On peut supposer, sur le plan théorique, que la cause et la conséquence convergent
dans un point (point d’arrivée pour la cause et point de départ pour la conséquence), et ce point
trouve son expression soit dans un substantif qui se présente comme une généralisation très
poussée (le substantif fait qui est à l’origine un participe passé et qui nominalise le résultat du
procès ou le substantif cause signifiant, à l’origine, la chosification du procès), soit dans le
pronom démonstratif neutre ce, qui est la généralisation extrême du pocès. On peut considérer la
préposition qui précède (de, par, à) comme un translateur du côté de la principale et le mot que
(pronom relatif - puisqu’il est précédé immédiatement d’un nom ou pronom, ou conjonction - à
un stade plus avancé de la constitution de la locution conjonctive) - comme un translateur du côté
de la subordonnée. Il est curieux de rappeler qu’en bulgare le relatif детî sert à traduire, sous une
spatialisation généralisée, le rapport logique: la cause finit là où commence la conséquence:
Рàдâàм се, детî сà му нàпрàâèлè тàçè чест.
c) La cause peut se présenter comme objet d’une visée impliquée dans une forme
nominale du verbe: un participe passé (vu que, attentdu que) ou un participe présent (étant donné
que, sachant que). Ici que a d’abord une fonction complétive, mais celle-ci s’affaiblit pour
traduire le rapport logique de causalité.
d) Si, enfin, la conjonction comme se charge aussi de l’expression de la causalité, c’est
qu’elle traduit le rapport de cause à effet comme un rapport de correspondance.
La proposition subordonnée de conséquence met l’accent sur le procès qui suit, à la
différence de la subordonnée causale qui met l’accent sur le procès qui précède. L’effet que la
subordonnée consécutive exprime correspond au mode d’action du procès dans la principale et le
rapport est explicité le plus souvent par un adverbe d’intensité ou de quantité: Il a tant de
problèmes qu’il ne peut dormir; Il explique le problème si bien que tout le monde le comprend. Si
l’on compare si bien et très bien on constate que le sémantisme de la deuxième locution est
fermant, c’est-à-dire qu’elle se borne à exprimer un degré élevé de la manifestation du procès
sans plus, à la différence du sémantisme de si bien qui est ouvrant, car l’intensité du procès a des
conséquences qui se reflètent sur un autre procès. R.-L.Wagner et J. Pinchon subdivisent les
conjonctions de conséquence en deux groupes suivant la présence d’une idée d’intensité (au point
que, tellement…que, si…que, etc.) ou l’absence d’une telle idée (de sorte que, de façon que)45 .
Nous croyons qu’il serait plus juste de parler d’intensité explicite dans le premier cas et
d’instensité implicite dans le deuxième. Il suffit de comparer Il explique le problème si bien que
tout le monde le comprend et Il explique le problème de sorte que tout le monde le comprend
pour se convaincre que dans le deuxième cas il ne s’agit point d’un procès neutre et que l’on peut
mettre tous les deux sur le même plan. A cela s’ajoute la preuve que de sorte que peut alterner
avec de telle sorte que, toutes les deux ayant le même sens.
R.-L. Wagner et J. Pinchon rangent les subordonnées dans des phrases comme Il n’est si
bon cheval qui ne bronche dans le groupe des consécutives46 . En réalité, les deux parties de la
phrase s’opposent l’une à l’autre, ce qu’on peut interpréter par Un cheval peut être bon, mais il
peut broncher quand même ou par Un cheval, quoiqu’il soit bon (même s’il est bon), il peut
broncher. C’est le rapport de concession qui s’en dégage - la présence d’un adverbe d’intesité
(si…que) ne suffit pas pour considérer la subordonnée comme consécutive, d’autant plus que
l’intensité est niée.
Le rapport de concession se ramène à un rapport d’opposition. “Quand une action ou un
état semblent devoir entraîner une certaine conséquence, l’opposition naît de ce qu’une
conséquence contraire, inattendue se produit”47 . R.-L. Wagner et J. Pinchon subdivisent les
conjonctions concessives en français en deux groupes, selon qu’elles impliquent ou n’impliquent
pas l’idée d’intensité.
a) Les conjonctions qui n’impliquent pas l’idée d’intensité sont: quoique, bien que,
encore que, malgré que qui ne se distinguent presque pas sémantiquement mais qui ont une
motivation sémantique bien différente. L’idée d’opposition trouve sa motivation directe dans
malgré que (mal + gré) qui appartient au style parlé. Dans d’autres cas on part de l’idée qu’à la
condition normale s’ajoute une condition contraire qui provoque la même conséquence. C’est sur
l’idée d’addition que repose la conjonction encore que qui appartient au style littéraire. La
présence de l’adverbe bien dans bien que semble difficile à interpréter. Nous sommes, toutefois,
enclin à croire qu’il est là pour signifier que même une condition contraire est bonne (l’adjectif
correspond à l’adverbe) à provoquer la conséquence en question: Bien qu’il soit malade, il est
venu. (L’analyse de quoique demande un traitement préalable - voir plus bas).
b) Les conjonctions qui comportent l’idée d’intensité présentent une condition d’étendue
très large et prennent une valeur généralisante: qui que, quel que, quoi que (pour insister sur
l’identité), où que (sur la localisation spatiale), quelque…que (sur la détermination qualitative),
si…que, tout…que (sur le degré d’intensité). Il est curieux de souligner qu’en français ce modèle
s’avère inapte à rendre le rapport temporel (êîгàтî è дà) ou le mode d’action (êàêтî è дà). Les
mots qui, quoi, quel, où sont à l’origine des interrogatifs, mais l’idée interrogative y est
suspendue par la conjonction que. Ce début d’interrogation permet de situer le sujet (ou l’objet)
sur une échelle qualitative ou quantitative assez large qui s’avère non limitative à l’égard de la
réalisation du procès48 . Quoi que est une construction neutre qui porte sur l’objet d’une action
(quoi que tu fasses…) ou sur le sujet indéterminé d’un verbe impersonnel (quoi qu’il arrive…).
Lorsque quoi que commence à exprimer la concession à l’égard de la subordonnée dans son
ensemble, il devient synonyme de bien que et on l’écrit en un mot (quoiqu’il fasse froid) pour le
distinguer de son emploi premier. Les adverbes si, quelque et tout (si…que, quelque…que,
tout…que) insistent sur l’intensité et par cela même portent l’opposition au degré le plus élevé de
la manifestation de la qualité ou de la quantité.
c) Même si combine la condition et l’opposition. Il est curieux de justifier l’emploi de
même pour marquer la concession. “Même est le support d’un mouvement d’identification”49 .
Dans notre cas, même sert à identifier une condition supposée défavorable avec les conditions
implicites qui favorisent l’accomplissement du procès. Nous croyons que lorsque R. Martin dit
que “le mouvement qui sous-tend même argumentatif paraît être un mouvement ouvrant qui
conduit du cas le plus étroit (le plus défavorable en probabilité) à l’ensemble de tous les cas
possibles”50 , il présente le mouvement en sens inverse. A vrai dire, l’esprit a pour point de départ
ce qui est normal (et peut-être pour cela implicite) pour aller à ce qui est exceptionnel (la cause
contraire). Nous trouvons que la conjonction même si doit être considérée plutôt comme
renchérissante.
Suivant le mode d’expression de la finalité on peut distinguer:
a) des conjonctions qui contiennent en elles-mêmes l’idée de but : pour que (la prépositionconnecteur pour est transposée en conjonction) et afin que (dont la constitution est transparente :
à fin que).
b) des conjonctions qui n’explicitent pas l’idée de but (de sorte que, de manière que, de
telle sorte que, de telle façon que) et qui demandent l’emploi du subjonctif qui compense cette
déficience.
c) la fin à éviter est rendue par des locutions du type de peur que, de crainte que qui
reposent sur une modalité négative - craindre peut s’interpréter par ne pas vouloir.
Dans la phrase hypothétique les transpositions reposent sur un mécanisme mental qui
consiste dans la réduction d’une thèse au degré d’une hypothèse. Il s’agit d’une récréation
imaginaire de la réalité, de sa transposition du domaine de la réalité au domaine de l’imagination.
Nous reprenons la formule de G. Moignet que “subduire une thèse (la réduire au degré inférieur),
c’est proprement produire une hypothèse. Subduction se traduit ici en supposition. Avec si, on
présente l’idée d’un phénomène comme étant une vue de l’esprit, à partir de laquelle on peut
inférer une conclusion, et si la supposition ainsi produite est de l’ordre du communément
constaté, du vraisemblable, de l’invraisemblable ou du parfaitement irréel n’importe guère.”51 . La
supposition (sub-duction = sub-position = trans-position au-dessous de) se traduit au niveau
sémiotique par des formes temporelles antérieures à celles qui expriment la conséquence.
“L’interdit du futur tient à l’aperception d’une ordination logique d’avant et d’après, de la
protase à l’apodose. Si l’apodose se situe dans un futur, la protase doit être située dans un temps
antérieur au futur”52 . La transposition dans l’hypothétique peut être rendue explicitement (à
condition que) ou impicitement (par des translateurs qui évoquent une réalisation occasionnelle :
au cas où, pour peu que). Au cas où implique une éventualité, une action accidentelle, une
échéance (c’est le hasard qui décidera où sera le moment de la réalisation éventuelle du procès
supposé et pour cette raison cette conjonction est suivie du conditionnel). Ici on est en présence
d’une réduction temporelle maximale des chances de réalisation du procès, comme on peut parler
de réduction maximale quantitative dans le cas de pour peu que qui évoque une visée subjective
jugeant suffisante la moindre manifestation du procès. L’emploi du mode à la suite de ces deux
conjoinctions est significatif. Le conditionnel vient à la suite de l’hésitation sur l’axe temporel sur
lequel un point pourrait être saisi par le relatif où. Pour peu que, par sa visée subjective, impose
le subjonctif.
Les locutions conjonctives pourvu que et à moins que sont souvent en dstribution
complémentaire, cf.: Nous partirons pourvu que tu viennes à temps et Nous partirons à moins
que tu ne sois en retard. Pourvu que désigne la suffisance de la condition restreinte (pourvoir
insiste sur la nécessité suffisante). Ou en schéma:
A moins que implique, par le sens de l’adverbe moins, une visée négative. Dans ce cas, s’il
faut nier quelque chose, ce doivent être les conditions contraires à la réalisation du procès - la
visée négative trouve un appui dans le ne explétif. Ou en schéma:
La négation des conditions contraires a pour but de mettre indirectement l’accent sur la
condition suffisante indispensable.
L’analyse des transpositions au niveau de la phrase démontre, d’un côté, leur spécificité
découlant du niveau de leur réalisation, et de l’autre, leur complexité - puisqu’elles engagent des
transpositions aux niveaux inférieurs. Les différents types de nominalisation phrastique
s’appuient sur des transpositions réalisées à un niveau précédent - dérivationnel, syntagmatique
(temporel, personnel, diathétique, fonctionnel), sémantique (la plupart des conjonctions
composées résultent de la subduction de leur élément nominal : au cas où, du moment que). La
dématérialisation sémantique qu’elles ont connue a conduit à leur grammaticalisation.
NOTES:
G. Moignet,. La “conjonction de subordination” dans le système de la langue. In: Etudes de
psycho-systématique française. Paris, 1974, p. 245.
2
Ibid. p. 270.
3
G. Moignet. Systématique de la langue française., p. 25.
4
Ibid., p. 25.
5
Ibid., p. 26.
6
J. Vendryes. Le langage. Introduction linguistique de l’histoire. Paris, 1968, p. 167.
7
Ibid., p. 168.
8
G. Moignet. Systématique de la langue française. p. 20.
9
G. Moignet souligne que “les fonctions du substantif, réglées par le système des cas d’emploi,
se retrouvent dans les divers pronoms: fonction sujet, attribut et objet, indiscriminées en langue
dans le substantif français et distinguées en discours par des moyens syntaxiques (et non
morphologiques, comme en latin ou en ancien français). Certains pronoms ne discriminent pas
ces fonctions en langue et possèdent le cas unique comme le substantif: ainsi quelqu’un, chacun,
tout, personne, celui-ci, etc. D’autres, au contraire, comme certains pronoms personnels
opposent des formes spécialisées selon le cas d’emploi, avec un cas-sujet: je, tu, il; un casrégime: me, te, et pour la troisième personne deux cas-régimes: le, lui; les, leur. Parmi les mots
pronominaux certains ont ou peuvent avoir le fonctionnement des adjectifs: même, tel, autre,
aucun, quelque, chaque, nul, rien, etc., et se caractérisent par l’incidence du premier degré. Il y a
d’ailleurs un nombre appréciable de pronoms qui sont, à l’origine, des substantifs ou des
adjectifs. Soumis à une opération de déplétion sémantique, ils ont déserté le plan de la
prédicativité. Tel est le cas du pronom on, ancien cas-sujet de homme; du mot rien, qui
1
signifiait “chose”, de personne, de chose entrant dans quelque chose (ces deux derniers perdent
dans l’opération leur genre féminin: personne n’est parfait; quelque chose est écrit là). Tel est
aussi le cas de l’adjectif certain”. (Systématique de la langue française; p. 20-21)
10
Voir G. Moignet. Etudes de psychosystématique française. pp. 193-197.
11
E. Benveniste. Mécanismes de transposition. In: Cahiers Ferdinand de Saussure, 1969.
Genève., p.47-59.
12
Ibid., p. 51-52. Benveniste précise encore qu’“il ne suffit de poser l’adverbe et l’adjectif en
symétrie et de dire que l’adverbe est au verbe comme l’adjectif au nom. Il faut voir qu’en réalité
l’adjectif et l’adverbe appartiennent à deux niveaux logiques distincts…La proposition Pierre est
un bon garçon peut se ramener à la conjonction des deux propositions Pierre est un garçon +
Pierre est bon. Mais on ne saurait décomposer Pierre est un bon marcheur en Pierre est un
marcheur + Pierre est bon(p.53). Il faut noter que (bon) marcheur, (gros) mangeur et tous les
noms de la même série procèdent d’une forme verbale d’emploi absolu et non actualisé, indiquant
la notion à l’état virtuel. Quand on transpose un verbe en un nom d’agent il faut aussi que le
qualificateur verbal (l’adverbe) puisse être transposé en qualificateur nominal (en adjectif), et
cela crée un poblème difficile dans une langue où l’adverbe ne produit guère de dérivés. C’est
pourquoi on a choisi des adjectifs déjà existants en leur donnant une fonction nouvelle” (p. 54)…
Et c’est dans le passage de l’adverbe beaucoup (dans perdre beaucoup d’argent) à l’adjectif gros
(dans perdre une grosse somme) que Benveniste voit s’établir une relation de transposition. “Elle
se réalise de même quand beaucoup qualifie un verbe de consommation tel que manger: il
mange beaucoup se transpose en un gros mangeur” (p.54).
13
A. Joly. Les auxiliaires avoir et être. Approche psycho-systématique. Le français dans le
monde, 1977, N° 129, p.25.
14
E. Benveniste., Mécanisme de transposition. P. 57.
15
Ibid., p. 57.
16
L. Tesnière. Eléments de syntaxe structurale, p. 300.
17
K. Mantchev. Morphologie française. p. 327.
18
K. Mantchev, A. Tchaouchev, A. Vassiléva. Op.cit., p. 395-396.
19
G. Moignet, Systématique de la langue française, p. 25.
20
G. Galichet l’appelle subordonnée-terme puisqu’elle peut se présenter comme n’importe quel
terme de la phrase - sujet, complément d’objet, attribut du sujet ou du complément d’objet, etc.
Grammaire structurale du français moderne, Montréal, 1970, p. 176-177.
21
Ibid. p. 25.
22
J. Dubois. Grammaire structurale du français. La phrase et les transformations. Paris, 1969, p.
55.
23
K. Mantchev, A. Tchaouchev, A. Vassileva. Op. cit., p. 396.
24
G. Moignet. Systématique de la langue française., p. 25.
25
G. Moignet. Etudes de psycho-systématique française., p. 267.
26
G. Moignet. Ibid., p. 268.
27
L’exemple est emprunté à K.R.Sandfeld, Syntaxe du français contemporain, Genève, 1965.
28
G. Moignet. Etudes de psycho-systématique française, p. 255.
29
Ibid., p. 254.
30
G. Moignet. Existe-t-il en français une proposition infinitive? In Grammaire générative,
transformationnelle et psycho-mécanique du langage. Lille, 1973, p. 120.
31
K. Mantchev, A. Tchaouchev, A. Vassileva. Op. cit., p. 408.
32
G. Moignet. Etudes de psycho-systématique française, p. 185.
33
J. Vendryes. Introduction linguistique à l’histoire. Paris, 1968, p. 167-168.
K. Mantchev. Linguistique et sémiotique.vol. 1, Presses universitaires “St. Kliment
Ohridski”, Sofia, 1998, p. 34.
35
G. Moignet, Systématique de la langue française, p. 252.
36
Ibid.,p. 255.
37
Voir K. Mantchev, Linguistique et sémiotique, p. 35.
38
G. Moignet. Systématique de la langue française, p. 259.
39
Ibid., p. 261.
40
Ibid., p. 260.
41
Voir, par exemple, Grammaire du français contemporain, Paris, 1993, pp. 110-156.
42
Voir K.Mantchev, A. Tchaouchev, A. Vassiléva. Op. cit., pp. 394-450.
43
K. Mantchev, op. cit. pp. 144-213.
44
Voir à ce sujet P. Chtristov. Réflexions sur la subordination en français et en bulgare, in
Etudes de linguistique comparée, V. Tirnovo, 1982, pp. 99-119.
45
R.-L. Wagner et J. Pinchon. Grammaire du français classique et moderne., p. 574.
46
Ibid., p. 584.
47
Ibid., p. 586.
48
Selon G. Moignet qui, quoi, quel, où “sont des antécédents d’une relative. Le caractère virtuel
de cet antécédent est rendu évident par l’emploi du subjonctif dans la relative. Voir G. Moignet.
Etudes de psycho-systématique française, p.165.
49
R.-L. Wagner. J. Pinchon. Op. cit.,, p. 601.
50
R. Martin. Sur l’unité du mot même. Travaux de linguistique et de littérature. Strasbourg,
1975, p. 231.
51
G. Moignet. Systématique de la langue française., p. 255.
52
Ibid., p. 255.
34
CHAPITRE V
LES TRANSPOSITIONS AU NIVEAU
LEXICO-SEMANTIQUE
I. Généralités. Les mécanismes de la transposition sémantique.
Les translateurs.
Nous ne pouvons pas souscrire à l’affirmation d’Alain Rey qui prétend que “le lexique est
sans aucun doute l’irrégularité fondamentale, face aux régularités de la syntaxe et de la
phonologie”1 , parce que l’arbitraire du signe linguistique ne prouve pas encore l’arbitraire de
l’évolution sémantique et, comme l’avoue A. Rey lui-même, la réflexion linguistique récente sur
la place du lexique dans la théorie (…) tourne autour de la délimitation de ses aspects réguliers et
irréguliers”2 . Ch. Bally se montre plus prudent quand il affirme que “la vie et le langage nous
donnent, dans une égale mesure, l’image d’une organisation, sans jamais y parvenir tout à fait…
Il y a donc une intelligence au coeur des phénomènes du langage comme dans ceux de la vie” 3 .
L’important c’est que la deuxième moitié du vingtième siècle est marquée par la pénétration
toujours plus poussée du structuralisme dans les études sémantiques réalisées par A.J. Greimas4 ,
P. Guiraud5 , B. Pottier6 , G. Mounin7 , E. Coseriu8 . Il n’en est pas moins vrai que “le
vocabulaire n’est pas rigidement systématisé (…): on peut y ajouter à tout moment un nombre
illimité d’éléments toujours nouveaux, des mots aussi bien que des sens”9 .
Les problèmes de la transposition lexico-sémantique se limitent au seul domaine des
changements de sens, et plus précisément au transfert de sens que l’on observe au niveau du
discours. Les cas classiques d’extension et de restriction du sens doivent en être exclus, car il n’y
est pas question d’abandonner une position pour une autre. Nous tenons à le souligner, parce que
certains auteurs, comme Lopatnikova10 , tout en précisant que la restriction du sens conduit à la
spécialisation, et l’extension du sens - à la généralisation de la notion exprimée, considèrent que
ces phénomènes reposent sur un transfert sémantique. ”La restriction et l’extension du sens sont
le plus souvent le résultat du changement de l’aire d’emploi d’un mot qui passe d’une sphère de
l’activité humaine dans une autre”11 . Il est significatif, d’ailleurs, que les exemples cités par
l’auteur (restriction du sens: cuеillir, de colligere, signifiait “ramasser” en général, et maintenat “ramasser des fruits”; traire avait le sens de “tirer”, et à présent on emploi ce verbe avec le sens
spécifique de “tirer le lait des mamelles de…”; labourer, primitivement - “travailler” en général,
et aujord’hui - “travailler la terre”; extension du sens: arriver, de adripare, initialement “atteindre une rive”, et maintenant - “atteindre un lieu”; panier était une “corbeille pour le pain”
et aujourd’hui - “une corbeille pour toute sorte de produits”)12 prouvent que les changements
sémantiques en question restent dans leur aire définitionnelle.
Quand le changement sémantique se réalise par un changement de l’aire d’emploi d’un
mot, c’est alors qu’on peut parler de transfert sémantique ou, dans l’optique qui nous intéresse, de
transposition sémantique.
La raison d’être de la transposition sémantique, c’est la détermination, ce qui veut dire
que dans le rapport hiérarchique déterminé - déterminant, c’est le déterminant qui peut résulter
des mécanismes de la transposition lexico-sémantique. Rappelons que les transpositions aux
niveaux syntagmatique et phrastique se ramènent, en fin de compte, à un jeu de détermination. A
la base de la constitution du syntagme nominal, A. Rey souligne que “le transfert sémantique
(métaphore, etc.) porte obligatoirement sur le déterminant et facultativement sur le déterminé”13 .
Il faut se garder de considérer le déterminant comme objet de la transposition; celle-ci est
provoquée par les besoins de la détermination, mais son vrai objet c’est une ou plusieurs
acceptions particulières, spécifiques d’un mot par lesquelles se réalise le passage de la position de
départ à la position d’arrivée. Et si, couramment, on parle d’emploi transposé d’un mot ou d’une
locution, c’est que le mot (ou la locution) est engagé en tant que porteur de la valeur en question.
Cela veut dire que le transfert sémantique se réalise par un transfert formel - l’emploi d’un mot
dans une sphère qui, par définition, ne lui est pas propre. Ce qui est important de mettre en vue,
avant d’entrer dans les détails concernant les différentes manifestations de la transposition
sémantique, ce sont les mécanismes mêmes de cette transposition. Nous devons essayer de jeter
de la lumière sur ses côtés formel et sémantique et sur leur dépendance réciproque14 .
Il est vrai que c’est le contexte qui conditionne les changements sémantiques, mais s’il
faut isoler un translateur matériel, ce ne peut être que le mot en tant qu’unité lexicale, capable de
réaliser une prédication. Selon la réalisation matérielle de la prédication, on peut distinguer les
cas suivants:
a) La transposition sémantique peut avoir comme translateur un substantif qui implique,
par quelques-unes ou par l’ensemble de ses caractéristiques, la détermination recherchée. Au
niveau du discours cette opération peut se réaliser par la simple nomination (une soutane = “un
curé”, un violon = “celui qui joue de violon”, le nez d’un navire, les dents d’un peigne), ou par
une construction attributive (Pierre est un âne; L’école est une ruche). Le recours à l’apposition
demande le plus souvent une précision adjectivale qui s’ajoute au substantif transposé: Cette
école, une vraie ruche, ne cessait de m’impressionner. Dans ce cas la qualité est implicite - elle
est annoncée par le nom désignant l’être ou la chose qui sont porteurs de la qualité en question.
Expliciter la détermination qualitative dans un cas comme le précédent (Cette école,
animée comme une ruche, ne cessait de m’impressionner) c’est recourir à une construction
comparative où l’adjectif est en position de déterminé et le syntagme nominal introduit par la
préposition comme se voit en fonction de déterminant, c’est-à-dire il devient le lieu de réalisation
de la transposition. En d’autres mots, “les syntagmes adjectifs de comparaison ne sont pas
transférés sémantiquement, l’adjectif y fonctionne normalement, mais le substantif amené par
comme perd ses traits sémantiques et la forme comme + Nom équivaut fréquemment à un
adverbe d’intensité”15 . Blanc comme la neige signifie “très blanc”; clair comme de l’eau de
roche signifie “très clair”. Et puisque les rapports dans ce cas sont parfaitement explicités, c’est
la préposition comme qui intervient en tant que translateur - telle est, par définition, la vocation
d’une préposition.
b) Quand le translateur est un adjectif, il sert à établir ce qu’il y a de commun entre l’aire
de caractérisation du déterminé et l’aire d’emploi de l’adjectif, autrement dit, l’adjectif transpose
un trait typique pour une substance en vue de caractériser une autre substance. Dans un cas
comme Je vous exprime ma profonde reconnaissance l’adjectif rend, explicitement, ce qu’il y a
de commun, en qualité ou en intensité, entre la pofondeur de l’eau et la reconnaissance. Il faut y
ranger les syntagmes qui comportent le groupe préposition + nom: une volonté de fer. Par le jeu
des transpositions syntagmatiques on peut, par exemple, obtenir d’ une âme dure - la dureté
d’une âme; d’un sentiment amer - l’amertume d’un sentiment.
C’est sous ce chapitre que nous allons ranger les transpositions sémantiques qui ont pour
translateur un verbe puisque le procès se présente comme une des propriétés de la matière
nominale dans la mesure où elle peut engendrer ou subir un procès. C’est ainsi que la propriété
d’un ballon de crever est transposée sur l’homme pour dire de quelqu’un qu’il a crevé. Un
changement diathétique peut amener le parallèle entre crever un ballon et crever un coeur.
S’il est admis que l’adverbe est par rapport au nom ce qu’est l’adjectif par rapport au
substantif, on peut considérer les adverbes comme des translateurs dans le même type de
transposition. La manière d’être pour le nom est analogue à la manière de faire pour le verbe: une
verte réprimande et punir vertement; un festin royal et on a royalement fêté…Les cas peuvent
être bien plus complexes et on peut citer à titre d’exemple le changement de sens que subit
l’adverbe certes “qui dériverait un acte de concession d’un renforcement de l’assertion : on peut
trouver bizarre qu’il en soit ainsi. Ce n’est rien d’autre que le simple fait que renforcer une
assertion, c’est par là même signaler que cette assertion avait besoin de l’être, et qu’elle pouvait
donc être combattue. C’est de cette façon qu’une marque de renforcement devient une marque de
concession”16
c) La transposition peut se réaliser par le recours à un syntagme nominal servant de
translateur. C’est la synthèse des deux cas précédents: on ne se contente pas de la seule
nomination, car on tient à expliciter le transfert du trait caractéristique de départ. Ainsi une barbe
grise s’emploie pour désigner un vieillard, une grande perche- pour une personne qui a la taille
haute. Les transpositions de ce type ne sont pas des plus fréquentes à cause de leur caractère
tautologique. On a très souvent recours aux adjectifs vrai et véritable qui traduisent l’intensité:
une véritable fontaine - «une personne qui pleure facilement», une vraie pie - “une personne
bavarde”.
La précision adjectivale est indispensable dans les cas de transposition métonymique du
type: un coeur d’airain (“une personne impassible”); une mauvaise langue (“une personne
méchante”).
d) Il faut accorder une attention particulière aux locutions verbales qui reposent sur un
mécanisme de transposition sémantique. “Les syntagmes verbaux donnent l’exemple d’un
transfert global, le changement de valeur du verbe entraînant celui du syntagme nominal
complément et éventuellement celui du syntagme prépositionnel”17 . Selon la portée de la
transposition il faut distinguer deux cas principaux:
-la transposition ne porte que sur le déterminant (c’est-à-dire sur le complément du verbe),
alors que le déterminé (le verbe même) garde son sens premier: rire du bout des lèvres, tirer à
blanc.
-la transposition porte sur le syntagme verbal dans son ensemble et aucun de ses
constituants ne possède d’autonomie sémantique. Sur le plan de la prédicativité, le thème seul,
ayant le statut de déterminé, garde son autonomie, alors que le prédicat, en tant que déterminant,
se présente comme objet de la transposition et comme moyen par lequel elle se réalise: mettre des
bâtons dans les roues de, lécher les bottes à, manger de la vache enragée, tirer une épine du
pied, tondre un oeuf. La réalisation discursive de cette transposition ne peut avoir lieu que sur le
plan de la phrase où elle a son incidence sur le sujet.
- la transposition porte sur l’ensemble de l’unité phrastique dans les cas où les
constituants de cette unité forment un ensemble indissoluble sémantiquement. Il s’agit de la
transposition sémantique réalisée par les proverbes lesquels se comportent comme objet de
transposition à l’égard du contexte et ce genre de transposition n’a d’existence réelle que dans le
contexte. Si l’évocation du contexte semble assez floue, précisons que sur le plan de la
prédication les proverbes de ce type ont, le plus souvent, pour thème l’homme en général (Chien
qui aboie ne mord pas. Pierre qui roule n’amasse pas mousse. Quand on parle du loup, on en
voit la queue. Le chat parti, les souris dansent. A bon chat bon rat) ou une notion très générale
(Petite pluie abat grand vent. Les petits ruisseaux font les grandes rivières). Il est bien évident
qu’on ne doit pas y ranger tous les proverbes. Certains sont pris dans leur acception littérale et ne
présentent pas d’intérêt pour la transposition sémantique: Qui aime bien châtie bien. Qui dort
dîne. L’oisiveté est la mère de tous les vices. Toute vérité n’est pas bonne à dire.
II. Les tendances dans le changement de sens.
Après avoir esquissé les pincipaux mécanismes de la transposition lexico-sémantique, en
mettant en relief l’objet de la transposition et les translateurs respectifs, il est légitime de se
demander si l’on peut situer les mouvements en question dans le cadre délimité par le particulier
et le général - le cadre dans lequel se réalisent la lexigénèse et la morphogénèse. Rappelons-nous
la démarche de G. Guillaume pour résoudre la plupart des problèmes qu’il avait abordés. “Les
opérations de pensée auxquelles fait appel la visée de puissance sont peu nombreuses, et
essentielles : ce sont celles-là mêmes auxquelles la pensée doit sa puissance. La plus importante
de ces opérations essentielles et potentielles est celle se rapportant au double mouvement de
l’esprit en direction du singulier et de l’universel, c’est-à-dire, pour plus de généralisation, en
direction de l’étroit et du large. L’expérience montre que ce double mouvement entre les limites
que sont le singulier étroit et l’universel large est à la base de tout ce que la langue a construit en
elle. On retrouve en effet ce double mouvement partout sous des apparences qui, le plus souvent,
le masquent très peu. C’est ainsi qu’il apparaît fondamental et très visible dans la catégorie du
nombre et dans la catégorie de l’article. Il se laisse voir aussi, quoiqu’un peu masqué par
l’opération conjointe de spatialisation du temps, dans toute la systématique verbo-temporelle, où
constamment on passe du temps large au temps étroit- au temps étroit qui est le présent - et du
présent, temps étroit, au temps large des époques passée et future, autrement dit d’une finitude de
temps à une infinitude de temps. Le même double mouvement est à la racine de toute la
systématique du mot, et la théorie des parties de discours, liée à la théorie du mot, en porte aussi
la marque. Enfin (…) la distinction même du nom et du verbe, qui est au fond celle de l’universespace et de l’univers temps qu’elle recouvre, apparaît aussi avoir son origine dans la successivité
selon laquelle l’esprit passe d’une infinitude de départ à la finitude, et de la finitude à une
infinitude finale. L’infinitude de départ, c’est l’espace; l’infinitude finale, c’est le temps”18 .
La tradition linguistique a depuius longtemps réservé aux emplois transposés les termes
“emplois figurés” ou “valeurs abstraites”, autrement dit, transposé, figuré et abstrait sont pris
comme synonymes. Que la transposition lexico-sémantique se réalise par une marche du
particulier au général est facile à expliquer, car elle vise avant tout une détermination, le
déterminé restant tel quel, et le déterminant pouvant varier entre le particulier et le général.
Précisons que dans les emplois métaphoriques ainsi que dans les cas de métonymie le
mouvement se fait dans la plupart des cas du concret à l’abstrait, du particulier au général, de
l’anthropologique au monde animal et végétal, de l’animé au non animé. Et c’est pour cette
raison que les transpositions une douleur profonde, le nez d’un navire et mettre le nez dans ont
ceci de commun qu’elles ont suivi la marche du particulier au général. Dans une douleur
profonde il s’agit de transposition d’une qualité d’un domaine concret (une rivière profonde) dans
un domaine abstrait. Le cas est analogue dans le nez d’un navire où est reproduit un des traits
caractéristiques du nez - sa position en avant (passage de l’animé au non animé), ainsi que dans
mettre le nez dans où un procès du domaine concret est valorisé dans un domaine abstrait. Il n’y
a, bien sыr, rien d’absolu, car nombreux sont les exemples de transpositions du monde non animé
ou végétal au monde humain, tel le cas classique de tête qui signifiait “pot de terre”, ou l’emploi
de citrouille pour “tête”, de patte pour “main”, etc.
Certains linguistes ont essayé d’établir, à la base des principales idées nominales et
verbales, les tendances que suivent les transpositions sémantiques. S. Ullmann, partant de la thèse
que “tout système linguistique renferme une analyse du monde extérieur qui lui est propre et qui
diffère de celle d’autres langues ou d’autres étapes de la même langue”19 , souligne que
“l’évolution du sens des mots n’est pas complètement chaotique. Elle obéit à certaines tendances
qui se rencontrent aux époques et dans les langues les plus diverses… Moins régulières que les
lois phonétiques traditionnelles, ces tendances les dépassent par leur généralité”20 . Et Ullmann
signale qu’ «un peu partout l’image de “prendre” sert à illustrer l’acte de la compréhension»21
(comprendre, concevoir, capire, рàçбèрàм, схâàùàм)22 , ce qui montre que “la faculté de
transposer des termes concrets sur le plan abstrait reste toujours une des formes dominantes de
l’expression humaine”23 . Ullman prend à témoin Gaston Esnault pour insister sur le fait que
“l’espace expime métaphoriquement le temps, sans réciprocité… La faune et la flore terrestre
nomment la faune et la flore marine sans réciprocité”24 . Les transpositions dans le domaine
sensoriel dépenderaient de la hiérarchie des perceptions respectives. Ullmann groupe les sens
dans l’ordre descendant tact - chaleur - goыt - odorat - ouпe - vue, qui correspond à leur degré
de différenciation relative, et souligne la forte prédominance des transpositions ascendantes (voix
aigre) bien que les transpositions en sens inverse ne soient pas absentes (sombre faim, frisson
blanc)25 . Cf. Encore l’affirmation de B. Whorf que “nous parlons de tons à propos des
couleurs”26
C’est dans la même perspective que se présentent les conceptions de Joseph Vendryes
dans son Introduction linguistique à l’histoire27 où il soutient la thèse qu’“on peut prévoir la
constitution d’une sémantique générale qui, en centralisant les renseignements tirés de chaque
langue sur les changements de sens, permettra de ramener ceux-ci à quelques principes, non pas
au point de vue simplement logique, comme cela a été fait jusqu’ici, mais au point de vue
psychologique. Il faudrait partir pour cela non des mots, mais des idées qu’ils expriment”28 . Nous
nous permettrons de reproduire ci-dessous certaines observations de Vendryes qui sont
significatives:
“Il n’est évidemment pas fortuit que l’idée de “fois” soit souvent exprimée par un mot qui
désigne le “voyage”… Cela s’explique apparemment par un développement de sens naturel,
accompli indépendamment dans les différents pays où il est attesté” (p.228-229).
“L’idée de douleur s’associe aisément à celle de grandeur, comme l’idée de violence et de
force”(p. 229).
“On passe sans peine de l’idée de pitié à l’idée de tendresse. Il se mêle toujours à la
contemplation de la misère un sentiment de sympathie… On dit amicalement mon pauvre petit”
(p. 230).
“L’idée de pauvreté, comme celle de petitesse, étant toutes deux synonymes de faiblesse,
inspirent à la fois tendresse et pitié” (p. 230).
“Dans beaucoup de langues les mots qui se rapportent à l’idée de bonté, de douceur, de
tranquillité ont été employés à désigner la bêtise. La simplicité qui est une qualité du caractère est
aussi un défaut de l’esprit” (p. 230).
“Un être malheureux est naturellement sympathique, de même qu’un homme bon a des
chances d’être en même temps faible de caractère et parfois simple d’esprit” (p.231).
Et Vendryes tire la conclusion “qu’en passant d’une idée à l’autre l’esprit n’a fait que
suivre les indications de l’expérience : il a résumé en un seul mot toute une série d’observations”
(p. 231).
Selon A. Rey, l’étude des locutions qui reposent sur une transposition lexico-sémantique
“peut procéder par l’analyse de l’écart entre sens fonctionnel transféré (surtout métaphorique) et
sens analytique29 , et “une typologie des locutions transférées (de nature métaphorique, le plus
souvent) ne semble (…) dès lors pas impossible. Il ne s’agirait pas seulement d’une classification
de type de discours métaphorique dans les locutions, mais d’une analyse des règles productives
aboutissant à ces unités complexes du code”30 . Malheureusement A. Rey n’a pas proposé une
typologie homogène puisqu’il a pris en considération des critères d’ordre différent - sémantiques,
lexicaux, syntactiques. Mais ses observations sur la base de départ des locutions transférées
apportent certaines précisions à retenir. “Par une première approximation, dit-il, on posera que les
locutions françaises les plus courantes utilisent un lexique de base structuré d’une part sur les
sémantismes élémentaires, expression de la temporalité, de la spatialité, du nombre, et d’autre
part sur un vocabulaire réalisant le contenu anthropologique concret (parties du corps et activités
corporelles, vêtements, instruments, nourriture, logement) et abstrait (caractéristiques
psychologiques, activités psycho-sociales parmi lesquelles les activités institutionalisées guerre, droit… - ont une particulière imporatnce, relations avec le surnaturel… Le monde
naturel non humain (animaux, végétaux, astres) n’est envisagé que dans une perspective
anthropomorphe et selon les valeurs symboliques propres à la culture”31 .
La spatialisation du temps et de l’abstrait, dont parle G. Guillaume, est commentée et par
B. Whorf en ces termes: “Nous exprimons la durée par long, court, grand, beaucoup, etc.;
l’intensité par large, grand, beaucoup, lourd, léger, haut, bas, faible, etc.; la tendance par plus,
augmenter, croître, tourner, devenir, approcher, aller, venir, s’élever, tomber, accélérer,
ralentir…Ces termes prennent place dans la configuration générale de la langue qui tend à
l’objectivation, à la spatialisation fictive de qualités et de potentiels qui sont dépourvus de tout
caractère spatial (pour autant que puisse le détecter notre équipement sensoriel relatif à la
perception spatiale)”32 .
Les auteurs auxquels nous venons de nous référer ne font qu’aborder le problème de la
transposition lexico-sémantique sans que ce soit le but principal de leur recherche. Notre intérêt
est attiré particulièrement par l’article de Béatrice Lamiroy “Les verbes de mouvement - emplois
figurés et extensions métaphoriques”33 où l’auteur étudie l’emploi de concepts relevant de
l’expérience physique pour exprimer des concepts plus complexes ou abstraits et arrive à la
conclusion que “le transfert consiste le plus souvent à concevoir le phénomène abstrait comme
l’objet même du mouvement, comme un objet transportable dans l’espace. Il est frappant (…)
que les situations sont plus souvent conçues comme le point d’arrivée d’un mouvement que
comme le point de départ”34 . B. Lamiroy distingue trois domaines de réalisation de la
transposition sémantique, à savoir:
a) le domaine des idées:
- les idées sont conçues comme des objets qui se déplacent (tout seuls) dans l’espace,
souvent comme des contenus par rapport à un contenant (l’esprit): Il ne lui rentre pas dans la tête
d’aller là-bas.
- les idées sont conçues comme des objets qu’on déplace: Luc lui a fourré dans le crâne
qu’elle doit absolument partir.
b) le domaine des sentiments:
- les sentiments sont conçus comme provoquant un mouvement ou un changement de
position chez la personne qui les subit: Que Marie ait dit cela a écrasé Luc.
- les sentiments sont conçus comme des objets transportables: faire cela lui apporte une
grande satisfaction.
c) le domaine de la parole - ce qui est communiqué est conçu comme un objet
transportable: Quelqu’un a rapporté à Luc que sa femme le trompe.
Mais la transposition sémantique peut s’appliquer à d’autres situations telles que:
- l’aboutissement d’un mouvement: Luc arrive à démontrer que l’hypothèse est fausse.
Cela conduira Luc à commettre un crime;
- l’origine d’un mouvement: Cette situation provient de ce que Luc n’est pas venu.
-un objet qui se déplace ou qui est déplacé: Luc a ramené le fait que Marie est partie35 .
Notons que les observations minutieuses de B. Lamiroy contribuent à la présentation
encore plus profonde et plus détaillée des problèmes concernant les directions dans lesquelles se
réalisent les transpositions sémantiques, mais l’objectif principal de l’auteur est tout autre, parce
que ces mécanismes, tout révélateurs qu’ils sont, n’épuisent pas les questions qui portent sur la
nature même du phénomène et le mérite de B. Lamiroy (comme on le verra plus bas) est d’avoir
cherché à expliquer les emplois métaphoriques des verbes de mouvement au niveau de leur
réalisations syntaxiques.
Nous avons essayé de mettre en vue les mécanismes de la transposition sémantique au
niveau de leur production, mais le problème n’aura réçu un traitement satisfaisant que lorsqu’il
sera étudié au niveau fonctionnel où ces mécanismes sous-tendent les figures, appelées
communément tropes, et où il faut aborder non seulement les problèmes de leur nature, mais
aussi ceux de leur motivation linguistique et des effets que ces fifures produisent.
III.Les tropes comme réalisations contextuelles des transpositions sémantiques.
Que peut-on ajouter à la problématique concernant les tropes quand on sait qu’on assiste
“depuis quelques années à un véritable mouvement inflatoire des publications sur la métaphore:
en moins de quinze ans, deux bibliographies sur la métaphore ont paru, chacune contenant plus
de 4000 titres”36 .
Nous allons nous référer, pour commencer, à deux ouvrages de rhétorique37 , rien que pour
mettre en relief les détails qui soulignent le caractère transpositionnel des figures de rhétorique et
qui insistent sur leur nature linguistique.
Dans l’ouvrage de P. Ricoeur La métaphore vive, la métaphore est classée parmi les
figures de discours et définie “comme trope par ressemblance; en tant que figure, elle consiste
dans un déplacement et dans une extension du sens des mots; son explication relève d’une théorie
de la substitution”38 . Les points essentiels qui attirent notre attention dans la perspective qui nous
intéresse se ramènent à ceci:
- Les ouvrages de poétique et de rhétorique que l’Antiquité nous a laissés n’ont pas
négligé l’importance de cette figure, témoins les traités d’Aristote où la métaphore est définie
comme «le transport à une chose d’un nom qui en désigne une autre, transport ou du genre à
l’espèce, ou de l’espèce au genre, ou de l’espèce à l’espèce ou d’après le rapport d’analogie». 39 Si
à cette figure s’intéressaient la poétique ainsi que la rhétorique, c’est parce que les deux domaines
se caractérisent par une intentionnalité qui se retrouve dans les mécanismes mêmes qui soustendent la métaphore, à savoir dans le mouvement qui la définit et qui consiste dans un
“déplacement de… vers…” (p. 24), autrement dit, dans “la transposition d’un nom qu’Aristote
appelle étranger” (p. 26) et par lequel se réalise un écart de ce qui est considéré comme usage
normal. Il est significatif qu’Aristote encore considérait la métaphore et la comparaison comme
reposant sur l’idée attributive: “La comparaison dit ceci est comme cela; la métaphore dit ceci
est cela” (p. 37), toute métaphore étant “une comparaison implicite dans la mesure où la
comparaison est une métaphore développée” (p.37).
- Si les définitions proposées par les différents auteurs ne se recouvrent pas, c’est que les
points de vue varient selon l’optique dans laquelle l’objet d’études est présenté. Ainsi, par
exemple, “un traitement purement rhétorique de la métaphore résulte du privilège abusif accordé
initialement au mot et, plus précisément au nom, à la dénomination, dans la théorie de la
signification, tandis qu’un traitement proprement sémantique procède de la reconnaissance de la
phrase comme première unité de signification”40 .
- Quelle que soit la position de départ d’un chercheur, il ne faut pas sous-estimer le fait
que la métaphore est un produit de discours car le “travail de sens qui engendre la transposition
du nom a sans cesse fait éclater le cadre du mot, et a fortiori celui du nom, et imposé de tenir
l’énoncé pour le milieu contextuel dans lequel seulement la transposition de sens a lieu”41 .
- Comme produit de l’activité langagière “la métaphore maintient deux pensées de choses
différentes simultanément actives au sein d’un mot ou d’une expression simple, dont la
signification est la résultante de leur interaction. Ou, pour accorder cette description avec le
théorème de la signification, nous dirons que la métaphore tient ensemble dans une signification
simple deux parties manquantes différentes des contextes différents de cette signification. Il ne
s’agit donc plus d’un simple déplacement des mots, mais d’un commerce entre pensées, c’est-àdire d’une transaction entre contextes”42 .
- Les recherches sur la métaphore doivent prendre en considération la corrélation entre le
sens concret et le sens figuré dans la mesure où “toute figure implique un déplacement, une
transformation, un changement d’ordre sémantique, qui fait de l’expression figurée une fonction,
au sens algébrique, d’une expression littérale préalable”43 .
On peut facilement se rendre compte que dans un ouvrage de rhétorique la métaphore
sera étudiée, et c’est tout à fait normal, comme quelque chose d’acquis et que l’accent sera porté
sur ses caractéristiques en tant que figure et pas tellement sur les mécanismes qui l’ont
engendrée. Et quand I. Passy, faisant le parallèle entre la métaphore et la comparaison, affirme
que la ressemblance dans les cas de comparaison, qui est rendue par comme, est transformée,
dans les cas de métaphore, en identité, rendue par être attributif44 , l’auteur se rend bien compte
d’un trait essentiel, mais il le présente du côté résultatif, et non pas du côté de sa constitution.
C’est toujours l’effet qu’on prend en considération quand on souligne que la métaphore est une
forme d’intensification, car la qualité implicite ou explicite est portée à un degré très élévé45 .
Pourtant certaines remarques d’I. Passy portent sur le mécanisme de la production de la
métaphore, telle la référence à Max Black qui soutient que souvent les métaphores créent des
ressemblances au lieu de les trouver préétablies46 , et ce fait est d’une importance capitale pour la
poétique. Pour Passy, le mécanisme de la métaphorisation se réduit à une condensation de
l’énoncé et cette observation est tout à fait juste, seulement l’auteur n’a pas pénétré dans les
détails de ce macanisme, comme l’a fait Chr. Todorov (voir plus bas) à la base de l’idéogenèse.
Un point de vue linguistique sur la métaphore est apte à jeter plus de lumière sur ses
mécanismes et c’est la raison pour laquelle, nous voyant dans l’impossibilté d’embrasser un
nombre plus élevé de recherches, nous nous contenterons de quelques-unes qui sont significatives
quant aux tendances dans lesquelles vont ces recherches.
La plupart des études consacrées aux tropes, partant d’un point de vue linguistique,
abordent les problèmes du côté résultatif en négligeant les mécanismes par lesquels les tropes
sont engendrés. On insiste avant tout sur les trois éléments que toute métaphore comporte: “l’idée
à nommer, celle qui lui donne son nom, enfin le trait de ressemblance qui permet le
rapprochement”47 . Les définitions que les auteurs proposent ou citent mettent l’accent sur la
transposition sémantique en tant que résultat, comme quelque chose d’acquis, ce qui s’explique
par la tendance à isoler la sémantique des autres branches de la linguistique. C’est pour cette
raison que dans des études toutes récentes sont reproduites des définitions telles que: les tropes
sont des “mots qu’on transporte de la chose qu’ils signifient proprement, à une autre qu’ils ne
signifient qu’indirectement”, ou “les tropes sont des figures par lesquelles on fait prendre à un
mot une signification qui n’est pas précisément la signification propre de ce mot”48 , et l’on se
préoccupe surtout du problème du rapport (et de l’écart) entre le sens propre et le sens figuré49 .
Les chercheurs sont bien conscients du fait que “la ressemblance saisie entre le terme comparé (le
déterminé -P.Chr.) et le terme comparant (le déterminant - P.Chr.) se fonde en effet davantage
sur la manière de voir les choses que sur la nature même des choses, d’où les connotations de
toutes sortes qui s’attachent au trope”50 , et c’est peut être en pensant aux tournures comparatives
qu’on a utilisé le terme détournement sémantique pour désigner le phénomène de transposition,
mais ce terme insiste sur l’image détournée plutôt que sur le mécanisme léxico-sémantique.
Dans la perspective de l’analyse componentielle, la métaphore se présente par une
intersection des sémèmes mis en rapports, tandis que “dans la métonymie il y a coпnclusion
dans un ensemble de sèmes, coappartenance à une totalité sémique… Dans la métaphore le terme
intermédiaire est englobé, alors que dans la métonymie il est englobant”51 ; on a, dans le premier
cas, un transfert sémique, et dans le deuxième - un transfert de nom. La synecdoque ne devrait
pas être considérée comme résultant d’une transposition sémantique, car “elle opère un
changement dans l’extension logique du mot52 .
Pour C. Kerbrat-Orecchioni, le trope se caractérise par la substitution d’un sens dérivé au
sens littéral53 . Le sens dérivé est appelé encore dénoté, “dans la mesure où c’est lui qui constitue,
en contexte, le vrai sens de l’énoncé - c’est lui qui assure la cohérence interne et l’adéquation
externe de l’énoncé, puisque c’est précisément le désir de restaurer une adéquation et une
cohérence perturbées par le sens littéral qui vont déclencher la quête d’un sens plus acceptable”54 .
Selon nous, il ne peut être question de restaurer une adéquation et une cohérence perturbées par le
sens littéral, car avant que l’objet de la transpopsition soit rapporté au sujet ou employé à sa
place, il a déjà dы subir une transposition intérieure - de son sens concret au sens figuré prévu par
le contexte - et il n’est point question, au niveau de l’énonciation, de “reconnaissance d’un
décalage entre sens littéral et sens actualisé”55 . Si décalage il y a dans les cas mentionnés par
l’auteur, il peut être dы à la discordance entre l’ «encodage» et le “décodage” de l’énoncé quand
locuteur et allocutaire n’ont pas la même compétence linguistique. Et c’est à juste titre qu’un peu
plus bas C. Orecchioni parle de “perspective onomasiologique (d’encodage)” - quand le trope se
définit par la formule “un mot pour un autre”; et de “perspective sémasiologique (de décodage)” quand le trope se définit par la formule “un sens pour un autre”56 . Les deux perspectives se
touchent au point où se réalise l’implicite - un poblème auquel C. Orecchioni consacre une étude
monographique57 - et c’est dans cette optique qu’elle affirme que “tous les types de contenus
implicites sont dans certaines circonstances susceptibles de venir fonder l’existence d’un trope”
et que “le trope n’est qu’un cas particulier de fonctionnement de l’implicite”58 . L’originalité
méthodologique59 se répercute sur la définition du trope que l’auteur propose, à savoir que “le
trope convertit en contenu dénoté un contenu dérivé: dérivé-de-langue (donc littéral et explicite)
dans le cas du trope lexicalisé, dérivé-de-discours (donc non littéral et implicite) dans celui du
trope d’invention”60 .
Les problèmes de la métaphorisation peuvent être et sont étudiés au point de vue de la
créativité langagière, témoin l’étude de Pierre Dumont Vision du monde et recomposition lexicale
dans le français d’Afrique,61 où l’auteur, au lieu de se préoccuper des questions théoriques, essaie
de mettre en valeur comment ce procédé de transposition sémantique fonctionne aujourd’hui dans
le discours des usagers francophones d’Afrique et souligne qu’à ce point de vue “la métaphore
n’est ni un phénomène exclusivement poétique ou rhétorique, ni un phénomène exclusivement
linguistique. Elle est révélatrice de l’encrage profond du langage dans l’expérience et dans la
perception du réel et elle fournit donc le moyen de pénétrer dans l’univers conceptuel qui investit
le français des locuteurs africains…La métaphore n’est donc pas un simple écart, même si le
locuteur français ressent une différence entre sa perception habituelle du réel et celle de son
interlocuteur français, mais une véritable transposition dont la nature peut parfois poser
problème”62 . Ainsi posé, le problème ouvre la voie à des études détaillées sur l’état actuel du
français dans un milieu linguistique hétérogène.
B. Lamiroy constate que la science moderne se préoccupe de problèmes portant sur
l’identification de la métaphore pour la distinguer d’une phrase déviante, ou sur l’interprétation
de la métaphore comme fait de discours relevant, à la fois, de la compétence et de la performance
linguistiques, et regrette que peu de linguistes se soient intéressés, de façon systématique, à la
métaphore du point de vue syntaxique63 . D’un autre côté, l’intérêt va plutôt à la métaphore
nominale et peu sont ceux qui ont pris en considération la métaphore verbale. “La métaphore ne
semble digne d’intérêt que dans la mesure où elle est considérée comme un phénomène relevant
du sens plus que de la forme et concernant le nom plutôt que le verbe”64 . Pour B. Lamiroy la
question des mécanismes formels qui sous-tendent la métaphore vaut la peine d’être abordé, et
elle se popose “d’examiner la métaphore, et en particulier celle de type verbal, sous l’angle de la
syntaxe”65 . Partant de l’hypothèse que “l’absence de spécificité syntaxique de la métaphore,
plutôt que d’enlever tout intérêt à la question, constitue une des clefs sur lesquelles le mécanisme
métaphorique repose, l’auteur arrive à quelques constatations très impoirtantes, à savoir que :
- Il y a normalement un isomorphisme syntaxique entre la structure qui contient la
métaphore et une structure où le même verbe a son sens propre.
- La structure métaphorique est non seulement régulière, mais elle a une valeur canonique.
- Les opérations syntaxiques qu’on peut effectuer sur les phrases métaphoriques sont plus
restreintes en comparaison avec les phrases non métaphoriques. Certaines transformations sont
plus souvent interdites pour les verbes employés métaphoriquement, tels l’effacement difficile de
certains compléments des verbes de mouvement employés métaphoriquement (dans Il revient à
son esprit que Marie lui avait fait une promesse, le complément à son esprit ne peut être
remplacé par y) ou l’interdiction du passif dans beaucoup de cas (la phrase Que ses supérieurs
aient commis une injuistice a été balayé par Luc de sa mémoire n’est pas admissible)66 . Il est
regrettable que l’auteur n’ait pas essayé de motiver les particularités des locutions verbales
métaphoriques, ce qui aurait jeté de la lumière sur la nature des mécanismes qui les sous-tendent.
Parmi les études linguistiques sur la métaphore qui nous sont accessibles, il y en a une qui
se distingue par une rigueur méthodologique remarquable. Il s’agit de l’article de Chr. Todorov
Principes de la rhétorique opérative67, où l’auteur se propose d’envisager les tropes comme le
résultat d’une opération linguistique basée sur l’idéogenèse. Nous nous permettrons de présenter
les problèmes dans un ordre un peu différent de celui de l’auteur en vue de les rendre plus
accessibles.
Selon Todorov, la présentation courante de la problématique sur la métaphore a deux
défauts importants. D’abord, elle établit un rapport logique entre deux choses matérielles et cache
la nature essentiellement linguistique du problème qui est de savoir comment un mot propre
(signifié premier = signifié de langue) peut acquérir une valeur figurée (signifié second = signifié
de discours). Et puis, elle implique l’idée de déplacement du sens comme allant de soi. Parler de
“transfert de sens c’est désigner d’une manière mataphorique (…) le résultat d’une opération
linguistique”68 . Le sens figuré d’un mot n’est possible que dans la mesure où il est la
mémorisation d’un emploi discursif préexistant. Si le passage de la langue au discours (mot syntagme - phrase - transphrase) est l’opération fondamentale qui rend compte du
fonctionnement du langage, l’opération de réduction (en sens inverse) est responsable de
l’apparition du sens figuré. Au niveau de l’unité discursive initiale on a:
-la synecdoque qui est la réduction tout simplement d’un syntagme à un mot;
-la métonymie qui est la réduction d’une unité discursive supérieure (de la phrase) et elle
a pour résultat l’identification de l’objet au sujet : un substantif est désigné par un autre
substantif. Le changement métonymique de sens n’entraîne pas un changement de la partie de
discours.
-la métaphore qui est la réduction d’une unité transphrastique ayant la forme d’un
syllogisme: L’âne est bête. Jean est bête. Jean est un âne - Quel âne.
La synecdoque est une métonymie impropre: la réduction d’un syntagme aboutit à un
syntagme du même type (à un substabtif) pour désigner le contenu par le contenant (boire un
verre = boire un verre de vin); l’oeuvre par le nom de son auteur (Acheter deux Balzac = Acheter
deux romans de Balzac). Selon Chr. Todorov, la préposition de dans le syntagme un verre de vin
traduit une relation locative ou plus exactement la destination (la fonction) de l’objet, tandis que
dans deux romans de Balzac de équivaut au passif de faire (fait de = écrit de). La synecdoque
réduit le syntagme à un de ses termes - verre ne signifie pas vin (il n’y a pas d’identification)
mais verre de vin. Il n’y a donc pas de sens figuré. Au lieu de parler de transposition sémantique
on peut parler de totalisation du sens: le déterminé se charge de l’expression du sens de
l’ensemble.
La métonymie représente le plus souvent la réduction d’une phrase possessive selon le
schéma phrase - syntagme - mot: La maison a un toit - le toit de la maison - le toit (=la
maison). Désigner le tout par la partie ou réduire une phrase possessive à un mot revient au
même. La différence est d’ordre méthodologique. Le passage de la langue au discours fournit La
maison a un toit, dont la réduction (le toit = la maison) n’est qu’une identification de l’objet (toit)
au sujet (maison) - l’objet est pris pour le sujet et ce n’est que résultativement qu’on peut parler
de transfert métonymique. Pour que ce transfert se réalise, il faut que la phrase de départ ait un
caractère presque tautologique - l’objet da la phrase possessive initiale (le toit) fait partie de la
définition même du sujet (la maison). Les métonymes impliquent, d’une façon générale, une
relation possessive entre le figuré (le déterminé - la maison) et le figurant (le déterminant - le
toit).
La métaphore implique deux phrases attributives qui se réduisent à une troisième,
laquelle identifie le sujet de la deuxième au sujet de la première. Le signifié du substantif
métaphorisé (le figurant ou déterminant) subit un changement de régime d’incidence - le
substantif acquiert implicitement la fonction d’un adjectif - un substantif sert à désigner la qualité
d’un autre substantif. La phrase attributive, qui est la position idéogénétique où apparaît l’adjectif
comme partie du discours, implique toujours une comparaison (Le sang est rouge implique une
comparaison avec des choses qui ne sont pas rouges - le ciel, la neige). La métaphore suppose
une appréciation modale. L’inexactitude du côté objectif (l’homme et l’animal sont des êtres
différents) appelle une correction qui ne peut venir que du côté subjectif - du sujet. La mobilité
de l’adjectif entre les deux limites absolues (Moi et Chose) lui permet: soit un traitement objectif
(dans un homme grand , homme est considéré comme quelque chose de matériel et comparé à
d’autres objets), soit un traitement subjectif (un grand homme, où homme est considéré comme
un autre Moi et grand signifie “digne d’estime et d’admiration”). A part la métaphore directe,
élaborée à partir de être attributif, on peut parler aussi de métaphore indirecte (locative) quand
elle est élaborée à partir de être locatif: Jean traîne son adversaire dans la boue.
On peut dire, avec Chr. Todorov, “que les tropes représentent la réduction d’unités de
niveau supérieur en unités de niveau inférieur. Cette réduction se fait sur la base des idées
verbales essentielles, appartenant à des positions idéogénétiques différentes:
(signifié figuré de
puissance forte)
METAPHORE
(signifié figuré de
(signifié propre
faible puissance)
du substantif)
METONYMIE
SYNECDOQUE
(être)
(avoir)
(faire)69
Nous aimerions, à l’appui de la distinction que Todorov fait entre la métaphore et la
métonymie, citer ce qu’en dit P. Ricoeur. “Seule la métonymie peut être traitée purement comme
un cas de dénomination…La métaphore ne diffère pas de la métonymie en ce que l’association se
fait ici par ressemblance au lieu de se faire par contiguпté. Elle en diffère par le fait qu’elle joue
sur deux registres, celui de la prédication et celui de la dénomination”70 .
Nous aimerions, pour dissiper tout malentendu, que l’article de Chr. Todorov pourrait
laisser, nous arrêter sur quelques points intéressants, en insistant, avant tout, sur le fait que
l’auteur ne traite que des principes de la rhétorique opérative, ne pouvant, sur une dizaine de
pages, épuiser les problèmes en détails.
1) A la page 220 l’auteur affirme que les métonymies impliquent une relation possessive
entre le Figuré et le Figurant, figuré devant être compris comme déterminé (le sujet) et figurant
- comme déterminant (l’objet). A la page 222, Todorov souligne que “le signifié figuré du
substantif métaphorisé (l’objet) subit un changement de régime d’incidence”. Nous rejetons la
supposition d’une défaillance terminologique de la part de l’auteur et trouvons que c’est dans la
complexité des problèmes qu’il faut chercher la cause de cette soi-disant inconséquence
terminologique. L’objet, en tant que figurant (ou déterminant) a dы subir un changement de
valeur: âne (qui désigne un animal) requiert la valeur d’adjectif (”bête”, “têtu”, etc.) et le
figurant, ainsi constitué, réalise l’incidence au figuré. Ou en schéma:
2) A propos des valeurs de la préposition de dans les cas de synecdoque (un verre = un
verre de vin et deux Balzac = deux romans de Balzac) nous sommes tentés de les motiver par la
résultativité qui s’établit entre les deux termes, la résultativité n’étant possible que lorsque la
construction implique l’idée de faire: Le verre est rempli de vin, le livre est écrit de Balzac. Nous
devrions donc ramener les interprétations par “relation locative”, “destination” ou “fonction” à
l’idée passive de faire.
3) Comme il a été dit plus haut, la métaphore, pour Chr. Todorov, repose sur la
construction attributive du verbe être et consiste, donc, dans l’attribution d’une qualité par le
recours à un emploi figuré. F. Rullier-Theuret dans son article Faire, être et avoir sous la
métaphore en de71 , où il s’agit des métaphores par complément déterminatif introduit au moyen
de la préposition de, souligne que “la forme grammaticale recouvre des structures profondes
différentes”, et qu’il vaut mieux “abandonner les considérations de sens pour chercher à décrire
autrement ces figures: les génitifs métaphoriques acceptent presque tous d’être paraphrasés au
moyen d’un verbe faire, être ou avoir. Ces manipulations font apparaître que sous une apparente
unité syntaxique, on rencontre trois types de métaphores en de72 . Et l’auteur trouve que des
métaphores comme le naufrage du soleil, la musique des mots, les pas précipités du jour peuvent
être paraphrasés par le recours à des verbes réductibles à faire: le soleil fait naufrage, les mots
chantent, le jour marche; d’autres comme la terre arable du songe, la tanière de ses souliers, le
troupeau des ponts - peuvent s’interpréter par le verbe être: la terre est un songe, les souliers
sont une tanière, les ponts sont un troupeau; d’autres encore, telles que les herbes de mes yeux,
le beau visage du monde, impliquent la possession: les yeux ont des cils comme des herbes, le
monde a un beau visage. Nous ne trouvons pas qu’il y ait un désaccord dans les vues des deux
auteurs. Nous avons dit plus haut que le procès se présente comme une des propriétés de la
matière nominale dans la mesure où elle peut engendrer ou subir un procès. Propriété implique
attribution, c’est-à-dire le recours au verbe être. D’un autre côté, toute métaphore en de peut
être paraphrasée par une subordonnée relative dont la vocation est de présenter le procès comme
une attribution au référent: le naufrage du soleil - le soleil qui fait naufrage; la terre arable du
songe - le songe qui est une terre; le beau visage du monde - le monde qui a un beau visage. On
se rend bien compte que le principe de la constitution idéogénétique de la métaphore est le même.
Loin de rejeter la thèse de Todorov, l’étude de Rullier-Theuret vient la confirmer dans les détails.
4) Selon Chr. Todorov, quand la métaphore s’élabore à partir de la construction attributive
du verbe être, elle peut être considérée comme directe, alors que si elle est fondée sur sa
construction locative, elle doit être considérée comme indirecte. Dans le deuxième cas la
circonstance de lieu acquiert une valeur subjective, le lieu revêt une signification humaine,
morale, affective. Il s’établit un parallélisme plus libre entre l’univers (par exemple, le paysage
métaphorique) et l’être humain: Jean traîne son adversaire dans la boue (= Jean humilie son
adversaire)73 . Vu que la métaphore a des réalisations multiples, il serait normal d’élargir le
champ des deux sous-groupes. On doit ranger dans le groupe des métaphores directes encore les
métaphores obtenues par nomination (une soutane =un curé), par apposition (l’école, une vraie
ruche) ou par un complément déterminatif (le gouffre de tes yeux). On devrait considérer comme
indirectes les métaphores qui reposent sur une idée verbale autre que l’idée attributive dont il est
question, par exemple, dans les articles de Françoise Rullier-Theuret et de Béatrice Lamiroy
(voir supra).
5) Selon le contexte, l’idée possessive peut trouver des réalisations différentes qui,
parfois, semblent assez éloignées de la valeur de base. E. Popova, qui présente le mécanisme de
la métonymie comme une réduction de l’énoncé, souligne que la métonymie repose sur des
rapports circonstanciels entre les objets et les phénomènes74 . Elle énumère des types de
métonymies basées sur des rapports spatiaux (qui ne sont en fin de compte que des rapports de
contenant au contenu: Le quartier fut indigné - les gens du quartier), sur des rapports temporels
(Notre siècle semble indifférent à la misère- Nous appartenons à notre époque), sur le rapport
entre le concret et l’abstrait (Le courage fait des merveilles - Ceux qui ont du courage…), sur le
rapport entre l’instrument et celui qui s’en sert (Le trompête sonna l’alarme - Celui qui a une
trompête et s’en sert), le rapport entre la qualité et le sujet auquel elle est attribuée (La tête blonde
sourit - L’homme qui a la tête blonde), etc., et ces rapports, comme on vient de le voir, par le
recours à une périphrase, peuvent se ramener à l’idée possessive.
Le mérite de l’article de Chr. Todorov consiste non seulement dans le fait qu’il a posé les
principes de la rhétorique opérative d’un point de vue purement linguistique, mais encore dans la
perspective qu’il ouvre à de nouvelles recherches dans ce domaine. Il contribue à nous rendre
compte du fait que la transposition sémantique au niveau des figures de rhétorique est une
opération terminale, précédée d’autres procédés de changements linguistiques qui la préparent et
la motivent. Les interprétations peuvent être multiples (la flamme de l’amour peut être reformulé
comme l’amour est une flamme, l’amour a une flamme, l’amour brыle)75 et peuvent reposer sur
des rapports divers (Les herbes de mes yeux, par exemple, suppose que mes yeux sont un jardin
où l’herbe pousse. Nous nous trouvons devant une relation à quatre termes: herbe ne peut se
comprendre par rapport aux yeux qu’en passant par deux représentations non explicitées: jardin
et cils, qui entretiennent des rapports métonymiques avec les mots du texte: herbe/jardin,
yeux/cils (contiguпté)76 . La méthodologie proposée par Chr. Todorov nous fournit une clef pour
l’interprétation des cas de transposition sémantique, et permet de saisir aussi bien ce qu’ils ont en
commun que ce qu’ils ont de spécifique.
NOTES:
A. Rey. Le lexique: images et modèles. Paris, p. 166.
2
Ibid., p.167.
3
Ch. Bally. Le langage et la vie. Zurich, 1935, p. 29.
4
A.J. Greimas. Sémantique structurale. Recherche de méthode.. Paris, 1966.
5
P. Guiraud. La sémantique. P.U.F. “Que sais-je?”, Paris, 1969.
6
B. Pottier. Vers une sémantique moderne. Travaux de Linguistique et de Littérature ,
Strasbourg, II, 1, 1964.
7
G. Mounin. Clefs pour la sémantique. Paris, 1972.
8
E. Coseriu. Pour une sémantique diachronique structurale. Travaux de Linguistique et de
Littérature, Strasbourg, II, 1, 1964.
9
S. Ullmann. Précis de sémantique française. Berne, 1965, p.242.
10
N.N.Lopatnikova. Lexicologie du français moderne, Moscou, 1982, p. 2.
11
Ibid., p. 69.
12
Ibid., p. 67-68.
13
A. Rey. Op.cit., p. 192.
1
Le problème peut être étudié dans l’optique de l’analyse componentielle. Citons à titre
illustratif la démarche de M. Tutescu dans son Précis de sémantique française où elle souligne
qu’”en tant que métasémèmes, les changements de sens reposent sur un transfert sémique, sur
une règle sémantique qui modifie le faisceau de sèmes formant le sens du mot respectif.
L’essentiel dans les changements sémiques c’est que la suppression de certains sèmes nucléaires
y est récupérée par l’adjonction de certains autres.(p. 64). Nous avons des réserves à propos de la
confusion terminologique qu’on y constate, parce que, si dans les lignes ci-dessus le
métasémème est présenté comme un changement de sens, à la page précédente, le métasémème
est “un faisceau de traits à caractère dynamique” (p. 63).
15
A. Rey . Le lexique: images et modèles, p. 192.
16
J.-M. Adam. Du renforcement de l’assertion à la concession : variations d’emplois de certes.
L’information grammaticale, 1997, N 73, p. 4.
17
A. Rey. op. cit., p. 192.
18
Principes de linguistique théorique de G. Guillaume. Québec, Paris, 1973, p. 96-97.
19
S. Ullmann., op.cit., p. 300.
20
Ibid., p. 293.
21
Ibid., p. 281
22
J. Picoche traite de cette transposition sémantique dans son article Analyse lexicale et
perception de la réalité, Cahiers de Praxématique, N° 21, 1993, où elle fait remarquer qu’”en
ancien français, les différents emplois d’entendre correspondent à deux saisies principales:
1)activité d’esprit en cours, tendant vers un résultat, d’où selon les contextes, les effets de sens
“s’orienter vers”, “désirer”, “s’occuper de”, “être d’avis de”, “écouter”. 2) activité d’esprit
atteignant son but, d’où “remarquer”, “s’apercevoir de”, “prendre garde”, “comprendre”
(acception que nous désignerons par le mot latin intelligere) et “ouпr”. Là où entendre apparaît
comme un substitut de oпr, le complément est le plus souvent une parole humaine, donc un sens,
compris par l’intelligence en même temps que la chaîne sonore qui en est le support est perçue
par l’oreille. Mais oпr et entendre, synonymes pratiquement ne le sont pas linguistiquement. La
polysémie de entendre nous invite à voir en lui un verbe strictement intellectuel et abstrait, dont
l’objet peut être un phénomène en tant qu’il est interprétable, alors qu’oпr, monosémique, ne
signifiant rien d’autre que “percevoir par les oreilles”, est strictement concret… En français
moderne ouпr (sauf dans quelques expressions figées) est remplacé par entendre dont les emplois
sensoriels concrets constituent désormais l’essentiel du sémantisme; ses emplois abstraits se sont
reportés sur plusieurs autres verbes dont le plus important est comprendre; il n’en subsiste plus
que quelques-uns tels que entendre raison, s’entendre avec quelqu’un, laisser entendre…Les
emplois intellectuels sont désormais du domaine de comprendre qui a perdu ses emplois
concrets et se trouve scindé en deux acceptions : comprendre - “includere” et comprendre “intelligere” très inégales en importance. Le grand tournant de son histoire se situe à la jointure
du XVIIe et du XVIIIe s. Jusque là, on pouvait y voir un mot polysémique signifiant
essentiellement l’inclusion, avec forte spécialisation d’un grand nombre d’emplois dans le
domaine intellectuel. Désormais, l’acception “intelligere” est l’acception “includere” vont vivre
chacune une vie séparée quasi homonymique”. P. 46-49.
23
Ibid., p. 281.
24
G. Esnault. La sémantique. Où en sont les études de français? Paris, 1949, p. 133.
25
Ibid., p. 300.
26
B. Whorf. Linguistique et anthropologie, Paris, 1969, p. 109.
27
J. Vendryes.Op. cit., Paris, 1968.
28
Ibid., p. 228.
14
A. Rey. Op. cit., p. 196.
Ibid., p. 193.
31
Ibid., p. 195.
32
B. Whorf. Op. cit., p. 90.
33
B. Lamiroy. Les verbes de mouvements - emplois figurés et extensions métaphoriques.
Langue française, N° 76. 1987, p. 41-58.
34
Ibid., p. 50-51.
35
Ibid., p. 49-50.
36
Ibid., p. 41.
37
P. Ricoeur. La métaphore vive. Editions du Seuil, Paris, 1975. È.Пàсè. Метàôîрàтà. Сîôèя,
1988.
38
P. Ricoeur. Op. cit., p. 7.
39
Ibid., p. 19 où P. Ricoeur cite Aristote d’après la traduction française de J. Hardy, ed. Des
Belles Lettres, coll. Budé, 1932.
40
Ibid., p. 63.
41
Ibid., p. 87.
42
Ibid. ,p. 105.
43
Ibid., p. 112.
44
È.Пàсè. Метàôîрàтà., с. 27.
45
Ibid., p. 33.
46
Ibid.,p. 58.
47
S. Ullmann. Précis de sémantique française, p. 278.
48
F. Rastier. Tropes et sémantique linguistique. Langue française, N° 101, I994, p. 81.
49
Ibid., p. 83
50
N. Flaux. L’antonomase du nom propre ou la mémoire du référent. Langue française, N° 92,
p. 38.
51
M. Tutescu. Précis de sémantique française, Bucuresti, 1974,
p. 71.
52
Ibid., p. 72.
53
C. Kerbrat-Orecchioni. Rhétorique et pragmatique: Les figures revisitées. Langue
française, 1994, N° 101, p. 57.
54
Ibid., p. 59.
55
Ibid., p. 59.
56
Ibid., p. 63.
57
C. Kerbrat-Orecchioni. L’Implicite, Paris, 1986.
58
Ibid., p. 94.
59
P. Guiraud s’appuie aussi sur l’implicite quand il présente la métaphore comme “une
comparaison avec ellipse du premier terme et dans laquelle le caractère signifié se trouve
implicitement inclus dans le terme signifiant”. Les Locutions françaises. Paris, 1961, p.55.
60
C. Orecchioni. L’implicite, p. 99.
61
P. Dumont. Op. cit., in Cahiers de praxématique, N° 21, pp.53-62.
62
Ibid., p. 57.
63
B. Lamiroy. Op. cit., p. 43.
64
Ibid., p. 44.
65
Ibid., p. 45.
66
Ibid., p.45-53.
29
30
Chr. Todorov. Principes de la rhétorique opérative, in Etudes d’histoire de la littérature
française, Sofia, 1987, p. 216-229.
68
Ibid., p. 218.
69
Ibid., p. 228.
70
P. Ricoeur. Op. cit., p. 170.
71
F. Rullier-Theuret. Faire, être et avoir sous la métaphore en de. L’information grammaticale,
1997, N° 73, pp. 12-15.
72
Ibid. p. 13.
73
Chr. Todorov. Op. cit., p. 227-228.
74
Е. Пîпîâà. Метîнèмèятà êàтî стèлнî-еçèêîâî средстâî. Сîôèя, 1982, с. 18.
75
F. Rullier-Theuret. Op. cit., p. 14.
76
Ibid., p. 14.
67
CONCLUSION
L’analyse des mécanismes transpositionnels aux différents niveaux démontre qu’il s’agit
d’un phénomène de grande envergure, un phénomène dont les manifestations sont, chaque fois,
très spécifiques et dépendent de facteurs de nature différente, à savoir:
1.Des caractéristiques du niveau d’analyse respectif: phonétique, dérivationnel,
syntagmatique, phrastique et lexico-sémantique. Les éléments qui apparaissent à chacun de ces
niveaux ont leurs propriétés strictement définies et ce sont elles qui sont mises en cause lors de la
transposition.
2.De la nature de l’objet de transposition qui change non seulement d’un niveau à l’autre,
mais aussi dans le cadre du même niveau d’analyse. D’un autre côté, il y a des facteurs
appartenant à un niveau inférieur qui se reflètent sur les mécanismes transpositionnels à un
niveau supérieur. Tel est le cas du rôle de l’accent, de la quantité vocalique ou du nombre des
syllabes, qui sont de caractère phonétique, pour les transpositions au niveau de la versification.
Les transpositions dérivationnelles ne se réalisent qu’en vue d’enrichir le vocabulaire comme
matériel constitutif des syntagmes et des phrases. La réduction de l’énoncé comme mécanisme
transpositionnel au niveau du syntagme ou de la phrase est à la base des transpositions
métaphoriques et métonymiques.
3. De la portée de la transposition qui peut affecter la forme ou sur le contenu de l’élément
affecté. La conversion est une transposition plutôt formelle, tandis que la métaphotre et la
métonymie sont de caractère sémantique. Mais, très souvent, quand on porte atteinte à la forme,
le contenu s’en ressent. L’adjectif substantivé désigne autre chose que l’adjectif de départ. Les
suffixes comme translateurs apportent à l’élément de départ non seulement une forme nouvelle,
mais aussi une charge sémantique spécifique.
Quelque diversifié que soit le système grammatical, il se distingue par une homogénéité
des éléments de base, c’est à dire des parties de langue prédicatives, laquelle se reflète sur le
caractère de la transposition. La substantivation, la verbalisation, l’adjectivation et
l’adverbialisation sont des phénomènes qui se manifestent à des niveaux différents. Au niveau
dérivationnel se dessine surtout leur caractère formel, alors qu’aux niveaux syntagmatique et
phrastique on observe des transpositions qualifiées comme nominalisation, adjectivation ou
adverbialisation qui sont de caractère fonctionnel. Les niveaux d’analyse nous intéressent, donc,
non seulement par les éléments qu’ils fournissent en tant qu’objet de transposition, mais aussi par
le comportement que chacun des éléments réalise au niveau respectif. Le niveau du mot (des
parties de langue prédicatives) est caractérisé par les deux constituants indispensables - la forme
et le contenu et les transpositions sont à la fois formelles et notionnelles. Le niveau phrastique est
le domaine où se réalisent les emplois des parties de langue prédicatives et les transpositions qui
s’y manifestent ont un caractère fonctionnel nettement accusé.
Il importe, pour saisir l’essence d’un type de transposition, de bien se rendre compte des
facteurs qui la provoquent et des translateurs qui contribuent à sa réalisation. On a pu constater
que les transpositions aux niveaux phonétique et sémantique résultent des changements qui
découlent des combinaisons dans lesquelles les éléments respectifs entrent. D’un autre côté, si les
transpositions d’une partie de langue à l’autre sont catégorielles (formelles), celles qui ont lieu
dans le cadre de la même catégorie consistent dans un changement de valeur: les emplois
transposés des temps verbaux, par exemple, affectent la valeur grammaticale, alors que si
l’adjectif change de place, cela peut provoquer des transpositions sémantiques.
ПРÎБЛЕМÈ НÀ ЕÇÈÊÎÂÀТÀ ТРÀНСПÎÇÈЦÈЯ
(àнîтàцèя)
Трàнспîçèцèятà êàтî еçèêîâî яâленèе îтдàâнà е прèâляêлî âнèмàнèетî нà ученèте, нî тî
не е бèлî îбеêт нà сèстемнî прîучâàне âъâ ôренсêàтà лèнгâèстêà. Êàтî се îснîâàâà нà
прèнцèпнèте пîлîженèя нà гèéîмèçмà (че еçèêîâèте прîменè се сâеждàт дî прîменè â
пîçèцèятà, êîятî çàемà îпределен еçèêîâ елемент, че çà устîéчèâà пîçèцèя мîже дà се гîâîрè
сàмî услîâнî нà сèстемнî рàâнèùе, че трàнспîçèцèятà êàтî яâленèе îтгîâàря нà нуждèте нà
еêспресèâнîсттà è че тя се яâяâà пресечнà тîчêà между сèнхрîннîтî è дèàхрîннî еçèêîçнàнèе),
трудът сè пîстàâя çà цел дà прîучè трè îснîâнè прîблемà, à èменнî: 1) Êàê се прîяâяâà
трàнспîçèцèятà нà рàçлèчнèте еçèêîâè рàâнèùà? 2) Êîè сà мехàнèçмèте нà еçèêîâàтà
трàнспîçèцèя è êàêâî е îтнîшенèетî между èçхîднàтà è êрàéнàтà пîçèцèя? è 3) Êîè сà ôàêтîрèте,
êîèтî предèçâèêâàт è чреç êîèтî се îсъùестâяâà трàнспîçèцèятà? Устàнîâяâà се спецèôèêàтà нà
трàнспîçèцèятà нà îтделнèте еçèêîâè рàâнèùà (ôîнетèчнî, дерèâàцèîннî, сèнтàгмàтèчнî, ôрàçîâî
è леêсèêî-семàнтèчнî) è се деôèнèрàт трàнслàтîрèте, чреç êîèтî тя се îсъùестâяâà. Нà
ôîнетèчнî нèâî êàтî трàнспîçèцèîннè яâленèя сà рàçгледàнè, îт еднà стрàнà, àсèмèлàцèятà è
редуêцèятà нà çâуêîâете, à îт другà - прехîдът îт еднà âерсèôèêàцèîннà сèстемà â другà нà
бàçàтà нà îпределяùèте ôîнетèчнè ôàêтîрè - àêцентнà сèстемà, êâàнтèтет нà глàснèте,
êîлèчестâенàтà îпределенîст нà стèхà îт брîя нà срèчêèте. Â îблàсттà нà слîâîîбрàçуâàнетî êàтî
тèпèчнè случàè нà трàнспîçèцèя сà предстàâенè суôèêсàлнàтà дерèâàцèя è êîнâерсèятà. С
îсîбенî рàçнîîбрàçèе се прîяâяâà трàнспîçèцèятà нà сèнтàгмàтèчнî рàâнèùе, êъдетî тя çàâèсè
1) îт хàрàêтерà нà îбеêтà нà трàнспîçèцèятà; 2) îт êрàéнèя реçултàт âъâ ôîрмàлнî è â смèслîâî
îтнîшенèе; 3) îт естестâîтî нà трàнслàтîрà è 4) îт тîâà дàлè трàнспîçèцèятà се èçâършâà â
рàмêèте нà еднà грàмàтèчесêà êàтегîрèя èлè между дâе грàмàтèчесêè êàтегîрèè.
Рàçнîîбрàçèетî îт грàмàтèчесêè ôîрмè çà дàденà чàст нà еçèêà (нàпрèмер çà глàгîлà âъâ
ôренсêè еçèê) се îтрàçяâà è âърху рàçлèчнèте случàè нà трàнспîçèцèя (çàлîгîâà, âèдîâà,
мîдàлнà, темпîрàлнà è пр.). Нà ôрàçîâî рàâнèùе êàтî случàè нà трàнспîçèцèя сà прîученè
трàнсôîрмàцèèте нà сèнтàгмàтà â прîстî èçреченèе èлè îбрàтнî, êàêтî è преâръùàнетî нà
неçàâèсèмîтî èçреченèе â пîдчèненî. Спецèôèêàтà нà трàнспîçèцèèте нà леêсèêî-семàнтèчнî
нèâî прîèçтèчà îт хàрàêтерà нà мехàнèçмèте, чреç êîèтî тя се îсъùестâяâà, îт тенденцèèте â
рàçâèтèетî нà смèсълà, êàêтî è îт нуждàтà îт пîстèгàне нà пî-гîлямà еêспресèâнîст чреç
рàçлèчнèте âèдîâе трîпè.
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