FICHE DE LECTURE - « Et ce sera justice ( Punir en démocratie ) »
A. Garapon, F. Gros, T.Pech.
Editions Odile Jacob, 2001.
Présentation des auteurs et de l’ouvrage.
A. Garapon est un magistrat, membre du comité de rédaction de la revue « Esprit » et a
fondé l’Institut des hautes études sur la justice. Il a publié notamment « Le gardien des
promesses » et « Bien juger ».
F. Gros est philosophe, maître de conférence à l’université Paris-XII. Il a notamment publié
« Foucault et la folie » et « Création et génie ». Il a également collaboré à l’édition des cours
de Michel Foucault au Collège de France.
T. Pech est assesseur au tribunal pour enfants de Paris et collaborateur de l’Institut des
hautes études sur la justice. Il a notamment publié « Conter le crime ».
Cet ouvrage est consacré à une réflexion audacieuse et profonde sur ce que doit être le sens
de la peine dans les sociétés qui se veulent « évoluées ». De la punition ou de l’impunité, quel
est le plus grand scandale ? D’un côté, le citoyen justiciable s’émeut des conditions dans
lesquelles sont maintenus ceux qui peuplent nos prisons ; de l’autre, un odieux assassinat lui
fait réclamer plus de dureté à l’égard de ceux qui faillissent.
Comment concilier équité et respect de la personne humaine ? Faut-il prendre en compte
l’intérêt et la souffrance des victimes ? Quelle différence alors entre punition et vengeance ?
L’ambition du livre est de penser une peine cohérente qui ne blesse ni l’individu, ni l’égalité,
ni la dignité. L’idée centrale est qu’une peine juste est une peine qui régénère les liens blessés
par le crime.
Analyse et clés de lecture.
Les auteurs, pour parvenir à la définition la plus parfaite possible de cette peine juste, ont
empruntés trois chemins. Le premier est celui de la tradition philosophique qui témoigne de
l’existence de « quatre foyers de sens » de la peine ( la loi, la société, l’individu, le crime ). Le
second consiste en l’analyse des instruments nouveaux et des politiques pénitentiaires
contemporaines. Enfin, la troisième voie est celle de la « justice reconstructive », unique
moyen d’inscrire la peine dans une dynamique et diplomatie du social.
La première partie de l’ouvrage est consacrée aux quatre foyers de sens de la peine. Le
constat initial est le suivant : la nécessité du châtiment. Mais comment penser une
« violence juste » ? Dans l’histoire occidentale, quatre systèmes de justification de
l’existence de la peine ont été élaborés : Punir, c’est tout d’abord rappeler la Loi (
discours sacré ou moral, suspendu à un interdit transgressé ). Punir, c’est ensuite
défendre la société ( discours politico-économique qui prétend se régler sur les intérêts
d’une communauté menacée ). Punir, c’est également éduquer un individu ( discours
psycho-pédagogique qui voudra obtenir par la peine la transformation de l’individu ).
Punir, c’est enfin transformer la souffrance en malheur ( discours juridico-éthique qui
tentera de remonter la pente de la vengeance pour penser une justice relationnelle ).
Punir, c’est rappeler la Loi.
La peine répond tout d’abord à un régime expiatoire. Il ne faut pas chercher les racines de la
pénalité publique dans le règlement des offenses entre familles ( vengeance, vendetta ) car la
peine légale est publique et individualisée. L’ancêtre de la pénalité d’Etat a des origines
religieuses : c’est la sanction infligée pour la transgression d’un interdit sacré. L’avènement
du christianisme va prétendre viser la régénération intérieure, la rémission des fautes et la
réconciliation. Le droit canon va permettre au droit pénal étatique d’affiner sa théorie de la
responsabilité pénale. Avec la séparation de l’Eglise et de l’Etat, ce dernier va faire sienne
l’œuvre de régénération morale ( « le salut des âmes » ).
La peine correspond ensuite à un gime rationnel. Pour Kant, le droit de punir est
exclusivement réservé au souverain. Le crime est à lui seul la justification du droit de punir, et
la pénalité doit se fonder sur un principe d’égalité ( loi du Talion ). Hegel a critiqué la vision
de Kant en ce que sa définition de la pénalité ne permet aucune réconciliation : le criminel ne
peut être concilié avec la Loi car cette dernière, au nom de la pénalité, lui est imposée
comme être vivant et le fait souffrir en son nom. La peine ne fait ainsi que rétablir un droit :
elle supprime une violation ( crime ) par une violation ( peine ). Selon Marx, la Loi n’est ni
un interdit sacni une norme universelle : c’est un instrument politique de conservation des
rapports de force sociaux, l’expression des intérêts de la minorité dominante. Dès lors, punir
c’est s’attacher à conserver ces intérêts.
Punir, c’est défendre la société.
La peine va revêtir plusieurs conceptions. Elle est tout d’abord un outil de protection du
corps social. On est passé ici d’une conception rétributive de la peine à une conception
utilitariste qui est l’œuvre des positivistes italiens ( Lombroso, Ferri, Garofalo ). Le système
pénal ne doit plus être fondé sur la responsabilité mais sur l’idée d’une « pure défense
sociale ». le sens de la punition va se diluer dans des opérations vagues de prophylaxie et
d’hygiène médicale. Pour Durkheim, la peine doit être réfléchie comme jeu de
représentation. Elle va relever d’une symbolique générale : sa fonction est de manifester
l’unité d’une société et son attachement irréductible à des valeurs sacrées. Il faut bien
distinguer le sens social de la peine d’un sens individuel. Selon Hobbes, la peine est un
moyen de défense du corps social : c’est acte politique attribué à l’Etat constitué lors de la
disparition de l’état de nature. Quand il punit, le souverain use de droits qu’il juge bons pour
garantir la sécurité de tous. Beccaria, quant à lui, considère la peine comme un « minimum
requis de contrainte » : punir est une nécessité, tout autant qu’il est nécessaire de sacrifier une
part de libertés pour vivre ensemble. Dès lors, seule peut être légitime la plus petite quantité
de peine requise pour la conservation des liens sociaux. Locke estime que la peine est une
garantie publique destinée à assurer la protection d’un droit naturel fondamental : la propriété.
La peine est ici un instrument politique au service de la conservation et du maintien des
propriétés. Enfin, selon Bentham, il faut envisager la pénalité sous l’angle de la prévision des
coûts : Punir, c’est intervenir sur le marché des délits et des crimes. La loi pénale est
l’expression d’une arithmétique des plaisirs et des peines.
Punir, c’est éduquer un individu.
Le point de départ est le suivant : l’individualisation des peines est essentielle en ce qu’elle
va permettre de passer de l’idée de la réadaptation sociale à celle de le «génération
intérieure » ( Saleilles et Tocqueville ). Individualiser, c’est le principe depuis lequel un sujet
est reconnu comme socialement responsable des actes qu’il a commis et c’est ensuite le
processus par lequel on entreprend de le transformer pour le réhabiliter. La punition vise aussi
l’inclination intérieure en ce qu’elle devrait permettre une rédemption salvatrice. Tocqueville
parle d’amendement ( la peine doit instruire, éduquer ). Platon était d’accord avec cette idée :
ce qui fonde le sens de la peine n’est pas un effet social mais sa capacité à restaurer la justice
dans l’âme de celui qui s’est rendu coupable.
Punir, c’est transformer une souffrance en malheur.
Traditionnellement, la justice allait de paire avec l’oubli des victimes. Le sens de la peine
restait étranger à la souffrance de celles-ci. Il y a cependant eu un renversement des valeurs :
on exige aujourd’hui que le sens de la peine s’ordonne à cette souffrance. La prise en
considération massive de la souffrance pour donner du sens à la peine renverse les trois
premiers foyers de justification car elle contribue à une resacralisation des références sociales,
à une recomposition communautaire, à une reconstruction psychologique du sujet. Mais ce
mouvement ne donnerait-il pas corps à une certaine forme « d’éthique de la vengeance » ?
La seconde partie de l’ouvrage, intitulée « neutraliser la peine », est consacrée à
démontrer l’inutilité de penser la souffrance et la réparation comme uniques fondements de la
peine. La nouvelle légitimité de la sanction doit se baser sur l’idée que la peine doit avoir pour
objectif de faire accepter au délinquant la société qui l’entoure et de lui apprendre à la
respecter en se respectant lui-même. Tout ceci peut devenir concret grâce à un travail, une
instruction, et surtout des conditions de détention décentes. C’est surtout à propos de ces
dernières que le bât blesse. Comment parvenir à créer une peine neutre, libérale lorsque le
délinquant est enfermé derrière l’arbitraire administratif et des pratiques pénitentiaires
obscures ? Pour l’auteur, la réponse se trouve dans le droit et l’indépendance nécessaire de
certaines institutions au sein de la prison, et dans une collaboration plus étroite entre le
judiciaire et l’administration carcérale.
Il existe donc une utopie de la peine neutre, « débarrassée de toute référence au sacré, de
toute violence, de toute passion et de tout arbitraire dans son exécution », et qui peut se
réaliser grâce à un triple processus : le « pacte humanitaire », tout d’abord, qui garantit aux
condamnés des conditions de vie acceptables encadrées par le droit et la jurisprudence de la
CEDH ; le « consensus procédural », ensuite, qui va opposer à l’arbitraire des protocoles de
décisions de types juridictionnelles afin d’aboutir à une juste exécution de la peine ; « l’Ethos
de la performance », enfin, relatif à la transformation du condamné et basé sur une dynamique
personnelle du détenu et une politique contractuelle instaurée entre lui et les institutions
judiciaires et carcérales.
Il faudrait donc arriver à une redéfinition libérale d’une peine apolitique, neutre. L’auteur
propose ainsi une pluralité de moyens de contrôle judiciaire pour lutter contre l’arbitraire
administratif et l’instrumentalisation de la peine qu’il engendre. Neutraliser la peine ne
signifie pas ici tendre à son éradication mais plutôt tendre à une certaine forme d’objectivité.
Et le moyen le plus efficace d’y parvenir, c’est de recours à toutes les formes de
procéduralisme et de juridicisation possibles, seuls vecteurs de garanties. Cela permettra que
« le droit ne s’arrête plus aux portes des prisons », cela ralentira le développement des
sanction administratives internes ( « peines dans la peine » ). L’enjeu du procéduralisme est
de ne pas s’arrêter au stade du prononcé des peines et de faire de la peine un véritable objet du
droit ( importance du JAP et du JLD ). Tout cela permettra la mise à l’écart du pouvoir
politique, la marginalisation du pouvoir administratif, la mise en place d’un cadre légal moins
contraignant dans lequel le détenu sera amené à participer, la montée en puissance du cadre
juridictionnel et des exigences du « procès équitable ».
L’auteur va également s’attacher et définir une conception contractuelle du processus pénal
au service d’une renaissance de l’individu. Cela participe à la définition d’une peine neutre.
Pour ce faire, l’individu doit comprendre et adhérer à sa peine en ayant par même
l’intention d’en tirer profit. Il doit travailler avec les institutions pressives, s’érigeant ainsi
en coproducteur de sa sanction, et ce du prononcé de la sentence jusqu’à extinction de la
peine. Encore faut-il réussir à inciter l’individu en développant des « stratégies
d’implication ». Dans cette optique, il faut s’attacher à étudier les facteurs du passage à l’acte
criminel afin de trouver des solutions pour éviter la récidive lors du retour dans le milieu
social. L’objectif est en même temps de pousser l’individu à l’autocontrôle, à la
responsabilisation, de sorte qu’il ne « fasse plus sa peine » mais l’optimise, l’aménage dans
son intérêt. On tente de faire évoluer l’individu sans le toucher, et ceci autant pour éviter la
récidive que pour effacer cette vision de la prison comme « humiliation de la République »,
celle-ci devant devenir un co-contractant, un partenaire, un coefficient multiplicateur des
efforts individuels.
Et ce sera justice
Punir en démocratie
A. Garapon, F. Gros, T. Pech.
Editions Odile Jacob, 2001.
Introduction
Cet ouvrage est le fruit de la collaboration de trois auteurs différents, un philosophe et
deux juristes. Chacun a contribué par l'écriture d'une des parties du livre, lui laissant sa propre
empreinte et contribuant à rendre le livre plus vivant.
Frédéric Gros est maître de conférence en philosophie à l'Université Paris-XII, il a
notamment publié, Foucault et la folie et Création et Génie.
Thierry Pech est lui assesseur au tribunal pour enfant de Paris, et un fréquent
collaborateur à l’Institut des Hautes Etudes sur la Justice.
Enfin, Antoine Garapon, troisième co-auteur de l'ouvrage est lui magistrat. Docteur en
droit, il a en effet été juge des enfants durant plusieurs années et il cumule aujourd'hui ses
activités de magistrat avec les fonction de secrétaire général de l' Institut des Hautes Etudes
sur la Justice (qu'il a d'ailleurs contribué à fonder), de membre du comité de rédaction de la
revue Esprit, et de directeur de la collection Bien commun aux Editions Michalon. M.
Garapon intervient même fréquemment sur la radio France Culture dans l'émission Le bien
commun et a notamment publié Bien juger et Le gardien des promesses.
Et ce sera justice est un essai, une réflexion tant juridique que philosophique sur la
place, le fondement et la fonction de la peine dans notre (voire même plus généralement,
"nos") société, à l'heure actuelle. Débutant leur propos par un provocant " De la punition ou
de l'impunité, quel est le plus grand scandale? ", les auteurs de l'ouvrage tentent d'appréhender
le concept de peine juste et efficace. Car il est pour eux injuste voire invraisemblable que la
réponse de la société à un acte criminel ou délictueux et donc une souffrance causé à autrui
s'administre sous la forme d'une nouvelle souffrance au criminel ou au délinquant. Comment
donc accepter la peine, destructrice de liberté, irrespectueuse de la personne et de la dignité
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